3. Préserver et développer la BITD-E

135. L'objectif est ici de consolider l'industrie de défense sur une base géographique européenne . Cela revient à constituer de grands groupes paneuropéens de défense afin de bénéficier des avantages que confère la taille : partage des coûts non récurrents, concentration des efforts de recherche, équilibrage des gains et des pertes sur plusieurs centres de profit. Ces grandes entités doivent assurer à l'Europe l'autonomie de ses équipements. Elles doivent également être mieux à même de concourir dans la compétition internationale.

136. Comment arriver à cette consolidation ? Un premier type de réponse a été donné par la directive Marché Publics de Défense et de Sécurité (MPDS) de 2009. C'est l'action sur l'offre . L'esprit est simple : généraliser les mises en concurrence. Il est encore trop tôt pour dire si cette directive atteindra l'objectif, mais on peut craindre que les dérogations ne soient interprétées de façon trop extensive.

137. C'est pourquoi, plutôt que de réécrire une législation dont l'encre est à peine sèche, une réponse plus intéressante est de laisser les industriels procéder par eux-mêmes aux regroupements qui s'imposent . Tel était le cas du projet BAE et EADS et il est regrettable qu'il se soit brisé sur l'écueil des intérêts nationaux. Néanmoins, d'autres initiatives existent qui méritent d'être saluées, tel le regroupement opéré sur NEUROn ou les accords industriels envisagés dans le domaine des drones. Des projets semblent voir le jour dans le domaine de l'armement terrestre. Il faut les encourager. Enfin, d'autres domaines, en particulier le naval et le spatial, doivent être considérés.

138. A défaut de pouvoir éviter les monopoles, les nations européennes doivent pouvoir s'appuyer sur le conseil d'experts indépendants à leur propre service. D'un point de vue national, ce rôle est joué par les institutions ou organismes responsables de l'armement. Au niveau européen, nous disposons de l'AED et de l'OCCAr. Ces deux institutions ont signé récemment un accord afin de renforcer leur coopération. Il semble nécessaire aujourd'hui d'aller plus loin et de les fusionner afin de créer une Agence européenne de l'armement, dont le processus de décision doit être impérativement le vote à la majorité qualifiée, comme c'est d'ailleurs la règle à l'OCCAr et, en théorie, au sein de l'AED.

139. L'autre façon de consolider la BITD-E est d'agir sur la demande , c'est-à-dire au travers des grands programmes d'armement. Il faut en la matière tirer les leçons des échecs passés et se conformer à quelques règles simples.

140. La première règle est de s'efforcer de mettre face aux Etats des grands groupes pan-européens , car indépendamment des effets bénéfiques liés à la taille, l'intérêt de tels groupes est d'éviter de recourir au principe du juste retour. En effet, ces grands groupes doivent être implantés dans suffisamment de nations pour que, au moment de choisir, celles-ci n'aient pas le sentiment d'avantager l'une d'entre elles ni n'éprouvent le besoin de nationaliser le programme. Ce sont ces grands groupes et non pas les Etats qui doivent faire leur affaire d'une juste mais efficace redistribution des tâches sur l'ensemble des bassins d'emploi européens. Dans le même ordre d'idées, il est souhaitable que ces grands groupes aient une structure duale équilibrée entre leurs activités civiles et leurs activités militaires afin de pouvoir survivre à des échecs sur des appels d'offre d'équipements militaires. Car si la mise en concurrence ne marche qu'une seule fois, les Etats européens se retrouveront pieds et poings liés face à des monopoleurs.

141. La seconde règle est d'avoir, aussi bien du côté des nations, que de celui des industriels, des leaders désignés . Tel est le cas bien sûr lorsque la gestion du programme est confiée à l'OCCAr.

142. Troisièmement, il est nécessaire que les besoins opérationnels soient clairement définis avant de commencer les programmes. Tel était le cas de l'A400M. C'est en réalité la condition à la fois la plus simple et la plus difficile à obtenir, car elle suppose une harmonisation des calendriers d'équipement, ce qui n'est jamais facile et, surtout, l'insertion dans une stratégie globale d'acquisition des équipements militaires.

143. Quatrièmement, des mesures incitatives doivent être mises en place. Il serait logique que les grands programmes européens bénéficient de l'exonération de TVA et il serait souhaitable que les entreprises qui les portent aient accès aux financements communautaires, notamment les programmes européens en matière de recherche, afin de financer la recherche et le développement d'activités militaires ou duales, comme l'espace ou le cyber. Un projet pilote pour le financement de la recherche en matière de défense est envisagé par la Commission européenne, ce qui illustre un changement bienvenu d'état d'esprit. Malheureusement, son montant d'une centaine de millions d'euros sur trois ans pour vingt-huit pays n'est pas à la hauteur des enjeux. D'autres outils permettraient de financer ces activités de recherche. Il suffirait pour ce faire de recourir aux articles 184, 185 et 187 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

144. Afin de permettre ce type de financements, deux mesures sont nécessaires. La première est de clarifier la question de la propriété intellectuelle de ces programmes. La seconde est qu'il n'existe pas aujourd'hui de définition des entreprises de défense européennes. Il serait souhaitable de délimiter le périmètre de la BITD-E, concept plus politique que pratique, voire introduire la notion d'opérateur économique européen afin, notamment, de réserver les financements européens aux entreprises européennes.

145. Bien sûr, les PME de défense ne doivent pas être oubliées. Elles jouent un rôle important en matière d'innovation et donc de compétitivité. Trop souvent, l'aide aux PME reste un voeu pieu. Pourtant, des initiatives existent dans différents pays européens. C'est le cas en France avec le dispositif Rapid de la DGA. Ce régime d'appui permet de choisir les technologies souhaitées et d'aider à les développer. Une mission de la Commission européenne devrait être mise en place afin d'identifier les meilleures pratiques d'aides aux PME du secteur de la défense et de proposer un dispositif européen pertinent, une sorte de Small Business Act européen ou bien encore un fond spécifique dédié au financement des start up de défense.

146. Les entreprises européennes se livrent entre elles à une compétition féroce sur les marchés à l'exportation, ce qui les conduit à réduire les prix de façon parfois excessive ou à transférer plus de technologie qu'elles ne le souhaiteraient vraiment. Il s'en suit que les succès acquis par l'une ou l'autre entreprise le sont souvent au prix de compensations telles qu'elles créent de nouveaux compétiteurs sur le marché. Les entreprises américaines semblent mieux protégées des transferts de technologie grâce au processus du Foreign Military Sales . Ne serait-il pas dans l'intérêt des entreprises européennes de défense de s'inspirer de ce mécanisme afin de mieux maîtriser cette concurrence destructrice à l'export ? En l'absence d'accord des organisations professionnelles, il serait suicidaire de supprimer la possibilité pour les entreprises européennes de procéder à des offsets hors UE comme cela a été parfois évoqué.

147. La question s'est posée de savoir si les équipements de défense devaient être inclus ou non dans le mandat de négociation de la Commission européenne en vue de l'accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis . La Commission a fait valoir que l'ouverture des échanges bénéficierait aux entreprises européennes et c'est pourquoi le projet initial de mandat incluait les marchés publics de défense. Mais, à la demande de certains Etats craignant que cela ne constitue le « cheval de Troie » de l'industrie de défense américaine, cette mention a été retirée. Toutefois, la défense n'étant pas, à l'instar de la culture, explicitement exclue du mandat, il faudra veiller à ce qu'elle ne soit pas réintroduite en cours de négociation.

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