2. Doutes, frustrations et insatisfactions
75. L'Europe de la défense est devenue source de frustrations et d'incompréhensions. Même les programmes d'équipement militaires qui ont le mieux marché sont regardés avec insatisfaction et regrets. Le cas de l'A400M est emblématique de cette vision pessimiste des choses. « Cela aurait dû être plus rapide, moins cher », entend-on souvent. On ne regarde que le calendrier non tenu, sans s'interroger pour savoir s'il était tenable. Les concessions faites par les Etats en 2010 lors de la renégociation du contrat ont laissé des souvenirs amers. Enfin, le soutien, qui en matière aéronautique représente les deux tiers du coût d'un programme, n'est toujours pas mutualisé, et si cette situation perdurait, elle ne permettrait pas de dégager les substantielles économies que l'on est en droit d'attendre de la mutualisation de programmes aussi importants.
76. A quoi tient cette situation ? L'Europe en tant qu'Etat, n'existe pas . C'est un marché avec des frontières communes, des règles et des fonctionnaires pour les appliquer. Mais elle n'est pas un Etat et rien d'important ne se passe à Bruxelles avant de s'être d'abord passé dans les capitales nationales. Pourtant, à force de répéter les mots « Europe de la défense », de lui reprocher ce qu'elle fait ou de blâmer ce qu'elle ne fait pas, les peuples européens ont fini par croire en son existence. Cette incapacité de la construction européenne d'enfanter une défense européenne engendre une situation quasi « hystérique ».
77. Le fait est qu'il y a moins de programmes en coopération aujourd'hui qu'il n'y en avait il y dix ans, et moins il y a dix ans qu'il n'y en avait il y a vingt ans, et les programmes effectivement lancés pour l'instant sont peu structurants. L'envie d'Europe est au plus bas. Nos compatriotes étaient encore 60 % à s'estimer favorables ou un peu favorables à la construction européenne en 2007. Ils ne sont plus que 40 % en 2013.
78. Tous les « outils » institutionnels et même la « boîte à outils », le « hardware » (les groupements militaires ), le « software » (la stratégie de défense européenne), ne suppléeront pas l'absence d'un « cerveau européen ». L'Europe de la défense ne peut aller nulle part et, de fait, ne va nulle part tant que cette question n'aura pas été tranchée. On peut même attendre « cent cinquante ans » selon l'expression du ministre de la défense français que l'intérêt des nations européennes converge. Cela n'adviendra pas. Les intérêts des nations européennes ne convergeront pas de façon spontanée sans une instance capable de faire triompher l'intérêt de tous sur les intérêts de chacun.