V. L'AVENIR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN DÉBAT
A. LA PRÉSIDENCE ARMÉNIENNE DU CONSEIL DE L'EUROPE
M. Edward Nalbandian, ministre des affaires étrangères d'Arménie, était invité à présenter devant l'Assemblée parlementaire les priorités de la présidence arménienne du Conseil de l'Europe, qui a débuté en mai dernier.
La lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance ainsi que la promotion du dialogue interculturel devraient constituer les principaux axes de travail de ce semestre. La présidence arménienne entend ainsi soutenir et coordonner les activités en cours dans le cadre de la campagne des jeunes contre les discours de haine. Une vigilance particulière doit être apportée à la diffusion des messages racistes sur internet, via les réseaux sociaux.
Une attention sera également portée à la démocratie locale, qui constitue la deuxième priorité d'action de la présidence arménienne.
M. Nalbandian a également insisté sur le renforcement de la mise en oeuvre de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) et l'amélioration du fonctionnement de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il a ainsi souligné la nécessité de renforcer, au sein de chaque État, la formation des juges, des procureurs et des juristes. Le Protocole n° 15 à la CEDH qui vient d'être ouvert à la signature et le Protocole n° 16 participent également de cet effort.
Le ministre arménien a, en outre, rappelé l'importance du partenariat avec l'Union européenne, qui devrait être à terme partie à la CEDH, mais aussi avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
La présidence arménienne a enfin indiqué son souhait de promouvoir une approche cohérente du Conseil de l'Europe à l'égard des régions voisines, citant notamment le bassin méditerranéen. Il a également souligné l'importance pour le Kosovo de bénéficier du système de protection des droits fondamentaux mis en place par la CEDH.
A l'occasion du débat organisé dans l'hémicycle, M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) , président de la délégation française, intervenant au nom du groupe socialiste, a souhaité interroger le ministre des Affaires étrangères arménien sur la question du Haut-Karabagh :
« Monsieur le Président du Comité des Ministres, je souhaite vous poser une question en votre qualité de ministre des Affaires étrangères de l'Arménie. Comment définiriez-vous les grandes lignes de la politique étrangère de l'Arménie ?
Notre Assemblée souhaiterait par ailleurs vous entendre sur la dernière déclaration des Présidents des trois pays qui coprésident le Groupe de Minsk, demandant aux dirigeants des deux partis de s'en tenir aux principes d'Helsinki, c'est-à-dire la non-utilisation de la force ou de la menace, le respect de l'intégrité territoriale, le droit à l'autodétermination des peuples. »
M. Nalbandian a rappelé dans sa réponse la permanence des tensions avec l'Azerbaïdjan :
« En ma qualité de ministre des Affaires étrangères de l'Arménie, je peux dire que le lancement du partenariat avec l'Union européenne en mai 2009 a introduit une nouvelle dimension dans nos rapports. Nous avons assisté depuis à un grand nombre de progrès dans différents domaines de coopération. Je ne pense pas seulement aux négociations sur les accords d'association, mais aussi au commerce et à la mobilité des personnes. Ce mécanisme efficace marque le dynamisme du dialogue politique avec l'Union européenne.
Des visites importantes ont été réalisées depuis juillet 2010 et nous avons participé aux négociations sur les accords d'association qui arrivent à leur phase finale. Ils facilitent la mobilité, aspect essentiel de notre coopération. Nous avons ainsi négocié et signé plusieurs accords, ainsi que des accords nationaux. Nous espérons les ratifier au plus vite et poursuivre le processus de libéralisation.
S'agissant du Haut-Karabakh, le 18 juin, une déclaration a été adoptée par les trois coprésidents du groupe de Minsk. Nous avons réagi en disant que nous partagions pleinement leur opinion. La réaction azerbaïdjanaise montre que la communauté internationale et l'Azerbaïdjan parlent deux langages différents.
La déclaration d'Enniskillen est la cinquième des chefs d'État des pays coprésidents. Nous apprécions hautement leurs efforts continus et sommes solidaires avec eux pour parvenir à un règlement exclusivement pacifique du conflit. Comme eux, nous sommes persuadés que les éléments inscrits dans la déclaration conjointe produite par les dirigeants des pays coprésidents du Groupe de Minsk au cours des quatre dernières années peuvent constituer les fondements d'un règlement juste et durable du conflit, que ces éléments doivent être considérés comme formant un tout et que toute tentative de faire prévaloir l'un des éléments sur les autres rendrait impossible le règlement du conflit.
Nous sommes totalement d'accord avec les coprésidents lorsqu'ils déclarent que les peuples doivent être préparés à la paix et non à la guerre. Malheureusement, jusqu'à présent les autorités azerbaïdjanaises font le contraire.
Nous partageons entièrement l'avis des chefs d'État coprésidents qui affirment que le recours à la force n'apportera pas de solution au conflit et que seul un règlement négocié permettra d'arriver à la paix et à la stabilité, ce qui ouvrirait de nouvelles opportunités de développement de la coopération régionale.
Contrairement à l'Azerbaïdjan, qui en toutes occasions fait référence uniquement à un seul principe du droit international, l'Arménie, en réponse à l'appel des Présidents François Hollande, Vladimir Poutine et Barak Obama, réaffirme une nouvelle fois son engagement en faveur des principes du droit international, en particulier le non-recours à la force ou à la menace de la force, le droit à l'autodétermination des peuples et à l'intégrité territoriale.
En dépit des multiples appels de la communauté internationale de s'abstenir de déclarations d'actions à caractère provocateur, l'Azerbaïdjan continue sa rhétorique belliqueuse et ses provocations sur la ligne de contact avec le Haut-Karabakh ainsi que sur la frontière avec l'Arménie. Il glorifie les meurtriers, poursuit ceux qui appellent à la paix, continue sa politique de propagande de la xénophobie, de l'intolérance et de la haine, conduisant ainsi à l'aggravation de la situation et à l'augmentation de la tension dans la région.
A l'instar de la Russie, de la France et des États-Unis, nous regrettons que Bakou essaye de tirer un avantage unilatéral. Il n'a pas été possible d'enregistrer un progrès lors des Sommets de Kazan, de Sotchi ou de Saint-Pétersbourg. L'Arménie partage l'approche des coprésidences selon laquelle le retard prolongé de l'obtention d'un accord sur les principes fondamentaux du règlement du conflit est inacceptable.
La déclaration conjointe d'Enniskillen sur le conflit du Haut-Karabakh des chefs d'État des pays coprésidents peut donner une impulsion et faire progresser le processus de négociation si les autorités de l'Azerbaïdjan perçoivent correctement le message desdits pays.
S'agissant des conflits gelés, les chefs d'État et de Gouvernement du Conseil de l'Europe ont souligné lors du Sommet de Varsovie en 2005 qu'il était de la plus haute importance que les États membres travaillent ensemble à la réconciliation et à la recherche de solutions politiques aux conflits gelés en Europe afin de renforcer la sécurité, l'unité et la stabilité démocratique sur notre continent.
Cela doit se faire dans le cadre des formats de négociations agréés.
Si le Conseil de l'Europe n'a pas vocation à intervenir dans ces négociations, il peut en revanche apporter une contribution très utile en favorisant le développement de mesures de confiance et promouvoir ainsi le dialogue sans lequel aucune solution politique à ces conflits n'est possible.
Je me félicite que le développement de telles mesures fasse partie des priorités proposées par le Secrétaire Général pour les prochaines réunions. »
M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin - UDI-UC) a souhaité savoir si la présidence arménienne suivie de celle de l'Azerbaïdjan ne constituaient pas, à cet égard, une opportunité pour le règlement du conflit :
« Monsieur le ministre, M. Jean-Claude Mignon a rappelé au démarrage de votre présidence que celle-ci pouvait constituer une étape importante en vue du règlement du conflit du Haut-Karabakh.
Le fait que votre présidence soit suivie dans six mois de la présidence azérie devrait faciliter les échanges et le dialogue. Au-delà des réponses convenues voire de la diabolisation de l'adversaire que l'on peut parfois entendre, Monsieur le Président, ferez-vous de l'année qui s'ouvre un moment utile pour mettre un terme définitif à cette tragédie qui fragilise vos deux pays mais aussi la région ? Ce serait tout à l'honneur de l'Arménie. »
Le président du Comité des Ministres lui a répondu :
« Concernant le Haut-Karabakh, notre présidence ainsi que la présidence à venir de l'Azerbaïdjan, je m'exprimerai en ma qualité nationale. Au cours des cinq dernières années, les présidents de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie ont participé à une quinzaine de sommets. Des dizaines de réunions se sont tenues avec les ministres des Affaires étrangères. Mon homologue azéri et moi-même participerons également à une réunion sur ce sujet dans les jours qui viennent.
Présidence ou non du Conseil de l'Europe, nous n'avons pas de difficultés à poursuivre les processus de négociation. Mais malgré le mandat de la communauté internationale et les réunions qui sont prévues, l'Azerbaïdjan refuse toutes les propositions en matière de résolution du conflit du Haut-Karabakh ainsi que toutes les mesures de confiance préconisées pour réduire la violence et établir un cessez-le-feu sur la ligne de démarcation.
Telle est la triste réalité. Ce n'est pas que les Arméniens ne souhaitent pas la normalisation et un règlement du conflit. Nous l'avons dit souvent, nous sommes favorables à des négociations pour régler le conflit sur la base des propositions et initiatives des coprésidents, que ce soit à Deauville, à L'Aquila ou ailleurs.»
Mme Marie-Louise Fort (Yonne -UMP) a fait porter sa question sur les relations entre l'Arménie et la Turquie :
« Il y a tout juste cinq ans, en 2008, un espoir de paix et de tolérance naissait dans les relations arméno-turques. La mise en oeuvre des accords de Zurich de 2009 se heurte aujourd'hui à la fois à une histoire commune douloureuse et à la résolution de la difficile question du Haut-Karabakh. Pensez-vous que dans le cadre de la présidence arménienne et de ses priorités que vous avez exposées, de tolérance, de dialogue interculturel, un nouveau pas vers la réconciliation entre votre pays et la Turquie est envisageable ? »
Le ministre arménien lui a répondu :
« Le processus de normalisation entre l'Arménie et la Turquie était une initiative du président de l'Arménie. Celui-ci avait pour objectif d'amorcer les négociations pour une normalisation des relations entre les deux pays. Après un long et difficile processus durant lequel les ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés à de très nombreuses reprises, nous sommes arrivés à un accord, mais la Turquie ne l'a pas mis en oeuvre.
De nombreux pays se sont exprimés à ce sujet. Les États membres du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne, mais aussi les États-Unis, tous ont affirmés que la balle était côté turc.
Tout dépend maintenant de la Turquie pour que soit mis en oeuvre cet accord, sans conditions préalables. Il est un principe en diplomatie qui veut que si l'on signe un accord, il faut le respecter et le mettre en oeuvre. »
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) est, quant à lui, revenu sur l'appréciation par la présidence arménienne des événements en Turquie :
« La Turquie est le théâtre de violentes manifestations depuis plusieurs semaines. Je m'étonne du relatif silence du Conseil de l'Europe sur ces événements. L'Union européenne comme les États-Unis ont déjà réagi officiellement.
Nonobstant les difficultés diplomatiques entre vos deux pays, la présidence du Conseil de l'Europe entend-elle réagir plus fermement à ces événements tragiques et rappeler les engagements auxquels la Turquie a souscrit en matière de démocratie et d'État de droit ? »
M. Nalbandian lui a répondu :
« La question a été posée au sein du Comité des Ministres. Des éclaircissements ont été apportés par la délégation turque. Comme l'a rappelé récemment le Secrétaire Général, le dialogue est la seule façon de résoudre ce problème sans que l'on se laisse entraîner dans une spirale de violence et sans violation des droits de l'Homme, en particulier du droit à manifester de manière pacifique.
Les procédures engagées contre les personnes arrêtées lors des manifestations doivent être menées dans un contexte d'impartialité, de transparence et de respect des textes de la Convention.
Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe se rend aujourd'hui en Turquie afin de rencontrer, demain, les plus hauts responsables du pays. Ce sera l'occasion d'aborder les problèmes qui se posent avec les plus hautes autorités de la Turquie. Nous attendons le rapport du Secrétaire Général à son retour.»
M. François Rochebloine (Loire - UDI) a, de son côté, interrogé la présidence sur la question syrienne :
« Quelles dispositions le Comité des Ministres a-t-il prises ou entend-il prendre pour analyser le plus précisément possible l'état des forces politiques en présence en Syrie et leurs capacités effectives à assumer, le cas échéant, la transition vers un nouveau gouvernement ? »
Le ministre arménien lui a répondu :
« Le Comité des Ministres, en mai dernier, a adopté une résolution condamnant les violations des droits de l'Homme commises en Syrie depuis le début des hostilités. Il appuie la mission de supervision des Nations unies et remercie les pays voisins de l'aide humanitaire qu'ils apportent aux réfugiés syriens.
Il a également suivi avec grand intérêt le débat de votre Assemblée parlementaire sur la situation des réfugiés syriens et des déplacés qui s'est tenu au cours de la deuxième partie de session. En tant que ministre des Affaires étrangères de l'Arménie, j'ajouterai que le secrétaire d'État américain et le ministre des Affaires étrangères russe préparent la prochaine conférence de Genève. L'ensemble de la communauté internationale doit tout d'abord travailler à comprendre l'échec de la première conférence. Ensuite, il faut que tous les représentants des différents groupes d'opposition et du gouvernement syriens soient présents à Genève, ainsi que ceux des pays qui ont une influence sur le terrain. Les hostilités doivent s'arrêter et la réconciliation se faire par le dialogue. »