13. Magali Talandier, maître de conférences (développement territorial, développement rural) à l'université Joseph Fourier (Grenoble I)

Jeudi 19 juillet 2012


• Quels sont les modèles de développement territorial en milieu rural ? Quel usage en est-il fait ? La base résidentielle et la base productive font-elles l'objet d'une réflexion stratégique dans les territoires ?

La question centrale est celle de l'avenir des espaces ruraux à l'heure de la métropolisation. Il est un fait que les métropoles tirent la croissance européenne. Pourtant, ce qui se passe dans les espaces ruraux va à l'encontre des discours sur les métropoles seules championnes du développement. Le dynamisme des zones rurales, qui est avéré depuis 30 ans, n'est véritablement perçu que depuis une dizaine d'années. Dans les zones rurales, la population augmente, le logement progresse ainsi que les emplois (même si l'emploi industriel décroît), les revenus croissent...

Il n'y a aucune raison pour que cette dynamique cesse brusquement. Les moteurs de cette tendance sont l'augmentation du temps libre à l'échelle de la vie et l'aspiration à un certain cadre de vie. L'augmentation générale du niveau de vie a eu un effet ambivalent car elle favorise les résidences secondaires, la birésidence de ménages retraités ou actifs aisés dans certaines campagnes mais il est tout aussi exact que les campagnes attirent également des personnes moins aisées pour des questions de coût de l'immobilier.

J'ajoute que cette croissance ne se fait pas seulement dans le sillage d'un desserrement urbain. Parmi les néoruraux, la moitié ont parcouru plus de 200 kms, ce qui prouve qu'ils ont quitté leur cadre de vie urbain habituel et décidé de changer radicalement de milieu.

Ces néoruraux sont à 40 % des retraités, mais cela signifie qu'il reste tout de même 60 % d'actifs ou autres.


• De votre point de vue, la « base résidentielle » devient-elle prépondérante pour le développement des territoires ruraux ? La recherche du développement local peut-elle s'avérer contre-productive au niveau national (allocation sous-optimale des moyens, conflits d'usage retardant ou empêchant certains aménagements privés ou publics) ?

Pourquoi le dynamisme rural, en dépit des handicaps inhérents aux campagnes ?

La base économique d'un territoire est composée de la base productive privée, de la base résidentielle (retraites, dépenses de tourisme et salaires des « navetteurs »), de la base publique (revenus des fonctionnaires) et d'une base sanitaire et sociale (revenus de transfert).

En France, plus de 40 % des revenus distribués ressortissent à la base résidentielle (plus de 20% pour les seules retraites) et moins de 25% proviennent de la base productive.

Dans les espaces ruraux, la base résidentielle représente 62 % (25 % pour les retraites, 20 % issus du tourisme et 17 % des « navetteurs »), la base productive 14 %, la base publique 5 % et la base sanitaire et sociale, 20 %.

Cette économie résidentielle a des vertus incontestables pour ces espaces puisqu'elle crée de l'activité et des emplois. Mais elle comporte aussi des limites :

- les territoires concernés sont souvent très inégalitaires. On note un poids important d'emplois précaires et à temps partiel (bien que les secteurs des services à la personne et autres champs de prédilection de l'ESS soient en train de monter en gamme).

- cette économie repose sur la mobilité des individus, et elle est donc sensible au coût des transports et de l'énergie ;

- le tourisme constitue une ressource instable à long terme ;

- certains dégâts environnementaux sont à souligner.

En outre, si tous les territoires misaient sur la base résidentielle, il en résulterait un jeu à somme négative pour la France, car les activités véritablement productives et exportatrices ne seraient pas encouragées.

Il faut donc jouer à la fois sur la base productive et sur la base résidentielle pour garantir un développement équilibré et durable, aussi bien localement qu'à l'échelle de la France. Pourtant, au niveau local, les stratégies se multiplient pour accompagner exclusivement la croissance de l'économie résidentielle, ce qui en période crise économique comme nous le vivons est certes compréhensibles, mais extrêmement dangereux.

A noter que la réforme de la taxe professionnelle n'est pas de nature à corriger la tendance des territoires non métropolitains à privilégier la base résidentielle.

Il existe, au fond, trois enjeux pour les territoires :

- la création de richesses ;

- la captation des richesses ;

- la circulation des richesses.

[ Renée Nicoux - L'attractivité des territoires dépend-elle de la présence des services ? ]

Des travaux récents que j'ai réalise soulignent une indéniable attractivité des services auprès des nouveaux arrivants et notamment de ce que l'on appelle les néoruraux.

Pour ce qui concerne la mobilité, il faut « remettre de la centralité » dans les campagnes au niveau des bourgs et organiser les transports en fonction.


• Quels sont les atouts spécifiques des territoires ruraux en matière d'attractivité économique, et quels y sont les principaux freins à l'implantation d'entreprises ?

Il existe, dans le Limousin, une politique spécifique d'accueil dans le territoire dont l'impact est favorable. Cette démarche est exemplaire.


• Comment définir et orienter une stratégie industrielle qui préserve, sinon renforce, l'activité dans les territoires ruraux ? Au niveau local, la gouvernance et l'architecture territoriales vous paraissent-elles problématiques en France ? Comment pourraient-elles évoluer ? L'intercommunalité recèle-t-elle encore un potentiel important pour le développement local ?

Il faut penser en termes de complémentarité et non en termes de concurrence. Il existe des dynamiques d'entreprise, d'artisanat dans les espaces ruraux, qui sont liés au cadre de vie, à la disponibilité de matières premières ou à l'existence de savoir-faire locaux. Il faut accompagner et encourager ces initiatives et cette économie locale qui est ancrée dans les territoires... Certes ces activités peuvent apparaître comme une économie de niche, mais se révèlent fort structurantes pour le rural.

[ Gérard Bailly - Quid de l'intercommunalité ? ]

Il existe des niveaux de maturité très disparates, mais l'on sent que les choses avancent. Je pense d'ailleurs que l'instabilité des périmètres a été jusqu'ici un facteur d'ouverture et fabrique des territoires.

[ Gérard Bailly - Les procédures actuelles, les SCOT sont-ils adaptés ?]

Il existe beaucoup de critiques sur la complexité de l'intercommunalité française. Mais les constructions qui en résultent sont plutôt intéressantes. Il est illusoire de penser qu'il existe une bonne échelle de gouvernance.

[ Gérard Bailly - La lourdeur des procédures, que l'on songe aux SCOT ou au PLU, constitue cependant un sérieux handicap.]


• Le tourisme rural est-il appelé à connaître un succès croissant ? La préservation du potentiel de ce tourisme est-il un enjeu prioritaire ? La planification foncière est-elle en phase avec cet objectif ? Le système français d'aires protégées constitue-t-il une réponse ?

Le tourisme, dans les territoires ruraux français, bénéficie d'une desserte beaucoup plus aboutie que dans les territoires ruraux du reste de l'Europe. A l'heure actuelle, la France et notamment les espaces ruraux touristiques bénéficient d'un report des touristes qui choisissaient la Grèce, l'Espagne, les pays du Maghreb... Les campagnes ont aussi un rôle à jouer en tant qu'espace récréatif aux portes de grandes villes.

[ Renée Nicoux - Les pôles d'excellence rurale (PER) et les pôles de compétitivité n'ont-ils pas joué dans la mise en concurrence des territoires ?]

Il est dommageable que des enjeux de compétitivité se transforment en enjeux de concurrence entre territoires. Je crois plus en la complémentarité économique entre les territoires, qu'en une forme de concurrence stérile pour l'économie nationale.

Par ailleurs, les conseils généraux ont acquis une certaine légitimité en termes de développement économique, de développement local pour les espaces ruraux, en relais bien sûr des conseils régionaux.


• Faut-il admettre, dans certaines zones rurales, le caractère inéluctable d'un certain déclin démographique et économique ? Comment, le cas échéant, accompagner un changement de voilure, conforter les populations résidentes et valoriser la perte de densité ?

Il ne faut pas chercher à attirer à toutes forces des entreprises sans concertation avec les territoires voisins, ou sans lien avec le territoire rural concerné sinon on s'expose à des phénomènes de captation d'avantages fiscaux et de subventions.

Il existe des territoires ruraux qui souffrent énormément. Aujourd'hui, le poids des industries situées à l'Ouest est supérieur à celui des industries qui demeurent à l'Est. En outre, le Nord et le Nord-Est n'attire plus les résidents ; ces territoires connaissent donc une double peine ! Il y a un tabou sur la mobilité des jeunes, qu'il ne faut pas sacrifier à l'autel des territoires. Il faut donc encourager cette mobilité dans les territoires où le taux de chômage est élevé pour qu'ils trouvent du travail ailleurs, même si la démographie locale doit en souffrir.

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