4. Les nécessaires considérations institutionnelles

148. Certes, il ne faut pas s'attendre, en décembre prochain, à un grand soir de l'Europe de la défense, ni même à des avancées spectaculaires de la politique de sécurité et de défense commune. Mais il faut sortir de l'empilement de mesures techniques qui ne font qu'éloigner davantage encore les citoyens de l'Union européenne et ne les aident pas à comprendre la nécessité d'une défense commune. Lors de leur déplacement à Bruxelles, en juin dernier, vos rapporteurs ont eu le sentiment que le principal risque résidait dans une approche excessivement technique et limitée du sujet, en raison des fortes divergences existantes entre les vingt-huit Etats membres, ou que les questions de défense soient éclipsées par d'autres sujets jugés plus prioritaires et que la « montagne accouche d'une souris ».

149. Pour vos rapporteurs, le Conseil européen de décembre 2013 représente néanmoins une réelle opportunité : celle que les chefs d'Etat et de gouvernement se saisissent enfin des questions de défense, qu'ils en débattent entre eux et qu'ils donnent de véritables orientations politiques et les impulsions nécessaires . Rappelons, en effet, que toutes les avancées importantes de l'Europe de la défense ont été permises grâce à l'implication des chefs d'Etats et de gouvernement, à l'image du Conseil européen de Cologne de 1999, et que la dernière fois que la défense figurait à l'ordre du jour d'un Conseil européen remonte à 2008 sous présidence française de l'UE.

150. Dans cette optique, plusieurs chantiers pourraient être lancés lors du Conseil européen de décembre 2013 afin de progresser vers une défense commune européenne. En outre, afin d'assurer un suivi effectif et régulier des décisions prises, vos rapporteurs considèrent que les questions de défense devraient figurer à l'ordre du jour d'au moins un Conseil européen par an.

151. En premier lieu, une relance de l'Europe de la défense et l'objectif d'une défense commune devraient s'appuyer au préalable sur une réflexion et une analyse partagée des risques et des menaces auxquels l'Europe est confrontée et la définition d'intérêts communs. Quelles sont les principales menaces qui pèsent aujourd'hui sur la sécurité de l'Europe ? Quelles sont les zones géographiques prioritaires ? De quelle manière et avec quels moyens l'Europe pourra-t-elle demain assurer la défense de ses intérêts et sa sécurité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de son territoire ? De telles questions mériteraient d'être débattues entre les pays européens afin d'aboutir à une analyse partagée à vingt-huit. L'Union européenne s'est certes dotée en 2003 d'une stratégie européenne de sécurité, grâce, notamment, à l'ancien Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana. Même si ce document d'une quarantaine de pages a été actualisé en 2008, sous présidence française de l'Union européenne, les évolutions du contexte stratégique rendent nécessaire l'élaboration d'une nouvelle stratégie 3 ( * ) .

152. En deuxième lieu, une relance de l'Europe de la défense ne peut faire abstraction de la nécessité pour l'Union européenne de définir une stratégie spécifique à l'égard de la Russie . La Russie représente aujourd'hui pour l'Europe son plus grand voisin, un vaste marché et son premier fournisseur d'énergie. Par ailleurs, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie est un acteur important sur la scène internationale. Depuis la fin de la guerre froide, il faut bien reconnaître que les tentatives pour renforcer la place de la Russie dans l'architecture européenne de sécurité sont restées limitées et que l'Union européenne n'est pas parvenue à se doter d'une véritable stratégie vis-à-vis de la Russie. Faut-il considérer la Russie comme un partenaire ou comme une menace ? Que faut-il penser de la dépendance énergétique de l'Europe à l'égard de la Russie ? Comment renforcer la coopération européenne avec la Russie pour résoudre les « conflits gelés » dans notre voisinage commun ? Personne n'a véritablement répondu à ces interrogations. Dans le cadre de cette stratégie, on pourrait envisager de réunir un comité politique et de sécurité Union européenne-Russie, sur le modèle du Conseil OTAN-Russie. De même, alors que la Russie a mis à la disposition de l'Union européenne des hélicoptères russes avec leur équipage lors de l'opération au Tchad et qu'elle coopère avec l'opération Atalanta , pourquoi ne pas envisager un accord concernant la participation de la Russie aux opérations extérieures de l'Union européenne ? Sur le plan industriel, une coopération avec la Russie, par exemple dans le domaine de l'espace militaire ou de l'aéronautique, mériterait également d'être étudiée.

153. En troisième lieu, plusieurs améliorations paraissent possibles et souhaitables dans le fonctionnement actuel des institutions.

154. Tout d'abord, une première avancée, qui ne nécessiterait pas de modification des traités, serait d'« institutionnaliser » les réunions régulières des ministres de la défense, le « Conseil Défense » devenant ainsi une formation à part entière du Conseil des ministres, alors qu'il dépend aujourd'hui du Conseil « Affaires étrangères ».

155. Ce Conseil « défense » devrait être doté d'une présidence stable , qui serait exercée soit par le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, soit par un secrétaire général adjoint chargé spécifiquement de la politique de sécurité et de défense commune, ce qui permettrait de donner davantage de visibilité à cette politique. A terme, il serait souhaitable, même si cela nécessite une révision des traités, d'aller vers la mise en place d'un ministre européen de la défense , distinct du Haut Représentant.

156. La prochaine révision du SEAE offre également l'opportunité de renforcer la cohérence et la coordination entre les différentes composantes de l'action extérieure de l'Union et les opérations civiles ou militaires, dans le cadre de l' approche globale . Le principal défi sera d'améliorer cette coordination en veillant cependant à préserver, voire à renforcer, la place et la spécificité de la dimension militaire au sein de ce service et améliorer l'articulation avec la Commission européenne.

157. Enfin, la coopération structurée permanente (CSP), introduite par le traité de Lisbonne, pourrait permettre à un groupe d'Etats membres de renforcer leur coopération en matière de défense, dans le cadre de l'Union européenne, sans en être empêchés par les autres. C'est dans le domaine des capacités que le lancement d'une CSP semblerait aujourd'hui présenter le plus d'intérêt. Cela permettrait notamment un accès plus aisé aux financements européens. Toutefois, dans le cadre de la CSP, les décisions restent prises à l'unanimité, ce qui en limite l'efficacité. La CSP n'est donc pas l'« avant-garde » de la défense européenne que certains appellent de leurs voeux.


* 3 C'est à cette « stratégie » que semble se référer le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale français de 2013 qui appelle de ses voeux : « à terme, un Livre blanc de l'Union européenne, qui définirait plus clairement les intérêts et les objectifs stratégiques de l'Union » et qui pourrait « contribuer au débat européen et serait l'occasion d'exprimer une vision partagée » (p. 65)

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