Mme Mireille GAUZÈRE, adjointe du directeur de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la justice) (mercredi 23 janvier 2013)
Mme Muguette Dini , présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions de responsables du ministère de la justice avec Mme Mireille Gauzère, directrice adjointe de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Je rappelle que nous avons auditionné, le 9 janvier, la directrice des affaires criminelles et des grâces, ainsi que le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) ; nous avons entendu hier M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du sceau.
Cette réunion n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.
Je précise à l'attention de Mireille Gauzère que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Gauzère de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Madame Mireille Gauzère, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Mme Mireille Gauzère . - Je le jure.
Mme Muguette Dini , présidente. - Vous avez la parole, madame, pour un exposé introductif ; puis M. Jacques Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser quelques questions.
Mme Mireille Gauzère, adjointe du directeur de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la justice). - Je vais essayer, de manière très rapide, de vous dire un mot de l'engagement de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) de manière générale dans la lutte contre les dérives sectaires, avant d'en venir plus précisément à la question plus spécifique de la santé.
Je ferai, pour commencer, un rappel des modalités d'action générale de la PJJ. Nous comptons un peu moins de 10 000 salariés dans toute la France et un budget d'un peu moins de 800 millions d'euros ; nous prenons en charge d'une part des jeunes qui font l'objet d'une décision de la justice pénale, soit des mineurs, soit de jeunes majeurs, sous réserve que la décision de justice ait été prise sous le fondement de l'ordonnance de 1945 ; d'autre part, nous mettons en oeuvre l'ensemble des mesures d'investigation civiles ou pénales d'aide à la décision des magistrats.
Chaque année nous prenons de cette manière en charge plus de 100 000 jeunes ; un jour précis comme aujourd'hui, nos établissements et services en comptent environ 45 000. Il s'agit d'enfants qui, pour la plupart, demeurent dans leur famille et font l'objet d'une prise en charge de journée en milieu ouvert six jours sur sept, sur un fondement pénal, sur la base des différentes décisions que peuvent prendre les juges des enfants.
Par ailleurs, nous hébergeons des mineurs ou de jeunes majeurs dans l'ensemble des établissements d'hébergement, au pénal : foyers classiques dits établissements de placement éducatif, centres éducatifs renforcés qui prennent en charge par session, centres éducatifs fermés... Aujourd'hui, 700 mineurs sont détenus sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire, la PJJ assurant en continu une présence éducative en prison, dans les trente-cinq quartiers pour mineurs ou dans les six établissements qui leur sont destinés.
De surcroît, la DPJJ prend en charge, dans ses établissements et services, l'ensemble des mesures d'investigation civiles et pénales. Elles se font, depuis 2012, à travers une nouvelle mesure d'investigation éducative mise à la disposition des magistrats. Lorsque cela paraît opportun, nous intégrons un module spécifique sur la question du risque de dérives sectaires, dans les cas où il paraît pertinent de le faire, au regard d'informations disponibles auprès de l'autorité judiciaire. La question des dérives sectaires fait l'objet d'un engagement très fort de notre direction et nous travaillons de manière très étroite en relation avec la Miviludes. Ce partenariat, qui existe depuis de nombreuses années, a fait l'objet d'une formalisation récente à travers une convention.
Nous avons, de longue date, mis à disposition un agent de la DPJJ auprès de la Miviludes, afin de pouvoir avoir une relation encore plus étroite dans la durée - bien que ces relations s'établissent avec l'ensemble des collègues, au sein de la Miviludes, selon les sujets.
La PJJ prend en charge les jeunes selon les modalités précises que je viens d'évoquer mais, toujours de manière liminaire, la PJJ est aussi en charge, au travers du décret de juillet 2008 sur l'organisation du ministère de la justice, de la coordination des acteurs de la justice des mineurs.
A ce titre, sur les matières civiles - que nous ne mettons pas en oeuvre en tant qu'opérateur puisqu'elles relèvent de la responsabilité du conseil général - comme sur les matières de protection administrative, également de la pleine responsabilité des conseils généraux, nous avons avec les conseils généraux concernés des relations aussi bien à l'échelle nationale qu'à l'échelon territorial, dans chacun de nos cinquante-quatre ressorts des directions territoriales de la PJJ.
La vigilance contre les sectes peut également s'exercer dans ce cadre plus large, mais dans ce cas simplement au travers des relations que nous avons avec les parquets pour dénoncer certains faits. La PJJ participe localement aux Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), installées depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance dans l'ensemble des départements, et relevant de la responsabilité du président du conseil général dans chaque département. C'est une autre voie d'entrée, complémentaire de la précédente.
Enfin, les établissements et services du secteur associatif autorisés par les préfets sur instruction des services déconcentrés de la PJJ et habilités à prendre en charge des mineurs placés par des magistrats obéissent au même cahier des charges que ceux mis en oeuvre pour le secteur public de la PJJ.
Ces établissements sont financés à 100 % par la PJJ s'agissant des décisions pénales ou de l'investigation et obéissent aux mêmes sujétions ; ils font naturellement l'objet de la même vigilance à propos de la question qui vous occupe plus particulièrement aujourd'hui.
Le partenariat avec la Miviludes se traduit d'une part par la présence de longue date, dans chacune de nos directions interrégionales, d'un correspondant spécialement identifié pour traiter les questions de dérives sectaires en général. Il nous paraît en effet qu'il s'agit là d'une matière complexe, protéiforme et qu'il est toujours précieux d'avoir un correspondant identifié.
Nous avons par ailleurs à coeur de faire en sorte que l'ensemble de nos formations initiales professionnelles prennent en compte la question de la prévention et de la lutte contre les dérives sectaires. Ceci nous paraît important et c'est ainsi que les modules de formation initiale des éducateurs ou des directeurs de services, mis en place à l'Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse, comportent une sensibilisation à ces questions.
L'école nationale de la PJJ, à Roubaix, assure la formation initiale et continue de nos professionnels ainsi que de ceux du secteur associatif habilité. Elle forme environ chaque année 3 000 personnes en formation continue, plus les cohortes de la formation statutaire initiale.
Par ailleurs, nos professionnels ont accès à des formations organisées par d'autres opérateurs. Nous avons ainsi accès aux formations organisées par l'Ecole des hautes études en santé publique. Du 4 au 8 mars prochain a ainsi lieu une formation spécifique sur les dérives sectaires ouverte aux professionnels de nombreux secteurs, parmi lesquels ceux de la PJJ.
Le directeur de l'ENM a sans doute dû vous parler du fait que les formations organisées par cette école sont également ouvertes, sur le sujet particulier des dérives sectaires, aux professionnels de la PJJ.
Mme Muguette Dini , présidente. - Il nous l'a dit en effet...
Mme Mireille Gauzère. - Enfin, nous avons, il y a de cela trois ans, dans le cadre de notre projet stratégique national, déployé une capacité d'audit des établissements et services de la PJJ, quelle que soit leur forme - secteur associatif habilité ou public. 1 500 ont été habilités par le ministère de la justice pour prendre des jeunes en charge, quel que soit le fondement - civil, pénal, investigation...
Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) datant d'une dizaine d'années, dit « rapport Vincent-Destais », le mettait en exergue. Jusqu'à récemment, la probabilité de contrôle sur pièce et sur place d'un établissement de protection de l'enfance était de l'ordre d'une fois tous les trente ans en moyenne. L'objectif que nous avons fixé dans la loi de finances, qui est donc contrôlable par le Sénat et l'Assemblée nationale, est de passer à une fois tous les cinq ans au moins.
La PJJ a constitué en quelques années une équipe d'audit composée de soixante-dix auditeurs, formés de manière très précise à travers un protocole travaillé avec un partenaire privé spécialiste de l'audit. Ces audits se déploient progressivement ; notre objectif, qui est pour l'instant tenu dans les plans mis en oeuvre, est de contrôler au moins une fois tous les cinq ans chaque établissement afin de garantir en continu la qualité de la prise en charge.
Parmi les très nombreux points de contrôle prévus, une attention particulière est entre autres portée à la question des dérives sectaires. Il me semble que ceci garantit la qualité dans la durée. Nous avons aujourd'hui, dans cinquante et un départements, des conventions d'audit signées conjointement avec les conseils généraux, de sorte que les auditeurs de la PJJ et les inspecteurs des services des conseils généraux peuvent conjointement les mettre en oeuvre.
Mme Muguette Dini , présidente. - La parole est au rapporteur...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Une convention a été signée entre la Miviludes et la DPJJ. L'évaluation annuelle quantitative et qualitative des actions mises en oeuvre qui avait été décidée a-t-elle eu lieu ?
Mme Mireille Gauzère. - Pour l'instant, cette convention n'ayant été signée qu'en novembre, nous n'avons pas encore rédigé la première évaluation, mais les relations fonctionnent dans les deux sens : soit la Miviludes appelle notre attention sur des mouvements sectaires dont ils ont connaissance dans les structures dont nous nous occupons, soit nous saisissons la Miviludes de faits nous paraissant susceptibles de constituer des dérives sectaires, afin de recueillir leurs observations, par exemple à propos de la possibilité de travailler avec certains prestataires au profit des jeunes que nous prenons en charge.
L'étude réalisée par l'Institut national scientifique d'études et de recherches médicales (Inserm) et la PJJ, il y a quelques années, s'agissant de la question spécifique de la santé des jeunes confiés à la PJJ, fait ressortir que celle-ci est globalement dégradée au regard de la population générale et, en particulier, présente très souvent des pathologies à caractère mental ou des troubles associés. C'est pourquoi nous sommes particulièrement vigilants quant aux thérapies que ces jeunes peuvent suivre, afin qu'ils puissent avoir accès en continu à des soins de qualité.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quels types de signalements envoyez-vous à la Miviludes qui, si j'ai bien compris, visent des structures sous votre contrôle direct ?
Mme Mireille Gauzère. - Il est arrivé, dans les derniers mois, que des directions interrégionales de la PJJ fassent état d'une démarche directe d'un organisme auprès d'établissements et de services de la PJJ proposant un stage à destination des jeunes « les plus difficiles », ainsi que des formations spécifiques pour les professionnels les prenant en charge.
Nous avons interrogé la Miviludes sur la nature de cette offre de formation. Celui-ci présentait des objectifs très ambitieux - par exemple réinsertion des jeunes délinquants dans la société en trois à six semaines. Dans le même temps, on notait des éléments très vagues concernant la formation des formateurs. Le recours à des techniques de développement personnel a attiré notre attention, ces méthodes pouvant constituer une dérive sectaire. La Miviludes n'avait pas connaissance de cet organisme mais a suivi précisément son évolution, en liaison avec les parquets des ressorts concernés, au regard de l'offre déployée.
A l'inverse, nous recevons parfois des signalements de la Miviludes, qui appelle l'attention de la PJJ sur le fait que des jeunes, au-delà de ce qui les a amenés à être pris en charge par la justice pénale, peuvent être exposés, au sein de leur famille, à une forme d'emprise. De manière générale, ces questions d'emprise sont très complexes et peuvent toucher les adolescents, période de leur vie où ils sont davantage exposés à ce risque. Il est de notre devoir de les aider à former librement leurs choix, dans ce domaine comme dans d'autres.
Dans le domaine spécifique de la santé, certains cas arrivent à être résolus grâce au partenariat avec la Miviludes et à l'information générale dont bénéficie notre réseau.
Récemment, une transfusion sanguine d'une jeune a été refusée dans un premier temps par la famille ; les choses ont pu finalement se régler dans de bonnes conditions, après un dialogue étroit et la mobilisation de tous les dispositifs.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous été amenés à intervenir directement vis-à-vis de mineurs en danger sur le plan physique ou moral ?
Mme Mireille Gauzère. - Nous n'avons pas, dans les années récentes, s'agissant d'établissements sociaux ou médico-sociaux autorisés par les préfets et habilités par le ministère de la justice, rencontré de cas s'assimilant à une dérive sectaire.
En revanche, il peut arriver ponctuellement que des intervenants extérieurs, qui viennent en appui des actions d'éducation dans le cadre pénal, puissent être en lien avec des mouvements sectaires.
Mme Muguette Dini , présidente. - De telles situations se sont-elles vraiment déjà produites ?
Mme Mireille Gauzère. - Certains organismes peuvent en effet tenter de prendre pied à l'intérieur de structures accueillant des enfants...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - De quels types d'organismes s'agit-il ? Comment s'y prennent-ils et quel est leur but ?
Mme Mireille Gauzère. - Les établissements régis par la DPJJ sont des organismes hébergeant des mineurs dans un cadre pénal. Ceux-là ne sont pas potentiellement exposés à ce genre de phénomène ayant, par construction, un caractère fermé. Tout est fait pour que les jeunes en sortent définitivement et soient réinsérés dans les meilleures conditions. Ces établissements ne reçoivent généralement pas d'intervenants extérieurs.
S'agissant d'établissements de protection de l'enfance, la vigilance est permanente. Nous évitons en particulier de recourir aux organismes de formation ou aux organismes divers de développement personnel qui figurent sur les listes de la Miviludes de manière générale.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est une réponse diplomatique mais ma question était plus précise : vous affirmez que des tentatives ont été constatées. Lesquelles ? Il n'y a rien de bien terrible à révéler le nom des organismes qui en sont à l'origine !
Mme Mireille Gauzère. - Je n'ai pas d'information très détaillée à ce sujet. Ces opérations passent immédiatement dans le champ des parquets et sont placées sous le contrôle de la Direction des affaires criminelles et des grâces, qui a dû probablement évoquer devant vous les éventuelles suites judiciaires, qu'il s'agisse de mineurs ou de majeurs.
Une affaire a fait l'objet d'une décision définitive ; votre commission l'a probablement examinée, puisqu'elle est au coeur de problèmes de santé. Il s'agit de l'affaire Le Moaligou, cette petite fille de onze mois décédée des suites d'un régime alimentaire inadapté pour son âge 3 ( * ) . Cette affaire avait d'abord été portée à la connaissance du conseil général, avant l'intervention de la gendarmerie d'Airaines. L'enfant est malheureusement décédée. Une information judiciaire a alors été ouverte contre ses parents pour défauts de soins par ascendants. La cour d'assises de la Somme, en 2011, a définitivement condamné les parents à une peine de cinq ans d'emprisonnement, dont trente mois avec sursis.
Il semble que ce fait divers terrible, qui a fait l'objet de cette décision définitive, ait été dans le champ qui est le vôtre...
Mme Muguette Dini , présidente. - Avez-vous entendu dire que des personnels d'établissements dépendant de vous ont été victimes de tentatives d'infiltration par des sectes ? Des éducateurs de la PJJ auraient-ils pu être eux-mêmes membres d'une secte ou influencés par des sectes et mener des actions de prosélytisme auprès des jeunes placés sous leur responsabilité ? Peut-être n'en avez-vous pas connaissance...
Mme Mireille Gauzère. - Je n'ai pas connaissance de la qualification précise de ces agissements. Nous avons procédé, en 2012, au licenciement de deux contractuels, dans un foyer d'hébergement en région parisienne, au motif juridique que ces personnes n'avaient pas respecté le principe de neutralité qui s'imposait à elles...
Mme Muguette Dini , présidente. - Que cela signifie-t-il concrètement ?
Mme Mireille Gauzère. - D'après les éléments dont nous disposons, ces personnes faisaient entrer leurs pratiques religieuses à l'intérieur de l'établissement et avaient un comportement inadéquat au regard des mineurs se trouvant dans le lieu d'hébergement.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Peut-on avoir le nom de ce mouvement ?
Mme Mireille Gauzère. - Encore une fois, je ne sais comment le qualifier, ni quel est son nom mais il s'agissait d'actes inadéquats. Les licenciements n'ont d'ailleurs pas été contestés. Il semble que cette organisation ait été d'inspiration salafiste mais je ne me permettrai pas de porter une appréciation précise sur le caractère sectaire ou non de cette organisation...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - On ne vous le demande pas !
Mme Muguette Dini , présidente. - Nous parlons ici de dérives sectaires : les religions peuvent en avoir...
Mme Mireille Gauzère. - Nous avons établi un protocole relatif à la laïcité et à la mise en oeuvre du principe de neutralité à l'intérieur de nos établissements et services. Ce protocole n'a pas de lien direct avec les dérives sectaires mais est très utile à nos professionnels, car il précise les conditions d'exercice de la liberté religieuse des jeunes qui nous sont confiés, qui constitue un droit constitutionnel, mais également la nécessité, pour les professionnels, de respecter strictement le principe de neutralité.
M. Alain Néri . - Ma question recoupe en grande partie la précédente. Dans le domaine de l'enfance en difficulté, on trouve certes des éducateurs mais aussi des psychologues, des psychiatres, etc.
Or, c'est un secteur qui est quelque peu pénétré par les sectes. Quelles dispositions mettez-vous en oeuvre pour éviter les dérives possibles ? Vous avez parlé de laïcité. La PJJ, comme l'éducation nationale, se doit d'être laïque et de respecter toutes les opinions, à condition qu'elles ne gênent pas celles des autres, la liberté des uns finissant où débute celle des autres. Cherchez-vous à savoir, lors du recrutement mais aussi dans le cadre du fonctionnement de vos établissements, si les pratiques correspondent bien à l'éthique que vous revendiquez, ce public fragile peut en effet être l'objet d'abus de faiblesse ?
Mme Mireille Gauzère. - C'est une question très importante. Nous avons, dans nos établissements et services, des psychologues agents de l'Etat ou contractuels. Historiquement, la PJJ était autorisée à recruter un volume important de contractuels. Sur 10 000 salariés, nous comptons 1 200 contractuels. Ces psychologues travaillent de manière interdisciplinaire. Le fait que les regards soient croisés limite généralement les risques, qu'il s'agisse des mesures d'investigation ou de prise en charge pénale.
Par ailleurs, nous avons essayé, dans toute la mesure du possible, de renforcer la plupart de nos centres éducatifs fermés dans le domaine de la santé mentale en recrutant 2,5 équivalents temps plein supplémentaires - infirmiers psychiatriques et psychiatres à mi-temps - pour assurer la prise en charge des jeunes. De la même manière, le fonctionnement collectif, au sein d'une équipe qui compte en principe vingt-quatre professionnels, permet de limiter les risques.
Les jeunes que nous prenons en charge étant assurés sociaux, nous veillons, dans toute la mesure du possible, à ce qu'ils puissent bénéficier des dispositifs de droit commun. Lorsqu'ils sont pris en charge six jours sur sept en milieu ouvert et qu'ils ont besoin de suivre une psychothérapie, nous veillons à ce qu'ils la suivent et que leurs parents puissent bénéficier du remboursement prévu dans le droit commun.
Dans ce cas le plus fréquent, il me semble que le fait de former les agents de la PJJ, dans le cadre de la formation initiale, à repérer les situations d'emprise psychologique sur les enfants permet de limiter les risques.
Bien évidemment, nous cherchons continuellement à progresser. Nous n'avons pas eu, dans la période récente, connaissance de difficultés particulières en ce domaine mais ceci est peut-être lié à la vigilance de la PJJ, qui commence à être connue, et à son lien avec la Miviludes.
M. Alain Fauconnier . - Vous arrive-il de voir des dossiers d'enfants scolarisés par des familles ? C'est dans ces conditions que, le plus souvent, certains sévices sur les enfants se déroulent, en particulier dans certaines communautés...
Mme Mireille Gauzère. - Malheureusement, plus de la moitié des enfants faisant l'objet d'une prise en charge pénale étaient précédemment déscolarisés, beaucoup depuis plus d'un an. Pour autant, d'après les éléments dont je dispose, il s'agit plutôt de déscolarisations consécutives à des échecs scolaires.
En revanche, les mesures d'investigation demandées par les magistrats qui ont connaissance d'une situation de maltraitance sont l'occasion d'examiner plus précisément le risque d'une emprise sectaire concernant la famille.
M. Alain Fauconnier . - Certains enfants peuvent être scolarisés dans leur famille et se trouver dans des situations très compliquées. En voyez-vous dans ces circonstances ?
Mme Mireille Gauzère. - Non, nous n'avons pas d'effectifs significatifs à cet égard. Certains enfants sont massivement déscolarisés mais non sur le fondement de l'article du code de l'éducation qui autorise la scolarisation à domicile. Il s'agit malheureusement d'enfants ayant quitté l'école avant seize ans...
Mme Muguette Dini , présidente. - Il s'agit des plus grands...
Mme Mireille Gauzère. - En effet...
Mme Muguette Dini , présidente. - Nous parlons ici des petits.
Mme Mireille Gauzère. - Dans l'hypothèse où l'on constaterait une déscolarisation ou une scolarisation à la maison sur le fondement de cet article du code, le service de la PJJ en charge de la mesure d'investigation étudierait spécifiquement cet aspect des choses.
M. Yannick Vaugrenard . - Une première évaluation qualitative et quantitative de la convention signée entre la Miviludes et la PJJ concernant les actions mises en oeuvre a-t-elle pu être réalisée ?
En second lieu, la PJJ contribue à la rédaction des textes de loi ou des décrets s'agissant des dérives sectaires touchant la jeunesse. Des projets de modification de textes législatifs ou de décrets permettant une plus grande efficacité dans cette lutte sont-ils en préparation ?
Enfin, la DPJJ est destinataire d'un signalement d'enfant faisant l'objet de dérives sectaires, alerte-t-on les services de santé ou les services de police ? Avez-vous le sentiment que les choses se font de manière suffisamment réactive ou y a-t-il encore des marges de progrès ?
Mme Mireille Gauzère. - Comme je le disais, nous n'avons pas encore de bilan écrit de la première période mais, si nous sommes en situation de l'achever dans un délai rapide, nous pourrons le mettre à la disposition de votre commission d'enquête.
S'agissant des textes de loi, la DPJJ est en effet en charge de la rédaction des dispositions relatives à la justice des mineurs. C'est ainsi que nous sommes en train de travailler sur la réforme de l'ordonnance de 1945, annoncée vendredi dernier par le Président de la République lors de l'audience solennelle de la Cour de cassation. Aucune disposition spécifique n'est prévue à propos des dérives sectaires. De telles dispositions relèveraient, au titre de la législation pénale générale, de la compétence de la direction des affaires criminelles...
S'agissant des signalements, la PJJ est en général présente dans les cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip), qui peuvent concerner n'importe quel type de situation à propos d'un enfant réputé en danger.
La loi de 2007 sur la protection de l'enfance confie cette responsabilité à la protection administrative, le juge n'intervenant qu'en cas d'opposition de la famille ou, aux termes de l'article du code de l'action sociale et des familles, dans le cas d'un danger grave ou immédiat.
Dans l'hypothèse où les premiers éléments sont susceptibles de constituer une dérive sectaire, le représentant du parquet siégeant à l'intérieur de la Crip saisit le correspondant « sectes » du parquet général du ressort correspondant. Dans l'hypothèse où il s'agirait d'un enfant pris en charge par la PJJ ou connu pour des infractions pénales, même lorsqu'il a fait l'objet d'alternatives aux poursuites sans prise en charge postsentencielle, un signalement est fait au correspondant de la PJJ.
A Paris, un magistrat du bureau de la législation de la DPJJ au sein de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation est identifié pour suivre ces sujets ; il siège au sein du Conseil d'orientation et du Comité exécutif de pilotage opérationnel de la Miviludes.
Lorsque la voie d'entrée est la Miviludes, les choses viennent de Paris et nous répercutons immédiatement sur nos correspondants locaux du ressort concerné.
* 3 Les parents étaient végétaliens.