V. L'ABSENCE DE CONSENSUS AU SEIN DE VOTRE GROUPE DE TRAVAIL SUR LA CRÉATION DU FICHIER POSITIF

Ayant engagé ses travaux en mars 2012, votre groupe de travail s'est réuni à sept reprises pour des auditions nombreuses, outre plusieurs réunions de travail, et a effectué trois déplacements, à Bruxelles, comme cela a été évoqué plus haut, à Poitiers, sur le site de la Banque de France qui assure la gestion du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, et à la commission de surendettement de l'agence de Paris-Bastille de la Banque de France. Plusieurs de vos rapporteurs se sont également rendus dans une commission de surendettement de leur département.

A. L'ABSENCE DE CONSENSUS DE VOTRE GROUPE DE TRAVAIL SUR L'OPPORTUNITÉ DE CRÉER LE FICHIER POSITIF

Au terme de ses travaux, votre groupe de travail apparaît partagé de façon égale sur l'opportunité de mettre en place un répertoire national des crédits aux particuliers. Cette absence de consensus au sein de votre groupe de travail reflète celle-là même constatée au long des auditions, en particulier au sein des représentants des consommateurs comme de la profession du crédit.

1. Les arguments en faveur du fichier positif

Les arguments présentés ci-après retracent la position des membres de votre groupe de travail qui se sont exprimés en faveur de la mise en place en France d'un répertoire national des crédits aux particuliers.

Les principaux arguments en faveur de la création d'un registre positif des crédits

Responsabiliser les établissements prêteurs en subordonnant le prêt à la consultation du registre.

Lutter non seulement contre le surendettement mais aussi contre le « mal endettement » qui s'élargit de plus en plus aux classes moyennes. Le « mal endettement » demeure invisible à travers le dispositif actuel alors que la conjoncture économique fragilise les ménages dont la moitié est endettée.

Protéger le consommateur contre une tendance avérée à ne pas mentionner ses crédits en cours, ce qui risque de le placer en position difficile (« mauvaise foi ») vis-à-vis des tribunaux et des sociétés de recouvrement ; dans ce contexte, un signal d'alerte impartial apparait nécessaire, même s'il est insuffisant pour juger de la solvabilité.

Ne plus laisser la constitution de registres de crédits à la seule initiative privée . Favoriser la concurrence par l'égalisation des chances entre les acteurs traditionnels du crédit à la consommation qui disposent de fichiers privés et les nouveaux entrants.

Constater la fragilité de la thèse des « accidents de la vie ». L'argument essentiel des opposants au registre positif est que le surendettement serait principalement la conséquence des « accidents de la vie » et non pas de l'endettement. La Cour des comptes a démontré que cette idée reposait sur des bases discutables. Dans le même sens, la toute récente diminution du nombre de dépôts de dossiers de surendettement semble y apporter un démenti puisque, simultanément, ce ne sont pas les « accidents de la vie » qui se sont stabilisés mais bien les prêts à la consommation.

Aujourd'hui, pour limiter les excès d'endettement, aucun clignotant ne s'allume automatiquement au moment où l'organisme financier va consentir un prêt. Or beaucoup de consommateurs financièrement fragiles taisent l'existence de crédits en cours et, à défaut de signal d'alerte, risquent un jour de se retrouver devant un juge qui ne pourra rien faire pour eux face à un créancier qui aura beau jeu de plaider la mauvaise foi du débiteur.

Nos voisins belges ont, comme en France, beaucoup hésité avant de créer un registre. Aujourd'hui, tous les intervenants, y compris les plus sceptiques au départ, en reconnaissent l'utilité même si personne ne prétend qu'il s'agit là d'une sorte de « baguette magique » contre le surendettement.

a) Après 20 ans de débats sur le registre positif national, la France doit-elle continuer de s'en remettre à la seule initiative privée ?

Voici plus de vingt ans qu'on débat de l'opportunité de la création d'un registre positif dans notre pays, alors même que nos voisins européens ont résolu la question depuis bien longtemps : le registre allemand, par exemple, remonte à 1928. Il existe donc en France de sérieux obstacles à la création d'un registre national accessible, dans des conditions strictement définies, aux établissements prêteurs.

Il convient de préciser que le débat porte sur la création d'un registre au niveau national car à l'heure actuelle les registres positifs privés sont nombreux . Les auditions de votre groupe de travail n'ont pas permis de les recenser avec précision mais ont donné lieu, en revanche, à des échanges assez vifs entre groupes bancaires :

- les nouveaux entrants sur le segment du crédit à la consommation ont souligné que les grands acteurs de la place s'opposent au registre national tout en utilisant des fichiers privés de façon intensive ;

- et ces derniers ont répondu que c'est précisément parce qu'ils disposent de ces outils qu'ils en perçoivent les limites...

En tout état de cause, les indices selon lesquels les registres positifs existent déjà sont extrêmement sérieux. De façon particulièrement significative, on peut rappeler qu'en 2007, la CNIL a refusé l'autorisation à une entreprise privée de créer une « centrale de crédit » -terme absolument synonyme à celui de registre positif. La lecture attentive de cette décision, permet de constater que le projet en cause consistait à « mutualiser » les données existantes.

Ces remarques amènent deux conclusions :

- tout d'abord, on peut se demander si la France, faute d'avoir créé un registre visible géré par un opérateur public, n'a pas abandonné ce domaine d'activité à l'initiative privée ; il règne aujourd'hui une certaine opacité sur la nature exacte des registres existants ;

- en second lieu, la création d'un registre national permettrait de placer sur un pied d'égalité les opérateurs historiques du crédit à la consommation avec les nouveaux entrants . Parmi ces derniers, on relève par exemple des entreprises innovantes qui ont mis en place une forme de crédit solidaire en proposant à des particuliers une rémunération de leurs dépôts pour pouvoir financer des prêts à taux raisonnables à d'autres particuliers. Le taux d'épargne français (17 %) est l'un des plus élevé d'Europe et il y a donc des fonds disponibles pour développer cette forme de crédit solidaire.

Comme en témoignent les données publiées par le rapport Athling de 2008, le marché du crédit à la consommation, et plus encore celui du crédit renouvelable est concentré en France sur un petit nombre d'établissements : en 2007 près des deux tiers des encours de crédit renouvelable étaient gérés par une filiale de BNP Paribas ou du Crédit Agricole.

b) La portée limitée des arguments utilisés pour faire obstacle à la création d'un registre positif
(i) Une théorie des « accidents de la vie » démentie par les faits ?

Le premier de ces arguments consiste à affirmer que ce n'est pas tant le crédit qui fragilise la personne endettée ou surendettée que les « accidents de la vie » qui font plonger ses ressources. Cette hypothèse conduit à nier l'utilité d'un registre positif qui ne dévoile qu'une petite portion des données nécessaires à une analyse sérieuse de solvabilité. Cette idée est particulièrement séduisante et certains établissements de crédit continuent d'en faire le pilier de leur opposition au registre positif.

Il n'y avait jusqu'à présent que quelques « résistants » assez isolés à un tel discours. Votre groupe de travail a notamment entendu la Cour des comptes , qui a assez sévèrement critiqué la thèse des « accidents de la vie » en indiquant qu'il y a là une catégorie « fourre-tout » dans laquelle on classe la retraite, le divorce... Prenant en compte ces critiques, la Banque de France, depuis 2007, ne fait plus référence dans ses publications à cette cause de surendettement qu'elle avait introduit dans le débat.

On peut d'ailleurs souligner, dans les statistiques les plus récentes, une évolution qui prend à contre-pied la « doctrine » des « accidents de la vie » . Que constate-t-on ? D'octobre 2011 à septembre 2012, le nombre de dépôts de dossiers de surendettement a reculé (de 231 398 à 221 063 selon le baromètre du surendettement publié par la Banque de France). Ce niveau reste bien entendu extrêmement élevé mais il s'est stabilisé alors qu'on aurait pu redouter une explosion. Compte tenu du niveau de chômage et des revenus, on peut difficilement soutenir que ce sont les « accidents de la vie » qui ont diminué ou stagné et il faut bien rechercher une autre explication. Or dans le même temps, le crédit renouvelable a connu un déclin assez prononcé (le nombre de comptes de crédit renouvelables actifs a diminué de 16,5 % dans les 18 mois qui ont suivi l'adoption de la « loi Lagarde » - selon le rapport Athling publié en septembre 2012 sur l'impact de ce texte), ce qui se traduit d'ailleurs par des réductions d'effectifs salariés dans ce secteur. Par ailleurs, le crédit amortissable à la consommation s'est stabilisé. Ces évolutions semblent bien ramener à une observation de bon sens : quand les crédits mal dispensés diminuent, le surendettement se stabilise même si les accidents de la vie augmentent .

Ces constatations fragilisent ainsi le soubassement théorique des opposants à la création du registre positif. Ces derniers continuent cependant à se référer à des constructions statistiques antérieures à la crise de 2008 sans pouvoir expliquer les évolutions les plus récentes.

(ii) Une réponse « proportionnée » à un enjeu économique et social bien plus large que le surendettement.

Une seconde objection de nature plus juridique consiste à invoquer le principe de proportionnalité. Elle se résume comme suit : le législateur est-il fondé à créer un registre qui recenserait 25 millions d'emprunteurs alors qu'il n'apporterait qu'un remède partiel au surendettement qui concerne environ 200 000 nouvelles personnes en flux annuel et 765 000 dossiers cumulés.

Humainement, on peut estimer difficilement acceptable de minimiser le drame des surendettés, quelque soit leur nombre. C'est une cause importante de suicide et le harcèlement des débiteurs par certaines sociétés de recouvrement a été justement souligné dans les travaux parlementaires.

Sur un strict terrain statistique et juridique, au-delà du premier cercle des 800 000 personnes surendettées, le législateur doit prendre en considération un phénomène beaucoup plus large de fragilisation financière des classes moyennes . Or cette évolution perceptible sur le terrain est aujourd'hui invisible dans le seul registre des impayés : le FICP ne recense qu'environ 2,5 millions de personnes alors qu'un ménage sur deux fait appel au crédit. Comme en témoignent les magistrats, les personnes fragiles font tout pour éviter l'incident de paiement et ne pas figurer au FICP en ayant recours au procédé bien connu de la « cavalerie », qui consiste à souscrire un nouveau crédit pour rembourser les traites du précédent. On peut ajouter qu'au cours des 30 dernières années les chocs économiques majeurs pour les personnes, les banques et les pays ont eu pour origine le crédit immobilier : or, en France, 30 % des ménages ont un prêt logement en cours.

Il ne paraît pas non plus choquant de prendre en considération les phénomènes d'exclusion du crédit, qui frappent principalement les jeunes et les travailleurs précaires - c'est un rapport conjoint de l'inspection des finances et de l'inspection des affaires sociales de 2009 sur le taux de l'usure 75 ( * ) qui a estimé à 15 % la proportion de personnes « condamnées au crédit renouvelable » parce qu'elles n'ont qu'un accès limité au prêt personnel.

La prise en compte du « mal-endettement » relativise donc le risque d'une éventuelle censure au nom du principe de proportionnalité - d'autant que des registres positifs existent déjà, de façon plus ou moins dispersée , et que le droit européen invite plutôt la France à s'aligner sur ses principaux partenaires qu'à s'en tenir au statu quo .

(iii) Des risques de détournement du registre positif à relativiser

Le troisième grand argument des opposants au registre se résume à la double crainte d'une atteinte à la vie privée et d'un détournement mercantile du registre qui entraînerait un flot de sollicitations commerciales.

C'est une magistrate de terrain, représentant l'Association nationale des juges d'instance, qui, sur ce point, a adressé à votre groupe de travail un message de lucidité. Il faut bien reconnaître que les messageries électroniques et les boîtes aux lettres des consommateurs sont d'ores et déjà des cibles privilégiées. On voit mal comment le registre positif pourrait menacer une population très largement exposée à la publicité et qui a recours aux outils de protection contre les « polluriels » (« anti-spam »). Bien entendu, les partisans de la création du registre positif préconisent des sanctions très lourdes en cas de détournement des données du registre de façon à ce que le risque encouru soit particulièrement dissuasif .

Par ailleurs, il convient de rappeler que les banques connaissent déjà très bien leurs clients et sont d'autant plus incitées à poursuivre leurs efforts dans ce sens que la législation sur le blanchiment les oblige à surveiller leurs opérations, y compris pour détecter d'éventuelles anomalies fiscales.

Le monde dans lequel nous vivons s'est transformé - les communications par téléphone mobile sont d'ores et déjà traçables ainsi que les parcours sur internet - et le registre des crédits ne représente plus dans ce contexte une menace sérieuse.

Il convient enfin de souligner que la création d'un registre positif semble comporter moins de difficultés pratiques et de risques d'atteintes à la vie privée que les solutions alternatives proposées par les adversaires d'un tel fichier.

Une première piste intéressante, qui a été suggérée, consiste à surveiller les impayés de charges courantes . Or cela implique de consulter les fichiers d'impayés en matière d'énergie ou de téléphonie mobile. La difficulté de mise à jour de ces derniers a été soulignée par un rapport conjoint de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale de la Banque de France 76 ( * ) qui fait observer que le délai entre l'information préalable et l'inscription effective peut être sensiblement allongé par la contestation de la créance par le débiteur.

Par ailleurs, il semble difficile d'imposer à des consommateurs qui ont, en pratique, tendance à ne pas mentionner l'existence d'un crédit, de faire leurs achats en emportant avec eux leurs trois derniers relevés bancaires à jour. Outre les risques de falsification non négligeables et la lourdeur d'une telle obligation, on peut faire observer que la consultation systématique des relevés bancaire est bien plus attentatoire à la vie privée que l'interrogation d'un registre, surtout si cette dernière est conditionnée à l'accord de la personne concernée.

c) Un signal d'alerte automatique pour responsabiliser les prêteurs et protéger les consommateurs

Notre droit a eu beau multiplier les exigences et les procédures de vérification, il manque encore un signal d'alerte impartial servant à mettre le prêteur face à ses responsabilités.

L'Association nationale des juges d'instance (ANJI) a sensibilisé votre groupe de travail sur les nombreux cas où les débiteurs ne déclarent aucun crédit en cours au moment d'en souscrire un nouveau. Il convient de rapprocher cette donnée sociologique d'une remarque historique : l'origine du crédit renouvelable et la raison de son succès depuis les années 1960 se fonde avant tout sur la limitation des démarches administratives que permet cette « réserve permanente de crédit ».

Comment protéger ces consommateurs de leur propre tendance à l'évitement des procédures lors de la souscription de crédits, si ce n'est en créant une « force de rappel » automatique ?

Sociologiquement et juridiquement utile, ce « clignotant » est, en outre, conjoncturellement plus nécessaire que jamais, compte tenu de la fragilisation des classes moyennes.

Alors que notre époque se caractérise par la multiplication des mesures préventives, des normes de sécurité et des contrôles techniques dans de nombreux domaines, la « fuite en avant » en matière de crédit ne fait l'objet que d'instruments d'observation et de signaux d'alertes insuffisants. Le procédé de la « cavalerie » permet de contourner durablement l'inscription au fichier des incidents de paiement et le « mal endettement » reste invisible à travers ce dernier.

2. Les principales objections au fichier positif

Les arguments présentés ci-après retracent la position des membres de votre groupe de travail qui se sont exprimés contre la mise en place en France d'un répertoire national des crédits aux particuliers.

Les principales objections à la création d'un registre positif des crédits

L'hostilité majoritaire des associations de consommateurs , notamment des deux principales d'entre elles, doit être prise en compte par le législateur, alors même que le fichier positif est supposé être un outil de protection des consommateurs.

Au regard de l'expérience belge et des effets de la conjoncture économique sur la situation financière des ménages, la création d'un fichier positif n'aurait pas d'impact substantiel sur le phénomène de surendettement, compte tenu du rôle prépondérant des accidents de la vie dans le basculement dans le surendettement .

Le fichier positif ne donne qu'une information partielle sur la solvabilité de l'emprunteur, qui ne dispense pas le prêteur d'un sérieux travail de vérification. Or les pratiques commerciales actuelles de certains prêteurs ne comportent pas ce travail, de sorte que l'utilité du fichier positif s'en trouverait réduite. Un renforcement du contrôle des pratiques professionnelles des prêteurs est plus urgent que la mise en place d'un fichier positif.

Il ne serait pas possible techniquement de supprimer les risques d'utilisation détournée d'un fichier positif , à des fins de prospection commerciale par certains prêteurs ou à d'autres fins illicites, par exemple dans les relations entre bailleur et locataire.

Le fichier positif conduirait au « fichage » de 25 millions de personnes , dont la plupart n'auront aucune difficulté financière, pendant de très longues périodes, ce qui constitue une atteinte manifeste au droit à la protection de la vie privée .

La création du fichier positif porterait atteinte au principe constitutionnel de proportionnalité , par sa disproportion entre la faible efficacité attendue au regard de l'objectif de prévention du surendettement et les moyens mis en oeuvre, tant en termes de coûts financiers que d'atteintes à la vie privée .

a) L'hostilité majoritaire des associations de consommateurs

Si l'on peut discuter des motivations qui conduisent les représentants de la profession du crédit et de grands établissements bancaires à s'opposer au fichier positif, on ne peut que constater qu' une majorité des organisations représentant les consommateurs y sont également hostiles , notamment les deux plus importantes d'entre elles, sans qu'on puisse prétendre qu'elles soient motivées par des arguments d'intérêt commercial .

Cette position défavorable majoritaire, associée au fait que désormais les consommateurs belges, apparemment favorables au fichier positif au moment de sa mise en place, sont confrontés à des demandes d'extension de la centrale des crédits à des informations supplémentaires plus intrusives sur les impayés de téléphone, d'énergie ou d'assurance, est un argument de poids qui doit être entendu selon les membres de votre groupe de travail défavorables à l'instauration d'un tel fichier en France.

Plus largement, à l'issue des très nombreuses auditions conduites par votre groupe de travail, il convient de souligner l'absence de consensus sur la question du fichier positif, alors même que la position favorable au fichier de certaines personnes entendues pourrait être comprise en fonction de leur intérêt commercial dans la distribution du crédit.

b) Une information incomplète sur la solvabilité des emprunteurs

Ceux de vos rapporteurs qui se prononcent contre le fichier positif ne contestent pas le fait objectif qu'un tel outil serait utile aux prêteurs afin de remplir leur obligation de vérification de la solvabilité des emprunteurs, car il leur donnerait une information fiable et exhaustive sur les engagements de crédit des emprunteurs et leur niveau d'endettement. Cette fiabilisation ne vaudrait cependant que pour les crédits et la consultation du fichier ne saurait suffire pour évaluer véritablement la capacité de remboursement d'un crédit . Le fichier ne dispenserait pas le prêteur d'une sérieuse évaluation des capacités de son client.

De plus, cette analyse de solvabilité s'effectue au moment de l'octroi de crédit, sans connaissance par définition de difficultés financières pouvant survenir postérieurement.

Pour apprécier de façon sérieuse la capacité de remboursement de l'emprunteur, il convient d'analyser ses revenus et son patrimoine, mais aussi ses autres charges telles les charges locatives ou fiscales ou encore celles liées à des dépenses contraintes, qu'il ne saurait être question d'intégrer dans un fichier positif pour la plupart de vos rapporteurs. Aucune des personnes entendues par votre groupe de travail ne préconise d'ailleurs d'enregistrer de telles informations, alors même qu'elles sont nécessaires.

Or, votre groupe de travail s'interroge sur le sérieux de ces opérations effectuées par certains prêteurs, en particulier dans le cadre du crédit souscrit sur le lieu de vente, dans de grandes surfaces commerciales où les vendeurs ne sont pas toujours formés à l'octroi de crédit. Au demeurant, les établissements bancaires traditionnels, qui tiennent les comptes des clients à qui ils octroient des crédits, se disent moins confrontés aux problèmes d'impayés de crédits que les autres établissements. Aussi est-il nécessaire de mieux encadrer les pratiques commerciales désordonnées d'offre de crédit.

c) Des pratiques commerciales inadéquates chez certains prêteurs

La mise en oeuvre d'un fichier positif n'aurait guère d'impact sur les pratiques irresponsables de certains prêteurs ou intermédiaires qui ne font pas de véritable évaluation de la capacité de remboursement d'un emprunteur et dont l'intérêt commercial consiste uniquement à vendre des crédits.

Plusieurs interlocuteurs entendus par votre groupe de travail, parmi les associations de consommateurs notamment, ont fait état de telles pratiques, en dehors des établissements de crédit traditionnels, le but étant de placer un crédit, le cas échéant à l'occasion de la vente d'un bien de consommation. Cette difficulté renvoie à la problématique du crédit sur le lieu de vente.

Seuls un renforcement des contrôles des pratiques commerciales -ce qui suppose de disposer de moyens et de prérogatives suffisantes, notamment pour la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)- et un effort supplémentaire de formation des salariés concernés dans les sociétés de crédit comme chez les commerçants qui vendent des produits à crédit constituent une réponse adaptée. Est aussi en cause le mode de rémunération des vendeurs de certains magasins, qui peuvent être intéressés à la vente d'un crédit autant qu'à la vente d'un bien de consommation.

A l'évidence, le fichier positif ne saurait résoudre ces difficultés, alors même qu'elles peuvent accroître le risque de surendettement.

d) L'absence d'impact substantiel sur le surendettement

Une partie de vos rapporteurs ont un sérieux doute sur la réalité de l'impact du fichier positif sur le surendettement, en raison même de la multiplicité des causes du surendettement. Tout en reconnaissant que l'analyse statistique et sociologique du phénomène de surendettement reste à ce jour encore insuffisante pour bien le comprendre, ainsi que l'a indiqué la Cour des comptes devant votre groupe de travail, ils considèrent qu'une large majorité des parcours d'endettement puis de surendettement s'expliquent par des aléas dans la vie des ménages - des « accidents de la vie » - qui font brusquement chuter leurs revenus et donc les capacités de remboursement de leurs dettes, ainsi que par une progression insuffisante du pouvoir d'achat et des salaires des ménages modestes, dans un contexte économique difficile, alors même que la société de consommation incite à acquérir des produits de plus en plus coûteux, notamment des produits technologiques. Les accidents de la vie font tomber dans le surendettement des personnes souvent déjà vulnérables du fait de revenus ou d'un patrimoine modestes.

On peut certes contester la méthodologie statistique et la distinction trop simpliste entre le surendettement actif, lié en particulier à l'accumulation de crédit 77 ( * ) , et le surendettement passif, lié à un accident de la vie 78 ( * ) , mais toujours est-il que la part des cas de surendettement liés au seul excès de crédit est en baisse constante , sous l'effet des mutations économiques et sociales et de l'évolution de la législation en matière de crédit.

Selon les enquêtes typologiques sur le surendettement 79 ( * ) menées par la Banque de France depuis dix ans, la part des dossiers de surendettement liés à un accident de la vie est en progression constante et représente en 2007 les trois quarts des dossiers. Le nombre de dossiers expliqués exclusivement par le recours excessif au crédit serait de 13 % seulement en 2010.

Le fichier permettra aux seuls ménages dont le surendettement résulte de l'accumulation de crédits, que la Banque de France évalue entre 20 000 et 30 000 par an, d'éviter cette situation. Il ne permettra jamais, en revanche, de prendre en compte la perte d'emploi, le divorce, le veuvage voire le départ en retraite, autant de situations qui peuvent faire basculer une personne dans le surendettement alors que jusque là elle pouvait honorer ses engagements.

Au demeurant, quel que soit sa performance technique, compte tenu des délais d'enregistrement, le fichier positif n'aura jamais la réactivité suffisante pour empêcher un acheteur compulsif de souscrire plusieurs crédits dans la même journée auprès de différents magasins ou une personne aux abois financièrement de faire plusieurs demandes de crédit sur une très courte période. Ces comportements sont certes marginaux, mais ils sont assurément une cause de surendettement par excès de crédit.

e) Les risques d'utilisation détournée des données

Ainsi que le montre la centrale belge des crédits, il est techniquement possible de procéder à des consultations à des fins autres que celles prévues par la loi, sans que cela soit repérable en cas de consultations isolées.

Dans ces conditions, malgré un régime dissuasif de sanction, il n'est pas possible d'exclure toute utilisation détournée des données du fichier . Un prêteur pourra ainsi, à des fins de prospection commerciale, chercher les personnes peu endettées, même si cette finalité est interdite par la loi. Dans le cadre de la gestion des crédits en cours, des prêteurs pourront proposer des offres commerciales de crédit à leurs clients de façon plus systématique.

Les salariés de certains prêteurs, en cas de consultation manuelle et non automatisée du fichier, pourraient consulter les données de personnes à des fins quelconques sans rapport avec les objectifs fixés par la loi.

Par ailleurs, des employeurs, des bailleurs ou des créanciers divers pourraient être tentés de demander à une personne de fournir un état de son endettement tel qu'il figure dans le fichier, afin d'apprécier sa solvabilité, alors même que la loi l'interdirait. Le déséquilibre fréquent des relations entre un bailleur privé et un locataire peut conduire à ces dérives.

Enfin, le fichier positif peut être à l'origine d'un effet pervers de la part des prêteurs qui, connaissant le niveau d'endettement de leurs clients, pourrait leur proposer, en matière de crédit à la consommation, un montant plus important que nécessaire pour des raisons commerciales, en fonction de la capacité de remboursement et non du besoin de financement. On pourrait observer chez certains ménages des niveaux d'endettement plus élevés, ce qui n'est pas souhaitable si l'on veut prévenir la part du surendettement résultant du crédit excessif.

f) L'atteinte à la protection de la vie privée

La question des fichiers de données personnelles est particulièrement sensible pour l'opinion publique française, attachée à la protection de la vie privée. Or, enregistrer dans un fichier, même géré par la Banque de France ainsi que le préconise le rapport du comité Constans, des données sur les crédits de 26 millions de personnes pose une difficulté à cet égard, a fortiori si l'emprunteur ne dispose d'aucun droit d'opposition à l'enregistrement de ses données personnelles.

Si la population devant figurer dans un éventuel registre national des crédits aux particuliers est dix fois supérieure à celle enregistrée dans le FICP pour un défaut de paiement (2,6 millions de personnes en 2012), elle est plus de trente fois supérieure au nombre de ménages surendettés (environ 800 000).

Or, contraintes de figurer dans ce registre des crédits, la majorité des personnes enregistrées ne présenteront pourtant jamais de difficulté de remboursement de crédit ou de situation de surendettement . Par exemple, une personne inscrite uniquement pour un crédit immobilier pourra, sans motif, être enregistrée pour trente ans. Il semble par conséquent que l'atteinte à la vie privée est manifeste.

La finalité de ce « fichage » généralisé des emprunteurs ne répond pas à un objectif de sécurité publique ou de protection contre des risques d'ordre public, dans le cadre d'une mission de l'État. Sa légitimité ne semble donc pas assurée à plusieurs de vos rapporteurs, d'autant que son efficacité en termes de prévention du surendettement s'avère assez limitée.

De plus, pour être vraiment efficace à l'égard du surendettement, un tel registre devrait intégrer d'autres éléments sur la situation financière des ménages, ainsi que l'illustrent les débats belges sur l'intégration de données relatives à d'autres impayés. Cette tendance à vouloir enrichir le contenu du registre à terme ne peut qu'accroître l'atteinte à la vie privée . A cet égard, l'exemple allemand montre qu'un tel fichier peut inclure de très nombreuses données personnelles à caractère financier.

g) Un problème fondamental de proportionnalité

Au vu de tous ces éléments, l'argument de la proportionnalité est finalement le principal argument invoqué par vos rapporteurs défavorables à la création d'un registre national des crédits aux particuliers. Vos rapporteurs n'ignorent pas qu'un certain nombre de cas de surendettement pourraient être évités, mais les moyens déployés à cette fin par le fichier positif comme l'atteinte au droit à la protection de la vie privée qui en résulterait leur paraissent disproportionnés par rapport à l'utilité de ce dispositif . Ce problème de proportionnalité recouvre plusieurs dimensions.

En premier lieu, le coût et la lourdeur technique d'un éventuel registre des crédits aux particuliers constituent pour plusieurs de vos rapporteurs une dépense excessive au regard des effets bénéfiques attendus, a fortiori dans un contexte économique et budgétaire difficile, même si l'expérience belge incite à minorer cette difficulté, ainsi que cela a été exposé plus haut.

En deuxième lieu, il existe une disproportion manifeste entre, d'une part, les moyens déployés et les atteintes à la protection de la vie privée qu'ils comportent et, d'autre part, l'utilisé réelle du fichier positif au regard de l'objectif qui lui est assigné, à savoir la prévention du surendettement avant toute autre chose. Cette disproportion ressort naturellement des arguments déjà énoncés et développés plus haut.

En troisième lieu, le problème de proportionnalité se pose également sur le terrain constitutionnel .

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur une question de proportionnalité d'un fichier. Dans sa décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité, il a censuré le traitement de données à caractère personnel destiné à recueillir et conserver les données requises pour la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport, autrement appelé fichier d'identité biométrique car il devait comporter, outre l'état civil et le domicile du titulaire, sa taille, la couleur de ses yeux, deux empreintes digitales et sa photographie. Le Conseil a rappelé sa jurisprudence en la matière : « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». Il a admis que ce fichier de données sensibles était justifié par un motif d'intérêt général, la sécurisation de la délivrance des titres d'identité et la lutte contre la fraude, mais il a relevé qu'il aurait englobé presque l'intégralité de la population française et aurait pu, techniquement, être utilisé à d'autres fins que la seule vérification de l'identité. Le Conseil a donc considéré « qu'eu égard à la nature des données enregistrées, à l'ampleur de ce traitement, à ses caractéristiques techniques et aux conditions de sa consultation, les dispositions (...) portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ».

C'est à l'aune de cette jurisprudence qu'il faut analyser la possible création du fichier positif, qui doit être justifiée « par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » . Si la prévention du surendettement constitue assurément un motif d'intérêt général pouvant justifier la constitution du fichier positif, une partie de vos rapporteurs ont un sérieux doute sur son caractère proportionné au regard de l'ampleur de la population qui serait couverte, des atteintes portées au droit au respect de la vie privée et du risque d'utilisation à des fins détournées par rapport à l'objectif de prévention du surendettement, a fortiori compte tenu de son efficacité incertaine à l'égard du surendettement. Certes, les données que contiendrait ce fichier ne seraient pas aussi sensibles que des données biométriques, mais l'atteinte à la vie privée comme le risque techniquement possible de détournement, à des fins notamment commerciales, sont réels.

Dès lors, il y aurait un vrai risque constitutionnel à créer le fichier positif .


* 75 Rapport sur les modalités de fixation du taux de l'usure établi par Jean-Luc Lépine, inspecteur général des finances, et Frédéric Laloue, inspecteur des affaires sociales (février 2009).

* 76 Rapport sur l'évaluation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) publié en avril 2008.

* 77 La catégorie du surendettement actif selon la Banque de France couvre également les situations de mauvaise gestion et de charges excessives au regard des revenus.

* 78 Dans sa dernière enquête typologique, en 2010, la Banque de France a renoncé à utiliser cette distinction qui suppose une appréciation de l'origine du surendettement.

* 79 Ces enquêtes triennales sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.banque-france.fr/la-banque-de-france/missions/protection-du-consommateur/surendettement/enquete-typologique.html

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