B. LA MISE EN PLACE PROGRESSIVE D'UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DU SPORT

Le lancement du Forum européen du sport en 1991, sous l'égide de la Commission, destiné à faire se rencontrer chaque année organisations sportives et représentants des gouvernements des États membres, afin d'élaborer des recommandations sur les problématiques propres au monde sportif, a constitué le premier signe de la prise en compte de ces questions à Bruxelles. Le Forum rassemble aujourd'hui 250 délégués, dont des dirigeants du Comité international olympique (CIO) et des comités olympiques européens, des fédérations européennes, des organisations de sport pour tous et des associations de ligues, de clubs et de sportifs.

1. L'apport des Conseils européens

Le Traité d'Amsterdam, adopté en 1997, fait, pour la première fois, référence à la politique sportive dans une déclaration annexe. Ce texte, très court, souligne « l'importance sociale du sport et en particulier son rôle de ferment de l'identité et de trait d'union entre les hommes » . Les institutions de l'Union européenne sont, par ailleurs, invitées à consulter les associations sportives lorsque des questions importantes ayant trait au sport sont concernées. La déclaration insiste, en outre, sur les particularités du sport amateur.

C'est dans cette optique que le Conseil européen, réuni à Vienne les 11 et 12 décembre 1998, a demandé à la Commission de préparer un rapport sur le sport. La préparation de celui-ci a notamment donné lieu à l'organisation d'« Assises du sport » à Olympie du 20 au 23 mai 1999. Le rapport a été présenté au Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999.

Au regard du développement économique du sport, de son internationalisation mais aussi de l'accroissement de sa popularité, le rapport de la Commission sur « la sauvegarde des structures sportives actuelles et le maintien de la fonction sociale du sport dans le cadre communautaire », dit rapport d'Helsinki , relevait qu'une telle évolution pouvait conduire à un affaiblissement de sa fonction éducative et sociale. Le document pointait notamment les risques pour la santé physique et mentale des jeunes de plus en plus attirés par l'aspect lucratif des carrières sportives au détriment de leur formation. Il soulignait, dans le même temps, les atteintes portées au principe de solidarité financière entre sport amateur et sport professionnel. La surcharge des calendriers sportifs et ses conséquences en matière de dopage étaient également relevées.

Le rapport invitait en conséquence l'Union européenne et le mouvement sportif à valoriser le rôle éducatif du sport et à lutter dans le même temps contre le dopage. Un accent particulier était mis sur la nécessaire clarification du cadre juridique du sport. Le rapport reprenait en ce sens une partie des conclusions des « Assises du sport », aux termes desquelles « le sport doit être en mesure d'assimiler le nouveau cadre commercial dans lequel il doit évoluer sans perdre pour autant son identité ni son autonomie qui soulignent les fonctions qu'il remplit dans les domaines social, culturel, sanitaire ou éducatif ». Le rapport relève à cet égard les conséquences de l'arrêt Bosman , les différences de législation fiscale ou les problèmes liés aux droits de retransmissions télévisées. La Commission notait également que le système de transferts de joueurs, fondé à ses yeux sur des indemnités calculées de façon arbitraire et sans rapport avec les coûts de formation, lui semblait devoir être interdit.

Le document insistait dans ses conclusions sur les principes d'intégrité et d'autonomie du sport, jetant les bases d'un véritable modèle sportif européen. Le système de promotion-relégation constitue, de la sorte, une marque d'identification du sport européen, puisqu'il valorise au mieux le mérite sportif. L'acquisition de clubs sportifs par des entités commerciales doit, à cet égard, être clairement encadrée dans un souci de maintien des structures et de l'éthique sportives. La lutte contre le dopage et le « commerce » de jeunes sportifs fait également figure de priorité. La Communauté, les États membres et les fédérations sont appelées à oeuvrer ensemble en faveur de ce modèle.

Prenant acte du rapport d'Helsinki, le Conseil européen de Nice des 7, 8 et 9 décembre 2000 a donné lieu à l'adoption d'une « déclaration relative aux caractéristiques spécifiques du sport et à ses fonctions sociales en Europe, devant être prises en compte dans la mise en oeuvre des politiques communes », formulant un certain nombre de principes généraux, faute d'une véritable compétence communautaire en la matière. Le Conseil y rappelait son souhait de voir préservés la cohésion et les liens de solidarité unissant tous les niveaux de pratiques sportives, l'équité des compétitions, les intérêts moraux et matériels, ainsi que l'intégrité physique des sportifs et notamment ceux des jeunes sportifs.

Les États membres sont appelés à encourager le bénévolat sportif, par l'adoption de dispositions en faveur d'une reconnaissance du rôle économique et social des bénévoles. Le Conseil européen souligne l'importance du rôle des fédérations sportives et témoigne de son attachement à l'autonomie des organisations sportives et à leur droit à l'auto-organisation. Le texte insistait, en outre, sur l'importance des politiques de formation pour les jeunes sportifs. Le Conseil européen appelait les États membres à enquêter sur les transactions commerciales impliquant des sportifs mineurs.

2. Le Livre blanc sur le sport de 2007, amorce d'une politique européenne du sport

Le Livre blanc sur le sport de la Commission européenne, publié le 11 juillet 2007, portait sur le rôle sociétal, la dimension économique et l'organisation du sport en Europe et proposait un certain nombre d'initiatives concrètes au niveau européen, réunies au sein d'un « plan d'action Pierre de Coubertin ». Le document rappelait également la spécificité du sport, examinée sous deux angles :

- La spécificité des activités sportives et des règles qui s'y appliquent, comme l'organisation de compétitions distinctes pour les hommes et les femmes, la limitation du nombre de participants, la nécessité d'assurer l'incertitude du résultat ou la préservation de l'équilibre compétitif entre les clubs participant à une même compétition ;

- La spécificité des structures sportives, notamment l'autonomie et la diversité des organisations sportives, la structure pyramidale des compétitions, les mécanismes de solidarité, l'organisation du sport sur une base nationale ou le principe d'une fédération unique par sport.

De fait, les règles qui ont pour effet de restreindre la concurrence, qui s'avèrent souvent inhérentes à l'organisation d'une compétition, ne sauraient constituer une violation du droit communautaire, dans la mesure où ses effets sont proportionnés au véritable intérêt sportif poursuivi.

En ce qui concerne le rôle sociétal du sport, la Commission préconisait l'élaboration de nouvelles lignes directrices concernant l'activité physique, à l'image de la mise en place d'un réseau européen chargé d'encourager l'activité physique ou de l'intégration du principe d'activité physique bienfaisante pour la santé au sein de différents programmes communautaires : programme-cadre de recherche et de développement technologique, programme de santé publique 2007-2013, programmes en faveur de la jeunesse et de la citoyenneté et programme d'éducation et de formation tout au long de la vie. Un intérêt particulier à la question des handicapés a également été mis en avant dans ce document.

Dans le domaine de l'éducation, la Commission souhaitait que le secteur du sport puisse solliciter de l'aide à l'occasion des appels de propositions relatifs à la mise en application du cadre européen des certifications et du système européen de transferts d'unités capitalisables pour l'éducation et la formation professionnelles (ECVET). La Commission envisageait également de créer un label européen attribué aux écoles encourageant la pratique d'activités physiques.

La Commission insistait sur le fait que l'Union européenne soutienne les efforts entrepris par les États membres, les laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage (AMA) et Interpol dans la lutte contre le dopage et appelait de ses voeux la mise en place d'un véritable partenariat entre ces acteurs en vue de pérenniser les échanges d'informations sur les nouvelles substances dopantes et les pratiques. La Commission entendait jouer, dans ce domaine, un rôle de médiateur destiné notamment à faciliter la mise en place d'un réseau rassemblant les organisations nationales de lutte contre le dopage.

La Commission mettait également en avant le bénévolat dans le sport, par l'intermédiaire en particulier des programmes « Jeunesse en action » et « L'Europe pour les citoyens ». Ces deux programmes, ainsi que le programme PROGRESS et le programme d'éducation et de formation tout au long de la vie devaient également permettre de soutenir les actions promouvant l'inclusion sociale par le sport et la lutte contre la discrimination dans le sport. La Commission a, par ailleurs, rappelé dans ce Livre blanc sa volonté d'encourager le dialogue et l'échange des meilleures pratiques au sein des organes de coopération en matière de lutte contre les attitudes racistes et xénophobes, à l'image du réseau FARE (Football contre le racisme en Europe). La Commission entendait également promouvoir une stratégie pluridisciplinaire de prévention des comportements antisociaux et élaborer dans le même temps de nouveaux instruments juridiques et d'autres normes européennes destinées à éviter que l'ordre public ne soit troublé lors des manifestations sportives.

Dans le domaine de la liberté de circulation, la Commission a insisté sur le fait que les règlementations imposant aux équipes un quota de joueurs formés au niveau local pouvaient être jugées compatibles avec les normes communautaires, dès lors qu'elles n'entrainent aucune discrimination directe fondée sur la nationalité. Les éventuels effets discriminatoires indirects qui en résultent peuvent être considérés comme proportionnés à l'objectif légitime poursuivi, à savoir l'encouragement et la protection de jeunes joueurs talentueux.

Abordant le volet économique, la Commission a rappelé sa volonté de maintenir les possibilités existantes d'application de taux de TVA préférentiels au sport. La directive 2006/112 donne en effet la possibilité aux États membres d'exempter certains services liés au sport et, à défaut d'une exemption, d'appliquer des taux réduits dans certains cas. La Commission souhaitait dans le même temps réaliser une analyse d'impact pour donner un aperçu clair des activités d'agents de joueurs et évaluer la pertinence d'une action de l'Union européenne.

La Commission a reconnu, dans le même temps, l'utilité d'un système de licence pour les clubs professionnels au niveau européen et national, destiné à favoriser une bonne gouvernance dans le sport. Il permettrait de garantir que tous les clubs respectent les mêmes règles fondamentales en matière de gestion financière et de transparence. La Commission envisageait également d'y inclure des dispositions visant la discrimination, la violence, la protection des mineurs et l'entraînement.

Le Livre blanc invitait à mettre en place un dialogue structuré entre les partenaires sociaux, à l'image du dialogue social européen, dans le secteur sportif, notamment pour les disciplines les plus professionnelles. Il a ainsi été mis en oeuvre dans le football après échanges entre la Commission européenne, l'UEFA (Union des associations européennes de football), l'EPFL (Association des ligues européennes de football professionnel) et la FIFPro (Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels). En juillet 2008, un comité du dialogue social dans le football a été formellement établi par les commissaires européens chargés du sport et des affaires sociales. Les associations mentionnées ont été rejointes par l'ECA (Association européenne des clubs). Le dialogue est présidé par l'UEFA. Il a notamment abouti le 19 avril 2012 à l'adoption d'un accord sur les exigences minimales requises pour les contrats types de joueurs dans le secteur du football professionnel dans l'Union européenne et, plus largement, au sein des 54 pays affiliés à l'UEFA.

La Commission européenne finance par ailleurs le projet « Contenu et Contact » (CC-Project) qui réunit l'Association européenne des employeurs du sport (EASE) et UNI-EUROPA/EURO-MEI, qui représente les salariés, en vue de mettre en place un comité de dialogue social sectoriel sport. Une première réunion s'est tenue le 17 décembre 2012, le comité étant en phase d'expérimentation pendant les deux prochaines années.

3. La Commission, entre règles de la concurrence et spécificité du sport

Le Livre blanc de 2007 ne promeut pas pour autant uniquement la notion de spécificité sportive. La Commission rappelle que si le sport remplit d'importantes fonctions récréatives, culturelles, sociales, éducatives et sanitaires qui doivent être garanties, il génère - surtout au niveau professionnel - un certain nombre d'activités commerciales : vente de billets, publicité, cession de droits pour les retransmissions audiovisuelles et transferts d'athlètes. Le document révèle de fait un positionnement dual de la Commission, entre défense de l'acquis communautaire et mise en avant d'un modèle sportif européen.

L'annexe I du Livre blanc présente l'approche méthodologique retenue par la Commission pour évaluer si une règle adoptée par une organisation sportive enfreint les dispositions des traités en matière de concurrence (articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Elle reprend ainsi le raisonnement de l'arrêt Meca Medina .

Une première étape consiste à déterminer si l'association sportive qui a adopté la règle doit être considérée comme une entreprise ou une association d'entreprise. L'association est ainsi considérée comme une entreprise si elle mène à bien une activité économique, à l'image de la cession des droits de radiodiffusion. L'association sportive est une association d'entreprises si ses membres exercent une activité économique. La Commission doit de fait déterminer dans quelle mesure le sport peut être une activité économique. Le statut amateur n'a, en la matière, aucune incidence. En l'absence d'activité économique, aucune règle de la concurrence ne s'impose. Dans le cas contraire, il s'agit de vérifier si la disposition adoptée par l'association restreint la concurrence ou constitue un abus de position dominante.

La Commission va alors vérifier le contexte global dans lequel la règle sportive a été adoptée et les objectifs qu'elle poursuit. Elle doit ensuite estimer si les restrictions qu'impose cette règle sont inhérentes à la concrétisation des objectifs qu'elle poursuit. Elle analyse, par la suite, si ces dispositions sont proportionnées aux objectifs poursuivis. La Commission établit également si le commerce entre les États membres est affecté par cette règle. Elle évalue enfin si les effets bénéfiques d'une règle l'emportent sur ses effets restrictifs (article 101 paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).

Dans la présentation de son dispositif, la Commission indique que chaque règle sportive doit être examinée individuellement et qu'il ne saurait être question de dresser au préalable une liste exhaustive des règles sportives enfreignant les dispositions communautaires en matière de liberté de la concurrence. La Commission estime néanmoins que l'application des articles 101 et 102 TFUE est suffisamment flexible pour prendre en compte la spécificité du sport.

4. Le sport, compétence communautaire : le Traité de Lisbonne

Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1 er janvier 2009, établit une base juridique spécifique pour le sport dans le droit communautaire. L'article 6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet en effet à l'Union de disposer d'une compétence pour mener des actions destinées à appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres dans le domaine du sport. Cette compétence d'appui n'autorise pas néanmoins l'Union à harmoniser les dispositions réglementaires et législatives des États membres. Elle ne peut pas non plus adopter d'acte légal obligatoire, règlement ou directive. Son action se limite en conséquence à des positions ou recommandations et à faciliter le rapprochement entre États membres sur les problématiques afférentes au sport.

Article 6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

L'Union dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité européenne : (...)

e) l'éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport; (...).

L'intégration du sport dans les politiques européennes trouve un prolongement à l'article 165 du même traité. Aux termes de celui-ci, l'Union contribue à la promotion des « enjeux européens du sport ».

Article 165 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. (...) L'Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative.

2. L'action de l'Union vise (...) à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l'équité et l'ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu'en protégeant l'intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d'entre eux.

3. L'Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes en matière d'éducation et de sport, et en particulier avec le Conseil de l'Europe.

4. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article : le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, adoptent des actions d'encouragement, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ; le Conseil adopte, sur proposition de la Commission, des recommandations.

L'article rappelle les spécificités du sport, souligne le rôle du volontariat et insiste sur sa fonction sociale et éducative. L'action de l'Union vise à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l'équité et l'ouverture dans les compétitions sportives mais aussi la coopération entre les organes responsables du sport. L'article insiste sur le rôle de l'Union dans la protection de l'intégrité physique et morale des sportifs, et notamment des plus jeunes d'entre eux. L'Union et les États membres favorisent, dans le même temps, la coopération avec les pays tiers et les organisations compétentes en matière de sport, en particulier avec le Conseil de l'Europe. L'article 165 fournit, par ailleurs, une base légale pour la création d'un programme de financement spécifique des projets sportifs.

L'inclusion du sport dans le Traité vient, de fait, concrétiser un changement d'optique entrepris avec la déclaration annexée au Traité d'Amsterdam, plus de dix ans avant. Le sport n'est plus seulement envisagé comme une activité économique, devant respecter les règles du marché intérieur. L'Union européenne doit désormais veiller au développement d'un véritable modèle sportif européen, sans toutefois que les « enjeux européens du sport » ne soient véritablement définis.

Il convient néanmoins de relever que le Traité promeut l'ouverture dans les compétitions. Cette allusion n'est pas anodine puisqu'elle permet de définir, avec la référence au volontariat, un modèle européen en la matière, à l'opposé du sport spectacle américain.

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