G. SÉPARER LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE

Prenant notamment appui sur les poursuites pénales engagées en Ukraine à l'encontre de l'ancien Premier ministre, Mme Ioulia Timochenko, et de l'ancien ministre de l'Intérieur, M. Iouri Loutsenko, la commission des questions politiques et de la démocratie a tenu à réaffirmer la distinction entre responsabilité politique et responsabilité pénale. Elle estime en effet dans ce cas que le système judiciaire a été abusivement utilisé pour réprimer des opposants politiques.

Le rapport qu'elle a présenté devant l'Assemblée précise au préalable que les responsables politiques doivent bien évidemment être tenus de rendre des comptes pour les actes ou omissions délictuels qu'ils commettent à titre privé ou dans le cadre de leurs fonctions. Une distinction entre la prise de décision politique et les actes délictueux doit néanmoins être opérée en droit interne. La norme doit respecter, à cet égard, un certain nombre de principes mis en avant par la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite Commission de Venise : absence de poursuites pour pénaliser erreurs ou désaccords politiques, clarification de l'incrimination d'abus d'autorité, exigence d'un procès équitable et procédure de destitution des ministres respectueuse de l'État de droit.

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française, a rappelé dans son intervention que les procès intentés en Ukraine ne constituaient pas un cas isolé en Europe :

« Le principe d'égalité qui veut que tous les citoyens aient droit à un procès équitable, est valable pour tous. Par ailleurs, la justice pénale ne peut être utilisée comme un moyen de résoudre des conflits politiques. La responsabilité politique suppose que les élus soient responsables devant le peuple. Pour cela, il existe des procédures parlementaires qui permettent de mettre en cause la responsabilité du gouvernement par les représentants du peuple par exemple, et le suffrage universel ! La responsabilité pénale, elle, exige de caractériser une faute pénale imputable à un individu identifié. Si celui-ci est un homme politique, il est normal qu'il soit traité comme un citoyen ordinaire si le délit n'a rien à voir avec ses fonctions politiques.

Dans le cas où les délits concernés ont été commis dans le cadre des fonctions politiques, plusieurs solutions existent. La France, comme la Finlande ou la Pologne, a choisi la solution du tribunal spécial de destitution pour les ministres. En France, François Hollande a demandé que tout membre du gouvernement mis en examen remette sa démission afin que cette responsabilité pénale ne vienne pas interférer avec le travail du gouvernement. C'est, je crois, une bonne chose. Cependant, dans certains pays, la mise en cause de la responsabilité pénale d'anciens membres du gouvernement ou d'élus de l'opposition relève d'une justice sélective plus proche du procès politique que pénal.

Voltaire disait : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire. » Certains pays membres de notre Assemblée l'ont manifestement oublié !

Le rapporteur et la Commission de Venise évoquent notamment le cas des procès d'anciens membres du gouvernement en Ukraine. Même si nous devons nous réjouir de la libération de M. Loutsenko, les conditions de détention de M me Tymochenko et la multiplication des affaires criminelles ouvertes par le parquet général contre les membres de l'opposition ne peuvent que nous inquiéter. Je regrette que le rapport ne fasse pas référence à d'autres cas qui posent problème au regard de ce que nous sommes en droit d'attendre d'un État de droit.

Je pense notamment à la situation actuelle en Géorgie, particulièrement inquiétante, à quelques mois des élections présidentielles. L'arrestation le 21 mai de l'ancien Premier ministre Vano Merabichvili, susceptible d'être le candidat du Mouvement national unifié à la présidentielle d'octobre, doit nous interpeller. Les faits qui lui sont reprochés sont graves et je ne porterai pas de jugement sur leur réalité. Mais les déclarations faites à la presse des membres du gouvernement portent atteinte à la présomption d'innocence. Il faut que le climat soit apaisé avant les élections et nous devons soutenir le Commissaire aux droits de l'Homme qui tente de rétablir le dialogue entre majorité et opposition.

En Russie également, les pressions judiciaires contre des leaders de mouvements d'opposition se sont multipliées après les mouvements de manifestations de 2012. Comment peut-on admettre que la Douma ait déchu de son mandat - je dis bien mandat et non immunité - le député M. Goudkov ! Dans une vraie démocratie, le pouvoir est limité et ne peut pas tout se permettre. Je pourrais citer bien d'autres exemples où la question de l'impartialité de la justice pose problème. Une démocratie se reconnaît à sa capacité de laisser l'opposition s'exprimer et la justice travailler. Pour cela la séparation de la responsabilité pénale et politique doit être effective.

Pour conclure, j'aimerais rendre hommage à M. Nelson Mandela. Dans son ouvrage Un long chemin vers la liberté , il a écrit ces mots, qui viennent en écho de notre débat ce matin : « Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé . » »

La résolution adoptée par l'Assemblée insiste sur la nécessité pour les États de préciser les dispositions pénales relatives à l'abus d'autorité, afin d'en limiter la portée et prévenir ainsi tout utilisation excessive. Elle souhaite que la procédure de destitution des ministres prévues dans les lois fondamentales des États membres soit interprétée et appliquée avec précaution. Revenant sur le cas ukrainien, le texte invite instamment les autorités ukrainiennes à prendre des dispositions particulières pour garantir l'indépendance de la justice, en respectant les recommandations de la Commission de Venise et en exécutant rapidement et intégralement les arrêts de la Cour.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page