B. SÉCURISER LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DES RIP

L'une des contraintes - et des menaces - qui pèsent sur les collectivités territoriales porteuses de RIP numériques, et particulièrement sur ceux du THD est la perspective de subir la concurrence d'autres réseaux mais aussi les effets de leur situation « d'opérateurs ».

Ces problèmes sont largement liés ce qui explique qu'on les envisage en commun.

En revanche, on n'abordera pas ici la question majeure déjà traitée des effets de la concurrence par les réseaux historiques , ni les difficultés que pourrait exercer le déploiement d'architectures nouvelles panachant les technologies qui, pour être peut-être moins aigu, pose des questions analogues à ce dernier.

En dehors de cette concurrence technico-économique, la situation des marchés des RIP résultant des positions de marché des différents acteurs appelle des observations particulières développées ici .

En effet, au-delà de la coexistence de réseaux différant par leurs techniques et offrant par là des possibilités commerciales différenciées, force est de constater qu'il existe, indépendamment de cette dimension, de fortes inégalités dans les positions commerciales des offreurs potentiels .

Ces inégalités résultent d'une série de facteurs parmi lesquels les positions commerciales initiales ne sont pas les moindres. Les parts de marché peuvent bien être contestables, elles n'en sont pas moins difficiles à contester dans les faits. Elles représentent, sauf événement majeur, une forme d'acquis dont la prolongation peut bénéficier d'un effet d'inertie. Celui-ci peut être consolidé par une série d'avantages commerciaux ou de coûts de coordination que le régulateur peut combattre mais non sans une certaine difficulté.

Plus encore, la différence de nature entre les opérateurs verticalement intégrés et disposant d'une offre commerciale profonde et diversifiée et des opérateurs aux portefeuilles d'activités nettement plus étroits doit être envisagée .

Les premiers disposent d'instruments concurrentiels dont les seconds sont privés.

Sous cet angle, dans ses observations sur le projet de feuille de route en cours d'examen, l'AVICCA observe justement que « pour la commercialisation des RIP, chaque collectivité locale est aujourd'hui totalement dépendante des trois principaux fournisseurs d'accès à internet, qui détiennent 90 % du marché national. Contrairement aux opérateurs verticalement intégrés, qui peuvent faire migrer leur base client sur leur nouveau réseau, les projets de collectivités ne disposent pas de levier concurrentiel sur le marché de détail pour commercialiser leurs réseaux ».

Cette situation d'inégale capacité concurrentielle peut créer des biais au détriment de la liberté réelle de gestion des RIP numériques.

1. Une analyse théorique des risques...

Pour formaliser l'analyse, on peut commencer par une présentation des risques encourus par les porteurs de RIP à partir d'un point de vue théorique (c'est-à-dire indépendante du déroulement concret des RIP) reposant sur une abstraction.

Cette approche schématique et théorique débouche sur le constat que la position de marché des porteurs de RIP les expose, en soi, à subir un biais de sélection et des risques financiers considérables ; le premier effet - le biais de sélection - étant lui-même annonciateur de risques financiers futurs.

Un biais de sélection peut apparaître au stade du choix des partenaires des collectivités territoriales.

Il est théoriquement possible de faire le choix optimal qui, en se référant toujours à une base théorique , devrait conduire assez souvent à déléguer les RIP aux opérateurs non verticalement intégrés 41 ( * ) , et ce pour au moins deux raisons :

d'une part, ils peuvent être les seuls à répondre aux appels d'offre, les grands opérateurs estimant pouvoir, et devoir - en raison de leur préférence pour la propriété des actifs qu'ils exploitent -, suivre leur propre stratégie de déploiement, indépendamment des incitations locales 42 ( * ) ou bien adopter une position d'attente, se réservant de déployer leur puissance commerciale une fois le réseau financé ;

d'autre part, à supposer même que les opérateurs les plus importants entrent en concurrence avec les « petits opérateurs », ceux-ci ne pourront faire autrement que de présenter des projets moins-disants, qui, pour ne pas leur garantir le succès, doivent malgré tout faire l'objet d'une considération particulière de la part des collectivités délégantes.

Cette dernière condition est évidemment assez théorique dans la mesure où les délégants peuvent arbitrer pour les soumissionnaires les mieux-disants.

Dans ce processus un arbitrage intervient entre un objectif de minimisation des coûts (qui peut faire pencher la balance vers les « petits opérateurs » faisant valoir l'importance de leur consentement à payer) et celui de maximisation des recettes actualisées (qui va dans le sens d'une préférence pour les grands opérateurs).

Ainsi, en réalité, deux hypothèses se présentent :

- soit les grands opérateurs trouvent un intérêt à s'associer aux projets de RIP, sur la base de considérations stratégiques tenant, par exemple, à leur situation technico-commerciale dans la zone couverte et à leurs anticipations, et alors les petits opérateurs n'ont que peu de chances de remporter la partie ; mais, ce résultat ne signifie pas que l'effort financier public aura été minimisé ;

- soit les grands opérateurs se tiennent à l'écart des RIP et alors ceux-ci sont confiés aux petits opérateurs.

Quoi qu'il en soit, la liberté de choix du partenaire peut être finalement assez théorique .

En outre, dans ces scénarios, la collectivité délégante se trouve ou bien dans une situation contractuelle inconfortable dès le départ puisque, selon toute vraisemblance le processus d'enchères réel se déroule à l'inverse du processus d'enchères apparent (l'asymétrie de position de la collectivité concédante et de l'entreprise délégataire rend assez probable une domination de la première par la seconde), ou bien exposée avec son délégataire à une menace concurrentielle très sérieuse : celle d'échouer à commercialiser efficacement son investissement et de devoir finalement en passer par les conditions des grands opérateurs.

Par ailleurs, toujours sur le plan théorique, en dehors de celle que représente l'existence de techniques alternatives moins coûteuses et déjà commercialisées, la menace d'une offre reposant sur une même architecture technique, est à craindre .

Elle peut emprunter plusieurs formes agressives. Indépendamment du capital de réputation, elle peut jouer sur les prix, d'autant plus que l'entreprise est verticalement intégrée et commercialement diversifiée, ou bien encore sur un choix des segments de la clientèle desservie qui permet d'attaquer les meilleures positions commerciales des RIP.


* 41 Appelés ici par convention « petits opérateurs ».

* 42 Au demeurant, les projets de RIP visent à remédier à la carence des grands opérateurs privés.

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