H. LES PROFESSIONS JURIDIQUES
Votre groupe de travail a souhaité entendre les diverses professions juridiques intéressées par la question du surendettement et l'éventualité de la mise en place d'un répertoire national des crédits aux particuliers. Il a ainsi entendu le Conseil national des barreaux (CNB), le Conseil supérieur du notariat (CSN), la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ) et l'Association nationale des juges d'instance (ANJI).
Les représentants des notaires ont fait part de leur avis favorable à la création d'un fichier positif , car il s'agirait d'un outil utile d'information et de responsabilisation du prêteur, ainsi que de lutte contre le surendettement. Le CSN s'est intéressé à cette question dans le cadre de ses réflexions sur le financement des particuliers. Il a ainsi adopté une proposition en ce sens lors de son congrès national de 2011, selon laquelle « un fichier positif recensant l'ensemble des prêts souscrits par un particulier, consulté obligatoirement par le prêteur, lui permettrait de déterminer la capacité d'endettement réelle du demandeur et ainsi de limiter le risque de surendettement ». L'objectif est de traiter les situations où des particuliers accumulent des crédits renouvelables et des crédits à la consommation, dans une forme de « cavalerie de trésorerie » pour faire face à des engagements financiers. La très grande majorité des dossiers de surendettement comportent ce type de crédit. Pour autant, le CSN ne sous-estime pas les difficultés qui s'attachent à la proportionnalité, à la complexité technique et au coût d'un tel outil.
Sans s'exprimer en défaveur du fichier positif, les représentants des huissiers de justice se sont interrogés sur la question de la protection des personnes et sur les garanties en matière de protection de la vie privée et ont fait part de leur scepticisme sur l'utilité d'un tel outil.
Les représentants des avocats , quant à eux, se sont interrogés sur les risques que pouvaient comporter le fichier positif, en matière de protection des données personnelles, d'utilisation à des fins commerciales, d'accès pour des sociétés de recouvrement de créances . La pertinence d'un tel outil ne leur paraît pas assurée au regard de l'objectif de lutte contre le surendettement, hors le cas où le crédit est la seule cause du surendettement. La question des sanctions en cas de manquement d'un professionnel à ses obligations à l'égard du fichier a également été envisagée. Pour autant, le CNB considère que le fichier positif serait un outil en faveur d'une distribution plus responsable du crédit , sans attendre l'incident de paiement pour intervenir. A cet égard, le FICP intervient trop tard pour être un outil réellement préventif. La question de la vérification de la solvabilité, et donc de l'accès à l'information sur un emprunteur et notamment ses crédits en cours, se pose davantage pour les organismes de crédit spécialisés que pour les banques qui tiennent les comptes de leurs clients : le fichier positif permettrait de résoudre cette question.
Selon le CSN et le CNB, il convient cependant d'avoir davantage de recul sur les effets de la loi dite « Lagarde », car elle a renforcé les obligations à la charge des prêteurs, avant de légiférer sur le fichier positif, de façon à légiférer de la manière la plus adaptée.
Enfin, les représentants des juges d'instance , tout en estimant qu'il était trop tôt pour évaluer les effets des obligations nouvelles imposées aux prêteurs par la loi de juillet 2010 - trop peu de contentieux ayant encore été traités par les tribunaux dans ce nouveau cadre législatif -, se sont prononcés en faveur de la mise en place d'un registre des crédits aux particuliers .
Actuellement, il est difficile pour le consommateur d'appréhender correctement toutes les informations au moment de la souscription d'un crédit, alors que souvent les obligations incombant au prêteur, notamment en matière d'information précontractuelle, sont remplies avec un certain formalisme, sans véritable dialogue avec le consommateur de nature à apprécier sérieusement sa situation financière (fiches de solvabilité mal remplies par les établissements, omission fréquente des prêts souscrits antérieurement, absence de consultation des derniers relevés de compte...). Dans ce contexte, la création du fichier positif permettrait, en cas de contentieux, d'évacuer la question de la bonne ou de la mauvaise foi du consommateur sur l'état de son endettement au moment de la souscription du crédit . Elle permettrait également de donner plus de consistance à l'obligation d'information et de mise en garde du prêteur à l'égard de l'emprunteur sur son endettement : le fichier aurait un rôle d'alerte.
L'ANJI estime que les prêteurs ne mettent pas correctement en oeuvre leurs obligations de vérification de la solvabilité des emprunteurs, d'autant qu'on peut avoir un niveau élevé d'endettement sans être enregistré dans le FICP dont la consultation est obligatoire. Le FICP n'est pas une garantie suffisante. L'existence d'une obligation de se renseigner, par l'intermédiaire du fichier positif, sur le niveau de l'endettement de l'emprunteur permettrait au juge de pouvoir constater la responsabilité du prêteur plus facilement lorsque la situation de l'emprunteur ne permettait pas raisonnablement l'octroi du prêt , a fortiori si le prêteur n'a pas consulté le registre.
L'ANJI estime que l'enjeu de la protection des données personnelles doit être relativisé, de même que le risque de démarchage dans la mesure où les consommateurs sont déjà sollicités, y compris par téléphone, pour souscrire des crédits à la consommation. L'enregistrement des dettes de la vie courante serait en revanche illégitime, le registre devant s'en tenir aux seules données sur les crédits, leur nature amortissable ou renouvelable pour les crédits à la consommation, et les éventuels regroupements de crédit.
Selon l'ANJI, la liste des personnes enregistrées dans un fichier positif devrait comprendre, outre les emprunteurs, les personnes se portant caution, mais non les co-emprunteurs, contrairement aux préconisations du comité Constans, qui propose d'inscrire les co-emprunteurs dans le registre. En effet, le transfert de l'obligation de remboursement du crédit à la charge du conjoint co-emprunteur n'est pas automatique car elle dépend d'une décision du juge. En pratique il est assez rare pour le juge de retenir la solidarité financière du co-emprunteur. Au surplus, il est très fréquent dans les divorces de voir apparaître des contrats de crédit souscrits par l'un des conjoints ayant imité la signature du conjoint co-emprunteur.
Votre groupe de travail constate ainsi que les professions juridiques concernées sont largement favorables au fichier positif .