B. UN ENCADREMENT STRICT DES AIDES D'ÉTAT
1. L'encadrement des aides d'État...
La législation européenne sur les aides d'État constitue un deuxième mur de l'espace réglementaire dans lequel doit se situer l'action publique.
Le principe est celui de l'interdiction des aides publiques qui faussent la concurrence entre entreprises ou entre producteurs dès lors que ces aides affectent les échanges entre États membres (article 107, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - TFUE) 10 ( * ) .
Certes, toute subvention publique n'est pas en soi constitutive d'une aide d'État, comme telle, condamnée en principe par le droit européen. La philosophie générale de ce droit prétend préserver les mécanismes de marché et, en particulier, les conditions d'une concurrence effective entre les producteurs, sans pour autant ignorer l'existence de défaillances de marché non plus que celle d'objectifs d'intérêt général qui peuvent n'être pas atteignables dans le cadre d'un marché.
La Commission apprécie le plus souvent au cas par cas si une aide consentie au moyen de ressources publiques est licite ou non.
Toutefois, des circonstances particulières sont prévues où la prohibition des aides d'État se fait moins rigoureuse.
On a déjà évoqué la poursuite d'objectifs d'intérêts communs au sens du paragraphe 3 (c) de l'article 107 du TFUE. Celui-ci stipule que les « aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun sont compatibles avec le traité » .
La Commission exerce un contrôle sur les aides ainsi accordées qui non seulement doivent contribuer à l'atteinte d'objectifs d'intérêts communs mais encore doivent être proportionnés et transparents.
Il faut encore évoquer le régime des services d'intérêt économique général . Les conditions de compatibilité des interventions nécessaires à la prestation d'un service d'intérêt économique général (SIEG) avec le droit des aides d'État méritent en effet d'être mentionnées. Par un arrêt Altmark du 24 juillet 2003, la Cour de justice de l'Union européenne a pu autoriser l'octroi d'une compensation publique aux coûts nets résultant de l'exécution d'obligations de service public sous quatre conditions tenant à la nature de l'aide :
- l'entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies ;
- les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis, de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes ;
- la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable ;
- lorsque le choix de l'entreprise chargée de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée des moyens nécessaires, aurait encourus pour exécuter ces obligations en tenant compte des recettes relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations.
Par ailleurs, à ces conditions concernant l'aide elle-même, il faut ajouter la considération de l'appareil européen de détermination des conditions à réunir pour que la qualification de SIEG soit accordée à une activité donnée .
L'intérêt général économique , entendu comme la contribution au développement économique, ne suffit pas ; l'activité doit satisfaire des objectifs de service public .
Des critères précis doivent être réunis qu'on peut présenter ainsi pour ce qui est du secteur des télécommunications :
- l'existence d'un acte de la puissance publique confiant aux opérateurs une mission de SIEG ;
- la dimension universelle et obligatoire de cette mission qui implique que tous les utilisateurs d'une zone déterminée soient bénéficiaires et que le service soit rendu de manière discrétionnaire et non discriminatoire.
La commission exige encore :
- que l'insuffisance du marché aboutisse à une privation durable d'accès pour une partie importante de la population ;
- que les impacts de l'intervention publique sur le marché soient les plus réduits possibles et que le réseau aidé soit ouvert et rendu disponible à l'ensemble des opérateurs intéressés .
Cette ouverture implique des obligations précises :
- la fourniture d'une infrastructure passive, neutre et librement accessible ;
- la fourniture de toutes les formes possibles d'accès au réseau permettant d'assurer in fine une concurrence effective, via des offres de gros, sur le marché de détail ;
- que la mission du SIEG n'inclut pas directement des services de communication de détail ;
- lorsque le fournisseur du SIEG est également un opérateur haut débit verticalement intégré, l'existence de garde-fous appropriés pour éviter tout conflit d'intérêt, toute discrimination indue et tout autre avantage indirect caché ;
- en tout état de cause, l'absence de droit exclusif ou spécial propres au fournisseur du SIEG .
La Commission précise encore que les projets s'inscrivant dans le cadre d'un SIEG couvrant des zones non rentables ne peuvent empiéter sur les zones rentables qu'à certaines conditions :
- la compensation éventuelle ne devrait couvrir que les coûts de déploiement de l'infrastructure déployée dans les zones non rentables ;
- si le réseau est déployé via une infrastructure qui n'appartient pas aux autorités publiques, il convient de mettre en place des mécanismes de contrôle et de récupération afin d' éviter que le fournisseur du SIEG n'obtienne un avantage indu en conservant, à l'expiration de la délégation du SIEG, la propriété du réseau financé à l'aide de ressources publiques ;
- l'appel d'offres initial doit imposer aux candidats de définir les zones rentables et non rentables, d'estimer les recettes attendues et de demander le montant de la compensation qu'ils estiment être strictement nécessaires.
* 10 On pourrait considérer que le cloisonnement assez marqué des marchés des infrastructures du numérique fixe pourrait soustraire ses investissements à l'application d'un dispositif qui n'est justifié que pour autant que les échanges entre États membres sont en cause. Mais l'interprétation du dispositif européen lui confère une portée très large qui condamne une interprétation susceptible d'assurer aux États de plus importantes marges de manoeuvre.