B. LES PREMIERS PAQUETS FERROVIAIRES : LE DÉBUT DE LA LIBÉRALISATION DU SECTEUR FERROVIAIRE
L'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire va se faire par étape, concernant en premier lieu le transport de marchandises à l'international, avant de s'intéresser progressivement au marché national et au transport de voyageurs.
Le premier paquet ferroviaire composé de trois directives élaborées entre 1998 et 2001 va ouvrir l'accès aux services de fret internationaux sur le réseau transeuropéen de fret ferroviaire , pour le 15 mars 2003 au plus tard. Est incluse à ce réseau transeuropéen la desserte des ports et des points terminaux.
Le deuxième paquet ferroviaire négocié entre 2002 et 2004 va ouvrir l'ensemble du fret international à la concurrence au 1 er janvier 2006. Par conséquent, la notion de réseau transeuropéen de fret ferroviaire disparaît. Au 1 er janvier 2007, l'ensemble du réseau fret est accessible, sans distinction entre l'international et le national. Le réseau français national est ouvert à la concurrence pour le transport ferroviaire de marchandises depuis le 31 mars 2006. En effet, la loi n°2006-10 du 5 janvier 2006 pour le fret national a mis fin au monopole de la SNCF prévu par la LOTI en matière de transport ferroviaire national de marchandises.
Ces deux paquets ont eu un impact sur le fret en France. En effet, la SNCF, dans son activité fret, opérait un rééquilibrage entre les lignes rentables et lignes non rentables grâce aux marges qu'elle arrivait à dégager sur les premières. Or, l'arrivée de nouveaux opérateurs la concurrençant sur ces lignes les plus rentables l'a obligé à baisser ses marges, ne lui permettant plus de compenser la faible rentabilité ou la non rentabilité de certaines lignes. Dès lors, la SNCF a mis fin à l'exploitation de certaines lignes, et a modifié sa politique, notamment en ce qui concerne l'allotissement. Cette évolution de la politique de la SNCF en matière de fret a eu de nombreuses répercussions sur les territoires.
L'extrait qui suit explicite ces observations : cette échéance (1 er janvier 2007) « n'a pas été réellement préparée dans notre pays, pas plus d'ailleurs que ne l'a été ensuite celle de l'ouverture à la concurrence du transport international ferroviaire de voyageurs.
Il en est résulté en France, non le redressement du fret ferroviaire espéré, mais au contraire une réduction très forte et globale du marché : alors que, en 2000, le marché du fret s'élevait à 52 Md t/km (à l'époque exclusivement réalisés par la SNCF), en 2010, il était de 32 Md t/km (dont 24 pour la SNCF). Selon M. Blayau, directeur général de SNCF Géodis, les nouveaux entrants ont ainsi pris à la SNCF, en seulement cinq ans, 20 % du marché du fret ferroviaire, dans un marché global en contraction. Et cette concurrence s'est exercée sur la « crème du marché » c'est-à-dire là où le transport ferroviaire de marchandises est le plus pertinent, là où les trains sont réguliers, longs, massifs et lourds. Dans ce domaine des trafics conventionnels, les nouveaux opérateurs ferroviaires de fret ont pris sensiblement plus de 20 % de parts de marché. Plusieurs causes peuvent expliquer ce phénomène : d'une part, la mise en concurrence, intervenue en 2006, a été proche dans le temps de la crise économique de 2008 ; d'autre part, la SNCF, confrontée à des baisses considérables de ses parts de marché sur les segments économiquement les plus pertinents, a restreint ses activités de wagons isolés, structurellement et lourdement déficitaires, pour tenter de limiter les pertes de ses activités de transport de fret. Nombre de fermetures de gares de fret sont aussi intervenues.
Dans notre pays, une autre cause, qui a marqué tant l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire que celle du transport international de voyageurs, en 2009, tient sans doute à son impréparation sociale. En effet, l'ouverture pour le fret s'est faite en l'absence d'un accord de branche sur le plan social, celui-ci n'ayant été conclu que le 16 octobre 2008. Par ailleurs, les règles prévues pour cet accord ne s'appliquent pas au personnel de la SNCF. De même, pour le transport international de voyageurs, ces ouvertures se sont faites avec des règles sociales très différentes qui ont eu pour conséquence une forme de dumping social, avec d'un côté, le RH077 (décret n°99-1161 du 29 décembre 2009) pour la SNCF en vertu de la loi du 3 octobre 1940, et de l'autre, pour ses concurrents, le décret n°2010-404 du 27 avril 2010 reprenant le contenu de l'accord de branche du 16 octobre 2008, qui a été conclu dans le secteur du fret. M. Blayau signalait lors de son audition que la France n'est pas le seul pays où l'ouverture à la concurrence a aggravé les pertes des opérateurs historiques de fret ferroviaire : l'Espagne avec Renfe ou l'Italie avec Trenitalia, ou encore la Belgique, sont dans ce cas. Par ailleurs, il semble que les nouveaux opérateurs entrés sur ce marché, tel Euro Cargo Rail (ECR), filiale de la Deutsche Bahn et principal concurrent de la SNCF, y soient présents pour des raisons commerciales et de développement, mais n'y gagnent pas d'argent.
Au total, c'est le secteur du transport routier qui a pleinement profité de cette libéralisation. L'exemple du fret ferroviaire en France illustre ainsi les dangers que peut présenter l'ouverture à la concurrence quand elle est introduite sans avoir été préparée. » 10 ( * )
Le troisième paquet ferroviaire, élaboré entre 2004 et 2007, a libéralisé le transport international de voyageurs. Les entreprises ferroviaires établies dans un État membre se sont vus accorder, au plus tard le 1 er janvier 2010, un droit d'accès à l'infrastructure de tous les États membres aux fins de l'exploitation de services internationaux de voyageurs 11 ( * ) . Une brèche est également ouverte dans le transport national de voyageurs par l'ouverture du cabotage à la concurrence. Toutefois, lorsque le service proposé entre « un lieu de départ et une destination » fait l'objet « d'un ou plusieurs contrats de services publics » conforme au droit européen, l'ouverture du cabotage à la concurrence peut être limitée. Il s'agit en effet de ne pas compromettre l'équilibre économique du contrat de service public. Ce troisième paquet ferroviaire a fait l'objet de nombreux débats. Alors qu'initialement était prévue une ouverture à la concurrence du service international des voyageurs au 1 er janvier 2012 et celle du transport national des voyageurs en 2015, le texte final prévoit une entrée en vigueur plus tôt que prévue pour le trafic international - dès le 1 er janvier 2010 - mais ne mentionne plus la libéralisation du transport national de voyageurs.
* 10 Extrait de l'avis du Conseil économique, social et environnemental présenté par Jean-Marie Geveaux et Thierry Lepaon : « L'ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux de voyageurs », juillet 2012.
* 11 La société Thello (détenue à 33% par Transdev et à 67% par Trenitalia, opérateur des chemins de fer italiens) a été la première à profiter de cette ouverture des dessertes internationales avec une liaison Paris-Venise. Elle projette une liaison Milan-Nice puis Milan-Marseille (cf. Les Echos du 8 octobre 2013).