2. La réinsertion sociale des victimes de la traite : l'exemple italien

Informés par plusieurs personnes auditionnées des mesures mises en place par l'Italie en matière d'aide aux victimes de la traite (notamment à des fins d'exploitation sexuelle), vos rapporteurs se sont rendus sur place afin de mieux appréhender toutes les dimensions de cette politique.

a) La création d'un dispositif de prise en charge globale des victimes

En Italie, le nombre de personnes qui se prostituent est estimé par les associations à environ 70 000. La moitié d'entre elles serait d'origine étrangère, le pays étant une plaque tournante de la prostitution du fait de sa position géographique (zone de passage entre les pays d'origine des personnes prostituées - Europe de l'Est, Afrique subsaharienne, Maghreb - et les pays dans lesquels elles exercent leur activité - Europe de l'Ouest principalement -).

La forte présence des réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains a incité l'Italie à se doter, en 1998, d'un outil juridique pour lutter contre ce phénomène : le décret législatif n° 286-1998 du 25 juillet 1998 .

L' article 18 de ce décret législatif instaure un dispositif de prise en charge globale des victimes de la traite, qui permet :

- de reconnaître aux personnes concernées un statut de victime de la traite quand bien même elles ne dénoncent pas leur trafiquant-proxénète ;

- de garantir à ces victimes une protection et un permis de séjour provisoire à titre humanitaire ;

- de les accompagner dans leur parcours d'insertion sociale et professionnelle .

La caractéristique la plus notable de ce dispositif se trouve dans la possibilité d'octroyer un permis de séjour sans qu'il y ait nécessairement dénonciation de l'exploiteur. Il est en effet admis que certaines victimes ne sont pas en mesure de fournir des preuves tangibles sur l'organisation criminelle qui les exploite, que d'autres craignent de dénoncer le réseau par peur des représailles. Cette non-obligation de dénonciation préalable favorise la création d'un climat de confiance, propice à la « reconstruction » de la victime et à une future collaboration judiciaire.

La proposition d'octroi de permis de séjour à titre humanitaire peut être le fait du procureur de la République, des services sociaux des collectivités locales ou des associations d'aide aux victimes agréées. Le permis est accordé pour une durée de six mois, renouvelable un an.

Les personnes bénéficiant de la protection au titre de l'article 18 intègrent également un programme d'assistance et d'intégration sociale géré par une collectivité locale ou une association agréée. Ce programme comprend plusieurs phases, d'une durée plus ou moins longue selon la situation de la victime : la prise de contact, l'identification de ses besoins, sa protection, son insertion professionnelle.

Tout au long de ce programme, la personne bénéficie d'un hébergement : d'abord dans un « centre de fuite » afin de l'éloigner des trafiquants-proxénètes, puis dans un « centre de semi-autonomie », enfin dans un centre non protégé. Selon les interlocuteurs institutionnels et associatifs rencontrés, aucun problème ne se pose s'agissant des capacités d'accueil.

Sur la base d'un bilan de compétences, la collectivité locale ou l'association élabore avec la personne un projet de réinsertion professionnelle, qui comprend l'accès à des formations, à des enseignements, à des stages, etc. Dans le cas où la personne conclut un contrat de travail à l'issue de ce projet, son permis de séjour pour motif humanitaire est transformé en un permis de séjour pour motif de travail. Dans le cas contraire, la personne continue d'être suivie dans le cadre de son programme d'insertion.

Les programmes d'assistance et d'intégration sociale sont financés à hauteur de 70 % par l'Etat (budget de 8 millions d'euros) et de 30 % par les collectivités locales.

Tous les acteurs s'accordent à dire que cette politique a permis d'obtenir des résultats significatifs : depuis sa mise oeuvre, 11 751 personnes (principalement des femmes) sont parvenues à sortir de la prostitution. En outre, une très grande majorité de victimes décide, une fois en parcours d'insertion, de porter plainte contre leurs trafiquants et/ou proxénètes.

Parallèlement à ce « parcours social », existe un « parcours judiciaire » plus classique, qui suppose la collaboration immédiate de la victime avec les services de police et de la justice à des fins de dénonciation du trafiquant/proxénète.

b) La saisie des profits générés par les réseaux de traite

En 2003, l'Italie s'est dotée d' un second outil juridique pour renforcer sa politique de lutte contre la traite des êtres humains : la loi n° 228-2003 du 11 août 2003 (« Mesures contre la traite des personnes ») .

Cette loi concerne toutes les formes de traite, d'esclavage et de servitude ; elle ne limite donc pas à l'exploitation sexuelle. Elle liste les éléments constitutifs de la traite des êtres humains (la violence, l'abus d'autorité, le fait de profiter d'une situation d'infériorité physique ou d'une fragilité psychologique, etc.) et définit l'infraction de traite.

L'une des particularités de cette loi est de prévoir l'obligation de confiscation des profits de la traite des êtres humains . Lors des procès pour traite, le juge peut ainsi décider soit d'attribuer les montants saisis aux victimes, ce qui s'apparente à une forme de dédommagement, soit à l'Etat via le « fonds pour les mesures de lutte contre la traite », qui sert notamment à abonder le programme de protection et d'assistance sociale mis en place par le décret législatif de 1998. Une « commission de réaffectation des biens » a même été créée pour contrôler l'utilisation de l'argent saisi.

L'article 13 de la loi de 2003 prévoit également la création d'un programme spécialisé d'assistance pour les victimes de la traite, qui leur garantit logement, nourriture et assistance sanitaire, sur une période allant de trois à six mois.

c) Les actions complémentaires

Outre ces deux outils juridiques, l'Italie a mis en place un numéro vert destiné aux personnes victimes de la traite. Initialement géré par un « call center », ce numéro l'est désormais par des associations spécialisées.

Par ailleurs, l'Etat participe au financement de divers projets de soutien aux victimes et de campagnes de prévention contre la traite.

En parallèle de cette politique d'aide aux victimes, les pouvoirs publics se sont engagés activement dans la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains , dont les modes de fonctionnement sont similaires à ceux des réseaux mafieux, bien connus des services de police et de justice italiens. C'est d'ailleurs la direction nationale anti-mafia qui, en Italie, pilote la politique de lutte contre les réseaux de traite. Ainsi que l'a souligné le procureur national anti-mafia à vos rapporteurs, cette politique ne peut toutefois pas seulement s'inscrire dans un cadre national ; une collaboration entre les pays européens est indispensable compte tenu de la dimension internationale des réseaux de traite, ainsi que de l'importance de leurs moyens logistiques et financiers.

Propositions

Sur le modèle de la politique d'insertion des victimes de la traite mise en place par l'Italie :

- reconnaître à la personne le statut de victime indépendamment du fait qu'elle ait dénoncé ou non son trafiquant/proxénète et dès lors qu'elle s'est engagée dans un parcours d'insertion ;

- lui octroyer un permis de séjour à titre humanitaire d'une durée suffisante ;

- la protéger immédiatement en l'hébergeant dans une structure adaptée ;

- mettre en place un accompagnement personnalisé en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle ;

- saisir l'argent des réseaux de traite au profit des victimes, soit directement sous la forme d'un dédommagement, soit indirectement via le financement de programmes d'insertion sociale et professionnelle ;

- encourager la complémentarité d'action entre la politique d'aide aux victimes et la politique de lutte contre les réseaux.

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