Rapport d'information n° 271 (2012-2013) de Mme Renée NICOUX et M. Gérard BAILLY , fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 22 janvier 2013
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SYNTHÈSE DES PRÉCONISATIONS
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INTRODUCTION
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COMMENT PENSER LES CAMPAGNES EN
DEVENIR ?
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I. LES MULTIPLES APPROCHES DE LA RURALITE
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II. UNE RÉFLEXION VOLONTARISTE SUR L'AVENIR
DES CAMPAGNES
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I. LES MULTIPLES APPROCHES DE LA RURALITE
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TROIS INTERROGATIONS PRÉALABLES
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I. COMMENT QUALIFIER LA RURALISATION EN
COURS ?
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II. LE DÉVELOPPEMENT RURAL OBÉIT-IL
À DES LOIS SPÉCIFIQUES ?
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III. LES CAMPAGNES SONT-ELLES JUSTEMENT
SOUTENUES ?
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I. COMMENT QUALIFIER LA RURALISATION EN
COURS ?
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LES CONDITIONS D'UN DÉVELOPPEMENT DURABLE
DE TOUTES LES CAMPAGNES
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I. UN SCÉNARIO MOBILISATEUR
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II. QUATRE LEVIERS STRUCTURELS
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III. SIX LEVIERS CIBLÉS
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I. UN SCÉNARIO MOBILISATEUR
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PRÉSENTATION DU RAPPORT EN
DÉLÉGATION
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ATELIER DE PROSPECTIVE
QUEL AVENIR POUR NOS CAMPAGNES ?
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ANNEXES
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I. PRINCIPALES AUDITIONS
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A. AUDITION DE LA DÉLÉGATION :
DATAR
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B. AUDITIONS DES RAPPORTEURS
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1. Olivier Mora, ingénieur agronome,
chercheur à l'INRA
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2. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de
l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)
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3. Olivier Piron, inspecteur
général de l'équipement
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4. Caroline Larmagnac, conseillère en
charge de la dynamique des territoires à la DATAR, et
Hélène Jacquet Monsarrat, chargée de mission
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5. André Torre, directeur de recherche
à l'INRA
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6. Pierre Brunhes, chef du service du tourisme, du
commerce et de l'artisanat à la DGCIS (ministère du redressement
productif)
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7. Frédéric Sans, chef de la mission
des services à la personne à la DGCIS, et Patrick Simon, chef du
bureau de l'emploi et du développement de l'activité au
ministère de l'agriculture ; correspondant « services
à la personne »
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8. Martin Vanier, professeur de géographie
et d'aménagement à l'université Joseph Fourier (Grenoble
I)
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9. Dr Patrick Romestaing, Président de la
section « santé publique » et démographie
médicale de l'ordre national des médecins
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10. Julien Vert, chef du bureau
prospective du ministère de l'agriculture, et Céline
Laisney, chargée de mission au centre d'études et de prospective
du ministère
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11. Antoine Darodes, directeur de la
régulation des marchés haut/très haut débit et des
relations avec les collectivités territoriales à l'ARCEP et
Jérôme Coutant, membre du collège
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12. Christophe Saintillan, directeur des
infrastructures de transport à la direction générale des
infrastructures, des transports et de la mer
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13. Magali Talandier, maître de
conférences (développement territorial, développement
rural) à l'université Joseph Fourier (Grenoble I)
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14. Jacques Savatier, conseiller du
président directeur général de La Poste, directeur des
affaires territoriales et du service public
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15. Edmond Hervé, sénateur, ancien
ministre
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16. Michel Quere, directeur de
l'évaluation, de la prospective et de la performance au ministère
de l'éducation
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17. Peio Olhagaray, directeur du
développement économique de la CCI de Bayonne-Pays Basque
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18. Guy Gilbert, professeur émérite
des universités
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19. Yannick Imbert, directeur des mutations et du
développement économique à la DATAR
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20. Jean-Marc Bureau, président de la
fédération nationale des centres d'initiatives pour valoriser
l'agriculture et le milieu rural (FNCIVAM), et Anne Harivel, directrice
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21. Philippe Viaux, agronome
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22. Pierre Morel-A-L'Huissier,
député
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23. Natacha Lemaire, Sous-directrice
chargée de la régulation de l'offre de soins (DGOS) au
ministère chargé de la santé
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24. Dominique Berteloot, Directeur
académique, services départementaux de l'éducation
nationale de la Creuse
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25. Fabien Bazin, Maire de Lormes, contributeur de
la réflexion sur le « bouclier rural »
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1. Olivier Mora, ingénieur agronome,
chercheur à l'INRA
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C. DÉPLACEMENTS
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A. AUDITION DE LA DÉLÉGATION :
DATAR
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II. RÉSEAUX NUMÉRIQUES :
ÉLÉMENTS TECHNIQUES
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I. PRINCIPALES AUDITIONS
N° 271
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 janvier 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur l' avenir des campagnes ,
Par Mme Renée NICOUX et M. Gérard BAILLY,
Sénateurs.
(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; Mme Natacha Bouchart, MM. Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, Mme Évelyne Didier, M. Alain Fouché, Mme Fabienne Keller, MM. Ronan Kerdraon et Yannick Vaugrenard, vice - présidents ; MM. Gérard Bailly et Jean Desessard, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, François Calvet, Alain Chatillon, Jean-Pierre Chevènement, Mme Cécile Cukierman, MM. Claude Dilain, Philippe Esnol, Mmes Samia Ghali, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Philippe Leroy, Michel Magras, Jean-François Mayet, Jean-Jacques Mirassou, Aymeri de Montesquiou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Philippe Paul, Jean-Pierre Plancade, Jean-Pierre Sueur et René Vestri . |
Mesdames, messieurs,
En janvier 2012, la délégation à la prospective 1 ( * ) a chargé Renée Nicoux (PS, Creuse) et Gérard Bailly (UMP, Jura) d'établir ensemble un rapport sur l'avenir des campagnes 2 ( * ) .
Leur réflexion s'alimente, d'une part, de leur expérience d'élu local, d'autre part, de l'audition de nombreux acteurs et observateurs du monde rural, ainsi que d'un atelier de prospective tenu le 12 décembre 2012, dont les comptes-rendus figurent en annexe.
SYNTHÈSE DES PRÉCONISATIONS
LES LEVIERS DE L'ÉQUILIBRE DES TERRITOIRES Pour que toutes les campagnes connaissent un scénario de développement acceptable, quatre principaux leviers sont identifiés. Ils sont déclinés en un certain nombre de mesures qui composent une authentique politique structurelle en faveur des territoires ruraux. Ils conditionnent l'efficacité de six leviers sectoriels, destinés à des actions plus ciblées. LEVIERS STRUCTURELS 1. Gouvernance et structures locales
- Stabiliser et clarifier la politique d'aménagement du territoire ; veiller au bon emboîtement des stratégies territoriales, notamment régionales, avec la politique et les objectifs nationaux - Mener des politiques différenciées selon la densité de population et les spécificités géographiques (par exemple, pour les zones de montagne) - Maintenir le pouvoir d'achat des instruments de la solidarité nationale (chômage, RSA, retraites...) - Adapter la différence, devenue excessive, entre dotations urbaines et rurales, à la réalité des contraintes locales (réaliser préalablement une étude chiffrée fournissant des éléments de comparaison objectifs) - Préserver l'incitation fiscale des collectivités à l'accueil des entreprises - Soutenir la capacité d'ingénierie financière des collectivités locales - Sanctuariser la solvabilisation de la demande pour les services à la personne - Coordonner et renforcer par des initiatives nationales toutes les démarches propres à conforter l'image des campagnes françaises auprès des résidents et des entreprises
- Réaffirmer le rôle-pivot de la commune et le principe de sa participation à toutes les structures de dialogue territorial - Elargir le périmètre de certaines structures intercommunales à des ensembles économiquement cohérents, comprenant des zones rurales et urbaines
- Penser et piloter le développement économique local, particulièrement dans les campagnes, en articulant base productive et base résidentielle - Définir des stratégies locales de développement fondées sur des logiques de projet fédératrices... - ... et favoriser l'interterritorialité et l'inter-intercommunalité pour en garantir la cohérence - Adapter certaines normes à la réalité des territoires pour libérer l'initiative, limiter les coûts et en assurer la représentation équitable dans toutes les instances de concertation et de décision 2. Services et équipements publics - Normaliser les temps d'accès maximum aux différents services publics et de santé - Ne pas modifier l'accès à un service public sans concertation préalable avec les usagers, et veiller à la coordination de toutes les modifications en cours au niveau du département - Préférer la logique de mutualisation à la concentration, sans a priori sur les combinaisons possibles - Préserver le rôle structurant des villes moyennes et des bourgs pour l'accès aux services
- Améliorer l'accès à la médecine en milieu rural en recourant à des mesures incitatives, aux maisons de santé, au salariat ou aux délégations de tâches, voire à des mesures coercitives - Poser le problème du nombre insuffisant de pharmacies de garde en milieu rural - Garantir à tous un accès raisonnable aux urgences médicales
- Ne pas fermer d'école dès lors qu'une hausse suffisante des effectifs est prévisible - Susciter plus d'ambition scolaire en milieu rural - Relocaliser certains temps de formation en milieu rural - Favoriser l'implantation d'antennes universitaires dans les zones rurales 3. Mobilités : infrastructures et transports - Sanctuariser le financement de l'entretien, de l'amélioration et de la création des dessertes routières et ferroviaires dans une logique de long terme - En toute hypothèse, préserver la desserte des villes moyennes et des bourgs-centres - Réduire la dépendance économique aux transports motorisés individuels 4. Réseaux numériques - Pour que le télétravail, la télémédecine, la téléformation, l'e-commerce, l'e-administration et les usages récréatifs et sociaux d'Internet se déploient, tenir l'engagement d'un accès généralisé au très haut débit en 2022 via un fond de péréquation profitant aux territoires où les opérateurs refusent d'investir. - Utiliser le levier de la commande publique avec des clauses de proximité * LEVIERS SECTORIELS Les préconisations précédentes, de nature structurelle, profiteront aux six secteurs suivants, pour lesquels sont énumérées d'autres préconisations, plus ciblées : 1. Industrie, commerce et services - Asseoir l'image locale des productions y compris industrielles - Rationaliser le maquis des aides directes et indirectes tout en privilégiant les PME rurales, particulièrement les artisans et commerçants de proximité 2. Agriculture - Renforcer la formation des agriculteurs en vue d'adapter les exploitations à des exigences économiques et environnementales accrues ; en amont, amplifier la recherche agronomique - Soutenir les filières territorialisées grâce à la labellisation et à des aides ; développer parallèlement la promotion de nos productions à l'exportation, notamment les plus spécifiques - Encourager les agriculteurs à diversifier leur activité au-delà de la seule production agricole - Accompagner l'installation des agriculteurs par des prêts à long terme ou des aides 3. Logement - Systématiser, aux échelons pertinents, l'élaboration et la conduite de politiques foncières coordonnées - Utiliser prioritairement les terres n'ayant pas ou très peu de valeur agricole pour l'urbanisation - Favoriser l'achat et la rénovation de logements anciens dans les villages et les centres-bourgs 4. Environnement - Encourager l'évolution des pratiques agricoles intensives (vers l'agriculture intégrée) - Rémunérer certains services environnementaux et paysagers rendus par les agriculteurs - Limiter le nombre de prédateurs pour que l'élevage se poursuive dans les zones de montagne 5. Tourisme - Intégrer toute la dimension paysagère dans la planification foncière - Systématiser et rationaliser l'identification, la mise en valeur et la signalétique des sites à fort potentiel - Accélérer la professionnalisation des acteurs locaux du tourisme rural 6. Culture - Sanctuariser les financements destinés aux petites scènes nationales - Permettre un accès équilibré à une culture « locale » et aux autres cultures |
INTRODUCTION
En dépit de la prédominance économique des villes, la France demeure un espace essentiellement rural , maillé par près de 30 000 « communes rurales » au sens de l'INSEE, qui représentent 78 % du territoire métropolitain et 22 % de la population.
Par delà la diversité des campagnes françaises et des configurations locales, les multiples dynamiques à l'oeuvre dans les aires rurales et urbaines ont fini par inverser les flux de population. Après plus d'un siècle d'exode rural, le solde migratoire dans les campagnes est devenu positif à la fin des années soixante-dix. Il en va de même, depuis 2000, du solde naturel - c'est-à-dire, des naissances moins les décès.
C'est là, sans doute, un motif de satisfaction pour qui redoutait, il y a quelques décennies encore, une tendance irrésistible à la désertification d'une portion majeure de notre territoire.
Mais aujourd'hui, la crise et son cortège de fermetures d'entreprises posent la question cruciale de la résilience des économies rurales. Sur le terrain, interrogations et difficultés tendent à se multiplier, avec de nouvelles fractures sociales et générationnelles, même si les réalités sont toujours très contrastées d'un territoire à l'autre.
Le contexte général apparaît plus mouvant et incertain que jamais. A y regarder de près, les opportunités - telles que le très haut débit - sont bien plus rares que les menaces : ajustement accéléré des finances publiques, étiolement du premier pilier de la PAC, renforcement de la contrainte énergétique, périurbanisation rampante et besoins croissants de mobilité, exigences environnementales accrues, devenir incertain des villes moyennes et de l'accès qu'elles procurent à une gamme étendue de services...
Devant pareil inventaire, il convient de ne pas céder au découragement, ni davantage à une quelconque rêverie d'inspiration technicienne ou rousseauiste. Il faut, avec lucidité, identifier les leviers structurels qui conditionneront l'essor économique, social et culturel des campagnes. Que faire pour leur donner les moyens de s'inscrire, au cours des trois prochaines décennies, dans un scénario de développement optimal ?
Répondre à cette question, posée à un terme éloigné, doit nous aider à prendre les bonnes décisions, aujourd'hui et demain. Non tant pour planifier le futur, au risque de le stériliser, qu'afin d'en préserver l'« éventail des possibles » dans le cadre d'une croissance équilibrée des territoires.
Par exemple, préserver ce potentiel implique de s'interroger sans tarder sur les voies et moyens de satisfaire, dans un contexte de raréfaction des crédits et de rationalisation des services, les besoins des populations rurales, qui sont de plus en plus proches de ceux des citadins...
Mais la capacité de projection, l'imagination et la créativité des acteurs territoriaux, dont nous sommes témoins, n'en seront pas moins fondamentales pour saisir de nouvelles opportunités et identifier de nouveaux leviers de développement pour les territoires ruraux.
Notre conviction est qu'en dépit des progrès de la métropolisation, ces nouveaux leviers sauveront un jour notre pays de la panne de croissance et de la démoralisation dans lesquelles il s'enferre.
Comprenons bien que les campagnes, dans leur diversité, ne sont pas une charge, mais une chance pour la France.
Voyez ces vastes espaces, cette nature fragile mais généreuse, la variété de ces paysages et de ces cultures, uniques au monde. Voyez encore ces hommes, bien décidés à innover et à se battre pour faire vivre leurs territoires en y exerçant les activités les plus variées, traditionnelles ou avant-gardistes...
Notre potentiel de croissance est en gestation dans le creuset de nos campagnes. Protégeons ce laboratoire où s'invente la modernité de demain !
*
Pour instruire ce rapport, nous avons rencontré de nombreux acteurs et observateurs de la ruralité, quelquefois à la faveur de déplacements in situ , dont la disponibilité n'a eu d'égale que la richesse du propos et la force de l'engagement. Un atelier de prospective, organisé par la suite, n'a pas manqué de susciter des échanges d'une exceptionnelle qualité.
Par delà les doutes ou les inquiétudes, dont l'expression paraît bien légitime dans le contexte actuel, que d'énergie communicative, que d'expériences offertes en partage, enfin, que de compétences insondables !
Nous exprimons ici, à l'attention des personnes qui nous ont généreusement consacré de leur temps, notre profonde gratitude. C'est avec profit qu'on se reportera aux comptes rendus de l'ensemble de nos entretiens et de l'atelier de prospective, qui figurent en annexe. Parmi ces personnes, il nous est difficile de ne pas citer tout particulièrement Édith Heurgon, prospectiviste, pour l'attention qu'elle a bien voulu porter à nos travaux, pour son approche éclairée du sujet et son animation, brillante, de l'atelier de prospective, ainsi qu'Olivier Mora, ingénieur agronome, dont les conseils judicieux et les réflexions profondes nous ont guidés et accompagnés jusque dans les territoires.
COMMENT PENSER LES CAMPAGNES EN DEVENIR ?
A la richesse d'approche de la notion de « campagne », semble répondre la complétude de vastes travaux de prospective entrepris récemment sur le sujet : « Les nouvelles ruralités en France à l'horizon 2030 », publié en 2008 par l'INRA 3 ( * ) , et « Territoires 2040 », publié en 2011 par la DATAR 4 ( * ) , qui consacre de larges développements aux territoires ruraux.
Les enseignements apportés par ces deux exercices, par les auditions, les déplacements et la réunion d'un atelier de prospective sur l'avenir des campagnes organisés dans le cadre de ce rapport 5 ( * ) , ainsi que par l'expérience d'élu local de vos rapporteurs, ont fourni le matériau nécessaire à la construction d'un scénario optimal, point de départ d'une réflexion politique sur les conditions élémentaires de sa réalisation.
Dans cette approche, les campagnes ne sont plus pensées indépendamment des villes, avec lesquelles elles entretiennent un rapport de complémentarité et de dépendance réciproque .
I. LES MULTIPLES APPROCHES DE LA RURALITE
Ainsi que bien des mots dont le sens paraît si intuitif, si intimement connu qu'on ne se pose jamais la question de leur définition, la campagne résiste à toute tentative d'en déterminer, dans une formule lapidaire, les contours définitifs. Au fond, la ruralité n'est-elle pas d'abord un ressenti, la campagne des uns n'étant pas forcément celle des autres ?
D'après le Robert des noms propres, la campagne désigne l'« ensemble des lieux fertiles, hors des villes ». « Hors des villes », voilà sans doute le seul caractère universellement admis pour définir la campagne - définition en creux, donc. Alors, que sont les villes ?
C'est ici que les difficultés commencent car les phénomènes d'étalement urbain et de mitage ont d'abord déplacé, puis flouté la frontière, autrefois évidente, entre les villes et les campagnes. Les développements qui suivent ne laissent rien ignorer de ces difficultés.
A. DES APPROCHES STATISTIQUES NECESSAIREMENT INSATISFAISANTES
Hormis l'approche topographique, peu contestable dans son objectivité mais qui ne se donne pas les hommes comme objet d'examen, la définition de l'espace rural reste problématique , ainsi qu'en témoignent la diversité et le type des approches adoptées. A l'exception de l'OCDE, qui n'identifie l'espace rural que sur le seul critère de la densité démographique, Eurostat, l'INSEE ainsi que la DATAR adoptent généralement - et sans surprise - une définition « en creux » : la ruralité est ce qui échappe à l'urbain...
1. Approche topographique
La plus objective parmi toutes les approches dénombrables, l'analyse topographique se révèle très utile pour évaluer l'impact de l'activité humaine sur son environnement. Cependant, les hommes qui peuplent et font la campagne n'y étant pas directement appréhendés, elle ne saurait être structurante dans une réflexion sur l'avenir des campagnes.
a) Etat des lieux
En 2010, les surfaces agricoles , cultivées ou en herbe, représentent 51,4 % de l'espace métropolitain. Les espaces naturels (sols boisés, landes, sols nus, zones humides et sous les eaux) en représentent 39,6 % et les sols artificialisés (sols bâtis, sols revêtus ou stabilisés, autres sols artificialisés), 8,9 % 6 ( * ) .
Au nord d'une ligne joignant l'estuaire de la Gironde aux Vosges, les sols agricoles dépassent les espaces naturels. Au sud, les espaces naturels prédominent, bien que plusieurs régions y aient une forte activité agricole (à noter que les espaces naturels prévalent aussi dans les départements d'outre-mer).
b) Evolutions récentes
L'artificialisation des sols s'est accélérée entre 2003 et 2009 , affectant l'équivalent d'un département français moyen (6 100 km 2 ) en sept ans, contre la même surface en dix ans entre 1992 et 2003 7 ( * ) .
Sur une période de cinq ans, de 2006 à 2010, la surface des sols artificialisés a progressé de 6,8 %, tandis que les surfaces agricoles régressaient de 1,1 %, poursuivant un mouvement bien antérieur. De fait, les espaces artificialisés se sont principalement étendus au détriment de sols agricoles , dont il est avéré que plus d'un tiers étaient de très bonne qualité agronomique. Cette artificialisation a principalement eu lieu à l'approche des zones urbaines.
Si la surface des sols naturels est demeurée stable sur la période, depuis les années quatre-vingt, la forêt a gagné de l'espace , non seulement sur les landes et les friches, mais encore, de façon marginale, sur les terres agricoles, avec une progression notable en montagne et dans les zones rurales profondes, y entraînant parfois une « fermeture » du paysage.
Le schéma suivant, qui donne la décomposition des changements d'affectation du sol de 2006 à 2010, montre que les surfaces agricoles subissent des phénomènes à la fois de pression urbaine et de déprise agricole :
2. Approche géographique
Les approches de l'OCDE et d'Eurostat confirment que la France, aussi bien dans l'absolu que relativement aux pays voisins d'un niveau de développement comparable, est un espace ancré dans la ruralité.
a) OCDE
Pour l' OCDE , l'espace rural correspond aux zones dont la densité est inférieure à 150 habitants par km 2 . Plus précisément, la classification mise en place par l'OCDE considère qu'une communauté de base, correspondant à une « UAL 2 8 ( * ) » (en France, il s'agit du canton), est rurale si sa densité est inférieure à 150 habitants par km 2 .
L'OCDE utilise un second critère pour qualifier les régions (en France, sur la base du découpage dit « NUTS 3 9 ( * ) », il s'agit du département) : elles sont considérées comme « essentiellement rurales » si plus de 50 % de leur population vit dans des communautés rurales 10 ( * ) .
TYPOLOGIE URBAINE-RURALE SELON L'OCDE
Source : Annuaire régional d'Eurostat 2010
b) Eurostat
Eurostat a estimé que le découpage de l'OCDE entraînait des distorsions d'appréciation pour la caractérisation urbaine ou rurale des régions car il existe de fortes disparités, non seulement entre les surfaces des UAL 2, mais également entre celles des NUTS 3. Pour y remédier, Eurostat a présenté en 2010 une nouvelle typologie suivant trois étapes principales :
1) le territoire est maillé en cellules d' 1 km² puis, en retenant celles réunissant plus de 300 habitants , des « grappes » de cellules contigües réunissant une population minimale de 5 000 habitants sont identifiées. Alors, toutes les cellules situées en dehors de ces concentrations urbaines sont considérées comme rurales, même si elles excèdent 300 habitants ;
2) les régions NUTS 3 de moins de 500 km² sont regroupées avec une ou plusieurs de leurs voisines ;
3) une région est réputée « essentiellement rurale » si plus de la moitié de ses habitants réside dans une cellule rurale 11 ( * ) .
TYPOLOGIE URBAINE-RURALE SELON EUROSTAT
Source : Annuaire régional d'Eurostat 2010
Sur cette base méthodologique raffinée, la France apparaît, plus encore que dans le découpage de l'OCDE, comme un espace à prédominance rurale.
c) INSEE
(1) La commune rurale
Pour l' INSEE , les communes rurales sont définies comme celles n'appartenant pas à une unité urbaine .
Est considéré comme « unité urbaine » une commune ou un ensemble de communes où l'on trouve une zone de bâti continu , c'est-à-dire un espace au sein duquel il n'y a pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions, et dans lequel résident au moins 2 000 habitants 12 ( * ) . Toutefois, une commune n'appartient pas à une unité urbaine si moins de la moitié de sa population se trouve dans la zone de bâti continu.
Noter que si l'unité urbaine est composée d'une seule commune, elle est dénommée « ville isolée » ; si l'unité urbaine s'étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée « agglomération multicommunale » 13 ( * ) .
Les communes qui n'entrent pas dans la constitution d'une unité urbaine forment donc le territoire rural . Dans cette approche, souvent qualifiée de « morphologique », il représente 78 % du territoire et 22 % de la population en 2010 14 ( * ) .
(2) Les évolutions récentes
D'après l'INSEE, entre 1999 et 2010, 1 368 communes sont passées de l'espace rural à l'espace urbain, le plus souvent par intégration à une agglomération. Par ailleurs, 231 communes considérées comme rurales en 1999 ont vu, entre 1999 et 2007, leur population atteindre le seuil de 2000 habitants agglomérés. Elles sont donc devenues urbaines (entre 1990 et 1999, seules 150 communes avaient réalisé le même mouvement).
Ainsi, en dix ans, la superficie de l'espace urbain a progressé de 19 % bien que, de 1999 à 2007, la population urbaine n'ait augmenté que de 4,6 %, contre 9 % pour la population rurale.
De fait, depuis la fin des années soixante-dix, le solde migratoire est devenu positif dans les campagnes et, depuis 2000 , il en va de même du solde naturel (naissances moins décès).
d) DATAR
• Pour la
DATAR
, les
« espaces de la faible densité » identifiés
dans l'exercice « Territoires 2040 » désignent,
dans l'esprit de ses rédacteurs, les campagnes. Ces espaces sont
définis comme regroupant les
communes dont la densité est
inférieure à 30 habitants par km
2
.
42 % des communes, représentant 48 % du territoire métropolitain, présentent cette caractéristique. 5,3 millions d'habitants permanents y vivent.
• Par ailleurs, dans une « nouvelle
typologie des campagnes françaises »
15
(
*
)
, la
DATAR
retient «
toutes les communes qui n'appartiennent
pas à une unité urbaine regroupant plus de 10 000
emplois
», la définition de l'unité urbaine
étant celle de l'INSEE. Dans cette acception, les campagnes regroupent
93 % des communes, représentent 93 % du territoire et
comprennent 26,7 millions d'habitants, soit 43 % de la population
métropolitaine.
3. Approche fonctionnelle
Depuis 1990, l'INSEE recours parallèlement à un certain type de zonage afin de mieux cerner la réalité « urbaine », en utilisant des données fonctionnelles mesurant l'influence des villes (travail), et non plus morphologiques. Ce faisant, l'institut « oublie », dans sa dernière nomenclature, toute référence explicite au monde rural...
a) Le « zonage » effectué par l'INSEE...
L' INSEE procède, par ailleurs, à un zonage. Le « zonage en aires urbaines » ( ZAU ), qu'il utilise actuellement, date d'octobre 2011.
Il a été précédé par un « zonage en aires urbaines et aires d'emploi de l'espace rural » ( ZAUER , mis en place en 2001), dans lequel était défini un espace à dominante rurale , ou espace rural, qui regroupait l'ensemble des petites unités urbaines et communes rurales n'appartenant pas à l'espace à dominante urbaine (pôles urbains, couronnes périurbaines et communes multipolarisées).
Ce zonage permettait notamment de prendre en compte le phénomène de périurbanisation en s'appuyant sur l'attractivité en termes d'emploi. Dans ce cadre, l'espace à dominante rurale représentait 70 % de la superficie totale et les deux tiers des communes de la France métropolitaine.
b) ... constitue désormais une approche adjacente
Contrairement au ZAUER, le ZAU , aujourd'hui en vigueur, n'établit pas de distinction entre un espace à dominante urbaine et un espace à dominante rurale pour les sept catégories qu'il distingue, sur la base de données relatives à l'emploi et aux déplacements domicile-travail.
LA MÉTHODE DU ZONAGE EN AIRE URBAINE DE 2010
.
Source : INSEE
Parce que « la notion de rural du [ZAUER] avait ses limites car définie comme la contrepartie de l'urbain, il a été décidé de ne pas réitérer cette approche » et l'INSEE répartit les communes urbaines et rurales dans les sept catégories précitées. Outre celles qui sont « isolées hors influence des pôles », on retrouve ces dernières dans toutes les couronnes des pôles.
L'institut estime que le croisement de l'approche fonctionnelle fondée sur les déplacements domicile-travail, qui caractérise le ZAU, avec l'approche morphologique fondée sur la continuité du bâti (qui permet de distinguer communes rurales et urbaines), constitue en définitive l'approche la plus judicieuse, dans la mesure où elle permet de mieux rendre compte des interactions entre villes et campagnes.
PART DE LA POPULATION URBAINE ET RURALE
SELON LES
CATÉGORIES DU ZONAGE EN AIRES URBAINES
Champ : France (hors Mayotte)
Source : INSEE, recensement de la population de 2008.
Si ces interactions sont essentielles, la clarté de lecture ne devrait pas l'être moins, de même que l'identification nécessaire de l'espace rural, dont on ne saurait nier la réalité. En définitive, cette nomenclature urbano-centrée est trop compliquée et d'aucuns estiment qu'elle serait au surplus fragile (la qualification d'une commune dépend de seuils de migrants et d'emplois qui se trouveraient aisément franchis).
Le « bassin de vie » : une troisième approche articulée sur le zonage ZAUER L' INSEE avait élaboré en 2003 un zonage en « bassins de vie » qui, d'après Olivier Mora 16 ( * ) , est « plus en adéquation avec les conceptions que se font les Français de la campagne. Ceux-ci considèrent en effet que de nombreuses communes de l'espace périurbain ou des pôles urbains sont rurales ». De fait, dans le zonage ZAUER, 90 % des communes périurbaines étaient rurales au sens strict... L'auteur précise : « Ce référentiel rural élargi regroupe avec l'espace à dominante rurale, l'ensemble des communes périurbaines et les pôles urbains de moins de 30 000 habitants. Ainsi délimité, le territoire rural recouvre 79 % de la superficie du pays et abrite un peu plus du tiers de sa population (36 %). Le bassin de vie correspond au « plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à la fois aux équipements courants et à l'emploi ». L'espace rural (référentiel élargi) est ainsi constitué de 1 745 bassins de vie qui intègrent à la fois des espaces ruraux et des espaces urbains. Elle traduit notamment le fait que les bourgs et les petites villes forment l'armature rurale des territoires ruraux, qui permet aux individus qui y habitent d'accéder aux emplois et aux services ».
L'INSEE doit présenter un nouveau découpage des
bassins de vie fin 2012.
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B. LES FIGURES COMPOSITES DE LA RURALITÉ
L'approche statistique fournit des éléments objectifs d'identification de la campagne, mais guère d'informations sur la signification du concept. On peut en approcher la compréhension par l'analyse des fonctions, en particulier socio-économiques, de la campagne.
On retiendra ci-dessous deux approches, différentes et également intéressantes. Leur mérite commun est de mettre en lumière l'écart désormais ouvert entre ce qui fut « le monde rural », centre de gravité des anciennes civilisations agricoles, et la diversité actuelle de ce qu'il convient d'appeler « les campagnes ».
On remarquera l'instabilité des taxinomies - pour être sujettes à de fréquentes réactualisations - ainsi que leur multiplicité, qu'on renonce d'ailleurs à illustrer ici. Mais les nombreuses « catégories » qu'elles fournissent s'avèrent alternativement utiles pour appréhender cet objet, complexe et multiforme, qu'est la campagne.
1. Trois figures de la campagne
a.a. Dans une analyse publiée en 2002 et toujours éclairante 17 ( * ) , Philippe Perrier-Cornet et Bertrand Hervieu, respectivement directeur de recherche et président de l'INRA, ont proposé une vision des « campagnes multifonctionnelles » ordonnée autour de trois figures principales : la « campagne ressource » de l'agriculture et des activités économiques, la « campagne cadre de vie » de la résidence et des loisirs, la « campagne nature », espace de protection et de conservation des ressources et équilibres naturels.
Dans cette optique focalisée sur la diversité des usages et des conceptions, les tensions et les synergies entre les figures de la campagne fournissent, couplées aux dynamiques et aux recompositions qui seront examinées ci-dessous, des clés essentielles de compréhension de l'avenir.
La campagne ressource est définie par sa fonction économique ou de production. Il s'agit tout d'abord de la production agricole qui est en France la figure historique de la campagne et de la production de richesse : labourage et pâturage. On a vu que l'emprise de l'agriculture sur le territoire s'est globalement assez bien maintenue au cours des deux décennies passées, même si les agriculteurs ne représentent plus que 10 % de la population active rurale. En effet, l'emploi et l'activité relèvent désormais en grande partie, dans les campagnes, d'autres logiques que de celle de l'agriculture, on en verra le détail plus bas.
La campagne cadre de vie correspond aux usages résidentiels et récréatifs des campagnes. Cette figure résulte de la tendance au repeuplement des communes rurales constaté depuis 1975 - de trois à quatre millions de personnes sont allées vivre dans une commune rurale - et de la mobilité croissante quotidienne de ceux qui travaillent en ville et résident à la campagne, illustrant une dissociation entre espaces de vie et de travail qui peut être un choix pour certains, une contrainte pour d'autres et pose en tout état de cause de vastes problèmes de politiques publiques sur l'ensemble du territoire, et non plus seulement dans les couronnes de périurbanisation comme ce fut le cas au départ de ce processus.
La figure de la campagne nature , dont la montée en puissance est plus récente, concrétise l'intérêt porté à la durabilité des ressources naturelles : eau, sol, biodiversité ainsi qu'aux fonctions de régulation climatique ou éco-systémique assignées aux espaces campagnards mobilisés pour la préservation des conditions de vie des générations futures.
a.b. Présenter ces trois figures-types conduit à évoquer leur concurrence sur les espaces et sur les ressources que chacune d'elle tend à préempter. Cette concurrence engendre des dynamiques conflictuelles dont les débats accompagnant la mise en oeuvre des politiques de zonage sont particulièrement symptomatiques : on pense par exemple à la difficile mise en place du dispositif Natura 2000 en application de la directive européenne Habitats.
Dans le prolongement de cette problématique, quatre grands types de zones soumises à des tensions conflictuelles ont été distingués 18 ( * ) :
- les zones en voie d'extension urbaine, qui enregistrent l'effacement progressif de la distinction entre le rural et l'urbain. Elles sont situées en périphérie des villes, grandes, moyennes et petites, mais aussi sur les littoraux ;
- les zones agricoles à rural dispersé, qui couvrent la plus grande surface du territoire et dans lesquelles l'activité de production agricole et l'exploitation forestière restent prédominantes ;
- les zones en voie de patrimonialisation : zones de montagne (sommets), paysages ou espaces remarquables et certaines parties du littoral (côtes, îles, fonds marins), qui font l'objet d'une protection ;
- les zones réceptacles, qui abritent des activités de stockage des déchets, d'épandages, ainsi que des infrastructures de transport et de production d'énergie. Elles coïncident souvent avec des espaces de forte exclusion sociale.
2. Sept catégories de campagnes
En 2003, le cabinet Société d'études géographique, économique et sociologique appliquée (Segesa) avait élaboré à la demande de la DATAR et du Commissariat général du plan une partition en « trois Frances rurales » débouchant sur une typologie en sept catégories composites, combinant critères démographiques et d'activité :
- les campagnes des villes , au sein desquelles étaient distingués le périurbain de proximité et le rural en voie de périurbanisation ;
- les campagnes fragiles , comprenant le rural agricole, vieilli et peu dense, d'une part, le rural ouvrier, d'autre part ;
- les nouvelles campagnes , réparties entre le rural à économie touristique, le rural à attractivité touristique résidentielle et le rural en transition.
Estimant que certains enjeux désormais centraux avaient été insuffisamment pris en compte dans ce travail, spécialement l'évolution des attentes des populations, les nouvelles exigences en matière de développement durable, la périurbanisation croissante, l'existence d'une économie campagnarde de plus en plus portée par le moteur résidentiel et le tourisme, la DATAR a publié en 2012 une nouvelle typologie visant à rendre compte des caractéristiques physiques, climatiques, démographiques, économiques, organisationnelles des espaces concernés, comme de leurs fonctions productives, résidentielles, récréatives, environnementales 19 ( * ) .
Cette typologie distingue trois grandes catégories regroupant en tout sept sous-catégories de campagnes :
- les campagnes des villes, du littoral et des vallées urbanisées connaissent depuis une trentaine d'années une forte croissance résidentielle. Elles rassemblent près de 16 millions d'habitants et près de 10 500 communes sur 140 355 km². Les conditions de vie et l'économie y sont, plus ou moins fortement, liées aux dynamismes des métropoles et des villes environnantes.
Au sein de ce groupe, la DATAR identifie trois sous-catégories : d'une part, les campagnes densifiées , en périphérie des villes, à très forte croissance résidentielle et à économie dynamique ; d'autre part, les campagnes diffuses, en périphérie des villes , à croissance résidentielle et dynamique économique diversifiée ; enfin, les campagnes densifiées, du littoral et des vallées à forte croissance résidentielle et à forte économie présentielle ;
- les campagnes agricoles et industrielles comptent, de même, 10 500 communes réparties sur 140 000 km², mais seulement 5,5 millions d'habitants. Les dynamiques économiques et démographiques y sont très contrastées. Les activités industrielles sont prépondérantes et la présence de la sphère agricole et agroalimentaire affirmée. Si les habitants de ces communes ont des revenus légèrement inférieurs à la moyenne nationale, ils bénéficient néanmoins d'un bon accès aux services et aux commerces ;
- les campagnes vieillies à très faible densité rassemblent près de 5,2 millions d'habitants dans 12 884 communes sur près de 227 000 km². Trois sous-catégories sont distinguées : les campagnes à faibles revenus , dont l'économie est présentielle et agricole ; les campagnes à faibles revenus, à croissance résidentielle, et à économie présentielle et touristique se situent dans un environnement fortement rural, loin de l'influence des métropoles, leur économie est marquée par les emplois résidentiels, agricoles, agro-alimentaires et touristiques ; les campagnes à faibles revenus, à croissance résidentielle, à économie présentielle et touristique dynamique, marquées par l'éloignement des services d'usage courant , correspondent à des espaces, souvent difficiles d'accès, sur lesquels les grandes métropoles n'exercent que peu d'influence.
*
Des trois figures aux sept catégories, on observe des constantes, le rôle de la périurbanisation, par exemple, qui témoigne du caractère central de la dialectique ville/campagne .
On note aussi des différences d'accent telles que la tendance à la constitution de zones réceptacles de nuisances diverses, identifiée seulement dans la typologie des trois figures concurrentielles, comme conséquence des tensions résultant de leur cohabitation.
TYPOLOGIE DES CAMPAGNES FRANÇAISES
Source :DATAR
C. LE CHOIX D'UNE APPROCHE DIFFÉRENTIELLE
Pour Olivier Mora, coordinateur des travaux précités de l'INRA sur « Les nouvelles ruralités françaises à l'horizon 2030 », l'examen des différentes définitions de l'espace rural avait encouragé, en amont, la poursuite de réflexions sur de nouvelles grilles de lecture des espaces ruraux, sans adopter une définition statistique particulière.
En effet, d'après lui, « il était difficile aussi bien pour les territoires périurbanisés que pour les territoires irrigués par des bourgs ruraux et des petites villes, d'envisager les évolutions de l'espace rural stricto sensu et (...) il était préférable de s'intéresser aux systèmes de relations entre urbain et rural ».
Vos rapporteurs estiment, de même, qu' il convient de ne pas figer les campagnes dans une quelconque acception statistique , qui poserait des limites nécessairement contestables au champ de la prospection.
Ils s'intéressent plutôt aux « systèmes de relations » entre monde urbain et monde rural , qui procèdent évidemment l'un de l'autre, tout en gardant à l'esprit la diversité des approches envisageables , dont le nombre dissuade d'en choisir une seule, et qui doivent réserver la part inaliénable de la subjectivité, car la campagne est d'abord un « espace vécu » 20 ( * ) .
C'est d'ailleurs pourquoi ce sont les « campagnes » qui font l'objet de la présente étude, et non pas de quelconques circonscriptions statistiques telles que les « zones rurales » : on déclare bien habiter « à la campagne », et non dans une « zone ».
II. UNE RÉFLEXION
VOLONTARISTE SUR L'AVENIR
DES
CAMPAGNES
Avant de poursuivre plus avant leurs réflexions, vos rapporteurs ont souhaité s'appuyer sur deux récents travaux de prospective, de grande valeur, traitant de l'avenir des campagnes.
A. RETOUR SUR DEUX GRANDS EXERCICES DE SCÉNARISATION
La DATAR et l'INRA ont, dans un passé très proche pour l'un et suffisamment récent pour l'autre, établi deux scénarios d'évolution des campagnes pour les décennies à venir. Ces organismes ont tiré les leçons de travaux divers et concertations d'experts dans le champ de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
1. Les scénarios de la DATAR
1.1. La prospective « Territoires 2040 » de la DATAR , publiée au premier semestre de 2011, étudie à l'horizon 2040 sept systèmes spatiaux dont celui des « espaces de la faible densité », dont on a vu ci-dessus qu'il correspondait sensiblement, dans l'esprit de ses concepteurs, à la notion de campagne.
De même que les quatre scénarios de la prospective « Les nouvelles ruralités en France à l'horizon 2030 » de l'INRA ont été élaborés en fonction de prévisions d'évolution de certaines composantes, les cinq scénarios associés au concept d'espaces de la faible densité sont construits à partir de « quatre grands foyers d'analyse des composantes constitutives de la faible densité » :
- la composition sociodémographique des espaces, marquée selon les endroits par le vieillissement, le dépeuplement, la reprise démographique, la « birésidentialité » ;
- les systèmes de ressources et les formes d'occupation et de valorisation , caractérisés par la recomposition des activités de production et l'émergence de pratiques liées à la valorisation des aménités, d'une part, la force des enjeux de multifonctionnalité et les conflits qui peuvent en résulter, de l'autre ;
- les conditions et les formes de l' intégration des espaces de faible densité dans le système territorial global , en particulier « les possibles mutations des liens urbain/rural, les effets d'emboîtement et d'articulation aux différentes échelles d'organisation et de décision ». Concrètement : les espaces de la faible densité « seront-ils les vases d'expansion et/ou de décompensation de la ville ? Ou bien encore les nouveaux greniers de l'alimentation de la planète révélant une intégration stratégique dans une économie-monde ? » ;
- les formes de gouvernance et de régulation .
1.2. Cinq scénarios ont été élaborés sur ces bases. Le tableau suivant en présente un résumé schématique.
TABLEAU SYNTHÉTIQUE DES CINQ SCÉNARIOS DE LA DATAR
• Le
scénario 1
, celui des
«
archipels communautaires
», dessine des
territoires devenus réceptacles de processus d'isolement ou d'exclusion,
sous l'emprise de la dérégulation : abandon des principes
d'égalité et de cohésion territoriale dans les dispositifs
des politiques publiques, délaissement des espaces de faible
densité par le soutien financier et technique des services publics,
effacement des solidarités collectives au profit de solidarités
communautaires consolidées prioritairement dans les populations les plus
aisées et dans les plus pauvres ou marginalisées, ou encore
engagées dans des démarches alternatives.
Corrélativement, l'économie résidentielle est en régression, la dynamique productive est discontinue, marginalisée par rapport aux circuits dominants, tournée vers la consommation de proximité. La connexion avec l'extérieur se limite à quelques points d'entrée. Les « mots-clés » sont ségrégation, isolement, autocontrôle.
• Le
scénario 2
, celui des
«
plateformes productives
», est centré
sur les « mots-clés » exploitation maximisée,
filières longues et mondialisation, exode rural,
compétitivité verte et pilotage à distance. Il parie sur
la montée en charge des énergies vertes, la hausse de la demande
de matières premières, les tensions sur le marché
alimentaire mondial. La maximisation des usages du territoire productif est
donc à l'ordre du jour. La vision multifonctionnelle des espaces ruraux
est jugée périmée et les politiques publiques
correspondantes sont en recul, ce qui fait que les services publics de
proximité sont fermés et que l'intervention publique se concentre
sur des objectifs productivistes : planification de la production et aide
aux investissements technologiques sur des biens stratégiques.
Corrélativement, des politiques de protection de certains espaces naturels ou renaturalisés sont mises en oeuvre avec des objectifs liés à la protection des ressources naturelles. Les espaces de la faible densité sont largement gérés par des acteurs privés de grande envergure. En raison de la réussite des projets de ville durable, le désir de campagne s'est éteint dans la population : l'économie résidentielle est devenue très faible et le tourisme rural a pratiquement disparu.
• Le
scénario 3
, celui de
«
la faible densité absorbée
»,
postule une croissance démographique soutenue, la poursuite de la
périurbanisation et la facilité des mobilités grâce
à la bonne irrigation du territoire par les LGV
21
(
*
)
et au succès du
transport partagé. Il dessine la France sous l'aspect d'un parc
résidentiel mité par les maisons individuelles et l'habitat
collectif de petite envergure.
Ce schéma résultant en partie de la cherté de la vie dans les métropoles est accompagné d'une dérégulation impliquant la baisse de régime des outils planificateurs des collectivités territoriales et la quasi-disparition des politiques de développement rural. L'agriculture peine à se maintenir, confrontée au mitage de son parcellaire, à la pression foncière et aux conflits avec les autres activités et les résidents. Les espaces de faible densité subsistants sont délaissés et peuvent ponctuellement accueillir certaines fonctions urbaines (stocks de déchets non recyclables, fermes de production énergétique...).
• Le
scénario 4
est
dénommé «
canevas territorial des systèmes
entreprenants
». Il annonce un repositionnement de
l'agriculture, désormais centrée sur la demande interne, sur la
production intensive d'un petit nombre de biens compétitifs et sur
l'exploitation de filières spécifiques (proximité,
qualité). Il postule corrélativement l'effondrement de
l'agroalimentaire tourné vers les marchés internationaux et celui
des industries mécaniques. Les espaces de faible densité,
animés par des stratégies entrepreneuriales locales, sont
tournés vers des activités diverses (outre les activités
agricoles et forestières : activités pharmaceutiques, de
bien-être, culturelles...) selon des schémas variés
(travail à distance, grappes d'entreprises
disséminées...). Les productions sont le plus souvent
transformées localement, créant des filières et des
chaînes d'activités sur le territoire, notamment sous la forme de
structures coopératives.
Le maître-mot est créativité. Un certain dynamisme démographique est entretenu par l'arrivée de populations actives, plutôt jeunes, formant des projets liés aux différentes niches de l'économie territoriale et par des populations engagées dans la deuxième partie de leur vie professionnelle et soucieuses de concilier dans cette période un projet professionnel et un cadre de vie choisi.
• Le
scénario 5
présente les espaces de faible densité comme
«
l'avant-scène des villes
». La
société est très urbanisée et le rapport à
l'espace naturel faiblement occupé est culturellement sensible. La
faible densité est ainsi considérée comme une ressource
rare et stratégique. C'est pourquoi sa protection est partie
intégrante de politiques d'aménagement visant à mieux
articuler les aires urbaines avec d'autres espaces auxquels elles sont
fonctionnellement connectées (le bassin-versant qui fournit l'eau de la
ville, ou des espaces de mitigation des externalités négatives de
la ville...). Les espaces de faible densité font ainsi figure de
compléments des métropoles. Ils sont pourvoyeurs de productions
et de services dont les bassins de consommation sont essentiellement
urbains.
Les bassins de productions alimentaires se sont essentiellement déplacés dans les pays d'Europe centrale et orientale ainsi qu'en Asie et en Amérique ; les productions agricoles demeurant sur place sont exclusivement tournées vers des pratiques de distinction et de qualification fortes (agriculture biologique, AOP 22 ( * ) , autres certifications de typicité ou de performativité environnementale). Les espaces forestiers sont essentiellement destinés à des fonctions d'agrément et de protection. Pour maintenir le niveau de qualité indispensable à leur positionnement, les espaces de faible densité repoussent les externalités négatives vers d'autres espaces et systèmes territoriaux, notamment les zones périurbaines.
2. Les scénarios de l'INRA et leur illustration
2.1. Publiée en juillet 2008, la prospective « Les nouvelles ruralités en France à l'horizon 2030 » a été présentée à vos rapporteurs par son coordinateur, Olivier Mora, à l'aide d'une vidéo-projection dont les principales vues sont reproduites en annexe. Cet exercice identifie, à partir d'une gamme de « tendances lourdes » et de « signaux faibles », quatre moteurs d'évolution, appelés « composantes », sous l'influence desquels aurait lieu la recomposition probable des rapports villes-campagnes, nature-culture, individu-société dont sortiront les « nouvelles ruralités » de 2030.
Ces composantes sont :
- les mobilités dans les rapports villes-campagnes , dont les variables sont les mobilités des individus ainsi que les modalités de périurbanisation et l'armature urbaine des territoires ;
- les dynamiques économiques dans les campagnes, dont trois types sont envisagés : les dynamiques d'agglomération et de dispersion liées à l'économie métropolitaine, l'attractivité de certains territoires ruraux, l'économie des services répondant aux attentes des individus résidant sur le territoire ;
- les ressources naturelles et patrimoniales , qui interrogent la coexistence spatiale des usages ainsi que les modalités d'inscription spatiale des activités agricoles dans la perspective de l'évolution des modes de gestion du vivant et de la représentation de la nature ;
- la gouvernance des territoires ruraux, qui examine la façon dont les acteurs publics ou privés ainsi que la société civile font face aux nouveaux enjeux liés à la nature, l'environnement, l'aménagement.
Sont aussi prises en compte en tant qu'« éléments de contexte » certaines évolutions globales dépassant la problématique des campagnes proprement dite : le coût de l'énergie , le changement climatique , les technologies de l'information et de la communication .
2.2. A partir d'hypothèses d'évolution de ces composantes, ont été construits quatre scénarios dont les composantes spécifiques sont schématisées dans les quatre dernières colonnes du tableau suivant (on renvoie aussi au compte-rendu de l'audition d'Olivier Mora, en annexe du rapport).
TABLEAU SYNTHÉTIQUE DES QUATRE SCÉNARIOS DE L'INRA
• Le
scénario 1
est celui des
«
campagnes de la diffusion urbaine
». Il
décrit les phénomènes suivants : la dispersion et
l'extension de l'habitat résidentiel dans l'aire des grandes
agglomérations, englobant villes, bourgs et espaces ruraux ; la
concentration des activités et des emplois dans des métropoles
régionales ayant une dimension européenne et,
corrélativement, la constitution d'une économie de services
liée à la vocation résidentielle des campagnes et à
la déconcentration vers la périphérie d'activités
à faible qualification ; l'éclatement des usages de la
campagne entre des paysages périurbains banalisés et des espaces
agro-industriels ou naturels non métropolitains ; une gouvernance
inclinant vers le laisser-faire en matière de planification
foncière, l'aménagement du territoire résultant de la
localisation des ménages et des zones d'activité, d'une part, des
politiques nationales ou régionales de protection des terrains agricoles
et des espaces naturels compensant l'absence de politique foncière
à l'échelle des métropoles, d'autre part.
• Le
scénario 2
est
celui des «
campagnes intermittentes des systèmes
métropolitains
». Il décrit des territoires
ruraux connectés aux métropoles et fréquentés de
façon intermittente, selon une mobilité hebdomadaire ou mensuelle
permise par une forte innovation sociale et technique, par des personnes
combinant les usages de la ville et de la campagne. Ces territoires sont
animés par une économie présentielle fondée en
priorité sur les activités de service aux populations, le
commerce, le tourisme et la construction, alors que l'activité agricole
se perpétue à travers des produits, des savoir-faire, et des
pratiques agricoles. Les mêmes territoires offrent une diversité
paysagère et patrimoniale sur laquelle leur attractivité est
fondée. Leur gouvernance est largement tournée vers le
renforcement de l'attractivité et de la problématique
potentiellement conflictuelle conservation/valorisation des ressources qui font
cette attractivité.
• Le
scénario 3
est celui des
«
campagnes au service de la densification
urbaine
». En fonction d'une augmentation forte du
coût de l'énergie et de la mise en place de politiques de
maîtrise des émissions de gaz à effet de serre ainsi que de
la remise en cause consécutive du modèle de déplacement
individuel fondé sur l'automobile, il prévoit la densification de
la population et la concentration des activités dans les villes au
détriment des territoires ruraux, une relégation des
activités polluantes ou occupant trop d'espace à la
périphérie des métropoles, ainsi que le caractère
déterminant des équipements logistiques et notamment de la trame
des voies de communication et de leurs noeuds pour la localisation des
activités. Les espaces ruraux à la périphérie des
métropoles sont pour partie intégrés aux villes, ce qui
est en dehors est devenu une mosaïque de sites
hyperspécialisés dans des fonctions logistiques,
énergétiques ou écologiques au service des villes.
• Le
scénario 4
est celui des
«
campagnes dans les mailles des réseaux de
villes
». Il prévoit une réorganisation des
rapports ville-campagne pour limiter la périurbanisation des grandes
agglomérations et l'orientation des migrations résidentielles
vers les bourgs ruraux, petites villes et villes moyennes
23
(
*
)
. Il décrit alors
des territoires imbriquant espaces urbains et ruraux multipolarisés et
structurés par des réseaux de villes et de bourgs donnant
à tous l'accès à une gamme complète de services et
à des emplois. Les dynamiques territoriales allient économie
résidentielle et productive. L'économie résidentielle a
des effets redistributifs importants et se trouve ponctuellement
renforcée par des activités touristiques ; les secteurs
primaires, secondaires et tertiaires sont représentés, y compris
l'industrie et l'agroalimentaire. Les TIC
24
(
*
)
ont un effet important sur le
désenclavement de certains territoires et permettent le travail à
distance dans certaines professions. Les paysages, où
s'enchevêtrent les activités agricoles et les espaces
protégés, fournissent aux résidents un cadre de vie
agréable, constituent des lieux de détente et assurent la
conservation de la biodiversité. A l'origine de ces équilibres se
trouve l'invention de nouvelles modalités de gouvernance territoriale
permettant de fédérer l'ensemble des acteurs du territoire et
s'appuyant tant sur des outils de planification foncière que sur des
politiques de redistribution financière efficaces à
l'échelle nationale.
2.3 Illustration des scénarios de l'INRA
En pratique, chaque scénario de l'INRA est assorti d'une illustration emblématique située à diverses échelles territoriales.
• Le
scénario 1
,
« campagnes de la diffusion métropolitaine », est
illustré par les
territoires ruraux de la région
Midi-Pyrénées
.
En 2030, selon le récit de l'INRA, le territoire régional sera structuré par une polarité entre la métropole de Toulouse et les Pyrénées, la gouvernance des territoires ruraux sera pilotée par la métropole toulousaine, celle-ci s'appuyant sur des politiques nationales et européennes. Le dynamisme économique du secteur aéronautique et spatial et du secteur informatique sera le moteur de l'aire métropolitaine toulousaine, qui aura gagné 420 000 habitants, la population de Midi-Pyrénées croissant globalement de 700 000 habitants. Les espaces ruraux auront connu un vieillissement significatif, les jeunes se concentrant dans la métropole.
L'aire métropolitaine intégrera un grand nombre de villes moyennes (Foix, Carcassonne, Revel, Albi, Gaillac, Montauban, Auch). Une urbanisation diffuse s'y sera développée, entremêlant zones pavillonnaires et zones d'activités, les communes les plus proches de l'agglomération étant intégrées au tissu urbain. L'agriculture spécialisée dans les grandes cultures caractéristiques de la plaine de Toulouse aura été entravée par le mitage urbain.
En réaction à la déstructuration des paysages et des espaces naturels résultant de l'évolution de la métropole, des corridors écologiques permettront la connectivité écologique et la circulation des espèces sauvages dans la zone. Au Nord et à l'Ouest de la région, dans le Lot, le Gers et certaines parties du Tarn-et-Garonne, des espaces ruraux très typés, avec de fortes singularités auront évolué à l'image du Périgord et de la Dordogne. Au Sud, les Pyrénées constitués en « jardins » de « nature sauvage » seront fréquentés par des Toulousains à la recherche de nature hors du périurbain, ce qui aura provoqué une revitalisation sensible illustrée par la création de nouveaux parcs naturels régionaux.
• Le
scénario 2
,
« campagnes intermittentes des systèmes
métropolitains », est illustré par l'exemple du
sillon alpin
et celui du
Diois
.
Pour l'INRA, en 2030, le sillon alpin sera traversé par une ville linéaire allant de Grenoble à Genève, caractérisée par l'innovation industrielle, la recherche et les technologies de pointe, ainsi que par la qualité du cadre de vie. Il comportera une large variété de territoires ruraux protégés de l'urbanisation (massifs de la Chartreuse, des Bauges, de Belledone et du Vercors) dont le dynamisme résultera de leur capacité de capter les flux de population urbaine venue de la métropole voisine et de devenir pour elles un cadre de résidence.
Les territoires ruraux auront construit leur développement en hybridant les activités résidentielles permanentes ou temporaires, l'agriculture et le tourisme. Les pratiques d'élevages tiendront compte de la gestion des écosystèmes et des paysages tout en maintenant la valorisation des produits par des labels de qualité et des coopératives de transformation des produits (notamment la fabrication des fromages). Avec l'ajout d'exigences écologiques aux cahiers des charges des appellations d'origine, l'entretien des flancs de montagne sera en particulier assuré par les pratiques d'élevage. L'agriculture approvisionnera des marchés éloignés et vendra directement ses productions réputées aux résidents temporaires.
La gouvernance se sera structurée autour de parc naturels régionaux constituant des lieux de mise en débat du territoire, notamment dans leurs relations avec les métropoles. La gestion des territoires utilisera les anciens dispositifs de Scot, devenus « schémas métropolitains » et les parcs naturels régionaux fédérés à l'échelle du sillon alpin.
• Le
scénario 3
,
« campagnes au service de la densification urbaine »,
retient le cas de la région
Provence-Alpes-Côte
d'Azur
.
Le scénario y prévoit la formation d'un vaste continuum urbain de Menton à Marseille, Aix et Avignon, prolongé au Nord par le couloir rhodanien et lié à l'Ouest à la conurbation languedocienne. A cette occasion, le tissu urbanisé actuel se sera densifié dans les interstices et intégrera des éléments agricoles ou naturels, tels que les Alpilles et la montagne Sainte-Victoire. Une agriculture intensive à forte technologie avec un impact environnemental maîtrisé se sera développée dans des zones agricoles protégées (ZAP). Elle approvisionnera les urbains en produits frais, principalement sur des marchés de proximité. Les fonctions de services seront réparties sur plusieurs pôles du continuum urbain, offrant un accès à l'ensemble de la population du littoral.
En ce qui concerne le moyen pays provençal, le modèle prévoit que seules les populations les plus aisées pourront s'offrir les déplacements, ce qui engendrera une forte « gentrification ». Les espaces agricoles les plus accessibles et les plus productifs continueront d'être exploités pour des productions de fruits et de vin.
Les montagnes et les zones du moyen pays difficiles d'accès ou très éloignées, connaîtront une forte dépopulation. Les interactions entre villes et espaces ruraux de l'arrière pays seront principalement orientées vers la gestion des ressources en eau du massif alpin, la production d'énergie (panneaux photovoltaïques sur des étendues de maquis), ainsi que la gestion de la biodiversité (mesures de lutte contre la fermeture des paysages encourageant le maintien du pastoralisme, protection de sites remarquables). Par ailleurs, les zones urbanisées du littoral seront compensées par des mesures de protection sur des zones naturelles dans le moyen pays.
• Le
scénario
4
, « campagnes dans les mailles des villes »,
est associé au devenir de
la Manche.
Ce département fonctionnerait comme un réseau de petites villes et bourgs. Au sein d'une population globalement stable, de nouveaux arrivants se seront installés de manière temporaire ou définitive, alors que des jeunes, notamment des filles, partiraient vers les grandes villes chercher une formation ou un emploi, avec le projet de revenir dès que possible. En effet, la Manche sera une terre d'équilibre très attractive, entre la mer et une campagne faite de surfaces en herbe liées à l'élevage, notamment du cheval, en partie façonnée et entretenue par la production agricole.
De Cherbourg à Avranches et de Coutances à Saint-Lô, un réseau de petites villes et de bourgs fournira l'accès à un ensemble de services. L'économie locale misera sur un agroalimentaire performant, la filière équine, le nucléaire, l'artisanat, le tourisme, les services aux populations et aux entreprises. Le numérique aura permis de développer des pôles ruraux de recherche et d'innovation. L'équilibre entre économie résidentielle et économie productive, réussi grâce à de fortes innovations dans la gouvernance territoriale, caractérisera le département.
En ce qui concerne la gouvernance, les structures d'intercommunalité et de concertation constituées à partir des pays et des parcs naturels régionaux auront multiplié les forums réunissant les acteurs du territoire dans des démarches participatives. Ces instances auront fédéré les acteurs économiques et sociaux autour d'un projet de mise en valeur durable du patrimoine naturel, culturel et immatériel. Les agriculteurs et les éleveurs participeront à l'élaboration de ces projets de territoire et seront des opérateurs importants de sa mise en oeuvre.
B. ANALYSE CRITIQUE ET CHOIX D'UNE MÉTHODE
La démarche adoptée est celle d'une assimilation critique des scénarios de l'INRA et de la DATAR, prélude à la construction argumentée d'un scénario optimal propre à nourrir une réflexion politique sur les hypothèses qui conditionnent sa réalisation.
1. La diversité des postulats méthodologiques
Les scénarios de l'INRA et de la DATAR, pour avoir inévitablement de nombreux points communs, diffèrent cependant les uns des autres et affichent des tonalités décalées que les dix années d'écart séparant leur échéance ne sauraient expliquer. L'approche est différente dans l'un et l'autre cas, les accents ne sont pas placés sur les mêmes phénomènes. Il convient d'approfondir cette diversité méthodologique pour mieux éclairer les choix à faire.
1.1. La prospective de l'INRA repose sur le choix « non pas de construire des hypothèses d'évolution à partir de définitions fixes et exclusives de l'urbain et du rural, mais de s'intéresser aux relations entre l'urbain et le rural ». C'est ainsi que les ruralités prises en compte dans cette prospective ont été définies comme « des arrangements composites d'usages résidentiels, récréatifs et productifs, de représentation des acteurs et de rapports à la nature, au patrimoine et aux enjeux écologiques inscrits dans des rapports dynamiques ville-campagne ». En effet les territoires périurbanisés, comme les territoires irrigués par des bourgs ruraux et par des petites villes, témoignent entre villes et campagnes d'interdépendances qui exercent une influence majeure sur l'avenir des campagnes en termes de « configurations spatiales, de flux et d'acteurs ».
On notera que ces partis pris méthodologiques s'articulent bien avec le constat indubitable selon lequel le temps n'est plus où les ruraux acceptaient un accès aux services et aux aménités de la société inégal à celui dont profitent les populations urbaines . La distinction ville-campagne conserve bien entendu une pertinence à maints égards profonde, elle ne peut cependant plus être clivante. C'est pourquoi la mise en lumière de quatre scénarios d'évolution fondés sur la prise en compte de la diversité des interactions envisageables entre certaines catégories de campagnes et certaines catégories de villes semble revêtir un caractère particulièrement opérant du point de vue du politique, qui est celui de la délégation à la prospective.
1.2. La prospective de la DATAR repose aussi sur l'étude de phénomènes d'interactions, puisque « le parti pris de la démarche est de s'intéresser à des systèmes territoriaux animés par des logiques fonctionnelles privilégiant des processus d'organisation spatiale, économique et sociale singuliers, chaque système territorial identifié étant en situation d'interaction forte, voire d'emboîtement avec d'autres systèmes territoriaux ». Cependant, le choix de chercher à « spécifier la catégorie générique du rural » en s'appuyant sur la notion de faible densité ne permet pas de mettre en relief un fait majeur structurant.
Ainsi, seuls deux scénarios sur les cinq du modèle, celui de la faible densité absorbée et celui de l'avant-scène des villes, mettent l'accent sur les relations entre les villes et les campagnes, les trois autres semblant postuler la possibilité d'espaces ruraux évoluant indépendamment du devenir des villes 25 ( * ) .
Si ce point de départ peut donner une impression de choix parfois arbitraire des facteurs d'évolution - par exemple l'accent mis sur la dérégulation et sur l'isolement territorial dans le scénario des archipels communautaires - la méthodologie présente en revanche l'intérêt d'insister d'emblée sur la disparité des espaces de la faible densité : « la première caractéristique majeure des espaces de faible densité français sur les plans à la fois géographique, économique et social porte sur leur diversité de profils. Ils sont présents dans toutes les régions ; cependant (...) la variété des formes et des situations est grande ». La prise en compte de cette diversité est évidemment précieuse pour imaginer le passage de la prévision à l'action.
2. L'approche du rapport
Pour une assemblée politique, un travail de prospective sur un sujet aussi concret, vivant et sensible au contexte normatif et budgétaire que celui des campagnes, ne saurait déboucher sur une scénarisation purement indicative. L'approche est donc politique, dans les deux moments de la réflexion portée par le rapport : pour élaborer le scénario que vos rapporteurs jugent souhaitable, et pour décliner les conditions de sa réalisation.
a) La recherche d'un scénario optimal pour esquisser ses conditions de réalisation
Il s'agit d'inscrire les travaux de la délégation dans une temporalité et/ou une approche à la fois singulière et fructueuse, non seulement au regard des « sommes » prospectives de l'INRA et de la DATAR portant sur les campagnes, mais encore du rapport intitulé « Territoires ruraux, territoires d'avenir », publié en février 2012 par le comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale, qui ambitionne essentiellement d'évaluer les outils de la décentralisation et de l'aménagement du territoire dans leur aptitude à valoriser ces territoires.
En outre, le Président de la République a confié au député Pierre Morel-A-l'Huissier une mission « ruralité » aux fins de simplifications ou de clarifications règlementaires, qui vient de rendre ses principales conclusions.
Estimant que deux démarches de prospective rurale d'importance ont été conduites par l'INRA et la DATAR, qui y ont chacun consacré, durant environ deux années, des moyens importants, nous nous sommes livrés, sur cette base, mais aussi celle de notre expérience, de nos auditions et de l'atelier de prospective que nous avons organisé sur l'avenir des campagnes, à une stylisation prospective débouchant sur des préconisations générales à l'horizon 2030/2040.
Après avoir marqué une préférence pour les scénarios conduisant à un développement équilibré des territoires ruraux, un scénario que nous jugeons « souhaitable » a donc été métabolisé. Il distingue, en son sein, le cas de divers types de campagnes pour rendre compte de la diversité des territoires. Il est clair, en effet, que la campagne idéale de 2030/2040 ne peut avoir le même aspect ni le même contenu, pour prendre l'exemple de deux terroirs voisins, selon qu'on se réfère à la Beauce ou aux collines du Perche. Bien entendu, les conséquences des évolutions possibles de certaines « variables-clé », en particulier du coût de l'énergie, ne sont pas ignorées.
Ce scénario s'oppose à celui, jugé indésirable, qui poursuit les tendances actuelles, mais dont l'évolution de certaines variables sous-jacentes est toutefois infléchie par le développement et les conséquences économiques et budgétaires de la crise mondiale.
Dans cette perspective, notre scénario préférentiel s'inscrit plutôt en résonnance avec , parmi les scénarios de l'INRA et de la DATAR, ceux qui aboutissent à un développement économique équilibré et à un peuplement harmonieux des campagnes. Il s'agit en l'espèce du scénario n° 4 de l'INRA (« Les campagnes dans les mailles des réseaux des villes ») et du scénario n° 4 de la DATAR (« Le canevas territorial des systèmes entreprenants »).
Ces deux scénarios, qui ne sont pas sans parenté, évitent les nombreux écueils qui sont alternativement développés dans les autres scénarios - parmi lesquels se trouvent les trajectoires tendancielles identifiées par l'INRA et la DATAR - et qui ont été souvent évoqués au cours de nos auditions et de l'atelier.
Ces écueils résident essentiellement dans l' isolement ou l' exploitation des campagnes, dans leur arraisonnement par les métropoles ou leur confinement dans une logique d'étalement urbain ou, à l'inverse, dans une muséification desséchante ou une gentrification déséquilibrante.
Il est alors possible de formuler un certain nombre de recommandations ou, plutôt, d'orientations d'ordre général tendant à la réalisation du scénario souhaitable, plutôt qu'à la poursuite des évolutions tendancielles.
b) Une option politique : l'aménagement de tout le territoire
En somme, les travaux qui sont présentés sont le fruit d'une démarche volontariste et politique consistant :
- à déterminer un scénario d'évolution des campagnes françaises qui soit à la fois crédible et mobilisateur pour chacune d'entre elles ;
- à donner les grandes lignes des politiques publiques qu'il conviendrait de mettre en oeuvre aux fins de sa réalisation.
Nous partons du postulat que les campagnes doivent être regardées comme des remèdes ou des alternatives aux problèmes des zones urbaines, qui demeureront les principaux pôles de création d'activité. Les trois figures de la campagne mentionnées plus haut - campagne ressource, campagne cadre de vie et campagne nature - peuvent aisément être comprises dans cette optique susceptible d'inspirer des politique dynamiques de valorisation et d'animation.
Il s'agit en particulier de favoriser partout le renforcement, du moins le maintien de l'activité économique , sans quoi des territoires entiers seront transformés en déserts, au mieux en réserves naturelles vides de résidents, destinées à la fréquentation muséale de populations extérieures privées de tout lien pérenne avec elles.
C'est une option forte pour l'avenir des campagnes. Il ne va pas de soi, en effet, de s'obstiner à aménager tout le territoire et de refuser , quelles que soient les tensions sur la ressource budgétaire, d'en délaisser certains pans au motif que les difficultés y sont structurelles . Dans une telle hypothèse, les services publics, la population et l'activité se raréfieraient et seuls les plus pauvres ou les moins mobiles se trouveraient confinés dans ces espaces, qui seraient rapidement dévastés.
Nous n'envisageons pas davantage de concentrer les moyens dans les territoires où la dépense publique, d'un point de vue strictement comptable, aurait un effet multiplicateur plus important , c'est-à-dire essentiellement dans de grands pôles urbains, mais aussi dans les zones rurales dont la dynamique économique est avérée.
La valorisation des campagnes doit revêtir une dimension économique forte là où existe un potentiel de développement et c'est, au fond, presque partout le cas, dans l'agriculture, dans l'industrie ou dans les services. Une des richesses de la campagne, qui est l'espace, doit pouvoir être mobilisée à cette fin dans le cadre d'une planification négociée des différents usages.
Par ailleurs, en tant que lieu de vie, les campagnes doivent fournir à leurs habitants et visiteurs l'ensemble des services disponibles dans la société moderne (commerces, administrations, soins) sans quoi, faute de résidents, les revenus engendrés par l'activité économique seront essentiellement dépensés ailleurs, favorisant alors le développement d'autres territoires. Ainsi, pour ce qui concerne en particulier les services publics, les critères d'implantation ou de maintien ne peuvent être identiques à ceux des villes.
La vision politique de l'avenir des campagnes ne peut être que celle de l'équilibre, aussi les mouvements de concentration économique et démographique vers les grandes villes et les métropoles devront-ils être maîtrisés. Freiner les polarisations excessives est l'un des enjeux principaux de l'avenir des campagnes.
En fonction de ces orientations éparses dont certaines tendances majeures telles que la repopulation d'un grand nombre de territoires ruraux confirment la faisabilité, les politiques publiques à mettre en oeuvre à l'horizon 2030/2040 devront être inspirées par l'objectif de ne pas faire obstacle au nom d'objectifs de rentabilité à court terme à la construction des campagnes de demain, mais de rendre cet avenir fécond en préservant l'« éventail des possibles » .
TROIS INTERROGATIONS PRÉALABLES
La construction de scénarios concernant l'avenir des campagnes implique au préalable de se débarrasser de quelques préjugés, de s'approprier une grille d'analyse adéquate, de porter un diagnostic lucide et de poser les bonnes questions.
Le nouvel essor des campagnes , dont beaucoup se réjouissent et qui serait caractérisé par une reprise démographique indéniable assorti d'un certain renouveau économique , social et culturel mérite un plus ample examen .
Comment interpréter la reprise démographique observée dans les zones rurales ?
Si l'on admet que la démographie a un impact direct sur l'activité - qui est essentielle pour le devenir humain, social et culturel des territoires -, que sait-on , au juste, des conditions et des modalités de la croissance économique dans les campagnes ? Quel rôle, en particulier, y jouent les villes ?
Enfin, dans la concurrence entre les territoires, les campagnes sont-elles placées dans une position équitable ?
I. COMMENT QUALIFIER LA RURALISATION EN COURS ?
Entre 1999 et 2010 , la superficie de l' espace urbain en métropole a progressé de 19 % , pour représenter 22 % du territoire . Il porte désormais 77,5 % de la population . Dans le même temps, la superficie de l' espace rural a régressé de 4 % , pour représenter 78 % du territoire . Cet espace comprend 22,5 % de la population 26 ( * ) .
C'est pourtant à la campagne que la croissance démographique est la plus forte.
A. UNE EXPANSION DE LA SPHÈRE URBAINE PAR LES CAMPAGNES
Entre 1999 et 2007 , la population urbaine a progressé de 4,6 % , passant de 45,8 millions à 47,9 millions d'habitants.
Avec une superficie qui a augmenté de 19 % en dix ans, le rythme de croissance de l'espace urbain entre les recensements de 1999 et 2007 a été plus rapide que lors des décennies précédentes et se rapproche de celui observé dans les années 1950-1960.
Mais la définition de la commune urbaine par l'INSEE répond à des critères frustes ( supra ) si bien qu'elle peut recouvrir des réalités très différentes, dont certaines ne correspondent pas à l'idée qu'on se fait spontanément de la ville.
Ainsi que le note Olivier Piron, inspecteur général de l'équipement, faut-il vraiment parler de ville « pour des communes rurales qui viennent tout juste de passer le seuil de 2 000 habitants agglomérés, grâce à quelques retraités qui reviennent au pays, la reprise de la natalité chez les habitants et des étrangers qui viennent s'y fixer ? C'est en Corrèze, et dans les Hautes-Alpes, que le taux d'urbanisation a le plus progressé, mais de nouvelles villes y sont-elles pour autant apparues ? ».
De fait, en détaillant l'évolution de la population des unités urbaines selon leur taille, il apparaît que la croissance démographique de l'espace urbain est essentiellement le fait des plus petites unités urbaines , celles de moins de 10 000 habitants.
LES ÉVOLUTIONS DE POPULATION DANS LES UNITÉS URBAINES SELON LA TAILLE
Que ce soit par l'agrandissement d'agglomérations existantes ou par l'apparition de nouvelles villes isolées, ces unités urbaines expliquent, à elles seules, plus de la moitié (9 700 km 2 ) de la croissance de l'espace urbain, alors que seulement 16 % de la population urbaine y vivent.
L'INSEE constate ainsi que « la croissance du territoire urbain s'observe (...) surtout dans la partie la moins dense de l'espace urbain ». C'est celui de la dernière couronne de l'étalement urbain, là où les constructions participent souvent au « mitage », tant décrié, du paysage.
C'est aussi là où le territoire « vécu », quoiqu'urbain au sens de l'INSEE, est le plus proche d'un territoire rural . Ainsi que l'observe Olivier Piron, inspecteur général de l'équipement, « les zones urbaines denses (plus de 5 000 habitants et une densité résidentielle 27 ( * ) brute supérieure à 2 500) ont perdu du poids démographique depuis 1968 (elles représentent moins de 10 % de l'augmentation démographique métropolitaine dans cette période). On urbanise désormais par les campagnes ».
B. UNE REPRISE ÉNERGIQUE DE LA DÉMOGRAPHIE RURALE ...
1. Une reprise marquée
Dans un périmètre constant, celui correspondant à la délimitation des espaces urbains et ruraux de 2010, l'augmentation de la population urbaine ( 4,6 % de 1999 à 2007) doit être comparée à celle de la population rurale , qui a progressé de 9 % , passant de 12,8 à 13,9 millions d'habitants (voir tableau supra ).
La réalité de cette progression de la population rurale, déjà forte au demeurant, est partiellement occultée par le fait que près de 1 400 communes ont basculé de l'espace rural à l'espace urbain entre 1999 et 2010, communes dont les effectifs sont passés de 1,69 à 1,93 millions d'habitants, soit une progression de 14,4 %.
Si l'on considère que nombre de ces basculements ne correspondent pas à un véritable bouleversement de la nature des territoires considérés, il est tout aussi pertinent de s'en tenir au périmètre de 1999 pour évaluer la progression de la population dans l'espace rural , qui tangente alors les 10 % .
CROISSANCE DE LA POPULATION DANS L'ESPACE RURAL
(en millions d'habitants)
1999 |
2007 |
Evolution |
|
Espace rural périmètre 2010 (A) |
12,8 |
13,9 |
9,0 % |
Communes devenues urbaines en 2010 (B) |
1,7 |
1,9 |
14,4 % |
Communes devenues rurales en 2010 (C) |
0,1 |
0,1 |
- |
Espace rural périmètre 1999 (A+B-C) |
14,3 |
15,7 |
9,7 % |
Source : délégation à la prospective, données INSEE
2. Une reprise différenciée
Bien entendu, le renouveau démographique des campagnes n'est pas général. La carte qui suit, produite par la DATAR dans le cadre de la publication en 2012 de sa nouvelle typologie des campagnes françaises, permet de distinguer :
- les territoires ruraux en forte reprise démographique , globalement situés à proximité du littoral, à l'Ouest et au Sud ;
- les territoires ruraux se trouvant, au contraire, en situation de recul démographique , qui sont essentiellement constitués des campagnes situées dans la « demi-diagonale du vide », du Centre au Nord-Est, et d'une multitude de bassins, bourgs et petites villes pauvres en emplois. Ces espaces sont disséminés sur le territoire mais avec une concentration plus marquée au Nord, à l'Est et au Centre (on rejoint ici le champ des « campagnes fragiles » de l'ancien découpage de la DATAR).
A noter que, le poids des industries situées à l'Ouest devenant supérieur au poids de celles qui demeurent implantées à l'Est, les territoires de la « demi-diagonale » connaissent en quelque sorte une « double peine ».
- les territoires ruraux connaissant une reprise modérée , qui présentent diverses situations intermédiaires en termes de dynamisme économique ou d'aménités résidentielles.
POPULATION ET CONDITIONS DE VIE DANS LES CAMPAGNES FRANÇAISES
Source : DATAR
3. Une reprise qui n'est pas sans exemple hors nos frontières
Les comparaisons internationales, en matière d'évolutions respectives des démographies urbaines et rurales, ne sont pas aisées. Certains pays (par exemple le Royaume-Uni et les pays scandinaves) changent souvent de découpage administratif au niveau le plus fin. D'autres pays ont un découpage trop grossier ; d'autres encore ont des unités de regroupement humain qui sont suffisamment fines, mais auxquelles ne sont pas associées les coordonnées géographiques (longitude/latitude) qui permettraient de les cartographier utilement.
La situation est plus simple dans les pays qui, pour avoir été soumis à l'administration napoléonienne, ont conservé le principe de la commune à la française : l'Italie, la Suisse, l'Espagne et l'Allemagne rhénane.
Quoi qu'il en soit, sur la base des données pertinentes, il semblerait que, dans les pays voisins, un mouvement d'étalement urbain tende à succéder systématiquement à un mouvement de contraction correspondant à une phase préalable d'industrialisation .
Ainsi, en raison d'un exode rural plutôt tardif en France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, puis l'Allemagne de l'Ouest dans les années cinquante, nous auraient largement précédés dans un mouvement prévisible d'étalement des populations dans les territoires 28 ( * ) .
La crise économique actuelle constituerait en outre une incitation circonstancielle à cet étalement : les pays du Sud de l'Europe se trouvant en récession à la suite de politiques d'ajustement budgétaire énergiques auraient déjà connu, dans la période récente, un exode urbain marqué.
C. ... DONT LE SENS N'EST PAS UNIVOQUE
La reprise démographique observée dans les territoires ruraux ne veut rien dire : les campagnes sont-elle plus attractives ou deviennent-elles des espaces de relégation pour des populations fragiles ?
1. Une sociologie encore particulière
a) Des espaces résidentiels, plutôt ouvriers et comparativement pauvres
• Sur longue période, Martin Vanier,
professeur de géographie et d'aménagement à
l'université Joseph Fourier (Grenoble I) relève
qu'«
on sort d'une époque où la campagne
était exclusivement conçue comme un espace de production
agricole, ce qui n'aura d'ailleurs été qu'une exclusivité
passagère dans son histoire
, disons dans la seconde
moitié du XXème siècle productiviste. Désormais
s'affirme le caractère habitable, résidentiel, des campagnes et,
au fond, il est plutôt rassurant d'occuper le territoire, et par
« habitable » il faut entendre l'ensemble des fonctions par
lesquelles un territoire accueille des ménages, y compris son
économie de services
».
Le monde rural demeure essentiellement résidentiel . Un Français sur quatre est résident d'une commune rurale, mais seul un sur huit y travaille .
• Comme le souligne un rapport récent de
l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), le monde
rural est par ailleurs caractérisé par
«
une part élevée d'ouvriers de l'industrie
et d'employés et un déficit de cadres et professions
intellectuelles
».
L'EMPLOI PAR CATÉGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES
(CSP)
DANS L'ESPACE RURAL
La part de l'emploi rural dans l'emploi total étant de 17 %, se trouvent donc surreprésentés dans les campagnes :
- les ouvriers (23 % de l'emploi total situé l'espace rural) ;
- les artisans, commerçants et chefs d'entreprise (23 %) ;
- les agriculteurs (59 %).
Se trouvent, en revanche, sous-représentés :
- les professions intermédiaires (13 %) ;
- les cadres et professions intellectuelles supérieures (8 %).
Si les employés (16 %) sont très légèrement sous-représentés, leur dynamique est cependant positive car, parmi les « migrants », leur part excède de 1,2 point celle observée dans la population rurale prise dans son ensemble (tableau infra ).
• Enfin, les zones rurales se
caractérisent, en moyenne, par des
situations de pauvreté
plus fréquentes
, avec un taux de pauvreté (13,7 %)
supérieur de deux points à celui de la France entière
(11,7 %).
Source : IGAS, revenus disponibles localisés 2004 - INSEE-DGI
Les zones de forte pauvreté rurale (en bordeaux) apparaissent globalement plus étendues que les zones de forte pauvreté générale. On constate aussi que la géographie de la pauvreté et celle de l'activité ne sont pas corrélées.
Un découpage par quartiles de revenu confirme, d'une façon générale, la plus forte prégnance de la pauvreté et des classes populaires dans les campagnes, et la rareté relative des foyers français les plus aisés :
DISPERSION DES MÉNAGES PAR QUARTILE DE REVENU ET PAR CATÉGORIE D'ESPACE
Source : Yannick Sencébé, Enquête permanente des conditions de vie (EPCV), exploitation CESAER (1996-2004)
b) Un volant d'inactivité et de pauvreté persistant, mais un lent rééquilibrage socioprofessionnel
D'après l'IGAS, « l'observation de la nature des migrations ne laisse (...) guère planer (...) de doute sur sa médiocre contribution à un « rééquilibrage » de la composition socioprofessionnelle de la population rurale. « L'exode urbain » est pour une grande part une migration de pauvreté ».
Sur la base du tableau suivant, « on voit que les nouveaux arrivants tendent surtout à renforcer les professions faiblement qualifiées déjà dominantes, et notamment les employés. L'importance relative des arrivées de personnes sans activité professionnelle (retraités, mais surtout « autres sans activité ») est à souligner ; ces situations représentent en effet plus de 30 % des nouvelles arrivées d'adultes de 15 à 65 ans (c'est-à-dire « d'âge actif »). L'apport en actifs est limité ».
RÉPARTITION PAR CATÉGORIES
SOCIOPROFESSIONNELLES
DE LA POPULATION RURALE DE 15 À 64
ANS ET DES MIGRANTS DE 15 À 64 ANS DANS L'ESPACE RURAL EN
PROVENANCE D'AUTRES RÉGIONS
Par ailleurs, l'arrivée de retraités tend à renforcer le caractère « d'économie résidentielle » des zones rurales.
Si l'on se cantonne à la population active, un certain rééquilibrage paraît cependant à l'oeuvre , ainsi que le tableau ci-après tend à l'établir :
PART DE CHAQUE CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE PARMI LES ACTIFS FRANÇAIS, RURAUX ET « MIGRANTS » DEPUIS MOINS DE CINQ ANS
Part de chaque CSP |
|||
Dans la population française 29 ( * ) |
Dans la population rurale 30 ( * ) |
Parmi les « migrants » 31 ( * ) |
|
Agriculteurs exploitants |
1,7 % |
6,6 % |
1,2 % |
Artisans, commerçants,
|
5,8 % |
7,6 % |
7,2 % |
Cadres et professions intellectuelles supérieures |
15,1 % |
6,6 % |
12,7 % |
Professions intermédiaires |
24,3 % |
18,6 % |
25,5 % |
Employés |
29,3 % |
28,1 % |
30,5 % |
Ouvriers |
23,8 % |
32,5 % |
23,0 % |
Total |
100 % |
100 % |
100 % |
Source : délégation à la prospective, IGAS, INSEE
On s'aperçoit que, parmi les « migrants », les apports constatés au sein des différentes CSP tendent à rééquilibrer leurs poids respectifs dans la population rurale de manière à nuancer, sans le contredire, le diagnostic global d'une « migration de pauvreté ».
2. Un « vécu » et des aspirations de moins en moins homogènes ?
Le renouveau démographique des campagnes est la conséquence de décisions individuelles relevant principalement de deux catégories : « retour » à la campagne pour la retraite ; choix pour les actifs, voire des inactifs, d'une résidence plus éloignée des villes pour des raisons économiques ou de confort. Parallèlement, le nombre de résidences secondaires augmente dans de nombreuses campagnes.
Ainsi que le note le député Pierre Morel-A-L'Huissier 32 ( * ) , « avec ce renouvellement des populations, véritable chance pour la ruralité, tarde à s'opérer une synthèse difficile. On observe en effet une certaine incompréhension entre ces populations, qui résulte souvent d'une insuffisance de dialogue . Les traditions locales doivent être maintenues, diront certains qui s'appuient sur un vécu plurigénérationnel. Même si elles heurtent de nouveaux habitants, qui conservaient de la vie à la campagne une image d'Epinal . (...) Heureusement, la querelle des anciens et des modernes n'existe pas partout, et elle ne tourne pas toujours à la caricature ».
Cette « querelle » a bien souvent lieu à front renversé , entre une population ancrée et active, qui se trouve dans une logique de promotion tous azimuts de l'activité économique, et des résidents (retraités, propriétaires ou locataires de résidences secondaires) qui manifestent un attachement supérieur à certaines caractéristiques locales, qu'il s'agisse de la beauté des paysages, de l'habitat, de caractéristiques environnementales (pureté de l'air, de l'eau...) ou encore d'une certaine forme de tranquillité.
Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, indique ainsi que « le seuil d'acceptabilité des projets (...) ne cesse de s'élever , non seulement en raison des obstacles soulevés par les résidents de longue date, mais encore à cause de l'énergie que peuvent déployer certains périurbains récemment installés qui sont parfois très soucieux de préserver l'intégrité des aménités qu'ils étaient venus chercher .
« Par exemple, je me souviens de l'échec d'un projet d'implantation du groupe Andros dans le pays basque, qui avait été l'enjeu d'une élection municipale. Autre exemple, dans le Nord-Est de la France, on observe une tendance à refuser l'implantation d'entreprises au motif qu'elles seraient aussi polluantes que celles qu'elles seraient venues remplacer ».
André Torre, directeur de recherche à l'INRA, remarque pour sa part que, « dans l'ensemble, les recours administratifs progressent parmi une population de plus en plus informée, cela, bien souvent, dès la déclaration d'utilité publique. Les « petits » changements débouchent sur de « petits » conflits, et les « gros » changements débouchent sur de « gros » conflits ».
A l'arrivée, Yannick Sencébé, maître de conférences en sociologie du centre d'économie et de sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux (CESAER) de l'INRA, souligne que « le rural est un lieu d'émancipation pour certains, et d'enfermement pour d'autres ». Elle observe que les manières de vivre dans chaque espace dépendent des conditions sociales plus que de la zone habitée et que ceux qui ont fait le choix de l'ancrage rural sont ceux qui vivent le mieux la ruralité .
En revanche, selon elle, les artisans, les commerçants et les agriculteurs qui ont « raté » l'exode rural se regardent parfois comme ayant raté l'ascension sociale. Lorsque c'est le cas, le retour des « autres » pour la retraite « est comme un miroir de leur déclassement ».
Quoiqu'il en soit, la plupart des observateurs du monde rural s'accordent pour constater une convergence des besoins exprimés par les habitants des zones rurales vers ceux qui se trouvent déjà satisfaits dans les zones urbaines, même pour les personnes dont l'ancrage rural est ancien.
Le député Pierre Morel-A-L'Huissier observe ainsi que « le mélange des populations et la diffusion du progrès technique ont contribué à faire évoluer les mentalités et les aspirations du monde rural . Il n'est aujourd'hui plus acceptable dans une commune isolée de se voir privé d'équipements et de services qui seraient réservés aux zones urbaines. Il existe une très forte demande pour des infrastructures, pour de la proximité, pour de la présence. Les comportements se rapprochent, ainsi que les pratiques sociales, et les revendications avec » 33 ( * ) .
3. Une question encore en suspens
Si la ville a été longtemps synonyme de modernité, elle n'est plus la seule. La campagne est aujourd'hui porteuse d'une image positive de développement, en harmonie avec le développement durable et la protection de l'environnement. Cependant, le sens du regain démographique des campagnes n'est peut-être pas aussi positif qu'on pouvait l'espérer
Une question formulée, voici plus de vingt ans, par Bernard Kayser 34 ( * ) paraît toujours d'actualité : « Le sens de la relocalisation n'est pas découvert pour autant. N'est-elle que l'expression de la crise économique et de son cortège de restructuration, de la crise urbaine ? Ou bien se développe-t-elle positivement, dans un système dynamique ou c'est la volonté collective des acteurs sociaux qui réinvestit de nouveaux territoires ? »
Le propos de Magali Talandier, maître de conférences à l'université Joseph Fourier (Grenoble I), confirme aujourd'hui cette ambivalence : « les moteurs de cette tendance sont l'augmentation du temps libre à l'échelle de la vie et l'aspiration à un certain cadre de vie. L'augmentation générale du niveau de vie a eu un effet ambivalent car elle favorise les résidences secondaires, la birésidence de ménages retraités ou actifs aisés dans certaines campagnes mais il est tout aussi exact que les campagnes attirent également des personnes moins aisées pour des questions de coût de l'immobilier ».
Il semblerait alors que l'exode urbain, lorsqu'il est choisi, alimente plutôt le rural profond, alors que les exodes « subis » concerneraient majoritairement les campagnes périurbaines. Mais en tout état de cause, sur la base de l'analyse qui précède, « il n'y a aucune raison pour que cette dynamique cesse brusquement ».
II. LE DÉVELOPPEMENT RURAL OBÉIT-IL À DES LOIS SPÉCIFIQUES ?
Si l'on compare le profil économique de l'espace rural et de l'espace urbain suivant une grille comprenant cinq grands secteurs d'activité, il apparaît que les services sont les premiers pourvoyeurs d'emploi dans les deux catégories d'espaces, suivis de l' industrie .
Hormis la place de l'agriculture, le profil général de l'activité n'apparaît pas radicalement différent.
RÉPARTITION DE L'EMPLOI PAR SECTEUR
Espace à dominante urbaine - en bleu / espace à dominante rurale - en rouge
Source : INSEE (2004-2007)
En tendance, l' emploi agricole subit, sans surprise, une érosion continue, à rapprocher de l'augmentation de la taille des exploitations. Concernant l' industrie , les implantations rurales résistent en dépit de la tendance générale à la désindustrialisation, notamment en raison de délocalisations d'établissements en provenance des villes ; l'INRA note, à cet égard, que « les avantages comparatifs des espaces ruraux tiennent, en plus des ressources fixes, aux caractéristiques de la main-d'oeuvre et de l'organisation locale » 35 ( * ) .
Mais ce sont les activités tertiaires qui progressent le plus, avec une croissance annuelle de 2 % dans l'espace à dominante rurale. Or, à la différence de l'espace urbain, les services y sont presque exclusivement tournés vers la population locale (petit commerce, santé, administration...). Les campagnes, prises dans leur ensemble, ont une économie largement axée sur les besoin des résidents.
En réalité, l'autre versant du regain démographique observé dans les campagnes est l'essor de cette économie dite « présentielle » qui, alimentée par la dépense des résidents, devient prépondérante. C'est pourquoi une approche économique par le revenu, et non par la production, permet de mieux caractériser et anticiper le développement local en général, et dans les zones rurales en particulier.
A. ANALYSE PRÉALABLE DES CONDITIONS DU DÉVELOPPEMENT LOCAL
En dépit des critiques dont elle fait parfois l'objet, la théorie de la base économique fournit une grille d'analyse propre à expliquer et caractériser le développement des territoires et à en résoudre les contradictions apparentes.
1. La richesse produite sur un territoire n'apparaît plus comme garante de son développement
Dans « La République et ses territoires » 36 ( * ) (Seuil, 2008), Laurent Davezies explicite le divorce géographique qui est constaté entre forces productives et dynamique de développement.
Jusqu'aux années soixante-dix, le développement d'un territoire pouvait être considéré comme corrélé au PIB, donc à une capacité de production de vente. Mais, dans un contexte de mondialisation, ce lien s'est distendu. Les territoires qui connaissant une croissance soutenue du PIB ne s'avèrent plus ceux du « bien-être », qui reflète plutôt l'attractivité résidentielle que la richesse produite. Les revenus et les dépenses effectuées sur place deviennent des facteurs essentiels au développement.
Au milieu du XX e siècle, le territoire français a connu un étalement de la production aboutissant à une diminution des disparités en termes de PIB. Puis cette tendance s'est inversée dans les années quatre-vingt avec l'ajustement structurel du territoire à la mondialisation. Or, les inégalités de revenu n'ont pas suivi la même évolution. La trajectoire de l'Ile-de-France témoigne de cette dissociation : en 1976, cette région représentait 27 % du PIB et 25 % des revenus français alors qu'en 2008 elle concentrait 29 % du PIB et 22 % des revenus.
Quelles sont les raisons du décalage entre richesse créée et richesse disponible ? En premier lieu, les mécanismes de redistribution , dont l'emprise sur l'économie devient prépondérante. Il n'existe pas une seule région française où la somme des salaires privés soit supérieure à la somme des revenus publics et des prestations sociales...
En deuxième lieu, les retraites , dont le poids dans le revenu des territoires est très inégal. Les grands gagnants sont ainsi les régions du Sud, par ailleurs en retard de développement. En revanche, un déficit de revenus de retraites s'observe dans les régions du Nord-Est, qui sont déjà pénalisées en termes de développement.
En dernier lieu, les transferts privés de revenus , liés à l'ubiquité croissante des Français qui travaillent, vivent et passent leurs vacances en différents endroits.
2. Une approche micro-keynésienne : la base économique
La théorie de la base, probablement due à Werner Sombart et conçue en 1916 37 ( * ) , énonce que l' économie locale repose sur deux piliers 38 ( * ) :
- le secteur basique , qui permet de capter des revenus provenant de l'extérieur du territoire considéré (revenus extérieurs appelés « bases », ou revenus basiques) ;
- le secteur domestique qui répond à la demande locale de biens et services.
Le secteur basique constitue le moteur de l'économie locale, tandis que le secteur domestique permet la circulation des bases - c'est-à-dire des revenus captés à l'extérieur - au sein du territoire considéré.
Partant de cette théorie, Laurent Davezies distingue quatre types de bases , qui constituent autant de catégories de revenus venant irriguer l'économie des territoires et favoriser leur développement :
- l a base productive privée (22 % des revenus basiques 39 ( * ) )
Cette base, qu'on pourrait appeler base exportatrice, repose sur la vente de biens et services produits localement et exportés. La capacité productive du territoire et ses avantages comparatifs déterminent le poids et la dynamique de cette base productive ;
- l a base résidentielle (45 % des revenus basiques)
Elle comprend l'ensemble des revenus qu'un territoire capte à l'extérieur grâce, cette fois, à des atouts de nature non pas productive, mais résidentielle (aménités, environnement, paysage, cadre de vie, foncier résidentiel...). Cette base comprend d'abord les retraites (environ 50 %), les dépenses des touristes (environ 30 %), puis les revenus des « navetteurs », c'est-à-dire des actifs occupés qui habitent dans le territoire mais travaillent à l'extérieur (environ 20 %) ;
- la base publique (10 % des revenus basiques)
Elle comprend l'ensemble des traitements des fonctionnaires « non navetteurs » ;
- l a base sociale et sanitaire (23 % des revenus basiques)
Elle comprend l'ensemble des revenus de transfert et les remboursements de soins de santé de la sécurité sociale.
Si ces quatre bases sont déterminantes pour les territoires, elles n'ont pas la même nature : la première est liée à la production, tandis que les trois autres sont essentiellement liées à la résidence.
Elles n'ont pas non plus le même poids, la base résidentielle constituant de loin, en moyenne, le premier poste , certain calculs lui attribuant même plus de la moitié des bases.
Le processus de développement ne s'arrête pas là. Une fois les revenus extérieurs identifiés se pose la question de leur circulation dans le territoire, de manière à enclencher un mécanisme keynésien de « multiplicateur » : les revenus dépensés localement suscitent la création d'emplois et de revenus qui sont eux-mêmes, pour partie, injectés dans l'économie locale, etc. C'est là qu'intervient en premier lieu le secteur domestique .
En effet, les bases mesurent, en quelque sorte, le potentiel et la nature du développement local mais, pour que ce dernier se concrétise, elles doivent se diffuser dans le territoire. En outre, l'ensemble des secteurs domestiques, ou « présentiels » (commerces, services de proximité...) ne sont pas seulement induits par le développement, ils sont aussi inducteurs de développement.
Au final, la séquence est donc la suivante : l'apport de revenus extérieurs (productifs ou non) entraîne une hausse des emplois présentiels à condition qu'ils soient dépensés localement, puis la présence de biens et services peut, à son tour, constituer un facteur d'attractivité auprès des populations ou des entreprises.
En quelques décennies, la base résidentielle et, plus généralement, l'ensemble des moteurs non productifs sont devenus des facteurs déterminants pour le développement des territoires . Le développement économique d'un territoire repose toujours, certes, sur des enjeux productifs mais, dans bien des cas, les enjeux résidentiels deviennent prédominants. Comment ces deux types de base se combinent-ils ?
3. Economie présentielle et développement local
La théorie de la base économique a été précédée par la nouvelle économie géographique ( NEG ), engagée par Paul Krugman 40 ( * ) au début des années quatre-vingt-dix. Ce modèle prédit un déséquilibre croissant au profit des métropoles les plus riches, le développement y attirant le développement en raison d'une densification locale de la main d'oeuvre, des clients et des fournisseurs, ainsi que de l'émergence d'infrastructures performantes.
Des « avantages cumulatifs » se concentrent alors dans les métropoles (de même que, selon l'économiste David Ricardo, différents « avantages comparatifs » caractérisaient les nations dans leurs échanges extérieurs). La valorisation des pôles de compétitivité, des « grappes d'entreprises », « clusters » et autres systèmes productifs locaux s'inscrit dans ce paradigme, où le principal indicateur du succès des politiques locales est la richesse produite.
La théorie de la base économique est alors venue rappeler que le développement local, à la fois marque et résultat d'un certain « bien-être » éprouvé par la population locale, n'est pas garanti par la seule croissance de la production.
Certes, celle-ci doit être recherchée, sans doute au prix d'une certaine concentration spatiale de l'appareil productif, afin de permettre la formation d'avantages cumulatifs qui confortent sa performance à l'échelle internationale et, partant, la richesse du pays.
Mais le développement local, celui qui est vécu par la population, repose bien sur le secteur domestique (désormais, on parle plutôt ici d'« économie résidentielle », ou encore d'« économie présentielle », cette désignation ayant dorénavant la préférence de l'INSEE, qu'elle définit comme regroupant « les activités mises en oeuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu'elles soient résidentes ou touristes »).
Après la production, la répartition du revenu constitue donc un second levier susceptible d'être actionné pour tendre à un développement équilibré du territoire .
Sans qu'il s'agisse d'une politique identifiée en tant que telle au niveau national , ce levier est largement actionné en France, si l'on en juge par l'importance des bases publiques et sociales .
Comme nous le verrons, au niveau local , ce levier est désormais, non seulement bien identifié (notamment à la suite des travaux précités de Laurent Davezies), mais encore, volontiers actionné afin de favoriser délibérément une base résidentielle dont le gonflement constitue, bien souvent, le premier pilier (secteur basique) d'une stratégie locale de développement. Le second pilier (secteur domestique) de cette stratégie consiste alors à stimuler l'offre locale - commerces, services à la personne, culture etc. - pour augmenter la propension à consommer sur place.
B. QUELLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT ?
1. Un essai de caractérisation des campagnes par type de revenu
Magali Talandier 41 ( * ) a réalisé, à partir des revenus basiques, une typologie des 1 050 bassins de vie ruraux en France métropolitaine. Un premier constat s'est imposé : les revenus résidentiels prédominent dans tous ces bassins . D'importantes nuances apparaissent ensuite, certains bassins se trouvant plus productifs ou plus touristiques que les autres.
Les qualificatifs utilisés ci-après reprennent les noms des revenus basiques qui, après les revenus résidentiels, caractérisent les différents bassins ruraux, ce qui conduit à en distinguer six types.
Source : Magali Talandier, 2008.
Cette géographie souligne la diversité des dynamiques rurales. En particulier, la « diagonale du vide » n'apparaît pas homogène : l'agriculture rurale y est couplée, au Nord-Est, à d'autres activités productives et, au Sud-Ouest, à l'apport des retraités et du tourisme.
Dans la moitié nord du pays, les bassins ruraux du type « productifs - migrants alternants et Assedic » se situent plutôt à proximité d'une aire urbaine et sur le pourtour francilien. Le type « productif et agricole » domine à l'Ouest ainsi que dans certains départements agricoles ou viticoles des régions de l'Est : Champagne-Ardenne, Bourgogne et Franche-Comté. Toujours dans cette moitié nord, certains bassins ruraux sont moins attractifs auprès de jeunes actifs - ou peut-être plus attractifs auprès de retraités - puisque leur base est dominée par les retraites. Ces bassins de retraités sont également plus touristiques que la moyenne près du littoral des Côtes-d'Armor, de la Manche ou encore de la Somme. C'est également le cas de quelques bassins de l'Yonne, de la Nièvre, de l'Allier, du Cher et de l'Indre. Enfin, on note que certains de ces bassins sont encore très agricoles. Ces bassins « retraites et agriculture » se situent au coeur de la Bretagne, aux frontières du Limousin, du Centre et de Poitou-Charentes ou encore dans la Nièvre et en Côte-d'Or. Le profil « bassin de tourisme » est quasiment absent dans cette moitié nord métropolitaine. Au sud d'une ligne La Rochelle-Annecy, on peut distinguer les départements « extérieurs », littoraux ou frontaliers, plus touristiques, et des départements intérieurs plus agricoles. Les bassins caractérisés par les retraites et l'agriculture sont concentrés dans le Cantal, l'Aveyron, le Gers ainsi qu'en Lozère et en Corrèze. Les bassins « retraites et tourisme » se situent soit plus à l'ouest jusqu'aux Pyrénées (Charente-Maritime, Dordogne, Lot, Gers, Pyrénées- Atlantiques et Hautes-Pyrénées), soit dans les arrière-pays du pourtour méditerranéen et en Corse. Les bassins « retraites, tourisme et minima sociaux » sont typiques des départements méditerranéens, jusqu'au sud de l'Ardèche et à l'est de l'Ariège. Ce type de bassin apparaît aussi sur le littoral de la Gironde ou des Landes. Les bassins de tourisme décrivent les bassins ruraux alpins, pyrénéens, ou bien encore l'arrière-pays varois et certaines stations balnéaires de l'Atlantique. Enfin, au sein de cette France rurale du Sud, résidentielle et récréative, se distinguent quelques bassins plus productifs. Ils se situent dans la vallée du Rhône et aux alentours de Lyon, dans la périphérie éloignée de Toulouse, au contact des aires urbaines de Nîmes et Montpellier, ou encore de façon plus éparpillée dans l'extrême Sud-Ouest de la France. Source : Magali Talandier « Une autre géographie du développement rural : une approche par les revenus ». Publié dans la revue Géocarrefour, Vol. 83-4, avril 2008 |
2. Le risque d'un certain tropisme vers le « tout résidentiel »
Dans les espaces ruraux, la base résidentielle , principal moteur de l'économie présentielle, représente 62 % du secteur basique (25 % pour les retraites, 20 % issus du tourisme et 17 % des « navetteurs ») contre moins de 50 % en moyenne. La base productive en représente 14 %, la base publique 5 % et la base sanitaire et sociale, 20 % 42 ( * ) .
Si l'on exclut les territoires dont la base productive est constituée d'activités dynamiques et fortement ancrées, plusieurs considérations plaident localement pour renforcer la base résidentielle , considérations susceptibles de maintenir, sinon de reléguer le développement de la base productive parmi les objectifs de second rang :
•
la forte incidence de la base
résidentielle, en raison de sa prépondérance, sur le
développement local
Son effet d'entraînement sur la vie locale est particulièrement sensible dans les campagnes. Les nombreuses communes rurales dont la dynamique démographique est faible ou négative sont naturellement enclines, pour préserver leurs commerces ou leurs services (et particulièrement, parmi les services publics, leur école), à chercher en toute priorité le renforcement de leur base résidentielle...
Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la dynamique des territoires à la DATAR, rappelle que « l'économie présentielle est très intéressante pour les territoires, puisque cent habitants présents créent en moyenne vingt emplois, ce ratio tendant même à augmenter », même si « l'emploi présentiel est souvent précaire » ;
• une moindre sensibilité de la base
résidentielle aux fluctuations macro-économiques
La base productive est directement exposée 43 ( * ) aux aléas économiques, à l'inverse de la base résidentielle. En outre, dans un contexte de crise économique, il devient beaucoup moins facile de susciter la création d'entreprises, et beaucoup plus aisé d'attirer des ménages repoussés hors de certaines zones urbaines par le coût du logement (même si ce contexte est, en revanche, favorable à la délocalisation d'entreprises en provenance des villes) ;
• certains effets d'éviction du
développement de la base résidentielle sur la base productive
Des phénomènes de pression foncière ou de lutte contre les nuisances peuvent conduire à une situation où la base résidentielle phagocyte progressivement la base productive. Caroline Larmagnac le souligne, « une certaine concurrence est possible entre les activités productives et les usages résidentiels, notamment en ce qui concerne l'utilisation de la ressource foncière. La coexistence des deux types d'activités est aussi parfois à l'origine de conflits, pas toujours simples à gérer dans les territoires ruraux, avec un degré décroissant d'acceptabilité par les populations résidentes et touristiques des externalités négatives des activités productives (bruit, risques, trafic de poids lourds, etc...) ».
Le jeu de la taxe professionnelle - qui procure aux collectivités accueillant des entreprises, en particulier les communes, des marges financières mobilisables pour se rendre plus attractives auprès des populations - fait normalement contrepoids. Mais à l'échelle des communes, en raison de la réforme de la taxe professionnelle, cette force de rappel tendrait à décliner 44 ( * ) ; Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, déplore ainsi « son évolution dans le sens d'une moindre incitation des communes à y favoriser l'implantation d'entreprises ».
Ces considérations incitent les zones rurales dont l'économie n'est pas ancrée sur une base productive solide à « miser » sur la base résidentielle dans le « mix » de leur secteur basique. Magali Talendier observe qu'« au niveau local, les stratégies se multiplient pour accompagner exclusivement la croissance de l'économie résidentielle ».
Dans les travaux précités, elle cherche à déterminer quels sont les appariements de revenus basiques les plus favorables au développement local. Ses recherches la conduisent à estimer qu'en effet, « l'économie résidentielle joue un rôle décisif dans la revitalisation rurale.
Plus précisément, « c'est l'attractivité auprès des retraités et des touristes qui semble porteuse du dynamisme de l'emploi local et des revenus.
« En effet, les bassins résidentiels mais à caractère plus périurbain semblent souffrir du syndrome de la cité dortoir. La population croît rapidement, mais le développement escompté est limité par les évasions de consommation. Retenons également qu'une large partie des espaces ruraux sont encore fortement marqués par les activités de production « génériques ».
« L'emploi industriel y est, certes, en moindre recul qu'en moyenne en France, mais ces bassins semblent tout de même en délicate posture. Enfin, les territoires misant sur une production peut-être plus spécifique, assise sur des produits territorialement « marketés », semblent « s'en sortir » d'autant mieux qu'ils bénéficient des effets de levier du tourisme ».
Pourtant, force est d'admettre que l'accompagnement exclusif de l'économie résidentielle « en période de crise économique comme nous le vivons est certes compréhensible, mais extrêmement dangereux ». Que peut-il, en effet, advenir d'un pays qui chercherait de toute part à cultiver son attractivité résidentielle en négligeant la production ?
3. Une meilleure cohérence des gouvernances économiques pratiquées à toutes les échelles
Il importe, sans doute, de veiller à ce qu'une juxtaposition de politiques locales mal coordonnées, donnant la préférence aux revenus plutôt qu'à la production, ne débouche, à l'échelle nationale, sur un jeu à somme négative.
L'enjeu de la coordination des politiques locales excède le seul risque d'une préférence trop marquée pour les stratégies résidentielles : le défaut d'articulation entre stratégies productives locales ne peut qu'éloigner la France de l'optimum économique national.
Citons plutôt Laurent Davezies 45 ( * ) :
« Plus grave, comme l'avancent encore Daniel Béhar et Philippe Estèbe 46 ( * ) , la foi dans le caractère positif, localement et nationalement, des projets autonomes de développement des territoires a poussé les gouvernements successifs à encourager la logique de projets locaux ou régionaux tout en prétendant conserver le monopole de l'intérêt national. Ce qui revient à en affranchir les acteurs locaux qui s'en trouvent ainsi explicitement exonérés.
« La lecture des documents stratégiques, qu'ils soient produits par les grandes villes, les intercommunalités, les départements ou les régions, illustre, aux yeux de Béhar et Estèbe, les conséquences de la logique de projet comme fondement de l'autonomie politique : si, au stade du diagnostic, personne n'oublie de « situer » sa collectivité dans l'espace, quand vient le moment d'énoncer la stratégie, on omet soigneusement de signaler en quoi le développement de la collectivité concernée abonde le développement global et ne porte pas atteinte (a minima) à celui de ses voisins .
« La question de l'interdépendance et de la responsabilité politique de participer à la réalisation d'intérêts d'échelle supérieurs est entièrement absente des projets d'agglomération, des schémas régionaux d'aménagement du territoire ou des schémas régionaux de développement économique.
« En bref, les territoires ont aujourd'hui d'autant plus la bride sur le cou pour développer librement leurs projets, que l'Etat assure se charger seul de la cohésion territoriale et de l'intérêt général. On peut pourtant se demander, avec Renaud Epstein ou Patrick Le Galès et Pierre Lascoumes, si l'Etat ne présume pas de ses forces quant à sa capacité, à l'heure actuelle, à « tenir » le territoire, à la fois intellectuellement et stratégiquement.
« A l'heure de la décentralisation et de son approfondissement, il faut donc s'inquiéter de voir monter au-delà du raisonnable une idée d'autonomie du développement des territoires en compétition , alors que nos différents territoires sont les éléments complémentaires d'un système national à forte différenciation géo-fonctionnelle. La compétition entre le foie et les poumons n'augure rien de bon pour le patient. Le modèle territorial « qui marche » aujourd'hui - dans lequel ce sont les territoires où l'on produit le moins dont le revenu progresse le plus ! - ne peut être un modèle national, au risque de devenir le modèle « perdant » . »
Autant dire que vos rapporteurs ne valident pas ce constat d'une quelconque indifférence des collectivités locales à l'intérêt général , qui serait délibérément sacrifié au profit d'intérêts strictement locaux. Ce sont, bien souvent, des préoccupations inverses qui guident leur action. Mais ils ne prétendent pas non plus que l'emboîtement des stratégies est optimal et appellent ainsi de leurs voeux un approfondissement de l'interterritorialité , concept sur lequel on reviendra. De même, ils déplorent corrélativement les effets parfois délétères d'une mise en concurrence excessive des territoires, lorsqu'une saine émulation suffirait.
Au niveau local , les réflexions sur l'intérêt de rééquilibrer ici une base résidentielle prépondérante par un essor de la base productive, là une base productive dominante par un renforcement de la base résidentielle, sont nombreuses. Elles sont précisément soutenues par un « objectif d'équilibre » qui incite à diviser les risques en évitant une dépendance économique trop marquée à la résidence ou à la production.
Mais ces orientations générales demeurent aussi incantatoires que peu argumentées : « si des réflexions de nature plutôt académiques tendent à mettre en avant le bien-fondé de stratégies assises sur un équilibre supposé optimal à trouver entre développement productif et développement résidentiel, aucune analyse de cas conduite dans cette perspective ne permet d'éprouver la robustesse de ce postulat et encore moins le caractère vertueux de stratégies publiques qui viseraient cet objectif. Des investigations complémentaires en ce sens mériteraient d'être conduites afin de mieux comprendre les articulations vertueuses qui seraient à établir entre ces deux dimensions du développement économique local et d'en décrypter les ressorts dynamiques » 47 ( * ) .
*
Finalement, deux objectifs peuvent être affichés dans les conditions actuelles de gouvernance et de connaissance des mécanismes économiques en jeu :
- coordonner le développement économique global avec celui des territoires à différentes échelles, et celui de ces territoires entre eux, ce qui renvoie à l'enjeu de l'interterritorialité ;
- penser et piloter le développement économique local, particulièrement dans les campagnes, en articulant base productive, base résidentielle et économie présentielle.
C. LE RÔLE CRUCIAL DES VILLES PETITES ET MOYENNES
Les campagnes seraient promises à une désertification certaine sans la micro-polarisation des villes, petites et moyennes, qui permettent d'accéder à certains emplois, à certains services et à différents réseaux. Leur vitalité et leur rayonnement local constitue donc un enjeu stratégique pour les territoires ruraux.
1. Des campagnes sous influence
Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, observe « des disparités plus grandes entre territoires ruraux qu'entre l'espace rural pris dans son ensemble et l'espace urbain » qui s'expliquent du fait que « la prospérité des campagnes est sous l'étroite influence des villes dont elles dépendent ».
Pour mesurer cette dépendance, Martin Vanier, géographe, renvoie préalablement aux deux définitions de la ville :
- la définition morphologique de l'INSEE, en application de laquelle 78 % des personnes vivent en ville et 22 % à la campagne, proportions, désormais, relativement stables ;
- la définition fonctionnelle, qui s'appuie sur les aires d'emploi, en application de laquelle 95 % de la population française réside dans des aires urbaines, petites, moyennes ou grandes.
« De ce fait, 80 % des ruraux - au premier sens de l'INSEE - sont pris dans des systèmes urbains. Là est la véritable nouveauté : les campagnes font partie du fonctionnement urbain, à toutes ses échelles ».
En ajustant la focale au plus près des territoires, les campagnes sont irriguées par de petites villes, celles dont la population est comprise entre 3 000 à 20 000 habitants, parmi lesquelles on distingue « bourgs centres » et petites villes périurbaines, les premiers concernant au premier plan les territoires ruraux.
Dans cette approche, l'INSEE a identifié 1 745 « bassins de vie » ( supra ) intégrant à la fois espaces ruraux et espaces urbains. Dans ces bassins, on accède aux emplois et aux services par l'intermédiaire de ces bourgs, qui forment ainsi l'armature des territoires ruraux.
Si l'on prend du recul, apparaissent alors les « villes moyennes » que sont les aires urbaines de 20 000 à 100 000 habitants 48 ( * ) . Tout comme les petites villes, ces villes moyennes présentent des traits variés.
Il peut s'agir de villes enclavées dont le rôle de centralité est évident, de villes « en réseau » sur un territoire dominé par une métropole régionale ou encore de « villes satellites », dont le développement est ultra-dépendant d'une telle métropole.
2. Le rôle stratégique des villes, petites et moyennes
Ces villes dans leur ensemble, et particulièrement les villes moyennes, ne concentrent pas toujours l'attention des observateurs du développement rural, alors qu'elles ont un rôle stratégique pour les campagnes situées alentour, rôle qui bien entendu s'exacerbe à mesure que s'accroît la distance aux métropoles .
Dans une logique résidentielle , ce sont elles qui, en premier lieu, vont concentrer les écoles, les services publics et les commerces, et rendre ainsi plus attractives les zones rurales environnantes.
Pour les services et achats quotidiens, ou pour accéder au premier lieu de convivialité (bar), c'est plutôt la distance au premier bourg qui importe. Quelles que soient les perspectives de développement de l'e-commerce ou de l'e-administration, cette distance restera cruciale pour les retraités , dont la mobilité tend inexorablement à se réduire avec l'âge : leur village, ou la petite ville la plus proche, finissent par devenir le dernier refuge de leur sociabilité.
En élargissant l'horizon, la première ville moyenne constitue souvent un cap minimal à franchir pour accéder à des services de santé élaborés (spécialistes, hôpitaux), à l'éducation des adolescents (enseignement secondaire, lycées généralistes et techniques), à la culture (cinémas) et à tout un panel d'activités socialisantes et récréatives (restauration, bars, discothèques etc.).
Hélène Jacquet-Monsarrat, chargée de mission à la DATAR, observe que « la présence de différents services dans les villes intermédiaires est vécue comme cruciale, le public considérant qu'ils ne seront pas remplacés en cas de fermeture ».
En second lieu, dans une logique productive nullement déliée de la précédente, les villes, et particulièrement les villes moyennes, sont pourvoyeuses non seulement d'emplois, mais encore de débouchés pour les productions locales - notamment agricole - lorsqu'elles savent privilégier les circuits courts.
Dans les deux logiques, ces villes sont le point de passage d'infrastructures routières et ferroviaires - notamment, ici encore, les villes moyennes - dont l'entretien et la desserte dépendent évidemment de leur démographie et de leur santé économique mais qui, en retour, constituent des facteurs d'attraction évidents pour les habitants et les entreprises des zones rurales attenantes.
Parce que l'attractivité des bourgs dépend elle-même de la proximité d'accès à un panel relativement complet de commodités, il apparaît que les villes moyennes ont un fort rôle structurant sur les petites villes et les espaces ruraux qui les environnent . Préserver et renforcer, là où elles existent, l'activité et le peuplement de ces villes moyennes , ainsi que les services auxquels elles donnent accès, constitue donc un enjeu stratégique .
Même à budgets contraints, il existe souvent des marges de manoeuvre dans les configurations existantes et l'on peut ainsi, par exemple, envisager d'implanter des antennes de pôles scientifiques dans des villes moyennes, voire petites, en lien avec les universités .
Bien entendu, les territoires présentent ab initio des caractéristiques très différentes en ce qui concerne le maillage historique des villes moyennes et, dans certains territoires, les enjeux identifiés pour ces dernières pourront aussi concerner des bourgs-centres.
D'une façon générale, les villes moyennes constituent un enjeu désormais bien identifié pour le développement équilibré des territoires. Elles deviennent communément un axe central des plans de développement stratégique.
UN EXERCICE DE PROSPECTIVE AXÉ SUR LE DEVENIR DES VILLES MOYENNES EN BASSE-NORMANDIE « A l'image du Grand Ouest, la Basse-Normandie est constellée de villes moyennes constituant, avec Caen et Cherbourg, l'armature urbaine de la région. Concentrant emploi, commerces et services, elles assurent une triple fonction de commandement, de production et de services aux habitants et jouent un rôle moteur dans l'économie. Polarisant le territoire, les villes moyennes élargissent leur aire d'influence et structurent de vastes bassins ruraux . Elles font preuve de dynamisme, mais de nombreuses incertitudes pèsent sur leur avenir. Le CESER a donc souhaité engager une réflexion prospective sur « l'avenir des villes moyennes dans le développement de la Basse-Normandie » en réalisant un diagnostic et en s'appuyant sur les travaux d'un groupe de prospective constitué de vingt-cinq acteurs socioéconomiques. Les visions d'avenir conduisent à quatre scénarios alternatifs à l'horizon 2030-2040 pouvant se lire comme les cartes maîtresses que peuvent jouer les villes pour façonner leur visage de demain. Leur destin va dépendre de l'évolution de l'économie mondiale, des dynamiques qui façonnent les territoires, de l'intégration de la Basse-Normandie dans les grands flux d'échanges et de communications, mais aussi - et surtout - des choix stratégiques que feront les décideurs locaux. Cette étude prospective constitue donc un outil d'aide à la décision pour tous les acteurs territoriaux soucieux de construire l'avenir de la région et des villes qui l'animent ». Source : avis du Conseil économique, social et environnemental régional de Basse-Normandie adopté à l'unanimité, séance du 12 décembre 2011 |
En particulier, les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) - à l'instar de celui du Limousin - tendent à hisser la problématique des villes moyennes parmi les enjeux de tout premier plan.
D. L'IMAGE, UN ENJEU MAJEUR POUR LES CAMPAGNES
L'attirance pour un territoire dépend de facteurs qui ne sont pas toujours rationnels ou, du moins, pas toujours réfléchis. Le désir d'ensoleillement et l'attirance pour la mer et l'océan déterminent assez largement un certain tropisme vers le Sud et vers l'Ouest, qui font la fortune de certains territoires, tandis qu'elle peut contribuer à expliquer ailleurs une situation démographique périlleuse, en particulier sur la « demi diagonale du vide » qui court du centre au Nord-Est de la France.
Qu'elles inspirent des destinations touristiques ou d'installation pour la retraite ou pour la vie active, ces orientations reposent sur des représentations - accumulées tout au long de l'existence par transmission orale, par les publicités ou le cinéma - convergeant vers le cliché plus ou moins universel d'un soleil radieux sur une mer scintillante, et sur une forme de snobisme élémentaire 49 ( * ) consistant à imiter les classes « supérieures » qui, les premières, ont pris leur distances vis-à-vis de certaines zones urbaines ainsi que de la campagne profonde ou productive.
Bien entendu, il y a toujours loin du rêve à la réalité, et la confrontation avec le coût du foncier, avec une concentration humaine grandissante et un accès parfois difficile et souvent épisodique aux aménités promises, peut conduire à un certain désenchantement pour qui cède aux tropismes dominants.
Pour leur part, les campagnes, et particulièrement celles qui ne peuvent être valorisées par la proximité d'une métropole, de la mer ou de montagnes sportivement connotées et qui ne présentent pas davantage une pluviométrie insignifiante, souffrent d'un ensemble de préjugés plus ou moins défavorables.
Pourtant, le goût pour la nature, l'aspiration au « vert », à une certaine forme d'authenticité et de convivialité, à tout un patrimoine culturel, gastronomique ou artisanal, peut être partagé par de très nombreux concitoyens. Mais cette sensibilité doit être sinon révélée, du moins entretenue et renforcée. Il convient, en définitive, de travailler l'image de la campagne avec méthode et constance si l'on veut y attirer durablement, et à armes égales, les touristes, les retraités, les actifs et les activités.
Or, les efforts des territoires ruraux pour améliorer leur image, en dépit de nombreuses initiatives de labellisation et de promotion, toujours méritoires et quelquefois porteuses, manquent encore d'unité. Par exemple, la valorisation de l'initiative économique ou du tourisme débouche sur la mise en avant de slogans dont l'interception, souvent erratique au gré de navigations sur Internet ou de la consultation de périodiques, est probablement moins productive qu'il serait souhaitable pour une cause qu'on voudrait transversale : la valorisation des territoires ruraux.
L'aménagement du territoire est un enjeu global et il serait donc parfaitement normal que la plupart des initiatives locales puissent s'inscrire dans un référentiel général, dont elles constitueraient la déclinaison (en recourant au besoin à des financements croisés). Les certifications de typicité comme l'AOC participent déjà indirectement, suivant un référentiel unifié et clairement identifiable, à la valorisation des territoires d'où sont issus les produits qui en bénéficient. Dans cette perspective, l'initiative « France-Vélo-Tourisme » est à saluer.
Une amélioration de l'image a des effets cumulatifs qui ne se limitent pas à la sphère résidentielle et touristique. La sphère productive locale en profite, les entreprises n'hésitant plus à mettre en valeur l'origine de leur production, notamment alimentaire et artisanale, mais aussi industrielle, pour s'accorder une chance supplémentaire, du point du vue des consommateurs, de faire pencher la balance de leur côté.
III. LES CAMPAGNES SONT-ELLES JUSTEMENT SOUTENUES ?
Dans le système que les zones rurales forment avec les zones urbaines, de nombreuses campagnes peuvent considérer que, sous divers angles, la situation qui leur est faite est inéquitable.
A. DES CHARGES MAL COMPENSÉES
1. Disproportion de certaines charges
La plupart des acteurs du monde rural soulignent la disproportion des charges qui leur incombent et des contraintes auxquelles ils sont soumis. La conception et la mise en oeuvre de projets d'intérêt local s'avère plus difficile dans les campagnes . Il en va ainsi de la réalisation des documents d'urbanisme, qui implique diverses études et consultations préalables nécessitant une ingénierie importante et d'un accès parfois difficile.
Les normes environnementales et de sécurité engendrent, en particulier, leur lot ordinaire de difficultés.
Les unes causeront fréquemment des retards ou des empêchements préjudiciables au développement local au nom d'un principe de précaution parfois mobilisé avec une intransigeance qui confine à l'absurde, et qu'explique souvent la mauvaise foi. Elles déboucheront ainsi sur des dépenses stériles, ou la perte d'une chance de développement. Les autres obligeront à un ensemble de mesures, concernant l'accueil ou la réunion du public, dont le coût est parfois insurmontable pour les collectivités ou les associations concernées, qui renonceront peut-être à des projets présentant un intérêt local majeur.
Pierre Morel-A-L'Huissier 50 ( * ) observe à juste titre : « si l'on oblige une commune rurale, dont le budget est nécessairement limité, à se doter d'un équipement qui requiert un lourd investissement, n'y a-t-il pas automatiquement la création d'un rapport inéquitable par rapport à la commune urbaine, pour laquelle l'équipement en question, tout autant obligatoire, représente une part plus modique de son budget ? A trop rechercher l'égalité, le territoire rural est souvent, dans ce cas, inévitablement pénalisé .
« Et le nombre des obligations ne cesse de s'accroître, acculant les petites communes, qui ne peuvent en supporter le coût, à faire des choix difficiles et à assumer, au quotidien, le fait de ne pas pouvoir mettre en oeuvre toutes les règles qui s'imposent à elles ».
Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, relève ainsi que « dans le chantier gouvernemental de relance de la croissance, il faudra explorer les dysfonctionnements administratifs résultant de la superposition de zones et de contraintes diverses, dans la conduite des grands projets . Certains maires, de par cette difficulté, sont littéralement dessaisis de leurs projets. Avec 400 000 normes, on ne fait plus rien ! Je relève, par ailleurs, que les débats et concertations préalables à la réalisation de projets d'envergure, au demeurant fort utiles, ont un coût . Par exemple, le débat public sur le projet ITER a coûté un million d'euros à organiser. Au total, la somme de toutes ces contraintes aboutit à un rapport de 1 à 10 entre le temps de réalisation et le temps de conception... ».
2. Iniquité inter-temporelle
Le mouvement de décentralisation engagé depuis le début des années quatre-vingt oblige les territoires à financer une part de plus en plus importante des infrastructures de transport qui sont mises en chantier - lesquelles, au demeurant, se font de plus en plus rares.
Or, les régions, les départements qui ont pu, les premiers, bénéficier des infrastructures essentielles au développement que sont notamment les voies rapides, les autoroutes et les liaisons ferroviaires autorisant les rames à grande vitesse, n'ont généralement pas eu à les financer.
Jusqu'à quel point est-il acceptable qu'un contexte facilitateur ait pu bénéficier à certains territoires aujourd'hui bien-portants, et qu'il soit aujourd'hui refusé aux territoires nécessitant un rattrapage économique ?
3. Iniquité des dotations
La plupart des élus des territoires ruraux en témoignent : les populations des campagnes s'attendent à bénéficier de services et d'infrastructures toujours plus proches - en qualité, en quantité et en facilité d'accès - de ceux habituellement délivrés dans les zones urbaines. Les exigences en termes d'aménagement du territoire et de services collectifs s'accroissent en conséquence dans les campagnes.
Dès lors, l'association des maires ruraux de France (AMRF) estime que le calcul de la dotation globale de fonctionnement devient inique. En effet, les communes de plus de 150 000 habitants se verraient attribuer 128 euros par habitant, lorsque les communes rurales recevraient jusqu'à deux fois moins, avec un montant compris entre 64 et 88 euros par habitant pour les communes de moins de 3 500 habitants 51 ( * ) . Pour de nombreux observateurs, les charges de centralité des communes urbaines, qui sont indéniables, ne justifieraient pas un tel écart .
Guy Gilbert, professeur émérite des universités, rappelle cependant qu' « à l'origine, la DGF visait à compenser la perte de ressources fiscales résultant de la suppression ou du transfert d'impositions locales à l'Etat. Sa répartition entre collectivités consacre aujourd'hui à la fois son caractère forfaitaire et péréquateur. Cette péréquation s'appuie à la fois sur des critères de ressources (potentiel fiscal ou financier) par habitant et des critères de « charges » représentatives des « coûts » (non observés) de fourniture de services collectifs de proximité.
« La répartition de la DGF ne fait donc intervenir directement ni le niveau ni la qualité des services collectifs offerts, c'est-à-dire la dépense publique locale, et c'est logique. Dans une perspective de péréquation, et indépendamment de l'insuffisance de potentiel fiscal, seules les charges liées à la situation (supposée incontournable) d'une collectivité doivent donner droit à péréquation. La circonstance que les niveaux de services collectifs locaux se rapprocheraient entre le monde rural et le monde urbain ne suffit pas à modifier la clé de répartition des transferts péréquateurs, sauf à affirmer que ce niveau de services collectifs en monde rural résulte d'un « besoin » incontournable .
Pour le moins, « reste la question de l'évolution respective des coûts de fourniture des services en zone rurale et dans le monde urbain. Les données empiriques manquent car les coûts ne sont ni observables (sauf comptabilité adéquate) ni assimilables aux dépenses . Force est donc de recourir à des méthodes statistiques indirectes ».
Si l'on peut déplorer une approche statistique apparaissant ainsi comme lacunaire et insusceptible d'étayer des préconisations précises quant à un quelconque rattrapage, certaines orientations récentes iraient néanmoins dans le sens d'un rééquilibrage des dotations au profit des territoires les plus nécessiteux, dont les campagnes en difficulté sont une figure majeure (à côté, notamment, de celles des banlieues pauvres).
La loi de finances pour 2013 confirme ainsi la montée en puissance de la péréquation horizontale, via le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), ainsi que l'approfondissement de la péréquation verticale, avec une augmentation sensible de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de la dotation de solidarité urbaine (DSU) 52 ( * ) au sein de la dotation générale de fonctionnement, dont la part forfaitaire diminue donc au profit de la part péréquatrice.
B. DES SERVICES RENDUS MAL RÉMUNÉRÉS
La relation entre les villes et leur campagne environnante, volontiers présentée comme « complémentaire » par les premières, est en réalité asymétrique.
1. Vis-à-vis des citadins
Les campagnes procurent diverses aménités aux citadins : espace naturels, paysages, pureté de l'air. Elles ont aussi un rôle essentiel dans le cycle de l'eau (nappes phréatiques) et en tant que puits de carbone, pour lequel elles ne bénéficient d'aucune rémunération. Enfin, elles sont une source de matière première (biomasse) qui profite aussi aux villes. On peut trouver injuste que les zones rurales produisent ainsi, à des titres divers, des externalités positives dont profitent les zones urbaines , sans contrepartie identifiée.
Dès lors, il conviendra sans tarder de réfléchir à une valorisation de ces biens écologiques communs, dont l'importance est stratégique, qui puisse déboucher sur un financement conjoint par les villes et les campagnes. Dans cette perspective, il pourrait tout aussi bien s'agir d'un financement public national.
Ce principe de compensation général constituerait un minimum. En effet, lorsque les habitants des campagnes, qui se trouvent souvent dans une logique d'exploitation, sont porteurs de projets ayant un impact sur l'environnement, les citadins agissent volontiers pour préserver les aménités rurales auxquelles leurs résidents sont attachés.
Ces conflits d'usage se résolvent bien souvent, réglementations environnementales et urbaines aidant, au bénéfice de la sanctuarisation de certaines zones. De telles issues sont quelquefois justifiables. Mais il en résulte, pour les territoires ruraux concernés, des manques à gagner qui ne sont jamais compensés.
Dans trois ou quatre décennies, de nombreux actifs territoriaux tels que l'eau, le sol, la forêt et d'une façon générale les zones non habitées deviendront stratégiques, et il faut sans doute travailler à leur monétisation.
Réciproquement, les campagnes subissent certaines externalités négatives des villes , lorsqu'elles accueillent les boues des stations d'épuration, les lieux de stockages des déchets ultimes...
La compensation de ces externalités mériterait, de même, d'être étudiée, évaluée et, le cas échéant, mise en oeuvre.
2. Vis-à-vis des entreprises
Les entreprises polluantes ont indirectement besoin des campagnes pour leur capacité d'ensemble à recycler les pollutions de tous ordres.
Sous cet angle, les grandes entreprises pourraient accéder, sous une forme à déterminer, à des « biens » tels que les forêts pour équilibrer leur bilan-carbone, par exemple en achetant des parcelles, ou en contribuant de diverses manières (financement direct, ou indirect auprès de collectivités) à leur financement.
C. UNE MOINDRE RÉSILIENCE ÉCONOMIQUE QUE LES MÉTROPOLES
De nombreux acteurs et observateurs de l'économie rurale soulignent l'étroite dépendance de la vie des territoires à la survie des entreprises qui les jalonnent. En effet, une entreprise qui disparaît en milieu rural est beaucoup moins fréquemment « remplacée » par d'autres entreprises cumulant des effectifs équivalents, que dans les zones urbaines.
Les Chambres de commerce et d'industrie développent la notion de « criticité territoriale », rejoignant ce constat que la disparition d'une petite entreprise dans les campagnes a des répercussions beaucoup plus graves et moins réversibles que dans les villes. En conséquence, les aides devraient , selon elles, être concentrées sur ces entreprises pour qui tout est plus difficile, avec un moindre accès aux ressources qui leur sont nécessaires, une moindre attractivité vis-à-vis des cadres et un accès plus complexe aux marchés.
Pour sa part, Laurent Davezies, dans « La Crise qui vient » 53 ( * ) , relève que « près de 20 % de la population du pays se trouvent aujourd'hui dans des zones d'emploi très vulnérables, qui ont franchi un seuil, difficilement réversible, de déclin productif ». Dans ces territoires, concentrés notamment en Lorraine, Picardie, Champagne-Ardenne, Franche-Comté et Haute-Normandie, l'histoire récente montre en effet que même les périodes de croissance ne permettent pas de regagner des emplois.
Outre cet effet de cliquet, la crise risque d'aggraver la situation de ces territoires par un second effet lié à un probable tour de vis budgétaire qui ne manquerait pas d'affecter la base publique ainsi que la base sanitaire et sociale , même si la population et le pouvoir d'achat des retraités sont simultanément appelés à progresser encore au cours des vingt prochaines années.
Pour reprendre la terminologie de Schumpeter, le processus de « destruction créatrice » inhérent à l'économie, et qui conditionne la croissance, est bien souvent, dans les campagnes, un processus de « destruction » tout court, tandis que la « création », lorsqu'elle a lieu, se produit ailleurs, dans les métropoles .
Laurent Davezies constate ainsi que tout le territoire n'est pas touché de la même manière. Pour la première fois depuis la crise de 1974, les grandes métropoles ont été largement protégées. Ainsi se dessinerait « une France productive, marchande et dynamique, concentrée dans les grandes villes où se forgent les nouveaux atouts de la compétitivité du pays ».
Quelles seraient les implications démographiques d'une rétractation de l'emploi, d'une fragilisation de l'économie résidentielle et d'une raréfaction des services qui se produiraient dans une majorité de territoires ruraux ? Elles sont difficiles à anticiper. En effet, d'une part, si l'attractivité des campagnes diminue tandis qu'augmente celle des métropoles, l'exode rural de l'emploi se renforce. Mais d'autre part, comme le coût relatif du logement dans les zones rurales recule, l'« exode urbain » du chômage et de la pauvreté s'accélère...
En l'absence de mesures politiques de rééquilibrage entre les territoires, la seule certitude est donc la paupérisation des campagnes. L'expérience des pays du Sud de l'Europe ayant pratiqué d'importants ajustements structurels dans la période récente tend à valider le pronostic d'une accélération sensible de l'exode urbain.
LES
CONDITIONS D'UN DÉVELOPPEMENT DURABLE
DE TOUTES LES CAMPAGNES
Deux scénarios sont déroulés : le scénario tendanciel , qui se trouve être un scénario « noir », et le scénario mobilisateur , permis par un volontarisme vertueux.
Les leviers d'action permettant le passage du scénario noir au scénario favorable sont identifiés, puis regroupés de manière à constituer un ensemble cohérent de politiques publiques à mettre en oeuvre ou à conforter.
Quatre leviers structurels , tous absolument et simultanément nécessaires au développement à long terme des campagnes, sont alors détaillés. Six autres leviers , de nature plus sectorielle, sont ensuite explorés.
I. UN SCÉNARIO MOBILISATEUR
La taxinomie appliquée aux campagnes est un exercice d'une rare complexité, comme le montre la dernière classification de la DATAR (2012, supra ). Cette instance, pour avoir intégré une multitude de facteurs - démographiques, économiques (activité, emploi, revenus), topographiques ou en termes d'accès aux services - ne parvient pas in fine à distinguer moins de sept types d'espaces cohérents.
Si l'on s'en tient à la seule dynamique démographique, qui est souvent la résultante des autres facteurs, on peut alors se contenter de distinguer les campagnes en situation de forte reprise, celles en légère reprise, et celles dont la population décline. Mais ce qu'un critère unique de classification gagne en simplicité, il le perd en précision et l'on peut alors retrouver, dans une même catégorie, des campagnes très différentes.
C'est pourquoi le choix a été fait de scénarios concernant toutes les campagnes mais qui, en tant que de besoin, précisent dans chaque champ de prospective (population, économie etc.) le type de campagne auquel il s'applique, ou y est décliné par type de campagne selon la clé la plus pertinente.
L'accent est souvent mis sur les campagnes « fragiles » , celles dont la démographie diminue ou, parmi celles dont la démographie ne régresse pas, celles connaissant un niveau de chômage plus élevé que la moyenne. Le scénario cible ainsi les territoires qui correspondent peut-être le mieux à la représentation spontanée qu'on se fait des campagnes, celle des « espaces de la faible densité » 54 ( * ) de l'exercice « Territoires 2040 » de la DATAR, espaces qui recoupent assez largement ceux des campagnes « fragiles » qu'elle distinguait auparavant.
Le scénario mobilisateur réalise, à l'horizon 2030-2040, un équilibre entre différents objectifs dont la réalisation simultanée est primordiale car ils rétroagissent les uns sur les autres : un cadre de vie préservé et attrayant, une population dynamique et solidaire quoique plus mélangée en âge et en profils socioprofessionnels, une économie attractive et résiliente, reposant sur des activités diversifiée et, enfin, des services et des commodités essentielles suffisamment accessibles aux particuliers et aux entreprises.
Pour chaque rubrique, le scénario « mobilisateur » est précédé d'un scénario central qui se fonde sur la poursuite des tendances existantes. Il y a donc deux scénarios en tout , dont aucun ne néglige l'onde de choc de la crise actuelle. On s'apercevra, à la lecture du scénario tendanciel, qu'il eût été superfétatoire de produire un « scénario noir », comme il est souvent d'usage dans les exercices de scénarisation.
Une énumération succincte des leviers d'action conclut chaque séquence du scénario mobilisateur. Ces leviers, qui permettent de s'émanciper du scénario tendanciel, sont développés dans la partie suivante.
A noter que le développement du tourisme , stratégique pour de nombreux territoires ruraux, n'apparaît pas dans les intitulés car il est d'abord conditionné par la réalisation des objectifs qui précèdent : outre la préservation et la mise en valeur de diverses aménités, il dépend en effet, à titre principal, de l'activité et des services de toute nature qui s'y peuvent trouver. Ainsi que le souligne Caroline Larmagnac, de la DATAR, « les attentes ne portent pas sur des équipements touristiques dédiés, mais sur un territoire rural « vivant », c'est-à-dire avec des commerces, des transports, des services, etc ».
A. UN ENVIRONNEMENT ET UN AGRÉMENT PRÉSERVÉS
1. Un environnement sauvegardé
TENDANCE
La tendance à l'artificialisation des sols s'est accélérée entre 2003 et 2009 au point d'affecter l'équivalent d'un département français sur la période. Elle se poursuit au détriment des paysages - souvent entretenus par diverses formes d'élevage ou de cultures - qui souffrent en outre d'une céréalisation progressive de l'agriculture.
Corrélativement, les phénomènes de mitage résidentiel, qui constituent l'autre versant de l'atteinte à l'intégrité des paysages, se perpétuent.
Par ailleurs, l'usage cumulé d'engrais chimiques (qui contiennent des nitrates et des phosphates) et de pesticides nuit à la qualité de l'eau et à la biodiversité, ressources appelées à connaître des tensions supplémentaires en raison du réchauffement climatique.
SCENARIO
Les qualités esthétiques et écologiques de l'environnement sont préservées, pour l'essentiel, grâce à la stabilité de l'emprise agricole et à l'évolution de ses méthodes.
Afin d'améliorer leur potentiel d'attraction touristique et résidentiel tout en participant à l'objectif général d'un développement durable, les campagnes savent préserver leur charme ainsi que la qualité écologique de leur environnement.
La lutte contre la déprise agricole s'intensifie, ce qui permet de sauvegarder diverses configurations agraires essentielles à l'entretien des paysages.
Sur la base d'un diagnostic partagé, la prise en compte des menaces pour l'environnement, qui concernent notamment la ressource en eau et la biodiversité, débouche sur un traitement des sols et des bêtes enfin soutenable dans la durée.
A coté des filières biologiques et des circuits courts, qui poursuivent leur essor, de nouvelles pratiques - telles que l'agriculture intégrée - se généralisent pour les productions de masse, sans préjudice pour la rentabilité de la « ferme France » où se généralisent, par ailleurs, des politiques de labellisation créatrices de valeur.
Avec l'élévation du coût de l'énergie et des intrants, de nouvelles filières de méthanisation territorialisées valorisent les résidus organiques tandis que l'élevage, revalorisé par sa capacité à fournir l'engrais nécessaire aux cultures, se distribue plus harmonieusement sur le territoire.
PRINCIPAUX LEVIERS
gouvernance améliorée (« projets de territoire »)
• création d'espaces
protégés
• planification foncière
55
(
*
)
• agriculture articulée avec la gestion
des écosystèmes et du paysage
2. Une distribution de l'habitat esthétique et soutenable
TENDANCE
Le basculement de l'espace rural dans l'espace urbain suit un rythme accéléré, ce dernier accusant, de 1999 et 2007, une progression de 19 % en surface. Les constructions en cause sont plus souvent réalisées en secteur diffus qu'en secteur concentré, autrement dit, elles participent faute de maîtrise au mitage, la réhabilitation de l'habitat en centre bourg étant trop onéreuse.
Cela compromet le développement durable des territoires, que l'on s'attache à l'intégrité des paysages du point de vue de leur attractivité résidentielle et touristique, ou à la soutenabilité énergétique de logements dont l'éparpillement et la situation excentrée peut engendrer d'importantes dépenses de chauffage et de transport, susceptibles au surplus de fragiliser la situation économique de primo-accédants disposant plutôt de faibles revenus.
SCENARIO
De nombreux candidats au logement s'installent dans les villes et les bourgs ruraux, l'étalement urbain demeurant contenu et, par ailleurs, organisé.
La planification foncière, devenue exhaustive et ambitieuse, entre en synergie avec un ensemble de mesures volontaires pour préserver l'attractivité des bourgs ruraux et des villes moyennes, limitant les phénomènes indésirables de mitage.
Si la péri-urbanisation est en partie inévitable, car les ménages aspirent légitimement, en dépit de budgets contraints, à plus d'espace, elle est enfin organisée. La reconnaissance et un renforcement de l'agriculture périurbaine s'inscrivent dans cette stratégie et dans celle des circuits courts.
PRINCIPAUX LEVIERS
gouvernance améliorée (plus inter-territoriale : rurale/urbaine)
• planification
foncière
56
(
*
)
• densification urbaine
• intégration locale de
l'agriculture péri-urbaine
Une agriculture péri-urbaine en symbiose avec la ville L'espace péri-urbain reste dominé par des espaces ouverts, notamment agricoles, souvent considérés comme de simples réserves pour l'urbanisation alors qu'ils sont devenus essentiels au cadre de vie des habitants. On retrouve dans l'espace péri-urbain tous les types de productions et d'exploitations agricoles, que leur proximité avec la ville confronte à des difficultés foncières (coût d'accès aux terres), de circulation, voire de compréhension, dans une logique générale de conflit d'usage. Les villes, à la recherche d'un développement plus durable, commencent heureusement à intégrer dans leur stratégie les enjeux agricoles de leur territoire. Il est, en effet, dans leur intérêt de favoriser l'ancrage d'une agriculture périurbaine qui : - assure un approvisionnement de proximité pour les populations urbaines ; - fournisse des produits spécifiques comme des fruits et légumes, des fleurs ou des plantes aromatiques ... ; - participe au développement économique par le dynamisme des exploitations et des filières agroalimentaires ; - contribue directement à la qualité et au cadre de vie sur le territoire. D'après l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, voir Focus du 3 septembre 2012. |
B. UNE POPULATION EN MOUVEMENT
1. Une démographie dynamique et maîtrisée
TENDANCE
L'évolution démographique est fortement différenciée entre les différentes zones rurales, selon qu'elles sont assimilables aux « campagnes des villes, du littoral et des vallées urbanisées » 57 ( * ) , à forte croissance résidentielle, ou aux autres campagnes, parmi lesquelles l'attractivité résidentielle apparaît comme très modulée avec, notamment, une poursuite de la déprise démographique sur la partie Nord de la « diagonale du vide ».
SCENARIO
Sous l'impact d'une vitalisation économique résultant d'un aménagement du territoire volontariste souligné par une communication coordonnée, la reprise démographique s'étend jusqu'au Centre et au Nord-Est de la « diagonale du vide » ; ailleurs, l'accélération reste contenue et n'exerce donc pas de pression excessive sur l'environnement et les activités agricoles.
PRINCIPAUX LEVIERS
gouvernance améliorée
• amélioration de l'image des territoires
ruraux
• planification
foncière
accès facilité aux réseaux de communication physiques
accès aux réseaux électroniques
• télétravail
accès aux services et à la santé
2. Une population diversifiée
TENDANCE
La normalisation progressive de la composition socioprofessionnelle des populations rurales, caractérisée par une sur-représentation ouvrière et une sous-représentation des cadres, se poursuit à un rythme beaucoup trop lent pour rejoindre, même à un terme éloigné, celle des zones urbaines.
Par ailleurs, une certaine « immigration de la pauvreté » tend à s'intensifier dans les campagnes où le foncier reste le plus disponible. Ces mobilités se nourrissent de la cherté du logement dans les zones urbaines, relativement épargnées par la crise, voire dans les zones rurales les plus prospères, et concernent des personnes généralement peu diplômées qui se trouvent, de fraîche ou de longue date, sans emploi. On observe aussi des mobilités de grande proximité, en provenance de territoires voisins encore plus affectés par la crise, guidées par l'espoir, souvent vain, de trouver un emploi peu qualifié.
Dès lors, dans de nombreuses campagnes, l'employabilité de la population active s'affaiblit tandis qu'auprès des actifs urbains et des entreprises, l'image des zones rurales subit une érosion continue.
Suivant le prisme des classes d'âge, en 2006, les plus de soixante ans représentaient encore 37,5 % de la population de l'espace rural, contre 20 % dans l'espace urbain. En revanche, la tranche des quinze à vingt-neuf ans comprend moins de 15 % de la population de l'espace rural, contre 20 % de l'espace urbain. En tendance, la population de l'espace rural vieillit moins vite que la population urbaine 58 ( * ) , mais aucun rajeunissement ne peut y être réellement anticipé.
SCENARIO
Avec l'arrivée de nouveaux actifs, les catégories socioprofessionnelles et les classes d'âge se répartissent de façon plus équilibrée, dans le sens d'un rajeunissement et de l'élévation de certaines compétences.
A la faveur du développement de filières locales, du portage de projets innovants territorialisés et d'une certaine décentralisation au sein des grandes entreprises, les secteurs productifs sont représentés dans leur diversité au sein d'un nombre croissant de territoires ruraux où se retrouvent, toujours plus communément, des centres de décision et certaines fonctions d'encadrement.
Un important travail est réalisé sur l'image des différentes campagnes, sur la base d'une communication unifiée : « Tous les goûts sont dans nos campagnes ! » ; les unes après les autres, diverses campagnes françaises deviennent plus ou moins à la mode, non seulement pour y séjourner, mais aussi pour y vivre ou y travailler. Cet attrait est conforté par un meilleur accès à la culture, traditionnelle et mondiale.
L'effort pour la formation des jeunes et des sans-emploi s'accroît mais reste financièrement soutenable grâce à l'effet de levier de l'e-formation pour les éléments d'apprentissage les plus théoriques. Tous les secteurs sont concernés, de l'agriculture, dont la performance agro-environnementale est conditionnée par de nombreux apprentissages, aux principaux métiers de l'industrie et des services, afin que la question de la main d'oeuvre ne décourage pas les entreprises candidates à l'installation.
En conséquence, la pyramide démographique des campagnes se normalise, avec une augmentation relative non seulement du nombre d'actifs d'âge intermédiaire, mais encore, et surtout, de celui des jeunes actifs.
A l'autre extrémité, une médecine articulant nouvelles technologies et homogénéité d'accès sur le territoire permet aux personnes dépendantes de se maintenir plus longtemps dans des habitats relativement isolés.
PRINCIPAUX LEVIERS
activité économique
gouvernance améliorée
• politiques locales privilégiant
l'accueil d'actifs et de projets
• amélioration de l'image des
territoires ruraux
• meilleur accès à la culture,
à la formation et à l'enseignement supérieur
accès facilité aux réseaux de communication physiques
accès aux réseaux électroniques
• télétravail
• formation
accès aux services et à la santé
• formation
3. Une densité sociale59 ( * ) recouvrée
TENDANCE
Une relative diversification des profils socio-professionnels et familiaux facilite la socialisation et certaines solidarités de proximité car on trouve plus aisément, dans son entourage immédiat, des personnes partageant des goûts ou des contraintes similaires.
Pour autant, l'émergence et la coexistence de nouvelles formes d'« entre-soi », conduisent à des différences d'appréciation sensibles quant au « bien commun » et on assiste à une multiplication des conflits d'usage, qui sont aussi un facteur de blocage pour la conduite de nombreux projets d'intérêt local ou national.
A terme, un appauvrissement latent et la hausse du coût de l'énergie compliquent le financement des maisons de retraites et de la garde des enfants. La famille devient le dernier rempart de la solidarité et ce sont jusqu'à quatre générations qui n'hésitent plus à coexister sous le même toit.
Par ailleurs, les progrès réalisés pour l'accès aux réseaux numériques fixes et mobiles ne suffisent pas à désenclaver utilement certains territoires, qui souffrent en premier lieu de dessertes ferroviaires et routières insuffisantes.
Les entreprises moyennes et les entreprises de croissance, lorsqu'elles ne font pas faillite, fuient ces campagnes isolées qui connaissent alors une désertification économique accélérée et quasi-irréversible, qu'un accès généralisé au très haut débit ne suffira pas à rapatrier.
SCENARIO
En dépit d'une hétérogénéité accrue des âges et des profils socioculturels, la fracture sociale et générationnelle n'a pas lieu. Par ailleurs, les nouvelles technologies ne cessent de rapprocher les résidents de leurs contacts, quels qu'ils soient, où qu'ils soient.
La propagation locale de fractures sociales et générationnelles est jugulée sur la base d'une concertation locale systématique. La logique de projet, qui se généralise à diverses échelles territoriales, joue sur la complémentarité, désormais comprise, entre logiques productives, résidentielles et touristiques.
Avec la généralisation de connexions numériques de qualité, Internet devient le principal vecteur de ces diverses formes d'ententes et de coordination à l'horizon d'une dizaine d'années.
Les réseaux sociaux et professionnels se renforcent parallèlement, tandis qu'à la faveur d'initiatives ciblées dans les campagnes les plus enclavées, les déplacements souffrent de moins en moins du manque d'infrastructures routières ou ferroviaires.
Par la suite, l'amélioration des réseaux physiques tend à devenir un enjeu de second rang car la généralisation du très haut débit rend la plupart des entreprises et des particuliers (qu'un effet de génération rend définitivement à l'aise vis-à-vis des nouvelles technologies) un peu moins sensibles à la facilité d'accès aux diverses formes de mobilité des personnes et des biens.
Ce changement d'approche - tout relatif - s'explique aussi par diverses innovations aux termes desquelles le coût (énergie, amortissement des véhicules) et la disponibilité des déplacements locaux restent soutenables grâce au développement du covoiturage et de l'intermodalité, tandis que les temps de mobilité deviennent progressivement des temps utiles, susceptibles d'être consacrés, à la convenance des voyageurs, au travail, aux loisirs ou à diverses formes de sociabilité.
PRINCIPAUX LEVIERS
gouvernance améliorée (« projets de territoire »)
• concertation locale (sur le
modèle des « conseils de quartier »)
• politiques locales
privilégiant l'accueil d'actifs et de projets
• adaptation des normes à la
réalité des territoires
accès facilité aux réseaux de communication physiques
accès aux réseaux électroniques
C. UNE ÉCONOMIE RÉSILIENTE, DIVERSIFIÉE, LOCALISÉE ET ATTRACTIVE
TENDANCE
Si, dans un premier temps, les activités de service aux particuliers progressent encore, le repli progressif des effectifs agricoles et industriels se confirme.
Les agriculteurs, exposés à une forte concurrence sur des marchés mondiaux, subissent le détricotage progressif de la PAC. Le mouvement de concentration des exploitations - dont les moins rentables sont délaissées - se poursuit en conséquence, mais sans que des filières spécifiques ne parviennent à remplacer, au niveau national, toute la valeur détruite. Dans le secteur secondaire, les salariés subissent de plein fouet la désindustrialisation et les délocalisations. Les développements de la crise actuelle renforcent encore ces tendances.
L'ouverture de tous les marchés nationaux à la concurrence fait pleinement jouer la théorie des avantages comparatifs, ce qui favorise des spécialisations territoriales dangereuses pour les populations locales, lorsqu'elle ne participe pas, dans les campagnes les moins dotées en niches productives, à leur désertification économique.
On assiste désormais à un processus territorialisé de « destruction créatrice ». Il se caractérise par une fréquence accrue des destructions d'emplois dans les campagnes, et des créations d'emplois concentrées dans les aires métropolitaines, ces dernières bénéficiant désormais d'un différentiel de croissance accru vis-à-vis des zones rurales.
Au bout d'une dizaine d'années, l'écart de revenu productif se creuse au détriment de nombreuses campagnes, au point qu'il n'est plus compensé par le développement résidentiel. Circonstance aggravante, sous l'impact de politiques publiques restrictives, les bases publiques ainsi que sanitaires et sociales s'étiolent progressivement.
Dès lors, l'économie résidentielle, longtemps motrice du développement rural puis, dans un premier temps, encore épargnée par la crise, se replie à son tour. En dépit de besoins exponentiels, la croissance des services à la personne est stoppée par une désolvabilisation rapide de la demande due aux restrictions budgétaires. A l'exception des zones rurales procurant des aménités exceptionnelles pour les urbains et jouissant d'une desserte satisfaisante, le rattrapage économique de la plupart des campagnes cesse, et l'écart de développement se creuse, à nouveau, vis-à-vis des grandes aires urbaines.
Si l'augmentation progressive des coûts de transports nationaux et internationaux finit par restituer plusieurs degrés de compétitivité à certaines productions implantées dans les zones rurales, il est malheureusement trop tard pour rapatrier ou ressusciter les activités disparues.
TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DE L'EMPLOI PAR SECTEUR DEPUIS 1999
(espace à dominante urbaine / espace à dominante rurale)
Source : INSEE (2004-2007)
SCENARIO
Tandis que la coexistence d'activités agricoles, industrielles ou de services s'observe à une échelle de plus en plus réduite, on assiste à un rééquilibrage des moteurs internes et externes de la croissance des territoires ruraux.
L'économie des campagnes, prises dans leur ensemble, s'appuie toujours sur la base résidentielle résultant de ses aménités - demande de proximité des touristes et des habitants, actifs ou retraités - et sur ses ressources naturelles, en particulier l'agriculture. Les services à la personne se développent à la hauteur de besoins croissants engendrés par l'augmentation continue, jusqu'en 2030, de la population des retraités, et par un certain retour des familles.
La production industrielle et de services aux entreprises s'accélère car, forts de leur diversité, tous les territoires ruraux parviennent à mettre en avant des avantages comparatifs afin de renforcer leur base économique et soutenir l'activité locale. Les campagnes déjà dotées d'une base productive solide anticipent et favorisent certaines diversifications d'activité. De nombreuses innovations économiques se font jour sur la base de projets territorialisés, dans le lignage des actuels « pôles d'excellence rurale ».
Certaines formes de « préférence territoriale » (organisées ou spontanées) émergent. En particulier, les marchés publics passés dans les territoires ruraux intègrent systématiquement la proximité, facteurs de développement local, dans les critères de choix.
Dans le domaine agricole, la PAC poursuit son inflexion vers un soutien au développement rural, au détriment du strict soutien à la production. Dès lors, l'activité se polarise, d'une part, autour de la production intensive d'un petit nombre de produits compétitifs, d'autre part, dans un foisonnement de filières spécifiques orientées sur la qualité et/ou la proximité, soutenues par des politiques spécifiques. En aval, les filières agro-industrielles (agro-alimentaire, chimie verte, agrocarburants) poursuivent leur développement.
Les circuits courts, de la production à la consommation, se multiplient et concernent, outre les biens alimentaires, les biens technologiques, les services environnementaux, l'énergie (méthanisation) et les activités récréatives ou sanitaires.
L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) promeut un soutien plus général, notamment européen, aux « filières territorialisées », dont « les objectifs [sont] de fixer la valeur ajoutée dans les territoires, de maintenir de l'emploi et des activités en milieu rural et d'améliorer la réponse des exploitations agricoles aux demandes des consommateurs . Les filières territorialisées : - se fondent sur une production particulière ou un gisement localisé ; - concernent des filières alimentaires ou non alimentaires ; - permettent de développer une nouvelle filière ou de relocaliser une production existante ; - sont initiées et portées par des acteurs agricoles ; - sont source d'innovation technique et organisationnelle ; - ont un territoire d'action déterminé par le projet à l'inverse des fonds « LEADER 60 ( * ) ». Les filières territorialisées contribuent à l'objectif de cohésion économique et territoriale de l'Union européenne et répondent aux défis de la politique de développement rural : accès aux ressources énergétiques, urbanisation, marginalisation de certaines zones rurales... ». A titre d'illustration, l'APCA cite, parmi d'autres exemples, la relance de la production de porcs noirs de Bigorre, la marque collective « Terres d'Eure-et-Loire » ou encore le pôle d'excellence rurale « Circuits courts et restauration collective » du Pays de Velay ». |
Par ailleurs, l'organisation des entreprises industrielles et de service, dont la nature réticulaire se généralise à mesure que les réseaux de communication s'améliorent, s'accommode aisément de ressources humaines puisées dans les territoires ruraux, pour satisfaire aussi bien des besoins exprimés sur place qu'une demande extérieure à ces territoires. Dans ce contexte, le télétravail fait un « grand bond en avant » dans une France singulièrement retardataire.
D'une façon générale, la diversification des activités est un objectif uniformément poursuivi, en cohérence avec la mobilité croissante des facteurs de production, qui précarise tout schéma de développement local fondé sur une seule activité.
Ce dynamisme, plutôt endogène, est cependant entretenu par des démarches interterritoriales débouchant sur des alliances utiles dans un contexte très compétitif, et par un renouveau de la planification économique aux fins de coordination subsidiaire des diverses stratégies territoriales.
PRINCIPAUX LEVIERS
diversification socio-professionnelle et des classes d'âge
gouvernance améliorée
• amélioration de
l'image des territoires ruraux
• politiques locales
privilégiant l'accueil d'actifs et de projets
• accompagnement de l'innovation
économique et de l'incubation de projets territorialisés
• encouragement et organisation des
démarches de labellisation (de type AOC
61
(
*
)
ou IGP
62
(
*
)
pour les activités
agricoles) et des circuits courts permettant de valoriser la production
locale
• soutien aux services à la personne
• marchés publics et clauses de
proximité
• adaptation des normes à la
réalité des territoires
accès facilité aux réseaux de communication physiques
accès aux réseaux électroniques
• télétravail
• entreprises (services et production)
accès aux services et à la santé
• formation
D. DES SERVICES ET DES COMMODITÉS ACCESSIBLES
TENDANCE
Comme l'ampleur du rétablissement des comptes publics exige sans cesse de nouveaux ajustements, la concentration des services se poursuit au cours des prochaines années, notamment dans les campagnes dont la démographie est la moins dynamique, cela en dépit de l'abandon officiel de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et d'initiatives de mutualisation intéressantes, mais encore trop éparses.
En matière de santé, l'offre se rétracte précisément dans les territoires ruraux les plus fragiles, qui sont doublement exposés : au vieillissement et à l'arrivée de populations en situation précaire, rejetées par des villes trop chères, et dont l'état de santé peut nécessiter de lourdes prises en charge.
Certains petits commerces arrivent encore à se maintenir dans les bourgs et les campagnes en profitant, là où l'état des connexions à Internet le permet, des possibilités offertes par le commerce électronique.
A l'horizon d'une dizaine d'années, la quasi-généralisation du très haut débit facilite grandement l'accès, notamment à domicile, à toutes sortes de services, non seulement administratifs et commerciaux, mais aussi dans le domaine médical ; hélas, la tendance à la concentration des services et de toutes sortes de facilités aura, entre-temps, découragé un grand nombre d'installations de personnes et d'activités, et encouragé beaucoup de départs, pesant lourdement et durablement sur la démographie et l'activité de nombreuses campagnes.
SCENARIO
Dans toutes les campagnes, l'accès à une gamme complète de services est préservé ou amélioré.
En dépit des contraintes budgétaires, l'accès à de multiples services essentiels (petite enfance, enseignement, médecine, services aux personnes âgées, commerces etc.), qu'ils s'effectuent à partir de bourgs-centres ou de villes moyennes, reste un objectif prioritaire. Localement, il est prêté la plus grande attention au rôle structurant des écoles. La qualité et l'accès aux infrastructures routières et ferroviaires demeurent garantes de l'attractivité et de la notoriété des territoires, et rétroagissent sur l'offre de services privés.
Le maintien, sinon l'amélioration de l'accès de proximité à toute une gamme de services demeure budgétairement soutenable. En effet, pour nombre d'entre eux, les initiatives reposant sur l'idée de mutualisation des moyens humains, des implantations physiques et des réseaux se multiplient. L'utilité des 10 000 points de contact de La Poste en zone rurale n'est pas remise en cause. Non seulement la croissance accélérée de l'e-commerce finit par compenser la baisse du trafic de courrier, mais les antennes postales constituent souvent les plateformes d'une mutualisation qui, de plus en plus fréquemment, repose aussi sur des formules de partenariat incluant des services privés de proximité (commerces, cafés, agences etc.).
Pour préserver les services offerts aux populations tout en réalisant des économies, « l'imagination est au pouvoir » et toutes les expérimentations réussies font l'objet d'un recensement national permettant à chaque territoire, en tant que de besoin, d'y puiser.
D'une façon générale, les administrations et certains services médicaux peuvent s'appuyer sur la généralisation du haut puis du très haut débit pour multiplier les prestations directes à domicile ou dans des points d'accès administratifs et médicaux de grande proximité, ce qui engendre des synergies budgétaires entre logique de mutualisation et logique de concentration, sans que cette dernière puisse heurter la logique de proximité, car les services concernés peuvent être fournis à distance.
En matière de santé, dans des territoires ruraux rendus plus attractifs, l'offre physique de soins augmente sous l'impact de la hausse du numerus clausus , du déploiement des maisons de santé et du salariat, du recours accru aux délégations de soins et de mesures incitatives. La télémédecine, qui profite de la généralisation du très haut débit, conforte l'accès aux soins à domicile, pérennise des établissements hospitaliers secondaires bien utiles pour le traitement des urgences et facilite, d'une façon générale, les liens entre les différents praticiens.
Dans les villes moyennes, les bourgs et certains villages, la présence de petits commerces, soutenus en tant que de besoin par des initiatives municipales, est confortée par l'usage d'Internet. Il est possible de leur passer commande à toute heure sur Internet et d'effectuer sur place toutes sortes d'opérations : nouvelles commandes, réservations, récupération d'achats, y compris ceux effectués sur des sites partenaires, voire concurrents... L'offre de proximité s'enrichit en services tels que la livraison, l'installation ou l'entretien de biens faisant l'objet de mise à disposition ou de commandes électroniques, plutôt que de stocks préalables .
L'accès à la culture est in fine favorisé par un accès préservé aux services des villes moyennes (car ils préservent leur vitalité, leur population et leur capacité financière à organiser des évènements, entretenir des structures ou valoriser un patrimoine dans le champ culturel), aux réseaux routiers et ferrés (permettant de rejoindre la métropole la plus proche) et électroniques (permettant l'accès, collectif ou à domicile, à différents supports).
PRINCIPAUX LEVIERS
gouvernance améliorée
• planification foncière (contre une
dispersion excessive de la population)
• adaptation des normes à la
réalité des territoires
accès facilité aux réseaux de communication physiques
accès aux réseaux électroniques
• télétravail
• télémédecine
• e-commerce
accès aux services et à la santé
• rationalisation et mutualisation des
points d'accès aux services publics
• accès à l'école et aux
formations
II. QUATRE LEVIERS STRUCTURELS
Les leviers permettant la réalisation du scénario vertueux peuvent être regroupés de manière à constituer un ensemble cohérent de politiques publiques. Suivant des modalités différentiées pour s'adapter à la diversité des territoires ruraux, ces politiques sont de nature à maintenir ou améliorer leur attractivité auprès des particuliers et d'entreprises dont un grand nombre tend, depuis plusieurs décennies, à se rapprocher des centres urbains ou à renoncer à l'implantation de certains de leurs établissements en zone rurale.
Quatre conditions apparaissent comme fondamentales pour un développement pérenne de toutes les campagnes : une gouvernance adaptée, un bon accès aux réseaux physiques, aux réseaux électroniques, ainsi qu'aux services et à la santé .
Cette énumération a quelque chose de décevant. Au fond, tous les acteurs du monde rural ne savent que trop bien ce qui manque à leurs territoires pour en valoriser le potentiel. Mais ils savent aussi l'étendue des difficultés, parfois insurmontables, auxquelles ils s'exposent afin d'y remédier. Pour que toutes les campagnes progressent, il n'y a pas de recette miracle, il faut une volonté et il faut des moyens. Heureusement, comme on le verra, la volonté peut être largement décentralisée, et les moyens réduits sur la base d'initiatives adaptées aux configurations locales. On peut compter sur ce trésor inaliénable qu'est l'attachement à leur territoire, l'enthousiasme et la créativité des populations rurales et de leurs élus.
Quoi qu'il en soit, ces quatre leviers restent les conditions sine qua non d'une prospérité durable de l'ensemble du monde rural, par delà les aléas macro-économiques. Pris ensemble, ils composent une authentique politique structurelle en faveur des campagnes .
D'autres leviers, d'autres politiques, dont le caractère est plus contingent ou spécialisé, peuvent apparaître comme essentiels selon les caractéristiques des différentes campagnes. Mais leur efficacité sera presque toujours conditionnée par la réunion des conditions précédentes.
Plus généralement, il ressort des auditions conduites par vos rapporteurs que toutes les politiques rétroagissent les unes sur les autres, et qu'aucun résultat dans un quelconque domaine ne peut être escompté sans actionner simultanément la plupart des leviers que nous avons identifiés . La problématique du développement des campagnes est au fond la même que celle du développement en général : tout est lié, tout se tient, toute action nécessite un catalyseur qui, lui-même, est le résultat d'une autre action nécessitant un autre catalyseur, etc.
A. GOUVERNANCE ET STRUCTURES LOCALES
La question est celle du pilotage des territoires ruraux, au croisement des gouvernances nationales et locales, dans le creuset des structures locales et sous l'empire d'un certain contexte normatif.
1. Gouvernance nationale
En dépit de l'existence de la DATAR, censée « préparer les orientations et mettre en oeuvre la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire » et, à cet effet, assurer « au niveau national la coordination interministérielle », la lisibilité et la cohérence de la politique gouvernementale d'aménagement du territoire en milieu rural apparaît comme perfectible en raison de la multiplicité des dispositifs et d'une coordination insuffisante au niveau interministériel, défaut qui peut aussi se retrouver dans la mise en oeuvre des mesures au niveau local.
Ces défauts, évoqués, par exemple, par Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR (« La question des mouvements de population est souvent indifférente à la DGTIM (direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) - d'où l'intérêt d'une réflexion interministérielle - et la DATAR n'avait même pas été entendue sur le SNIT - schéma national des infrastructures de transport ») sont en particulier répertoriés dans le rapport d'information « Territoires ruraux, territoires d'avenir » 63 ( * ) et dans celui sur la simplification des normes au service des territoires ruraux 64 ( * ) .
En outre, la synergie nécessaire entre les soutiens de l'Etat et les moyens des collectivités territoriales dédiés à l'aménagement du territoire repose sur des contrats de projets État-régions (CPER) dont la portée gagnerait certainement à être clarifiée 65 ( * ) .
Par ailleurs, pour la mise en place des outils de planification foncière autant que pour favoriser l'interterritorialité, dont on constatera plus loin la nécessité, le besoin se fait sentir d'une politique nationale d'aide en ingénierie territoriale , la mission d'ingénierie publique de l'Etat ayant été inopportunément supprimée à compter de 2012 pour les collectivités locales susceptibles d'accéder à une offre concurrentielle dans le secteur privé.
Du point de vue des politiques de redistribution financière , ces dernières pourront continuer à articuler les mesures générales de soutien à l'économie présentielle par la demande des ménages avec celles visant au développement économique (soutien à l'innovation, fiscalité et prélèvements sociaux le cas échéant différenciés, aides et participations diverses, dans une logique ou non de projet).
Certes, les politiques de développement, et particulièrement celles reposant sur des zonages (zones de revitalisation rurale etc.), présentent parfois un caractère « palliatif » qui ne saurait constituer un projet de long terme, et ce rapport s'oriente prioritairement vers la recherche des voies et moyens d'une réunion ab initio des conditions nécessaires à un développement des territoires ruraux affranchi de toute béquille circonstancielle à l'efficacité parfois douteuse.
En revanche, les politiques de redistribution conserveront un rôle majeur dans le soutien aux territoires ruraux, globalement plus pauvres, vis-à-vis desquels elles constituent la première des politiques de solidarité .
Pour Laurent Davezies 66 ( * ) , « un arbre cache la forêt : les enjeux les plus visibles, à propos des dépenses publiques et des prélèvements sociaux, portent sur la part explicite des politiques territoriales , là où l'action publique exprime une volonté stratégique. C'est le cas de la politique de la ville, de la DATAR, des contrats territoriaux ou encore des grands chantiers. Ce sont ces politiques qui focalisent toutes les analyses et les controverses, tous les discours, articles de presse et travaux de chercheurs, alors que ces dépenses ne sont qu'une goutte d'eau à côté des transferts de revenus liés aux politiques territoriales implicites. Ces dernières sont le résultat - plus inerte que piloté - de l'ensemble des mécanismes de prélèvement et de dépenses des budgets publics et sociaux. C'est moins la stratégie géographique volontaire de quelques programmes qui fabrique la solidarité entre les territoires que la circulation - involontaire et ignorée - de l'ensemble des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques. Les effets territoriaux les plus puissants des politiques publiques tiennent, curieusement, à leur caractère non territorialisé ».
Or, avec la crise des budgets publics, ces politiques ne sont pas les moins menacées.
Au moment où des pressions croissantes vont s'exercer sur les budgets sociaux et fiscaux, il faut donc rappeler avec force le rôle majeur des mesures de solidarité nationales qui, en évitant la formation de poches de pauvreté dans les territoires les moins développés et particulièrement dans certains territoires ruraux, participent en réalité à la politique d'aménagement du territoire en renforçant l'égalité territoriale.
Enfin, on rappellera que le financement des collectivités locales rurales pose un problème, car le différentiel entre les dotations urbaines et rurales ne semble plus cohérent avec le niveau des charges leur incombant, qui tend à s'aligner sur celui des villes, même si la mise en place des intercommunalités a contribué à mieux répartir ce surcroît de charge. Ces dernières financent certains types d'investissements (réalisations d'équipements, médiathèques, équipements sportifs, piscines, équipements scolaires et santé) qui relevaient auparavant de la ville centre ou du bourg.
2. Structures locales
Comme l'indique Martin Vanier, professeur de géographie et d'aménagement à l'université Joseph Fourier (Grenoble I), « l'architecture territoriale de la France n'est certainement pas parfaite, mais ce qui est problématique, c'est moins la carte des territoires que l'usage qu'on en fait , par le fonctionnement des collectivités, en leur sein et entre elles, par la pratique des compétences, par l'état de la fiscalité locale, part le rapport à l'ingénierie, etc. On promet toujours de réformer la carte, mais le fonctionnement et les pratiques ? Faut-il « que tout change pour que rien ne change ? » .
a) La commune, pilier de la ruralité
Tout d'abord, il convient d'affirmer la nécessité du maintien de la commune , des quelque 36 000 communes françaises, cadre administratif et politique porteur par excellence de l'idée de ruralité, garant de la prise en compte des campagnes dans la gestion des affaires publiques. C'est par la commune que la ruralité , qui tend à disparaître des zonages à vocation opérationnelle de l'INSEE 67 ( * ) , conserve une expression propre et obligée .
Cette expression passe bien entendu par la participation de l'ensemble des communes au corps électoral du Sénat , mais aussi par la participation de toute commune, en tant que telle et quelle que soit sa taille, aux organes de l'intercommunalité . Le rôle des communes en tant qu'échelon de proximité, affirmé par l'ensemble des élus locaux, ne semble plus guère contesté à l'heure actuelle. Mais les modes changent... Il faudra donc veiller sur le long terme à la pérennité de la commune rurale et à sa représentation en bonne et due forme au sein des organes délibérants des EPCI.
Il faudra aussi veiller à l'association des communes rurales à l'ensemble des structures de dialogue territorial qui pourront être mises en place afin de surmonter, au-delà des problèmes du découpage communal auquel répondent les intercommunalités, l'ensemble des questions issues de l'enchevêtrement des compétences et des financements territoriaux.
On pense ici aux conférences territoriales des compétences que la future loi de décentralisation devrait instituer, mais aussi à toutes structures de concertation, de contractualisation et de décision qui existeraient ou seraient instituées dans une intention équivalente au sein de tel ou tel périmètre de projet : bassins de vie, pays...
b) Des circonscriptions rurales trop isolées des villes
La ruralité sera de moins en moins pensée indépendamment de la ville, dont les campagnes sont l'arrière-pays géographique, économique, démographique et écologique.
Pour le sénateur Edmond Hervé, « Rien n'est plus néfaste que l'opposition ville-campagne et pour mettre en oeuvre la politique qui vous intéresse, nous devons avoir une approche décentralisée, partenariale, ascendante et volontariste.
« Pour ce faire, il faut tout d'abord définir un territoire homogène, avec un esprit d'appartenance, capable de mise en commun. Ce peut-être un bassin de vie, un pays, une vallée, une ou des intercommunalités.
« Un territoire « révélé » par des élus, des acteurs économiques, associatifs, une autorité administrative, un chercheur...
« Il faut ensuite bâtir, écrire un projet qui soit débattu, transversal, fondé sur une culture de développement, de confiance et d'action. Ce projet aura d'autant plus de consistance qu'il bénéficiera d'une fonction de diagnostic, d'observation, de veille, de prospective. Cette fonction peut être assurée par des agences de développement (cf. les agences d'urbanisme) qui peuvent dépendre du département (prévue par les lois Defferre de 1982-1983), d'une ou plusieurs intercommunalités, de l'université, d'un organisme privé par délégation. Pour que cette mission fonctionne, il faut identifier les défis à relever ».
Cependant, dans le panorama ainsi déployé de l'avancée des interactions entre ville et campagne, la gouvernance semble avoir pris du retard.
Pour prendre l'exemple de l' intercommunalité , principal outil de mise en cohérence des politiques publiques à l'échelon local, nombre d'entre elles ont été conçues, à la périphérie des villes grandes et moyennes, dans un esprit de défense et d'endiguement : la campagne a marqué son territoire, à la complémentarité inscrite dans la géographie a été préférée une césure dérivée de l'opposition traditionnelle entre la ville et la campagne.
Tout indique que l'achèvement en cours de la carte de l'intercommunalité, à laquelle le ministre de l'intérieur, auditionné par la délégation du Sénat aux collectivités territoriales le 23 octobre 2012 a affirmé son attachement et qui devrait faire entrer la quasi-totalité des communes françaises dans un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ne modifiera pas cette situation en parfaite contradiction avec l'ensemble des recherches tendant à identifier les périmètres les mieux susceptibles de servir de cadre à une gouvernance conforme aux réalités actuelles de la géographie économique et humaine.
En d'autres termes, les périmètres des EPCI ne correspondent pas toujours aux bassins de vie ou aux zones d'emploi dans lesquels devrait idéalement être mis en oeuvre le déploiement d'un grand nombre de politiques publiques décentralisées .
Ce découplage accentue la difficulté de faire face aux phénomènes analysés par ailleurs dans le présent rapport : les conflits sur l'usage du territoire campagnard entre anciens et nouveaux ruraux ; les choix à faire entre la logique d'expansion de la ville et la logique de pérennisation du milieu rural ; la prégnance d'une demande, portée en particulier par les nouveaux arrivants, d'alignement sur le niveau des services au public disponibles en ville ; la complexification de la politique des transports résultant de la multiplication des migrations quotidiennes pendulaires ; la complexification de la politique de l'urbanisme dans les campagnes dont l'économie repose sur une base résidentielle.
Concrètement : comment répartir rationnellement les objectifs de production de logements entre les communes d'une aire urbaine comprenant plusieurs intercommunalités, comment planifier efficacement la politique des déplacements à l'intérieur d'une zone d'emploi partagée entre plusieurs intercommunalités ?
Ces difficultés ne seront pas résolues par la voie d'un illusoire redécoupage de la carte territoriale en fonction des interdépendances et des flux identifiés par les économistes, les sociologues et les géographes. C'est donc en recourant aux autres dispositifs de gouvernance territoriale qu'il faudra affronter les défis adressés, aujourd'hui et demain, à la ruralité.
c) Quelques avancées en cours
Les dispositifs précités vont être bientôt réformés dans le cadre de l'acte III de la décentralisation annoncé par le Président de la République à l'occasion des Etats généraux de la démocratie territoriale réunis par le Sénat les 4 et 5 octobre derniers. Il s'agit de fournir des remèdes aux dysfonctionnements généraux de la gouvernance territoriale, qui ne diffèrent guère d'un territoire à l'autre : enchevêtrement des compétences décentralisées, complexité des circuits décisionnels, doublonnages et déperdition d'énergie .
En matière de gouvernance, les grandes orientations de la réforme en vue sont connues, elles bénéficieront aux campagnes comme aux autres territoires. Le Président de la République a ainsi évoqué lors des Etats généraux 68 ( * ) la création d'un Haut Conseil des territoires regroupant toutes les structures existantes et servant d'instance de concertation, d'évaluation et de négociation entre les territoires, l'Etat et les représentants des associations d'élus, le droit à l' expérimentation , le pouvoir d'adaptation locale de la loi et des règlements , l'allègement des normes, la clause générale de compétence, le maintien de l'absence de tutelle d'une collectivité sur d'autres, le principe du chef de file, la possibilité de laisser les collectivités s'organiser et décider en commun par un pacte de gouvernance territoriale.
Des progrès de la gouvernance des territoires sont donc en gestation pour le court et le moyen termes. Les territoires ruraux en profiteront, la prise en compte de leurs besoins en exigera d'autres.
3. Pour une meilleure gouvernance locale
Derrière l'énumération présentée ci-dessus, on peut tenter d'établir, en toile de fond, une cartographie sommaire des conditions permanentes de la bonne gouvernance des campagnes.
a) Etendre la logique de projet ...
Une logique de projet conçue localement, définie par des instances démocratiquement élues et validée par des consultations, voire par des éléments de démocratie directe, peut aider un territoire à éviter l'immobilisme que favorisent tantôt les conflits d'usage - notamment dans les campagnes connaissant une expansion de la population qui s'effectue alors au détriment de son homogénéité -, tantôt des perspectives atones , souvent liées à une déprise démographique vécue comme inexorable.
Dans cette optique, la concertation locale , par exemple sur le modèle des « conseils de quartier », doit être systématiquement favorisée.
Portage de la logique de projet au niveau décentralisé Au niveau décentralisé, la promotion d'une logique de projet et la cohérence des actions qui en découlent impliquent une bonne articulation entre, d'une part, les périmètres des « territoires de projet » (que sont aujourd'hui essentiellement les intercommunalités et les « pays »), d'autre part, les stratégies de développement reposant sur des outils de zonage - les SCOT depuis la loi SRU 69 ( * ) . Les SCOT, auxquels échappent encore de nombreux territoires, s'inscrivent en principe dans une logique irréprochable de « développement durable » et devraient ainsi tendre, de façon équilibrée, au renouvellement urbain, à un développement urbain maîtrisé, au développement de l'espace rural et à la préservation des espaces naturels et des paysages. |
Aujourd'hui, non seulement la gouvernance « de projet » est loin d'être généralisée, mais elle repose sur des supports dont les articulations sont peu définies , entre les pays, les SCOT et l'intercommunalité qui, par ailleurs, présente des insuffisances notoires avec la persistance jusqu'à aujourd'hui de communes isolées, avec des communautés de communes parfois de trop petite taille pour monter des projets, avec des coopérations intercommunales constituées dans des logiques exclusives ou défensives, etc.
Il est en outre particulièrement dommageable que cette gouvernance ne réunisse pas plus souvent les villes et les campagnes , nonobstant la morphologie des circonscriptions rurales ( supra ).
Ajoutons enfin qu'au niveau de la région, les SRADDT (schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire) sont des exercices prospectifs débouchant sur des orientations fondamentales (à un horizon de dix ans) qui n'ont pas de valeur normative ni contractuelle ; en particulier, ils ne sont pas opposables aux SCOT ni aux PLU. Elaborés en association avec les acteurs publics, économiques et sociaux de la région, ils ont toutefois le mérite de reposer sur un diagnostic partagé.
b) ... exige plus d'interterritorialité ...
D'une façon générale, la recherche d'interterritorialité est un axe de progrès fondamental car, sans cohérence des politiques, le risque est de favoriser les situations de « jeux à sommes négatives » résultant de projets contradictoires ou redondants, ou d'un cumul de stratégies qui viseraient, par exemple, à cultiver exclusivement des aménités résidentielles sans considération de la base productive.
L'exigence de coordination peut être saisie à travers cette notion synthétique d' interterritorialité , dont Martin Vanier s'est fait le promoteur. Celui-ci a ainsi explicité son approche : « ce qu'il faudrait faire évoluer, ce sont les règles de fonctionnement des collectivités entre elles, pour faire grandir la culture de la négociation interterritoriale, sortir les territoires du syndrome du fief, renouveler l'exercice démocratique qui s'est beaucoup essoufflé. Faire bouger en permanence l'architecture n'est pas prioritaire. On a clairement un grand défi de gouvernance, qui laisse les « gouvernements » locaux dans des fonctionnements pseudo souverains qui ne sont plus pertinents alors qu'il faut organiser l'interterritorialité.
Le principe de la collectivité chef-de-file, l'idée d'administration interterritoriale de mission, la coordination des compétences croisées dans des politiques publiques en réseau, dans le cadre de l'exercice par chaque niveau de sa compétence générale, et des réformes plus techniques comme celle consistant à rendre plus simple et plus souple le cadre du syndicat mixte, sont quelques-unes des pistes pour cette interterritorialité ».
Cette interterritorialité, aujourd'hui préfigurée par les interSCOT ou par les inter-intercommunalités , est corrélative à la montée en puissance des logiques de projet , et implique une contractualisation et une coordination systématisée de l'exercice des compétences.
Elles sont, de l'avis de vos rapporteurs, des conditions obligées, non seulement de l'efficacité de la gestion locale en général, mais aussi de la pérennité de la ruralité en tant que telle dans un espace géographique et économique entièrement structuré par la ville.
c) ... selon des modalités et un dosage réfléchis
Un dosage doit être réalisé entre la coordination nécessaire des initiatives et la complexification subséquente des processus décisionnaires, qui risquent de stériliser les premières.
Il faut en effet souligner le danger qu'une recherche légitime de cohérence , appliquée aux outils assez disparates que la répartition des compétences met à la disposition des différents niveaux de territoires, n'aboutisse à des formes de limitation de l'action publique .
Ainsi, à propos de l'articulation entre les contrats de projets Etat-région (CPER) et les programmes opérationnels du fonds européen de développement régional (POE FEDER), il a été indiqué à vos rapporteurs lors d'une rencontre avec les services du conseil régional de Basse-Normandie qu'« en voulant la cohérence on crée de la complexité ; par exemple, on a voulu traduire le CPER et les engagements de la France dans la programmation des fonds européens sur l'ingénierie territoriale et sur les projets mis en place : on a imaginé un dossier commun.
(...) [Or,] chacun a sa propre logique et il n'est pas utile de monter des usines à gaz au nom de la cohérence administrative entre les différents outils : les acteurs ne peuvent plus réaliser leurs projets sur le terrain ».
d) Adaptation des normes à la réalité des territoires
A côté de l'optimisation de l'action communale grâce aux outils de l'interterritorialité, une seconde exigence essentielle, en termes de gouvernance, tient à la mise en place de procédures permettant l' adaptation de l'activité normative de l'Etat à la réalité des territoires , en l'occurrence celle des campagnes, en fonction desquelles sont rarement conçus les lois et règlements applicables aux collectivités territoriales.
De nombreux travaux ont été récemment consacrés à l'inflation permanente, coûteuse et non maîtrisée des normes étatiques applicables aux collectivités territoriales. Le poids de la « maladie normative » pèse particulièrement sur les communes rurales, astreintes à appliquer des normes élaborées généralement en fonction des besoins du monde urbain et dépourvues des moyens de s'acquitter dans de bonnes conditions de cette obligation. Le député Pierre Morel-A-L'Huissier a expliqué à vos rapporteurs que « [de] très nombreux contacts - environ quatre mille - avec différents acteurs du monde rural (...) ont fait ressortir un sentiment général d'exaspération face à une stratification d'éléments de complexité pour les élus, les associations ou les commerçants. Le monde rural est confronté à l'inculture administrative des administrations centrales dans le domaine de la ruralité, alors que les trois quarts des communes comprennent moins de mille habitants ».
• Par lettre du 25 octobre 2011, le Président
de la République avait ainsi chargé Pierre Morel-A-L'Huissier et
plusieurs de ses collègues d'identifier les textes réglementaires
freinant le développement des territoires ruraux et de proposer des
mesures de simplification et de clarification de la réglementation.
Remis le 10 avril 2012, le rapport sur la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux a présenté deux cents propositions visant à débloquer le cadre administratif pesant sur les acteurs locaux, parmi lesquelles figuraient notamment la reconnaissance d'un principe d'adaptation des normes aux circonstances locales destiné à permettre aux autorités locales d'appliquer les normes nationales avec une certaine latitude , ainsi que la création d'une commission nationale de simplification (CNS) présidée par le Premier ministre et chargée d'amplifier le processus de simplification.
A la suite de ce rapport, Pierre Morel-A-L'Huissier a déposé, le 23 août 2012, une proposition de loi portant création des principes d'adaptabilité et de subsidiarité en vue d'une mise en oeuvre différenciée des normes en milieu rural. Ce texte, examiné et rejeté par l'Assemblé nationale le 11 octobre 2012, proposait :
- l'octroi aux collectivités territoriales, pour les décisions relevant de leurs compétences, de la possibilité de décider ponctuellement de substituer aux normes applicables des mesures proportionnées et répondant aux objectifs poursuivis par la loi, lorsque ces normes impliquent la réalisation de prestations ou de travaux nécessitant la mise en oeuvre de moyens disproportionnés au regard des objectifs recherchés et des personnes qui y sont assujetties ;
- l'institution, en ce qui concerne les domaines ne relevant pas de la compétence des collectivités territoriales, d'une disposition de portée générale autorisant le préfet à accepter ponctuellement des propositions de mesures se substituant aux normes réglementaires impossibles à mettre en oeuvre, insupportables financièrement ou manifestement disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis par la loi, sous réserve que ces mesures répondent à ces objectifs.
• Par lettre du 17 janvier 2011, le Président
de la République a chargé Eric Doligé, sénateur, de
proposer «
des mesures de simplification, ambitieuses et
concrètes, pour desserrer les contraintes et alléger les
coûts excessifs qui pèsent sur nos collectivités
territoriales, en [s'] attachant à identifier les normes qui doivent
être prioritairement modifiées en raison de leur caractère
inadapté et coûteux
».
Non spécifiquement orienté vers les communes rurales mais proposant des pistes susceptibles de desserrer l'étau normatif dans lequel elles doivent exercer leurs missions, le rapport Doligé, présenté le 16 juin 2011, outre un grand nombre de mesures de simplification directe de normes repérées comme disproportionnées :
- proposait la fixation d'un programme de réduction annuel des normes en imposant une obligation de résultat ou en déterminant des règles de stabilité minimale dans le temps ;
- suggérait une adaptation du droit aux réalités locales liées à la taille et aux moyens des collectivités territoriales, grâce à l'introduction d'un principe de proportionnalité « défini comme l'exigence que toute charge imposée au destinataire de la règle de droit soit limitée à la stricte mesure nécessaire de l'objectif à atteindre et requiert un minimum de charges pour le destinataire de la norme ».
Une partie de ces propositions a été reprise dans une proposition de loi déposée le 4 août 2011 et dont l'examen n'a pas été achevé. Celle-ci prévoit, en particulier, l'institution d'un principe de proportionnalité tendant à permettre l'adaptation des normes à la taille des collectivités, ainsi que des déclinaisons sectorielles du même principe (assouplissement de l'encadrement des dérogations en matière d'accessibilité, régime dérogatoire en matière de restauration scolaire et d'assistants maternels).
*
Les débats qui ont eu lieu sur ces propositions ont fait apparaître la difficulté juridique d'intégrer le principe de proportionnalité , et la différenciation des normes en fonction des circonstances locales qui en résulte, dans l'ordonnancement juridique dont relèvent les collectivités territoriales.
Ce n'est pas que le principe lui-même soit inenvisageable : si aucun texte n'institue en droit constitutionnel français un principe général de proportionnalité, cette notion n'est pas étrangère à notre ordonnancement juridique. Un contrôle de la proportionnalité est ainsi mis en oeuvre par le Conseil constitutionnel sur le fondement de dispositions imposant soit la nécessité, soit la proportionnalité des dispositions législatives par rapport au but poursuivi, soit l'adéquation des moyens au but poursuivi. A titre d'illustration de la mise en oeuvre du principe de proportionnalité au sens strict, l'article 5 de la charte de l'environnement prévoit que « (...) les autorités publiques veillent (...) à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Ce qui pose un problème, en particulier au regard du principe constitutionnel d'égalité, est la création du dispositif d'adaptation des normes aux réalités locales qui servirait à traduire dans le droit positif applicable aux collectivités territoriales l'idée générale de proportionnalité. Il existe pourtant des précédents .
Principe de proportionnalité : quelques précédents A titre d'illustration, l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, relatif à l'accessibilité des établissements existants recevant du public, prévoit que les décrets devant fixer par type et par catégorie d'établissement les exigences relatives à l'accessibilité « précisent les dérogations exceptionnelles qui peuvent être accordées aux établissements recevant du public après démonstration de l'impossibilité technique de procéder à la mise en accessibilité ou en raison de contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural ou lorsqu'il y a disproportion manifeste entre les améliorations apportées et leurs conséquences ». A côté de cette disposition ciblée, il est intéressant de se référer au dispositif général institué par les dispositions législatives fixant les attributions de l'assemblée de Corse. Aux termes du II de l'article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales, « Sans préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental. « La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse ». Ce texte résulte de l'article 1 er de la loi de 2002 relative à la Corse. Dans sa décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002, le Conseil constitutionnel avait estimé que ces dispositions « (...) se bornent à préciser la procédure que doit suivre et les conditions que doit respecter la collectivité territoriale de Corse pour demander à être habilitée par le législateur à définir les modalités d'application d'une loi au cas où il serait nécessaire d'adapter les dispositions réglementaires nationales aux spécificités de l'île ; qu'en particulier, ils indiquent que la demande d'habilitation ne peut concerner que les compétences qui sont dévolues à cette collectivité par la partie législative du code général des collectivités territoriales ; qu'ils excluent par ailleurs une telle demande si l'adaptation sollicitée est de nature à mettre en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental (...) ». |
Ils constituent autant de pistes à explorer pour parvenir à mettre en place un régime juridique de l'adaptation des normes étatiques aux circonstances locales .
BLOC DE PRÉCONISATIONS GOUVERNANCE ET STRUCTURES LOCALES
Stabiliser et clarifier la politique d'aménagement du territoire ; veiller tout particulièrement au bon emboîtement des stratégies économiques territoriales, notamment régionales, avec la politique et les objectifs nationaux Conduire des politiques différenciées selon la densité de la population et les spécificités géographiques (par exemple pour les zones de montagne) Maintenir le pouvoir d'achat des principaux instruments de la solidarité nationale (chômage, RSA, prime pour l'emploi, etc.) Adapter la différence, devenue probablement excessive, entre les dotations de décentralisation urbaines et rurales, à la réalité des contraintes locales (dans un premier temps, susciter la réalisation d'une étude chiffrée exhaustive, propre à fournir des éléments de comparaison objectifs) Préserver le caractère incitatif de la fiscalité locale pour les collectivités accueillant des entreprises dans leur périmètre Soutenir la capacité d'ingénierie financière des collectivités locales Sanctuariser la politique fiscale et sociale de solvabilisation de la demande pour les services à la personne Coordonner et renforcer par des initiatives nationales toutes les démarches propres à conforter l'image des campagnes françaises auprès des résidents et des entreprises
Réaffirmer le rôle-pivot de la commune et le principe de sa participation à l'ensemble des structures de dialogue territorial Elargir le périmètre de certaines structures intercommunales à des ensembles économiquement cohérents, comprenant des zones rurales et urbaines
Penser et piloter le développement économique local, particulièrement dans les campagnes, en articulant base productive, base résidentielle et économie présentielle Définir des stratégies locales de développement économique s'appuyant sur des logiques de projet fédératrices et favoriser l'interterritorialité et l'inter-intercommunalité pour en garantir la cohérence Adapter les normes à la réalité des territoires pour libérer l'initiative, limiter les coûts et en assurer la représentation équitable dans toutes les instances de concertation et de décision |
B. SERVICES ET ÉQUIPEMENTS PUBLICS
L'accès aux services et aux équipements publics, à l'éducation et à la santé sont cruciaux pour les ménages et les entreprises appelées à recruter. A noter qu'on ne revient pas ici sur le rôle structurant des bourgs et des villes moyennes pour les territoires ruraux, abordé supra .
1. Généralités
Qu'il s'agisse de l'administration territoriale de l'Etat, de la santé, de la petite enfance, de l'éducation, de la gendarmerie, de la justice, de La Poste, de Pôle emploi ou encore d'équipements sportifs, la question d'un accès aisé à ces services et commodités se pose immanquablement dans les décisions d'installation de particuliers dont le degré d'exigence , à cet égard, tend à s'uniformiser , qu'ils résident à la ville où à la campagne.
Or, des contraintes budgétaires s'exerçant à tous les niveaux des administrations publiques suscitent diverses opérations de rationalisation qui vont généralement dans le sens d'une diminution du nombre de points d'accès à ces services. Dans ce contexte, une sorte de « code de bonne conduite » a été adopté : la « charte sur les services publics en milieu rural ».
La charte sur les services publics en milieu rural Pour répondre aux préoccupations des acteurs locaux relatifs aux réorganisations des services publics, la charte sur les services publics en milieu rural a été signée le 23 juin 2006 par l'Etat, l'Association des maires de France et quatorze partenaires accomplissant des missions de service public : La Poste, SNCF, EDF, l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'Office national des forêts, la Caisse nationale d'assurances vieillesse des travailleurs salariés, GDF, l'Association nationale pour l'emploi, le groupe des autorités responsables de transport, l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, l'Assemblée permanente des chambres de métiers, la Mutualité sociale agricole, la Caisse nationale d'assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales et l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture). La charte propose une démarche dont l'objectif est d'améliorer les services publics dans tout le territoire. Elle prévoit que toute réorganisation de services publics sera fondée, dans chaque département, sur un « diagnostic » obligatoire et une concertation préalable animée par le préfet . Par ailleurs, les acteurs locaux (Préfet, Président du Conseil général et Président de l'Association départementale des maires) doivent être informés de toute modification concernant des services publics (en particulier, les élus locaux doivent être avertis deux ans à l'avance de toute fermeture d'école). Pour assurer la proximité et l'accessibilité des services publics, les collectivités devront rechercher « toutes les formules de mutualisation, de regroupement (...) ou de dématérialisation des relations avec les gestionnaires de service public ou au public ». |
En dépit de l'abandon récent de la RGPP 70 ( * ) , la question de concilier un accès préservé, sinon amélioré, aux services avec la réalisation d'économies n'a, au contraire, jamais été autant d'actualité avec l'accroissement continu des tensions sur les budgets publics dont augure la crise actuelle.
Il serait souhaitable, ainsi que le souligne l'association des maires ruraux de France, que la logique de concentration , encore trop souvent à l'oeuvre et qui débouche sur la désertification quasi-programmée de certains villages au profit de bourgs , laisse plus communément la place à une logique de mutualisation que, par ailleurs, certaines initiatives et expérimentations mettent heureusement en avant.
La mutualisation des services au public : des initiatives particulièrement adaptées au milieu rural Les Relais services publics La circulaire du 2 août 2006 invite les préfets de département à labelliser, sous le nom de Relais services publics (RSP), des structures d'accueil polyvalent du public. Sans forme juridique imposée, les RSP peuvent être portés par une mairie, une structure intercommunale, un service de l'État ou une association. Les RSP doivent permettre au public d'obtenir des informations et d'effectuer des démarches administratives relevant de plusieurs administrations ou organismes publics, avec, pour socle minimal, l'emploi et les prestations sociales. Après la signature d'une convention par les opérateurs de services avec l'exploitant du RSP et la collectivité d'accueil (EPCI ou commune), un arrêté préfectoral engage l'Etat sur une aide à l'investissement initial et au fonctionnement pendant un minimum de trois ans. Après cinq années d'existence, ces points de mutualisation ont évolué et se sont enrichis de partenariats plus nombreux et d'une offre de services plus complète. Le développement des nouvelles technologies a enfin permis de mieux répondre aux attentes des usagers. L'expérimentation « Plus de services au public » Depuis octobre 2010, le protocole d'accord « Plus de services au public » a permis d'expérimenter dans vingt-trois départements une coopération avec des opérateurs marchands (EDF, GDF Suez, SNCF, La Poste,...) et l'ensemble des opérateurs sociaux, permettant ainsi d' élargir l'offre de services disponibles dans les Relais services publics . Les points d'accueil mutualisés ont dorénavant vocation à devenir des guichets multiservices interadministrations permettant à l'usager de trouver un bouquet de services élargi sur son territoire qui réponde à ses besoins. Ce protocole prolonge les objectifs de la charte sur les services publics en milieu rural en s'attachant plus spécifiquement à la concertation avec les opérateurs privés ou établissements publics. Signé le 28 septembre 2010 entre l'État et neuf grands opérateurs de services publics (La Poste, EDF, SNCF, GDF Suez, Pôle Emploi, Assurance maladie, Caisse nationale d'allocations familiales, Mutualité sociale agricole et Assurance retraite), accompagnés de la Caisse des dépôts et consignations et de l'Union nationale des points information médiation multiservices, le protocole est d'une durée de dix-huit mois. De septembre 2010 (date de signature) au mois de décembre 2011, plus de deux cents projets ont été répertoriés et plus de cent projets de création d'offres de services mutualisés avec, notamment, la création ou le renforcement de relais et de maisons de services publics. Les « points information médiation multiservices » (PIMMS) Relais d'information et de médiation, les PIMMS proposent et facilitent l'utilisation des services de proximité à la disposition des habitants. L'Union nationale des points information médiation multiservices met en oeuvre avec ses partenaires (l'Etat, les collectivités locales et des opérateurs privés et publics) de nouvelles formes de présence des services publics dans les territoires, destinés à faciliter l'accès des citoyens en situation vulnérable aux services publics et à faciliter la résolution des conflits liés à la vie quotidienne. Dans la mouvance de La Poste... En 2011, La Poste a renouvelé pour trois ans son partenariat avec l'Union nationale des PIMMS . Les « Relais Poste » constituent, depuis 2003, une forme de présence postale installée chez un commerçant ou chez un artisan. Il permet aux clients de La Poste de bénéficier d'un autre lieu d'accueil et de prise en charge de leurs besoins que le bureau traditionnel. Il est accessible à tous avec une amplitude horaire mieux adaptée aux rythmes de vie contemporains. Cette formule de partenariat privé a connu un développement rapide sur l'ensemble du territoire. A noter que, depuis 2010, La Poste expérimente de nouvelles missions en proposant une gamme de services effectués à domicile par le facteur , par exemple l'installation de boîtiers de télévision numérique et boîtiers de téléassistance pour personnes âgées, le relevé de compteurs à gaz ou le portage de médicaments. |
Hélène Jacquet Monsarrat, chargée de mission à la DATAR, estime qu'à ce stade, « les opérateurs évaluent positivement l'expérimentation « Plus de services au public » . Sur les sites, les « visioguichets », qui permettent une visualisation à distance des représentants opérateurs sous forme de rendez-vous individualisés, sont un succès, là où ils ont pu être expérimentés. L'accompagnement par un agent sur le site demeure nécessaire.
« De nombreux chantiers ont été ouverts, notamment ceux de la géolocalisation des espaces mutualisés, à mettre en relation avec les services de plein exercice, et de la formation des agents de ces espaces mutualisés. On peut d'ores et déjà se poser la question de la mise en place d'un « référentiel métier » correspondant à ces nouvelles fonctions. La question du financement reste délicate. On constate que les opérateurs ne participent que peu au financement des espaces mutualisés. Néanmoins, ils sont conscients d'une part de l'intérêt de la présence des espaces mutualisés, lorsque leurs sites de plein exercice s'éloignent des territoires, d'autre part des nécessités financières liées au fonctionnement des sites ».
Les collectivités locales assument en effet, pour une part importante, la charge de ce type de mutualisation (Relais services publics, expérimentation « Plus de services au public »...).
En raison du nombre élevé de ses points de contact (17 000), La Poste aurait vocation à conserver un rôle-pivot pour la plupart de ces démarches . D'après Jacques Savatier, conseiller du président directeur général de La Poste, « le facteur pourrait, dans l'optique d'un réseau mutualisé, faire des visites à domicile de personnes isolées, vérifier le fonctionnement de dispositifs mis à leur disposition etc. Pour que La Poste devienne un opérateur de flux mutualisés élargis, il faudrait qu'elle soit en mesure de gérer un certain nombre de services, du côté du facteur, comme dans les points de contact, de faire de l'intermédiation en mettant à la disposition des usagers des points de contact des agents capables de les mettre en relation avec la personne autorisée à répondre à leur problème, sans se substituer à elle, ce qui implique de résoudre des obstacles juridiques (les agents doivent être habilités à effectuer un certain nombre d'opérations, à gérer la confidentialité des informations transmises...). Il suffit pour cela d'un lieu d'accueil mutualisé et de flux électroniques gérés par des personnes formées ».
Ajoutons qu'à côté des démarches de mutualisation, la préservation, voire l'amélioration de l'accès des usagers aux services peut être ponctuellement recherchée en recourant à l' itinérance de certains d'entre eux.
2. L'accès à la santé
En matière de santé, le problème des déserts médicaux - qui ne concerne pas que les territoires ruraux - pourrait, en conséquence de politiques déjà engagées, perdre en intensité dans de nombreuses campagnes.
Concernant le nombre de médecins, si la hausse du numerus clausus ne déploiera ses effets qu'à partir de 2020, la dynamique récente semble déjà encourageante : en 2010, il y a eu plus d'installations de médecins que de départs dans les zones rurales (à noter que les médecins arrivants sont alors souvent étrangers), même si d'importantes disparités subsistent.
La consultation de spécialistes demeure habituellement difficile, avec des rendez-vous exigeant parfois huit à dix mois d'attente. Les initiatives consistant à déléguer certaines tâches incombant normalement aux spécialistes à d'autres professionnels peuvent alors améliorer la situation. Ainsi, le ministère de la santé travaille sur la délégation de tâches en matière d'ophtalmologie, pour laquelle deux protocoles sont en cours de validation par la Haute Autorité de santé.
Pour le docteur Patrick Romestaing, président de la section « santé publique et démographie médicale » de l'Ordre national des médecins, « la coercition est la dernière mesure à prendre pour résoudre le problème des déserts médicaux » et « il faut agir avant tout sur les conditions d'exercice et sur la formation , en particulier favoriser la découverte et les conditions des modes d'exercice en dehors de l'hôpital. Les jeunes ne veulent pas travailler seuls, il faut créer la possibilité de médecins collaborateurs, favoriser les maisons de santé pluri professionnelles , (...) créer une profession d' aide aux tâches administratives ».
De fait, les maisons de santé connaissent une bonne dynamique, même si leur distribution sur le territoire manque encore d'homogénéité. Pour l'avenir, la télémédecine en premier lieu, mais aussi les coopérations entre professionnels (outre celle précitée) et le salariat , parmi d'autres réponses, pourront apporter des contributions majeures.
Développement de la télémédecine : les principaux obstacles seraient plutôt d'ordre administratif « Au printemps 2012, un dispositif national d'accompagnement de projets-pilotes a été mis en place ; il concerne, en 2012, les AVC (accidents vasculaires cérébraux), l'imagerie médicale et les soins aux détenus. Il doit être étendu, en 2013, aux maladies chroniques et aux soins en structures médico-sociales ou en hospitalisation à domicile . « Sous bien des aspects, le potentiel de la télémédecine ne requiert pas de très haut débit, le haut débit étant suffisant. Le principal frein est aujourd'hui celui de l'absence de modèle économique pour la médecine ambulatoire . Il n'y a pas de problème de rémunération pour les relations entre hôpitaux, mais dès qu'un praticien ambulatoire est concerné, la question des rémunérations bloque les perspectives de développement ». Source : audition de Natacha Lemaire, sous-directrice chargée de la régulation de l'offre de soins (DGOS) au ministère chargé de la santé |
Il semble que le chapitre des pharmacies soit peu évoqué, alors qu'il est également problématique. Leur implantation, ainsi que la rotation de leurs permanences, échappent aux schémas régionaux d'organisation des soins (SROS). Dans les territoires ruraux les moins denses, où les distances entre les pharmacies sont importantes, les difficultés d'accès sont aggravées les week-ends, à cause du faible nombre de pharmacies de garde, et lorsque la population augmente subitement avec l'ouverture des périodes touristiques. En outre, la coordination des implantions respectives des officines et de la médecine ambulatoire n'est pas garantie.
En toute hypothèse, le risque demeure, dans les territoires les moins résidentiels ou les plus pauvres, de difficultés accrues, surtout pour ceux dont la population ne se renforcera pas au cours des prochaines années. Cela d'autant plus que le mouvement de rationalisation de la carte hospitalière pourrait se poursuivre parallèlement, ce qui aggraverait le problème des urgences médicales en dépit des initiatives de conventionnement entre les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et le SAMU pour les transports d'urgence, initiatives probablement appelées à se multiplier.
D'une façon générale, dans ces campagnes souffrant à la fois d'un vieillissement marqué et de l'accroissement des populations en situation précaire, des mesures plus autoritaires à destination des praticiens s'imposeront peut-être afin de préserver, en tout lieu, un accès raisonnable aux soins.
3. L'enjeu stratégique de la formation
a) L'école
Parmi les différents services publics, il convient de faire un cas particulier de l'école, dont la proximité revêt une importance fondamentale pour les familles en milieu rural . Souvent, la fermeture d'une école a des effets en cascade débouchant sur la dévitalisation, alors difficilement réversible, d'une commune. Pour justifier de son engagement, l'éducation nationale explique que 40 % des écoles se situent dans une commune rurale, alors qu'elles n'accueillent que 24 % des élèves.
De fait, l'école en milieu rural est plus onéreuse mais, ainsi que le souligne Dominique Berteloot, directeur académique 71 ( * ) , elle participe grandement à l'aménagement du territoire et l'on ne saurait, ainsi, s'en tenir à un modèle fondé sur la seule observation du ratio « nombre d'élèves sur nombre de maîtres ».
b) Le niveau général de formation
Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, s'interrogeant sur les conditions d'un développement économique en milieu rural, estime qu' « elles dépendent d'abord de la décision des chefs d'entreprise d'y rester ou de s'y implanter . Pour ces derniers, la condition nécessaire, mais pas forcément suffisante, est celle d'une offre territoriale satisfaisante. Celle-ci se caractérise par un triptyque incontournable : très haut débit, qualité des infrastructures de transport et main-d'oeuvre employable.
« Ce dernier point est essentiel car la démographie des campagnes se nourrit de la fuite de populations périurbaines qui sont sous-qualifiées ou peu qualifiées et qui nécessitent en outre un soutien social renforcé . C'est pourquoi des efforts portant sur des infrastructures peuvent être facilement vains, dans la mesure où il est fréquent que la main-d'oeuvre employable soit, par ailleurs, jugée trop rare par les entreprises ».
L e s territoires ruraux se caractériseraient en outre par une plus faible ambition scolaire de la part des familles avec, en particulier, une moindre aspiration à effectuer des études longues. Comment améliorer la formation des jeunes ruraux ? Pour Dominique Berteloot, il convient évidemment de « promouvoir une attitude de l'institution scolaire ne se contentant pas de suivre la demande sociale d'éducation mais suscitant l'ambition scolaire ».
Retraçant son expérience, il explique qu' « en général, les décisions d'orientation "freinent" la demande sociale pour l'accès à la seconde générale et technologique (écart de 1,5 point au niveau national), ou se contentent de répondre favorablement à une demande d'ambition modeste, la prise de risque étant moindre.
« L'évolution récente des flux d'orientation en Creuse fournit une illustration d'une attitude inverse, avec des effets identifiés. Ce département a longtemps eu un taux de passage en secondes générale et technologique très en dessous de la moyenne académique.
« Depuis trois ans, le département a rejoint, et même dépassé en 2010 et 2012, la moyenne académique. L'analyse montre que si les conseils de classe de troisième avaient simplement suivi la demande des familles, ce rattrapage n'aurait pas eu lieu. La Creuse est le seul département de l'académie qui a eu un taux de décision de passage supérieur à la demande des familles. La quasi-totalité des collèges ont, sur les trois dernières années, un taux de décision égal ou supérieur à la demande. Cette volonté émancipatrice, portée par le pilotage départemental, s'est appuyée sur un autre constat : la hausse des taux de passage en secondes générale et technologique s'est accompagnée de taux de passage en première toujours nettement supérieurs à la moyenne nationale ».
Un autre problème est celui du départ assez systématique des jeunes, une fois formés, des territoires ruraux dont ils sont originaires . Une des clés de la solution réside probablement dans la recherche d'une combinaison optimale entre la répartition géographique de l'accès aux différentes formations, qui devrait tendre à plus d'homogénéité, et un recours plus généralisé aux possibilités offertes par l'e-formation afin de minimiser les coûts.
Pour François Moutot, directeur général de l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA), « il se pose le double problème de la dispersion des entreprises et de la concentration des centres de formation d'apprentis dans les agglomérations. Or l'expérience montre que la formation d'apprentis ruraux dans une zone urbaine désincite ces derniers à s'installer dans leur milieu rural d'origine . C'est pourquoi une piste intéressante serait que la formation des apprentis repose pour une part importante sur de l'e-formation, ce qui présenterait une faisabilité supérieure à celle d'un éclatement des centres de formation des apprentis ».
Quoi qu'il en soit, l'attractivité des zones rurales auprès des jeunes, et particulièrement des jeunes diplômés, est un problème général d'image des campagnes souvent associé à l'isolement social et culturel, que le seul levier de l'implantation et de l'accès local aux formations ne saurait complètement résoudre.
*
Il serait particulièrement dommageable que ne s'approfondisse une certaine désertification administrative et médicale avant la généralisation d'un accès en ligne amélioré à de très nombreux services, reposant notamment sur le très haut débit.
Au total, le risque serait celui d'un abandon prématuré, alors difficilement réversible , de pans entiers du territoire.
Des objectifs constitutifs d'une sorte de « bouclier rural 72 ( * ) », fixant des durées maximales d'accès aux différents services publics (par exemple, vingt minutes pour accéder à une école primaire, trente minutes pour un service d'urgences, quarante-cinq minutes pour une maternité...), pourraient être assignés.
D'une façon générale, la consécration de seuils adaptés au monde rural éviterait à certains élus locaux de consacrer jusqu'à 80 % de leur temps - situation vécue par vos rapporteurs - à des démarches défensives visant au seul maintien de l'existant . Une telle déperdition d'énergie ne peut s'effectuer qu'au détriment d'actions positives pour préparer l'avenir et susciter le développement des territoires.
Sous un autre angle, on rappelle que l'augmentation du nombre et de la qualité des services et des équipement dont la charge revient aux territoires ruraux ne justifierait plus, d'après certains observateurs, l' écart qui subsiste pour le montant des dotations globales de fonctionnement (DGF) par habitant entre communes urbaines et rurales, au détriment de ces dernières.
BLOC DE PRÉCONISATIONS
Normaliser les temps d'accès maximum aux différents services publics et de santé
Faire précéder toute modification d'accès à un service public par une concertation auprès des usagers intéressés et veiller à la coordination de l'ensemble des modifications en cours au niveau du département (suivant une démarche du type « charte sur les services publics en milieu rural »). Privilégier toujours la logique de mutualisation (de guichets, de sites, de réseaux) par rapport à la logique de concentration, sans a priori sur les combinaisons imaginables (entre services publics, ou avec des entreprises privées ou des commerces). Conserver le rôle-pivot de La Poste. Lever, en tant que de besoin, les obstacles juridiques En toute hypothèse, préserver le rôle structurant des villes moyennes et des bourgs pour l'accès aux services
Améliorer l'accès à la médecine de ville : poursuivre la création de maisons de santé pour favoriser l'installation de praticiens et, sous le contrôle de la Haute Autorité de santé, multiplier les possibilités de délégations de tâches ; à terme et en tant que de besoin, ne pas s'interdire de combiner mesures incitatives et mesures coercitives pour l'installation des praticiens en milieu rural Poser le problème du nombre insuffisant de pharmacies de garde en milieu rural Garantir à tous un accès raisonnable aux urgences médicales ; en tenir compte pour toute évolution de la carte hospitalière (sous la responsabilité, par exemple, des agences régionales de santé)
Ne pas fermer d'école dès lors qu'une hausse suffisante des effectifs est prévisible Susciter plus d'ambition scolaire en milieu rural Relocaliser certains temps de formation en milieu rural Favoriser l'implantation d'antennes universitaires dans les zones rurales |
C. MOBILITÉS : INFRASTRUCTURES ET TRANSPORTS
Le désenclavement des campagnes est nécessaire à leur développement qui, pour autant, ne doit pas être hypothéqué par une dépendance excessive au prix de l'énergie.
1. Entretenir et améliorer les infrastructures
Essentiels au désenclavement et à la préservation de l' « éventail des possibles », le développement des transports est largement corrélé au dynamisme d'un territoire . En particulier, l'entretien, sinon l'amélioration des infrastructures routières et ferroviaires, la desserte par autocar ou par le train des villes intermédiaires qui maillent le territoire rural, constituent des enjeux primordiaux. L'attractivité des campagnes en dépend largement, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises.
La réflexion prospective doit intégrer le problème général de l'architecture des transports, via la coordination des offres proposées par les autorités organisatrices de transports (AOT) 73 ( * ) , qui laisse parfois à désirer, et via la combinaison des ces offres dans le cadre d'un transport « multimodal » 74 ( * ) , articulant moyens de transport publics et privés, dont le développement devrait s'accélérer.
Ce point est particulièrement sensible dans les campagnes reculées, à propos desquelles Christophe Saintillan, directeur des infrastructures de transport à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, estime que « la réponse aux besoins de déplacements mérite sans doute de combiner les infrastructures pour tenir compte à la fois des soucis d'aménagement du territoire et d'irrigation fine du territoire. Et au-delà de la question des infrastructures, il faut sans doute s'interroger sur les services de transport à y développer (bus, car, voire services à la demande) ».
Certes, la mobilité favorise aussi certaines formes de polarisation. D'après André Torre, directeur de recherche à l'INRA, « il est constant que l'amélioration des infrastructures de transport favorise la concentration, même si c'est contre-intuitif ; la distance parcourue pour se rendre à son travail a doublé depuis les années 1970, et doublera d'ici 2040 (même si cette augmentation ne se reporte pas, à due proportion, dans les temps de transport, en raison même du développement des infrastructures)... Grâce aux infrastructures de transport, on peut habiter de plus en plus loin de son lieu de travail ». Mais ce raisonnement peut être retourné, car si les moyens d'accéder à une zone de faible densité s'améliorent, il devient plus facile d'y travailler ou d'y habiter. Les infrastructures de transport favorisent ainsi la spécialisation des espaces mais, dans les campagnes les plus fragiles, une spécialisation, même résidentielle, est toujours bonne à prendre...
Christophe Saintillan relève cependant que « le lien entre les infrastructures et le développement économique est une question difficile et controversée. Le bilan LOTI 75 ( * ) de l'autoroute A 84 s'inscrit dans le constat que les autoroutes accélèrent les tendances, soit elles encouragent le développement existant, soit elles accentuent la tendance au repli. L'autoroute élargit la zone de chalandise des infrastructures, elle met les entreprises existantes en concurrence, ce qui peut avoir un effet brutal sur elles ou être un facteur d'accélération de leur croissance. Pour les habitants, l'infrastructure rend possible l'accès à plus d'emplois et de services. Ainsi une infrastructure de transports favorise l'attractivité des territoires en facilitant les échanges, mais avec un effet d'accélération des tendances. C'est la conclusion du bilan LOTI de l'A 84 ».
Un accès satisfaisant aux réseaux physiques de transport dans les campagnes est donc nécessaire à leur croissance, mais si d'autres facteurs de développement local ne sont pas réunis, la proximité de très grands axes comporte aussi des risques.
En somme, ces réseaux apparaissent comme une condition nécessaire, même si elle n'est jamais suffisante, au développement des campagnes. La considération du rôle structurant, dans les campagnes, des villes moyennes et des bourgs-centres ne peut qu'appeler l'attention sur la qualité de leur desserte.
L'effort financier nécessaire est bien entendu substantiel, surtout si l'on rappelle que le simple entretien des réseaux routiers et ferrés devient problématique. Christophe Saintillan souligne ainsi, concernant les chemins de fer, « l'ampleur du travail de remise à niveau qu'il convient de réaliser après près de trois décennies de sous investissement sur notre réseau ». C'est ainsi qu' aucune piste d'économie, à service comparable sinon amélioré, ne doit être exclue , notamment celle consistant à remplacer certaines liaisons ferroviaires par des lignes d' autocar , ni celle du covoiturage , ni celle d'une intermodalité - facilitée par les TIC 76 ( * ) - entres tous types de transport, aussi bien collectifs qu'individuels ( infra ).
Se pourrait-il qu'à l'horizon d'une vingtaine d'années, la généralisation du très haut débit rende certaines entreprises et de nombreux particuliers (toujours plus à l'aise pour la fréquentation privée et professionnelle des réseaux électroniques) moins sensibles à la qualité des dessertes routières et ferroviaires ? De multiples opérations pourront, en effet, être réalisées à partir des réseaux électroniques.
Se pourrait-il, en outre, que les temps de transports, à la faveur d'innovations tenant à la connexion permanente des voyageurs et à l'automatisation de nombreuses fonctions liées à la conduite, puissent être considérés comme des temps utiles ?
Pour l'instant, le député Pierre Morel-A-L'Huissier, sur la base des nombreux entretiens qu'il a sollicités dans le cadre de son rapport précité sur la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux, identifie formellement deux conditions sine qua non du développement des campagnes : la proximité d'une autoroute et l'accès aux réseaux numériques ; « si une zone d'activité répond à ces exigences, tout en offrant des bâtiments préfabriqués et la proximité d'un lotissement agréable, les entreprises s'installent ».
Dès lors, Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, souligne à juste titre qu'en matière de transports, « il ne faut pas renoncer à certains projets à la seule aune de considérations budgétaires court-termistes ».
2. Réduire la dépendance à la voiture sans réduire la mobilité utile
Quoi qu'il advienne, la dépendance des campagnes à la voiture est problématique au regard de la sensibilité de son coût d'usage à celui de l'énergie , dont la probabilité à moyen terme d'une hausse sensible , quoique discontinue, est élevée. En effet, à l'horizon de vingt ans, il reste probable, comme l'indique Olivier Paul-Dubois-Taine pour le Conseil d'analyse stratégique 77 ( * ) , que « la voiture, sous ses différentes formes d'usage et de partage, restera le moyen le mieux adapté à la vie quotidienne ».
Heureusement, il sera possible de limiter cette dépendance grâce aux systèmes d'information, à la coordination des modes et services de transport, à l'utilisation partagée des véhicules ou à l'organisation des activités de proximité et des services à la personne.
Déjà, au niveau local, les initiatives allant dans ce sens sont nombreuses. Toutefois, leur portée reste marginale alors que le potentiel est énorme au regard du faible taux d'utilisation du parc automobile en milieu rural, comme Olivier Paul-Dubois-Taine l'a mentionné lors de l'atelier de prospective. Pour connaître un changement d'échelle significatif, le Conseil d'analyse stratégique a identifié cinq principaux leviers. Il préconise ainsi :
• d'aider les territoires à définir des
stratégies de mobilité en partant de la compréhension
locale des flux de déplacement, en cohérence avec le
schéma départemental de transport et ses liaisons avec les
pôles urbains voisins ;
• d'apporter à l'usager une information en
temps réel, afin qu'il puisse organiser ses déplacements en
combinant les transports collectifs et individuels (marche à pied,
deux-roues, voiture personnelle ou partagée) ;
• de s'appuyer sur l'information numérique
pour développer le partage de la voiture, notamment des
«
solutions de covoiturage sécurisées reposant sur
un tiers de confiance et un suivi géolocalisé du
déplacement
» ;
• de coordonner les transports collectifs entre eux
tout en organisant des « rabattements » performants vers
les stations de transport collectif (itinéraires cyclables, parkings de
covoiturage) afin de former une chaîne de transport « porte
à porte » efficace ;
• de limiter les distances parcourues par les
prestataires de services à la personne (commerces, santé,
loisirs, etc.) en les incitant à coordonner leurs déplacements,
leurs livraisons ou le transport des personnes qui les sollicitent.
Ces perspectives de rationalisation des transports sont opportunément complétées par celles d'un urbanisme maîtrisé ( infra ), de manière à contenir les phénomènes de mitage, qui risquent de complexifier exagérément l'équation coordinatrice.
BLOC DE
PRÉCONISATIONS
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D. RÉSEAUX NUMÉRIQUES
De nombreux acteurs et observateurs, appartenant tant au monde rural qu'à l'univers des nouvelles technologies, s'accordent sur le diagnostic d'un potentiel d'utilisation des réseaux numériques particulièrement élevé dans les territoires ruraux. Jérôme Coutant, membre du collège de l'ARCEP 78 ( * ) , indique ainsi que cette instance « a la conviction que les territoires ruraux français ont un potentiel considérable, unique en Europe, qui ne demande qu'à être révélé par le numérique. Au cours de la décennie 2010/2020, tout ce qui sera connecté pourra révéler son potentiel, se transformer, tirer parti des ressources numériques mondiales et des trois milliards d'individus ou entreprises également connectées. C'est vrai pour les individus, pour les TPE, pour les agriculteurs, les éleveurs et les forestiers ou pour les professionnels du tourisme.
Dans ce monde multiconnecté qui émerge, les réseaux de nouvelle génération vont déverrouiller l'accès et permettre de créer de la valeur de façon totalement dissociée de l'implantation géographique . Tous les pays à faible densité, en Afrique, en Europe de l'Est ou en Amérique du Sud l'ont compris et il ne faut pas que nous perdions de temps en France car la course à la connexion est mondiale ».
Le même reconnaît que, dans les territoires ruraux, « les déploiements [de la fibre] à l'initiative des collectivités sont encore modestes et bien souvent les projets locaux de montée en débit ne sont pas coordonnés au niveau départemental ou régional. Cela tient au fait que les collectivités sont confrontées à plusieurs facteurs d'incertitude : manque de visibilité sur les financements de l'Etat et de l'Europe sur les dix ans à venir, incertitude sur le périmètre réel de déploiement des opérateurs et sur leur volonté de co-investir rapidement sur les RIP 79 ( * ) , et enfin complexité juridique, technique et opérationnelle de ces réseaux . Il y a donc toujours un risque de fracture numérique important pour les territoires ruraux par manque de cadrage national ».
Antoine Darodes, directeur de la régulation des marchés haut/très haut débit et des relations avec les collectivités territoriales à l'ARCEP, précise que « même dans les RIP en cours, les collectivités territoriales ont tendance à privilégier les déploiements dans les centres bourgs dans un souci d'équilibre économique de leur projet, faute de visibilité sur les financements de l'Etat dans la durée. Cela peut se comprendre dans les circonstances actuelles, mais cela revient à améliorer les lignes bénéficiant d'un débit déjà convenable en délaissant celles où le débit est faible, ce qui est vraiment paradoxal venant des collectivités ».
Pour éviter cette fracture, il serait impératif « que le cadrage national encourage la construction prioritaire, ou au moins concomitante, des prises les plus chères parallèlement à l'installation des prises urbaines .
Au final, l'engagement de l'Etat est primordial : « La principale variable d'ajustement est le financement public de long terme (...) , car ce sont des projets d'infrastructures à rentabilité longue ».
Quelles que soient les incertitudes quant au calendrier - le Gouvernement a décidé, en dernier lieu, d'anticiper à 2022 l'objectif d'une généralisation de l'accès au très haut débit -, aux technologies retenues et aux questions de financement (voir en annexe la note concernant les réseaux numériques), et bien que le simple haut débit ne soit pas encore accessible dans de nombreux territoires ruraux, la généralisation de l'accès au très haut débit numérique (THD) sur l'ensemble du territoire national ne fait guère de doute à l'horizon de 2030-2035 .
Quelles avancées concrètes attendre d'une généralisation du THD dans les territoires ruraux ?
En premier lieu, celles qu'apporterait aujourd'hui la simple généralisation d'un haut débit efficace : rien moins que l'accès au télétravail, à la télémédecine, à la téléformation, à l'e-commerce, à l'e-administration, aux jeux en ligne, aux services audiovisuels en accès direct, à la vidéoconférence résidentielle, à la domotique... Or, des effets cumulés de renouvellement des générations et d'apprentissage, très sensibles pour ce qui concerne l'usage des TIC (technologies de l'information et de la communication), font que les usages permis par Internet seront, très bientôt, aussi généralisés que l'accès lui même.
En second lieu, à court et moyen termes , l'amélioration de la qualité et de la quantité des données transmises autorisera toutes sortes de perfectionnements qui rendront les utilisations actuelles toujours plus confortables et interactives , particulièrement celles requérant des usages simultanés ou l'accès au « cloud computing » 80 ( * ) , gros consommateurs de bande passante.
Dans l'ensemble, ces progrès pourront inciter de nombreuses personnes , non seulement actives, mais encore âgées ou dépendantes, à s'installer ou à se maintenir dans les territoires ruraux .
A plus long terme, on peut vraisemblablement s'attendre au développement de services spécifiques (nouveaux services éducatifs, partage de ressources informatiques au sein d'un groupe fermé d'utilisateurs, « avatars comportementaux »...) qui n'auront d'autres limites, compte tenu des performances du THD, que l'imagination de leurs concepteurs.
Le développement tous azimuts de fonctions dopées par le très haut débit conduira probablement à une sorte d'ubiquité des internautes, si bien que le lieu de résidence constituera de plus en plus un choix libre , avec un allègement progressif de la contrainte que représente la localisation des services publics ou privés.
C'est pourquoi l'agrément de l'environnement rural - disponibilité du foncier, nature préservée et aménités diverses - sera de plus en plus décisif dans les décisions d'installation. Cet agrément sera d'autant plus crucial que la ville évoluera peut-être dans le sens d'une diminution des nuisances que d'aucuns « fuient » quelquefois à la campagne, tandis que la réalité augmentée, dans laquelle baigneront les foyers connectés, pourrait les rendre moins attentifs à l'environnement physique quotidien.
PRÉCONISATION
|
III. SIX LEVIERS CIBLÉS
Les leviers précédents constituent autant de conditions impératives et permanentes pour le développement durable et autonome de tout territoire rural. En complément de ces actions structurelles, des actions sectorielles peuvent s'avérer particulièrement utiles, voire absolument nécessaires , mais une gouvernance qui ne s'en tiendrait qu'à des politiques ciblées exposerait de nombreux territoires ruraux, à plus ou moins brève échéance, au déclin.
A. INDUSTRIE, COMMERCE ET SERVICES
On se référera au chapitre sur le développement rural pour une analyse générale des caractéristiques, des tendances et des enjeux concernant l'économie des campagnes, et l'on s'en tiendra ici aux instruments et politiques ciblés.
Nous savons que le développement des services aux particuliers, du commerce et de l'artisanat repose largement sur l'existence d'une demande locale, et reflète donc essentiellement le dynamisme résidentiel, partie liée aux enjeux précédents. La production industrielle exige, de même, un bon accès aux réseaux électroniques et autoroutiers.
Mais outre le recours aux leviers structurels, précédemment décrits, comment favoriser l'activité productive en général, et la réindustrialisation en particulier ?
• La question de l'
image
peut
être considérée comme
primordiale
, et des
démarches d'identification à des territoires, comme il en existe
pour l'alimentaire, devraient être dupliquées pour des produits
industriels ou artisanaux non alimentaires. A cet égard, le projet de
loi renforçant les droits, la protection et l'information des
consommateurs comprend un article qui étend la protection des
indications géographiques aux produits autres qu'alimentaires, ce qui
constitue certainement une voie à explorer. On mentionnera aussi le
label «
made in Jura
», lancé en 2003 par
ce département.
Le sénateur Edmond Hervé, cite l'exemple de l'entreprise Laguiole « dont la fabrication avait, dans un premier temps, chuté. Un « enfant du pays » a su redresser l'affaire, en y réintroduisant des procédés artisanaux et en faisant reconnaître le « made in France ». Il faut combattre une vision trop financière, contraire à l'aménagement du territoire, et retrouver une culture industrielle, artisanale, de la main... ».
Rejoignant ici les conclusions du rapport « Territoires ruraux, territoires d'avenir » précité, vos rapporteurs estiment que la mention de l'origine devrait être indiquée aussi précisément que possible.
• La question des
financements
ciblés donne lieu à un inventaire qui laisse une
désagréable impression de
saupoudrage
et fait
deviner l'étendue de
besoins
en
ingénierie financière
dont les
collectivités rurales font d'ailleurs régulièrement
état. Elle interroge aussi sur les
risques de captation
d'avantages fiscaux et de subventions
encourus par les
collectivités qui chercheraient à attirer des entreprises sans
concertation avec les territoires voisins ou sans lien avec le territoire rural
concerné.
- Les zones de revitalisation rurale (ZRR) souffriraient d'imperfections dommageables à leur efficacité.
Les zones de revitalisation rurale Créées par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, les zones de revitalisation rurale (ZRR) regroupent des territoires ruraux qui rencontrent des difficultés particulières : faible densité démographique, handicap structurel sur le plan socio-économique. Le classement en ZRR permet aux entreprises de ces territoires de bénéficier d'avantages fiscaux importants, notamment lors de leur création. La loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a accru les dispositifs fiscaux et incité à des regroupements intercommunaux pour que les actions menées dans les communes en ZRR soient plus efficaces. |
Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la dynamique des territoires à la DATAR, indique en effet que « 13 000 communes sont classées en ZRR, ce qui est beaucoup ». Selon elle, « les objectifs politiques du zonage sont imprécis, et les critères de classement peu cohérents avec la nature des aides accordées. Il faut donc revoir les critères de la ZRR. En outre, il est impossible d'évaluer les effets des ZRR, dont même le coût fiscal n'est pas mesurable ».
Par ailleurs, il semble que les aides dispensées ne servent pas suffisamment aux entreprises qui en ont besoin.
A noter que pour répondre à ce problème, qu'elle estime assez général, l'ACFCI 81 ( * ) développe la notion de « criticité territoriale » en « partant du constat que la disparition d'une petite entreprise dans les campagnes emporte des conséquences beaucoup plus graves et moins réversibles que dans les villes. En conséquence, les aides doivent être concentrées sur ces entreprises pour qui tout est plus difficile avec des ressources moins aisées à obtenir, une faible attractivité pour les cadres et un accès complexifié à des marchés majeurs ».
- Il conviendrait en revanche, d'après la DATAR, de « conserver la PAT 82 ( * ) qui est utile pour inciter les entreprises internationalement mobiles à se localiser dans des territoires français ».
D'une façon générale, d'après Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, « la politique de zonage 83 ( * ) gagnerait probablement à être revisitée. Non seulement les instruments sont, sans doute, trop nombreux, mais on constate en outre un problème d'effectivité de ces zonages : certaines exonérations ne sont pas appliquées ! »
- Les pôles d'excellence rurale (PER), qui bénéficient de subventions de l'Etat et sont portés par les régions, les départements, les pays ou les parcs naturels régionaux, s'avèrent aussi intéressants pour la création d'activité. Toutefois, à l'instar des pôles de compétitivité, ils peuvent favoriser une concurrence délétère entre les territoires.
Ils sont en cours d'évaluation par la DATAR qui, par ailleurs, a mis en place les « grappes d'entreprises » 84 ( * ) et cherche maintenant à renforcer le lien entre ces dernières et les pôles de compétitivité.
- Par ailleurs, des soutiens proviennent de l'Europe via la politique régionale, également appelée politique de cohésion , qui participe également au développement des territoires ruraux en Europe. Cette politique repose sur les fonds structurels qui contribueraient pour 71 milliards d'euros aux zones rurales européennes sur la période 2007-2013, s'ajoutant ainsi aux 91 milliards d'euros du second pilier de la PAC pour la même période.
Les fonds structurels européens L'essentiel des fonds structurels européens bénéficiant aux régions françaises (84 %) sont des crédits du fonds européen de développement régional (FEDER) et du fonds social européen (FSE) attribués au titre de l'objectif « soutien à la compétitivité régionale et à l'emploi ». Avec une enveloppe de 11,7 milliards d'euros sur la période 2007-2013, la France est ainsi le premier bénéficiaire en valeur absolue des fonds européens attribués au titre de cet objectif. La DATAR a coordonné la rédaction d'un « cadre de référence stratégique national » (CRSN) qui concerne les fonds du FEDER et du FSE. D'après une étude des cabinets Edater et Segesa (octobre 2010), 20 % des fonds du FEDER bénéficient au monde rural. |
- D'autres financements, enfin, peuvent provenir des prêts sans garantie du fonds national de revitalisation des territoires (FNRT) pour les territoires touchés par des restructurations économiques ne donnant pas lieu à la signature de conventions de revitalisation, soit du fait de la taille de l'entreprise (moins de mille salariés), soit du fait de son incapacité à financer une telle mesure (entreprises en redressement ou liquidation judiciaire). Le recours à ce dispositif, dans le contexte actuel, doit être encouragé.
- Concernant les petites entreprises du ressort de l'économie résidentielle, on mentionnera les financements du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce ( FISAC ), qui tendent à se rétracter. Par ailleurs, le délai de versement des aides, qui atteint parfois deux ans, apparaît dangereusement trop long.
- A ce rapide panorama, et sans prétendre - loin s'en faut - à l'exhaustivité, s'ajoutent encore les « aides aux actions collectives » des directions régionales du travail, de l'emploi et de l'entreprise et, de la part des collectivités locales , les aides de la région, diverses aides aux entreprises en difficulté et à la création d'entreprises (qui résultent souvent de financements croisés entre l'Etat, les régions, des organismes financiers et d'autres collectivités), les garanties d'emprunt et les exonérations de taxes, les subventions et rabais sur le prix de vente, de location ou de location-vente de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés ...
• Enfin, la
commande publique
est,
potentiellement, un levier important du développement local. Yannick
Imbert, directeur des mutations et du développement économique
à la DATAR, pose ainsi la question de la capacité des PME/PMI
à accéder aux marchés publics, qui rejoint celle du
«
Small business Act
» à la
française. Il estime que «
dans la pratique du
« moins disant », le coût social du non recours
à une entreprise de proximité devrait être
systématiquement intégré
».
PRÉCONISATIONS
PARTICULIÈRES
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B. AGRICULTURE
Si, désormais, la valeur ajoutée de l'agriculture est moindre que celle de l'industrie et des services, au sein de seuls territoires ruraux, elle reste structurante pour l'économie des territoires tandis que son emprise au sol demeure ultra-prépondérante - elle représente, ainsi, 60 % de la surface en Ile-de-France...
• Eléments de contexte
Aujourd'hui, l'agriculture se trouve au carrefour de contraintes, d'injonctions et d'attentes dont la bonne articulation est difficile et dont, pourtant, dépendra étroitement le développement harmonieux des territoires ruraux.
Dans le contexte global d'une baisse de régime de la PAC à moyen terme affectant son premier pilier 85 ( * ) , d'une tendance à la hausse du prix de l'énergie et d'une pression à l'artificialisation des terres, les agriculteurs devront cependant parvenir à préserver la rentabilité des exploitations, voire à produire plus - la population mondiale est encore appelée à croître rapidement jusqu'en 2050 (de sept à neuf milliards d'individus) -, tout en produisant « mieux » afin de préserver l'environnement et les paysages.
Comme il est probable que la hausse tendancielle des cours mondiaux se poursuivra 86 ( * ) , la lutte engagée contre la déprise agricole constitue un premier objectif stratégique, qu'il convient de conforter.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (« LMAP ») du 27 juillet 2010 définit un objectif de réduction de la consommation des espaces agricoles. D'après l'exposé des motifs du projet de loi, « le rythme annuel de consommation des terres agricoles s'accélère. Il a plus que doublé depuis les années soixante, passant de 35 000 hectares de terres agricoles consommés chaque année, à 75 000. Il devient urgent de mettre en oeuvre une véritable politique de préservation du foncier agricole en France, en se fixant comme objectif de réduire de moitié le rythme de consommation des terres agricoles d'ici 2020 ». Les deux causes principales de la « déprise agricole » (régression des surfaces agricoles) sont l'abandon des terres agricoles pour des raisons économiques, sociales ou autres - ces terres évoluent en friches qui peuvent éventuellement retourner à l'exploitation agricole - et l'artificialisation des terres agricoles pour une utilisation ni agricole, ni forestière : sols bâtis (habitations, commerces, usines), sols revêtus ou stabilisés (infrastructures de transport) et autres sols artificialisés (carrières, chantiers, espaces verts urbains, équipements sportifs et de loisirs). La mise en oeuvre de cet objectif peut s'opposer non seulement à des projets de construction d'habitations, mais encore à des projets d'installation d'éoliennes ou de centrales photovoltaïques au sol, beaucoup de communes et de préfectures se montrant réservées vis-à-vis de ce type de transformation des terres agricoles. Pour atteindre cet objectif, l'article 51 de la LMAP procède à la création d'un Observatoire de la consommation des espaces agricoles décliné dans chaque département par une Commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) qui « élabore des outils pertinents pour mesurer le changement de destination des espaces agricoles et homologue des indicateurs d'évolution ». La CDCEA, présidée par le préfet, associe des représentants des collectivités territoriales, de l'Etat, des agriculteurs, des propriétaires fonciers, des notaires et des associations agréées de protection de l'environnement. Elle doit être consultée pour certaines procédures et autorisations d'urbanisme au regard de l'objectif de réduction de la consommation des espaces agricoles. Enfin, une taxe anti-consommation d'espaces agricoles a été introduite par l'article 55 de la LMAP pour lutter contre la spéculation sur les terres à vocation agricole, rendues constructibles. Le nouvel article 1605 nonies du CGI dispose ainsi : « Il est perçu au profit de l'Agence de services et de paiement mentionnée au chapitre III du titre premier du livre III du code rural et de la pêche maritime une taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement, postérieurement au 13 janvier 2010, par un plan local d'urbanisme ou par un autre document d'urbanisme en tenant lieu, en zone urbaine ou à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone où les constructions sont autorisées ou par application de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme ». |
En conséquence de ce qui précède, les politiques agricoles , et particulièrement la PAC, tendront utilement :
- au soutien des dynamiques et des filières locales, notamment grâce à la labellisation (de type AOC 87 ( * ) ou IGP 88 ( * ) ) et à des aides à la constitution de filière territorialisées ;
- à la sécurisation des activités via leur diversification au-delà de la seule production agricole (agritourisme, commercialisation à la ferme...) ;
- à la préservation de l'environnement et à l' entretien des paysages , ce qui peut nécessiter de mieux rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs, contribuant ainsi à l'équilibre économique de certaines exploitations.
Diversification Les axes 3 (développement rural) et 4 (développement local) du second pilier 89 ( * ) de la PAC (développement rural) ne représentent que 12 % de l'ensemble du programme, 88 % des crédits étant ainsi destinés aux exploitations agricoles et au soutien de l'agriculture et de la forêt dans le monde rural. Or, le second pilier draine, lui-même, moins de 20 % des fonds de la PAC. Pourtant, l'axe 3 du PDRH 90 ( * ) sert à encourager les agriculteurs à diversifier leur activité au-delà de la seule production agricole (agritourisme, commercialisation à la ferme, éducation scolaire...), à soutenir l'artisanat, le tourisme rural et les services indispensables pour les agriculteurs (maisons de santé, haut débit, valorisation du patrimoine...). Par ailleurs, dans le cadre de l'axe 4, les 220 groupes d'action locale (GAL) bénéficiant des fonds LEADER que compte la France sont unanimement loués pour la dynamique de territoire qu'ils suscitent. D'aucuns déplorent ainsi que les axes 3 et 4 du PDRH soient réduits au strict minimum. La France a choisi d'allouer les fonds, déjà réduits, du second pilier, à la politique agricole plutôt qu'à une véritable politique de développement rural. Mesures agro-environnementales Le second pilier de la PAC comprend les indemnités compensatoires de handicap naturel (ICHN), qui « contribuent à une répartition harmonieuse de l'activité sur le territoire, à la préservation de l'espace naturel et à la promotion des modes d'exploitation durables » et des mesures agro-environnementales (MAE) comme la prime herbagère agro-environnementale (PHAE2), l'aide au boisement des terres agricoles et les paiements sylvo-environnementaux. Les députés Jérôme Bignon et Germinal Peiro 91 ( * ) estiment qu'il faudrait aller au-delà et « prévoir une meilleure rémunération des services environnementaux rendus par les agriculteurs » (entretien du paysage, cultures ou élevage non polluant). |
• Comment produire ?
Dans le contexte à venir, de nombreuses exploitations parviendraient ainsi à réduire, à des degrés divers, leur dépendance aux marchés internationaux, tandis que le mouvement de polarisation de l'activité agricole se poursuivrait avec, d'un côté, une production intensive hyper concurrentielle et, d'un autre côté, de nombreuses filières spécifiques orientées sur la qualité ou la proximité.
L'objectif de préserver l'environnement pourra favoriser les productions non intensives , en particulier l' agriculture biologique . Les productions exposées à la concurrence mondiale s'appuieront plutôt sur les « systèmes intégrés » (voir encadré ci-dessous), plus économes en énergie (moins d'engrais) et plus favorables à l'environnement (moins de pesticides) que l'agriculture conventionnelle. Dans cette dynamique, qui verra se poursuivre le mouvement de concentration des exploitations, l' enjeu de la formation des agriculteurs sera par ailleurs essentiel.
quels avenirs ? L'agriculture intégrée est une approche systémique de l'exploitation, où tous les moyens biologiques, techniques mais aussi, en tant que de besoin, chimiques, sont sollicités pour favoriser la restauration ou la préservation de la fertilité des sols et de l'environnement, tout en satisfaisant aux exigences de rentabilité économique. Pour Philippe Viaux, agronome, « l'essentiel du problème tourne autour de la durabilité , en développant une agriculture productive plus respectueuse de l'environnement. J'ai travaillé sur la durabilité des exploitations agricoles avec la mise au point d'un outil d'évaluation de la durabilité. « Ces travaux mettent en évidence que les systèmes d'agriculture biologique sont durables uniquement dans la dimension agro-écologique (avec quelques restrictions néanmoins) mais ont des grandes faiblesses dans la dimension sociale et économique de la durabilité. La raison principale de cette faiblesse tient au fait que les coûts de production en agriculture biologique sont beaucoup plus élevés qu'en conventionnel (rendements plus faibles, besoins en main d'oeuvre plus élevés). En conséquence les résultats économiques de ces exploitations sont plutôt plus faibles qu'en conventionnel et les prix de vente des produits agricoles issus de l'agriculture biologique nécessairement plus élevés (problème social pour l'ensemble de la population). « Par exemple, le coût du blé issu de l'agriculture biologique est doublé ; pour le lait, c'est une augmentation de 15 % à 20 % ; pour la vigne, l'incidence est moindre car le rendement est limité par les AOC. » Bien entendu, ce problème de rendement ne conduit à exclure l'agriculture biologique que pour les productions intensives, en prise avec la concurrence internationale ; cette agriculture conserve tout son potentiel pour les filières spécifiques ou courtes, car ses procédés et les qualités de ses produits constituent des arguments de vente auxquels les populations suffisamment solvables paraissent développer une sensibilité croissante. Quoi qu'il en soit, Philippe Viaux « pense depuis longtemps que les systèmes intégrés sont la voie de progrès pour l'agriculture française. Dans ces systèmes, malgré une réduction importante des intrants (les indices de fréquence de traitement (IFT) peuvent être réduits de 50 %), les coûts de productions sont équivalents à ceux des systèmes conventionnels ». Mais « un des freins majeur à l'adoption de tels systèmes est le lien qui existe entre la prescription et la vente d'intrants au sein des coopératives. Il est indispensable de développer conseil et formation des agriculteurs, indépendants et de bon niveau. Le système intégré est plus exigeant en connaissances que les systèmes conventionnels, car il faut « le bon produit au bon moment ». A noter que l'agriculture intégrée , qui ambitionne une réduction de 50 % des produits phytosanitaires et de 20 % à 30 % des engrais, va beaucoup plus loin que l'« agriculture raisonnée » , qui ne prévoit qu'une réduction de 10 % des intrants (en réalité, l'agriculture intégrée se rapproche, dans sa démarche « holistique », de l'agriculture biologique). Le potentiel et l'intérêt de l'« agriculture de précision » serait tout aussi hypothétique . Toujours d'après Philippe Viaux, « l'agriculture de précision est un peu un rêve dont l'intérêt serait de faire des économies d'intrants. Elle consiste à mettre en évidence la variabilité intra-parcellaire (dans un même champ de blé, il peut y avoir 20 % d'écart). On pourrait donc adapter les doses en fonction de cette variabilité. La difficulté est de mesurer cette variabilité et de l'expliquer : il faut avoir des outils dont on ne dispose pas (pour semer de façon plus ou moins dense, en dosant mieux les produits phytosanitaires). « Parmi ces technologies, on trouve des capteurs (permettant par exemple de mesurer les rendements intra-parcellaires en continu) mais surtout le GPS, moyen de se positionner très précisément dans une parcelle. « Des essais ont été faits aux Etats-Unis, sans grand intérêt économique. En France, il y a eu de nombreuses tentatives, en particulier dans le Cher, mais aucune n'a été poursuivie ». |
• Que cultiver ?
Si l'évolution du prix de l'énergie peut exercer globalement une pression à la production d' agrocarburants - l'espace utilisé en France pour la culture de biocarburants correspond à 6 % de la surface agricole utile nationale 92 ( * ) -, l'évolution de leur emprise sur les terres arables sera la résultante d'une équation particulièrement complexe et évolutive.
Avec des variables telles que l'évolution et les techniques d'exploitation des espèces, un bilan environnemental et sociétal très incertain à ce jour, les prix relatifs des productions alimentaires et de l'énergie ou encore la conception du métier d'agriculteur, on voit qu'il serait bien hasardeux de se livrer à quelconque pronostic.
Mais il est certain, en revanche, que l'agriculture pourra participer à la lutte contre le réchauffement climatique en séquestrant du carbone dans le sol et en produisant des énergies renouvelables , au-delà des seuls agrocarburants.
le potentiel de la méthanisation D'après Julien Vert, chef du bureau prospective du ministère de l'agriculture, « e n 2009, les biocarburants, le biogaz et la valorisation des résidus agricoles représentaient près de 50 % des énergies renouvelables hors bois et hydraulique. Cette production est amenée à s'intensifier car la France vise un doublement de la production d'énergie à base de biomasse à l'horizon 2020 , porté par le bois-énergie, la co-génération (chaleur-électricité) et la production de biocarburants. Le développement des énergies renouvelables est ainsi bien amorcé et l'agriculture est particulièrement sollicitée pour la production de biocarburants, mais diverses incertitudes subsistent encore, en particulier d'ordres technologique, environnemental et politique. Le faible intérêt environnemental de certaines filières de biocarburants reste une limite forte à leur développement ». En revanche, toujours d'après Julien Vert, « plusieurs facteurs laissent penser que la production de biogaz et la méthanisation 93 ( * ) pourraient fortement s'étendre à l'avenir . En Allemagne, la production de biogaz est ainsi huit fois plus importante qu'en France, avec une forte part de biogaz agricole produite à la ferme (plus de quatre mille unités représentant 71 % de la production). Les politiques de développement et de soutien de la méthanisation en Allemagne et en France ne sont cependant pas comparables, et expliquent les écarts entre ces deux pays. « En termes de potentiel, la quantité totale de déjections animales en France (fumier, lisier, fientes) dépasse vingt millions de tonnes de matière sèche. La productivité étant de l'ordre de 200 à 250 m 3 de méthane par tonne de matière sèche, le potentiel énergétique est de l'ordre de quatre à cinq Mtep 94 ( * ) , soit un quart de l'objectif de production d'énergies renouvelables français à l'horizon 2020 ». A titre d'illustration, l'association Biogaz vallée, soutenue par le département de l'Aube, s'est donné pour objet de monter une filière complète et territorialisée de méthanisation. Frédéric Flipo, cofondateur de Holding verte, développeur investisseur partenaire de l'opération, résume ainsi les enjeux de ce cluster : « Traiter les déchets de manière vertueuse tout en produisant de l'électricité pour les collectivités , même si l'ensemble de la filière sera toujours plus modeste qu'une centrale nucléaire ». |
Réciproquement, les modifications climatiques auront probablement, à long terme, un impact direct sur l'agriculture . D'après Julien Vert 95 ( * ) , chef du bureau prospective du ministère de l'agriculture, il convient ici de distinguer entre le Sud et le Nord de la France.
Au Sud, une sècheresse plus intense est prévisible. La zone méditerranéenne, qui se caractérise notamment par un nombre élevé d'élevages extensifs, s'adapterait plus facilement que le Sud-Ouest, qui connaitrait de vraies difficultés liées à l'irrigation.
A noter que, d'après Philippe Viaux, certains agriculteurs se détourneront alors de cultures comme le maïs ou le soja, respectivement susceptibles d'être remplacées par du sorgho ou du lupin à la faveur d'améliorations génétiques qui ne sont d'ailleurs pas forcément de l'intérêt des grandes firmes semencières.
Par ailleurs, se poserait aussi, dans la vallée du Rhône, le problème de la typicité des vignes, car il faudrait renoncer aux cépages actuels.
Au Nord, le réchauffement apporterait plutôt des opportunités, avec la possibilité de cultiver du maïs-grain, de raccourcir le cycle de production des céréales ou d'instaurer un système de cultures associées.
Bien entendu, la dimension climato-énergétique n'est pas la seule, et les cultures doivent aussi être orientées par les débouchés. A cet égard, la typicité des productions sera utilement recherchée, aussi bien pour le marché national, notamment dans le cadre des filières courtes, qu'à l'étranger, où il convient de promouvoir les spécificités de nos terroirs dans des démarches qui pourront aussi bien concerner l'élevage.
• Vers quel mix de culture et
d'élevage s'orienter ?
La bonne tenue du prix des céréales, la suppression ou la baisse de certaines aides ainsi que la superposition de contraintes organisationnelles (horaires, vacances...) et règlementaires pour l'élevage et la production laitière, débouchent aujourd'hui sur un phénomène de « céréalisation » de l'agriculture française. Mais cette tendance, nuisible à l'entretien des paysages, n'est peut-être pas durable.
Philippe Viaux rappelle ainsi que « le prix des engrais azotés a été multiplié par deux en dix ans, en corrélation avec l'augmentation du prix du pétrole (1,5 tonnes d'équivalent pétrole pour obtenir une tonne d'azote). L'azote représente au moins la moitié du coût énergétique de production des grandes cultures . L'augmentation de son prix devrait donc favoriser les légumineuses et une meilleure valorisation des engrais de ferme ; à plus long terme, il devrait favoriser les systèmes de polyculture élevage ».
D'après lui, « il faut se poser la question de la répartition des élevages en France : le rétablissement de l'élevage en Ile-de-France permettrait des économies énormes. La concentration des élevages dans certaines régions n'a pas de raison agronomique, c'est un problème social (par exemple, en Bretagne où l'élevage a compensé l'absence d'industries). Il est indispensable de restaurer des systèmes mixtes qui éviteraient les gaspillages constatés au niveau de la « ferme France » : trop de phosphore en Bretagne et pas assez dans le Bassin parisien où il faut soit importer des engrais phosphatés soit transporter les engrais de ferme.
(...) [Malheureusement] , il y a beaucoup de lobbies qui peuvent freiner le développement de la mixité qui améliorerait l'efficacité de la ferme France ».
Il s'agira, somme toute, de concilier durablement la campagne-ressource avec la campagne-cadre de vie , et la rendre ainsi favorable tant à l'économie productive qu'à l'économie résidentielle et au tourisme rural .
D'une façon générale, pour parvenir à satisfaire la hausse de la demande mondiale dans un contexte de réchauffement climatique, la recherche agronomique doit être amplifiée et il conviendra aussi d'organiser une validation des propositions des chercheurs issus des différents organismes.
PRÉCONISATIONS PARTICULIÈRES
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C. POLITIQUE FONCIÈRE ET LOGEMENT
L'enjeu de la maîtrise des évolutions foncières excède le risque de déprise agricole ( supra ) ou d'atteinte à la biodiversité. Une pression trop élevée peut aussi constituer un frein au dynamisme démographique et économique.
A l'inverse, un foncier bon marché présente l'avantage de ne pas dissuader les agriculteurs d'adopter des méthodes plus en adéquation avec les impératifs du développement durable, en ne les poussant pas - toutes choses restant égales par ailleurs - à la réalisation de rendements croissants.
Mais il peut aussi contribuer au « mitage » sous la forme de lotissements de qualité médiocre, les besoins manifestés chaque année par les familles se traduisant par la construction successive de quartiers appelés à tomber progressivement en déshérence à l'échéance d'une vingtaine d'années. Les données sont rares, mais la SAFER a par exemple établi qu'en 2003, sur 198 000 maisons construites, plus de 152 000 l'ont été en secteur diffus (mitage) plutôt qu'en secteur concentré. La probabilité d'un renforcement du coût de l'énergie hypothèque davantage encore, à long terme, l'entretien et l'occupation des logements concernés. Au final, les perspectives de vieillissement des habitations récentes qui parsèment les routes de France aux abords des villes et des bourgs ne sont pas meilleures que leur intégration au paysage et ou à l'habitat traditionnel local .
L'étalement urbain, qui marque progressivement de son empreinte les campagnes proches des villes et des bourgs, pose en outre des problèmes plus immédiats en suscitant des besoins nouveaux en transports et liaisons aux différents réseaux (routes, communications électroniques, eau, électricité...).
Pour autant, il n'est pas certain qu'il faille, sans autre forme de procès, s'employer à juguler la périurbanisation. C'est le sens du propos de Martin Vanier, géographe : « Sans aucune hésitation, la périurbanisation doit être organisée plutôt que combattue . Elle répond à une tendance profonde, qui ne peut être ni contrée dans sa force, comme le montre son empreinte toujours plus forte sur le territoire, ni même réfutée dans son fondement : les ménages, comme les entreprises, sont à la recherche d'espace, de confort spatial, et ceci est universel.
« Mais on peut très bien choisir de combattre l'étalement urbain, tout en organisant la périurbanisation, c'est même le vrai sens de l'aménagement du territoire dans les campagnes, plutôt que d'être tenté de nier ce qui s'y passe ». Il est en effet logique que les personnes à faibles moyens, qui partent peu en vacances, aspirent à un minimum de confort, d'espace et de temps de transport, sans parler du gain économique que peut apporter un potager.
Pour lutter contre certains excès, il faudrait peut-être susciter une « maîtrise d'usage » en organisant dans les bourgs l'équivalent des conseils de quartiers... La construction de maisons individuelles avec des espaces verts partagés est une autre piste.
Par ailleurs, la vétusté des logements anciens et leur concentration dans des villages et des bourgs jugés parfois peu attractifs font que les travaux nécessaires à leur rénovation apparaissent comme disproportionnés au regard des revenus et de la motivation de leurs propriétaires.
Pourtant, en favorisant l'achat ou la rénovation de logements anciens par des ménages modestes, l'accession à la propriété ou à la location pourrait se faire à moindre coût pour la collectivité, tout en participant à la revitalisation des bourgs centres et en limitant l'éclosion désordonnée de lotissements bon marché.
Bien entendu, si le logement est un enjeu important, celui des activités économiques n'est pas moindre et l' implantation des entreprises et des commerces implique aussi une bonne disponibilité du foncier à des emplacements compatibles avec les autres usages du territoire (résidence, aménités diverses).
La mise en oeuvre de toutes les orientations jugées utiles à un développement harmonieux des territoires nécessite des politiques foncières locales coordonnées et planificatrices . A noter que ces dernières pourraient décliner une politique nationale de l'habitat en milieu rural, susceptible en outre d'être coordonnée à une politique de densification urbaine.
Au niveau local, la généralisation des SCOT et des PLU est un préalable indispensable . L'introduction progressive d'éléments d'interterritorialité avec les interSCOT et, dès lors qu'un SCOT est établi, l'approfondissement de l'intercommunalité via les PLUI (plan locaux d'urbanisme intercommunaux) 96 ( * ) , constituent des tendances prometteuses qu'il convient d'encourager. En tant que de besoin, l'instrument de la réserve foncière - pour limiter la pression immobilière, l'étalement urbain ou les atteintes à l'intégrité des sols et des milieux naturels - doit aussi rester à la main des collectivités.
C'est peu dire que les voies et moyens d'une conduite efficace de ces politiques, dont il est à souligner qu'elles engendrent de forts besoins en ingénierie, seraient utilement explorés.
PRÉCONISATIONS PARTICULIÈRES
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D. ENVIRONNEMENT
Les zones rurales sont appelées à contribuer à la préservation de l'environnement de façon active et défensive. Dans la première modalité, les campagnes pourront être encouragées à produire davantage d'« énergie verte ». Il s'agit notamment des énergies d'origine photovoltaïque, éolienne ou végétale (biocarburants), sans oublier les procédés de méthanisation. Par l'évolution de ses procédés, l'agriculture peut aussi réduire ses émissions et améliorer le stockage du carbone (voir supra l'agriculture).
Dans une modalité « active » de défense de l'environnement, les zones rurales veilleront notamment à la préservation de ressources naturelles qui constituent, au regard des zones urbaines, un avantage comparatif très sensible. Il importe en particulier de protéger la ressource en eau des risques de pollution liés aux cultures et à l'élevage, et de favoriser la régénération des sols. Le potentiel de certaines techniques agricoles permet, à cet égard, de concevoir des espoirs légitimes ( supra ), d'autant plus que la PAC tend à développer l'éco-conditionnalité.
Par ailleurs, la biodiversité ainsi que de nombreux sites et paysages naturels , qui contribuent de manière essentielle au potentiel résidentiel et touristique français de long terme, constituent des biens stratégiques pour que les campagnes préservent toutes leurs chances de développement.
D'ores et déjà, de nombreux territoires sont couverts par les différents instruments ou zonages spécifiques que sont par exemple les parcs nationaux, les zones Natura 2000, les trames bleues et vertes, les ZNIEFF 97 ( * ) , les grands sites ou encore la loi sur l'eau.
Les parcs naturels régionaux Créés en 1967, les parcs naturels régionaux (PNR) sont créés par des communes contiguës qui souhaitent mettre en place un projet de conservation de leur patrimoine naturel et culturel partagé sur un territoire cohérent (parfois en dehors des limites administratives classiques). La création d'un parc nécessite une labellisation par l'État et doit concerner un territoire remarquable, dont il est souhaitable de protéger la qualité paysagère et le patrimoine naturel, historique ou culturel. La Charte d'un parc naturel régional définit le programme de conservation, d'étude et de développement à mettre en oeuvre sur le territoire, généralement sur une période de douze ans. La plupart des parcs naturels régionaux sont gérés par un syndicat mixte ouvert élargi , composé par des élus des collectivités membres (communes, départements, régions) et parfois des partenaires socio-économiques. En 2012, on dénombre quarante-sept parcs naturels régionaux (quarante-cinq en métropole, un en Guyane et un en Martinique). Ils représentent 13 % du territoire français, 23 régions, 68 départements, 3 825 communes, plus de sept millions d'hectares et plus de trois millions d'habitants. La surface totale des PNR est constituée à 37 % de forêts (26 % en France métropolitaine), à 40 % de surfaces agricoles (la moitié de cette surface étant constituée de pâturages) et à 1,9 % de zones construites. On note cependant des variations importantes suivant les régions, de même que pour la densité de population des PNR qui s'établit, en moyenne, à 41 habitants au km². |
Encore doit-il s'agir d'une sanctuarisation « intelligente » . Les acteurs des territoires ruraux ont beaucoup trop souvent l'occasion de s'exaspérer de l'ampleur des couches normatives et des contraintes supplémentaires qui en résultent. Ce sont alors autant de freins au développement local à court terme , tout comme est très préjudiciable la présence de prédateurs (loups, lynx, ours) décourageant les éleveurs qui sont pourtant, avec leurs troupeaux d'ovins, de véritables agents d'entretien des espaces en évitant les feux en régions sèches, voire certaines avalanches en montagne (en « fixant » les zones herbagères).
Il convient ainsi de trouver un équilibre entre ces objectifs de court et de long termes, probablement sur la base d'un principe de proportionnalité ( supra ) dont l'application serait d'autant plus judicieuse qu'elle renforcerait l'acceptabilité de nouveaux espaces de protection.
Enfin, comme on l'a constaté supra , l' agriculture se trouve au croisement de nombreuses problématiques écologiques. La rémunération directe des services environnementaux qu'elle est capable de rendre (eau, biodiversité, stockage du carbone, paysage) constitue donc une piste à ne pas négliger pour orienter favorablement son rôle.
PRÉCONISATIONS
PARTICULIÈRES
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E. TOURISME
Le tourisme rural constitue une opportunité de développement dont les campagnes françaises doivent s'emparer . Il peut s'appuyer sur des aménités uniques et un volant de main d'oeuvre disponible souvent motivé, même si l'on déplore un manque de formation dans les territoires les plus fragiles.
Ce développement doit miser sur toutes les échelles géographiques car les campagnes françaises bénéficient d'une desserte beaucoup plus aboutie que dans le reste de l'Europe (en dépit de difficultés d'accès encore très problématiques dans une perspective d'égalité territoriale) tout en étant susceptibles de jouer un rôle majeur en tant qu'espace récréatif aux portes de grandes villes.
Diversité du tourisme rural Le tourisme rural est varié : tourisme à vélo, tourisme gastronomique et tourisme du vin. Il représente un patrimoine diversifié : sept parcs nationaux et quarante-six parcs naturels régionaux qui représentent 14 % du territoire national ; vingt-huit sites inscrits au patrimoine culturel et naturel mondial de l' UNESCO ; 40 000 monuments historiques , quatre-vingt-dix pays d'art et d'histoire , six mille musées , mille festivals culturels . Source : « Simplification des normes au service du développement des territoires ruraux », Pierre Morel-A-L'Huissier, rapport au Président de la République, mars 2012 |
Il se trouve que les véritables attentes des touristes porteraient davantage sur un territoire rural « vivant » que sur des équipements dédiés ( supra ). D'une façon générale, le succès du tourisme rural sera partie liée à l'enjeu de l'accès aux réseaux et aux services essentiels, ainsi qu'à celui de la préservation de l'environnement et des paysages.
On renvoie donc aussi au levier de la gouvernance locale et de la maîtrise du foncier pour lutter contre toute forme d'enlaidissement, et au rôle majeur de l'agriculture dans l'entretien des paysages. Jean Cambon, président du pays Midi-Quercy, croit plutôt, en la matière, aux démarches volontaires. Ainsi, ce pays « a élaboré une « charte paysagère » et invité les communes à mettre les plans locaux d'urbanisme en accord avec cette charte, qui n'a (...) pas de valeur normative. (...) En retour, les collectivités - la région, le département - ont développé des aides spécifiques accordées aux communes acceptant d'obéir à la charte paysagère ».
En songeant au développement continu de certaines concentrations urbaines - où l'on conçoit volontiers quelque désir de nature - et du tourisme, on discerne aisément le véritable trésor que pourront représenter , à moyen et long termes, des paysages globalement préservés, voire « restaurés » dans leur typicité .
Cela, non seulement auprès des Français (avec l'expansion prévisibles de certaines métropoles régionales), mais aussi à l'échelle planétaire (auprès de la population hyper-urbanisée et enrichie de mégalopoles mondialisées), pourvu qu'on recourt au catalyseur d'une communication active sur des territoires au charme séculaire demeuré intact, qui puissent être vécus comme de véritables « oasis de décélération ».
Un enjeu économique et paysager de très long terme : la forêt De nombreuses forêts risqueraient de dépérir, notamment à la suite d'épisodes de sècheresse, auxquels les arbres sont particulièrement vulnérables, ou à la suite de tempêtes, si ces dernières devaient être plus fortes ou plus fréquentes. Il est encore judicieux de miser sur les essences en place lorsqu'elles ont des durées de rotation courte (Douglas ou pin maritime par exemple), car les effets du changement climatique mettront du temps à se faire sentir. En revanche, il y a une vraie difficulté pour les essences comme le chêne ou le hêtre, dont la maturité survient après cent ans. Ces horizons ne seront-ils pas trop éloignés pour décider les acteurs à prendre les mesures qui s'imposent ? Source : Julien Vert, chef du bureau prospective du ministère de l'agriculture, sur la base d'un exercice intitulé « Agriculture-forêts-climat » |
Plus immédiatement, le développement du tourisme dépend aussi de la réunion de conditions et de compétences spécifiques qu'il convient de favoriser et d'organiser.
Pierre Brunhes, chef du service du tourisme, du commerce et de l'artisanat au ministère du redressement productif indique que le tourisme rural représente près du tiers de la fréquentation touristique française (30,2 % des nuitées). Il est essentiellement commercialisé sous la forme d'hébergements non marchands (71,4 % des séjours). Le tourisme rural bénéficie de l'étalement des séjours dans le temps. Les acteurs locaux se professionnalisent.
La richesse et la diversité des sites, du patrimoine et des activités proposées participent à son dynamisme et « le développement des activités alternatives se poursuit activement. Ainsi les agriculteurs contribuent pour une part importante au développement du tourisme en zone rurale. Les prestations qu'ils offrent (camping à la ferme, fermes auberges, bistrots de pays, assiettes de pays, vente directe de produits du terroir) viennent compléter les prestations traditionnelles offertes par les hôtels, cafés et restaurants et l'hôtellerie de plein-air ».
Au niveau central, « les actions engagées ces dernières années en faveur du tourisme rural s'inscrivent dans le champ de la réglementation, de la qualification de l'offre, de la professionnalisation des acteurs et d'un tourisme plus durable ».
D'importants facteurs de progrès résident certainement, en effet, dans la professionnalisation des acteurs des offices de tourisme. En dépit d'une tendance à l'étalement des séjours tout au long de l'année, la saisonnalité de nombreuses activités touristiques constitue une autre difficulté, sur laquelle il convient de travailler, pour que le potentiel d'emploi du secteur se réalise.
Sous un autre angle, une fédération plus systématique des initiatives locales pourrait tendre à une meilleure valorisation des contenus et à une uniformisation nationale de la signalétique touristique, propre à améliorer la perception de l'offre. Dans cette même perspective de rationalisation, Jean Cambon estime qu'une identification systématique des sites à fort potentiel - car on ne peut entreprendre de tout valoriser à la fois - pourrait être entreprise, par exemple, au niveau régional.
PRÉCONISATIONS
PARTICULIÈRES
Erreur ! Liaison incorrecte. Veiller au maintien des services de proximité, principalement à caractère médical, dans les territoires ruraux (rappel) |
F. CULTURE
Partie liée au développement des villes moyennes et des réseaux de communication physiques et électroniques, l'accès à la culture dans les campagnes représente un enjeu à la fois immédiat et symbolique. Immédiat, car il peut faire pencher la balance dans les décisions d'installation de personnes actives (particulièrement de familles avec enfants) dont la présence peut s'avérer cruciale là où certaines compétences font défaut. Symbolique, car la perception de campagnes reste communément celle, fausse au demeurant, d'un « désert culturel ».
Le travail sur la culture peut prendre deux directions, également indispensables et, au fond, complémentaires. Il s'agit non seulement de valoriser la culture locale, qui constitue un puissant facteur d'attraction touristique en tant qu'élément de typicité (histoire, patrimoine architectural, culinaire et des savoir-faire...), mais aussi de soutenir les lieux de création tels que les scènes nationales et les résidences d'artistes, vecteurs de développement et de sensibilisation artistique ; il s'agit encore, parallèlement, de favoriser et organiser l'accès à une culture nationale ou mondialisée à laquelle de très nombreux résidents, effectifs ou potentiels, sont également sensibles.
Les politiques qui peuvent être menées dans ces directions sont largement conditionnées, ici encore, par les grandes thématiques précédentes : accès aux services (qui préservent la vitalité, la population et donc la capacité financière des villes moyennes à organiser des évènements, entretenir des structures ou valoriser un patrimoine dans le champ culturel), aux réseaux routiers et ferrés (permettant de rejoindre la métropole la plus proche) et électroniques (autorisant l'accès local, collectif ou à domicile, à différents supports).
PRÉCONISATIONS
PARTICULIÈRES
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PRÉSENTATION DU RAPPORT EN
DÉLÉGATION
M. Joël Bourdin , président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour écouter la présentation du rapport de Renée Nicoux et Gérard Bailly sur l'avenir des campagnes, qui fait suite à des travaux approfondis, dont un atelier de prospective tenu le 12 décembre dernier. Je leur laisse la parole.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - Monsieur le Président, mes chers collègues, voici un an, nous commencions nos travaux sur l'avenir des campagnes. Nos auditions, nos déplacements et l'atelier de prospective ne nous ont pas rendus plus optimistes, mais plus combatifs, au vu d'un cumul d'iniquités et du péril de certaines situations.
Le dynamisme démographique des zones rurales, avéré depuis les années soixante-dix, reste ambivalent. Certaines sont plus attractives, mais d'autres demeurent en situation de recul démographique ou accueillent des populations fragiles. Si l'on ne fait rien, le développement des campagnes, déjà très inégal, sera stoppé net par la crise économique et budgétaire actuelle. Les espaces de relégation gagneront du terrain. Tel est notre premier scénario, qui est hélas le scénario tendanciel, si rien n'est fait. L'enjeu est d'inverser la tendance, pour que toutes les campagnes deviennent attractives, en engageant une véritable politique d'aménagement du territoire. Alors peut se dessiner un second scénario, bien plus engageant.
Nous allons vous exposer ces deux scénarios : l'un, noir, que je présenterai ; l'autre, rose, que Gérard Bailly développera, en abordant quatre thèmes successifs - l'environnement, les hommes, l'économie et les services -, puis nous détaillerons les leviers d'action permettant de passer du premier scénario au second.
Le scénario tendanciel est le suivant :
• L'environnement : l'artificialisation des sols
se poursuit avec un étalement urbain et un mitage résidentiel
préjudiciables au paysage, dont l'entretien est compromis par la
régression des surfaces agricoles. L'usage d'engrais chimiques et de
pesticides nuit à la qualité de l'eau et à la
biodiversité dans le contexte aggravant du réchauffement
climatique. Un habitat éparpillé engendre des dépenses
d'énergie et de transport qui augmentent avec le coût de
l'énergie, précarisant toute une population de
primo-accédants à faibles revenus.
• La population : la démographie des
campagnes demeure dynamique, surtout à l'approche des métropoles,
du littoral ou dans les vallées urbanisées ; cependant, on
déplore de nouvelles pertes de population au Nord de la
« diagonale du vide » (Sud Ouest-Nord Est) et dans le nord
du Massif Central.
La surreprésentation ouvrière et la sous-représentation des cadres persistent. Une certaine « immigration de la pauvreté » se nourrit de la cherté de l'habitat à l'approche des métropoles ou de campagnes « patrimonialisées », épargnées par la crise. Ainsi, l'employabilité de la population active faiblit dans de nombreuses campagnes, dont le vieillissement se poursuit. Leur image se dégrade auprès des actifs urbains et d'entreprises dont la fuite est parfois accélérée par des dessertes ferroviaires et routières insuffisantes, ou de plus en plus mal entretenues.
Dans un schéma d'appauvrissement renforcé par la hausse du coût de l'énergie, les différences d'appréciation quant au « bien commun » multiplient les conflits d'usage, bloquant nombre de projets d'intérêt local ou national.
Le foyer familial devient le dernier rempart de la solidarité ; avec le coût toujours plus problématique de la garde des enfants et des maisons de retraites, il abrite jusqu'à quatre générations.
• L'économie : les agriculteurs,
exposés à la concurrence mondiale, subissent le
détricotage de la politique agricole commune (PAC). La concentration des
exploitations, dont les moins rentables sont délaissées, se
poursuit. Les filières spécifiques ne parviennent pas à
remplacer toute la valeur détruite. Dans le secteur secondaire, les
salariés subissent de plein fouet la désindustrialisation et des
délocalisations précipitées par les développements
de la crise actuelle. La concurrence approfondit des spécialisations
territoriales risquées et précipite la désertification
économique des campagnes les moins dotées en niches productives.
Le processus de « destruction créatrice »
inhérent au progrès économique se territorialise :
les suppressions d'emplois dans les campagnes sont compensées par des
créations d'emplois dans les aires métropolitaines.
Au bout d'une dizaine d'années, le développement résidentiel, sur lequel ont misé de nombreux territoires ruraux, ne compense plus l'écart de revenu productif vis-à-vis des villes. Les revenus de transfert s'étiolent, le nombre de fonctionnaires diminue. Alors, l'économie résidentielle se replie à son tour. Le secteur des services à la personne s'effondre sous le double choc d'une baisse des soutiens publics et des revenus.
A l'exception de zones rurales privilégiées, l'écart de développement vis-à-vis des aires urbaines, qui tendait à se combler depuis quarante ans, se creuse à nouveau.
• Les services : à la suite d'ajustements
budgétaires successifs, la concentration des services se poursuit et
s'accentue, surtout dans les campagnes dont la démographie est la moins
dynamique. Les initiatives de mutualisation restent trop éparses.
L'offre de santé se rétracte dans les territoires ruraux les plus fragiles, pourtant exposés au vieillissement et à l'arrivée de populations précaires dont l'état de santé nécessiterait de lourdes prises en charge. Pauvreté et détresse sanitaire engendrent alors une misère inadmissible.
Certains petits commerces se maintiennent dans les bourgs grâce aux possibilités offertes par le commerce électronique. Bientôt, la quasi-généralisation du très haut débit facilite l'accès à différents services administratifs, commerciaux et médicaux. Mais les flux antérieurs de population et d'activité apparaissent comme très difficilement réversibles.
Voilà le tableau noir, si on laisse aller les tendances telles qu'elles se dessinent aujourd'hui : des campagnes très fragilisées à l'horizon 2040.
M. Gérard Bailly , rapporteur . - Dans un scénario qui nous paraît plus souhaitable, je reprends les quatre mêmes thèmes :
• L'environnement : à côté
des filières biologiques et des circuits courts, se diffusent de
nouvelles pratiques agricoles adaptées aux productions intensives,
telles que l'agriculture intégrée. Ces évolutions sont
soutenues par des politiques de labellisation.
La cherté de l'énergie et des intrants favorisent la constitution de filières de méthanisation valorisant les résidus organiques. L'élevage, qui fournit un engrais compétitif, se répartit mieux sur le territoire, évitant certaines concentrations polluantes grâce à une meilleure répartition des élevages intensifs.
La planification foncière, exhaustive et ambitieuse, s'assortit de mesures volontaires pour préserver l'attractivité des bourgs ruraux et des villes moyennes, nécessaires aux campagnes. La périurbanisation, en partie inévitable, est organisée et cohabite avec une agriculture « périurbaine ».
• Les populations : des initiatives
ciblées en termes d'infrastructures routières ou ferroviaires
améliorent encore la desserte des campagnes enclavées. L'image
des différentes campagnes est travaillée sur la base d'une
communication unifiée qui met l'accent sur l'accès à la
culture. L'effort pour la formation des jeunes et des sans-emploi
s'accroît grâce à l'effet de levier de l'e-formation. Cet
effort concerne les agriculteurs, confrontés à l'équation
agro-environnementale, les métiers de l'industrie et ceux des services
et du tourisme, ce qui plaît aux entreprises.
Avec un rajeunissement doublé d'une élévation des compétences, la répartition des catégories socioprofessionnelles et des classes d'âges se normalise. La reprise démographique s'étend au Nord-Est ; ailleurs, l'accélération est contenue, préservant paysages et activités agricoles.
Les conflits d'usage sont jugulés grâce à une concertation locale systématique. La logique de projet se généralise à diverses échelles territoriales et joue sur la complémentarité, désormais comprise, entre logiques productives, résidentielles et touristiques. La diffusion d'Internet facilite diverses formes de coordination et renforce les réseaux sociaux et professionnels.
A l'horizon de 2025, grâce au très haut débit dont l'usage se généralise par un effet de génération, un entretien raisonnable des réseaux physiques devrait suffire si les efforts antérieurs sont eux-mêmes suffisants, d'autant plus que les temps de transport libérés peuvent être consacrés au travail ou aux loisirs. Parallèlement, les coûts en restent acceptables avec les progrès du co-voiturage et de l'intermodalité.
• L'économie : l'économie des
campagnes s'appuie toujours sur l'agriculture et sur une base
résidentielle entretenue par la demande de proximité de ses
habitants, actifs ou retraités, et par un tourisme qui croît en
volume et en gamme.
Le « verdissement » de la PAC se poursuit, avec une inflexion vers le développement rural au détriment du strict soutien direct de la production. L'agriculture ne s'intensifie que pour les produits compétitifs, tandis qu'émergent de nombreuses filières privilégiant la qualité ou la proximité. En aval, les filières agro-industrielles - l'agro-alimentaire, la chimie verte, les agrocarburants - poursuivent leur développement.
Les services à la personne accompagnent des retraités de plus en plus nombreux jusqu'en 2030, et un certain retour des familles. Mais la production industrielle et de services aux entreprises s'accélère aussi. Fortes de leur diversité, toutes les campagnes parviennent à valoriser des avantages comparatifs. Des innovations économiques se font jour sur la base de projets territorialisés, dans le lignage des « pôles d'excellence rurale ». Les entreprises, attelées à Internet, recourent plus facilement à des établissements ruraux dont les salariés sont mieux formés ; le télétravail fait un « grand bond en avant ».
Certaines formes de « préférence territoriale » émergent. Les marchés publics ruraux surpondèrent la proximité. Les circuits courts se multiplient et concernent, outre l'alimentation, des biens technologiques, des services environnementaux, l'énergie (par exemple la méthanisation) ou les activités récréatives ou sanitaires.
Le rééquilibrage global des moteurs internes et externes de la croissance des territoires ruraux profite de démarches interterritoriales et d'un retour de la planification économique aux fins de coordination subsidiaire des stratégies locales.
• Les services : l'accès aux services
essentiels - petite enfance, enseignement, médecine, services aux
personnes âgées, commerces... - à partir des
bourgs-centres et des villes moyennes, reste prioritaire. Le rôle
hyper-structurant des écoles est assumé.
La soutenabilité budgétaire de l'accès aux services publics repose sur une vaste mutualisation des moyens humains, physiques et électroniques. Elle peut englober des services privés : petits commerces, cafés, agences... Les implantations postales sont souvent les plateformes de cette mutualisation.
Les administrations et certains services médicaux peuvent s'appuyer sur la généralisation du haut puis du très haut débit pour multiplier les prestations directes à domicile ou dans des points d'accès administratifs et médicaux de grande proximité. Ainsi, les synergies budgétaires entre logiques de mutualisation et de concentration ne heurtent pas la logique de proximité. « L'imagination est au pouvoir » afin de rationaliser les services sans perte de qualité ; chaque expérimentation doit être recensée.
Partout, l'offre de soins répond aux besoins grâce à la hausse du numerus clausus , à des mesures incitatives et au déploiement des maisons de santé, du salariat des professionnels de santé et des délégations de soins.
La télémédecine conforte les soins à domicile, pérennise des établissements hospitaliers secondaires - cruciaux pour les urgences - et facilite les liens entre différents praticiens. Les petits commerces stratégiques bénéficient d'un soutien public ; tous ressortiront confortés par les multiples possibilités d'adaptation à la demande locale que permet Internet. Enfin, le maintien des services dans les villes moyennes préserve leur vitalité et donc leur capacité financière à enrichir une offre culturelle par ailleurs accessible via les réseaux routiers ou ferrés, mais aussi électroniques.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - Ce scénario plus positif envisage une campagne disposant de tous les services, plus intégrée. Je souhaite faire un rapide commentaire avant de dévoiler les leviers permettant de basculer du scénario tendanciel au scénario souhaitable.
Le scénario tendanciel est, en partie, la résultante des iniquités que subissent les campagnes :
• Pour la conduite des projets, élus et
acteurs du monde rural soulignent la disproportion de certaines charges et
contraintes, surtout en matière d'environnement et de
sécurité. Elles causent des retards et des surcoûts tout en
décourageant l'initiative.
• Le mouvement de décentralisation
engagé depuis le début des années quatre-vingt oblige
aujourd'hui les territoires mal lotis en infrastructures à financer une
part de plus en plus importante de celles-ci, alors que d'autres n'ont pas eu
à le faire. Est-il acceptable que les financements centraux, qui ont
autrefois bénéficié à des territoires aujourd'hui
bien-portants, soient aujourd'hui refusés aux territoires
nécessitant un rattrapage économique ?
• Le niveau de services collectifs attendu dans les
campagnes se rapproche de celui constaté dans les villes. Dès
lors, l'écart des dotations globales de fonctionnement devient
injustifié.
• Les zones rurales produisent diverses
externalités positives dont les zones urbaines profitent sans
contrepartie : nature, paysages, pureté de l'air, cycle de l'eau,
stockage du carbone.
• Réciproquement, les campagnes subissent,
toujours sans contrepartie, les externalités négatives de
certaines entreprises polluantes ou urbaines lorsqu'elles accueillent, par
exemple, les boues des stations d'épuration ou les déchets
ultimes.
Ajoutons que les zones rurales - particulièrement les plus fragiles - sont bien moins résilientes que les métropoles : les périodes de reprise économique n'y permettent pas de regagner les emplois perdus en temps de crise.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - Même en s'accommodant de fortes inégalités, concentrer les moyens dans les zones, souvent urbaines, où le retour sur investissement est mieux assuré à court terme, serait une erreur à notre avis.
Les acteurs des espaces ruraux entretiennent un rapport affectif avec leur territoire. Ils sont innovants et combatifs. En dépit des handicaps, ils affinent leur capacité de projection et inventent de nouveaux leviers de développement.
En proie à une métropolisation triomphante, la France aura bientôt besoin de ces leviers pour sortir de l'ornière économique où elle s'enfonce. Sa croissance future est en gestation dans le creuset de nos campagnes, qu'il faut protéger et accompagner.
Nous allons maintenant aborder les solutions. Que faire pour que se réalise le scénario souhaitable? Quatre leviers structurels doivent être mobilisés pour garantir le développement à long terme des campagnes : la gouvernance, les services, les réseaux physiques et les réseaux électroniques. Nous les avons déclinés en mesures très générales, car il s'agit d'orientations à long terme. Elles forment ensemble une authentique politique structurelle de soutien aux campagnes.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - Premier levier : la gouvernance et les structures locales.
D'une façon générale, nous préconisons un renforcement de l'inter-territorialité, surtout pour la maîtrise foncière. Elle est nécessaire à la coexistence harmonieuse de l'habitat, des activités agricoles et des autres activités économiques, tout en préservant l'environnement et le potentiel touristique.
Nous voulons aussi que la gouvernance s'inscrive, à divers échelons, dans des logiques de projet fédératrices pour les populations, agriculteurs, ouvriers, employés et cadres de tous horizons. Dans le détail, il est nécessaire de :
- stabiliser et clarifier la politique d'aménagement du territoire en veillant au bon emboîtement des stratégies économiques nationales et territoriales ;
- mener des politiques différenciées, tenant compte des spécificités des territoires (notamment les montagnes) ;
- maintenir le pouvoir d'achat des minima sociaux ;
- adapter la différence, excessive, entre les dotations urbaines et rurales, à la réalité des contraintes ;
- préserver l'incitation fiscale des collectivités à l'accueil des entreprises (problème de la réforme de la taxe professionnelle) ;
- soutenir la capacité d'ingénierie financière des collectivités locales ;
- sanctuariser le soutien aux services à la personne ;
- coordonner et renforcer par des initiatives nationales toutes les démarches confortant l'image des campagnes ;
- réaffirmer le rôle-pivot de la commune et le principe de sa participation à toutes les structures de dialogue territorial ;
- élargir le périmètre de certaines structures intercommunales pour englober des zones rurales et urbaines ;
- piloter le développement économique local en articulant base productive et base résidentielle ;
- définir des stratégies locales de développement basées sur des logiques de projet fédératrices... ;
- ... et favoriser l'inter-territorialité et l'inter-intercommunalité, jusqu'à l'échelon des actuels « pays », pour en garantir la cohérence ;
- adapter certaines normes à la réalité des territoires pour limiter les coûts, libérer l'initiative et garantir leur représentation équitable.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - Deuxième levier : les services et équipements publics, avec une attention particulière à la santé et à l'éducation. Voici nos préconisations en milieu rural :
- normaliser les temps d'accès maximum aux différents services publics et de santé ;
- ne pas modifier l'accès à un service public sans concertation avec les usagers ni coordination départementale préalables ;
- toujours préférer la logique de mutualisation à la logique de concentration, sans a priori sur les combinaisons possibles ;
- préserver le rôle structurant des villes moyennes et des bourgs pour l'accès aux services ;
- améliorer l'accès à la médecine en recourant à des mesures incitatives, aux maisons de santé, au salariat ou aux délégations de tâches, voire, si cela ne suffit pas, à des mesures coercitives ;
- poser le problème du nombre de pharmacies de garde ;
- garantir à tous un accès raisonnable aux urgences médicales ;
- ne pas fermer d'école dès lors qu'une hausse suffisante des effectifs est prévisible ;
- encourager l'ambition scolaire des familles en milieu rural ;
- relocaliser certains temps de formation en milieu rural ;
- favoriser l'implantation d'antennes universitaires pour faciliter l'accès des jeunes à l'enseignement supérieur.
Troisième levier : les réseaux physiques de communication, qui doivent être rapidement à la hauteur des exigences d'une économie moderne, sans attendre de miracles d'un hypothétique « tout Internet » - ce n'est pas pour demain - ; il faut ainsi :
- sanctuariser le financement de l'entretien, de l'amélioration et de la création des dessertes routières et ferroviaires dans une logique de long terme ;
- en toute hypothèse, préserver la desserte des villes moyennes et des bourgs-centres ;
- réduire la dépendance économique aux transports motorisés individuels.
Le quatrième facteur, essentiel, est un accès généralisé au haut, puis au très haut débit pour un développement sans entrave du télétravail, de la télémédecine, de la téléformation, de l'e-commerce, de l'e-administration et de tous les usages récréatifs et sociaux d'Internet. Les territoires où les opérateurs refusent d'investir devront bénéficier d'un soutien spécifique et significatif des pouvoirs publics.
Ces quatre facteurs réunis, particuliers et entreprises resteront ou s'installeront plus volontiers dans nos campagnes. Ainsi, les politiques ciblées, qu'elles concernent l'industrie, le commerce, les services privés, l'agriculture, le logement, le tourisme ou la culture, seront à la fois soutenables et efficaces.
Mes chers collègues, cet exposé est un très court résumé, et nous vous renvoyons au rapport écrit pour l'examen de détail des politiques que nous préconisons.
Notre objectif était que toutes les campagnes, à leur rythme, réalisent leur potentiel de développement, en misant sur leurs atouts respectifs. Il ne doit pas y avoir de territoire sans projets. Puisse notre travail y contribuer.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - J'ajoute qu'il y aurait eu beaucoup d'autres choses à explorer. Ma conclusion est que, pour parvenir à un développement équilibré, deux nécessités émergent : la péréquation et la solidarité.
M. Joël Bourdin , président. - Je remercie Renée Nicoux et Gérard Bailly pour leurs travaux et leurs scénarios. Chers collègues, avez-vous des questions ?
M. Alain Chatillon . - Je ferai deux constats. Il n'y a plus que 1 % d'agriculteurs en France. Comment les maintenir, leur permettre de vivre décemment sur leurs terres ? En 2007, un rapport de nos collègues Pierre Laffitte et Claude Saunier, établi au nom de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, avait mis en évidence le problème de la réduction des surfaces de terres agricoles. Les Allemands qui perdaient autrefois 95 000 hectares par an sont revenus à 30 000 hectares de moins par an depuis sept ans. Nous sommes toujours à une perte annuelle de 65 000 hectares. Il faut chercher les moyens de réduire ces pertes. Dans mon département, dans la communauté urbaine de Toulouse, c'est 1 100 hectares par an.
Il faut aussi maintenir les élus en milieu rural, notamment dans les conseils généraux. C'est un mauvais procès que d'y renforcer la présence des élus des villes.
J'ajoute qu'il n'y a plus de services de proximité la nuit dans le rural profond. Faudra-t-il en venir à des réquisitions ? Le défaut de services de santé met en danger la vie des personnes.
Je terminerai par une proposition : les bâtiments agricoles ne pourraient-ils pas bénéficier d'aides pour les installations photovoltaïques ?
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - En matière de foncier, il faut éviter que le foncier agricole, de bonne qualité en zone périurbaine, soit artificialisé. Sur le maintien d'élus locaux en milieu rural, une réforme est en cours sur les élections locales. La loi précédente proposait la représentation proportionnelle des territoires mais avec une diminution du nombre des cantons et sans parité homme-femme. Les élus urbains sont partisans de la diminution du nombre des élus ruraux. Je ne partage pas cette opinion. Le projet actuel tente de concilier les équilibres.
M. Alain Chatillon . - S'agissant des élus, ce n'est pas une question de quantité mais d'efficacité.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - Je suis d'accord sur les services de proximité. Il faut absolument les maintenir. Sur l'électricité photovoltaïque, on est allé trop loin dans les tarifs de rachat. On en revient. Mais je constate que les aides accordées au niveau local, en particulier par les conseils régionaux, permettent d'équiper les bâtiments d'élevage et améliorent ainsi le revenu en diversifiant l'activité des agriculteurs. Cela va dans le bon sens, dès lors que les panneaux solaires n'occupent pas de terres agricoles.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - Je souhaite apporter un complément sur le problème de l'artificialisation des terres agricoles : je pense quand même que si l'on souhaite que les campagnes conservent une économie dynamique, il faut pouvoir construire. Les terres qui ont une mauvaise productivité agricole doivent pouvoir être urbanisées. Dans mon département, il est possible d'artificialiser dix hectares de « communaux » sans conséquence pour la production agricole. Il faut donc sélectionner davantage les terrains urbanisables. Bien sûr, l'urbanisation exige l'installation de réseaux. Mais, en ce cas, il faut prendre l'initiative d'urbaniser les « mauvaises » terres, même si elles sont initialement agricoles.
Dans mon département, la direction départementale de l'environnement et de l'agriculture indique que ce sont les plus petites communes qui gagnent des habitants. Elle préconise que la population réinvestisse de préférence les bourgs-centres et les réhabilite. Dans une fiche qu'elle a rédigée, cette direction remarque que, contrairement à une idée reçue, dans le Jura, ce sont les petites communes qui gagnent de la population au détriment des communes plus urbaines. Cette situation poserait à terme, d'une part, la question de la pérennité des pôles structurants disposant des équipements, des services et des commerces associés qui font vivre le territoire rural environnant, d'autre part, la question de la consommation des espaces et des déplacements avec la problématique énergétique. Dès lors, il semble essentiel de mettre en oeuvre des dispositifs qui permettent aux populations de réinvestir les bourgs-centres au plus près des pôles d'emplois, de services et de commerces.
M. Alain Chatillon . - Autour de Toulouse, je vous l'ai dit, la perte est de 1 100 hectares par an contre 250 hectares dans le reste de la Haute-Garonne. C'est la construction de petits lotissements, d'environ 2 500 m², qui occasionne le plus de pertes de terres arables.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - Sur cette question de l'artificialisation, faut-il encore bâtir d'immenses centres commerciaux ? Sont-ils viables dans le temps sur le plan économique ?
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - On constate en effet une perte de population des centres-bourgs au profit des communes les plus rurales. Dans ce domaine, il faudrait harmoniser la fiscalité, beaucoup plus favorable dans les très petites communes pour des services équivalents puisque leurs habitants ont accès à ceux du centre-bourg.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - En matière de représentation électorale, il faut tenir compte des territoires à faible densité de population, admettre qu'ils soient également bien représentés.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - J'ai déposé un amendement en ce sens sur le projet de loi que j'évoquais.
M. Jean-François Mayet . - Ma vision des campagnes est plus positive : je considère que le milieu rural va bien. Il est vrai qu'il y a des lacunes en matière de service public et d'offre de soins, mais la campagne n'a jamais été aussi bien équipée qu'aujourd'hui. La plupart des communes rurales voient leur population augmenter. Les agriculteurs travaillent sur des exploitations de plus en plus modernes. Elles sont bien gérées, de même que les entreprises artisanales. Ces entreprises ne sont pas plus « tristes » que les zones industrielles urbaines.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - C'est vrai qu'il y a de belles entreprises à la campagne. À Châteauroux, dans votre département, d'importantes infrastructures sont disponibles : l'autoroute A20, un aéroport. En Creuse, la situation est différente : si la campagne manque d'infrastructures et de moyens de transport ou de réseaux Internet, le développement n'est pas au rendez-vous. Donc, il y a certes des campagnes prospères, mais ce constat n'est pas homogène.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - Je confirme qu'il existe de grandes disparités entre les campagnes. À proximité des villes, elles se développent bien. Dans les massifs montagneux ou loin des infrastructures, on constate encore des phénomènes de désertification. Voici trente ou quarante ans, les entreprises avaient tendance à essaimer. Aujourd'hui, elles tendent à se reconcentrer dans les zones les mieux équipées. Cette situation peut être atténuée par le tourisme, mais si la zone n'est pas touristique, elle entre en régression. Le problème est notamment fiscal. Il y a vingt ans, tous les services étaient portés par le centre-bourg. L'intercommunalité a changé tout cela : les équipements dont la charge incombe à l'intercommunalité sont aussi fiscalement supportés par les villages, qui ne bénéficient pas de la même proximité avec ces équipements. C'est un problème pour l'eau, l'assainissement et les ordures ménagères, qui coûtent maintenant cher aux habitants des petites communes, lesquels n'en bénéficient pourtant pas au même degré que ceux des villes-centres.
M. Joël Bourdin , président. - Je souhaite à mon tour faire quelques remarques, non sans avoir encore remercié les rapporteurs pour ce travail complexe. Il fallait choisir un point d'arrivée, car le sujet est inépuisable. Vous avez embrassé tous les thèmes qui touchent la ruralité.
Je pense que l'avenir des campagnes est la « polarisation », sorte d'intermédiaire entre la ville et les hameaux. Dans l'Eure, certains habitants en zone très rurale vont travailler à Paris. Ce n'est pas un bon schéma d'organisation. Le bon schéma est la polarisation autour de gros bourgs ou de petites villes, plutôt qu'un habitat dans le rural très profond pour travailler dans une grande ville. Les exigences de ces travailleurs urbains ne sont pas finançables aujourd'hui. On ne peut disperser les écoles un peu partout, il faut des pôles intermédiaires plus centraux. Le domaine de la santé est plus délicat. On déplore parfois un manque cruel d'offre de soins. Les médecins ne veulent plus s'installer à la campagne. Les services d'urgence sont trop loin. La tendance doit être d'aller vers une polarisation autour de centres éducatifs, de pôles de santé ou d'activités économiques.
En matière de numérique, beaucoup de progrès ont été réalisés mais la fibre optique et le très haut débit n'iront pas partout. Or les entrepreneurs ne pourront pas s'installer dans les zones dépourvues de très haut débit. Des tendances se dessinent dans le domaine économique : l'installation d'une entreprise est liée au confort offert, donc à la taille et à l'équipement des zones d'activité aménagées par les collectivités locales. Or, ces aménagements coûtent extrêmement cher. Les zones d'activité doivent être très grandes. Les implantations qu'on voit se développer aujourd'hui sont les entrepôts des entreprises de commerce en ligne. De façon complémentaire, le numérique permet aussi de développer des activités de distribution sans stockage dans les gros bourgs, par exemple des installateurs d'électroménager ou d'informatique, qui rendent un service mais ne stockent pas de matériel sur place. Le développement de ces zones d'entreposage et de services sans stockage, deux activités liées à Internet, va d'ailleurs à l'encontre de l'installation de grandes surfaces commerciales classiques.
J'aimerais avoir l'opinion des rapporteurs sur cette idée de « polarisation », que je qualifierai de « rural intermédiaire ».
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - La 4G entraînera le très haut débit jusqu'au fond des campagnes. Cela va dans le sens d'un aménagement diffus de l'offre touristique. Sans Internet à un bon niveau, les équipements touristiques ne sont pas viables. Le très haut débit permet à des professionnels de s'installer dans les campagnes les plus isolées. Il est donc absolument nécessaire. La télémédecine pourrait d'ailleurs être une solution, au moins partielle, au problème de l'offre de soins en milieu rural.
M. Gérard Bailly , rapporteur. - Le temps de transport est un problème pour les écoles élémentaires. Trente-cinq ou quarante minutes de transport pour accéder à l'école, c'est une durée excessive pour un enfant, ce qui doit conduire à ne pas trop concentrer, trop polariser les écoles. Internet ne pourra apporter une solution à tous les problèmes. Ma commune compte 6 000 habitants mais héberge 24 000 personnes l'été. C'est le camping qui, le premier, s'est équipé en informatique pour accueillir les touristes. Il faut donc tenir compte de la diversité des territoires : la polarisation peut être adaptée à certains mais pas à d'autres, ceux où les services doivent rester diffus et les équipements les plus modernes demeurer accessibles dans les zones reculées.
M. Joël Bourdin , président . - La polarisation coûte aussi moins cher. Une école plus grande coûte moins cher que six écoles très petites et dispersées, qui exigent globalement plus de personnel.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - Il ne faut pas rater le cap du très haut débit dans les territoires ruraux, car il risque de devenir nécessaire à terme partout.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je suis élue du littoral aquitain, proche de la campagne. On y trouve deux catégories d'habitants : d'une part, des urbains qui arrivent, car il y a une sorte de modernité à s'installer à la campagne, mais, souvent déçus, ils repartent assez rapidement ; d'autre part, des habitants implantés depuis très longtemps et qui sont considérablement gênés par les règles d'urbanisme qui ne tiennent pas compte des situations concrètes. Par exemple, des exploitants agricoles ne peuvent pas permettre à leurs enfants de s'installer avec eux sur l'exploitation car les documents d'urbanisme les empêchent de construire un nouveau logement sur leur terrain. Les terres classées agricoles ne peuvent pas être transformées en habitations, même pour de petites surfaces. Il faut penser à la nécessité pour certains anciens agriculteurs de diversifier leurs sources de revenus. Ces normes contraignantes ne sont pas le fait des collectivités locales, mais de l'Etat.
Mme Renée Nicoux , rapporteure. - J'ai parlé de l'adaptation des normes, je pense que cela s'applique aux documents d'urbanisme.
M. Joël Bourdin , président. - Chers collègues, s'il n'y a plus de questions, je propose à la délégation d'approuver les conclusions du rapport et d'autoriser leur publication sous forme de rapport d'information.
La délégation approuve les conclusions du rapport et autorise sa publication.
ATELIER DE PROSPECTIVE
QUEL AVENIR POUR NOS CAMPAGNES ?
A. OUVERTURE
M. Joël Bourdin , président . - Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre présence à cet échange sur les territoires ruraux. J'adresse également mes remerciements à Edith Heurgon pour avoir accepté d'animer nos débats, et à nos intervenants extérieurs, spécialistes de la question, qui vont nous apporter leur éclairage.
J'aimerais vous dire quelques mots sur la délégation à la prospective qui a été créée par le Sénat voici trois ans. Elle a pour but de réfléchir à des enjeux de long terme. Sa vocation est de représenter les collectivités territoriales.
La délégation a désigné deux collègues pour travailler sur le sujet de l'atelier d'aujourd'hui : Renée Nicoux, sénatrice de la Creuse, qui connaît très bien les territoires ruraux, tout comme Gérard Bailly, sénateur du Jura. Ils sont les plus à même de nous guider dans notre réflexion.
Renée Nicoux prendra la parole, Gérard Bailly ajoutera quelques mots puis je laisserai le soin à Edith Heurgon de mener la séance.
B. INTRODUCTION
Mme Renée Nicoux , rapporteure . - Le Sénat est une assemblée particulièrement sensible à la question rurale. C'est pourquoi cette mission, dont Gérard Bailly et moi-même avons été saisis, nous honore et nous oblige. Les difficultés que nous rencontrons en tant qu'élus de communes rurales se retrouvent à tout niveau. Nous l'avons constaté lors de nos déplacements et de nos auditions. L'intensité de ces difficultés varie bien entendu d'un territoire à l'autre.
Notre démarche n'est pas seulement prospective mais surtout politique. Pourtant, notre travail n'est pas partisan. En effet, quelle que soit notre orientation politique, nous avons les mêmes préoccupations face à cette question, pour le présent et pour l'avenir. La délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) et l'institut national de la recherche agronomique (INRA) ont mené de très bons travaux de scénarisation, que leurs coordinateurs ici présents auront peut-être l'occasion de nous présenter cet après-midi. Je les remercie pour leur talent et leur disponibilité.
Nous avons identifié, sur la base de nombreuses auditions et de notre propre expérience, des tendances lourdes, de nombreux facteurs de risque et quelques opportunités. C'est ainsi que nous construisons nos propres scénarios qui feront l'objet d'une présentation dans le rapport. Nous souhaitons renforcer ces tendances dès lors qu'elles sont favorables, écarter les facteurs de risque, potentialiser les opportunités existantes et en créer de nouvelles. Nous refusons de laisser toute licence aux forces centrifuges qui produisent plus d'inégalités entre villes et campagnes, et entre les différents territoires ruraux eux-mêmes. Cela nous conduit à cette première interrogation : par quel cheminement et suivant quel équilibre, la métropolisation, tendance lourde, peut-elle s'accompagner d'un développement harmonieux de tous les territoires ruraux et des villes intermédiaires dont ils dépendent ?
M. Gérard Bailly, rapporteur . - Je remercie Renée Nicoux pour ces propos. J'aimerais remercier l'ensemble des participants à ces échanges. J'atteste personnellement que travailler au développement rural n'est pas une sinécure. Je suis président d'une communauté de communes de trente communes comptant seulement 6 200 habitants. De nombreux obstacles d'ordres financier, administratif et logistique doivent être surmontés. Que de résistances à infléchir, qui ne sont parfois que des conflits d'usage. Que de handicaps à compenser en raison de l'éloignement des services, des écoles, des soins et des réseaux, qu'ils soient physiques ou électroniques. Nous proposons le scénario du développement du territoire et non celui du laisser-faire. Nous souhaitons que la population soit présente sur l'ensemble du territoire de notre pays. Nous voulons que toutes les campagnes, à leur rythme, réalisent leur potentiel de développement, en misant sur leurs atouts respectifs, y compris énergétiques. Nous connaissons les conditions de ce développement ; ainsi, de très nombreux leviers devraient être actionnés de manière simultanée.
A la suite des auditions que nous avons menées, quatre facteurs nous ont paru nécessaires :
• Une gouvernance plus efficace, grâce
à une pratique accrue de l'inter-territorialité, en particulier
pour la maîtrise foncière nécessaire à la
coexistence harmonieuse de l'habitat, des activités agricoles et de
toute autre activité économique. En parallèle, il est
nécessaire de préserver l'environnement et le potentiel
touristique qui est essentiel pour ces territoires. Cette gouvernance serait
plus efficace si elle s'inscrivait à divers échelons, dans des
logiques de projets fédérateurs pour les habitants, qu'ils soient
agriculteurs, ouvriers, employés ou cadres.
• Un accès préservé ou
amélioré aux services publics, auxquels le Sénat - et en
particulier notre délégation - prête une attention toute
particulière, mais aussi une vraie complémentarité entre
les bourgs et les campagnes.
• Des réseaux physiques de communication
à la hauteur des exigences d'une économie moderne, en particulier
des réseaux de désenclavement qui sont capitaux, hier comme
aujourd'hui et peut-être encore davantage demain.
• Un accès
généralisé au haut débit, puis au très haut
débit.
Nous pensons que lorsque ces quatre facteurs seront réunis, les particuliers et les entreprises pourront envisager de rester ou venir s'installer sur ces territoires. Les citadins pourront également venir s'y ressourcer. Les politiques ciblées profiteront alors pleinement du développement économique, social et culturel de ces territoires.
Cette analyse reste-t-elle valable dans la durée ? Nous pouvons y réfléchir ensemble.
Je terminerai en posant une question : le très haut débit va-t-il devenir, à terme, une sorte de panacée pour les problèmes d'accès aux services, à la médecine, à l'éducation et à la culture dans ces campagnes ? Le haut débit sera-t-il pour nos campagnes le premier levier de leur développement ? Il me semble que c'est une vraie question car il est courant d'entendre des interrogations sur la nécessité d'alimenter en haut débit nos campagnes. A mon sens, la réponse est oui. Cela fera l'objet de nos discussions cet après-midi.
M. Joël Bourdin , président . - Nos deux rapporteurs ont évoqué à l'instant les principaux problèmes à aborder. J'ajouterai qu'avec la crise, nous pouvons nous interroger sur la capacité de nos territoires ruraux à résister autant que les territoires urbains. Existe-t-il dans ce domaine une fragilité particulière inhérente à ces territoires ruraux ? Les difficultés se situent souvent dans ces territoires, ce qui justifie que nous nous penchions sur cette question aujourd'hui. Je donne la parole à Edith Heurgon, notre animatrice.
C. ATELIER
Les débats sont animés par Edith Heurgon, prospectiviste
Ont participé à ces débats : Stéphane Cordobes, conseiller responsable de la prospective et des études à la DATAR, Armand Fremont, géographe, ancien recteur, Olivier Mora, ingénieur agronome - chercheur à l'INRA, Olivier Paul-Dubois-Taine, président du comité transports d'ingénieurs et scientifiques de France (IESF), Jean-Yves Pineau, directeur du Collectif Ville Campagne.
Mme Edith Heurgon . - J'ai été informée de la tenue de cet atelier prospectif au mois de juillet lorsqu'un des administrateurs du Sénat m'a contactée. Il souhaitait en effet se rendre à Cerisy, au Centre culturel international que je dirige dans la Manche, parce que le scénario 4, évoqué dans le cadre de la démarche de l'INRA et à laquelle j'ai participé, l'intéressait. J'ai accueilli avec plaisir en septembre sa délégation et j'ai réuni autour d'elle la responsable du CESERE de Basse-Normandie, le Conseil général de la Manche en pleine réflexion prospective, ainsi qu'une jeune femme travaillant dans une association des Chambres d'agriculture de l'Arc Atlantique. Cette association réalise de la prospective préventive via les acteurs du territoire. De nombreux agriculteurs participent à cette démarche. Il est particulièrement intéressant que la prospective se fasse sur le terrain avec l'ensemble des partenaires pour faire émerger des signaux faibles. Vous avez évoqué les tendances lourdes, des facteurs de risque et des opportunités. J'introduis la notion de prospective des signaux faibles.
A la suite de cette visite, j'ai été sollicitée afin de jouer le rôle de discutant prospectif à l'atelier d'aujourd'hui. Puis, j'ai constaté que j'étais en fait animatrice de ce débat, ce qui est tout à fait différent. Néanmoins ces deux rôles ne sont pas incompatibles et je souhaite relever ce défi.
J'ai travaillé pendant trente-sept ans pour la RATP, et créé l'équipe de prospective de cette société en 1980. Cette équipe était une sorte de noeud de réseaux entre le monde des transports et le monde de la ville. C'était un lieu de débat très ouvert. Par ailleurs, j'anime un centre culturel international dans la Manche, qui me rapproche un peu plus du monde des campagnes.
La prospective est une démarche de connaissance pour l'action. Elle vise à stimuler l'intelligence collective des acteurs. Elle articule trois types de savoirs : les savoirs experts, les savoirs pratiques et les expériences sensibles, voire des savoirs artistiques. J'ai développé cette prospective, que nous appelons prospective présente, avec Jean-Paul Bailly dans le cadre d'un rapport au Conseil économique et social élaboré dans les années 98. Intitulé à l'origine « Prospective et décision publique » , ce rapport s'est finalement appelé « Prospective, débat et décision politique » . Rien n'est nouveau dans ces trois thèmes, en revanche leur association l'est. Il s'agit de mener une prospective non pas d'expert mais une prospective qui permette d'alimenter l'intelligence collective des acteurs pour de meilleures décisions publiques.
Dans un contexte sociétal inédit, et pour dépasser des tensions a priori insurmontables, il est nécessaire de formuler les bonnes questions. Celles de la prospective du présent revêtent souvent deux formes.
En effet, d'une part, elles reposent sur un parti pris d'optimisme méthodologique, dont nous avons besoin aujourd'hui. Elles partent souvent d'un diagnostic un peu négatif pour reformuler la question en des termes positifs, par exemple grâce à l'emploi du terme « si » : et si les campagnes qui rencontrent aujourd'hui des difficultés étaient finalement un des leviers principaux que nous pouvons exploiter pour réinventer le monde de demain ?
D'autre part, la prospective du présent observe les signaux faibles. Elle tente d'analyser les signaux qui appartiennent déjà au futur, mais pour lesquels nous n'avons pas les bonnes lunettes. Il s'agit de s'ouvrir davantage à ces signaux pour étudier les inventions des locaux sur le terrain. Nous constatons en effet qu'une grande vitalité s'oppose souvent à la rigidité des institutions qui peinent à se réformer.
L'objectif est de co-construire des devenirs souhaitables. Je rappelle que l'avenir est ce que nous prévoyons, quand le devenir est ce que nous construisons ensemble. Je pose donc la question en ces termes : que vont devenir nos campagnes ? Pour construire des devenirs souhaitables, la prospective classique tente d'élaborer des futurs possibles, la prospective du présent s'intéresse au devenir souhaitable.
Notre sujet est bien l'avenir de nos campagnes, et j'ajoute également l'avenir de nos villes. Je vous invite à ne pas tomber dans la nostalgie du passé. Il faut davantage prendre acte du défi du monde contemporain pour réinventer les campagnes. Cette ambition est forte.
Au préalable, il me semble essentiel de ne pas définir les ruralités par défaut. Il faut dépasser les catégories statistiques de l'INSEE par exemple. Il s'agit de penser le devenir des campagnes dans toutes ses composantes, qu'elles soient spatiales, géographiques, fonctionnelles, écologiques, économiques, sociales, culturelles ou politiques. De nombreuses prospectives ont été menées sur les campagnes. Je citerai en premier lieu la prospective animée par Philippe Perrier-Cornet de la DATAR, intitulée Repenser les campagnes, dont le préfacier Armand Frémont est aujourd'hui parmi nous. Dans cette prospective, nous pouvions déjà identifier trois types de campagnes :
• les « campagnes ressources », vues
et vécues en termes de production ;
• les « campagnes cadres de vie »,
comme espaces résidentiels et récréatifs ;
• la « campagne nature », à
savoir une nature objective, incluant des ressources, des cycles de vie et des
fonctions.
En second lieu, je citerai la prospective de 2006-2008 dont nous parlerons tout à l'heure. Elle a été conduite par l'INRA sur les nouvelles ruralités en 2030 et j'ai eu le plaisir d'y participer pour apporter un regard du passé. Prenant acte du fait urbain, elle définit les ruralités au coeur de nouveaux rapports ville-campagne. Ces ruralités sont définies comme des dynamiques qui portent à la fois sur la transformation des espaces, sur leurs usages productifs, résidentiels et récréatifs, sur les vécus et représentations des acteurs, sur leurs rapports à la nature et leurs enjeux écologiques ainsi que sur les modes de gouvernance. Nous avons pris comme parti d'évoquer les ruralités au pluriel parce qu'elles sont différentes selon les contextes géographiques, économiques et sociaux. Nous les avons illustrées au niveau des régions de Basse-Normandie, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes et PACA.
Je vous propose de réfléchir ensemble sur le devenir souhaitable des campagnes au regard du fait métropolitain. Je vous invite à mener cette réflexion non pas en opposant traditionnellement villes et campagnes mais en construisant les nécessaires complémentarités et coopérations, qui nous permettent d'affronter le nouveau contexte sociétal et l'actuelle crise systémique.
Ce nouveau contexte sociétal est au carrefour de mutations macroscopiques et microscopiques. Les premières sont liées à la mondialisation, à l'émergence de nouvelles puissances, aux nouveaux régimes techniques de l'Internet et aux réseaux sociaux. Les secondes résident dans l'individuation des modes de vie, la longévité accrue de la vie, la diversité des âges et dans les manières variées d'habiter nos territoires. Entre ces deux types de mutations se développe un phénomène que nous aborderons aujourd'hui parce qu'il est essentiel. Il s'agit de l'explosion des mobilités. Je cite l'explosion des mobilités des biens, des informations et des personnes. Avec le regretté François Ascher, nous avions beaucoup travaillé sur ces mobilités-types qui reconfigurent les espaces et les temps. Quand j'aborde la question des mobilités, je ne parle pas de transports. J'évoque davantage les mobilités tous azimuts : les mobilités physiques quotidiennes et résidentielles, mais aussi les mobilités professionnelles, sociales, politiques et culturelles. Ces mobilités bousculent totalement les échelles spatio-temporelles. Elles désajustent les bassins de vie et les territoires administrés. Elles transforment les relations que nous avons avec autrui et avec soi-même.
S'y ajoute une triple dette :
• la dette écologique - les
évolutions climatiques, la transition énergétique, la
biodiversité - qui nous impose des solidarités obligatoires
à l'échelle de la planète ;
• la dette économique, sur laquelle je
reviendrai dans un instant avec le récent ouvrage de Laurent Davezies
;
• la dette sociale, au sujet de laquelle une
conférence s'est tenue hier au Palais d'Iéna ; elle nous permet
de mesurer à quel point la question des précarités et des
inégalités sociales ne compte pas parmi les moindres de nos
problèmes.
Réfléchissons maintenant aux campagnes dans leur diversité, ou géo-diversité selon l'expression d'Armand Frémont, en prenant pour hypothèse que le monde de demain s'invente dans les campagnes peut-être autant que dans les villes.
En effet, les campagnes sont au carrefour de plusieurs enjeux de création de richesse et de valorisation des ressources : alimentaires, agricoles, écologiques et démographiques. Nous parlons davantage aujourd'hui d'exode urbain que d'exode rural mais il faut également évoquer la persistance de l'exode des jeunes dans certaines campagnes. Les campagnes sont porteuses d'un nouveau cadre de qualité de vie. A ce sujet, Jean Viard affirme qu'aujourd'hui nous vivons dans un monde de bonheur privé, dans un contexte de crise publique et de peur planétaire. Ces campagnes font appel à des valeurs clés, au coeur des tensions de la société contemporaine.
Nous voyons surgir des paradoxes. Ainsi, la croissance de l'urbanisation favorise la mise en place d'un système d'accélération très bien analysé par le philosophe allemand Hartmut Rosa. Ce système a trois conséquences : le stress individuel, l'affaiblissement du dialogue intergénérationnel et le déficit du débat public. Plus ce système se met en place, plus nous avons besoin de lenteur, d'oasis de décélération et de choix de son propre rythme. Plus nous vivons dans un monde global, plus la proximité physique et numérique prend de l'importance, notamment pour les plus jeunes et les populations qui prennent de l'âge. Plus se développent les échanges virtuels, plus nous souhaitons des rencontres physiques. Plus nous nous déplaçons, plus nous avons besoin d'escales, telles que des maisons et jardins. A ce sujet, nous avons organisé un colloque sur le renouveau des jardins. Nous nous sommes interrogés sur le thème suivant : les jardins connaissent-ils un regain en temps de crise ? La réponse était positive. C'est un philosophe américain, Robert Harrison, qui défend cette thèse. Les jardins sont un havre de paix qui nous permet de trouver des repères. Ils sont également un facteur de résistance face aux évolutions du moment, voire un vecteur d'invention radicale.
Pouvons-nous en dire autant des campagnes ? Pouvons-nous prendre pour hypothèse que nous vivons un moment de réinvention des campagnes ? Nous apprécions en effet le contact avec la nature, la terre, les vivants et les animaux. Nos campagnes sont productives, résilientes et agréables à vivre. Elles représentent pour certains d'entre nous un choix de vie. Nos campagnes sont différentes de celles d'hier car elles doivent être en mouvement et ouvertes aux autres. Elles doivent s'inscrire dans un réseau de villes et de métropoles car l'avenir des campagnes ne va pas reposer seul sur ces dernières. Je pose la question suivante : allons-nous être capables de dépasser la tension entre territoires à vivre et territoires à produire ? L'enjeu contemporain est la qualification mutuelle entre des territoires ruraux qui produisent pour la consommation de proximité mais aussi à échelle nationale et internationale, et des territoires à vivre qualifiés pour des habitants permanents mais aussi temporaires. Il s'agit de territoires extraordinaires pour organiser une mixité des cultures et des populations. Je pose également cette question : et si la modernité s'inventait aujourd'hui dans les campagnes ? Il a toujours été de bon ton de dire que c'était dans les villes qu'elle se créait.
Nous regrettons par ailleurs l'absence de Laurent Davezies, initialement annoncé comme participant. Il vous présente toutes ses excuses. Il est victime de son succès à la suite de la parution de son récent ouvrage dont je dirai quelques mots pour en situer la problématique qui me semble intéressante par rapport au débat de cet après-midi.
Je vous propose pour l'instant de poursuivre notre questionnement à partir des réflexions prospectives qui ont été conduites récemment sur les nouvelles ruralités par l'INRA avec Olivier Mora. Nous évoquerons également les réflexions prospectives conduites par la DATAR dans le cadre de Territoires 2040, et la prospective sur les mobilités dans les territoires périurbains et ruraux conduite par Olivier Paul-Dubois-Taine. Nous écouterons ensuite le témoignage de Jean-Yves Pineau, directeur du Collectif Ville Campagne, qui nous expliquera comment mener une prospective des territoires ruraux et des villes du point de vue des territoires. Puis un échange sera engagé avec la salle.
Par la suite, nous envisagerons la manière de dépasser ces tensions actuelles et d'ouvrir de nouvelles perspectives. Armand Frémont, qui a participé à de nombreuses prospectives et autres travaux sur l'aménagement du territoire, nous expliquera comment passer de ce diagnostic à un renouveau des perspectives. Enfin, chacun des intervenants pourra faire part de ses préconisations aux sénateurs en charge de ce rapport.
Je vais en quelques mots évoquer les points essentiels de l'ouvrage passionnant de Laurent Davezies, que je vous invite à lire. Avec La Crise qui vient , l'auteur nous explique que l'économie française est à la veille d'un choc : après trente ans de mondialisation, trente ans de mutualisation par le biais de l'endettement public, trente ans de croissance par la consommation plutôt que par la production, s'achève l'ère de la croissance industrielle et du développement des territoires. Laurent Davezies nous rappelle que « jusqu'à aujourd'hui ce sont les territoires les moins productifs qui ont enregistré les meilleures progressions en termes de revenu, de peuplement, d'emploi et de lutte contre la pauvreté, grâce à des amortisseurs puissants de redistribution et d'emploi public ». Il ajoute qu'aujourd'hui la crise de la dette publique détruit cette protection et affectera la solidarité au sein des territoires. Ce sont désormais des territoires eux-mêmes que devra venir la croissance. « Le curseur se déplace aujourd'hui, s'éloignant des territoires de la consommation. Il se rapproche de ceux de la compétitivité productive et nous allons connaître une vraie métropolisation. Les territoires peu productifs mais dynamiques risquent de connaître un net ralentissement. Les territoires productifs et dynamiques bénéficieront d'une inflexion positive ». Il ajoute que « les deux crises que vient de subir la France sont porteuses d'un nouveau régime d'inégalités et quatre France prennent place sous nos yeux ».
Les questions à se poser sont les suivantes :
• Faut-il favoriser l'égalité des
territoires ou la lutte contre les inégalités sociales ?
• Est-ce qu'aujourd'hui croissance et
égalité territoriale ne sont pas antinomiques ?
• Quels sont les nouveaux moteurs de croissance
?
Certes, beaucoup d'ajustements à opérer impliquent des mécanismes qui ne sont pas territorialisés mais qui doivent compter avec des ressources évidentes et latentes que recèlent les territoires. Le secteur public qui était hier l'accélérateur joue désormais un rôle de frein. Il convient donc de restructurer tant le secteur public que le secteur privé car il existe un paradoxe entre le recul de la démocratisation de nombreux services publics et l'extraordinaire démocratisation des biens et des services privés. Dans la course à l'égalisation des positions sociales, le marché a un rôle croissant. Aujourd'hui la distinction entre catégories sociales a déserté le registre de la consommation pour se nicher dans celui de la localisation résidentielle. Face à cette nouvelle fracture territoriale, deux mécanismes émergent : la solidarité nationale et la mobilité. La mobilité résidentielle ne s'opère pas d'un secteur en grande difficulté vers un secteur très productif. On procède plutôt à des déménagements en saut de puce vers des territoires proches.
Laurent Davezies conclut que « le sevrage de la dépense publique et la restriction des crédits, une énergie chère, la crise de l'économie résidentielle et l'enjeu de la compétitivité permettent d'envisager un retour des métropoles sur le devant de la scène. De nouveaux arbitrages sont nécessaires entre croissance, développement social et cohésion territoriale. La nouvelle grammaire de la croissance érige le territoire en facteur de production ». Peut-on voir là une opportunité ? La question des territoires et de leur enjeu a longtemps été minimisée. C'est l'équilibre du pays qui dépend désormais de la santé de ces territoires. Il convient donc d'inverser la donne et de faire en sorte que les économies locales en bonne santé conditionnent la croissance nationale. Les territoires se tournaient vers l'Etat. N'est-ce pas plutôt l'Etat qui va se tourner aujourd'hui vers les territoires ?
Nous entrons maintenant dans un second temps, le temps du questionnement. Je donne la parole à Olivier Mora.
M. Olivier Mora . - Je travaille à l'INRA et j'ai coordonné ce travail réalisé entre 2006 et 2008 sur les nouvelles ruralités à horizon 2030. Je vous propose de passer en revue les différents scénarios et d'évoquer les présupposés et tendances fortes. Nous regarderons les changements survenus depuis 2008 et la manière dont ils affectent chacun des scénarios élaborés. Nous tenterons d'éclairer les enjeux spécifiques qu'ils soulignent.
Nous avions pris comme base de réflexion le fait que les ruralités sont entrées dans l'ère des mobilités. Cela se traduit par plusieurs facteurs :
• L'accroissement des migrations
résidentielles vers les espaces ruraux. Les données de l'INSEE
sont très explicites sur le sujet ; elles retracent une augmentation de
0,7 % par an de la croissance de la population dans les espaces ruraux
contre 0,5 % dans les pôles urbains. Du point de vue des
représentations des ruralités, nous assistons à la fin
d'une représentation par l'exode rural, même si des
disparités territoriales subsistent en France. Nous sommes entrés
dans l'ère de l'attractivité des campagnes.
• L'augmentation des mobilités physiques
au sens des déplacements. Il s'agit des mobilités
journalières entre le domicile et le travail. Cette dissociation entre
le lieu de travail et le lieu de résidence est en train de transformer
le territoire. Je pense également aux mobilités liées aux
loisirs et à l'accessibilité aux services.
Les ruralités, à travers ces mobilités, s'intègrent aujourd'hui dans d'intenses relations entre ville et campagne. Ce constat est un élément fondamental de notre démarche.
Je souhaite aborder un deuxième point : les ruralités aujourd'hui ne sont plus monofonctionnelles. Nous avons tendance à penser les ruralités en référence à une activité sectorielle, à savoir l'agriculture et l'agroalimentaire qui restent très prégnantes en termes d'occupation de l'espace. Pour autant, aujourd'hui, les ruralités sont devenues plurifonctionnelles : à côté de la production agricole, les ruralités intègrent également des fonctions liées à la nature, aux écosystèmes, au cadre de vie et au patrimoine.
La première conséquence de cette transformation vers une plurifonctionnalité réside dans la caractérisation économique de l'emploi sur les territoires ruraux. L'activité agricole ou alimentaire n'est plus l'activité principale qui correspond aujourd'hui à environ 10 % ou 15 % des emplois. Dans les territoires ruraux comme ailleurs, l'économie résidentielle reste l'activité la plus importante et représente 40 % des emplois environ.
La seconde conséquence est que l'évolution de l'agriculture elle-même se poursuit. Elle se spécialise régionalement avec des bassins de production de plus en plus marqués et des formes d'organisation et d'exploitation de l'agriculture qui se dualisent : l'agriculture de type familiale se maintient et l'agriculture de firme se développe.
Enfin, cette approche fonctionnelle des ruralités renvoie fréquemment à un raisonnement en termes de coexistence des différentes fonctions. J'attire votre attention sur l'hybridation des fonctions et non pas seulement leur coexistence. Il est important d'observer la manière dont ces fonctions sont imbriquées et participent de la fabrication du territoire. L'enjeu pour l'avenir est de savoir comment renforcer des synergies entre ces différentes fonctions.
Nous avons identifié quatre scénarios qui se situent dans un contexte général de métropolisation :
• Les campagnes de la diffusion
métropolitaine. Ce scénario fait l'hypothèse de
l'émergence métropolitaine et de l'intégration des
campagnes dans ces grandes aires. Ces campagnes connaissent de fortes
dynamiques résidentielles et de mobilité entre le domicile et le
lieu de travail. Leur paysage est très fragmenté. Elles sont
caractérisées par une économie résidentielle peu
qualifiée.
• Les campagnes intermittentes. Ce
scénario s'appuie davantage sur un changement des modes de vie. La
mobilité devient notamment un véritable mode de vie. La
population s'efforce de profiter tant des avantages de la ville que de ceux de
la campagne. Ces dernières sont caractérisées par un riche
patrimoine naturel ou culturel. Dans ce modèle, l'accès aux
technologies de l'information est très important, notamment pour
l'activité professionnelle.
• Les campagnes au service de la densification
urbaine. C'est un scénario de rupture. Cette rupture très forte
dans les mobilités individuelles transforme les phénomènes
de périurbanisation qui se poursuivaient jusque-là. Les campagnes
deviennent fournisseurs d'énergie, de biens alimentaires et de services
pour les métropoles.
• Les campagnes dans les mailles des
réseaux de villes. Ce scénario imagine que les territoires se
structurent autour de réseaux de ville qui s'imbriquent aux espaces
ruraux, avec des territoires qui favorisent la qualité de vie. Un
équilibre économique coexiste entre des activités
productives, dont les activités agricoles, et des dynamiques
résidentielles.
Quels changements sont survenus depuis la définition de ces quatre scénarios en 2008 ?
A propos du premier scénario, et d'après les données de l'INSEE, nous constatons un agrandissement des aires urbaines. Nous assistons à l'apparition de ruralités métropolitaines avec la structuration à échelle très large de véritables régions métropolitaines. De nombreuses questions surgissent face à ce phénomène et posent un problème en termes de mobilité, de gestion des écosystèmes, de fragmentation des espaces et de maintien de l'activité agricole. Mais ce type de territoire est plébiscité par les résidents.
Concernant le deuxième scénario, les mobilités dans ces campagnes patrimonialisées se maintiennent, voire s'accroissent. Elles sont liées à des mobilités touristiques nationales et internationales.
Je ne constate pas d'évolution spécifique concernant le scénario 3. Les questions de l'alimentation et de l'énergie qui sont centrales dans ce scénario se généralisent à l'ensemble des scénarios.
Enfin, j'observe que la croissance des communes rurales se poursuit de manière soutenue. En parallèle, les villes moyennes connaissent des difficultés. Ce dernier scénario est également affecté par une baisse de l'activité industrielle dans les territoires ruraux. Quelle va être la robustesse des réseaux de villes dans le contexte actuel de crise ? Quelle sera la capacité de ces réseaux à fournir un accès aux services et à l'emploi ? Comment ces réseaux de villes et ces territoires vont réussir à se doter de lieux de structuration et de planification, d'ingénierie territoriale et de lieux de conservation qui permettent aux différents acteurs du territoire d'entrer dans un véritable projet ?
Mme Edith Heurgon . - Ces éléments relatifs aux évolutions constatées depuis 2008 pourront être débattus via d'autres analyses que celles de l'INSEE, notamment grâce à des observations sur le terrain.
Je passe la parole à Stéphane Cordobès, qui va évoquer les travaux de Territoires 2040.
M. Stéphane Cordobes . - Territoires 2040 a regroupé sept, voire huit groupes de travail. Nous avons interrogé le territoire national en l'analysant au travers des fonctions que certains types d'espaces remplissent.
Nous sommes partis du constat que la multiplication et l'intensification des échanges sur les territoires rendaient la réflexion par type de territoire très difficile. Nous avons senti la nécessité d'inventer de nouvelles catégories qui permettent de penser de manière prospective des espaces qui associent ces différents territoires. Par exemple, je fais référence au travail de Michel Lussault pour lequel il ne s'agit pas simplement de penser à l'avenir des grandes agglomérations, mais bien à l'avenir de ces grandes agglomérations en interaction avec l'ensemble des territoires qui constituent leur hinterland . C'est bien à travers cette interaction et les dynamiques qui se nouent que l'on peut comprendre l'évolution du système territorial. Tous ces travaux sont disponibles sur le site de la DATAR, Territoires 2040. Je ne vais pas revenir sur ce sujet.
Je souhaite davantage attirer votre attention sur les questions que ces travaux nous posent. Elles n'émanent pas en effet d'une vision de la DATAR, mais de la recension et de la pensée d'experts réunis dans un collectif de plus de cinq cents personnes, lesquelles ont produit des interpellations prospectives et stratégiques. Ce groupe s'est penché de très près sur l'évolution des campagnes françaises et s'est intéressé aux espaces de faible densité. Présidé par Laurence Barthe, il a bâti des scénarios. Je ne vais pas les décrire en détail car toute démarche prospective mène à la définition de scénarios. Nous retrouvons des sujets communs avec les scénarios évoqués par Olivier Mora, tels que la faible densité absorbée par exemple. La campagne se densifie autour des villes.
Les systèmes entreprenants sont ces territoires ruraux qui, à travers de nouvelles pratiques, sont producteurs d'innovation et d'hybridation. Ils inventent de nouvelles façons de vivre qui peut-être renouvellent les territoires ruraux, et sans doute nos urbanités. C'est un point important. Je pense aussi aux archipels communautaires, avec une logique ségrégative : les personnes choisissent de vivre ensemble dans une logique d'exclusion à travers la recherche d'entre soi. Je pense également aux plates-formes productives, à savoir ces espaces ruraux qui se spécialisent dans la production agroalimentaire et qui constituent un support technique aux espaces urbains qui croissent et grandissent.
Ce sont des situations territoriales possibles, plus que des scénarios. Nous les détectons déjà sur certains territoires.
A travers ces situations territoriales, nous souhaitons interroger les enjeux qu'elles posent aux politiques d'aménagement du territoire et aux politiques plus globalement. Je précise au préalable que la démographie et son retournement, qui a eu lieu dans les années 1990-2000, nous interrogent beaucoup sur l'évolution des campagnes. Nous avons constaté une croissance de quasiment tous les espaces ruraux en termes de population. Cela nous permet de parler de la fin de l'exode rural.
Nous pouvons toutefois nous demander si cet exode rural est véritablement terminé. Les populations les plus jeunes cessent-elles de quitter les campagnes ? L'installation de retraités et de professionnels à la campagne prouve-t-elle la fin de cet exode ?
En second lieu, je rappelle que l'on parle souvent en pourcentage, en citant le chiffre de + 0,5 %, à propos de la croissance de la population rurale, comme Olivier Mora l'a rappelé.
Néanmoins, nous ne sommes pas tout à fait sur le même ordre de grandeur. En effet, 0,5 % de 60 % de la population, si j'exclus le périurbain, est un chiffre différent de 0,7 % de 40 % de la population (30 % de périurbain et 10 % d'espaces ruraux). La croissance de la population française aujourd'hui est avant tout urbaine et dans les grandes agglomérations. Elle ne se situe pas dans les espaces ruraux. Il est important de rappeler ce point.
Le premier enjeu que nous proposons à la réflexion est le suivant : nous partons du constat que l'on ne peut plus penser l'évolution des espaces ruraux indépendamment les uns des autres et indépendamment des grandes métropoles. Le territoire français se structure en effet de plus en plus en vastes espaces métropolitains urbanisés qui intègrent ces espaces de campagne. Ils s'inscrivent dans des trajectoires et destinées communes. Comprendre aujourd'hui l'évolution des espaces ruraux ou des campagnes, c'est nécessairement la comprendre en fonction de l'évolution de ces grands espaces métropolisés. Une question centrale se pose par ailleurs, concernant la mise en capacité de ces territoires nouveaux. En effet, nous raisonnons en termes de vastes systèmes territoriaux, régionaux ou interrégionaux, dont le fonctionnement repose non pas seulement sur le succès et le développement de chaque territoire, mais sur la cohérence et la complémentarité de tous ces territoires entre eux.
Cette question peut d'ailleurs être précisée : comment mettre en capacité ces territoires nouveaux, non pas simplement pour qu'ils connaissent une dynamique endogène qui leur soit propre, mais aussi pour qu'ils s'inscrivent dans une dynamique de systèmes beaucoup plus globaux ?
Nous n'imaginons pas, par ailleurs, ces différents scénarios diversifiés de manière exclusive les uns des autres. Dans Territoires 2040, les scénarios évoqués peuvent se produire en différents lieux du territoire de manière assez limpide. Dès lors, les espaces de faible densité peuvent entrer dans des logiques de développement très différentes les unes des autres.
Jusqu'à aujourd'hui, nous avons pensé le développement des territoires de manière assez homogène. Est-ce que cette pensée adoptée dans les années 80 est encore pertinente aujourd'hui compte tenu de l'extrême hétérogénéité des territoires ? Le modèle de développement territorial qui reposait à la fois sur l'accueil de population et d'entreprises est-il un modèle qui peut encore être promu pour l'ensemble des territoires français ? Sur les territoires les plus éloignés par exemple, ce modèle est-il valable sachant que d'après les données de l'INSEE, ces territoires perdront une partie de leur population ? L'ouvrage de Laurent Davezies pose la question de la pérennité de ce modèle et de l'équilibre des territoires.
Le troisième défi est le suivant : ces dernières années, l'aménagement du territoire s'est opéré tant par les pratiques des usagers que par les politiques d'aménagement du territoire. La périurbanisation n'est pas nécessairement liée à des dispositifs d'aménagement mais plutôt à un défaut de régulation à travers les politiques dédiées. A travers leurs pratiques, les usagers se sont installés en zones rurales et travaillent en zones urbaines. Demain, l'avenir des politiques d'aménagement ne passera-t-il pas par la prise en compte à la fois des usagers et des usages ? Cela permettrait de renforcer l'égalité entre les citoyens.
Mme Edith Heurgon . - Lors d'un colloque sur l'aménagement du territoire en 2006, nous avions rappelé que ce sont les ménages qui aménagent le territoire.
M. Olivier Paul-Dubois-Taine . - Je vais vous présenter un rapport du Centre d'analyse stratégique, relatif aux nouvelles mobilités dans les territoires périurbains et ruraux. Le point de départ est une idée issue du Grenelle de l'environnement et de ses analyses sur le développement des déplacements et des mobilités rurales. Ce développement était analysé essentiellement dans la problématique des grandes agglomérations avec le slogan toujours d'actualité selon lequel le développement des transports collectifs offrirait une réponse satisfaisante d'un point de vue à la fois économique, social et écologique aux besoins de mobilité. Ce faisant, les réflexions du Grenelle ont ignoré la moitié, voire davantage, de la population française.
Nous nous sommes demandé comment explorer ce terrain laissé de côté : comment nos concitoyens vivent-ils au quotidien et comment se déplacent-ils dans les territoires qui ne disposent ni de possibilité de marche à pied en raison de la faible densité, ni des transports collectifs ?
Je vais avancer trois idées :
• Les besoins de mobilité des personnes
sont devenus les mêmes dans tous les territoires. Nous avons un mode de
vie urbain, que nous habitions en ville ou à la campagne. Ceci est
corroboré par l'enquête nationale Transports et
déplacements de 2008 menée par le ministère des transports
avec l'INSEE. Je vous en recommande la lecture. Limiter la mobilité
revient à restreindre la liberté fondamentale qu'est la
mobilité.
• Un fossé se creuse entre les grandes
métropoles denses et les territoires à faible densité,
c'est-à-dire entre les conditions de mobilité qui existent entre
ces deux types d'espaces. Dans les zones urbaines denses, il est évident
que les déplacements se font plus facilement : par exemple, 30 %
à 35 % des déplacements se font à pied dans la population
vivant au coeur des métropoles de forte densité et plus de
45 % dans Paris intra-muros. Les politiques de développement
conduites depuis quarante ans ont offert un réseau de transports
collectifs qui permet à plus de 50 % des déplacements de se
faire sans voiture. Les habitants de zones à faible densité sont
eux captifs de l'usage de la voiture. La dépendance à
l'automobile nous amène à poser des questions avant tout sociales
et non pas environnementales.
• Il s'agit désormais de repenser
l'organisation et le système des mobilités.
J'aimerais terminer par trois bonnes nouvelles. Economiquement, nous disposons de très nombreux moyens, notamment si nous observons le parc automobile actuel par exemple. Ce potentiel est sous-utilisé. Il existe, par ailleurs, une capacité d'auto-développement des campagnes du fait des solidarités. Enfin, les possibilités fournies par les services numériques ouvrent le champ des possibles.
M. Jean-Yves Pineau . - Je suis directeur du Collectif Ville Campagne, association nationale basée à Limoges et créée en 1995. Je suis au contact quotidien de locaux, d'élus et de techniciens qui veulent vivre en ruralité.
Mes propos sont issus de travaux de réflexion et de réunions d'acteurs autour de ces questions d'attractivité et de politiques d'accueil.
Ces questions sont d'abord d'ordre politique et de société. En référence à Laurent Davezies, je dirais qu'il est important de renouer les destins des territoires de la République si nous souhaitons être encore capables dans quelques années de parler de République. Il s'agit là d'un sujet urgent. Je m'adresse aux sénateurs.
J'aimerais prendre par ailleurs le contre-pied de ce qui s'est dit cet après-midi. J'ai entendu que le fait urbain a gagné. Selon moi, c'est le fait rural qui a véritablement gagné. Les urbanistes les plus en pointe ont inventé le concept de ville nature. Lorsque la ville s'est créée, elle s'est protégée de la nature qui était considérée comme hostile. L'association des maires de France nous rappelle que 100 % des Français vivent sous influence rurale, que ce soit en termes d'alimentation, d'aménagement de l'espace ou de cadre paysager.
Je cite ici « trois bonnes raisons de désespérer » :
• Le développement local est mort. Qui
met au coeur de son activité le développement local ?
• Il est certes nécessaire de
décentraliser mais il serait dommage de devoir par la suite
recentraliser à des niveaux régionaux. Par ailleurs, qu'en est-il
de la représentation politique et citoyenne dans de futures
collectivités territoriales qui risquent demain de poser des questions
de compétence, d'organisation et d'impulsion des dynamiques entre
métropoles, départements, régions et EPCI ?
• Si nous continuons de raisonner via un
modèle bientôt épuisé, fondé sur une
énergie peu coûteuse, sur l'exploitation des ressources naturelles
et la concentration des moyens, je ne conçois pas de quelle
manière nous pouvons élaborer des politiques. Il me semble
nécessaire de changer de paradigme et de mode de lecture.
Pour résumer, je dirais qu'il existe trois chantiers :
• Comment mettre en oeuvre des politiques qui
visent à construire des écosystèmes territoriaux ouverts
et reliés ?
• Comment accompagner la transition
écologique des territoires, notamment énergétique ?
• Il me semble urgent et crucial de mettre en
oeuvre la question de la circulation de l'innovation sur les territoires
auprès des citoyens. Une montée en compétence et en
connaissance est nécessaire pour réfléchir sur les causes
de cette crise et trouver des issues de sortie.
Les Français nous disent qu'aujourd'hui les territoires qualifient la ville. Or, le débat porte actuellement davantage sur la ville qualifiant les territoires, même si les citoyens apportent la preuve contraire chaque jour. Par ailleurs, nous nous situons dans une mise en tension très forte des territoires de vie avec les territoires administrés. Il me semble nécessaire de dépasser les territoires car ces derniers sont dépassés par les acteurs économiques et les citoyens. Où se situent donc les cadres de coopération interterritoriaux ? Ces cadres restent à construire.
D. DÉBAT
Mme Edith Heurgon . - Je vous invite à lancer le débat et passe tout d'abord la parole à Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux , rapporteure . - Monsieur Pineau, je tiens à préciser que j'apprécie les idées à contre-courant et vous remercie pour votre intervention. Je relève une question posée par Stéphane Cordobès : est-il bien nécessaire de poursuivre la mise en place de politique d'attractivité territoriale ? Je répondrai que si nous interrompons cette politique, nous signons la mort des territoires. Il faut donc poursuivre cette politique pour maintenir en vie les territoires. Il existe de très nombreuses ressources au sein de ces territoires, qui sont choisis par les résidents attirés pour le cadre de vie et la nature qui y règne. Néanmoins, si personne n'entretient ce poumon du pays, il est condamné à devenir un désert. Nous n'avons pas le choix. Nous devons nous concentrer sur cette politique d'aménagement du territoire qui n'existe plus depuis de nombreuses années. Nous devons travailler sur l'avenir des campagnes, mais aussi sur l'agriculture qui est une économie productive. Il s'agit d'une industrie : nous oublions trop souvent qu'elle apporte un élément positif à la balance commerciale française. Il ne faut pas oublier que les territoires ruraux ne sont pas le vide. Une grande partie des activités industrielles se développent précisément dans les territoires ruraux et non pas seulement dans les métropoles. Au travers de la solidarité nationale, nous devons leur apporter les moyens de vivre et l'équivalent de ce qui se trouve dans les zones urbaines.
M. Gérard Bailly, rapporteur . - J'aimerais évoquer la question de la solidarité sur les territoires. N'a-t-on pas trop délaissé nos PME sur les territoires ruraux dont les salariés vivaient encore dans les campagnes et faisaient vivre les commerces locaux ? Aujourd'hui, ils contribuent au phénomène de désertification en rejoignant les bourgs.
De la salle . - Je suis citoyen français, arrivé en France dans les années 80, médecin chef, expert à la Cour d'appel et journaliste. J'aimerais vous donner un exemple de solution intéressante mise en oeuvre lorsque j'étais médecin chef dans la fonction publique, à savoir l'accueil familial thérapeutique et social. Ce projet peut servir dans toute la France. Le contexte social permet des solutions mais il faut un regard de terrain extérieur, et non pas seulement franco-français.
De la salle . - Je représente le ministère de l'écologie et je viens de Haute-Marne. Je ne me suis pas reconnu dans le chiffre évoqué de 0,7 % de croissance de la population rurale. J'observe, pour ma part, certains petits villages très isolés, pour lesquels les collectivités locales n'ont plus de moyens, par exemple, pour déneiger les routes. Selon moi, dans ces espaces, les mobilités ont décru, car même si le parc automobile est élevé, les conducteurs prennent de l'âge. Est-il nécessaire de continuer à décentraliser ?
M. Olivier Piron, vice-président de l'association HQE (Haute qualité environnementale des bâtiments) . - Les villes n'ont pas été évoquées. Il convient pourtant de noter à leur sujet :
• l'impossible évolution du patrimoine
des villes ;
• les équations économiques de
plus en plus insolubles avec la bulle immobilière (qui va se calmer) et
avec le coût des travaux (j'ai mené une prospective sur le Grand
Paris ; à moins de cinq milliards d'euros, il est impossible de trouver
un espace qui puisse servir aux transports en commun) ;
• les différences de coût de
construction entre la ville et la campagne, qui sont très importantes ;
je note ainsi le chiffre de 1 000 euros TTC du m² pour une maison
individuelle à la campagne comparé à 1 600 ou 1 700 euros
TTC par m² minimum en ville.
J'ajoute que Paris est passé de 3,2 millions d'habitants à 2,2 millions d'habitants parce que de nombreux îlots ont été démolis pour des raisons de santé publique. Cette tendance va, semble-t-il, se poursuivre pour des raisons cette fois énergétiques. La question de prospective que je pose est la suivante : que serait un urbanisme à énergie positive ? Serait-ce un urbanisme à forte densité ou au contraire un urbanisme de faible densité ?
M. Joël Bourdin , président . - J'aimerais évoquer le numérique, cité par plusieurs d'entre nous. Est-ce positif ou négatif ? Nous n'en savons rien. Il faut avant tout avoir accès au numérique. Notre rôle d'élu consiste précisément à favoriser l'accès de tous au numérique, même dans les zones où la rentabilité n'est pas au rendez-vous pour les fournisseurs d'accès. J'observe des éléments positifs. Il existe en effet des activités créées dans des zones reculées grâce au numérique, c'est le cas par exemple d'un habitant de ma commune qui achète et revend sur Internet des livres de seconde main. J'ai découvert récemment son activité en achetant un de ses ouvrages.
J'ai interrogé Jean-Paul Bailly, PDG de La Poste, au sujet du numérique. Il confirme que le e-commerce pénètre de plus en plus dans les campagnes. Mais il faut également remarquer que le e-commerce a des conséquences néfastes sur le commerce local. Lorsque nos concitoyens achètent leurs biens en ligne ou via un drive , ils participent à la destruction du commerce local. Que doit-on attendre de ces phénomènes ?
M. Armand Fremont . - J'aimerais tout d'abord parler de la voltige des mots. Avant même d'entrer en séance, nous avons commencé à parler de « ruralités », de « périurbain », « d'espaces à faible densité », de « campagne ». Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Je ne vais pas apporter de réponse à cette question ce soir. Mais je remarque que ce sont des mots qui ont virevolté tout au long de nos discussions. J'aime le mot « campagne », que vous avez choisi dans le titre de cet atelier. Ce mot est très intéressant. Il n'a pas simplement un contenu fonctionnel, de circonscription ou de division administrative. Il a du sens. Remarquez en effet que vous ne direz jamais que vous habitez dans un espace périphérique ou rural. Vous direz davantage et avec plaisir que vous habitez à la campagne.
J'aimerais rappeler en second lieu qu'il est nécessaire de parler des campagnes et non pas de la campagne. Du point de vue de son espace, la campagne est l'objet d'une compétition permanente entre différents types d'espace, qui peuvent être considérés comme complémentaires si nous restons optimistes. Si nous y regardons de plus près, ces espaces sont antagonistes. Il existe des campagnes où l'espace consacré à l'agriculture est majoritaire. Il existe d'autres espaces, résidentiels, de production, voire d'infrastructures en provenance des besoins locaux et de la ville. Par ailleurs encore, il existe des espaces sous protection auxquels nous prêtons la plus grande attention, qui ne sont ni résidentiels ni agricoles. Une clé pour le présent et pour l'avenir est de trouver un équilibre entre ces différents espaces.
L'ouvrage de Laurent Davezies rappelle que nous nous trouvons face à une crise de grande ampleur. Quel est donc l'impact de cette crise sur les campagnes françaises ? La première réaction de Laurent Davezies consiste à dire que la crise va accentuer les difficultés dans les campagnes car celles-ci bénéficient de mobilités résidentielles et de transferts sociaux qui ne pourront sans doute plus être maintenus au même niveau. Par conséquent, nous nous trouvons devant une nouvelle crise qui atteindrait cette fois la plus grande partie du territoire français. Il me semble très difficile de répondre à cette question. La réponse de Laurent Davezies consiste à dire que des correctifs doivent être apportés. Mais pour être pleinement convaincant, il me semble nécessaire qu'il publie un nouvel ouvrage. Quelle est l'ampleur et la durée de cette crise ? S'il s'agit d'une crise qui va transformer en profondeur la société, la réflexion sur les campagnes prendrait une acuité sans doute encore plus forte.
Un troisième point n'a pas été évoqué : il me semble que la qualité et l'avenir des campagnes passent par la vitalité des petites villes qui les innervent. La Normandie est maillée par un réseau assez dense de petites villes, notamment le département de la Manche, constitué de petites villes avec une métropole, Caen, relativement éloignée. La petite ville détient une qualité endogène. C'est elle qui permet le mieux d'organiser les principaux services nécessaires à une économie résidentielle. Le petit bourg rural est sympathique mais dépassé. Par ailleurs, c'est la petite ville qui assure le meilleur des liens avec l'économie globale et peut développer des activités de production ayant des conséquences sur tous les territoires voisins. En conclusion, sauvez les campagnes par les petites villes !
M. Gérard Bailly, rapporteur . - Dans votre intervention, vous avez évoqué la solidarité financière avec les campagnes. J'aimerais savoir s'il existe des études montrant que la campagne est particulièrement coûteuse pour la Nation.
Par ailleurs, je ne partage pas votre avis : les petits bourgs me semblent très importants.
Mme Renée Nicoux , rapporteure . - Pour répondre à cette remarque, je me réfère aux propos de Laurent Davezies puisque c'est de lui qu'elle provient. Je prends l'exemple des personnes qui prennent leur retraite dans les campagnes et qui bénéficient donc d'un salaire différé reposant sur les transferts sociaux. Il n'est pas question de bénéfices pour les campagnes. Il s'agit précisément de salaires différés. Nous pourrions par ailleurs considérer que les zones urbaines bénéficient de l'investissement dont ont bénéficié les jeunes dans leurs territoires et qui quittent les campagnes pour travailler dans les entreprises de la ville. Je ne partage donc pas cette remarque car il s'agit là de solidarités entre les territoires. J'ajoute que la ville peut même être considérée comme un prédateur, qu'il s'agisse de la main-d'oeuvre ou même de biens matériels. Prenons l'exemple de la forêt : nous avions essayé de créer de l'activité dans des zones rurales à partir d'un bien local. Finalement, des appels à projets ont été lancés par rapport à l'utilisation de la biomasse. Or, ces projets se sont installés à proximité des grandes villes pour des raisons de rentabilité, au détriment des campagnes, productrices de la matière première. De ce point de vue, les transferts ont eu lieu dans l'autre sens. C'est pourquoi je ne partage pas ce qui a été écrit par Laurent Davezies concernant les transferts sociaux. Il est vrai, en revanche, que les campagnes, par rapport à l'économie résidentielle, bénéficient de ce retour.
Il a été dit qu'à cause de la crise, surviendraient des déperditions de transferts sociaux. Or nous constatons que dans les pays en crise, tels que la Grèce, l'Espagne et l'Italie, ce sont en fait les campagnes qui retrouvent de la vitalité car les moyens d'existence sont moins coûteux dans les zones rurales. Les équilibres varient en temps de crise et n'affectent pas de manière négative les campagnes.
M. Stéphane Cordobes . - Il n'y a pas véritablement de réponse à la question portant sur la différence de coût entre ville et campagne. La vraie question porte davantage sur la recherche d'un nouvel équilibre.
M. Georges Labazée . - Dans quelques jours, le canton va disparaître. Ce changement va considérablement modifier le regard que nous portons sur l'organisation administrative et territoriale. Les relations sociales, économiques et humaines vont s'en trouver totalement bouleversées.
M. Jean-Yves Pineau . - Nous menons actuellement une expérimentation en Basse-Normandie, dans le pays de Coutances avec le soutien de la DATAR et de la Région, sur l'articulation entre petites villes et campagne et entre littoral et rétro-littoral. Tout le monde insiste sur l'importance des enjeux. Nous souhaitons donc proposer aux élus volontaristes de les accompagner pour trouver des éléments concrets de coopération et d'élaboration de liens très forts entre petites villes et campagnes ainsi qu'entre littoral et rétro-littoral.
En second lieu, j'aimerais dire que concernant la crise, si nous refusons de considérer que les territoires ruraux sont une chance pour les métropoles, la France marchera de manière bancale. Nous travaillons avec des Grecs et des Espagnols qui, compte tenu de la crise, ont été amenés à réinventer le développement local.
Mme Nadège Chambon, chercheur à l'Institut Jacques Delors . - L'avenir de nos campagnes ne passe-t-il pas par un changement de la manière de penser le développement par les décideurs politiques ? En France, nous avons une culture du développement local. Ce n'est pas le cas au niveau européen. Or la Grèce et l'Espagne auraient bien besoin d'une réflexion sur ce sujet, pour contrebalancer les effets de la politique d'austérité. L'avenir de nos campagnes ne passe-t-il pas par un changement de mode de pensée et de paradigme de la part de nos décideurs de très haut niveau ?
M. Peio Olhagaray, directeur du développement économique de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Bayonne-Pays-Basque . - Je travaille pour la CCI de Bayonne et représente cet après-midi les CCI françaises. Un sujet me semble essentiel : je crois qu'il faut mettre en place des transactions territoriales entre la campagne et la ville. J'ai suggéré à la Commission de créer des contrats de transactions territoriales dans le droit d'accès, d'usage et d'exploitation des actifs immatériels et stratégiques non délocalisables présents dans les campagnes. Je pense à l'eau, à la forêt et à l'activité touristique qui en zone de campagne, est un vrai actif économique majeur mais non délocalisable.
E. CONCLUSION
Mme Edith Heurgon . - J'aimerais que chacun de nos invités nous fasse part d'une conclusion ou d'une proposition en vue de la rédaction du rapport sur le sujet d'aujourd'hui.
M. Stéphane Cordobes . - Le bon côté de l'urbanisation quasi-généralisée en France réside dans le fait que les campagnes sont au centre, et non dans les périphéries. Le fait de se situer au centre de l'urbain invite sans doute à repenser les modes de partenariat entre la campagne et l'urbain et les nouveaux modes d'urbanité en cours d'invention dans les campagnes.
M. Armand Fremont . - Je reviens sur ce qui a été écrit par Laurent Davezies. Lisez son ouvrage, il mérite réflexion.
M. Olivier Paul-Dubois-Taine . - J'ai une suggestion à faire : il me semble qu'il est possible, grâce à l'apport d'aides publiques légères, de favoriser l'innovation dans les campagnes. Il y a en effet moins de contraintes que dans les villes. Le principal frein à l'innovation dans les grandes villes est la complexité de la gouvernance. Nous devons thésauriser et valoriser ce potentiel.
M. Olivier Mora . - Des collectivités territoriales mettent en place des structures de concertation.
Il faut revisiter aujourd'hui cette question : ces forums territoriaux devraient également être engagés dans des actions extra-sectorielles et être constitués de lieux de création d'une véritable innovation territoriale qui permettrait de traiter des questions d'énergie et d'alimentation. Ces sujets font actuellement l'objet de politiques macroéconomiques mais posent parfois des problèmes au niveau des territoires.
M. Jean-Yves Pineau . - Voici quelques mots de Vincent Piveteau, Olivier Dulucq et Franck Chaigneau : « créativité, innovation, expérimentation sont à l'ordre du jour. Une volonté forte de se saisir de manière responsable de l'exploration d'un avenir en commun souhaitable et durable. Il faut des liens, des ponts, du dialogue entre les territoires, de la confiance entre acteurs et décideurs à tous les étages. Il reste à écrire le récit commun entre villes et campagnes. Que le rural soit co-auteur de la métropole, que la métropole soit co-auteur du rural. Réinventer la République et ses territoires dans un sens commun, dans un sens du commun. Il faut donner un cadre juridique au couple encore illégitime de l'urbain/rural. Vers un PACS territorial ? »
Mme Edith Heurgon . - J'ai souvent employé deux mots : le yin et le yang de la campagne. Il ne faut pas les séparer. Innovation oui, mais innovation coopérative. Comment arrêter de travailler chacun de son côté dans son domaine et son territoire ? Il faut trouver le moyen de faire coopérer des dispositifs. Que partageons-nous, entre ville et campagnes ? Nous partageons de nombreuses choses et beaucoup veulent profiter à la fois de la ville et de la campagne.
Mme Renée Nicoux , rapporteure . - Je voudrais remercier l'ensemble des contributions de ce jour, menées en vue de l'amélioration de la vie dans les campagnes. De nombreuses innovations se mettent en place dans les campagnes. Mais nous nous trouvons fréquemment confrontés au problème du manque d'ingénierie. Nous n'avons pas les moyens de la financer. Sans ingénierie, l'innovation n'est pas possible. Péréquation et solidarité sont essentielles pour faire aboutir ces projets. Ces derniers permettraient une vie commune plus adaptée. L'interaction entre les villes et les campagnes doit se construire. Elle nous permettrait de passer moins de temps à défendre le peu qui existe sur les territoires qu'à travailler pour l'avenir.
M. Joël Bourdin , président . - Merci à Edith Heurgon, à tous les experts présents aujourd'hui et à nos rapporteurs.
ANNEXES
I. PRINCIPALES AUDITIONS
A. AUDITION DE LA DÉLÉGATION : DATAR
Mercredi 7 mars 2012 - Présidence de M. Joël Bourdin, président
M. Joël Bourdin, président . - Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir des responsables de la DATAR, la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale.
Pourquoi la DATAR ? Notre délégation a confié à nos collègues Renée Nicoux, Gérard Bailly et Ronan Kerdraon une réflexion sur l'avenir des campagnes. Ils organisent donc, à leur convenance, un certain nombre d'auditions.
Celle de la DATAR était incontournable, et par son champ de compétence, et par la qualité de ses études. J'ai donc souhaité réunir la Délégation à la prospective, afin que chacun de ses membres puisse profiter de la présentation de ce jour.
Cette réunion est également justifiée par le suivi de nos travaux. En effet, je rappelle que nous avons entendu la DATAR il y a deux ans, en la personne de Pierre Dartout, alors Délégué à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, à propos d'un nouvel exercice, intitulé « Territoires 2040 », qui succédait à des cycles prospectifs antérieurs.
Maintenant, Stéphane Cordobes ici présent, conseiller en charge de la Prospective, va présenter le fruit de cet exercice « Territoires 2040 », pour ce qui concerne les « espaces de la faible densité », autrement dit, les campagnes.
Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la « dynamique des territoires » devrait, pour sa part, nous présenter « en exclusivité » une nouvelle typologie des espaces ruraux.
Madame, Monsieur, la parole est à vous.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Je précise que le programme « Territoires 2040 » comprend, outre une dimension prospective, certains travaux destinés à renouveler le regard sur les territoires. Pour ce qui concerne notre intervention, nous vous présenterons d'abord les grandes tendances qui caractérisent les territoires : la démographie, l'urbanisation et les liens interterritoriaux. Puis nous vous dévoilerons le résultat d'un travail, prochainement publié, destiné à établir une nouvelle typologie des espaces ruraux. Enfin, nous vous présenterons les conclusions de l'exercice « Territoires 2040 » pour ce qui concerne les campagnes.
Sur le plan démographique, nous assistons à un déplacement majeur du fait de la forte augmentation attendue de la population en Afrique et en Asie à l'horizon 2040. Certes, on anticipe un tassement en Chine, en raison de la politique de l'enfant unique, mais il contrastera avec l'expansion de la population attendue en Inde. L'Europe se caractérise, en revanche, par une faible croissance, à l'exception notable de la France. Une autre évolution prévisible, en matière de démographie, est le vieillissement de la population. Si l'on s'en tient à la France, le poids des personnes âgées de 65 ans et plus devrait, entre 2010 et 2030, augmenter fortement dans le quart Nord-Est du territoire et amorcer une hausse notable dans le littoral ouest et la vallée rhodanienne, un moindre vieillissement étant attendu dans l'Ouest et les Pyrénées. Concernant l'évolution globale de la population en France, on attend, entre 2007 et 2040, une progression marquée dans toutes les zones littorales ainsi que dans le grand Sud-Ouest. En revanche, un très faible dynamisme devrait s'observer au Nord et à l'Est.
J'aborde maintenant les phénomènes d'urbanisation et de métropolisation. La logique d'étalement urbain grignote les espaces ruraux depuis les années soixante. Je précise que l'urbain se définit par la continuité du bâti, le périurbain étant défini, au niveau de la commune, par la proportion du nombre de résidents actifs qui travaillent en zone urbaine. A partir de 40 %, la commune est réputée appartenir à une zone « périurbaine » - il s'agit, ainsi, d'une définition fonctionnelle. L'espace rural correspond, précisément, aux espaces qui ne sont ni urbains, ni périurbains.
M. Joël Bourdin, président . - Sur la carte que vous nous montrez, peut-on voir évoluer, dans le temps, les zones qui correspondent aux grandes aires urbaines ?
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Cela serait difficile, en raison de l'évolution des définitions.
Mme Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la « dynamique des territoires » à la DATAR . - On peut cependant comparer cette carte avec celle de 1999, pour laquelle les définitions étaient encore proches. On mesure alors facilement l'étalement autour des pôles urbains, étalement qui est particulièrement marqué à l'ouest de Paris.
M. Gérard Bailly, sénateur . - Vos précédents exercices prospectifs ont-ils été confirmés par les faits ?
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la Prospective à la DATAR . - Les évolutions constatées, en termes de périurbanisation, correspondent assez bien aux prévisions que la DATAR avait pu formuler, notamment en portant son regard sur l'expérience américaine, les Etats-Unis ayant préfiguré un certain nombre d'évolutions nationales.
M. Ronan Kerdraon, sénateur . - La géographie que vous nous présentez paraît, en effet, s'inscrire dans le prolongement de vos travaux précédents. Par ailleurs, je relève, non sans craintes, que vous définissez l'espace rural par défaut : le rôle de l'espace rural pourrait bien connaître la même logique...
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Le « scénario de l'inacceptable » imaginait une France coupée en deux avec un espace de très fort développement et un espace de non-développement. On peut considérer que ce scénario a été évité, car l'Ouest s'est développé tandis que l'Est et le Nord sont loin d'être devenus les pôles de développement qu'on anticipait alors. Concernant la définition de l'espace rural, il est exact qu'il s'agit d'un espace d'ajustement.
M. Jean-Pierre Chevènement, sénateur . - Le choix de la mondialisation libérale a périmé le schéma des « trente glorieuses », si bien que le Nord-Est est maintenant sur le flanc...
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - L'urbanisation connait une progression galopante dans le monde. D'ores et déjà, en France, 95 % de la population est urbaine ou « sous influence urbaine », que ce soit par le mode de vie ou le travail.
Mme Renée Nicoux, sénateur . - Ces chiffres ne doivent pas dissimuler le fait qu'on observe un regain de la population rurale ou périurbaine.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Le mouvement dont vous parlez s'observe depuis les années quatre-vingt-dix. La question est de savoir si ces populations, qui attendent les mêmes services que les urbains, sont véritablement rurales. Ce qui définit traditionnellement le rural, c'est l'agricole. Dès lors, si l'on raisonne en termes de prépondérance économique, il n'y a plus de départements ruraux en France. Par ailleurs, je signale que le développement du très haut débit a un impact ambivalent sur la mobilité.
M. Pierre Bernard-Reymond, sénateur . - Je me demande, à ce propos, comment faire venir des touristes à cheval sur une fibre optique...
M. Ronan Kerdraon, sénateur . - J'en arrive à me demander, pour ma part, si l'espace rural ne se définit pas par le manque de services de proximité... Par ailleurs, je pense qu'un simple critère de densité de population pourrait être mobilisé pour définir les espaces ruraux.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Il existe nécessairement une corrélation entre proximité des services et densité de la population.
M. Jean-Pierre Chevènement, sénateur . - La RGPP (révision générale des politiques publiques) a privé les départements de l'essentiel des services déconcentrés, si bien que les administrations s'éloignent des acteurs locaux.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - La métropolisation entraîne certaines économies d'échelle. J'en viens aux flux et liens interterritoriaux. Nous les avons examinés suivant deux angles : les déplacements domicile-travail, et les autres types de liens : de types universitaires, tenant à l'organisation de la recherche, etc.
M. Ronan Kerdraon, sénateur . - Les cartes que vous nous présentez sont symptomatiques de toute une politique, et de certains échecs. Si les métropoles d'équilibre ont émergé, on n'en retrouve pas moins la fameuse « diagonale du vide », du Nord-Est au Sud-Ouest de la France, pour laquelle rien n'a véritablement changé.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Il existe, cependant, une grosse différence par rapport aux années 70. Les échanges entre les différents territoires n'ont jamais été aussi importants et ils se produisent à des échelles qu'on n'imaginait pas dans les années soixante. On ne peut plus penser, aujourd'hui, les métropoles sans cette articulation avec leur environnement. Ainsi, certaines grandes villes de l'Ouest présentent un vrai « plus », celui des espaces ruraux qui les environnent, non pas dans une optique de captation de richesses, mais dans celle d'aménités offertes à ses habitants. Pour ce qui est des relations entre métropoles, seuls Paris et Lyon entretiennent des relations avec l'ensemble des autres.
Mme Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la « dynamique des territoires » à la DATAR . - Je vais, à présent, vous présenter une nouvelle typologie des campagnes françaises. En effet, le besoin se faisait ressentir d'actualiser la typologie des trois Frances rurales qu'avait réalisé la Société d'études géographiques économiques et sociologiques appliquées (SEGESA) en 2003. Dans cette perspective, la DATAR a confié en 2011 une étude à un consortium de laboratoires de recherche : le Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux (CESAER) de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Centre national du machinisme agricole, du génie rural et des eaux et des forêts (CEMAGREF) et l'université de Franche-Comté. En excluant les unités urbaines comprenant plus de 10 000 emplois, ce travail porte sur 33 855 communes, soit 92 % des communes de France métropolitaine, regroupant 26,7 millions d'habitants. L'approche s'est faite par trois entrées thématiques.
Première entrée : le paysage. Onze types en ont été identifiés. Sans entrer dans une description exhaustive, on distingue d'abord les territoires « artificialisés », fréquents le long des littoraux et des fleuves. On observe ensuite que les zones perçues comme essentiellement urbaines sont criblées d'emplacements correspondant à différents types de campagnes. Par ailleurs, la zone Ouest se caractérise par des paysages marqués par la présence du bâti. Enfin, sur la diagonale Nord-Est Sud-Ouest, les milieux semi-naturels ou naturels sont prépondérants.
Deuxième entrée : celle de l'espace, de la population et des conditions de vie. C'est à proximité des villes que se trouve la plus grande concentration de zones caractérisées par une population en expansion, comparativement jeune avec des revenus élevés. A mesure qu'on s'éloigne des pôles urbains, les emplois se raréfient, de même que l'accès aux services d'usage courant. Enfin, la population vieillit et les revenus diminuent à mesure que la densité faiblit. Notons qu'il existe un fort brassage des populations dans de nombreuses zones de très faible densité, avec des départs, essentiellement de jeunes, légèrement plus que compensés par les arrivées de personnes, généralement retraitées ou en situation d'exclusion, dont les revenus sont plutôt faibles.
J'en arrive à la troisième approche : l'emploi et les activités économiques. Il ressort que l'économie des Alpes, des Pyrénées et du pourtour méditerranéen est fortement résidentielle et touristique. On remarque aussi que les zones d'activité industrielle et agri-alimentaire, qui parsèment le territoire, connaissent une évolution économique incertaine.
Le croisement de ces trois approches débouche sur une typologie de synthèse mettant en évidence sept classes de territoires. Les deux premières classes sont les campagnes périurbaines, plus denses pour la première classe, et moins pour la seconde. Ces campagnes, en expansion, réunissent 11 millions d'habitants. La troisième classe est constituée par les campagnes du littoral et des vallées urbanisées. On y retrouve 5 millions d'habitants, avec un solde migratoire très élevé. La quatrième classe regroupe les campagnes agricoles et industrielles, qui sont des territoires de plaine marqués par une faible densité de population. Cette dernière s'y trouve plutôt en augmentation à la faveur d'un double mouvement, avec le départ progressif des catégories socioprofessionnelles supérieures et l'arrivée de populations plus pauvres. On retrouve donc de forts enjeux économiques et sociaux dans ces campagnes, qui comprennent 5,5 millions d'habitants. Les cinquième et sixième classes regroupent des territoires ruraux à très faible densité. On y constate un fort brassage de population, une prépondérance de l'agri-alimentaire et peu de services d'usage courant. 4 millions d'habitants se trouvent sur ces territoires. Septième et dernière classe, les territoires de montagne, qui comprennent 1 million d'habitants. Ils sont le théâtre de migrations croisées, et d'une activité orientée vers le tourisme, mais avec très peu de services ordinairement accessibles.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Je vais à présent vous présenter l'exercice « Territoires 2040 » pour ce qui concerne les « espaces de la faible densité ». L'ambition de cet exercice prospectif n'était pas de livrer des scénarios alternatifs décrivant des évolutions prévisibles de la ruralité, mais d'offrir à la réflexion un certain nombre d'évolutions contrastées, qui peuvent aider à anticiper certaines politiques en fonction des évolutions susceptibles de se présenter en divers endroits du territoire national. Ces territoires « de la faible densité » constituent une ressource très importante pour l'avenir, que l'on songe, par exemple, à l'augmentation de la population mondiale, à l'essor des industries vertes ou à la biodiversité.
Cinq scénarios ont été élaborés pour les campagnes à l'horizon de 2040. En premier lieu, celui des « Archipels communautaires ». Ce scénario est marqué par une dérégulation économique, par la flambée du prix de l'énergie et par une déconnection des campagnes. Il débouche sur un repli communautaire qui n'est pas sans rapport avec la ruralité d'antan. La cohésion sociale devient ici problématique.
Second scénario : l'« Avant-scène des villes ». Les espaces ruraux deviennent un facteur d'attraction pour les villes, en raison des aménités qu'ils procurent à ses habitants. Le risque est celui d'une relégation de certains habitants dans des « sous-campagnes » moins attractives pour les urbains.
Troisième scénario : la « Faible densité absorbée ». C'est en quelque sorte le scénario tendanciel, avec une poursuite de l'étalement urbain, qui suppose une énergie peu chère.
Quatrième scénario : la « Plateforme productive ». Ici, le périurbain se densifie, mais on en bloque l'étalement car les espaces ruraux se spécialisent dans des activités productives, telles que l'agriculture, la production d'énergie ou l'eau.
Mme Renée Nicoux, sénateur . - Il faudra bien maintenir une vie sur ces territoires ruraux, s'ils doivent être productifs. C'est pourquoi l'aménagement du territoire doit cesser d'encourager l'urbanisation.
M. Pierre Bernard-Reymond, sénateur . - Nous sommes ici dans le descriptif et le prospectif. Il faudra songer à organiser une autre réunion pour le prescriptif... Plusieurs interrogations me viennent. Comment définir le rapport de force entre les villes et les campagnes ? Faut-il limiter drastiquement la croissance des villes ? Les technocrates parisiens ne doivent pas nous imposer un destin, et l'on doit aussi raisonner en termes de « bonheur national brut ». Que doit être une politique d'aménagement du territoire ? Il est important de souligner l'existence de coûts spécifiques aux grandes villes, qui n'existent pas dans les campagnes. Il est urgent, en premier lieu, de désenclaver ces dernières. Les zones rurales veulent évidemment des jeunes, de l'emploi et de la croissance ! Je ne m'explique pas, ainsi, que le projet de construire une autoroute entre Gap et Grenoble ait été bloqué. Je suggère aux hauts fonctionnaires ici présents de rencontrer des élus une fois par semaine, pour la connaissance du terrain qu'ils leur apporteraient. L'urbanisation n'est pas inéluctable.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - Il n'y a pas de logique d'inéluctabilité dans ces scénarios. J'indique, par ailleurs, que le groupe de travail préparatoire à l'élaboration de ces scénarios était essentiellement composé d'acteurs territoriaux.
M. Joël Bourdin, président . - Notre rapport sur l'avenir des campagnes a été confié à nos trois collègues, qui vont dérouler leur réflexion. La délégation à la prospective tirera, à son tour, des scénarios, sans donner précisément de ligne directive aboutissant à des préconisations concrètes.
M. Gérard Bailly, sénateur . - Ce qui est choquant, ce sont ces villes de plus en plus denses et coûteuses. Or, en milieu rural, il est difficile d'accéder à certains équipements. Par exemple, certaines routes ne sont pas améliorées au motif que la circulation n'y atteint pas un certain seuil. Autre exemple, le TGV Rhin-Rhône, mis en place le 11 décembre dernier, ne dessert pas le Jura. Exemple supplémentaire, le haut débit n'est pas installé tant qu'un certain nombre d'abonnés potentiels n'est pas atteint. Avec ce type de raisonnement, certaines campagnes n'auront jamais d'autoroute, jamais de TGV et jamais de haut débit. C'est pourquoi les différents seuils pour l'accès à toute sorte de services généraux tels, encore, qu'une école ou une pharmacie, devraient être plus faibles dans le monde rural. Je veux aussi mentionner une note de la Direction départementale des territoires (DDT) qui tend à encourager le regroupement des populations dans les bourgs. Demain, faudra-t-il fermer les villages ?
M. Ronan Kerdraon, sénateur . - Je m'inscris en ligne avec ce qui vient d'être dit. Il est vrai, par ailleurs, que la DATAR s'appuie sur des travaux issus des territoires et qu'il n'y a pas de bulle technocratique parisienne. Les modes de vie sont de plus en plus homogènes, ainsi que le niveau des besoins. Sur un autre plan, la question d'une départementalisation ou d'une régionalisation ne me paraît pas tranchée par les cartes qui nous ont été présentées par la DATAR. Quoi qu'il en soit, il faudrait mettre en place un socle minimal de services - un « bouclier rural » - concernant, par exemple, la médecine, la pharmacie, les écoles, les banques ou la poste. En matière de seuils, une « discrimination positive » pourrait être envisagée en faveur des espaces ruraux. Enfin, je serais curieux de superposer les cartes de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du revenu de solidarité active (RSA) à celles qui sont produites par la DATAR...
Mme Renée Nicoux, sénateur . - Une nouvelle séance de travail avec la DATAR serait souhaitable pour savoir ce qu'il faudrait faire en réaction à ces scénarios. Le désenclavement est un enjeu primordial dans les campagnes. J'observe, par exemple, dans la Creuse, un développement notable autour de la route nationale 145, dès lors qu'elle comporte deux fois deux voies. En réalité, les jeunes n'aspirent pas aux zones urbaines mais au travail. L'environnement rural convient aussi aux cadres urbains qui veulent changer de mode de vie.
M. Joël Bourdin, président . - Je précise que, dans le cadre des travaux des trois rapporteurs désignés par notre délégation, un atelier de prospective sera normalement organisé. Il permettra à la DATAR de s'exprimer dans la perspective de l'élaboration de nos scénarios.
M. Stéphane Cordobès, conseiller en charge de la prospective à la DATAR . - La DATAR reviendra volontiers. Nous ne croyons pas à un développement homogène de la ruralité française. La question n'est pas d'encourager ou de récuser tel ou tel scénario. Chacun des cinq scénarios ici présentés a vocation à se dérouler, mais dans des espaces différents. Les politiques devront donc être adaptées à chaque situation locale.
J'en arrive au cinquième scénario : le « Système entreprenant ». Il suscitera peut-être plus d'adhésion. Ici, les espaces urbains souffrent de coûts structurels élevés tandis que les espaces ruraux bénéficient de réseaux de communication tels que leur capacité de développement, corrélée aux ressources globales dont disposent ces territoires, se voit pleinement réalisée.
B. AUDITIONS DES RAPPORTEURS
Lecture : les questions figurant en italique sont celles que les rapporteurs ont adressées à l'avance aux personnes auditionnées. Les autres questions et interventions des rapporteurs figurent entre crochets.
NB : les comptes rendus ne sont pas exhaustifs. Ils sont validés par les personnes auditionnées.
1. Olivier Mora, ingénieur agronome, chercheur à l'INRA
27 mars 2012
Olivier Mora présente l'exercice « Les Nouvelles ruralités à l'horizon 2030 » sur la base d'une projection sont dont extraites les vues ci-après. Au cours de cette présentation, il insiste sur l'importance des relations entre villes et campagnes et le système qu'elles forment ensemble pour conduire une scénarisation concernant les espaces ruraux. Ce travail a été conduit sur deux ans.
A noter que le scénario n° 4 met l'accent sur le rôle des villes intermédiaires, dont le rôle apparait comme fondamental pour l'avenir des territoires ruraux.
2. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)
11 avril 2012
La difficulté d'engager une réflexion prospective sur l'agriculture française provient de sa diversité. On peut en distinguer trois sortes :
1) la production de biens alimentaires destinés à l'industrie agro-alimentaire ;
2) les exploitations de taille plus réduite, marquées par une dimension entrepreneuriale, qui transforment et élaborent leurs produits;
3) les exploitations agricoles intermittentes ou annexes, correspondant à une pluri-activité des exploitants, dont la valeur ajoutée économique ne leur permet pas d'en vivre exclusivement mais qui contribuent grandement à l'entretien de l'espace rural et souvent créent des paysages sur lesquels repose l'activité touristique.
Le projet des chambres d'agriculture est d'assurer la pérennité et le développement harmonieux de ces trois types d'agriculture.
La PAC est la seule politique européenne autonome. Ses enjeux sont d'ordre stratégique, politique et économique. L'objectif de la PAC doit être celui de la compétitivité et de la garantie des revenus contre la volatilité des prix. La mise en place d'un mécanisme de régulation est impérative.
L'avenir de l'agriculture dépend de la transmission des exploitations, de l'attractivité des revenus et de la pérennité de ses ressources.
Les techniques doivent être actualisées en permanence et la recherche en matière agricole est indispensable.
Concernant la PAC, il se trouve que les zones défavorisées doivent être révisées à partir de critères uniquement physiques, ce qui risque d'exclure certains territoires français qui bénéficient actuellement des mesures de soutien correspondant à ce zonage.
La fonction de l'agriculture consiste en la production et en la fourniture d'aménités diverses. La production se scinde elle-même en productions alimentaires, et non alimentaires, ces dernières débouchant sur la fourniture d'énergie, ou de matériaux (pour remplacer, par exemple, certains dérivés du pétrole).
Aujourd'hui la PAC n'oriente plus la production, ses subventions sont proportionnelles à la surface. L'APCA n'a pas non plus de « religion » sur ce que l'agriculture doit produire, aliments ou énergie, voire matériaux. J'appelle l'attention sur le développement d'agro-carburants, de la seconde, voire de la troisième génération. Bien sûr nous gardons à l'esprit qu'il faut nourrir 7 milliards d'individus, qui seront bientôt 9 milliards.
Gérard Bailly - L'agriculture a beaucoup d'injonctions à satisfaire, qu'on songe aux problèmes fonciers, à la biodiversité, à l'écologie, au développement durable ou à la production d'énergie : biomasse, biocarburants, photovoltaïque....
Jean-Louis Cazaubon - Les débouchés, il faut les prendre, sinon d'autres les prendront. Il est déplorable de faire de la jachère financée par les fonds européens alors que ces terres pourraient travailler. Dans le projet de la commission européenne pour la réforme de la PAC, l'« aide verte » est conditionnée par la mise en jachère de 7 % des terres agricoles, ce qui est beaucoup trop... La rémunération des mesures agro-environnementales (MAE) correspond à un surcoût, mais par rapport à quoi ? Malheureusement, il n'est pas question de rémunérer le travail existant, sauf pour la filière biologique.
Renée Nicoux - Un revenu, sur une base contractuelle, devrait être versé au titre des aménités...
Jean-Louis Cazaubon - Sur un autre plan, les espaces Natura 2000 paraissent compatibles avec les pratiques préexistantes puisqu'elles n'ont pas empêché de préserver les espèces qu'on y a trouvées... Il faut dénoncer les « ultras » de l'environnement qui font par exemple l'apologie de l'ours.
Gérard Bailly - Il est parfois renoncé à certains élevages avec la multiplication des attaques de loup et de lynx...
Jean-Louis Cazaubon - L'agriculture, qui occupe 500 000 agri-culteurs, fait vivre en réalité 3,5 millions de personnes employées dans des filières amont et aval. Les « filières territorialisées » occupent 107 000 exploitants qui vendent tout ou partie de leur production en circuits de proximité. La question est de savoir si ces filières pourront être soutenues par les fonds structurels FEDER et FSE pour mettre en place de véritables projets de développement économiques générateurs d'emplois et de valeur ajoutée pour les territoires.
Concernant les ressources, le stockage de l'eau va s'avérer primordial surtout si le réchauffement se poursuit. La question du foncier posera celle d'un nécessaire équilibre social et territorial.
Concernant le réchauffement climatique, l'agriculture peut réduire ses émissions et améliorer le stockage du carbone, les surfaces herbeuses le permettent, mais uniquement si elles sont pâturées. Des mécanismes d'assurance seront peut-être souhaitables - ils existent déjà ailleurs - surtout s'il n'existe pas de mécanisme de régulation des prix. Par ailleurs, les productions de sources énergétiques constitueront une piste (granules de bois...).
Gérard Bailly - Quelle « posologie » préconiser pour que l'agriculture française présente, selon vos critères, un visage satisfaisant en 2040 ?
Jean-Louis Cazaubon - Les stratégies doivent différer selon les régions et les types d'agriculture. Le solaire doit gagner les toits, pas les terres ! Il faut savoir que les usines de la filière agro-alimentaire s'installent soit sur les lieux de production, soit sur les lieux de consommation. Il convient d'encourager l'installation sur les lieux de production sur tout le territoire afin d'éviter des concentrations dans certains secteurs et des déserts dans d'autres régions.
3. Olivier Piron, inspecteur général de l'équipement
28 juin 2012
Le mot « campagne » est récent, il correspond au regard des gens qui habitent en ville. Le territoire métropolitain est une unité : campagnes et villes travaillent ensemble. Traiter séparément les villes et les campagnes conduit à passer à côté des problèmes.
Les zones urbaines denses (plus de 5000 habitants et une densité résidentielle brute supérieure à 2500 habitants) ont perdu du poids démographique depuis 1968 (elles représentent moins de 10 % de l'augmentation démographique métropolitaine dans cette période). On urbanise désormais par les campagnes. Même la croissance démographique naturelle des campagnes est devenue positive.
Dans les zones denses de province, la moitié du parc de logement est constitué de résidences principales occupées par une seule personne (étudiants, personne âgées...). Les familles vont de préférence dans la partie non dense des territoires (ex. périurbain lié aux métropoles régionales). En effet les familles vivent au sol, ont besoin d'espace (trajet école domicile, aires de jeu...).
Corrélation entre le pourcentage d'immigrés (personnes nées étrangères à l'étranger) entre 25 et 54 ans et les conditions de logement dans la commune de résidence. La densification des villes a lieu en entassant les immigrés.
Le logement n'est pas un produit hors-sol. On prévoit la construction de 70 000 logements par an dans le grand Paris, sans dire où. La déclinaison par communes publiée n'est pas crédible.
En définitive, nécessité de densités pas trop fortes : vers 4 000 habitants au km 2 . Toute construction complémentaire risque de peser sur le confort spatial de tout un chacun, dès lors que le rythme de construction dépasserait la simple compensation du desserrement annuel de la population ainsi que le remplacement d'immeubles démolis ou désaffectés, soit 1 % en moyenne nationale.
L'économie aussi a besoin d'espace. Le Grenelle II a dit qu'il fallait diminuer l'occupation des sols, ce qui interdirait à une commune de se « réveiller ».
La densification est une notion pertinente pour le tertiaire, radicalement fausse pour le reste des activités et besoins.
Les activités économiques se desserrent spontanément (ex. des Monts d'Arrée où le bas coût des logements permet des salaires plus bas).
On a ainsi besoin d'espace, qui se trouve dans les campagnes.
D'après une typologie INSEE de 1996, les « pôles urbains » sont des unités urbaines de plus de 5 000 emplois. Les communes « périurbaines » sont celles dont au moins 40 % des actifs travaillent dans le pôle ou dans l'aire urbaine correspondante. Elles constituent une couronne périurbaine. Et lorsqu'au moins 40 % de ces actifs travaillent dans plusieurs aires urbaines, sans qu'aucune n'en attire plus de 40 %, la commune est dite « multipolarisée ». Les « pôles ruraux » étaient, dans ce contexte, des unités urbaines dotées de 1 500 à 5 000 emplois, et non compris dans des couronnes périurbaines. De 1999 à 2008, les pôles urbains ont grandi par eux-mêmes moins vite que la moyenne. Ils n'ont accueilli que 40 % de la population complémentaire alors que leur poids était de 60 %. Depuis, l'INSEE a supprimé la catégorie des pôles ruraux de sa typologie. Or, si le rural disparaît dans la nomenclature INSEE, la ruralité, elle, résiste, par exemple dans la législation.
Comment ne pas consommer trop de terres agricoles ? L'utilisation du terme « consommer » n'est pas innocente. Noter qu'en 2000, l'agriculture et la forêt utilisent 83,7 % de l'espace.
Les départements ont été depuis toujours des machines à transférer du « cash », ce sont des caisses de péréquation vers les communes, qui doivent avoir les moyens d'exister.
Les CAUE (conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement) sont de qualité inégale.
Importance, en matière d'emploi des territoires, de voir ce qui doit être intangible pour des raisons patrimoniales ou autres, et de laisser « respirer » le reste.
La complémentarité ville-campagne se construit naturellement. Le rural est porté par les retraités et le tourisme ainsi que par le coût moins élevé de la construction. Il est largement peuplé par une population ouvrière ; la crise et la pauvreté renforcent le poids du monde rural.
4. Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la dynamique des territoires à la DATAR, et Hélène Jacquet Monsarrat, chargée de mission
28 juin 2012
Développement rural (par Caroline Larmagnac )
• Le développement rural peut-il
être axé sur le développement d'une base
résidentielle, ou faut-il privilégier la base productive
?
Une précision liminaire : il faut bien distinguer « la base résidentielle » qui comprend l'ensemble des revenus de transferts, par opposition à la base productive, de « l'économie présentielle », notion plus large qui recouvre l'économie générée par la présence de résidents permanents et temporaires sur un territoire.
Dans tous les territoires, les revenus dits productifs et les revenus dits résidentiels se cumulent, dans des proportions différentes. La base résidentielle est souvent considérée comme un peu fragile, car dépendante des évolutions des politiques publiques relatives aux revenus de transfert (retraites, minima sociaux) sur lesquelles il est difficile d'avoir de la visibilité à long terme. Cependant, ces revenus de transfert jouent un rôle d'amortisseur en cas de crise, comme on le constate depuis 2008. Ainsi, les territoires qui ont le plus souffert de la crise sont des territoires productifs, particulièrement ceux dont l'économie est monoproductive, situation qui se rencontre notamment dans le cadre Nord-Est de la France.
L'économie présentielle est très intéressante pour les territoires, puisque 100 habitants présents créent en moyenne 20 emplois, ce ratio tendant même à augmenter. Mais des efforts sont à conduire pour développer ce potentiel d'emplois. Par ailleurs, l'emploi présentiel est souvent précaire.
A noter qu'une certaine concurrence est possible entre les activités productives et les usages résidentiels, notamment en ce qui concerne l'utilisation de la ressource foncière. La coexistence des deux types d'activités est aussi parfois à l'origine de conflits, pas toujours simples à gérer dans les territoires ruraux, avec un degré décroissant d'acceptabilité par les populations résidentes et touristiques des externalités négatives des activités productives (bruit, risques, trafic de poids lourds, etc...).
Pour dire un mot du tourisme, la DATAR vient de faire réaliser une étude, dont la publication est à venir, sur le tourisme rural ; elle montre que les attentes ne portent pas sur des équipements touristiques dédiés, mais sur un territoire rural « vivant », c'est-à-dire avec des commerces, des transports, des services, etc.
• Quels sont les atouts spécifiques des
territoires ruraux en matière d'attractivité
économique ?
L'espace, l'économie « verte » ainsi que les savoir-faire et les traditions, la qualité et la disponibilité de la main d'oeuvre, la qualité de vie avec diverses aménités, enfin, des temps de déplacement plus courts. Les entreprises créées dans les territoires ruraux ont un meilleur taux de survie que les autres. Peut-être rencontrent-elles moins de concurrence pour bénéficier des aides.
• Quels sont les principaux freins à
l'implantation d'entreprises ?
En premier lieu, l'affaiblissement du lien « entreprise-territoire » dans un contexte de mondialisation.
[ Gérard Bailly - C'est aussi que ces entreprises sont moins familiales.]
[ Renée Nicoux - Quid des coopératives ouvrières ?]
Les coopératives ouvrières, qui ont rencontré de vrais succès, demeurent d'un recours relativement marginal.
En second lieu, les freins sont d'ordre professionnel, avec des problèmes liés aux infrastructures de transport, ou à la formation de la main d'oeuvre. Constituent également des freins : un maillage insuffisant de sous-traitants et fournisseurs potentiels, un débit numérique insuffisant, un niveau de service à la population insuffisant, potentiellement dissuasif pour certaines catégories de salariés (ex. des attentes en matière d'équipements culturels), un faible potentiel d'emploi pour le conjoint et un manque de perspectives d'évolution professionnelle.
• Comment définir et orienter une
stratégie industrielle qui préserve, sinon renforce,
l'activité dans les territoires ruraux ?
Il faut jouer sur les paramètres précédents...
Dans l'industrie, il faut distinguer les entreprises mondialement mobiles, des autres entreprises. Pour les premières, il convient de « massifier » les sites, de mettre en place des « centres européens » pour telle ou telle activité tout en prenant garde d'y conserver la recherche et le développement.
• Les dispositifs publics (ZRR, PER, PAT, FISAC
etc.) de soutien à l'activité sont-ils cohérents et
efficaces ? Les moyens pilotés par la DATAR sont-ils
suffisants ?
Il s'agit de dispositifs essentiellement sectoriels. Il faut y ajouter les dispositifs régionaux, avec lesquels ils sont parfois redondants. Au total, on aboutit à une certaine illisibilité pour les bénéficiaires. Le gouvernement actuel a annoncé une réflexion sur les dispositifs d'aide et les zonages, à mener dans le cadre du nouvel acte de la décentralisation.
Parmi les mesures « zonées » gérées par la DATAR figurent les exonérations consenties aux entreprises créées ou reprises en ZRR, qui méritent d'être réexaminées. Aujourd'hui 13 000 communes sont classées en ZRR, ce qui est beaucoup, mais les objectifs politiques du zonage sont imprécis, et les critères de classement peu cohérents avec la nature des aides accordées. Il faut donc revoir les critères de la ZRR. En outre, il est impossible d'évaluer les effets des ZRR, dont même le coût fiscal n'est pas mesurable.
Il faut, par ailleurs, conserver la PAT 98 ( * ) qui est utile pour inciter les entreprises internationalement mobiles à se localiser dans des territoires français.
• Comment favoriser une innovation
territorialisée ?
La DATAR a mis en place les « grappes d'entreprise » et renforce le lien entre ces dernières et les pôles de compétitivité.
La DATAR a lancé, par ailleurs, une étude intitulée « innovation et territoires », qui, dans une nouvelle phase, va s'intéresser au rapport entre innovation et territoires ruraux.
Enfin, les pôles d'excellence ruraux sont en cours d'évaluation. Rappelons que l'innovation, au sein de ces pôles, peut être aussi bien technologique qu'organisationnelle et concerner, ainsi, les services.
• Qu'attendre du très haut
débit ?
Le très haut débit peut, en premier lieu, constituer une solution pour pallier les déficiences du « haut débit », lorsque ce dernier se révèle trop faible pour un usage normal d'Internet, qui s'avère vital pour les entreprises, ne serait-ce que, par exemple, pour les télédéclarations sociales.
Pour l'ensemble des apports potentiels du très haut débit, il convient de se référer à une étude de l'ARCEP qui passe en revue de nombreux usages : audiovisuel, usages simultanés, télémédecine, informatique distribuée, télétravail, nouveaux jeux en ligne, domotique et e-education, de la petite école à la formation continue...
• Existe-t-il un échelon politique ou
administratif optimal pour l'action en faveur du développement
économique ? Dans le schéma actuel, existe-t-il un
problème de rapidité pour la prise de décision ainsi que
pour leur exécution ?
Pour les services de l'Etat, le niveau régional semble le plus adapté. Le nouveau gouvernement a d'ailleurs nommé, à ce niveau de déconcentration, 22 « délégués au redressement productif ».
Concernant les services décentralisés, le niveau pertinent est sans doute celui des régions pour la stratégie et les dispositifs d'aide, et celui des EPCI à fiscalité propre pour l'immobilier d'entreprises. Cependant, parfois, des échelles spécifiques peuvent se révéler intéressantes.
Santé (par Caroline Larmagnac )
• Quelle est la dynamique actuelle de l'offre de
soin dans les territoires où la situation est jugée
critique ? Comment réorienter l'offre de santé vers la
demande formulée dans les territoires ruraux (regroupements de
praticiens dans des « maisons de santé »,
incitations à l'installation etc.) ? Que prévoient les
schémas régionaux d'organisation des soins (SROS) des agences
régionales de santé (ARS) ?
Il est difficile de qualifier les situations « critiques ». La mesure de la densité des médecins montre que la périphérie du bassin parisien est particulièrement sous-dotée en professionnels de santé.
Pour bien apprécier la situation des territoires il convient de ne pas regarder seulement la consommation de soins, mais le besoin de soins (toujours supérieur à la consommation). Ce faisant, on obtient une carte révélant des tensions dans de très nombreuses zones du territoire national.
Concernant le nombre de médecins, la hausse du numerus clausus ne déploiera ses effets qu'en 2020. Toutefois, la dynamique récente semble encourageante car en 2010, il y a eu plus d'installation de médecins que de départs dans les zones rurales. A noter que les médecins arrivants sont souvent étrangers.
Les maisons de santé connaissent également une bonne dynamique mais leur distribution sur le territoire manque encore d'homogénéité. Il faut préciser que la maison de santé n'est pas la seule réponse : la télémédecine, les coopérations entre professionnels et le salariat, parmi d'autres réponses, peuvent apporter une contribution utile. Quoi qu'il en soit, au regard de ses voisins, la France connaît une situation particulière liée à la dispersion de sa population.
Enfin, pour attirer les jeunes médecins, il faut un territoire attractif.
[R.N. - En Grande-Bretagne, il existe un système salarié qui, pour la médecine de ville, présente certains avantages.]
Certaines règles devront probablement évoluer pour parvenir à une répartition réellement satisfaisante de l'offre de soin en France...
• Anticipe-t-on une évolution de la
demande de santé dans les territoires ruraux ?
Le vieillissement concerne surtout les territoires ruraux qui voient en outre arriver des populations en situation précaire, dont les états de santé peuvent nécessiter de lourdes prises en charge.
• Quelles peuvent être les avancées
de la télémédecine et notamment l'impact, à terme,
du très haut débit sur l'accès aux soins des personnes
isolées ou dépendantes ?
Ces techniques sont susceptibles de conforter les hôpitaux secondaires (exemple de la prise en charge des AVC à l'hôpital de Nevers), de faciliter les liens entre les différents professionnels (spécialiste-généraliste, infirmière-médecin, etc.) et de permettre un suivi à domicile de personnes dépendantes. Elles supposent un déploiement satisfaisant du numérique, sachant que ces applications réclament une parfaite sécurité de transmission.
Services publics (par Hélène Jacquet-Monsarrat )
• Quelles sont les conséquences
territoriales des réorganisations de services publics en cours ?
Peut-on parler d'une dégradation du service public en milieu
rural ?
Il est difficile d'évaluer l'évolution de l'accès aux différents services. On constate que la présence physique des services publics de plein exercice se modifie dans les territoires. Et logiquement, la question posée vise les modalités du service rendu aux usagers dans les territoires
On notera la situation paradoxale de nombreux opérateurs privatisés depuis 2005, aussi bien dans le périmètre de l'énergie que s'agissant de La Poste. Ces opérateurs demeurent chargés de missions de service public qui sont détaillées dans des « contrats de service public » ou dans les conventions d'objectif et de gestion, tout en ayant des contraintes de performance liées au statut d'entreprise.
Dans une enquête conduite en 2009 par l'institut CSA à la demande de la Datar, on apprend que la notion de « service attendu » est plus large que celle de « service public » et recouvre des services tels que ceux rendus par La Poste, les pharmacies, le commerce alimentaire, les haltes garderies ou les distributeurs d'argent.
41 % des sondés admettent une réorganisation des services, notamment postaux, sans formuler d'avis négatifs, même s'il existe une « veille » de la majorité des habitants sur toute réorganisation des services publics.
• Les attentes des néo-ruraux sont-elles
excessives ? Quels sont les raisonnements possibles en termes de
« normes » d'accès (temps et distance pour
accéder à différents services) ? S'achemine-t-on vers
une concentration de la plupart des services dans les villes
« intermédiaires » ?
La question posée est celle de la chrono-distance. On estime qu'une moyenne légitime « acceptable » correspond à un délai de route de 10 minutes. Puis on relève un effet de rupture, « d'abandon », à partir de 20 minutes.
Les personnes interrogées soulignent des problèmes importants d'adaptation des horaires, qui sont jugées acceptables pour les pharmacies, les médecins ou les épiceries, mais dont la perception est dégradée pour La Poste, les centres de sécurité sociale, les CAF et EDF.
La présence de différents services dans les villes intermédiaires est vécue comme cruciale, le public considérant qu'ils ne seront pas remplacés en cas de fermeture.
• La mutualisation des points d'accès aux
services constitue-t-elle une solution d'avenir ? L'expérimentation
« Plus de services au public » est-elle un succès ?
L'accord national encadrant l''expérimentation « + de services au public » a été signé par l'Etat, 9 opérateurs de service public, la caisse des dépôts et consignations et l'union nationale des points d'information et de médiation multiservices. L'expérimentation, d'une durée de trois ans, se poursuit dans 22 départements. Les préfets ont signé, en juin 2012, 17 contrats de mise en oeuvre de cette expérimentation. Ces contrats proposent notamment la création ou le renforcement de relais et de maisons de services publics.
A ce stade, il ressort que les opérateurs évaluent positivement ces expérimentations. Sur les sites, les « visioguichets », qui permettent une visualisation à distance des représentants opérateurs sous forme de rendez-vous individualisés, sont un succès, là où ils ont pu être expérimentés. L'accompagnement par un agent sur le site demeure nécessaire.
De nombreux chantiers ont été ouverts, notamment ceux de la géolocalisation des espaces mutualisés, à mettre en relation avec les services de plein exercice, et de la formation des agents de ces espaces mutualisés. On peut d'ores et déjà se poser la question de la mise en place d'un « référentiel métier » correspondant à ces nouvelles fonctions. La question du financement reste délicate. On constate que les opérateurs ne participent que peu au financement des espaces mutualisés. Néanmoins, ils sont conscients d'une part de l'intérêt de la présence des espaces mutualisés, lorsque leurs sites de plein exercice s'éloignent des territoires, et d'autre part des nécessités financières liées au fonctionnement des sites.
5. André Torre, directeur de recherche à l'INRA
28 juin 2012
Les campagnes sont nécessairement sous l'influence des villes via la consommation (qui joue aussi dans le sens campagne -> villes), les revenus et les déplacements.
• Comment, dans les zones rurales, favoriser
l'émergence d'un tissu économique local ?
L'agriculture arrive après l'industrie puis les services, mais son occupation des sols est ultra-prépondérante. Elle représente 60 % de la surface en Île de France...
Les voies du développement sont étroites. Il y a bien sûr les services, notamment à la personne, et les loisirs. Mais le tissu industriel, dont la présence est traditionnelle dans les campagnes, s'y érode. Les pôles d'excellence rurale sont intéressants pour la création d'activité.
L'activité agricole diminue, et celui du nombre d'exploitation chute, avec une augmentation de la surface moyenne. La déprise agricole entraîne surtout, dans la durée, une avancée des forêts.
• En matière agricole, quel est le
potentiel des filières courtes ?
La question prend deux sens : géographique, et en nombre d'étapes. Ces filières répondent à une demande, souvent urbaine, de produits d'origine et de traçabilité.
Souvent orientés vers le « bio » et marquées par une vision parfois un peu utopique, elles posent, par ailleurs, de gros problèmes logistiques en termes de régularité de la production et d'acheminement.
Par ailleurs, elles permettent de réduire en partie la fracture entre producteurs et consommateurs.
Enfin, l'augmentation du coût des terrains à l'approche des villes rend le modèle plus difficilement viable dans ce cadre, à moins d'accorder des aides et des incitations fortes, par exemple en termes de foncier.
Il reste donc des configurations à imaginer localement pour viabiliser le modèle et le rendre accessible .
• L'usage du territoire constitue-t-il un terrain
de conflictualité croissant dans les campagnes ?
Même si l'on ne dispose pas de statistiques fiables, la réponse est probablement positive. Par ordre de fréquence décroissante, les postes de conflictualité sont :
1°) l'occupation des sols, avec de nombreux recours contestant les PLU, les SCOT, les autorisations de construire etc.
Ces recours sont souvent formulés par des populations ayant un bon niveau d'instruction, et via des associations, contre les pouvoirs publics. L'inverse se produit cependant communément sur le littoral, où les pouvoirs publics veillent au respect de la « loi littoral » 99 ( * ) .
2°) les infrastructures (au service de la ville...), tels que les centres de traitement des déchets, les routes...
3°) la chasse (dates, périmètre)
4°) les externalités négatives environnementales
5°) l'eau (motif en forte progression...)
6°) le paysage, cette cause étant surtout portée par les associations, qui arguent souvent, à cette fin, de motifs environnementaux
Dans l'ensemble, les recours administratifs progressent parmi une population de plus en plus informée, cela, bien souvent, dès la déclaration d'utilité publique. Les « petits » changements débouchent sur de « petits» conflits, et les « gros » changements débouchent sur de « gros » conflits.
En outre, la population est de moins en moins homogène... et donc ça favorise la conflictualité
• Quels seraient les voies et moyens
(gouvernance, planification...) d'une prévention de cette
conflictualité ?
Il est impossible d'éviter les conflits car ils sont un mode d'expression des populations et une voie de la démocratie.
[Renée Nicoux et Gétard Bailly déplorent la durée excessive de réalisation des projets en raison de consultations de toutes sortes et de la possibilité de voir s'élever des contestations à un stade d'avancement important.]
Autres considérations :
- la campagne se repeuple mais elle se paupérise ;
- il est constant que l'amélioration des infrastructures de transport favorise la concentration, même si c'est contre-intuitif ; la distance parcourue pour se rendre à son travail a doublé depuis les années 1970, et doublera d'ici 2040 (même si cette augmentation ne se reporte pas, à due proportion, dans les temps de transport, en raison même du développement des infrastructures)... grâce aux infrastructures de transport on peut habiter de plus en plus loin de son lieu de travail.
6. Pierre Brunhes, chef du service du tourisme, du commerce et de l'artisanat à la DGCIS100 ( * ) (ministère du redressement productif)
12 juillet 2012
•
Pour l'action économique
déconcentrée, l'échelon régional est-il, et
sera-t-il toujours optimal ? Le regroupement des directions
régionales à vocation économique dans les
Dirrecte
101
(
*
)
s'avère-t-il fructueux ?
La REATE (réforme des administrations territoriales de l'Etat) a acté le niveau régional comme celui de pilotage des politiques publiques, notamment celle du développement économique. Cette décision, cohérente avec les étapes passées et proposées de la décentralisation, a entraîné la mise en place des Dirrecte qui permettent, au sein de leur pôles 3E, de concentrer les activités de développement des entreprises et de l'emploi et de mettre en oeuvre des programmes cohérents de développement des territoires.
En matière de développement économique, les Dirrecte ont pour mission essentielle d'accompagner les entreprises à chaque étape de leur évolution, d'anticiper et d'accompagner les mutations économiques. L'enjeu premier est de soutenir la création et le développement des entreprises ainsi que la compétence des salariés dans le cadre d'une stratégie de croissance de l'activité et de l'emploi.
Regroupant les compétences relatives à l'emploi et au développement économique, les Dirrecte disposent d'équipes qui, sur l'ensemble du territoire régional, agissent en synergie en la matière.
• Les dispositifs publics de soutien à
l'activité économique sont-ils suffisamment dotés et bien
articulés, le cas échéant, avec des dispositifs
d'initiative régionale ? Qu'en est-il, en particulier, du
FISAC ?
Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la région est le cadre du développement économique. Les Dirrecte diffusent leur action au sein des régions, notamment dans les départements via les DDPP, sous l'autorité des préfets, et via les sous-préfets. Cette concentration était nécessaire, et elle est efficace. Les Dirrecte ont un rôle essentiel dans les démarches partenariales locales.
[ Renée Nicoux - Dans la gestion des fonds, il existe un problème de délai d'attribution, si bien qu'une gestion plus locale, par exemple, départementale, ferait espérer plus de souplesse.]
Les Etats généraux du Sénat apporteront-ils une solution ? Concernant le FISAC, le ministre réfléchit à une meilleure allocation des moyens en renonçant au caractère universel de ce système, au profit d'une plus grande sélectivité des projets. Les métropoles n'ont probablement pas toutes besoin du FISAC...
[ Gérard Bailly - Certes, non].
Par ailleurs, est-il utile que les décisions d'allocation du fonds remontent au ministre ?
[ Gérard Bailly - Quand on veut faire aboutir un projet, il faut un tour de table, et force est de constater que l'échelon départemental est plus commode, pour l'organiser, que l'échelon régional.]
[ Renée Nicoux - On doit parfois passer par le préfet pour accéder au niveau régional... Pour le FISAC, on observe plus d'un an de retard pour le versement des aides, ce qui pose de gros problèmes. Par ailleurs, je regrette l'absence de fongibilité des crédits entre chaque action.]
Il conviendrait en effet d'attribuer les fonds là où les besoins sont les plus forts.
Je déplore, en effet, que le système « Chorus » par exemple, ait rallongé les procédures de paiement, engendrant des délais difficilement compressibles... et admissibles.
[ Renée Nicoux - L'« animation » du dispositif et l'ingénierie comptent aussi beaucoup pour le FISAC.]
• Au sein des territoires ruraux, la
présence d'artisans et surtout de commerces apparaît-elle comme
déterminante pour les décisions d'installation ou de
départ de particuliers ?
Je renvoie volontiers à une analyse de l'INSEE intitulée « A la campagne comme à la ville » (INSEE PREMIERE). Plus de la moitié des communes de moins de 1 000 habitants n'ont plus de commerce de proximité. Cette situation semble irrattrapable, ce qui n'est pas le cas pour les artisans qui peuvent trouver plus facilement des opportunités d'implantation dans les petites communes. Au demeurant, toutes ces situations fondent la politique du FISAC.
Les territoires ruraux peuvent être des lieux d'expérimentation et d'innovation (livraisons, commerces et services, notamment liés à l'économie numérique). Par exemple, des télécentres permettent aux très petites entreprises et auto-entrepreneurs de partager un espace Internet et de faire du télétravail...
[ Ronan Kerdraon - il ne faut pas trop encourager les auto-entrepreneurs, mais plutôt les commerçants et les services]
• De votre point de vue, la « base
résidentielle » devient-elle prépondérante pour
le développement des territoires ruraux ? 100 nouveaux
résidents induiraient, en moyenne, la création de 20 emplois sur
un territoire, dont une proportion probablement importante doit concerner le
commerce et l'artisanat...
La définition de la base résidentielle est toujours contestable. Celle de l'INSEE renvoie aux revenus versés sur le territoire. Toutefois, le commerce et l'artisanat profitent à la fois des revenus des résidents et de ceux des touristes. Par ailleurs, les entreprises de production de biens tirent aussi la demande de services locaux. Il faut, d'une façon générale, rechercher l'attractivité des territoires.
[ Gérard Bailly - les résidences secondaires ouvertes trois semaines par an ne posent-elles pas problème ? Avec l'augmentation des prix qu'engendre la demande de résidences secondaires, il existe un effet d'éviction pour l'accès au logement de personnes qui pourraient y habiter à l'année, avec des retombées économiques probablement plus importantes sur l'activité locale.]
• (La perspective, à moyen terme, d'une
connexion facilitée en haut, puis en très haut débit dans
les territoires ruraux pourra-t-elle infléchir le seuil de
densité commerciale jugé communément acceptable par les
résidents ?)
Le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective sur le commerce électronique (janvier 2012) anticipe une diminution des grandes surfaces situées en zones périurbaines, la mise en place de nombreux entrepôts logistiques à proximité de noeuds routiers, suscités par l'essor du commerce électronique, un retour vers les villes, « voire vers les campagnes car le commerce de proximité pourra s'appuyer, lui-même, sur l'e-commerce pour fournir diverses prestations comprenant parfois une valeur ajoutée de nature artisanale ». Cette analyse est partagée par mon administration.
Au demeurant la densité commerciale n'est plus un critère d'aménagement commercial (LME, 2008) car anti communautaire, il convient de se reporter aux besoins des consommateurs en bassins de vie, les schémas de cohérence territoriaux (SCOT) les prendront en compte dans la cartographie des projets d'implantation des surfaces commerciales.
• Le tourisme rural est-il appelé à
connaître un succès croissant ? La préservation du
potentiel de ce tourisme est-il un enjeu prioritaire ? La planification
foncière est-elle en phase avec cet objectif ? Le système
français d'aires protégées constitue-t-il une
réponse ?
Le tourisme rural représente près d'un tiers de la fréquentation touristique française (30,2 % des nuitées). Il est essentiellement commercialisé sous la forme d'hébergements non marchands (71,4% des séjours). Le tourisme rural bénéficie de l'étalement des séjours dans le temps. Les acteurs locaux se professionnalisent. La richesse et la diversité des sites, du patrimoine et des activités proposées participent au dynamisme de sa croissance.
Le développement des activités alternatives se poursuit activement. Ainsi les agriculteurs contribuent pour une part importante au développement du tourisme en zone rurale. Les prestations qu'ils offrent (camping à la ferme, fermes auberges, bistrots de pays, assiettes de pays, vente directe de produits du terroir) viennent compléter les prestations traditionnelles offertes par les hôtels, cafés et restaurants et l'hôtellerie de plein-air.
Les actions engagées ces dernières années en faveur du tourisme rural s'inscrivent dans le champ de la réglementation, de la qualification de l'offre, de la professionnalisation des acteurs et d'un tourisme plus durable.
Une fiscalité foncière différenciée en fonction du taux d'occupation des particuliers pourrait être envisagée. Par ailleurs, une initiative du type « France-Vélo-Tourisme » est à saluer.
7. Frédéric Sans, chef de la mission des services à la personne à la DGCIS102 ( * ), et Patrick Simon, chef du bureau de l'emploi et du développement de l'activité au ministère de l'agriculture ; correspondant « services à la personne »
12 juillet 2012
•
Quels sont les principaux types de demandes de
services à la personne formulées en milieu rural ? Toutes
les demandes sont-elles satisfaites ?
Aux termes de l'article L. 7231-1 du code du travail, introduit en 2005, les services à la personne (SAP) sont :
- la garde d'enfant à domicile (hors assistantes maternelles),
- l'assistance aux personnes âgées ou handicapées,
- les autres services à domicile (ménage, entretien de la maison, etc.).
Ces trois activités, avec 781 millions d'heures de travail, représentent 1 % du PIB et occupent 1,6 million de salariés correspondant à 560 000 équivalents temps plein. 65 % de cette activité correspond à des emplois directs, et 35 % est effectuée par l'intermédiaire de prestataires ou de mandataires. Il s'agit là d'ordre de grandeur car les statistiques sont encore perfectibles.
Ce secteur est irremplaçable en milieu rural pour certaines activités. Mais globalement le milieu urbain est plus favorable car ses habitants y sont plus aisés, travaillent hors de leur domicile et connaissent donc davantage de contraintes pour l'accomplissement des tâches domestiques et l'accompagnement et la garde des enfants.
En outre, le soutien familial joue plus spontanément en milieu rural et le taux d'emploi des femmes y est plus faible.
D'une façon générale, l'offre de service à la personne aux mères de famille est doublement gagnant sur le plan de l'emploi, puisqu'il crée un emploi de service, et permet à ces dernières de retourner à l'emploi.
Mais ce schéma correspond plutôt à des situations rencontrées en milieu urbain. En milieu rural, les services à la personne concernent surtout les personnes âgées et handicapées.
Patrick Simon - Malheureusement, il n'existe pas de chiffres sur les services à la personne en milieu rural. Le coût des transports y est assurément un handicap et son éventuelle compensation auprès des employés du secteur demeure une question en suspens.
Concernant les métiers, on observe une tendance divergente : en milieu urbain, ils tendent à une spécialisation croissante, tandis qu'en milieu rural, on recherche toujours davantage de polyvalence. Il conviendrait d'adapter les formations à cette évolution.
•
Quel est le potentiel économique des
services à la personne en milieu rural ? La « base
résidentielle » est-elle primordiale pour leur
développement ?
Frédéric Sans - D'emblée on remarque qu'en milieu rural, les deux principaux employeurs sont l'hôpital public et les collectivités locales. Dans l'hypothèse d'une injection de pouvoir d'achat au profit de leurs employés, il serait intéressant d'attribuer des CESU, qui préfinancent le recours à des services à la personne, ou d'attribuer des chèques restaurant (de la part des collectivités locales, les hôpitaux publics ayant déjà des cantines), qui débouchent également sur une demande de services locaux.
Le problème essentiel, en milieu rural, n'est pas celui de la demande, avec des personnes âgées très nombreuses, mais celui de la solvabilité.
Patrick Simon - Il existe des gisements d'emploi dans le jardinage et le débroussaillage, qui placent d'ailleurs les services à la personne en concurrence avec les entreprises du paysage qui s'organisent cependant pour qu'une partie de leur offre soit éligible aux dispositifs de soutien aux SAP. D'après l'UNEP (Union nationale des entreprises de paysage), 5 000 emplois auraient été créés dans le petit jardinage.
•
La solvabilisation publique (dépenses
fiscales et sociales) de la demande de services à la personne
atteint-elle certaines limites ? Permet-elle, au contraire, de reculer
l'échéance de prises en charge, collectives ou
médicalisées, encore plus coûteuses ?
Le principal concurrent du secteur est le travail non déclaré. L'INSEE l'estime à 30 %, taux à rapprocher de celui de l'Allemagne (50 %) et de ceux de l'Italie et de l'Espagne (probablement de l'ordre de 70 %). C'est dire l'utilité des dispositifs de solvabilisation mis en place au profit du secteur des services à la personne en France.
La FESP (Fédération des services aux particuliers) a fait une étude qui montre qu'en dépit d'une charge fiscale et sociale de 5,8 milliards d'euros (hors APA), la politique française de soutien aux services à la personne débouche sur un gain de 2,6 milliards d'euros, car elle engendre une économie de 8,4 milliards d'euros résultant de la collecte de cotisations, d'économies sur les crèches, etc...
•
Certaines innovations (économie
quaternaire...) concernant les services à la personne peuvent-elles
déboucher sur des offres propres à satisfaire des besoins
spécifiques en milieu rural ? Quelle est, et quelle pourra être la
place d'Internet et du (très) haut débit dans le
développement des services à la personne ?
Certaines innovations peuvent être porteuses. Par exemple, en Allemagne, quand un particulier cherche une femme de ménage ou une garde d'enfants, il existe un service municipal ad hoc . En France, à la demande de la FEPEM (Fédération des particuliers employeurs de France), des expériences de centres de ressources ont été menées, notamment en Seine-Saint-Denis, mais elles manquent encore de visibilité.
Autre innovation, le recours au téléphone portable pour « badger » chez les particuliers et déclencher la chaîne de facturation. Autre exemple, le GPS permet d'optimiser les trajets de livraison du commerce de gros aux petits commerces de proximité ; des logiciels semblables peuvent permettre d'optimiser les déplacements et l'emploi du temps des employés de maison, en particulier en milieu rural. On citera encore les plateformes de téléassistance (destinées à détecter les chutes, à créer du lien social, etc...) et le développement de l'hospitalisation à domicile, pour lesquelles la France est en retard pour des problèmes d'interopérabilité des systèmes.
Bien entendu, il faut demeurer vigilant quant aux problèmes que toutes ces innovations peuvent poser au regard des libertés publiques.
8. Martin Vanier, professeur de géographie et d'aménagement à l'université Joseph Fourier (Grenoble I)
12 juillet 2012
•
La périurbanisation doit-elle être
combattue ou organisée ? Quelle pourrait-être, à
l'avenir, son empreinte dans les territoires ruraux ?
Sans aucune hésitation, la périurbanisation doit être organisée plutôt que combattue. Elle répond à une tendance profonde, qui ne peut être ni contrée dans sa force, comme le montre son empreinte toujours plus forte sur le territoire, ni même réfutée dans son fondement : les ménages, comme les entreprises, sont à la recherche d'espace, de confort spatial, et ceci est universel. Mais on peut très bien choisir de combattre l'étalement urbain, tout en organisant la périurbanisation, c'est même le vrai sens de l'aménagement du territoire dans les campagnes, plutôt que d'être tenté de nier ce qui s'y passe.
[ Renée Nicoux - J'observe que les bourgs tendent à se dépeupler, au profit des toutes petites communes.]
Oui, la périurbanisation fonctionne autour de tous les pôles, y compris les plus petits. Ceci dit, pour comprendre ce qui se passe, il faut préciser qu'il existe deux définitions de la ville. La plus ancienne, la définition morphologique de l'INSEE, que nous connaissons bien, en application de laquelle 78 % des personnes vivent en ville (dans 20 % des communes) et 22 % à la campagne (dans 80 % des communes). Ces proportions sont relativement stables désormais. Mais il existe en plus, depuis 1994, une définition fonctionnelle, qui s'appuie sur les aires d'emploi. Suivant cette définition, 95 % de la population française réside dans des aires urbaines, petites, moyennes ou grandes. De ce fait, 80 % des ruraux (au premier sens de l'INSEE) sont pris dans des systèmes urbains. Là est la véritable nouveauté : les campagnes font parties du fonctionnement urbain, à toutes ses échelles.
• Remet-elle en cause nos représentations
des campagnes, ainsi que les rapports que ces dernières entretiennent
avec la ville ?
Oui, car on sort d'une époque où la campagne était exclusivement conçue comme un espace de production agricole, ce qui n'aura d'ailleurs été qu'une exclusivité passagère dans son histoire, disons dans la seconde moitié du XXème siècle productiviste. Désormais s'affirme le caractère habitable, résidentiel, des campagnes et, au fond, il est plutôt rassurant d'occuper le territoire, et par « habitable » il faut entendre l'ensemble des fonctions par lesquelles un territoire accueille des ménages, y compris son économie de services.
• La mobilité des hommes, des biens et des
services est-elle un facteur d'égalisation des conditions
territoriales ?
Parler d'égalisation des conditions territoriales n'a pas de sens pour un géographe, car les territoires existent par leurs différences de tous ordres, toujours redéfinies, et il est illusoire d'imaginer stopper cette différenciation qui est le « moteur de la géographie ». Mais la mobilité permet en effet un ajustement (plutôt qu'une égalisation), grâce à des pratiques d'accès qui s'adaptent autant que possible aux différences de conditions territoriales. Cela n'est pas nouveau, mais c'est aujourd'hui plus systématique, y compris grâce aux accès à distance, sans mobilité physique. La mobilité n'était d'ailleurs par uniquement celle de l'usager, mais aussi, à nouveau, celle du service, qui redécouvre l'itinérance.
• La gouvernance et l'architecture territoriales
sont-elles problématiques en France ? Comment pourraient-elles
évoluer ? Le législateur fait-il montre de
conservatisme ?
L'architecture territoriale de la France n'est certainement pas parfaite, mais ce qui est problématique, c'est moins la carte des territoires que l'usage qu'on en fait, par le fonctionnement des collectivités, en leur sein et entre elles, par la pratique des compétences, par l'état de la fiscalité locale, part le rapport à l'ingénierie, etc. On promet toujours de réformer la carte, mais le fonctionnement et les pratiques ? Faut-il « que tout change pour que rien ne change ? ».
Ce qu'il faudrait faire évoluer, ce sont les règles de fonctionnement des collectivités entre elles, pour faire grandir la culture de la négociation interterritoriale, sortir les territoires du syndrome du fief, renouveler l'exercice démocratique qui s'est beaucoup essoufflé. Faire bouger en permanence l'architecture n'est pas prioritaire. On a clairement un grand déficit de gouvernance, qui laisse les « gouvernements » locaux dans des fonctionnements pseudo-souverains qui ne sont plus pertinents, alors qu'il faut organiser l'interterritorialité.
Le principe de la collectivité chef-de-file, l'idée d'administration interterritoriale de mission, la coordination des compétences croisées dans des politiques publiques en réseau, dans le cadre de l'exercice par chaque niveau de sa compétence générale, et des réformes plus techniques comme celle consistant à rendre plus simple et plus souple le cadre du syndicat mixte, sont quelques-unes des pistes pour cette interterritorialité.
Quant au législateur, il sera d'autant plus enclin au conservatisme, qu'il sera juge et partie : à la fois celui qui fait les règles, au national, et celui qui les joue, au local. Il faudrait empêcher les cumuls entre deux ensembles bien distincts, l'un constituant le « bloc local » (communes, intercommunalités, départements) l'autre le « bloc global » (régions, parlement, assemblée européenne). Et, par ailleurs, par-dessus tout, limiter dans tous les cas le nombre de mandats successifs à 2. Ceci diminuerait considérablement le conservatisme, inhérent à tout système de reproduction du pouvoir.
9. Dr Patrick Romestaing, Président de la section « santé publique » et démographie médicale de l'ordre national des médecins
Jeudi 12 juillet 2012
Les travaux démographiques du conseil national de l'ordre des médecins sont réalisés à partir des données du tableau de chiffres départemental.
Actuellement, 268 072 médecins en exercice, 92 477 médecins généralistes sont en activité régulière, ce qui représente une diminution de 5 % en 5 ans.
Les projections pour les cinq ans à venir conduisent à un chiffre de 88 860 médecins généralistes.
77 départements ont vu, entre le 1 er janvier 2007 et le 1 er janvier 2012, leurs effectifs de médecins généralistes diminuer, alors que 13 l'ont vu augmenter et 6 stagner.
55,7 % des médecins exercent en activité libérale (contre 60,3 en 2007), 34,2 % sont salariés (contre 31,8 % en 2007) et 6 % ont une activité mixte (contre 6,5 %en 2007).
Dans 44 départements, la part des médecins généralistes libéraux sur l'ensemble des généralistes à l'échelle départementale est supérieure à la moyenne ; cette part est inférieure dans 34 départements, et égale dans 18.
De 2007 à 2012, les effectifs de médecins généralistes en exercice libéral ont diminué dans 84 départements de France métropolitaine, pour augmenter dans 10.
Enfin, l'activité salariée a augmenté de 2,5 % sur les 5 dernières années et l'on attend une diminution de 5,5 % de la médecine libérale au cours des 5 ans à venir.
Ces données traduisent la tendance des jeunes médecins à se diriger vers l'activité salariée ainsi qu'un relatif désintérêt, non seulement pour l'exercice libéral, mais aussi pour la médecine générale.
Ces évolutions peuvent être vérifiées sur plusieurs départements.
Ainsi, dans la Creuse, l'exercice libéral a diminué de 34,2 % au cours des 5 ans passés ; on s'attend à une nouvelle diminution de 29,1 % dans les 5 prochaines années. Les chiffres respectifs sont, pour le Jura, de - 1,4 % et - 0,9 %, pour les Côtes d'Armor, de - 4,2 % et - 3,5 % ; pour le Rhône de - 4,1 % et - 3,4 %, pour Paris, de - 12,7 % et - 10,7 %.
Les zones rurales ne sont donc pas les seuls territoires à recenser des déserts médicaux.
Ces chiffres peuvent être corrélés avec la moyenne d'âge des praticiens afin d'identifier d'éventuels besoins selon les zones géographiques. Elle est de 53 ans sur l'ensemble du territoire ; 52 départements dépassent cette moyenne, et 38 sont en dessous.
De ce point de vue, les départements potentiellement en danger sont ceux dont une forte proportion de généralistes dépasse 60 ans, ce qui est le cas, entre autres, des Côtes d'Armor (29,8 %), de la Creuse (31,6 %) et de Paris (35,6 %).
D'après l'analyse ordinale, 39 départements bénéficient d'une forte densité de médecins généralistes libéraux et mixtes, 17 se caractérisent par une densité moyenne et 40 présentent la particularité d'avoir une densité faible. A l'échelle des 2 215 bassins de vie, on recense 808 bassins de vie en densité forte, 159 en densité moyenne et 1247 en densité faible (1 bassin de vie ne dispose d'aucun médecin généraliste libéral ou mixte).
L'aspect financier n'est donc pas un déterminant important de l'installation.
Parmi les 927 médecins qui ont décroché prématurément leur plaque au cours de l'année 2011, la moyenne d'âge est de 49 ans. Les hommes représentent 54 % des effectifs et les femmes, 46 %. La féminisation du corps médical n'a pas d'influence sur l'offre de soins.
62,7 % des médecins ayant décroché leur plaque deviennent médecins salariés, 35,9 % effectuent des remplacements. Les raisons répertoriées sont : un travail trop lourd, des charges financières trop importantes, des charges administratives trop envahissantes.
En ce qui concerne les attentes des jeunes médecins nouvellement inscrits (53 % de femmes) et qui choisissent l'exercice libéral (79,2 % exercent la médecine générale), les motivations avancées pour pratiquer en secteur libre sont l'indépendance, le contact privilégié avec la patientèle et la gestion du temps.
A noter les possibilités de stage en milieu rural suscitent des installations dans les régions où elles existent.
La coercition est la dernière mesure à prendre pour résoudre le problème des déserts médicaux. Il faut agir avant tout sur les conditions d'exercice et sur la formation, en particulier favoriser la découverte et les conditions des modes d'exercice en dehors de l'hôpital. Les jeunes ne veulent pas travailler seuls, il faut créer la possibilité de médecins collaborateurs, favoriser les maisons de santé pluriprofessionnelles, la mixité des rémunérations peut-être, créer une profession d'aide aux tâches administratives.
10. Julien Vert, chef du bureau prospective du ministère de l'agriculture, et Céline Laisney, chargée de mission au centre d'études et de prospective du ministère
Jeudi 19 juillet 2012
Présentation de trois exercices :
- « L'agriculture face au défi énergétique à l'horizon 2030 » ;
- « Le monde agricole en tendances. Un portrait social prospectif des agriculteurs » ;
- « Agriculture Forêt Climat : vers des stratégies d'adaptation ».
- Défi énergétique ( Julien Vert )
• Présentation générale de
l'exercice « L'agriculture face au défi énergétique
à l'horizon 2030 »
L'évolution du contexte énergétique global est incertaine à moyen terme et les capacités d'adaptation du secteur agricole seront stratégiques pour le maintien d'une agriculture performante et durable. Les exploitations agricoles sont en effet dépendantes des sources extérieures d'approvisionnement en énergie mais aussi d'énergies indirectes à travers les engrais minéraux et les tourteaux importés pour l'alimentation animale.
En outre, l'agriculture est en mesure de participer aux objectifs nationaux de lutte contre le réchauffement climatique en produisant des énergies renouvelables et en séquestrant du carbone dans les sols. La prospective « Agriculture Énergie 2030 » présente un diagnostic des liens entre l'agriculture et l'énergie en France, puis propose quatre scénarios prospectifs décrivant les évolutions probables dans différents contextes énergétiques à l'horizon 2030.
Dans le scénario 1 « Territorialisation et sobriété face à la crise », une importante crise énergétique mondiale frappe l'agriculture, simultanément à une rupture institutionnelle forte en France. Des stratégies territoriales hétérogènes, basées sur l'autonomie et la sobriété, se mettent en place en réponse à la crise. Le scénario 2 « Agriculture duale et réalisme énergétique » envisage une libéralisation poussée des échanges, une baisse des soutiens publics à l'agriculture et un recentrage sur la rémunération des biens publics fournis par les activités agricoles. Deux types d'agriculture coexistent en 2030, d'une part, une « agriculture d'entreprise » située principalement dans les régions de plaines du nord, du centre et de l'ouest, d'autre part, une « agriculture multifonctionnelle » composée d'exploitations diversifiant leur activité et bénéficiant de la rémunération des services environnementaux qu'elles rendent (eau, biodiversité, paysage, stockage du carbone). Dans le scénario 3 « Agriculture-santé sans contrainte énergétique forte », les exigences des consommateurs en matière de santé guident l'agriculture vers un modèle de production intégrée, visant avant tout la réduction des pesticides. Dans le scénario 4 « Agriculture écologique et maîtrise de l'énergie », les effets du réchauffement climatique et les turbulences sur le marché du pétrole font l'effet d'alertes et conduisent à un large mouvement de transition écologique.
• L'augmentation du coût de
l'énergie (qui entraîne aussi une augmentation du coût des
intrants) est-il de nature à favoriser les circuits courts et
l'agriculture biologique ?
Dans le scénario 1, appuyés par les Conseils régionaux, les circuits courts s'organisent et se multiplient, ce qui garantit des débouchés variés et permet dans une certaine mesure les reconversions et installations. Dans le scénario 2, les circuits courts d'approvisionnement se développent modérément, avec d'une part des consommateurs dans les pôles urbains et d'autre part des contrats avec les collectivités locales pour la restauration collective (cantines scolaires, hôpitaux). La viabilité de ces exploitations de taille moyenne est parfois délicate et nécessite des soutiens sur des enjeux tels que l'agro-tourisme, la conversion à l'agriculture biologique, la commercialisation, etc.
Les nombreuses recherches en cours sur le développement des circuits courts de commercialisation des produits agricoles ne devraient pas négliger l'aspect énergétique.
• Quel est le potentiel des biocarburants
à moyen et long terme ?
En 2009, les biocarburants, le biogaz et la valorisation des résidus agricoles représentaient près de 50 % des énergies renouvelables hors bois et hydraulique. Cette production est amenée à s'intensifier car la France vise un doublement de la production d'énergie à base de biomasse à l'horizon 2020, porté par le bois-énergie, la cogénération (chaleur-électricité) et la production de biocarburants. Le développement des énergies renouvelables est ainsi bien amorcé et l'agriculture est particulièrement sollicitée pour la production de biocarburants, mais diverses incertitudes subsistent encore, en particulier d'ordres technologique, environnemental et politique. Le faible intérêt environnemental de certaines filières de biocarburants reste une limite forte à leur développement.
Le volume de production dépend partiellement du rapport de prix entre matières premières agricoles et pétrole, et ce volume est en retour susceptible de modifier les prix agricoles sur les marchés internationaux.
Plusieurs facteurs laissent penser que la production de biogaz et la méthanisation pourraient fortement s'étendre à l'avenir. En Allemagne, la production de biogaz est ainsi 8 fois plus importante qu'en France, avec une forte part de biogaz agricole produite à la ferme (plus de 4 000 unités représentant 71 % de la production). Les politiques de développement et de soutien de la méthanisation en Allemagne et en France ne sont cependant pas comparables, et expliquent les écarts entre ces deux pays. En termes de potentiel, la quantité totale de déjections animales en France (fumier, lisier, fientes) dépasse 20 millions de tonnes de matière sèche. La productivité étant de l'ordre de 200 à 250 m3 de méthane par tonne de matière sèche, le potentiel énergétique est de l'ordre de 4 à 5 Mtep, soit un quart de l'objectif de production d'énergies renouvelables français à l'horizon 2020
Les effets des biocarburants sur les prix alimentaires restent une question controversé, et les impacts environnementaux de ces cultures énergétiques constituent une limite forte. Si la perspective de nouvelles activités et de nouveaux débouchés économiques conforte l'attitude entrepreneuriale d'une partie des agriculteurs, l'attachement à la fourniture quasi exclusive de biens alimentaires est prégnant pour d'autres. Une partie de ces contraintes pourrait être levée avec les biocarburants de 2nde génération.
- Portrait social ( Céline Laisney )
• Présentation générale de
l'exercice « Le monde agricole en tendances : un portrait social
prospectif de agriculteurs »
Cet exercice ne débouche pas sur une scénarisation, mais sur une analyse des tendances qu'on s'est contenté de prolonger. Les tendances significatives peuvent être examinées sous l'angle des rubriques suivantes :
- Démographie agricole : tendance à la baisse, mais différenciée selon le type d'actifs ...
- ... et partiellement compensée par un recours croissant à la main-d'oeuvre salariée extérieure
- Un vieillissement des chefs d'exploitation
Les contrastes régionaux sont importants avec un vieillissement marqué dans le bassin parisien et sur le pourtour méditerranéen.
- Une féminisation de la profession agricole
- Une concentration et une spécialisation des bassins de production, particulièrement dans l'Ouest
- Des installations aidées et non aidées
Le taux de viabilité est à peu près le même pour les deux types d'exploitation.
- Une diversification des origines sociales
- Un taux de maintien exceptionnellement élevé dans l'activité, une montée de la forme sociétaire
- Une augmentation du niveau de formation des agriculteurs
- Des limites environnementales prégnantes liées aux émissions de gaz à effet de serre, aux surplus azotés, aux pesticides, à la consommation d'eau, aux paysages, à la biodiversité, etc.
- Une dynamique de sortie qui augure d'une plus grande fluidité des parcours
- Des conditions de travail encore très spécifiques , avec une pénibilité intrinsèquement très forte, quoique moindre qu'avant ; les attentes (disponibilité, vacances, etc.) tendent à se rapprocher de celles du reste de la population.
Par ailleurs, des inflexions sont possibles concernant les tendances qui précèdent :
* *
*
La « céréalisation » de la « ferme France » est une tendance lourde . Elle procède d'un abandon progressif des productions animales Elle s'explique entre autres par le cours élevé des céréales, la répartition actuelle des aides de la PAC et par la pénibilité relative de l'élevage.
• Que peut-on anticiper des évolutions
lourdes de la PAC, et avec quelles conséquences sur la nature des
productions, les revenus, le métier et son
attractivité ?
Les inflexions de la PAC ont une incidence décisive.
- Changement climatique ( Julien Vert )
• Présentation générale de
l'exercice en cours
Un exercice intitulé « Agriculture-forêts-climat » est en cours de réalisation. Il se base sur 14 études de cas disséminées sur le territoire et un travail de simulation conduit avec des agronomes et Météo-France.
• En retenant une hypothèse centrale, et
une hypothèse haute de réchauffement, que pourra-t-on cultiver et
élever en France à l'horizon de 2040 ?
Au Sud :
Une sècheresse plus intense est prévisible. La zone méditerranéenne, qui se caractérise notamment par des systèmes adaptés de longue date aux conditions sèches, s'adapterait plus facilement que le Sud-Ouest, qui connaitrait de vraies difficultés liées à la disponibilité en eau pour l'irrigation. Se poserait aussi assez largement le problème de la typicité des vignobles car il faudra probablement renoncer aux cépages traditionnels.
Au Nord :
Le réchauffement apporterait plutôt des opportunités, avec la possibilité de cultiver du maïs-grain ou de raccourcir le cycle de production des céréales par exemple, à condition que la disponibilité en eau ne soit pas limitante.
Par ailleurs, de nombreuses forêts risqueraient de dépérir, notamment à la suite d'épisodes de sècheresse, auxquels les arbres sont particulièrement vulnérables, ou à la suite de tempêtes, si ces dernières devaient être plus fortes ou plus fréquentes. Il est encore judicieux de miser sur les essences en place lorsqu'elles ont des durées de rotation courte (Douglas ou pin maritime par exemple), car les effets du changement climatique mettront du temps à se faire sentir. En revanche, il y a une vraie difficulté pour les essences comme le chêne ou le hêtre, dont la maturité survient après 100 ans. Ces horizons ne seront-ils pas trop éloignés pour décider les acteurs à prendre les mesures qui s'imposent ?
[ Gérard Bailly - Quid de l'ouverture à la concurrence ? Quelles peuvent-être les perspectives économiques si l'on produit, ailleurs, moins cher, ce qu'on produit en France ?]
L'ouverture à la concurrence a été volontaire, avec une baisse des droits de douane en Europe. Mais ce choix politique pourrait aussi bien être remis en cause, ou a minima freiné. On peut également s'attacher à valoriser les caractéristiques non délocalisables des productions locales (circuits courts, terroir, production de qualité, etc.).
11. Antoine Darodes, directeur de la régulation des marchés haut/très haut débit et des relations avec les collectivités territoriales à l'ARCEP103 ( * ) et Jérôme Coutant, membre du collège
19 juillet 2012
•
A quelle échéance peut-on
pronostiquer la généralisation d'un haut débit
« efficace » à l'ensemble du territoire ?
•
Le faible développement du
télétravail en France est-il culturel ou peut-il être
rapproché de débits parfois insuffisants dans les territoires
ruraux ?
•
La crise actuelle remet-elle en cause
l'objectif volontariste d'une couverture intégrale en 2025 ? Quoi
qu'il en soit, à l'horizon de 2030-2040, l'accès de l'ensemble du
territoire au très haut débit (quelles que soient les techniques
employées) vous paraît-il inéluctable ?
Jérôme Coutant - D'abord, je veux rappeler que l'ARCEP se préoccupe autant des territoires ruraux que des zones urbaines, non pas parce que le Parlement nous l'a demandé, mais parce que l'ARCEP a la conviction que les territoires ruraux français ont un potentiel considérable, unique en Europe, qui ne demande qu'à être révélé par le numérique. Au cours de la décennie 2010/2020, tout ce qui sera connecté pourra révéler son potentiel, se transformer, tirer parti des ressources numériques mondiales et des 3 milliards d'individus ou entreprises également connectées. C'est vrai pour les individus, pour les TPE, pour les agriculteurs, les éleveurs et les forestiers, ou pour les professionnels du tourisme. Dans ce monde multiconnecté qui émerge, les réseaux de nouvelle génération vont déverrouiller l'accès et permettre de créer de la valeur de façon totalement dissociée de l'implantation géographique. Tous les pays à faible densité, en Afrique, en Europe de l'Est ou en Amérique du Sud l'ont compris et il ne faut pas que nous perdions de temps en France car la course à la connexion est mondiale.
Dans ce débat, il faut aussi rappeler que la notion d'accès Internet efficace est une cible mouvante parce que les technologies, les usages et les besoins en bande passante, évoluent. Ce qu'il faut souligner, c'est que l'Etat a changé de posture sur l'aménagement numérique : il a compris qu'on ne peut pas s'en remettre uniquement au marché pour assurer à tous les Français un accès Internet fixe et mobile efficace ; il a compris qu'il doit fixer un cap, organiser les rôles dans un marché libéralisé et accompagner les acteurs pour faciliter leur investissement et leur engagement. Le cap politique précédent du très haut débit pour tous avait été fixé à 2025, il vient d'être ramené à 2022, soit un horizon de 10 ans. Ce cap comporte aussi une échéance à plus court terme pour qu'il y ait du haut débit performant partout, en particulier dans les territoires les plus ruraux. Car c'est bien dans l'espace rural que la topographie du réseau téléphonique n'a pas permis d'installer l'ADSL et le dégroupage 104 ( * ) et que de nombreux départements ont choisi de ne pas intervenir, souvent sur les conseils de France Télécom.
Depuis fin 2010, le cadre réglementaire de tout ceci, c'est-à-dire du déploiement de la fibre à l'abonné (FttH 105 ( * ) ) et de la montée en débit 106 ( * ) sur le réseau cuivre, a été finalisé par l'ARCEP. En ce qui concerne le FttH, les opérateurs privés ont accéléré leurs déploiements dans les zones urbaines très denses, en mutualisant la boucle locale et leurs investissements, comme le Parlement l'a souhaité et comme l'ARCEP l'a organisé.
Ailleurs, particulièrement dans les territoires ruraux, les déploiements FttH à l'initiative des collectivités sont encore modestes et bien souvent les projets locaux de montée en débit ne sont pas coordonnés au niveau départemental ou régional. Cela tient au fait que les collectivités sont confrontés à plusieurs facteurs d'incertitude : manque de visibilité sur les financements de l'Etat et de l'Europe sur les 10 ans à venir, incertitude sur le périmètre réel de déploiement des opérateurs et sur leur volonté de co-investir rapidement sur les RIP, et enfin complexité juridique, technique et opérationnelle de ces réseaux. Il y a donc toujours un risque de fracture numérique important pour les territoires ruraux par manque de cadrage national.
Antoine Darodes - ce manque de visibilité des collectivités induit un paradoxe sur lequel il faut insister : même dans les réseaux d'initiative publique (RIP) en cours, les collectivités territoriales ont tendance à privilégier les déploiements dans les centres bourgs dans un souci d'équilibre économique de leur projet, faute de visibilité sur les financements de l'Etat dans la durée. Cela peut se comprendre dans les circonstances actuelles, mais cela revient à améliorer les lignes bénéficiant d'un débit déjà convenable en délaissant celles où le débit est faible, ce qui est vraiment paradoxal venant des collectivités. Pour éviter cette fracture, il est impératif que le cadrage national encourage la construction prioritaire, ou au moins concomitante, des prises les plus chères parallèlement à l'installation des prises urbaines.
De plus, l'approche réaliste et prudente des collectivités ne garantit pas l'équilibre à long terme des projets d'initiative publique, qui sont pourtant indispensables. En effet, les collectivités n'ont aucune visibilité de la part des opérateurs sur leurs projets d'évolution technologique sur les zones d'intervention publique, comme le VDSL 107 ( * ) , projets qui pourrait venir concurrencer frontalement les prises fibre installées dans le cadre des RIP et déstabiliser l'ensemble du projet public.
Autant cette transparence des opérateurs privés va devenir indispensable pour que les collectivités puissent avancer, autant les collectivités territoriales ont intérêt à bien réfléchir avant de déployer un RIP sur un périmètre d'intervention privée avérée, car les opérateurs ne voudront pas co-investir sur un réseau qui doublonne le leur.
Jérôme Coutant - Pour toutes ces raisons, un cadrage national plus fort est indispensable, pour mieux accompagner l'action publique et privée visant à lutter contre la fracture numérique, car celle-ci frappera surtout les territoires ruraux. Mais l'action publique opérationnelle doit rester décentralisée, car ce sont les collectivités locales qui connaissent le mieux leur territoire et leurs priorités et elles sont parfaitement légitimes à agir dans ce domaine.
En particulier, les SDTAN 108 ( * ) pourraient jouer un rôle plus important, avec un suivi dans le temps des déploiements des opérateurs dans les zones d'investissement privé, avec la prise en compte des projets de déploiement dans d'autres technologies, comme le VDSL ou la 4G. L'autre objectif des SDTAN, qu'il faut renforcer, est de bien coordonner les différents projets publics sur un même territoire, notamment les projets de montée en débit à l'initiative des communes ou des EPCI. La notion de chef de file pourrait être renforcée par la loi.
Antoine Darodes - Dans ce contexte, s'il n'y a pas une priorisation forte des territoires ruraux, ils seront servis les derniers. La principale variable d'ajustement est le financement public de long terme, en particulier de l'Etat, car ce sont des projets d'infrastructures à rentabilité longue. Cet apport de financement pourrait se faire non seulement sous forme de subventions d'investissements, en conformité avec les règles européennes en matière d'aide d'Etat, mais aussi sous forme de prêts à long terme, pour lesquels de nombreux fonds d'infrastructures ont manifesté de l'intérêt.
Une autre question très importante qui se pose est celle de la formation. Chaque projet mobilisant de très nombreux emplois qualifiés, d'ailleurs non délocalisables, un risque de pénurie de main-d'oeuvre pourrait se manifester d'ici quelques mois, surtout si le rythme de déploiement venait à s'accélérer comme le souhaitent l'ARCEP et le Gouvernement.
[ Gérard Bailly - Une desserte par voie aérienne est-elle envisageable ?]
Jérôme Coutant - Pour l'hertzien, les licences WiMAX attribuées en 2005 au niveau régional avaient en effet pour objectif la couverture hertzienne des zones blanches du haut débit. Depuis le retrait du projet national de TDF, les déploiements sont essentiellement le fait des collectivités dans le cadre de leur réseau d'initiative publique. L'ARCEP veille ainsi à ce que les collectivités qui utilisent des fréquences WiMAX aient accès à des ressources supplémentaires de la part d'opérateurs qui ne tiennent pas leurs engagements de déploiement.
Quant à la 4G, elle comporte des promesses très encourageantes notamment parce que l'accès Internet en situation de mobilité correspond à un réel besoin. Afin d'éviter une fracture numérique sur la 4G, l'ARCEP, avec le soutien du Parlement, a fixé aux opérateurs un calendrier de déploiement plus rapide sur les zones les moins denses du territoire, précisément là où la 3G n'était pas encore déployée en 2009, que sur les zones les plus denses. C'est un changement très structurant de méthode qui montre bien le niveau de priorité que le régulateur accorde à la couverture des territoires ruraux. Cette couverture très haut débit mobile des communes rurales s'accompagnera nécessairement d'un maillage en fibre optique pour collecter les points hauts, ce qui occasionnera un dialogue étroit avec les collectivités. C'est d'ailleurs un sujet sur lequel l'ARCEP recommande que la concertation et la transparence s'effectue dans le cadre des schémas directeurs numériques.
[ Gérard Bailly - Concernant la téléphonie mobile, il existe encore quelques zones blanches....]
Jérôme Coutant - ... ainsi que de nombreuses zones grises, celles où seul un opérateur, parfois deux, couvre la zone. L'ARCEP est bien consciente du problème, qui tient à la réticence des opérateurs à mutualiser leurs points hauts, dans une logique de concurrence par l'investissement. Seul le Parlement avait le pouvoir de mettre fin à cette course à la redondance des infrastructures dans les territoires ruraux. C'est ce qui a été fait pour le plan zones blanches de 2003, mais les opérateurs ont refusé, pour la 3G, d'étendre le principe de la mutualisation aux zones grises, qui concernent de l'ordre de 5000 communes.
L'attribution des fréquences 4G a donc été l'opportunité pour l'ARCEP de s'attaquer sérieusement à ce problème des zones grises, en fixant des objectifs de couverture très élevés - 99,6 % de la population nationale, 95% minimum de la population de chaque département - et en créant une obligation à faire droit à toute demande « raisonnable » de mutualisation. Les discussions semblent bien avancer car les opérateurs ont compris qu'ils y avaient intérêt, particulièrement depuis l'arrivée de Free mobile. Les opérateurs historiques cherchent en effet à conserver une avance en déployant rapidement la 4G. Ces opérateurs ont d'ailleurs fait de nombreuses annonces en ce sens.
•
Quelles avancées accompagneront le haut
débit généralisé, puis le très haut
débit dans les territoires ruraux ? Avec quelles
conséquences probables pour l'installation des particuliers
(télétravail, télésanté,
télé-éducation sociabilités
électroniques...), des entreprises et des administrations ?
Jérôme Coutant - Cette question est fondamentale et je l'ai abordée d'emblée. Le très haut débit fixe et mobile dans les territoires ruraux va ouvrir de nouvelles opportunités d'innovation dans les services numériques résidentiels ou professionnels. L'ubiquité et la symétrie de l'accès va transformer la santé, l'éducation, le travail, les loisirs, la création artistique, etc. Il n'y a aucune limite.
Bien entendu la possibilité de travailler une partie de la semaine à distance va devenir un argument de marketing territorial, et en même temps un révélateur de potentiel pour les territoires ruraux. Il faut faire confiance à la capacité d'innovation du secteur numérique, mais cela ne veut pas dire que les collectivités ne doivent pas s'y intéresser. Elles peuvent faciliter l'émergence de nouveaux services. Devenir un territoire numérique, c'est aussi se poser la question des services au public. Certains départements ou régions ont entamé des réflexions de type schéma directeur sur le développement des services numériques. C'est aussi une façon de sensibiliser les élus et de former des équipes dans ce domaine.
12. Christophe Saintillan, directeur des infrastructures de transport à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer
19 juillet 2012
La direction des infrastructures de transport a compétence sur les infrastructures terrestres et assure la tutelle de RFF et des voies navigables.
On ne peut concevoir une infrastructure sans s'interroger sur sa finalité : les besoins de déplacement.
Le lien entre les infrastructures et le développement économique est une question difficile et controversée.
Le bilan LOTI 109 ( * ) de l'autoroute A 84 s'inscrit dans le constat que les autoroutes accélèrent les tendances, soit elles encouragent le développement existant, soit elles accentuent la tendance au repli. L'autoroute élargit la zone de chalandise des infrastructures, elle met les entreprises existantes en concurrence, ce qui peut avoir un effet brutal sur elle ou être un facteur d'accélération de leur croissance. Pour les habitants, l'infrastructure rend possible l'accès à plus d'emploi et de services. Ainsi une infrastructure de transports favorise l'attractivité des territoires en facilitant les échanges, mais avec un effet d'accélération des tendances. C'est la conclusion du bilan LOTI de l'A 84.
En ce qui concerne les temps de déplacement, une constante semble se dégager : les Français disposent d'un budget temps moyen de 20 mn par jour. L'amélioration des infrastructures permet de faire plus de choses à l'intérieur de ce budget temps, avec éventuellement un effet de spécialisation des espaces. C'est ainsi que le quartier de la gare de Vendôme attire des gens qui travaillent à Paris dans la zone de Montparnasse. On constate une spécialisation travail d'un côté, cadre de vie de l'autre, et on n'a pas constaté un développement économique significatif à Vendôme.
Cependant, un tel modèle de développement de cette région pose une question de dépendance vis à vis de Paris. En effet, ce modèle est dépendant aux horaires des trains qui doivent rester compatibles avec ceux de travail. De plus, les personnes qui ont choisi un tel mode de vie consacrent un certain budget transport qui va dépendre de la politique commerciale de la SNCF qui peut évoluer.
Par ailleurs, concernant la question sur le lien avec le coût des transports, les observations récentes semblent montrer qu'à court terme, les Français sont plus sensibles à l'augmentation des prix des carburants qu'à leur niveau absolu. Ainsi, quand les prix se stabilisent même à un niveau supérieur qu'auparavant, on constate une reprise du trafic.
À plus long terme, en revanche, les évolutions peuvent être plus importantes ne serait-ce que parce que les ménages ont un plus grand nombre d'alternatives : changement de véhicule voire déménagement ...
D'une manière générale, on peut considérer que le budget temporel des ménages et la part de leur budget consacré aux transports figurent parmi les principales variables explicatives de l'économie des transports et, par voie de conséquence, sont des paramètres déterminants dans la justification des infrastructures.
La France a un réseau routier très dense : 1 million de km, l'Etat étant responsable de 2% du linéaire, les départements de 40% et les communes du reste.
Un certain nombre d'axes structurants au niveau national jouent aussi un rôle local. En ce qui concerne les choix d'implantation, plus la décision est locale, plus elle est proche des besoins, pour autant, il faut une cohérence nationale, ce qui implique une certaine coordination des gestionnaires. Dans ce souci de cohérence, l'Etat dispose de quelques instruments de gouvernance :
- le comité des maîtres d'ouvrage routiers, qui oriente les activités des services techniques centraux concernant la production et la diffusion de l'état de l'art, le développement de compétences particulières et l'activité de normalisation, ainsi que l'animation de la communauté technique, et est co-présidé par le directeur général des infrastructures de transport et de la mer (DGITM) et un représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF) ;
- la planification des infrastructures de transport à l'échelle nationale.
[ Mme Nicoux - Je rappelle le lien existant entre les infrastructures et le développement de terrain : pour revitaliser un territoire, il faut faire passer les camions... faute de quoi il y a risque de désertification croissante. Les axes transversaux, ferroviaires et autoroutes - sont en nombre insuffisant.]
Le budget temps moyen est de 20 mn. Les infrastructures sont nécessaires mais pas suffisantes, comme le montre l'exemple de l'A 84.
[ Mme Nicoux - j'observe que les 2x2 voies n'ont pas le même effet d'irrigation que les autoroutes.]
La question qui se pose pour les territoires très ruraux, est de savoir quel est le bon instrument pour répondre aux besoins de déplacements. D'une manière générale, on peut considérer que les infrastructures de transport sont organisées de manière structurée avec des grandes infrastructures dont la portée est européenne ou nationale et des infrastructures de moindre ampleur pour l'irrigation fine des territoires.
Ainsi, le train est normalement une réponse à des déplacements qui peuvent être massifiés sur un même itinéraire. Le périmètre d'action d'une gare de TGV peut être estimé à 1 km dans une agglomération. Pour diffuser plus largement les effets de ce TGV, il paraît utile de l'articuler avec un système de transports urbains.
En milieu très rural, la réponse aux besoins de déplacements mérite sans doute de combiner les infrastructures pour tenir compte à la fois des soucis d'aménagement du territoire et d'irrigation fine du territoire. Et au-delà de la question des infrastructures, il faut sans doute s'interroger sur les services de transport à y développer (bus, car voire services à la demande).
[ Gérard Bailly - j'observe que le SNIT est trop axé sur le niveau des populations, approches très insuffisante si l'on veut que les campagnes vivent. On regarde ce qui existe, pas ce qu'il faut amener.]
Je rappelle que la notion d'aménagement du territoire est bien présente dans le projet de SNIT, qui va être réexaminé par le nouveau Gouvernement.
D'une manière générale, il faut arriver à concilier un certain nombre de contraintes au sein d'un budget nécessairement limité. De plus, une forte densité de population permet de drainer un trafic plus important lequel est un élément fort de justification de l'utilité publique d'un projet dans le droit français (théorie du bilan) sans laquelle aucun projet ne peut être réalisé.
[ Renée Nicoux - il n'est pas utile de construire des autoroutes partout, en revanche la desserte ferroviaire doit être plus serrée afin de favoriser l'attractivité des territoires.]
Concernant le mode de transport adapté aux besoins d'un territoire, il faut tenir compte d'un ensemble de facteurs en termes d'économie des transports mais aussi de volonté d'aménagement des territoires ou d'équité du développement. D'un certain point de vue, la route révèle rapidement le trafic possible puisqu'elle consiste à offrir aux automobilistes et aux transporteurs une infrastructure librement disponible. Pour le train, la situation est un peu plus complexe car l'infrastructure n'est pas une fin en soi. Il faut qu'une offre de transport l'utilise. Il convient à cet égard de rappeler qu'une grande partie du trafic est conventionnée, par exemple pour les TER, et qu'en conséquence, c'est la conjonction des infrastructures et du service offert par l'autorité organisatrice du transport qui sera perçue par les usagers.
[ Renée Nicoux - on mise sur le TGV au détriment de l'irrigation du territoire.]
Comme indiqué il y a une certaine complémentarité entre les différentes missions des trains. Mais il faut aussi tenir compte sur les voies ferrées de l'ampleur du travail de remise à niveau qu'il convient de réaliser après près de trois décennies de sous investissement sur notre réseau.
13. Magali Talandier, maître de conférences (développement territorial, développement rural) à l'université Joseph Fourier (Grenoble I)
Jeudi 19 juillet 2012
• Quels sont les modèles de
développement territorial en milieu rural ? Quel usage en est-il
fait ? La base résidentielle et la base productive font-elles
l'objet d'une réflexion stratégique dans les territoires
?
La question centrale est celle de l'avenir des espaces ruraux à l'heure de la métropolisation. Il est un fait que les métropoles tirent la croissance européenne. Pourtant, ce qui se passe dans les espaces ruraux va à l'encontre des discours sur les métropoles seules championnes du développement. Le dynamisme des zones rurales, qui est avéré depuis 30 ans, n'est véritablement perçu que depuis une dizaine d'années. Dans les zones rurales, la population augmente, le logement progresse ainsi que les emplois (même si l'emploi industriel décroît), les revenus croissent...
Il n'y a aucune raison pour que cette dynamique cesse brusquement. Les moteurs de cette tendance sont l'augmentation du temps libre à l'échelle de la vie et l'aspiration à un certain cadre de vie. L'augmentation générale du niveau de vie a eu un effet ambivalent car elle favorise les résidences secondaires, la birésidence de ménages retraités ou actifs aisés dans certaines campagnes mais il est tout aussi exact que les campagnes attirent également des personnes moins aisées pour des questions de coût de l'immobilier.
J'ajoute que cette croissance ne se fait pas seulement dans le sillage d'un desserrement urbain. Parmi les néoruraux, la moitié ont parcouru plus de 200 kms, ce qui prouve qu'ils ont quitté leur cadre de vie urbain habituel et décidé de changer radicalement de milieu.
Ces néoruraux sont à 40 % des retraités, mais cela signifie qu'il reste tout de même 60 % d'actifs ou autres.
• De votre point de vue, la « base
résidentielle » devient-elle prépondérante pour
le développement des territoires ruraux ? La recherche du
développement local peut-elle s'avérer contre-productive au
niveau national (allocation sous-optimale des moyens, conflits d'usage
retardant ou empêchant certains aménagements privés ou
publics) ?
Pourquoi le dynamisme rural, en dépit des handicaps inhérents aux campagnes ?
La base économique d'un territoire est composée de la base productive privée, de la base résidentielle (retraites, dépenses de tourisme et salaires des « navetteurs »), de la base publique (revenus des fonctionnaires) et d'une base sanitaire et sociale (revenus de transfert).
En France, plus de 40 % des revenus distribués ressortissent à la base résidentielle (plus de 20% pour les seules retraites) et moins de 25% proviennent de la base productive.
Dans les espaces ruraux, la base résidentielle représente 62 % (25 % pour les retraites, 20 % issus du tourisme et 17 % des « navetteurs »), la base productive 14 %, la base publique 5 % et la base sanitaire et sociale, 20 %.
Cette économie résidentielle a des vertus incontestables pour ces espaces puisqu'elle crée de l'activité et des emplois. Mais elle comporte aussi des limites :
- les territoires concernés sont souvent très inégalitaires. On note un poids important d'emplois précaires et à temps partiel (bien que les secteurs des services à la personne et autres champs de prédilection de l'ESS soient en train de monter en gamme).
- cette économie repose sur la mobilité des individus, et elle est donc sensible au coût des transports et de l'énergie ;
- le tourisme constitue une ressource instable à long terme ;
- certains dégâts environnementaux sont à souligner.
En outre, si tous les territoires misaient sur la base résidentielle, il en résulterait un jeu à somme négative pour la France, car les activités véritablement productives et exportatrices ne seraient pas encouragées.
Il faut donc jouer à la fois sur la base productive et sur la base résidentielle pour garantir un développement équilibré et durable, aussi bien localement qu'à l'échelle de la France. Pourtant, au niveau local, les stratégies se multiplient pour accompagner exclusivement la croissance de l'économie résidentielle, ce qui en période crise économique comme nous le vivons est certes compréhensibles, mais extrêmement dangereux.
A noter que la réforme de la taxe professionnelle n'est pas de nature à corriger la tendance des territoires non métropolitains à privilégier la base résidentielle.
Il existe, au fond, trois enjeux pour les territoires :
- la création de richesses ;
- la captation des richesses ;
- la circulation des richesses.
[ Renée Nicoux - L'attractivité des territoires dépend-elle de la présence des services ? ]
Des travaux récents que j'ai réalise soulignent une indéniable attractivité des services auprès des nouveaux arrivants et notamment de ce que l'on appelle les néoruraux.
Pour ce qui concerne la mobilité, il faut « remettre de la centralité » dans les campagnes au niveau des bourgs et organiser les transports en fonction.
• Quels sont les atouts spécifiques des
territoires ruraux en matière d'attractivité économique,
et quels y sont les principaux freins à l'implantation
d'entreprises ?
Il existe, dans le Limousin, une politique spécifique d'accueil dans le territoire dont l'impact est favorable. Cette démarche est exemplaire.
• Comment définir et orienter une
stratégie industrielle qui préserve, sinon renforce,
l'activité dans les territoires ruraux ? Au niveau local, la
gouvernance et l'architecture territoriales vous paraissent-elles
problématiques en France ? Comment pourraient-elles
évoluer ? L'intercommunalité recèle-t-elle encore un
potentiel important pour le développement local ?
Il faut penser en termes de complémentarité et non en termes de concurrence. Il existe des dynamiques d'entreprise, d'artisanat dans les espaces ruraux, qui sont liés au cadre de vie, à la disponibilité de matières premières ou à l'existence de savoir-faire locaux. Il faut accompagner et encourager ces initiatives et cette économie locale qui est ancrée dans les territoires... Certes ces activités peuvent apparaître comme une économie de niche, mais se révèlent fort structurantes pour le rural.
[ Gérard Bailly - Quid de l'intercommunalité ? ]
Il existe des niveaux de maturité très disparates, mais l'on sent que les choses avancent. Je pense d'ailleurs que l'instabilité des périmètres a été jusqu'ici un facteur d'ouverture et fabrique des territoires.
[ Gérard Bailly - Les procédures actuelles, les SCOT sont-ils adaptés ?]
Il existe beaucoup de critiques sur la complexité de l'intercommunalité française. Mais les constructions qui en résultent sont plutôt intéressantes. Il est illusoire de penser qu'il existe une bonne échelle de gouvernance.
[ Gérard Bailly - La lourdeur des procédures, que l'on songe aux SCOT ou au PLU, constitue cependant un sérieux handicap.]
• Le tourisme rural est-il appelé à
connaître un succès croissant ? La préservation du
potentiel de ce tourisme est-il un enjeu prioritaire ? La planification
foncière est-elle en phase avec cet objectif ? Le système
français d'aires protégées constitue-t-il une
réponse ?
Le tourisme, dans les territoires ruraux français, bénéficie d'une desserte beaucoup plus aboutie que dans les territoires ruraux du reste de l'Europe. A l'heure actuelle, la France et notamment les espaces ruraux touristiques bénéficient d'un report des touristes qui choisissaient la Grèce, l'Espagne, les pays du Maghreb... Les campagnes ont aussi un rôle à jouer en tant qu'espace récréatif aux portes de grandes villes.
[ Renée Nicoux - Les pôles d'excellence rurale (PER) et les pôles de compétitivité n'ont-ils pas joué dans la mise en concurrence des territoires ?]
Il est dommageable que des enjeux de compétitivité se transforment en enjeux de concurrence entre territoires. Je crois plus en la complémentarité économique entre les territoires, qu'en une forme de concurrence stérile pour l'économie nationale.
Par ailleurs, les conseils généraux ont acquis une certaine légitimité en termes de développement économique, de développement local pour les espaces ruraux, en relais bien sûr des conseils régionaux.
• Faut-il admettre, dans certaines zones rurales,
le caractère inéluctable d'un certain déclin
démographique et économique ? Comment, le cas
échéant, accompagner un changement de voilure, conforter les
populations résidentes et valoriser la perte de
densité ?
Il ne faut pas chercher à attirer à toutes forces des entreprises sans concertation avec les territoires voisins, ou sans lien avec le territoire rural concerné sinon on s'expose à des phénomènes de captation d'avantages fiscaux et de subventions.
Il existe des territoires ruraux qui souffrent énormément. Aujourd'hui, le poids des industries situées à l'Ouest est supérieur à celui des industries qui demeurent à l'Est. En outre, le Nord et le Nord-Est n'attire plus les résidents ; ces territoires connaissent donc une double peine ! Il y a un tabou sur la mobilité des jeunes, qu'il ne faut pas sacrifier à l'autel des territoires. Il faut donc encourager cette mobilité dans les territoires où le taux de chômage est élevé pour qu'ils trouvent du travail ailleurs, même si la démographie locale doit en souffrir.
14. Jacques Savatier, conseiller du président directeur général de La Poste, directeur des affaires territoriales et du service public
Jeudi 19 juillet 2012
La Poste, grande institution publique : 80 000 tournées de facteurs en France, 21 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 1 milliard d'euros d'investissement, 15 000 personnes à l'étranger ; derrière l'institution, une grande entreprise logistique et commerciale.
Elle est marquée par une double évolution : l'avènement de la société numérique (dématérialisation du courrier et des actes administratifs) et la libéralisation totale des marchés.
Le courrier va perdre 30 % en valeur de 2008 à 2015. À mi-parcours, une diminution de 14 % est d'ores et déjà constatée. 1 % de diminution représente 100 millions d'euros de recette. Or les coûts fixes sont importants (points de distribution). Au-delà de - 4 %, cela devient difficile à gérer.
Opportunités liées au commerce électronique. Pour compenser - 1 % de courrier, il faut + 5 % du côté des colis.
La Poste assume une mission d'aménagement du territoire par l'intermédiaire de ses points de contact : bureaux de poste, agences postales communales (APC), agences postales intercommunales (API) et relais poste (RP), qui sont au nombre de 17 000 sur l'ensemble du territoire français. Sur 9 800 points de contact en zone rurale, on compte en 2011 3 800 bureaux de poste et 6 000 APC ou RP.
Il est prévu que La Poste maintienne ses 17 000 points de contact.
La libéralisation du marché pose d'importantes difficultés pour les zones de faible densité, qui représentent 80 % du territoire. L'équilibre économique du dispositif y est fragile. Les 10 000 points de contact en zone rurale représentent 13 % du chiffre d'affaires.
Le bureau de poste rend des services modestes en valeur économique mais sa représentation est forte dans les mentalités (fonction de cohésion dans les zones de faible densité, La Poste doit y répondre).
D'où le sentiment d'abandon des populations quand des bureaux ferment en raison de la fragilité du modèle économique sur lequel ils reposent.
Or la population rurale demande un service contemporain de type urbain.
Les pouvoirs publics sont conduits à financer les contraintes de service public : maintien des 17 000 points de contact et principe selon lequel 90 % des personnes doivent être à - de 20 minutes d'un point de contact.
Il est possible de travailler sur la mutualisation des lieux et des flux, sous réserve d'en consolider le modèle économique viable et pérenne.
La Poste est en effet spécialisée dans les flux mutualisés, elle peut être un acteur de la réponse aux attentes de la population. Le développement du multicanal peut permettre d'aller plus loin que la mutualisation des points d'accès, qui perdent 5 à 7 % de fréquentation par an, d'où la difficulté de les maintenir.
La distribution du courrier dans les campagnes pourrait poser les mêmes problèmes. On peut songer à mutualiser le facteur entre plusieurs donneurs d'ordre. La perspective ouverte est celle d'une mutualisation des lieux et des flux dans des réseaux d'information, ce qui renvoi à la problématique du haut et du très haut débit.
Le facteur pourrait, dans l'optique d'un réseau mutualisé, faire des visites à domicile de personnes isolées, vérifier le fonctionnement de dispositifs mis à leur disposition etc. Pour que La Poste devienne un opérateur de flux mutualisés élargis, il faudrait qu'elle soit en mesure de gérer un certain nombre de services, du côté du facteur, comme dans les points de contact, de faire de l'intermédiation en mettant à la disposition des usagers des points de contact des agents capables de les mettre en relation avec la personne autorisée à répondre à leur problème, sans se substituer à elle, ce qui implique de résoudre des obstacles juridique (les agents doivent être habilités à effectuer un certain nombre d'opérations, à gérer la confidentialité des informations transmises...). Il suffit pour cela d'un lieu d'accueil mutualisé et de flux électroniques gérés par des personnes formées.
A titre d'exemple, La Poste gère l'ensemble de la procédure d'adressage des PV d'excès de vitesse, ce qui permet la diversification du courrier. Elle peut aussi prendre le relai d'autres formes de services publics.
Il existe cependant des limites à la mutualisation (transport de denrées périssables).
En tout état de cause, tout cela ne peut pas être mis au point de façon centralisée. Pour réaliser les agences postales communales, un accord avec l'AMF a suffit, ce qui a permis d'éviter le circuit traditionnel préfet/DATAR/retour sur le terrain. Les maires doivent être reconnus comme décideurs. Le niveau central doit rester en charge de la sécurisation des solutions juridiques.
15. Edmond Hervé, sénateur, ancien ministre
Jeudi 11 octobre 2012
Je vous remercie pour cette audition au cours de laquelle je n'évoquerai pas le rôle de l'Etat, chacun en ayant sa conception. Il existe une demande pressante d'un Etat proche, présent, lisible, que ceci soit le fait de ses agents d'autorité ou de ses services.
« L'avenir des campagnes » : je voudrais vous donner un résumé de mon expérience. Rien n'est plus néfaste que l'opposition ville-campagne et pour mettre en oeuvre la politique qui vous intéresse nous devons avoir une approche décentralisée, partenariale, ascendante et volontariste.
Pour ce faire, il faut tout d'abord définir un territoire homogène, avec un esprit d'appartenance, capable de mise en commun. Ce peut-être un bassin de vie, un pays, une vallée, une ou des intercommunalités.
Un territoire « révélé » par des élus, des acteurs économiques, associatifs, une autorité administrative, un chercheur...
Il faut ensuite bâtir, écrire un projet qui soit débattu, transversal, fondé sur une culture de développement, de confiance et d'action. Ce projet aura d'autant plus de consistance qu'il bénéficiera d'une fonction de diagnostic, d'observation, de veille, de prospective. Cette fonction peut être assurée par des agences de développement (cf. les agences d'urbanisme) qui peuvent dépendre du département (prévue par les lois Defferre de 1982-1983), d'une ou plusieurs intercommunalités, de l'Université, d'un organisme privé par délégation. Pour que cette mission fonctionne, il faut identifier les défis à relever.
Le premier est celui de la démocratie, ce qui pose la question de la représentation. Puis vient le défi démographique : une population qui chute tourne le dos à l'avenir. Viennent ensuite les défis économiques, culturels, financiers, environnementaux, éducatifs...
Les campagnes proches des villes ou d'une communauté peuvent tirer parti des services disponibles, souvent insuffisamment utilisés, d'où l'intérêt des conseils de développement.
La difficulté est de concilier les approches sectorielles et territoriales. Je crois au développement endogène, qui permet de s'extirper du champ d'une concurrence et d'impératifs de compétitivité exacerbés. Les CTL ont de nombreux outils d'aménagement, qui doivent absolument préserver le foncier. Il faut aussi un « plan environnement », un schéma de services publics, un schéma de formation, un schéma culturel, un schéma de transport, (y compris pour les marchandises), un plan pour le logement...
D'un point de vue économique, il faut inventer et privilégier les circuits courts, pour lesquels il existe de très nombreuses initiatives exemplaires. La quête de labels est une absolue nécessité.
Au niveau du département, une agence de développement est, à mon sens, nécessaire.
Concernant les ressources du territoire, la révision des valeurs locatives est nécessaire. Par ailleurs, une partie des dépenses de solidarité devrait être prise en charge par l'Etat. Une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG apporterait plus de justice et donnerait un meilleur fondement à la péréquation. A titre d'exemple, la mise en place de la taxe professionnelle à taux unique dans l'agglomération rennaise en 1992 a fait passer l'écart de TP par habitant de 1 à 60 à 1 à 4.
La taxe professionnelle à taux unique permet un aménagement du territoire national, évite les concurrences coûteuses et l'étalement urbain. Le modèle d'une ville-archipel avec des ceintures vertes sanctuarisées par un plan respecté peut-être une bonne référence.
[ Renée Nicoux - L'intercommunalité de projet progresse-t-elle ?]
Il y a une progression indubitable, même si les contenus sont très variés. La difficulté est de trouver un projet commun qui fédère, sans déposséder le maire. L'intercommunalité doit être comprise comme une extension de compétence, et non comme une réduction de compétence.
[ Renée Nicoux - avec des communes souvent petites, les intercommunalités rassemblent parfois de très nombreux membres... ]
Pour ce qui est des fusions, il ne faut pas être trop impératif. Par exemple, dans la Haute Marne, des communes réunies sous l'empire de la loi Marcellin sont en train de défusionner...
[ Gérard Bailly - dans les campagnes de l'intérieur, il existe une certaine vitalité à moins de 30 minutes des grands pôles, mais au-delà, que faire ?]
La première chose est d'investir dans la communication : voirie, accès à Internet.
La deuxième chose est de mener une politique de logement attrayante, avec un minimum de services publics facilement accessibles dont, en tout premier lieu, l'école.
Enfin, les rapports avec les chefs-lieus sont vitaux, et ces derniers ne doivent donc en aucun cas dépérir.
[ Gérard Bailly - l'accès aux services devant être sans cesse amélioré, une meilleure péréquation ne s'imposerait-elle pas ?]
La clarté qui prévalait naguère dans les financements respectifs de l'Etat, de la Sécurité sociale et des CTL n'a plus cours : tout est imbriqué, et l'Etat finance de plus en plus la Sécurité sociale et les CTL. Le contribuable national s'est substitué au contribuable local, l'autonomie fiscale est en chute libre... C'est une faute grave, et un nouveau partenariat Etat-CTL s'impose.
Il faut à la fois une péréquation verticale et une péréquation horizontale. Il faut encore une base fiscale juste, notamment pour la taxe d'habitation. Le problème numéro un étant celui de la région parisienne...
[ Gérard Bailly - Quels contre-feux allumer contre la disparition des petites entreprises et la diminution de nombres d'agriculteurs ?]
Je vous citerai l'exemple de l'entreprise Laguiole, dont la fabrication avait, dans un premier temps, chuté. Un « enfant du pays » a su redresser l'affaire, en y réintroduisant des procédés artisanaux et en faisant reconnaître le « made in France ». Il faut combattre une vision trop financière, contraire à l'aménagement du territoire, et retrouver une culture industrielle, artisanale, de la main...
[ Renée Nicoux - pour les pôles scientifiques, ne peut-on imaginer d'implanter des antennes dans des petites villes, en lien avec les universités]
Oui, avec trois conditions de réussite :
- égalité des compétences des enseignants ;
- égalité des conditions d'examen ;
- participation des CTL.
J'ai eu l'occasion de participer avec la faculté de droit de Rennes à une expérience de ce type pour la première année de maîtrise, qui a été un succès.
Pour le THD, j'estime que la région est responsable de la mise en oeuvre d'une plus grande péréquation.
Par ailleurs, trop de paysans dépendent des marchés internationaux. Ceux qui sont autonomes, qui transforment ou vendent directement leurs produits, sont ceux qui s'en sortent le mieux...
16. Michel Quere, directeur de l'évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l'éducation
Jeudi 11 octobre 2012
Compte tenu de notre positionnement au sein du ministère, j'aurais deux lignes de travaux à mettre en avant ; elles concernent respectivement notre lecture de l'espace rural et une typologie des académies.
Si 40 % des écoles se situent dans une commune rurale, elles n'accueillent que 24 % des élèves. Pour les écoles publiques, ce taux est encore égal à 41 %, contre 34 % pour les écoles privées. En abordant les campagnes sous l'angle de l'espace rural, que l'on peut appréhender au travers de la catégorisation des aires urbaines effectuée par l'INSEE, on retrouve 18 % des écoles publiques dans les zones presque exclusivement rurales, contre 31 % dans les zones mixtes.
Les statistiques montrent enfin que, dans les zones rurales, 64 % des enfants du préélémentaire se retrouvent dans des écoles primaires, contre 16 % de ces enfants dans les zones urbaines. Les écoles en zone rurale accueillent 12 % des élèves de deux ans, un peu plus que leur poids dans l'ensemble du préélémentaire (9 %).
Des constats similaires peuvent être faits au collège : 15 % des établissements appartiennent à des communes rurales, pour n'accueillir que 9 % des élèves.
Concernant les résultats scolaires, ils apparaissent légèrement supérieurs à la moyenne dans les collèges ruraux, et légèrement inférieurs dans les banlieues des agglomérations. En revanche, certains travaux d'études montrent qu'il y a une problématique de l'ambition scolaire, qui, d'une façon générale, est moindre dans les « petits collèges ».
[ Renée Nicoux - n'applique-t-on pas, tout simplement, un principe de réalité dans ces collèges ? Cette moindre « ambition » peut être le gage, paradoxalement, d'une plus grande réussite... Je trouve, par ailleurs, que le terme d'ambition est mal choisi.]
Je ne voulais que signifier, par ce terme, qu'il y a certainement un effet d'offre de formation.
J'en arrive aux typologies d'académies. Il y a une difficulté, pour certaines académies, à se comparer à des moyennes nationales, pour évaluer ses propres performances, d'où l'idée de créer une typologie d'académies, pour comparer ce qui est comparable. En tout, 22 indicateurs socioéconomiques ont été retenus, dont le critère rural/urbain. Il est apparu que ce dernier critère faisait partie des plus déterminants pour distinguer les académies entre elles. Ce travail débouche sur une classification en 7 groupes, dont le 5 e est celui des académies à ossature rurale.
[ Renée Nicoux - existe-t-il un lien entre la réussite scolaire et le temps passé dans les transports ?]
Nous sommes engagés dans un processus de géo-localisation des élèves qui pourrait nous apporter sur ce point des enseignements, mais, à ce jour, il est impossible de répondre à cette question.
[ Gérard Bailly - l'école est décisive pour les décisions d'installation. Que prévoir, que faire pour ancrer les écoles dans les campagnes ?]
L'éducation nationale n'est pas la moins bien placée pour ce qui est de l'effort structurel en direction des campagnes, comme les chiffres que je vous ai donnés le montrent. L'idéal serait, sans doute, que vous rencontriez des académies rurales pour connaître leurs réflexions. Un axe de progrès consiste probablement en une mise en réseau intelligente des ressources avec, par exemple, une plus grande mutualisation d'enseignants entre unités d'enseignement différentes.
[ Gérard Bailly - la proximité de l'enseignement sous toutes ses formes (écoles, collèges, lycées, lycées professionnels...) est essentielle pour le dynamisme des territoires.]
Pour l'offre de formation, il ne faudrait pas ne raisonner qu'en termes de ratio, les décisions doivent être prises au cas par cas et les situations s'analysent aussi à partir d'appréciations qualitatives des territoires locaux.
[ Renée Nicoux - par ailleurs, les enseignants ne cherchent plus à habiter localement. Ces « professeurs-navettes » habitent souvent la grande ville la plus proche. Mais, peut-être cette tendance est-elle en train de s'inverser...]
17. Peio Olhagaray, directeur du développement économique de la CCI de Bayonne-Pays Basque
Jeudi 11 octobre 2012
L'ACFCI avance quatre postulats. Premier postulat, on constate une tendance majeure à la métropolisation, à la littoralisation et à l'héliotropisme, dont les effets combinés ne peuvent qu'engendrer une désertification relative de certaines zones rurales. Toutefois, on constate aussi un « désir » majeur de campagne.
En deuxième lieu, la théorie de la base économique nous laisse très perplexe ; en effet, elle définit les revenus touristiques comme étant « présentiels », ce qui est à notre sens une erreur profonde. Le tourisme est une industrie et devrait être analysée comme telle. La différence est que les biens sont exportés alors que les touristes viennent, en quelque sorte, prendre possession de ces biens. Si l'on intègre le tourisme dans la base productive, ce qui correspond à la réalité, la carte des territoires productifs, telle qu'elle apparaît dans certains documents construits à partir de cette théorie, s'en trouve profondément modifiée.
En troisième lieu, il n'ya pas d'opposition, selon nous, entre développement endogène et exogène.
En quatrième lieu, nous décelons plus de handicaps que d'attraits concernant les campagnes, qu'il s'agisse du rapport au temps ou à la distance, sauf à examiner, d'une façon générale, ces handicaps par rapport à l'urbain.
Dans 30 ou 40 ans, de nombreux actifs territoriaux tels que l'eau, le sol, la forêt et d'une façon générale les zones non habitées deviendront stratégiques. Il faut travailler à leur monétisation.
Notre typologie des campagnes est proche de la DATAR. Nous en identifions trois catégories.
D'abord, la « campagne aspirée par la ville », qui deviendra inévitablement ville elle-même. Le risque qui pèse sur ces espaces est celui de devenir soit un lieu de relégation, soit un lieu récréatif destiné aux urbains. L'enjeu y est d'assumer la dimension de périurbanité en discutant de la coexploitation des actifs que recèlent ces espaces.
Ensuite, la « campagne partagée avec la ville », qui forme un cordon autour des villes, particulièrement les villes moyennes. Le risque y est celui de l'étouffement d'un des moteurs de son développement, et le défi est la consolidation de l'écosystème territorial.
Enfin, l'ACFCI distingue la « campagne enclavée » qui recouvre 38 à 40 % du territoire national, comporte 42 % des communes et abrite 4 millions d'habitants. Ces campagnes souffrent de leur distance à la ville, mais ce sont elles qui détiennent le capital écologique de la France. La contrainte y est celle de l'usage : ses habitants se trouvent dans une logique d'exploitation, alors que les villes entendent y imposer une logique de conservation.
Notre recommandation, pour consolider l'avenir des campagnes, est d'abord d'organiser et de promouvoir la « déconnexion fonctionnelle » entre territoires d'exécution et territoires d'usage. Il faut réussir à établir des réseaux de connexion calibrés permettant d'accéder à de nouveaux marchés, de telle sorte que ces campagnes puissent développer des services et des productions pour des destinations élargies, sans dépendance excessive vis-à-vis du territoire où elles se situent. Dans la même perspective, des politiques publiques de motivation et d'incitation doivent être mises en oeuvre. Aujourd'hui, ces politiques relèvent davantage de la compensation que d'une volonté d'aller de l'avant. Ainsi, les conseils régionaux pourraient lancer des appels à initiative destinés aux territoires enclavés. Il conviendrait en outre de mettre en oeuvre des financements horizontaux, c'est-à-dire des lignes budgétaires pouvant s'appliquer indifféremment à des entreprises, de l'habitat ou des services à la population, pour un même objectif de développement.
Par ailleurs, les villes moyennes ont un rôle majeur dans le maillage du territoire. Il faut absolument les soutenir dans leur rôle de « pôle d'équilibre » structurant l'espace rural.
Enfin, nous plaidons pour une valorisation des ressources fixes non délocalisables, telles que le sol, l'eau ou la forêt. La question est celle de l'apport des campagnes à la ville, qu'il faut tenter de monétiser. Dans cette perspective, on pourrait concevoir des programmes de valorisation des biens écologiques communs conjointement financés par les villes et les campagnes par un appel à expérimentation sur la coresponsabilité dans l'entretien durable de ces biens collectifs.
[ Gérard Bailly - En effet ; du reste, dans les plans carbonés, la forêt pourrait jouer un rôle. Le taux d'aide pourrait alors être maximalisé dans le rural profond. Je déplore, par ailleurs, les excès des normes environnementales...]
Je peux aussi vous parler du bilan du FISAC, qui est très insuffisant au regard des enjeux des territoires enclavés puisque seulement 31 % de ses fonds parviennent aux zones rurales.
[ Renée Nicoux - Pour l'accessibilité des services, il ne faut pas raisonner en kilomètres, mais en temps de trajet. Il conviendrait donc de promouvoir un égal accès aux services publics dans les territoires reculés, même s'ils ne sont pas rentables.]
Les collectivités territoriales sont souvent à l'origine des « points multiservices ». Le problème est celui de la rentabilité des installations, car les loyers y sont souvent fixés à un niveau trop élevé et je vois, en toute hypothèse, la nécessité de verser aux exploitants une subvention d'équilibre ainsi que de les conforter par des baux qui ne soient pas précaires. Par ailleurs, concernant le FISAC, le délai de versement des aides, de l'ordre de deux ans, est beaucoup trop long.
[ Renée Nicoux - C'est en effet très problématique et je pense que ces fonds devraient être gérés localement.]
A l'égard du très haut débit, l'objectif d'égalité territoriale est également problématique. Aujourd'hui, tous les territoires accèdent à la téléphonie, mais beaucoup n'auront pas les moyens internes de financer le très haut débit.
Pourquoi ne pas proposer à la signature des opérateurs des contrats à très long terme (20 ou 30 ans) ? Quoiqu'il en soit, il me semble que, dans bien des cas, on pourra se contenter longtemps de l'ADSL.
J'en arrive aux zones de revitalisation rurales (ZRR), qui sont rares et dont le bilan est mitigé, car les aides qui y sont dispensées ne servent pas suffisamment aux entreprises.
L'ACFCI développe ainsi la notion de « criticité territoriale », partant du constat que la disparition d'une petite entreprise dans les campagnes emporte des conséquences beaucoup plus graves et moins réversibles que dans les villes. En conséquence, les aides doivent être concentrées sur ces entreprises pour qui tout est plus difficile avec des ressources moins aisées à obtenir, une faible attractivité pour les cadres et un accès complexifié à des marchés majeurs.
[ Gérard Bailly - Pourquoi les représentants des zones rurales ne parviennent-ils pas à faire entendre leurs spécificités et à obtenir des mesures efficaces pour soutenir leur économie ? ]
Je pense que la ruralité n'attire pas, qu'elle rebute même, ou qu'à tout le moins, elle est considérée comme exotique, c'est-à-dire qu'elle peut attirer ponctuellement, mais pas dans la durée.
[ Renée Nicoux - Ce constat est à nuancer, au moins pour les particuliers.]
La valorisation symbolique et monétaire des biens écologiques communs demeure une piste primordiale ; il me semble que les grandes entreprises devraient envisager d'accéder, sous une forme à déterminer, à des « biens » tels que les forêts pour équilibrer leur bilan-carbone, par exemple en contribuant ou en finançant leur entretien.
18. Guy Gilbert, professeur émérite des universités
Mercredi 10 octobre 2012
1. Pour le calcul des DGF aux intercommunalités et aux communes, l'homogénéisation du niveau et de la qualité des services accessibles en ville et à la campagne ne justifierait plus, d'après certains observateurs, l'écart observé par habitant entre communes urbaines et communes rurales, au détriment de ces dernières. Qu'en pensez-vous ?
A l'origine, la DGF visait à compenser la perte de ressources fiscales résultant de la suppression ou du transfert d'impositions locales à l'Etat. Sa répartition entre collectivités consacre aujourd'hui à la fois son caractère forfaitaire et péréquateur. Cette péréquation s'appuie à la fois sur des critères de ressources (potentiel fiscal ou financier) par habitant et des critères de « charges » représentatives des « coûts » (non observés) de fourniture de services collectifs de proximité.
La répartition de la DGF ne fait donc intervenir directement ni le niveau ni la qualité des services collectifs offerts, c'est à dire la dépense publique locale, et c'est logique. Dans une perspective de péréquation, et indépendamment de l'insuffisance de potentiel fiscal, seules les charges liées à la situation (supposée incontournable) d'une collectivité doivent donner droit à péréquation. La circonstance que les niveaux de services collectifs locaux se rapprocheraient entre le monde rural et le monde urbain ne suffit pas à modifier la clé de répartition des transferts péréquateurs, sauf à affirmer que ce niveau de services collectifs en monde rural résulte d'un « besoin » incontournable.
Reste la question de l'évolution respective des coûts de fourniture des services en zone rurale et dans le monde urbain. Les données empiriques manquent car les coûts ne sont ni observables (sauf comptabilité adéquate) ni assimilables aux dépenses. Force est donc de recourir à des méthodes statistiques indirectes. Les travaux que nous avons menés avec Alain Guengant dans le cadre de l'évaluation de la péréquation ne faisaient apparaître aucun changement significatif entre les années 1994 et 2000 dans le niveau des « charges » entre les communes de petite taille démographique et les communes de grande taille. A ma connaissance, ils n'ont pas été reproduits depuis.
Si tant est que les résultats de ces travaux soient confirmés sur une période plus récente, je ne vois donc pas de raison scientifique soit de minorer l'importance des charges dans les critères de répartition des enveloppes entre dotation de base et dotation de péréquation d'une part, et d'autre part au sein de la dotation de péréquation entre DSU, et DSR (la répartition de cette dernière fait usage des critères de charges suivants : population, classement en ZRR (pour la fraction bourgs-centres), longueur de la voirie, nombre d'élèves et superficie pour la fraction péréquation).
Les conséquences de la réforme fiscale locale de 2009 et le gel des concours de l'Etat ne modifie pas fondamentalement la question mais le contexte. D'une part, le bloc communal a su retrouver dans l'ensemble après réforme l'essentiel de ses ressources fiscales antérieures ; au sein de cet ensemble, les territoires les moins intégrés en termes communautaires ont été relativement favorisés. D'autre part, de nouveaux dispositifs de péréquation sont apparus, plus ouvertement horizontaux qui viennent s'ajouter aux dispositifs antérieurs, qui perdurent.
La question a rebondi récemment concernant le FPIC, et notamment la question de la stratification démographique du potentiel fiscal (PFIA). Le rapport du gouvernement (septembre 2012, notamment pp. 23-24 et 32-34) et les travaux du CFL apporte des informations utiles sur ce point. Contrairement à la présentation qui en est faite usuellement, tant du côté des prélèvements que des reversements, le FPIC intègre bien les critères de ressources et de charges ; du côté des prélèvements, le PFIA (critère unique) est pondéré par une échelle démographique logarithmique, donc représentative de « charges ») et du côté des reversements on retrouve le même PFIA et un indice synthétique de ressources et de charges.
Il est clair que ce dispositif est globalement plutôt favorable aux collectivités de grande taille démographique.
Les simulations faites sur les conséquences de la suppression éventuelle du coefficient logarithmique ou son aménagement montrent à la fois le bien-fondé de cette pondération et la sensibilité des répartitions à ses caractéristiques. Pour éviter tout marchandage entre groupes d'intérêts, il serait souhaitable que ces simulations s'appuient sur des travaux statistiques solides, régulièrement renouvelés selon une méthodologie scientifique cohérente.
2. Les communes sont-elles moins enclines à favoriser l'installation d'entreprises depuis la mise en place de la contribution économique territoriale (celle-ci tendant à délier le rendement de la taxe de la politique d'accueil communale des entreprises) ?
On manque évidemment de recul sur ce point et notamment d'études empiriques solides. L'argument avancé, -incitation à l'attraction via le retour fiscal-est classique mais il me semble partiel.
i) En général, la réforme fiscale de 2009-10 n'a pas eu pour effet de réduire le pouvoir fiscal de fixation des taux par les communes (et les communautés) de petite taille démographique. La raison principale en est le transfert de la TH précédemment perçue par les départements vers le bloc communal. Pour cette catégorie de collectivités l'effet du transfert de TH l'a emporté et de beaucoup sur l'effet de suppression du pouvoir de taux sur la TP (voir figure ci après).
ii) Même dans le nouveau contexte fiscal (qui limite les effets taux de la fiscalité sur les entreprises à la CFE) il reste des effets-base. Attirer des entreprises (et surtout de l'emploi désormais, plutôt que des équipements) c'est accroître la valeur ajoutée, donc la base de la CVAE.
iii) Dans certaines communes qui ne pratiquaient que des taux de TP modérés (inférieurs à l'équivalent de 3,5% de la valeur ajoutée), la CVAE représente une toujours une opportunité, et ce d'autant plus que les taux de TP antérieurs n'atteignaient pas l'équivalent de 3,5% de la valeur ajoutée. Ce sont les gagnants (silencieux) à la réforme. Certaines communes rurales, souvent membres de communautés de communes à faible intégration communautaire, sont dans ce cas.
iv) A contrario, pour les communes sur- fiscalisées en termes de taux de TP (soit en raison de l'insuffisance de bases-entreprises soit en raison d'une forte intégration communautaire). Je ne suis pas sûr que ce soit le cas général en zone rurale.
v) De toute façon, l'attraction des entreprises et de l'emploi reste et restera un enjeu vital pour les collectivités qui désirent maintenir leur population. Si les effets-base sur la CVAE (valorisée à 3,5% de la VA ainsi localisée) et sur la CFE ne suffisent pas, le poids de l'ajustement des taux résiduel portera principalement sur les résidents (TF et TH).
3. D'une façon générale, dans le champ des finances locales, quelles mesures budgétairement soutenables vous sembleraient favorables au développement des territoires ruraux ?
i) les ressources des territoires ruraux (au niveau des « blocs communaux ») ont été relativement épargnées par la réforme de la fiscalité locale.
ii) Le développement des territoires ruraux continuera de passer sans doute par la fourniture d'une gamme de services collectifs de proximité suffisante pour attirer activités économiques et résidents.
iii) Le contexte de non-croissance (sans doute durable) des dotations de l'Etat, et très probablement des coupes dans les subventions reçues des départements et régions confrontés eux-mêmes à des déséquilibres budgétaires plus graves que le bloc communal dans son ensemble, rendra plus difficile le dégagement de marges de manoeuvre budgétaires nécessaires. Il pourrait nécessiter la combinaison de :
iv) la mobilisation des ressources fiscales restantes (faire jouer à plein les effets-base de la CVAE+ effet base et taux de la CFE + TF/TH), et les effets- base et -taux sur la fiscalité des résidents
v) une plus grande sélectivité des investissements publics locaux
vi) la recherche d' « effets de gamme », et d'économies de gestion (réduction des doublons) notamment par une participation moins « défensive » aux organismes de coopération intercommunale.
vii) En revanche, les espoirs mis dans une éventuelle réorientation de la péréquation vers les territoires ruraux ne me semblent pas devoir être exagérés (cf. réponse à la question 1)
19. Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR
Jeudi 18 octobre 2012
Le pôle « mutation et développement économique » de la DATAR a été créé en 2005 après la suppression de la mission interministérielle aux mutations économiques. La DATAR gère deux instruments financiers, la prime à l'aménagement du territoire et le fonds national de revitalisation des territoires (FNRT). Elle participe au comité interministériel de suivi des restructurations.
Une différenciation entre milieu rural et milieu urbain se justifie pleinement pour le développement économique. On observe cependant des disparités plus grandes entre territoires ruraux qu'entre l'espace rural pris dans son ensemble et l'espace urbain. La prospérité des campagnes est sous l'étroite influence des villes dont elles dépendent. On relève par ailleurs un taux d'utilisation des TIC plus élevé dans les zones rurales. L'agriculture est un atout, mais elle peut être aussi un obstacle à l'implantation d'autres activités. Enfin, le développement des zones rurales ne repose pas exclusivement sur un enjeu productif, car les différents services aux personnes sont essentiels, surtout si l'on songe que la population et le pouvoir d'achat des retraités est encore appelé à progresser au cours des 20 prochaines années. Cependant, les campagnes ne peuvent se restreindre à la seule économie résidentielle. Il existe, par ailleurs, un problème d'accessibilité, tandis que l'essor du périurbain pose problème, avec un certain envahissement paysager et la dépendance à l'énergie qu'entraîne ce développement. Dans cette dernière perspective, la question de l'employabilité de la main-d'oeuvre locale deviendra cruciale.
Quelles sont les conditions d'un développement économique en milieu rural ? Elles dépendent d'abord de la décision des chefs d'entreprise d'y rester ou de s'y implanter. Pour ces derniers, la condition nécessaire, mais pas forcément suffisante, est celle d'une offre territoriale satisfaisante. Celle-ci se caractérise par un triptyque incontournable : très haut débit, qualité des infrastructures de transport et main-d'oeuvre employable. Ce dernier point est essentiel car la démographie des campagnes se nourrit de la fuite de populations périurbaines qui sont sous-qualifiées ou peu qualifiées et qui nécessitent en outre un soutien social renforcé. C'est pourquoi des efforts portant sur des infrastructures peuvent être facilement vains, dans la mesure où il est fréquent que la main-d'oeuvre employable soit, par ailleurs, jugée trop rare par les entreprises.
Outre ce triptyque, deux thèmes apparaissent fondamentaux : la disponibilité foncière, et le niveau des services offerts à la population, qui a lui-même un impact sur l'attractivité du territoire pour les plus qualifiés.
Ajoutons enfin une donnée qui tend à devenir problématique : le seuil d'acceptabilité des projets, qui ne cesse de s'élever, non seulement en raison des obstacles soulevés par les résidents de longue date, mais encore à cause de l'énergie que peuvent déployer certains périurbains récemment installés qui sont parfois très soucieux de préserver l'intégrité des aménités qu'ils étaient venus chercher.
Par exemple, je me souviens de l'échec d'un projet d'implantation du groupe Andros dans le pays basque, qui avait été l'enjeu d'une élection municipale. Autre exemple, dans le Nord-Est de la France, on observe une tendance à refuser l'implantation d'entreprises au motif qu'elles seraient aussi polluantes que celles qu'elles seraient venues remplacer.
A ce tableau d'ensemble, s'ajoute enfin le débat sur la taxe professionnelle et son évolution dans le sens d'une moindre incitation des communes à y favoriser l'implantation d'entreprises.
Forte de tous ces constats, que peut faire la DATAR ? Elle dispose de certains outils. En premier lieu, les pôles d'excellence ruraux (PER). Ils ont été dotés de 300 millions d'euros à ce jour. Il est encore trop tôt pour en tirer un bilan définitif, mais on peut avancer qu'il serait plutôt positif, même si des critiques peuvent être formulées au niveau des appels à projet et concernant un certain déficit d'ingénierie.
En deuxième lieu, l'opération « Plus de services » qui a stoppé le mouvement de désertification rurale des services publics qu'avait entraîné la RGPP (révision générale des politiques publiques) même si les modalités de cette initiative apparaissent comme perfectibles à certains endroits.
En troisième lieu, la gestion des programmes « LEADER » et des fonds européens.
En dernier lieu, l'organisation des circuits courts.
Je vous livre enfin trois considérations prospectives. Premièrement, l'organisation spatiale devient un enjeu stratégique pour lequel les SCOT ou, d'une façon générale, des démarches intercommunales, peuvent être adéquats. Deuxièmement, l'importance du maillage des villes moyennes, qui rendent des services essentiels, par exemple au travers de maisons de santé publiques, devient patente. Troisièmement, la politique de zonage gagnerait probablement à être revisitée. Non seulement, les instruments sont, sans doute, trop nombreux, mais on constate en outre un problème d'effectivité de ces zonages : certaines exonérations ne sont pas appliquées ! On peut classer les zones en trois catégories : celles imposées par l'Europe (le « zonage AFR » - Aides à finalité régionale), celles à dominante économique, et les zones spécifiques ou thématiques.
[ Renée Nicoux - Les dessertes physiques apparaissent en effet comme essentielles.]
Il importe que la physionomie des dessertes reprenne le modèle de « l'arête de poisson » autour de l'axe principal que peut constituer une autoroute ou un TGV. La question des mouvements de population est souvent indifférente à la DGTIM (Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) - d'où l'intérêt d'une réflexion interministérielle - et la DATAR n'avait même pas été entendue sur le SNIT - Schéma national des infrastructures de transport - (elle devrait l'être dans le cadre de sa révision à venir). En tout état de cause, il ne faut pas renoncer à certains projets à la seule aune de considérations budgétaires court-termistes.
Par ailleurs, la question de l'accessibilité des PME/PMI aux marchés publics se pose. Dans la pratique du « moins disant », le coût social du non recours à une entreprise de proximité devrait être systématiquement intégré.
[ Gérard Bailly - Je pense que les collectivités les plus pauvres devraient être davantage soutenues pour la réalisation d'équipements. Je relève, concernant la desserte TGV, que des décisions trop radicales sont prises : la suppression d'un arrêt ne devrait pas être totale et il faudrait envisager de conserver l'arrêt d'un ou deux TGV par jour. Par ailleurs, je vous rejoins tout à fait sur le problème des qualifications. Enfin, j'observe qu'entre les « trames bleues » et les « trames vertes », la question se pose de l'endroit où peut bien s'implanter une entreprise...]
Dans le chantier gouvernemental de relance de la croissance, il faudra explorer les dysfonctionnements administratifs résultant de la superposition de zones et de contraintes diverses, dans la conduite des grands projets. Certains maires, de par cette difficulté, sont littéralement dessaisis de leurs projets. Avec 400.000 normes, on ne fait plus rien ! Je relève, par ailleurs, que les débats et concertations préalables à la réalisation de projets d'envergure, au demeurant fort utiles, ont un coût. Par exemple, le débat public sur le projet ITER a coûté un million d'euros à organiser. Au total, la somme de toutes ces contraintes aboutit à un rapport de 1 à 10 entre le temps de réalisation et le temps de conception...
J'en arrive au très haut débit. Dans le plan de 2011, il est prévu d'aider les opérateurs à hauteur de 1,3 milliard d'euros, d'accompagner les collectivités locales à hauteur de 750 millions d'euros, et de soutenir, à hauteur de 250 millions d'euros, les techniques alternatives. Cet équilibre est peut-être à revoir.
[ Renée Nicoux - Il arrive que des opérateurs refusent de travailler avec les collectivités locales et que deux fibres soient tirées parallèlement...Par ailleurs, j'observe que le zonage européen n'est pas toujours concentré sur les zones les plus nécessiteuses.
Gérard Bailly - pour ce qui concerne le zonage, j'estime que les zones de haute montagne sont justifiées car elles compensent des handicaps naturels certains.]
D'après la Commission européenne, 19 % de la population est couverte par les AFR. La doctrine de base de la Commission, figée dans une posture libérale, est que les aides d'Etat ne se justifient pas. Or, la décision d'interdire les aides aux entreprises de plus de 250 salariés est dévastatrice. On sait, en effet, que la croissance viendra de ces entreprises de taille intermédiaire, tandis que les pays hors Union européenne aident évidemment ce type de structure. Ainsi, menés par la France, onze pays de l'Union européenne ont protesté, auxquels le commissaire Joaquín Almunia a opposé une fin de non recevoir. C'est pourquoi la DATAR a proposé d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour du Conseil européen de fin d'année. Si l'on obtient gain de cause, comment gérer ce zonage AFR ?
En France, il est actuellement beaucoup trop fin et ciselé, si bien qu'on rencontre certaines situations absurdes, qui écartent du bénéfice du zonage certaines entreprises à quelques mètres près. L'idée est d'adopter une logique « patatoïde », et de doubler ce recentrage territorial, le cas échéant, par le recours à des critères de filière (par exemple la transition écologique). Le prochain zonage courra de 2014 à 2020, et il ne faudrait pas que les nouveaux pouvoirs que s'apprêtent à recevoir les régions dans ce domaine soient muselés par une gestion contrainte des zones AFR.
20. Jean-Marc Bureau, président de la fédération nationale des centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (FNCIVAM), et Anne Harivel, directrice
Mercredi 14 novembre 2012
•
Décrivez votre rôle et vos
principales actions
Les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM), qui existent depuis cinquante ans, se sont progressivement inscrits dans le mouvement du développement durable. Il n'existe pas de « label CIVAM », mais ces derniers encouragent les démarches reposant sur les trois piliers du développement durable que sont l'efficacité économique, la viabilité sociale et la préservation de l'environnement. Nous avons trois grands domaines d'intervention, qui sont l'agriculture durable, la création d'activités rurales et l'accueil social dans les fermes.
Les CIVAM prêtent donc leur assistance à la mise en place de systèmes alimentaires locaux. Les actions d'accueil à la ferme peuvent être à finalité éducative, concerner les personnes âgées et handicapées, ou des adultes en difficulté dans le cadre de séjours de rupture ou des enfants dans la cadre d'une convention avec le ministère de la Justice. Nous déplorons ici que la loi de modernisation agricole n'ait pas consacré le statut de « paysan accueillant »
• Comment réduire les fractures sociales
et générationnelles qui apparaissent dans certaines
campagnes ?
• Dans les campagnes qui se dépeuplent,
comment susciter une reprise démographique ?
Les services sont primordiaux, naturellement, mais la dimension culturelle est aussi de toute première importance.
Je précise que les CIVAM font de l'accompagnement à l'installation agricole, et travaillent sur les services que peuvent rendre les agriculteurs, tels que le portage de repas à des personnes âgées. Les exemples les plus probants que nous pouvons citer sont les installations en zones atypiques (landes, parcours) en moyenne montagne surtout, et l'efficacité économique de ces exploitations dans des sites réservés le plus souvent à la conservation environnementale.
• Quels modèles énergétiques
promouvoir (méthanisation...) ?
Nous prônons des systèmes de production économes en intrants et en énergie.
Le « bois-énergie » peut venir utilement en complément de l'activité agricole. Quid de la méthanisation ? Nous l'approuvons si elle ne consiste pas à cultiver pour méthaniser comme c'est le cas en Allemagne. Il existe des exemples réussis de petites unités de méthanisation « par voie sèche », regroupant deux ou trois exploitations agricoles. A noter dans ce cas que le « digestat » reste utilisable après la méthanisation, et a la même valeur que le fumier.
• Quelles orientations agricoles
préconisez-vous, et pourquoi ?
Nous préconisons la mise en place de systèmes de production autonomes et économes et économiquement viables ; on évitera donc d'importer du soja d'Argentine, ainsi que toute intégration industrielle privant l'exploitant de son autonomie de décision. Faut-il produire plus ? Oui, mais peut-être pas en France... : il faut cesser le dumping qui détruit la paysannerie africaine.
[ Gérard Bailly - Il est invraisemblable que la France connaisse un déficit en viande ovine.]
En effet, il serait légitime pour certaines productions, adaptées à notre territoire, de produire davantage. La situation dont vous parlez s'explique notamment par les dotations européennes du premier pilier de la PAC, qui ont privilégié les céréaliers. Dans la réforme de la PAC attendue en 2014, il faudra conserver le calendrier de convergence des aides.
[ Renée Nicoux - On peut penser que cette convergence aura été effective à l'horizon de notre rapport, en 2030-2040.]
• Parmi les expériences réussies
que vous avez encouragées ou suivies, quelles sont celles qui vous
semblent duplicables à plus grande échelle ? (en tous
domaines : éducation, réinsertion, tourisme, mise en valeur
d'aménités diverses, agriculture...)
Je vous citerai l'exemple des maisons partagées pour personnes âgées. La trajectoire habituelle est celle qui conduit des maisons isolées à la maison de retraite ; on développe des maisons partagées, constituées de six à huit appartements, situées dans des centres-bourgs, avec un salarié présent 2 ou 3 heures par jour.
Je souligne également l'intérêt que représentent les circuits courts alimentaires et la « restauration collective responsable ».
[ Renée Nicoux - Les agriculteurs, dans ces circuits courts ont une activité plus ou moins proche de celle de commerçants, sans en connaître toutes les contraintes... Cela peut-il poser problème ?]
Un boucher, par exemple, peut travailler en bonne intelligence avec un agriculteur ; souvent cela se passe très bien. Mais un agriculteur faisant du pain, doit le faire à partir de sa propre production. Là se situe, à mon sens, la limite.
[ Gérard Bailly - Comment vous représentez-vous les campagnes à un horizon de 30 ou 40 ans ?]
On ne peut raisonner du seul point de vue de l'agriculture, il faut intégrer l'environnement et l'emploi. Nous pensons que l'agriculture industrielle n'est pas la solution. Ainsi, les robots pour la traite des vaches sont destructeurs d'emploi, alors qu'ils ne débouchent pas forcément sur une meilleure rentabilité. Il existe un surinvestissement lié à des encouragements fiscaux et comptables. SOLAGRO a récemment produit un exercice de prospective à l'horizon 2050 qui retient l'hypothèse d'une production agricole biologique à hauteur de 50 %, tout en permettant l'autosuffisance alimentaire.
Nous souhaiterions que la plus grande partie du territoire soit consacrée à la production agricole, ce qui, d'ailleurs, mettrait un terme à la chute de la production ovine.
[ Renée Nicoux - comment le travail des CIVAM est-il perçu par les chambres d'agriculture ?]
Dans les années 80, les CIVAM se sont inscrits dans une logique différente de celle des chambres d'agriculture qui étaient très productivistes. Puis, progressivement, les chambres d'agriculture ont rejoint le bio et le développement rural, parfois sans grande considération pour le travail des CIVAM. Nous avons des contrats d'objectif avec le ministère, qui nous finance précisément selon ces objectifs.
21. Philippe Viaux, agronome
Mercredi 14 novembre 2012
• De quels progrès l'agriculture
française vous semble-t-elle capable au cours des deux prochaines
décennies ?
L'essentiel du problème tourne autour de la durabilité, en développant une agriculture productive plus respectueuse de l'environnement.
J'ai travaillé sur la durabilité des exploitations agricoles avec la mise au point d'un outil d'évaluation de la durabilité. Ces travaux mettent en évidence que les systèmes d'agriculture biologique sont durables uniquement dans la dimension agro-écologique (avec quelques restrictions néanmoins) mais ont des grandes faiblesses dans la dimension sociale et économique de la durabilité. La raison principale de cette faiblesse tient au fait que les coûts de production en agriculture biologique sont beaucoup plus élevés qu'en conventionnel (rendements plus faibles, besoins en main d'oeuvre plus élevés). En conséquence les résultats économiques de ces exploitations sont plutôt plus faibles qu'en conventionnel et les prix de vente des produits agricoles issus de l'agriculture biologique nécessairement plus élevés (problème social pour l'ensemble de la population).
Exemple : le coût du blé issu de l'agriculture biologique est doublé ; pour le lait, c'est une augmentation de 15 à 20 % ; pour la vigne, l'incidence est moindre car le rendement est limité par les AOC.
Je pense depuis longtemps que les systèmes intégrés sont la voie de progrès pour l'agriculture française. Dans ces systèmes, malgré une réduction importante des intrants (les indices de fréquence de traitement (IFT) peuvent être réduits de 50 %), les coûts de productions sont équivalents à ceux des systèmes conventionnels.
[ Gérard Bailly - L'INRA travaille-t-elle suffisamment sur le sujet ?]
Il y a eu peu de travaux avant les années 1995 en grandes cultures (mais il y avait des travaux depuis longtemps en arboriculture à l'INRA d'Avignon) ; l'INRA n'a développé de recherches sur le site de Versailles qu'à compter de 1997 et il faut 15 ans pour le rendu des premiers résultats.
En revanche, un des freins majeur à l'adoption de tels systèmes est le lien qui existe entre la prescription et la vente d'intrants au sein des coopératives. Il est indispensable de développer conseil et formation des agriculteurs, indépendants et de bon niveau. Le système intégré est plus exigeant en connaissances que les systèmes conventionnels, car il faut « le bon produit au bon moment ».
[ Gérard Bailly - Les lycées agricoles ont fait beaucoup de progrès dans les dernières décennies]
En effet, des progrès ont été réalisés, mais de façon inégale selon les lycées.
[ Rénée Nicoux - Il ne faut pas négliger le poids de la tradition familiale dans l'apprentissage]
• Dans quelle mesure l'agriculture de
précision permettrait-elle de répondre aux enjeux agronomiques,
économiques et environnementaux de l'agriculture actuelle ?
L'agriculture de précision est un peu un rêve dont l'intérêt serait de faire des économies d'intrants. Elle consiste à mettre en évidence la variabilité intra-parcellaire (dans un même champ de blé, il peut y avoir 20 % d'écart). On pourrait donc adapter les doses en fonction de cette variabilité. La difficulté est de mesurer cette variabilité et de l'expliquer : il faut avoir des outils dont on ne dispose pas (pour semer de façon plus ou moins dense, en dosant mieux les produits phytosanitaires).
Parmi ces technologies, on trouve des capteurs (permettant par exemple de mesurer les rendements intra-parcellaires en continu) mais surtout le GPS, moyen de se positionner très précisément dans une parcelle.
Des essais ont été faits aux Etats-Unis, sans grand intérêt économique. En France, il y a eu de nombreuses tentatives en particulier dans le Cher mais aucune n'a été poursuivie.
• Quel potentiel représentent, selon
vous, différents systèmes de production tels que la production
intégrée, l'agriculture biologique, les techniques alternatives
au labour, etc.
L'avenir, c'est l'agriculture intégrée, intermédiaire entre le système conventionnel et le système biologique. Le système intégré est une troisième voie en grande culture qui envisage de réduire de 50 % les produits phytosanitaires et de 20 à 30 % les engrais. C'est surtout une modification des systèmes, un état d'esprit différent.
Cela va plus loin que l'agriculture raisonnée qui ne prévoit qu'une réduction de 10 % des intrants. On est plus près de l'agriculture biologique, mais sans s'interdire les « phytos ».
Concernant les techniques de labour, le labour superficiel permet une meilleure protection des sols. Certes, cette technique pose des problèmes de désherbage, en particulier des vivaces, qui impose l'utilisation d'herbicides. Mais traiter une année sur quatre avec du Round Up est suffisant. En outre, ces systèmes sont moins gourmands en énergie.
[ Gérard Bailly - Beaucoup sont revenus du non labour...]
[ Rénée Nicoux - Il y a probablement un problème de formation... Il semble que le maintien d'une couverture végétale vivante soit parallèlement nécessaire.]
Je suis plus réservé sur la technique de la couverture végétale vivante qui pose en France le problème de consommation l'eau par les couverts ce qui pénalise la culture principale. Il convient aussi d'éviter le dogmatisme de certains qui prônent le non-labour et ont sans doute des liens avec Monsanto (fournisseur du round up).
• Quelles sont les conséquences
possibles d'un renchérissement de l'énergie ? de l'eau ? du
foncier ? des produits de base ?
• Energie :
Le prix des engrais azotés a été multiplié par 2 en 10 ans, en corrélation avec l'augmentation du prix du pétrole (1,5 t d'équivalent pétrole pour obtenir une tonne d'azote). L'azote représente au moins la moitié du coût énergétique de production des grandes cultures. L'augmentation de son prix devrait donc favoriser les légumineuses et une meilleure valorisation des engrais de ferme ; à plus long terme, il devrait favoriser les systèmes de polyculture élevage.
Il faut se poser la question de la répartition des élevages en France : le rétablissement de l'élevage en ile de France permettrait des économies énormes. La concentration des élevages dans certaines régions n'a pas de raison agronomique, c'est un problème social (par exemple, en Bretagne où l'élevage a compensé l'absence d'industries). Il est indispensable de restaurer des systèmes mixtes qui éviteraient les gaspillages constatés au niveau de la « ferme France » : trop de phosphore en Bretagne et pas assez dans le Bassin parisien où il faut soit importer des engrais phosphatés soit transporter les engrais de ferme.
[ Renée Nicoux : Y-a-t-il des lobbies de producteurs d'engrais azotés ?]
Il y a beaucoup de lobbies qui peuvent freiner le développement de la mixité qui améliorerait l'efficacité de la ferme France. Ce n'est pas seulement les lobbies des engrais il y a aussi des freins dans d'autres domaines, abattoirs, éleveurs... mais il faut changer les états d'esprit en affirmant que « la mixité » est un progrès.
[ Renée Nicoux - Dans les régions, on commence à inciter à la diversification des installations, ce qui renforce l'idée de l'importance de la formation et de l'apprentissage de l'adaptation.]
En effet, mais certaines chambres d'agriculture sont réticentes à cette idée de diversification.
Se pose aussi un problème d'investissement pour l'élevage pour les exploitations qui se sont spécialisées en grandes cultures et pour qui il est difficile de faire marche arrière.
Enfin, l'augmentation du coût de l'énergie favorise les techniques sans labour et d'autre part renchérit les coûts de transports, ce qui incite à pratiquer une alimentation locale (des animaux et des hommes).
• Eau :
Le coût de l'eau est actuellement dérisoire pour les agriculteurs : l'irrigation coute cher car elle résulte des coûts d'investissement et de fonctionnement (énergie).
L'augmentation du prix de l'eau entrainerait moins d'irrigation pour les cultures exigeantes en eau comme le maïs (qu'on peut remplacer par du sorgho à condition que la recherche génétique progresse sur cette culture) ; le soja devrait être remplacé par le lupin (si la recherche accepte de travailler sur l'amélioration génétique de cette culture, ce qui n'est pas l'intérêt des grandes firmes semencières).
• Foncier :
Le prix du foncier est faible en France par rapport aux autres pays européens (UK, GE, NL, I). C'est un avantage qu'il faut garder (lié essentiellement au statut du fermage) car c'est ce qui permet d'avoir des coûts de production plus faibles ou équivalents à l'Allemagne.
L'augmentation du prix du foncier conduit à l'intensification car il faut amortir cette charge fixe avec des rendements supérieurs.
• Produits de bases :
- engrais : le prix des engrais a déjà fortement augmenté au cours des 5 dernières années (azote, phosphore, potasse). La réaction possible pour les agriculteurs pourrait être une diminution des doses d'engrais minéraux. C'est un domaine où les lobbies jouent à plein. Le défaut de cartographie des sols en France empêche de définir les zones qui ont ou non besoin de potasse. L'augmentation du prix du phosphore pourrait conduire, comme pour l'azote, à une meilleure valorisation des engrais de ferme en épandant ces engrais en zone de grandes cultures ;
- produits phytosanitaires : la réduction des IFT est possible et réaliste (la « 3 ème voie ») avec une légère baisse des rendements sinon leur stagnation (avec une volonté politique forte). A noter que s'il faut réduire le nombre de traitement « phytos », il ne faut pas réduire le nombre de molécules disponibles, sinon on crée des résistances ;
- semences : le recours aux semences de ferme doit être conservé à condition que la législation le permette ;
- alimentation du bétail : l'augmentation du prix des céréales conduit à l'augmentation des coûts de production des monogastriques (poulets, porcs), donc à l'augmentation du prix de ces viandes blanches pour le consommateur. Cela aboutira, à long terme, à un rapprochement des prix à la consommation entre viande blanche et viande rouge.
• Quelles seraient les conséquences
agronomiques d'une accélération du réchauffement
climatiques ?
On devrait parler plutôt de changement climatique (changement du régime des pluies, pic de chaleur ou de froid...).
Certains effets sont visibles sur les 30 dernières années, mais l'extrapolation aux 50 prochaines années n'est pas évidente :
• Effet sur les rendements des cultures :
o plafonnement des rendements du blé et d'une manière générale des céréales d'hiver (et peut-être du colza) ;
o favorise les rendements de la betterave (semis plus précoce possible) ;
o favorise les rendements du maïs ;
o mais pour ces deux cultures, se pose le problème de la disponibilité en eau.
• Effet sur les bio agresseurs
o un effet est déjà constaté sur les insectes (remontée de certaines espèces vers le nord de la France, avec augmentation du nombre de cycle des parasites qui entraine une augmentation du nombre de traitements) ;
o hivers doux qui entrainent le développement des adventices dans les cultures d'hiver et donc une augmentation du nombre de traitements.
[ Gérard Bailly - Quelle est votre vision de citoyen sur l'avenir des campagnes ?]
Il faudrait promouvoir une agriculture au moins duale, sur l'ensemble du territoire, une agriculture de proximité et une agriculture destinée aux exportations.
Cette diversification des productions, permettrait en outre de préserver le revenu des agriculteurs et de maintenir du tissu rural.
22. Pierre Morel-A-L'Huissier, député
Mercredi 14 novembre 2012
Questions :
• La question de la ruralité
présente-t-elle des traits spécifiques à la
France ?
• Parmi les principales réflexions de
votre mission « ruralité » aux fins de
simplifications ou de clarifications règlementaires, lesquelles vous
semblent devoir être mobilisées dans le cadre d'un travail de
prospective à moyen/long terme ?
• Quels vous paraissent-être les principaux
atouts des zones rurales ? Quels vous semblent être les
principaux obstacles à leur développement
économique ? Les très nombreux contacts que vous avez pu
nouer à l'occasion de vos travaux vous rendent-ils optimiste quant au
potentiel et à l'avenir des différentes campagnes
françaises ?
• Quel vous paraît être, en
particulier, le potentiel du tourisme rural et celui du très haut
débit ?
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, m'a confié un rapport sur la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux. Dans ce cadre, nous avons noué de très nombreux contacts - environ 4 000 - avec différents acteurs du monde rural, qui ont fait ressortir un sentiment général d'exaspération face à une stratification d'éléments de complexité pour les élus, les associations ou les commerçants. Le monde rural est confronté à l'inculture administrative des administrations centrales dans le domaine de la ruralité, alors que les trois quarts des communes comprennent moins de mille habitants. A mon sens, la DATAR n'est pas à la hauteur des ambitions qui devraient être les siennes, avec une vision souvent artificielle des dossiers et des collaborations systématiques avec certaines officines qui peuvent d'ailleurs interroger sur la bonne application du code des marchés publics. Je déplore un manque de réflexion interministérielle, normalement portée par la DATAR qui, à mon sens, devrait plutôt être présidée par un politique que par un préfet.
Pour l'ATESAT (assistance technique fournie par les services de l'Etat pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire), c'est-à-dire l'ingénierie publique, il conviendrait de créer des groupements d'intérêt public (GIP) départementaux comprenant des représentants des communes, des départements et de l'Etat. Ces GIP répondraient à un fort besoin des communes rurales pour l'aide à la décision, sans contrevenir aux impératifs communautaires. Aucune intervention normative n'est nécessaire pour monter ces GIP, qui correspondraient à une simple politique publique.
Au niveau d'un canton rural, je conseille la mise en place d'une « association d'intérêt général » qui soit le réceptacle d'un ensemble de politiques locales dans tous les domaines possibles (tourisme, social, etc.). Ainsi, j'ai créé l'ARCAF - Association de revitalisation du canton de Fournels - qui fait des études préalables à différents projets. 20 % de la population adhèrent à cette association qui est devenue une sorte de guichet unique pour la population. Elle reçoit de multiples aides - de la CAF, en tant que relais de service public, d'antennes Pôle-Emploi... - et comprend deux salariés permanents. On y trouve, par exemple, un accès à Internet, un scanner et une borne de visioconférence. J'estime qu'il faudrait démultiplier cette expérience et réfléchir à un statut d'association d'intérêt public qui lui serait appliqué.
[ Gérard Bailly - Comment voyez-vous l'avenir des campagnes à l'horizon de 30 ou 40 ans ?]
J'identifie deux conditions sine qua non du développement des campagnes : la proximité d'une autoroute et l'accès aux réseaux numériques. Si une zone d'activité répond à ces exigences, tout en offrant des bâtiments préfabriqués et la proximité d'un lotissement agréable, les entreprises s'installent.
Je pense que l'agriculture va se raréfier. La monoculture pose problème et les départements devraient proposer des outils de valorisation et de commercialisation aux petites coopératives qui n'ont pas les moyens de s'offrir les services d'un technico-commercial. Les circuits courts, par ailleurs, obtiennent des succès indéniables.
Une grande difficulté provient de l'enfermement intellectuel et psychologique du monde rural, même si des évolutions sont en cours, en particulier pour la perception du potentiel que représente le tourisme. Toutefois, de gros progrès restent à accomplir dans l'accueil et il convient, à cette fin, de soutenir les offices de tourisme locaux.
A long terme, ma vision générale des campagnes reste plutôt pessimiste. Les communes de moins de 200 habitants sont très mortes et à la recherche permanente de cofinancements, car les financements centraux se raréfient. L'intercommunalité d'investissement constitue toutefois un espoir.
[ Renée Nicoux - Les toutes petites communes me semblent trop nombreuses...]
En effet, et les gens commencent heureusement à réaliser qu'une commune de moins de cinquante habitants ne sert à rien, faute de moyens. Il me semble qu'une commune ne devrait plus rassembler moins de 150 habitants. C'est une évolution consécutive aux changements sociologiques. Par ailleurs, l'effort fiscal des petites communes est parfois insuffisant.
[ Gérard Bailly - Quid de l'urbanisme ?]
Le plan local d'urbanisme intercommunal (ayant valeur de SCOT) et, du moins, le SCOT, sont finalement utiles.
Je souligne ce paradoxe : nous nous trouvons dans un Etat décentralisé, et les collectivités locales sont néanmoins sous perfusion.
En dépit du contrôle de légalité a posteriori , la légalité n'est pas garantie même si le préfet ne marque pas d'opposition.
Dans les campagnes, il faudrait pouvoir adapter les normes aux circonstances sur la base d'un principe d'adaptabilité. Tous les élus et les préfets sont demandeurs d'une règle autorisant l'adaptation des normes aux circonstances. Juridiquement, un tel principe peut être viable à condition de trouver un critère objectif car on ne pourrait mettre en oeuvre une « exception de ruralité » générale. Il conviendrait aussi de trouver le moyen d'adapter aux circonstances le stock normatif existant. Par ailleurs, lorsqu'un service instructeur donne une réponse négative, il me semble qu'elle devrait toujours être accompagnée d'une préconisation dont la mise en oeuvre suffirait à rendre la réponse positive. Il existe, notamment en matière fiscale, la procédure du rescrit, par laquelle un administré pose une question à l'administration qui est tenue par la réponse qu'elle donne ; d'autres administrations pourraient s'en inspirer.
Par ailleurs, j'estime qu'il faudrait préciser et améliorer le statut de secrétaire de mairie qui exerce une fonction clé.
23. Natacha Lemaire, Sous-directrice chargée de la régulation de l'offre de soins (DGOS) au ministère chargé de la santé
Mercredi 14 novembre 2012
Quelle est la dynamique actuelle de l'offre de soin dans les territoires où la situation est jugée critique ? Quelles sont les menaces pesant sur l'offre qui découlerait de nouvelles mesures d'économie ?
• Comment réorienter l'offre de
santé vers la demande formulée dans les territoires
ruraux (regroupements de praticiens dans des « maisons de
santé », incitations à l'installation etc.) ? Que
prévoient les schémas régionaux d'organisation des soins
(SROS) des agences régionales de santé (ARS) ?
• Anticipe-t-on une évolution de la
demande de santé dans les territoires ruraux ?
Laquelle ?
Les premiers schémas régionaux d'organisation des soins ( SROS) suite à la loi HPST 110 ( * ) ont été arrêtés en décembre 2011. Depuis, ils s'égrènent, 17 sont arrêtés à ce jour et 9 le seront prochainement, les derniers devant être finalisés en décembre 2012. Ces SROS sont un exercice programmatique à 5 ans qu'effectuent les agences régionales de santé (ARS). En août 2011, un guide leur a précisé les orientations nationales pour l'ensemble du champ des SROS. Ce guide comprend une partie hospitalière, qui est opposable aux ARS, et une partie ambulatoire, qui est nouvelle et de portée indicative, sauf pour ce qui concerne les aides à l'installation. Il n'existe pas encore de bilan détaillé de ces schémas, mais ils ciblent en particulier les territoires fragiles et en risque de désertification médicale.
[ Renée Nicoux - Qu'est-il précisément envisagé pour les « déserts » ?]
Madame la ministre a annoncé un plan d'action comprenant notamment des mesures exceptionnelles pour structurer une médecine salariée au sein de centres de santé là où il n'existe pas d'offre libérale.
[ Gérard Bailly - Il existe des mesures incitatives, mais pourquoi ne pas recourir à des mesures obligatoires ?]
Le gouvernement, à ce stade, n'envisage pas de recourir à des mesures coercitives.
[ Gérard Bailly - L'alternance aura-t-elle un impact sur les SROS ?]
Les SROS ont une durée de 5 ans, mais les ARS peuvent les modifier quand elles le veulent ; par exemple, la région Poitou-Charentes a prévu une clause de revoyure annuelle. Pour les mesures exceptionnelles évoquées par Mme la ministre, elles pourront donner lieu à une révision ad hoc des SROS.
[ Renée Nicoux - Ne faut-il pas une orientation à plus long terme que cette échéance de 5 ans ?]
En effet, et c'est d'ailleurs ce qui se pratique pour le numerus clausus à un horizon de 10 ans. Par ailleurs, nous travaillons avec l'Office national de la démographie des professions de santé (ONDPS), qui réalise ou fait réaliser des études prospectives. La direction de l'offre de soins travaille aussi avec la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), qui a fait une étude sur les besoins des populations à l'horizon 2020-2030.
[ Gérard Bailly - On déplore, dans certains territoires ruraux, que la consultation de spécialistes soit très difficile, avec des rendez-vous exigeant parfois 8 à 10 mois d'attente...]
C'est un problème bien identifié. Nous travaillons, par exemple, sur la délégation de taches en matière d'ophtalmologie, pour laquelle deux protocoles sont en cours de validation par la HAS 111 ( * ) . A court terme, l'accent est mis sur les territoires fragiles pour les soins de proximité. Un objectif d'accès aux soins urgents en moins de 30 minutes a par ailleurs été défini. Une concertation est en cours, qui débouchera en 2013 sur une décision que les ARS devront mettre en oeuvre pour réaliser cet objectif.
[ Renée Nicoux - Existe-t-il une concertation avec les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ?]
Oui, le SAMU conventionne parfois avec un SDIS pour les transports d'urgence.
[ Gérard Bailly - Concernant l'installation des pharmacies, j'estime qu'il faudrait des critères moins restrictifs dans les campagnes, où elles sont essentielles.]
Actuellement, le dispositif en vigueur peut créer des surdensités en agglomération mais il semble ne laisser que peu de trous.
[ Gérard Bailly - Il reste tout de même le problème de la très forte variation saisonnière de la demande liée au tourisme ainsi que celui des pharmacies de garde le week-end... Est-il raisonnable que l'organisation de ces permanences soit de la seule responsabilité de l'ordre des pharmaciens ?]
Effectivement, dans le cadre juridique actuel, l'organisation des gardes de pharmacie relève du conseil de l'ordre, les ARS n'ayant pas de rôle particulier.
[ Gérard Bailly - Elles le devraient, car se pose en outre le problème de la coordination des implantations des pharmacies avec celle de la médecine ambulatoire...]
• Quelles peuvent être les avancées
de la télémédecine et notamment l'impact, à terme,
du très haut débit sur l'accès aux soins des personnes
isolées ou dépendantes ?
Au printemps 2012, un dispositif national d'accompagnement de projets-pilotes a été mis en place ; il concerne, en 2012, les AVC (accidents vasculaires cérébraux), l'imagerie médicale et les soins aux détenus. Il doit être étendu, en 2013, aux maladies chroniques et aux soins en structures médico-sociales ou en hospitalisation à domicile. Sous bien des aspects, le potentiel de la télémédecine ne requiert pas de très haut débit, le haut débit étant suffisant. Le principal frein est aujourd'hui celui de l'absence de modèle économique pour la médecine ambulatoire. Il n'y a pas de problème de rémunération pour les relations entre hôpitaux, mais dès qu'un praticien ambulatoire est concerné, la question des rémunérations bloque les perspectives de développement.
[ Renée Nicoux - J'observe, par ailleurs, que la consultation obligatoire d'un généraliste pour accéder à un spécialiste qui n'est alors pas forcément le plus proche est probablement coûteuse et dommageable, car elle entraîne une augmentation considérable des consultations de généralistes tout en asséchant les consultations de spécialistes dans les hôpitaux de proximité.]
24. Dominique Berteloot, Directeur académique, services départementaux de l'éducation nationale de la Creuse
Mercredi 14 novembre 2012
• Préciser l'apport de la Charte de
service public en milieu rural concernant l'école. Pourquoi ferme-t-on
une classe ? L'accueil systématique des enfants à partir de
2 ans dans les zones rurales peut-il constituer une piste de consolidation des
effectifs scolarisés et de renforcement de l'attractivité des
territoires ruraux pour les familles ?
• Comment réagissent les élus
locaux à l'annonce d'un projet de fermeture d'établissement ?
Existe-t-il des effets en cascade ?
• Egalité des chances et conditions de
l'enseignement primaire et secondaire : des évolutions
différenciées entre zones rurales et urbaines sont-elles
perceptibles ?
• Les transports scolaires remplissent-ils toutes
les missions que les usagers en attendent ?
• Quel bilan tirer du plan « Ecole
numérique rurale » ?
• Quel pourrait être, à moyen et
long terme, l'impact du très haut débit sur l'implantation des
classes et des familles ?
La Creuse est représentative d'un département rural avec, dans le premier degré, 158 écoles publiques et 3 écoles privées, une prédominance de classes multi niveaux et une moyenne de moins de 20 élèves par classe. Le second degré comprend 18 collèges publics, 1 collège privé, 5 lycées publics, 1 lycée privé et 4 lycées professionnels.
La problématique démographique est importante, avec un effondrement des effectifs sur le long terme : 20 111 élèves en 1957, 9 473 en 2001 (172 écoles) et 8 672 en 2012 (158 écoles) dans le premier degré. Ces dix dernières années, le taux d'encadrement est resté globalement stable, autour de 6,5 élèves par poste. Pour les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), on constate une chute en 2011-2012. La carte scolaire 2011 impose, d'une façon générale, la restitution de 5 % des postes.
Si le taux d'encadrement de la Creuse reste l'un des trois premiers de France, il convient de distinguer plusieurs zones géographiques -les villes, les bourgs et la ruralité de grand isolement- où ce taux n'a pas la même signification. En certains endroits, il est indispensable, en l'état actuel de l'organisation, de maintenir une classe unique accueillant 7 élèves, forcément plus consommatrice d'encadrement qu'une classe urbaine.
Les élèves de deux ans se retrouvent souvent en plus faible nombre qu'annoncé, alors que la place pour les accueillir, bien souvent, ne manque pas. La difficulté principale est, pour eux, celle de leur mélange avec les autres enfants de la même classe, entraînant une grande disparité d'âge, et non le refus d'ouvrir une classe ou sa fermeture par l'administration.
Au fond, cette question est celle du service pédagogique rendu à la population scolaire.
Par crainte de fermetures de classes dans les petits villages, nombre d'élus préfèrent le maintien de classes à cours multiples (maternelle X cours préparatoire par exemple) alors qu'en jouant sur l'offre de transports, ils pourraient proposer aux plus jeunes élèves une scolarité en école maternelle de plein exercice, ce qui serait bien plus adapté pour eux et améliorerait les conditions d'enseignement.
La Charte de service public en milieu rural est parfois une confrontation à la réalité. Les faibles effectifs laissent présager de certaines fermetures. Il existe des postures défensives, des dramatisations annuelles entraînées par l'absence de contractualisation. On détecte parfois une sorte de « marché de l'élève » pour les attirer, chaque maire cherchant à toute force le maintien de son école avec des conséquences pédagogiques (classes comprenant beaucoup de niveaux différents) non négligeables.
Une contractualisation sur trois années qui maintiendrait des moyens adaptés sur cette durée, permettrait aux élus de travailler à la consolidation démographique ou organisationnelle (proposition de services, offre d'immobilier locatif, construction de principe de RPI...).
[ Renée Nicoux - Dans les zones de montagne, les élus se battent aussi pour maintenir les écoles, ce qui paraît légitime.]
La Charte est un bon outil s'il est porté par un collectif d'administrations et repose sur un dialogue. Toutefois, il reste difficile de rencontrer les parents d'élèves et nombre d'interlocuteurs dont parfois, les syndicats enseignants restent défiants sur cette démarche
Il convient de ne pas décourager les personnes qui s'installent ou résident dans des zones en voie de désertification et maintiennent le territoire en vie : la charte est un moyen de contractualiser le dialogue.
Pour en revenir à ce « marché de l'élève », il arrive que « des écoles tuent des écoles ». On constate que pour de multiples raisons (soutien des élus, services associés -crèche, garderie) des écoles connaissent une attractivité telle que leurs voisines se vident à leur profit.
Parfois cela débouche sur des fermetures : il est nécessaire d'anticiper sur ces situations pour permettre la construction de l'offre scolaire, respectueuse des temps de transport des élèves.
L'organisation d'une école comprenant trois classes (un classe : un cycle) est des plus structurantes.
En effet, elle correspond souvent à un bassin de population suffisant pour assurer le recrutement de l'effectif des trois classes et, par ailleurs, la fermeture d'une classe peut avoir un effet sur l'attractivité de l'école. Des effets en cascade peuvent alors se ressentir ; il est impératif de mener une concertation d'ensemble pour éviter une dynamique négative : de la perte de population à la fermeture d'une classe, qui accélère encore le départ de la population....La décision de fermeture devrait toujours obéir à un principe de concertation partagée portant sur les besoins des territoires sur le moyen et le long terme (le « lissage » de l'effectif évite les effets de seuil ponctuel).
[ Gérard Bailly - Les écoles à trois classes doivent constituer un objectif à maintenir même si la population connaît un creux ponctuel.]
J'en viens à l'évolution sociologique du corps enseignant. Dans la Creuse, il n'y a plus que deux instituteurs ; les autres enseignants sont des professeurs des écoles affectés dans le département selon leur rang de réussite à l'issue du concours, académique. Or, ceux qui sont envoyés dans les campagnes périphériques ne s'implantent pas et préfèrent endurer des temps de transport importants. On assiste aussi, après la naissance d'enfants, à une multiplication des congés parentaux et des temps partiels.
[ Renée Nicoux - Ne faudrait-il pas prendre des mesures pour loger les instituteurs dans la commune et éviter ainsi les phénomènes de « professeur-navette » ?]
Une idée pourrait être d'implanter des formations de professeur des écoles dans des villes moyennes (cf Master par alternance à Guéret, qui attire des étudiants venus de la France entière : on peut penser que quelques-uns de ces jeunes s'implanteront pour longtemps en Creuse).
Concernant l'égalité des chances, il faut absolument casser une tradition de non-orientation vers des études longues. L'ouverture culturelle doit être améliorée et l'expérience montre que l'augmentation du taux de passage en seconde se traduit aussi par une augmentation du taux de réussite en première (sur trois années, le département a rejoint les scores académiques dans ce domaine).
Dans une perspective de valorisation du territoire, une charte éco-pédagogique a été mise en place. La ruralité est une identité susceptible d'être revendiquée ; une réflexion est nécessaire sur le paradigme de ruralité qui n'est pas la mort d'un monde passé mais l'espoir d'un monde nouveau.
Concernant les moyens disponibles en milieu rural, notons, par exemple, la difficulté de faire entretenir le matériel informatique par absence de personnel spécialisé dans les petites mairies.
Notons également qu'il est complexe d'assurer une formation et une animation pédagogique dédiée à ces outils : le nombre d'animateurs informatiques de circonscription s'est restreint ces dernières années.
En conclusion, l'école en milieu rural est plus onéreuse, mais elle participe à l'aménagement du territoire. Je pense en effet que la mise à disposition de logements pour les enseignants pourrait être une facilitation. Certains d'ailleurs louent une chambre, ponctuellement, pour s'éviter de longs trajets. La suppression de RASED est plus dommageable encore hors des villes car absolument personne ne peut se substituer à leur action : d'une façon générale, on ne peut s'en tenir à un modèle basé sur la seule observation du ratio « nombre d'élèves sur nombre de maîtres » pour calculer des dotations. Seule l'analyse approfondie de la situation du territoire, de la nature des classes (cours multiples), des proximités de service (remplacement, rased, emala) peut conduire à des décisions : leur impact est d'autant plus important qu'il porte sur des unités isolées, fragiles, en résonance avec leur territoire d'implantation.
25. Fabien Bazin, Maire de Lormes, contributeur de la réflexion sur le « bouclier rural »
Mardi 18 décembre 2012
La logique des scénarios France 2040, tels qu'exposés, en particulier, par la DATAR, est plutôt celle d'une extrapolation tendancielle. En réalité, aucune des scénarisations proposées ne me paraît déboucher sur un avenir franchement souhaitable, et je n'en conçois même pas un mixt réellement séduisant.
Pour aborder une réflexion sur l'avenir de l'espace rural, il convient sans doute de bien distinguer rural profond et rural périurbain. L'exode urbain qui a succédé à l'exode rural, est tantôt choisi - il alimente alors plutôt le rural profond #172;, tantôt subi, il alimente alors, généralement, l'espace périurbain.
La question est celle, posée par Edgar Morin de « ré-humaniser les villes et vitaliser les campagnes ». Il existe un budget de la ville qui représente environ huit milliards d'euros en fonctionnement, alors qu'aucune somme n'est fléchée au niveau central pour alimenter un quelconque budget des campagnes qui, au demeurant, n'existe pas.
Une des questions les plus classiques dans les zones rurales est celle des services publics. La RGPP a été abandonnée mais nous avons dorénavant la modernisation de l'action publique (MAP). Nous avions proposé, dans le cadre de la proposition de loi sur le bouclier rural, de fixer des temps d'accès minimum à différents services. Par exemple, 45 mn pour une maternité, 30 mn pour des services d'urgence, 15 mn pour une école primaire ou les services postaux (qui se caractérisent, ces derniers temps, par une propension excessive à mettre en avant diverses innovations tenant davantage du gadget que de l'amélioration réelle du service rendu).
L'accès au très haut débit est bien entendu vital pour le développement de toutes les campagnes. Je m'inscris en faux avec les propos d'un certain PDG d'Orange, selon lequel « les mémés du cantal n'ont pas besoin du THD ». Les agriculteurs ont souvent été les premiers à utiliser les ressources d'Internet... depuis nous avons inventé, en campagne, de nouveaux usages de l'Internet et nous expérimentons le télétravail .... Il importe que la révision du modèle actuel pour l'Internet débouche sur un schéma de développement qui dépende, pour une part moins importante, de l'initiative privée. L'enjeu de la fibre, en termes d'investissement, représente tout de même 25 à 30 milliards d'euros. Quels en sont les usages ? Les perspectives paraissent parfois lointaines, comme avec la domotique, ou sont entourées d'un certain flou conceptuel, ce qui est le cas du télétravail, ou sont encore, dans bien des cas, peu comprises, comme c'est le cas avec le « cloud computing ». Il existe, assurément, un vrai problème de « jargon » et de compréhension de la part des élus et des représentants de l'Etat et surtout de nos concitoyens.
Par ailleurs, on doit interroger la liberté d'installation des médecins tout en encourageant leur salariat et en protégeant les hôpitaux de proximité. Il semblerait que les agences régionales de santé, avec les contrats de réseaux de santé, ne soient pas en adéquation avec les besoins locaux, et pas davantage avec les capacités locales.
J'observe aussi que les artisans et les commerçants sont confrontés à de graves difficultés. Les soutenir devient urgent et, compte tenu du caractère très limité des aides existantes, il faudrait instaurer des aides de l'Etat directes au profit des commerçants et artisans exerçant en réalité une mission de service public, lorsqu'ils se trouvent seuls, ou presque seuls, à animer un village.
Je veux évoquer aussi les normes de sécurité, dont la sévérité est un véritable remède contre l'initiative locale, aussi bien publique que privée.
J'en arrive à l'économie. Laurent Davezies a montré l'importance de l'économie résidentielle et présentielle dans les campagnes, où son développement est tout aussi nécessaire que celui de la base productive.
Il existe aux Etats-Unis une « loi sur le réinvestissement du crédit », dont notre législation s'inspirerait utilement. L'idée est de ne pas se satisfaire qu'une épargne locale souvent abondante se trouve très majoritairement réinvestie ailleurs par les banques. Cette épargne devrait être, autant que possible, réinvestie sur place.... Le dispositif américain aurait ainsi « réorienté » quelque 1.300 milliards de dollars en 30 ans vers les territoires. Par ailleurs, ce dispositif prévoit que les banques subventionnent directement les associations d'intérêt général sur le territoire. C'est un nouveau modèle pour une nouvelle vie que voulons contribuer à inventer.
Concernant la politique du logement, la carte des zones tendues est évolutive. Il me semble qu'il conviendrait de créer des « villages du futur » se greffant sur des villages anciens, des villages connectés, témoignant que le bien vivre ensemble s'invente aussi a la campagne et de dynamiser l'action des offices de HLM, dont les politiques d'investissement sont souvent très frileuses.
En matière d'éducation, l'idée serait de créer des ZEP rurales, dans lesquelles on trouverait 25 élèves par classe au maximum. J'ajoute qu'il faut privilégier l'accueil des enfants à partir de deux ans qui, à la campagne , fréquentent autant l'école que leurs aînés .
[ Gérard Bailly - Je partage certaines de vos analyses. Il reste que le problème des transports est sensible pour les enfants du primaire, c'est pourquoi je suis sceptique sur l'enjeu de la scolarisation à partir de deux ans.
Concernant l'accès aux services, le problème est aussi celui de la définition des campagnes et ce qui nous intéresse, à cet égard, c'est plutôt la campagne profonde. Pour l'économie, j'observe que les activités glissent des territoires ruraux vers des agglomérations, évolution expliquée bien souvent par des problèmes de déplacement. Que proposer aux entreprises pour les encourager à rester implantées sur le territoire ? Je déplore, par ailleurs, qu'il n'y ait jamais eu de véritable politique de réhabilitation des logements existants. Sur un autre plan, je crains que la réforme des collectivités locales, qui prévoit une refonte des cantons, ne débouche sur une diminution de la représentation des territoires ruraux dans les conseils généraux.]
Concernant le transport des petits enfants, je vous signale des initiatives intéressantes de covoiturage. Par ailleurs, la définition des campagnes qui est donnée par l'INSEE est négative : les territoires ruraux sont les territoires qui ne sont pas urbains, ce qui ne facilite pas, en effet, l'approche du concept.
Je citerai, d'autre part, la logique du « small business act », très intéressante pour l'activité locale; elle consiste a réserver une part des marches publics aux locaux. Le logement « très social » doit aussi attirer notre attention, surtout à cause des effets à retardement de la crise actuelle.
Concernant la voirie, une expérience de communautarisation montre la possibilité d'un gain de 30 % sur les devis et d'une augmentation sensible de la DGF... Pour le problème du déneigement, l'issue est celle d'une véritable mutualisation entre communes, intercommunalité et département.
Pour ce qui concerne les structures, il existe un consensus républicain pour la sanctuarisation des communes. En revanche, je crois que les intercommunalités doivent gagner en surface via des refontes successives et devenir ainsi des fédérations de cantons. Mais il faut aussi pouvoir expliquer aux administrés « qui fait quoi ».
[ Gérard Bailly - Pour la réunion des communes, la situation est compliquée car si beaucoup souhaiteraient que l'intercommunalité devienne la commune, toutes les lois favorisant des fusions ont échoué... Faut-il faire des intercommunalités géantes ? Je crois plutôt à des inter-intercommunalités souples, plutôt qu'à des super-intercommunalités.]
Il est vrai que la perspective des évolutions souhaitables peut changer considérablement d'un territoire à l'autre, mais la fiscalité constitue une incitation certaine à des intégrations intercommunales toujours plus larges.
Je déplore que l'acte III de la décentralisation se préoccupe en premier lieu des métropoles. J'estime, par ailleurs, que les pays sont un excellent lieu d'apprentissage du travailler et du vivre ensemble pour les circonscriptions qui les composent. Mais d'une façon générale, je dirai que, pour le développement des campagnes, la gouvernance des territoires ruraux est une fausse bonne question.
C. DÉPLACEMENTS
1. Basse-Normandie
Mardi 18 septembre 2012
a) Echanges de vues sur les « Nouvelles ruralités à l'horizon 2030 » à Cerisy (Manche)
Participants :
- Edith Heurgon, directrice du Centre culturel international de Cerisy, conseillère en prospective
- Jean-Philippe Briand, CESER de Basse-Normandie, auparavant au Conseil régional de BN chargé de l'élaboration du SDRAT
- Fabrice Jeanne, directeur général des services du Conseil général de la Manche, et Christine BACHELEZ, directeur de projets, chargée de la démarche prospective « Ecrivons ensemble la Manche de demain »
- Sophie Bardot, chargée de mission développement local à la Chambre d'Agriculture de la Manche
Edith Heurgon - La démarche prospective de l'INRA pour son exercice sur l'avenir des ruralités à l'horizon 2030 est exemplaire : méthode rigoureuse, moyens suffisants. Dans la nouvelle méthode « Prospectives du présent », à laquelle nous nous essayons dans la Manche, l'accent est mis sur les « signaux faibles » et les observations des gens (les « territoires vécus »).
L'idée n'est pas de trouver le modèle de ruralité en 2030, car il convient au contraire de préserver la « géodiversité ».
Le scénario 4 de l'INRA qui est illustré par la Manche, est à la fois le plus « nostalgique » et le plus prospectif. En réalité, la Basse-Normandie se caractérise plutôt par un mélange des scénarios 1, 2 et 4 de l'INRA. Concernant l'exercice « Territoires 2040 » de la DATAR, il nous semble que c'est alors le scénario 2, dit de « régiopolisation », qui peut s'appliquer à la Basse-Normandie.
Christine Bachelez - La démarche prospective engagée pour la Manche est longue : elle doit s'étendre sur deux ans. Après une phase de diagnostics, une rencontre avec les habitants est aujourd'hui amorcée.
Edith Heurgon - Pourquoi une démarche au niveau départemental, sachant qu'il existe déjà une démarche régionale ? On ne peut pas faire que des SRADDT 112 ( * ) . En réalité, la prospective n'est pas une démarche institutionnelle. Les villes conduisent aussi des exercices de prospective. Il faut jouer avec les échelles. Par ailleurs, je crois qu'on fait de la bonne prospective dans des lieux de pouvoir faible. Pour autant, il faut ensuite s'emparer des travaux prospectifs.
Christine Bachelez - La manche comprend 600 communes, de multiples communautés de communes ainsi que 4 pays (syndicats mixtes) où sont établis autant de SCOT. Depuis 2005, de nouvelles relations avec les politiques ont été amorcées via les syndicats mixtes et des démarches contractuelles. Les espaces protégés sont montés en puissance et, par ailleurs, on a beaucoup « fibré ».
Jean-Philippe Briand - La Basse-Normandie présente certaines spécificités. Historiquement, c'est une région très peuplée, ce qui explique un important maillage de villes moyennes et de bourgs. C'est la deuxième région rurale de France, la première région pour la concentration d'emplois dans les villes moyennes, et la quatrième région pour la périurbanisation. Au final, la Basse-Normandie peut être considérée comme un très bon laboratoire pour observer le monde rural de demain.
D'un point de vue démographique, les jeunes continuent à partir. C'est l'exode rural d'aujourd'hui... Mais la région demeure très attractive pour les retraités, si bien que, pour l'économie locale, le moteur résidentiel est puissant.
Il existe une forte diversité des activités. L'agriculture est traditionnellement marquée par la prégnance de l'élevage, qui a un fort impact environnemental et participe à la composition d'un paysage attractif. La transformation des prairies en cultures céréalières, tendance générale qui s'observe également en Basse-Normandie, est donc dommageable au paysage.
Il existe un lien fort entre l'agriculture et l'agroalimentaire. Un tissu dense de PMI, plutôt à faible valeur ajoutée et généralement sous traitante, caractérise le territoire. Pourtant, les activités résistent ici mieux qu'ailleurs.
La filière santé-médicosociale est, enfin, très prospère mais elle est doublement menacée : par les restructurations hospitalières, et par un affaiblissement du secteur médicosocial en raison de risques pesant sur son financement, et résultant d'une moindre attractivité des métiers.
D'une façon générale, la région peine à recruter des cadres. Peut-être est-ce un problème d'image...
Edith Heurgon - Pourtant, les atouts ne manquent pas. Ce qui conquiert les résidents, ici, c'est le ciel, la nature, la lumière.... Tout un ensemble plus ou moins indicible qu'on n'est pas habitué à quantifier. Par ailleurs, l'attirance générale pour l'ouest peut jouer.
Jean-Philippe Briand - On observe deux phénomènes majeurs en Basse-Normandie :
- la métropolisation : Caen gagne 2 500 emplois par an et se tourne de plus en plus vers Paris ; va-t-elle délaisser son « interland » ? Cette situation engendre des tensions avec des campagnes quelque peu délaissées ;
- le développement du littoral : essentiellement résidentiel, il engendre une augmentation des prix immobiliers.
Quelles sont au final les zones d'ombre ?
- La restructuration agricole,
- un tissu industriel déconnecté,
- la surattractivité du littoral,
- l'avenir de la filière médicosociale,
- la périurbanisation ; le mitage se généralise et entraîne une banalisation des villes qui pénalise leur attractivité à long terme ;
- le numérique : beaucoup d'investissements ont été faits, le problème est dorénavant celui de l'usage. A cet égard, la Basse-Normandie constitue, ici encore, un véritable laboratoire.
Sophie Bardot - Les agriculteurs se sont prêtés volontiers au jeu de la prospective et de nombreuses questions ont pu être ainsi abordées, comme la « performance de l'agriculture dans la Manche en 2030 » ou le « développement des services marchands dans le pays de Coutances » (présentation détaillée de la méthode et des résultats de ces travaux).
b) Conseil régional de Basse-Normandie (Caen)
Cabinet du Président : Christophe Le Foll, directeur de cabinet adjoint
Services du conseil régional : François Lorfeuvre, directeur de l'aménagement et du développement durables
Image rurale de la Basse-Normandie. Mais ouverture maritime que la région tente de valoriser et tissu industriel divers. Capitale régionale ayant une dynamique positive. Arrière-pays en risque de décrochage par rapport à la dynamique du littoral (économie résidentielle) et à celle de Caen. Région essaye éviter ce décrochage. Atout : le maillage territorial des villes moyennes (le Bas-Normand est toujours à 20 ou 30 km du service ou de l'emploi dont il a besoin. Si on arrive à maintenir ce maillage, cela permettra éviter un décrochage rural marqué par le départ des jeunes et l'arrivée des retraités sur le littoral. La région réfléchit au lien à l'intérieur des bassins de vie mais aussi au lien entre les villes moyennes pour avoir un réseau entre les différents pôles. Ce qui a changé est le développement de l'axe Seine auquel il faut se raccrocher : il peut donner un souffle à la région. Les énergies marines renouvelables offrent aussi un potentiel d'emploi et d'innovation (centre de recherches performants).
Milieu rural composite : Perche est dans la zone d'attractivité de la région parisienne, l'avenir est « assuré » avec une population sous l'influence de l'île de France. Granville est attractive en tant que tel, fort pourcentage de retraités, ce qui provoque une augmentation du prix du foncier. Par ailleurs, secteurs un peu déshérités où départ des jeunes qui ne trouvent ni emploi ni formation avec retour des retraités originaires. Phénomène de périurbanisation très visible dans la plaine de Caen avec consommation de terres agricoles de qualité. Par conséquent, divers secteurs susceptibles de relever chacun de scénarios différents de la prospective INRA de 2008. Pas de vraie homogénéité des zones rurales dotées d'avenirs différents et appelant des politiques incitatives différentes afin d'éviter le décrochement de l'arrière-pays. D'autre part, importance de garder une économie productive sur le littoral. Une des principales filières présentes dans les pôles est la filière automobile, qui suscite un enjeu de ré-industrialisation.
Exemple de Flers avec le pôle Faurecia (équipement automobile) : implantation d'un lieu de formation d'ingénieurs avec l'appui de l'université. On arrive ainsi à préserver une activité dans cette ville moyenne, sur la base du triptyque formation-industrie- recherche. On cherche à faire la même chose avec les énergies marines renouvelables (la moitié du potentiel hydraulien français est au large de Cherbourg) en termes de filière.
On cherche à faire cela par le biais d'un cluster . Création d'un SPL 113 ( * ) associant CU Cherbourg-Manche-Région devant couvrir tous les champs liés aux énergies matines renouvelables, y compris un cluster .
On cherche ainsi à éviter développement monocentrique sur la capitale.
Autre caractéristique de la Basse-Normandie : l'émiettement communal (1 800 communes pour 3 départements) ; intercommunalités de petite taille (quelques milliers d'habitants sauf exception. La réforme va sans doute faire monter d'un cran. La région essaie alors de mobiliser les territoires à l'échelle supra-intercommunale (i. e. les pays, qui sont en devenir - les 4 pays sont portés dans la Manche par des structures intercommunales, le maillage de SCOT étant cohérent, la région s'appuyant dessus pour tenter de développer des démarches de projets de territoire débouchant sur des contractualisations (existence d'un volet territorial dans le CPER 114 ( * ) ).
Enjeu à améliorer : mieux intégrer dans approche territoriale les politiques sectorielles que la région peut conduire (formation continue, économie, sport, culture etc.).
Il y a 15 ans la région soutenait des projets d'intérêt intercommunal strict, on a voulu monter en intérêt de projet au-delà de l'intercommunalité » et la maille des projets s'est considérablement agrandie. On arrive à un niveau de projet structurant y compris dans des villes moyennes.
Importance de doter à cette fin les territoires de l'ingénierie territoriale nécessaire. Quand appel à projet national (PER 115 ( * ) ) ou régional, les équipes répondent ce qui améliore la capacité de répondre à l'enjeu.
On tente de mettre le paquet sur les 20 bassins de vie (13 pays avec chacun 2 à 3 villes moyennes).
Se sont appuyés sur le SRADDT 116 ( * ) - lancé en 2007 - pour lancer cette stratégie. Il avait identifié le risque de fracture territoriale. On a développé récemment une autre approche prospective « à dire d'expert » menée par une vingtaine de personnalités sur les enjeux prioritaires, les faiblesses et risques sur lesquels il faut agir (exercice plus ciblé que le SRADDT, avec logique de « blitzkrieg »). On aboutit à des conclusions proches.
Le nouveau contexte était le Grand Paris, l'axe Seine avec le souci d'éviter que la Basse-Normandie soit à l'écart. On retrouvé de façon moins détaillée ce qui était dans le SRADDT. Le contexte actuel de réforme ralentit le débouché sur les choix structurant l'action régionale.
Le SRADDT est un document partagé, donc fondé sur une logique de consensus et comportant une ambigüité car les communes et départements voulaient « être dans le SRADDT» pour être sûrs d'avoir des financements régionaux. Le document récent est plus l'expression de la volonté politique du conseil régional.
Financement dans les contrats territoriaux, cofinancements Etat-région, on aurait souhaité dialogues avec les territoires y compris départements. Pas possible en raison de l'opposition politique entre les départements - qui ont leurs propres contrats territoriaux avec les communautés de communes - et la région. On retrouve souvent les mêmes projets mais tout ceci pose des problèmes complexes de coordination et de planning. La réforme pourrait permettre de clarifier les interventions des échelons et d'atténuer les lourdeurs. La simplification administrative pourrait être un paramètre facilitant le lancement de projets, qui se font actuellement assez rares. Quand les projets ont des cofinancements FEDER 117 ( * ) ou autres, cela nécessite la mise en oeuvre d'une ingénierie financière et administrative...
La cohérence entre les outils : CPER/POE 118 ( * ) FEDER, en voulant la cohérence, on crée de la complexité, par exemple, on a voulu traduire le CPER et les engagements de la France dans la programmation des fonds européens sur l'ingénierie territoriale et sur les projets mis en place, on a imaginé un dossier commun. On aboutit à une situation marquée par la faiblesse des fonds consacrés au volet territorial sur le POE FEDER, on ne peut donc plus financer de nouveaux projets, tout en ayant à gérer des queues de crédits hors projets contractualisés. Chacun a sa propre logique et il n'est pas utile de monter usines à gaz au nom de la cohérence administrative entre les différents outils : les acteurs ne peuvent plus réaliser leurs projets sur le terrain. Autre exemple : priorité innovation des fonds européens en 2007, obligation de rentrer dans des cases sur le terrain, certains se sont retrouvés en décalage pour financer des projets utiles sur le terrain.
Le SRADDT a servi de base pour le CPER et en ce qui concerne la programmation POE 2014/2020, on n'est pas en contradiction avec les éléments de stratégie. On sait quels sont les secteurs porteurs. Autre exemple, le SRCAE 119 ( * ) , élaboré avec l'Etat débouchant sur des orientations ayant un caractère concret. On va voir ce qu'on pourra soutenir au titre des crédits FEDER. Trop de schémas stratégiques, mais vont presque obligatoirement dans le même sens car s'appuient sur le même diagnostic ou sentiment de départ partagé (ex. créer de la valeur ajoutée en Basse-Normandie, que c'était l'objectif des SRADDT, POE FEDER, SRDE 120 ( * ) , schéma enseignement supérieur...
Les schémas, comme outils de travail entre gens impliqués, marchent, mais sont illisibles en dehors, notamment pour les élus des territoires, c'est pourquoi l'échelon de travail à l'échelle des pays est intéressant : espace de médiation entre la préoccupation stratégique et la préoccupation du territoire, à qui on apporte des éléments d'analyse. Le SRADDT est un peu le schéma des schémas. L'ensemble ne se contredit pas.
Effets sur le territoire : on ne sait pas car le rythme de l'action publique est très lent. Bilan du CPER chaque année, obligatoire, on mesure l'état des engagements et non les effets, qui se produiront à plus long terme. On fait quand même, à la suite du livre blanc, un tableau de bord avec des indicateurs de contexte régional et des indicateurs de suivi de l'action régionale. 25 indicateurs principaux sur les grands enjeux stratégiques de la région, et des indicateurs secondaires (90 en tout).
Exemple de la démographie médicale. On a développé en 2005 une politique dans le cadre d'une charte cosignée avec beaucoup de partenaires (Etat, ARS 121 ( * ) , départements, union régionale des médecins libéraux) prévoyant dans secteurs prioritaires déterminés un projet de santé du territoire sur la base de la photographie du besoin de santé du territoire. On débouche sur un projet de pôle de santé avec mutualisation dans un lieu généralement porté en maitrise d'ouvrage par la communauté de communes. Il en existe une quinzaine. On commence à élaborer le cahier des charges de l'évaluation de cette démarche qui a donné lieu à la constitution de « mini cliniques » asséchant le territoire au-delà des quinze kilomètres de l'aire prévue. Cela prend du temps.
Télémédecine dans les zones rurales. On a développé une thématique, pas centrée sur les zones rurales, autour de la télésanté dans le cadre d'un programme FEDER (programme régional d'action innovatrice). Résultats décevants sur le volet suivi médical.
En ce qui concerne la démographie médicale, le périmètre pertinent est la région, pas les bassins de vie.
La politique d'accueil dans les territoires est liée à la présence de services publics (école, poste). Parmi les raisons de la venue en zone rurale : le logement et la présence des services publics dont spécialement l'école, ainsi que la petite enfance. Le conseil régional aide les pôles petite enfance, pas de stratégie partagée entre la région, l'Etat et les départements sur ce sujets. La région intervient indirectement en matière de services à la population (sport et culture) par le biais de la politique territoriale, qui permet de soutenir beaucoup de projets. Tout cela se fait généralement dans le cadre de la programmation des pays, à l'échelle intercommunale, rarement à une échelle plus large de 2 ou 3 communautés de communes.
2. Midi-Pyrénées
Mercredi 28 novembre 2012
a) Syndicat mixte du pays Midi-Quercy (Nègrepelisse, Tarn-et-Garonne)
Réunion de MM. Jean Cambon , Président du pays, Philippe Darbois , directeur du pays Midi-Quercy, Olivier Mora , ingénieur agronome, chercheur à l'INRA, Mme Renée Nicoux et M. Gérard Bailly , rapporteurs.
Jean Cambon - L'espace rural se définit négativement, par rapport à la ville, qu'il n'est pas. Les maladies de l'espace urbain nous invitent à réfléchir à l'avenir des campagnes en voie de péri-urbanisation, où il faut à la fois penser l'espace et la centralité. Le syndicat mixte, support juridique du pays Midi-Quercy, dispose de leviers très limités. Notre choix est donc de faire ce que les autres ne font pas. Par exemple, s'intéresser aux paysages, qui sont un bien commun que tout le monde doit valoriser. L'urbanisme peut être utilisé à cette fin. Nous avons élaboré une « charte paysagère » et invité les communes à mettre les plans locaux d'urbanisme (PLU) en accord avec cette charte, qui n'a cependant pas de valeur normative et nous croyons d'ailleurs, en la matière, aux démarches volontaires. En retour, les collectivités - la région, le département - ont développé des aides spécifiques accordées aux communes acceptant d'obéir à la charte paysagère.
Deuxième exemple, en matière de consommation d'énergie et de climat, nous avons lancé en 2004 un diagnostic énergétique du territoire.
On parle beaucoup de mixité dans les banlieues et pas assez dans les zones rurales, où la diversité sociale est pourtant une exigence fondamentale. Le problème du climat est une approche intéressante pour favoriser l'inclusion, au sein des zones rurales, en fédérant les personnes autour de problématiques générales, voire mondiales.
Le syndicat mixte propose des services spécifiques aussi bien aux communes (25 sur 49 ont adhéré) qu'aux particuliers. Par exemple pour l'efficacité énergétique des bâtiments, le syndicat mixte mobilisant ainsi 60 % des aides de l'ANAH du département.(alors que le Pays MQ ne représente que 22% de la population départementale)
Gérard Bailly - Quelles sont vos actions concrètes pour préserver l'agrément des paysages ?)
Jean Cambon - Un inventaire du patrimoine bâti a été lancé via une convention avec la région. 4 personnes y travaillent à temps plein. Dans les PLU, en cas de changement de destination d'un bâtiment, le style d'origine doit être conservé. Il reste cependant difficile d'obtenir la démolition des bâtiments agricoles récents se trouvant désaffectés.
Par ailleurs, la maison de l'emploi Midi-Quercy (basée à Caussade) est centrée vers des métiers traditionnels. Le thème de la tradition et de la typicité est donc élargi à la problématique de l'emploi. Il existe, par exemple, des formations à l'isolation thermique des bâtiments anciens. D'ailleurs, des formations ad hoc existent déjà souvent, simplement, elles ne sont pas mobilisées par les campagnes.
Renée Nicoux - J'observe cependant qu'il est difficile de convaincre les artisans de se soumettre à un complément de formation sur ces sujets. Les difficultés sont moindres avec les jeunes agriculteurs, pour lesquels on constate un véritable changement de mentalité.
Jean Cambon - Autre exemple, nous avons lancé des « éco-défis » aux commerçants dont beaucoup ont eu à coeur de les relever.
Renée Nicoux - Concernant la charte paysagère, quelles ont été les autres actions ?
Jean Cambon - Il existe un système d'entretien, par communauté de communes, pour les rivières et ruisseaux. Le pays a aussi pris l'initiative d'une charte forestière qui traite de nombreux aspects : énergie, environnement, tourisme... Concernant le problème du morcellement foncier, les propriétaires sont incités financièrement à échanger des parcelles, facilement identifiées via une bourse d'échange.
Nous avons aussi engagé un état des lieux de la biodiversité lié à la forêt. En définitive, le syndicat mixte est un bon relai de politiques nationales parfois peu actives.
Gérard Bailly - Comment valoriser la filière bois ?
Jean Cambon - La filière bois énergie fonctionne bien même si le petit parcellaire constitue une difficulté.
Le bois d'une scierie nous revient à 35 euros la tonne, le pin des landes à 80 euros et celui fourni par les agriculteurs à 120 euros.
Gérard Bailly - Quel pourrait être, selon vous, l'avenir de la ressource forestière à 30 ans ?
Jean Cambon - Je pense qu'il sera marqué par les progrès de l'agro foresterie. Je précise, par ailleurs, que les réseaux de chaleur sont gérés en régie.
Gérard Bailly - Les campagnes étaient autrefois parsemées de multiples PME, dont de très nombreuses disparaissent à la faveur de mouvements de concentration. Existe-t-il des nuances locales concernant ce phénomène ?
Jean Cambon - Ce problème pose la question des services proposés par les communes, de leur capacité en termes d'ingénierie. Un chef d'entreprise jugera une installation problématique s'il n'y a pas de logement ni de service disponible, problèmes insolubles si la population locale estime que la situation est satisfaisante pour ce qui la concerne. D'où l'intérêt, j'insiste beaucoup sur ce point, de lutter contre la non mixité des zones rurales.
Philippe Darbois - En Midi-Quercy, le tissu des PME est encore relativement épargné, même s'il est fragile. Mais heureusement, la main d'oeuvre compétente est toujours là. Pour développer les « niches » productives, nous avons un conseil de développement composé de personnes remarquables, souvent retraitées. L'analyse de ce conseil a débouché sur une double préconisation, concernant l'agriculture, avec le développement des circuits courts, et en faveur de l'accompagnement de quelques niches productives. Le conseil a également cherché à organiser en réseau, autant que possible, les différentes entreprises.
Jean Cambon - Il faut mettre l'accent sur les spécificités du territoire pour favoriser les différents types de production.
Concernant le tourisme, la professionnalisation est nécessaire. Midi-Quercy représente 43 % du tourisme du département, qui n'a pas, en la matière, de politique globale. Je serais favorable à une attribution de la taxe de séjour, actuellement perçue par la commune, au niveau du pays Midi-Quercy, accompagnée d'une mise en réseau des informations à destination des touristes.
Renée Nicoux - La mutualisation est au coeur du sujet pour le tourisme.
Philippe Darbois - Globalement, les communes adhèrent à nos projets, ainsi que les hébergeurs. L'agrotourisme est accompagné. Depuis 10 ans d'accompagnement, le potentiel touristique du pays n'est cependant pas encore réalisé et, dans l'attente des développements futurs, il convient donc de préserver ce capital.
Gérard Bailly - Le problème de la rentabilité des investissements pour le tourisme se pose avec acuité, car elle n'est pas immédiate.
Jean Cambon - En effet ; autre type de problème, celui de la conflictualité, pour lequel je citerais les activités nautiques pratiquées sur la rivière Aveyron, qui ont nécessité une étude pour réconcilier les usages.
Renée Nicoux - A ce sujet, quid des responsabilités et des réglementations ?
Jean Cambon - Pour l'essentiel, la rivière n'est pas domaniale et la question de qui doit faire les aménagements reste souvent pendante.
Philippe Darbois - Concernant Natura 2000, nous essayons de faire en sorte que les prestataires touristiques s'approprient la démarche, de telle sorte que la contrainte se transforme en valorisation.
Gérard Bailly - Comment voyez-vous l'évolution du tourisme à l'horizon de 2040 ?
Jean Cambon - Je prévois une forte croissance. La proximité de Toulouse et de Montauban offre un gros potentiel si nos offres progressent en qualité.
Gérard Bailly - Les investissements requis nécessiteraient probablement une politique d'accompagnement financier...
Renée Nicoux - ... un accompagnement qui pourrait avoir lieu au niveau de l'Etat ou de la région.
Jean Cambon - Lorsqu'on sollicite, sur ces sujets, la solidarité financière de la région, elle nous est généralement accordée. La question est celle de l'identification des sites à fort potentiel, car on ne peut tout entreprendre à la fois. Cette expertise pourrait être faite, par exemple, au niveau régional.
Renée Nicoux - ... régional, au minium. Ces soutiens pourraient rentrer dans des démarches et des conventions existantes.
Olivier Mora - Le tourisme a été, jusqu'à présent, une activité très saisonnière. Quelle stratégie développer face à cette temporalité ?
Gérard Bailly - En effet, dans mon territoire, on se bat pour que les commerçants ouvrent plus souvent à partir d'avril.
Jean Cambon - C'est la même chose dans les villes de montagne.
Renée Nicoux - Je pense que les entreprises familiales, plus réactives, sont a priori les mieux armées pour s'adapter à ces variations saisonnières.
Jean Cambon - Il reste que cette question n'est pas suffisamment creusée. Par exemple, un touriste est prêt à franchir certaines distances pour accéder à certains services. Il faudrait étudier les seuils d'acceptabilité spécifiques à ces résidents occasionnels que sont les touristes.
Olivier Mora - Je voudrais aborder la question de la relation aux métropoles et aux villes moyennes. Comment le problème des friches est-il abordé dans le contexte d'une certaine désagrégation agricole.
Jean Cambon - L'agriculture tend, en effet, à se concentrer sur les terres fertiles.
Olivier Mora - Comment structurer des réseaux de villes cohérents et liés à la métropole ?
Jean Cambon - C'est ici que se pose, à mon avis, la question du SCOT rural. Celui-ci peut préciser quel est le réseau de relations en son sein. Il peut encore préciser ses relations vis-à-vis d'un SCOT voisin, en l'espèce, le SCOT de Montauban.
Gérard Bailly - Il est malheureusement souvent difficile de convaincre les maires de s'intégrer à des plans ou des structures qu'ils vivent eux-mêmes et plus encore, leurs conseillers municipaux, comme des abandons de pouvoir...
Qu'envisagez-vous pour l'agriculture ?
Jean Cambon - Mon idée générale est que sur une planète où la population augmente tandis que la surface des terres arables tend à diminuer avec le réchauffement, l'agriculture demeurera un atout. Dans le pays Midi-Quercy, on distingue l'agriculture de vallée, rentable et céréalières, et l'agriculture de coteaux, principalement axée sur l'élevage et la polyculture, et plutôt pauvre. Pour l'agriculture céréalière, la gestion de l'eau deviendra problématique avec le maïs, qui nécessite une bonne irrigation. Ici comme ailleurs, le nombre d'agriculteurs diminue au bénéfice de la surface des exploitations. Concernant les normes environnementales ou autres, j'estime que les agriculteurs devront s'adapter aux demandes de la société, tout comme l'ont fait les industries.
Renée Nicoux - Quelles sont les atteintes que porte la périurbanisation aux surfaces cultivables ?
Serait-il raisonnable d'envisager des constructions « verticales » en zones rurales ?
Jean Cambon - Je trouve hypocrite de rédiger des textes pour endiguer des vagues humaines qui sont irrépressibles et, par ailleurs, parfaitement légitimes. Les gens ont le droit de décider comment ils veulent habiter. Jusqu'à quel point ? Je ne saurais le dire.
Gérard Bailly - Il me semble qu'il serait préférable de s'orienter vers la construction de « villages nouveaux ». En un mot, il faut organiser la périurbanisation.
Jean Cambon - En matière d'urbanisme, l'histoire montre que les menées coercitives ne sont jamais parvenues à endiguer le flot des besoins. Je pense que la réponse doit venir d'en bas.
Gérard Bailly - Par exemple, via le PLUI (plan locaux d'urbanisme intercommunaux).
Philippe Darbois - en matière de maîtrise foncière, la logique veut de commencer par faire un SCOT, les communes prenant ensuite conscience de l'enjeu urbain, ce qui favorise la mise en place de PLUI.
Gérard Bailly - Quel est votre opinion sur le potentiel des circuits courts et celui de l'agroalimentaire ?
Philippe Darbois - Nous travaillons sur un « signe de reconnaissance » des produits locaux. Une vingtaine de collectivités achète des productions locales, biologiques ou autres et nous privilégions les circuits courts (moins d'intermédiaires)...
Renée Nicoux - ... qui sont aussi, pour être complet, des circuits de proximité.
Philippe Darbois - J'en arrive aux nouvelles technologies. Il existe un schéma dans lequel le pays s'est inscrit. Il est une réponse à la problématique du déplacement, en comprenant l'enjeu du télétravail. Dans la perspective d'installation de télétravailleurs, le cadre de vie est donc, ici encore, stratégique.
Jean Cambon - Le problème, pour le déploiement des réseaux, reste celui de la rentabilité.
Pour conclure, je dirai que le pays est une échelle intéressante car il est moins contraignant que la communauté de communes, et a pleinement vocation à constituer un véritable territoire de projets. Je regrette donc que le pays ne fasse plus l'objet d'une reconnaissance et d'un encadrement juridique spécifique.
b) Conseil régional de Midi-Pyrénées (Toulouse)
Echange de vues sur l'avenir des campagnes au conseil régional de Midi-Pyrénées en présence de :
Philippe Clary , directeur de l'aménagement du territoire
Denis Ferte , président de la commission agriculture et alimentation
Michèle Garrigues, vice-présidente de la commission agriculture et alimentation
Didier Houi, directeur général adjoint des services en charge du développement durable, des territoires et des transports
Nancy Cazorla, Mission prospective, évaluation et concertation citoyenne
Christian Saves, directeur général adjoint en charge du pôle Audit, expertise et concertation
Olivier Mora, ingénieur agronome, chercheur à l'INRA
Renée Nicoux et Gérard Bailly, rapporteurs
Renée Nicoux et Gérard Bailly présentent la démarche générale du Sénat pour leur rapport sur l'avenir des campagnes.
Olivier Mora présente le travail de l'INRA sur les ruralités à l'horizon 2030 pour ce qui concerne la région toulousaine.
La discussion s'engage.
Michèle Garrigues - Avec les PLU inscrits dans les SCOT, on ne peut plus distribuer les permis de construire avec la même facilité qu'avant. Avec l'expansion de l'agglomération toulousaine, la problématique des transports est de plus en plus prégnante.
Didier Houi - La coexistence d'un dynamisme démographique et, d'une façon générale, d'une densité encore très faible dans la région, débouche sur un dilemme, dans le contexte d'un certaine contrainte budgétaire : il faut développer les transports dans l'agglomération toulousaine pour répondre à une certaine demande, tout en améliorant l'infrastructure des zones les plus éloignées de la métropole, bien qu'elles soient déjà en surcapacité.
Michèle Garrigues - Le problème est celui de la deuxième couronne. A certaines heures, il faut parfois deux heures pour parcourir 15 km. Les gens s'installent de plus en plus loin car l'augmentation des prix les repousse.
Didier Houi - Le foncier est en effet au coeur du problème.
Michèle Garrigues - Il faut densifier pour ne pas pénaliser les collectivités qui sont obligées, par exemple, d'engager des frais importants liés à l'acheminement de l'eau potable jusqu'aux résidences.
Denis Ferte - Précisons cependant que la région comporte un paysage historiquement « mité » avec une multitude de fermes éparses.
Gérard Bailly - Pour attirer les gens dans les zones rurales il faut y maintenir les services et les équipements.
Renée Nicoux - Réciproquement, une baisse du nombre d'habitants entraîne une diminution des services, ce qui amorce un cercle vicieux.
Gérard Bailly - La fiscalité pour les particuliers est plus faible dans les villes car elle bénéficie de dotations plus élevées ainsi que d'importantes ressources fiscales en provenance des entreprises, qui y sont proportionnellement plus nombreuses.
Michèle Garrigues - Par ailleurs, la superposition des normes concernant l'habitat pose problème.
Renée Nicoux - J'ai même pu relever des contradictions entre certaines normes d'accessibilité et des normes de sécurité.
Didier Houi - Concernant les rénovations, l'effet de levier des subventions régionales est important puisque lorsque nous versons un euro, dix à quinze euros se trouvent dépensés qui viennent au surplus alimenter le chiffre d'affaires de PME locales. Par ailleurs, les parcs naturels régionaux se révèlent très intéressants pour ce qui concerne la remise en état du petit patrimoine.
Michèle Garrigues - Qu'anticipez-vous en ce qui concerne le volet agricole ?
Renée Nicoux - Le problème principal est aujourd'hui celui de la politique européenne en plein devenir.
Gérard Bailly - Mais de votre point de vue, quelle sera l'évolution de l'agriculture à 20 ou 30 ans ? Qu'en est-il de son éventuelle orientation vers les circuits courts ou le « bio » ?
Denis Ferte - Pour les grandes cultures, nous n'avons pas d'inquiétude à long terme, ce qui n'est pas le cas de l'élevage, pour lequel une recherche de qualité peut constituer une partie de la réponse, ainsi que notre « plan protéines », qui vise à rendre notre région autosuffisante. Parce que soutenues, les filières bio et fermière se développent, mais elles demeurent peu rentables dans l'ensemble. La mise en place d'une bannière intitulée « Sud-ouest France » a été ouverte à 120 produits. Ce type de démarche est essentiel pour diffuser des produits locaux. Je rappelle que les Chinois sont les premiers acheteurs de Bordeaux. Par ailleurs, de nouvelles technologies sont prometteuses pour la production d'énergies : le biogaz (méthanisation), l'éolien et le photovoltaïque. Leur développement est néanmoins conditionné par la motivation, d'une entreprise, d'une coopérative ou d'une commune.
Didier Houi - La région est motrice sur la méthanisation en apportant des aides financières. En 2 ou 3 ans le nombre de projets a explosé. En 2040 on peut imaginer qu'une optimisation des ressources énergétiques renouvelables aura lieu, où la part des forêts sera substantielle.
Renée Nicoux - N'existe-t-il pas des risques pour les terres agricoles si elles ne se mettent à produire que pour les méthaniseurs ?
Denis Ferte - En région Midi-Pyrénées, c'est impossible car les cultures dédiées sont exclues du dispositif de soutien.
Didier Houi - La différence du prix du porc entre l'Allemagne et la France s'explique par le recours, pour la première, à des procédés de méthanisation. Par ailleurs, on refuse de soutenir le bois-électricité en raison d'un trop mauvais rendement.
Michèle Garrigues - En ce moment, se tient ici un colloque sur la qualité de l'air où l'on apprend que le chauffage au bois doit rester accessoire car il est très polluant, d'où l'importance de développer le chauffage au bois par des réseaux de chaleur plutôt que par des combustions individuelles.
Gérard Bailly - Comment envisagez-vous l'évolution de l'élevage ? Hors-sol ? Le nombre d'ovins et de bovins diminue. Cette évolution vous paraît-elle réversible ?
Denis Ferte - Nous avons très peu de poulaillers industriels. Les évolutions que vous évoquez me semblent dépendre de la résolution des problèmes de concurrence avec nos voisins. Concernant l'élevage des ovins et des bovins, seule une politique forte des pouvoirs publics pourrait, selon moi, renverser la tendance.
Gérard Bailly - Par ailleurs, la vente directe présente des avantages, mais elle pèse sur la vie sociale des producteurs, en raison d'un déphasage entraîné par de nombreuses contraintes horaires...
Renée Nicoux - La mortalité des bêtes en raison de la présence de l'ours ou du loup est-elle problématique ?
Didier Houi - Je rappellerai simplement qu'il existe un facteur de 1 à 100 entre la mortalité liée à l'ours et celle liée au chien errant.
Gérard Bailly - Je m'interroge sur la mesure dans laquelle la chasse pourrait compléter les revenus et procurer un supplément d'activité dans les campagnes.
Renée Nicoux - En tout état de cause, il ne faut pas négliger la dimension récréative et culturelle de cette occupation.
Didier Houi - Avec l'augmentation de la population rurale, il est possible que nous nous orientions, en 2040, vers une grande conurbation Montauban-Toulouse-Albi. Nous avons constaté avec surprise que la région de Rodez, pourtant éloignée de la métropole toulousaine, se développe au même rythme. Ces évolutions, jointes à l'augmentation de l'âge moyen, doivent nous pousser à anticiper une augmentation du nombre d'équipements de santé de proximité ainsi que de l'offre de transports collective. A ce sujet, je déplore que la région ne dispose pas de ressources fiscales dédiées pour les transports. Par ailleurs, se pose la question de l'adaptation au changement climatique, à l'horizon 2040, ce qui posera des problèmes pour de nombreuses cultures particulièrement consommatrices d'eau et pour lesquelles l'agroforesterie offrira peut-être, du moins en partie, une réponse. Je vous indique qu'une augmentation des températures moyennes de 2 degrés en 2040 correspondrait au climat madrilène. Une étude est en cours sur l'évolution des stations de sports d'hiver en basse altitude qui sont exposées à un enneigement de plus en plus aléatoire. Le thermoludisme, qui consiste à utiliser le thermalisme à des fins ludiques, constitue une des pistes d'occupation des touristes.
Renée Nicoux - Avez-vous du gaz de schiste ?
Didier Houi - Oui, mais nous ne savons pas très bien en quelle quantité et des études seraient nécessaires pour connaître notre potentiel réel.
Gérard Bailly - L'énergie hydraulique est-elle menacée par le classement de certains cours d'eau ?
Didier Houi - Dans toute la mesure du possible nous soutenons les dispositifs de micro-centrales.
Michèle Garrigues - A cet égard, je voudrais évoquer l'anecdote d'un projet de barrage et de station d'épuration qui a été bloqué à cause d'une micro-espèce prétendument menacée.
Didier Houi - Des obstacles environnementaux sont trop souvent soulevés alors qu'ils sont le déguisement d'intérêts patrimoniaux.
Renée Nicoux - Il en va de même pour les éoliennes ... il y a trop d'obstacles soulevés au nom de l'environnement.
Michèle Garrigues - C'est l'éternelle opposition entre ruraux et urbains pour lesquels la campagne est un terrain de jeu ! J'ajoute que l'étude des impacts environnementaux est loin de constituer une science exacte : j'ai vu jusqu'à trois officines rendre des résultats différents. Par ailleurs, les stations à lagunage sont souvent problématiques.
Renée Nicoux - J'estime, en effet, que les projets ne devraient plus pouvoir être remis en cause, passé un certain stade.
Michèle Garrigues - Concernant l'école, je regrette certaines fermetures, lorsqu'on sait que, compte tenu des évolutions démographiques en cours, il faudra les rouvrir - et avec quelles difficultés - un ou deux ans plus tard... Concernant les communautés de communes, certaines font des PLUI, dont je pense qu'ils ont vocation à devenir obligatoires. Je rappelle d'ailleurs que les SCOT seront, eux, obligatoires dans toutes les communes à l'horizon 2018.
Renée Nicoux - Ces PLUI sont parfois perçus comme dangereux par les communes, qu'elles déshabillent de leurs compétences
Michèle Garrigues - Dans le domaine sanitaire et social, les maisons de santé marchent bien, en revanche, les urgences sont surchargées.
Gérard Bailly - Dans le même registre, je déplore qu'à Dol, sur douze pharmacies, une seule soit de garde ... sans moyens de faire évoluer ce ratio, car l'Ordre des pharmaciens établit souverainement les permanences...
Michèle Garrigues - Dans l'Ariège, soumise à un fort vieillissement démographique, la politique en faveur des personnes âgées est tout à fait exceptionnelle.
Renée Nicoux - Mais la multiplication des EPHAD ( établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) entraîne une hausse des coûts problématique.
Michèle Garrigues - C'est exact. Les maisons de retraite vont, à terme, se vider car les revenus baissent même si, à l'heure actuelle, nous nous trouvons encore en situation de sous-capacité. On peut augurer d'un retour progressif à une structure familiale où, avec l'allongement de la durée de vie, la seconde génération (fraîchement sexagénaire et retraitée) s'occupe de la première (largement octogénaire) et de la quatrième (jeunes enfants) tandis que la deuxième travaille.
Denis Ferte - Le maintien à domicile poursuit son essor grâce au tissu associatif.
Christian Saves - Avec le haut débit, le développement du télétravail constitue un espoir mais il est conditionné par la présence de réseaux et beaucoup de projets ont été abandonnés en raison de la faiblesse de ces derniers.
Gérard Bailly - Les opérateurs préfèrent équiper les villes avant d'aller dans les campagnes pour des problèmes de rentabilisé évidents.
Renée Nicoux - J'observe que France Télécom ne se donne même pas la peine, parfois, de répondre aux appels d'offre.
Denis Ferte - Concernant les transports, il est souvent moins coûteux de faire une ligne de cars que d'entretenir le passage d'un train.
Renée Nicoux - En outre, les gares sont parfois excentrées.
Christian Saves - Entre l'autocar et le train, le prix de revient se situe dans un rapport de 1 à 6... Pour le rail, l'enjeu est aujourd'hui bien moins de construire de nouvelles lignes que d'assurer l'entretien du réseau existant, trop longtemps négligé.
Gérard Bailly - Les effectifs sont-ils suffisants dans les centres de secours pompiers ?
Denis Ferte - La situation est tenable tant que le volontariat fonctionne.
Michèle Garrigues - En tout état de cause, les territoires s'opposeraient à une fusion de la police et de la gendarmerie car les services et le fonctionnement de cette dernière sont beaucoup mieux perçus.
Nancy Cazorla présente le SRADDT (schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire) de Midi-Pyrénées.
c) Conclusion
Edith Heurgon - J'aimerais que chacun de nos invités nous fasse part d'une conclusion ou d'une proposition en vue de la rédaction du rapport sur le sujet d'aujourd'hui.
Stéphane Cordobes - Le bon côté de l'urbanisation quasi-généralisée en France réside dans le fait que les campagnes sont au centre et non dans les périphéries. Le fait de se situer au centre de l'urbain invite sans doute à repenser les modes de partenariat entre la campagne et l'urbain et les nouveaux modes d'urbanité en cours d'invention dans les campagnes.
Armand Fremont - Je reviens sur ce qui a été écrit par Laurent Davezies. Lisez son ouvrage, il mérite réflexion.
Olivier Paul-Dubois-Taine - J'ai une suggestion à faire : il me semble qu'il est possible, grâce à l'apport d'aides publiques légères, de favoriser l'innovation dans les campagnes. Il y a en effet moins de contraintes que dans les villes. Le principal frein à l'innovation dans les grandes villes est la complexité de la gouvernance. Nous devons thésauriser et valoriser ce potentiel.
Olivier Mora - Des collectivités territoriales mettent en place des structures de concertation.
Il faut revisiter aujourd'hui cette question : ces forums territoriaux devraient également être engagés dans des actions extra-sectorielles et être constitués de lieux de création d'une véritable innovation territoriale qui permettrait de traiter des questions d'énergie et d'alimentation. Ces sujets font actuellement l'objet de politiques macro-économiques mais posent parfois problème au niveau des territoires.
Jean-Yves Pineau - Voici quelques mots de Vincent Piveteau, Olivier Dulucq et Franck Chaigneau : « créativité, innovation, expérimentation sont à l'ordre du jour. Une volonté forte de se saisir de manière responsable de l'exploration d'un avenir en commun souhaitable et durable. Il faut des liens, des ponts, du dialogue entre les territoires, de la confiance entre acteurs et décideurs à tous les étages. Il reste à écrire le récit commun entre villes et campagnes. Que le rural soit co-auteur de la métropole, que la métropole soit co-auteur du rural. Réinventer la République et ses territoires dans un sens commun, dans un sens du commun. Il faut donner un cadre juridique au couple encore illégitime de l'urbain/rural. Vers un PACS territorial ? »
Edith Heurgon - J'ai souvent employé deux mots : le yin et le yang de la campagne. Il ne faut pas les séparer. Innovation oui, mais innovation coopérative. Comment arrêter de travailler chacun de son côté dans son domaine et son territoire ? Il faut trouver le moyen de faire coopérer des dispositifs. Que partageons-nous, entre ville et campagnes ? Nous partageons de nombreuses choses et beaucoup veulent profiter à la fois de la ville et de la campagne.
Renée Nicoux - Je voudrais remercier l'ensemble des contributions de ce jour, menées en vue de l'amélioration de la vie dans les campagnes. De nombreuses innovations se mettent en place dans les campagnes. Mais nous nous trouvons fréquemment confrontés au problème du manque d'ingénierie. Nous n'avons pas les moyens de la financer. Sans ingénierie, l'innovation n'est pas possible. Péréquation et solidarité sont essentielles pour faire aboutir ces projets. Ces derniers permettraient une vie commune plus adaptée. L'interaction entre les villes et les campagnes doit se construire. Elle nous permettrait de passer moins de temps à défendre le peu qui existe sur les territoires qu'à travailler pour l'avenir.
Joël Bourdin - Merci à Edith Heurgon, à tous les experts présents aujourd'hui et à nos rapporteurs.
II. RÉSEAUX NUMÉRIQUES : ÉLÉMENTS TECHNIQUES
Sur Internet, la vitesse de transmission des données conditionne son utilisation. Le « haut débit » concerne les connexions permettant un débit compris entre 512 kilobits 122 ( * ) par seconde (Kb/s) et 20 à 30 mégabits par seconde (Mb/s). Il constitue le standard actuel, suffisant dans le cadre d'un usage courant. Un débit inférieur (« bas débit ») ne permet pas d'utiliser Internet pour un usage régulier ou professionnel. Le « très haut débit » (THD), qui commence à 50 Mb/s et peut atteindre plusieurs gigabits (Gb/s), démultiplie les possibilités offertes par Internet.
1. Haut débit
France Télécom a adopté en juin 2003 un « Plan haut débit partout et pour tous », qui a presque tenu ses promesses : en octobre 1999, 98,3 % de la population avait accès à l' ADSL , c'est à dire à une liaison numérique à « débit asymétrique » sur ligne d'abonné téléphonique (asymmetric digital subscriber line).
Parallèlement, le dégroupage a permis l'ouverture du réseau téléphonique à la concurrence d'autres fournisseurs que l'opérateur historique.
Il reste que 17 % des abonnés en milieu urbain, et 27 % en milieu rural, ne peuvent recevoir, ou transmettre, dans des conditions satisfaisantes, des animations ou de la vidéo , car la longueur de leur raccordement à un central téléphonique excède 3 km, distance à partir de laquelle les débits deviennent inférieurs à 2 Mb/s.
Un accès au haut débit qui repose largement sur le réseau téléphonique
Une solution consiste, pour France Telecom, à créer de nouveaux NRA, dits « NRA zone d'ombre », reliés à des NRA existants mais, avec un coût unitaire de l'ordre de 150 000 euros financé par les collectivités, cette technique n'est pas envisagée si elle ne débouche pas sur la desserte d'au moins 40 foyers. Au total, si la situation des abonnés ne disposant pas du débit maximal tend à s'améliorer du fait des avancées technologique, le réseau ADSL n'en présente pas moins des disparités encore problématiques . La proportion d'abonnés éligibles à l'IPTV (télévision sur Internet, proposée dans le cadre d'offres « triple-play », référence du marché regroupant téléphone, Internet et télévision), qui reflète l'amélioration des réseaux, est passée d'environ 20 % à fin 2006 à plus de 50 % à fin 2010.
Le « Wifi outdoor » est une application du Wifi, technologie d'accès sans fil initialement conçue pour des réseaux locaux haut débit en intérieur. Avec une portée pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres, le « Wifi outdoor » permet, par exemple, d'irriguer un village à partir d'un point de collecte haut débit, mais la liberté d'accès inhérente à cette technologie crée un risque permanent de rupture de l'équilibre initial du réseau consécutive à une nouvelle installation d'un particulier ou d'une entreprise.
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2. Très haut débit
Le Parlement, par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique , a voulu assurer à l'ensemble de la population l'accès au très haut débit à un tarif raisonnable via la création du Fonds d'aménagement numérique des territoires et la définition de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique unique sur un même territoire établis à l'initiative des collectivités territoriales.
Dans la perspective d'offrir à tous les Français un accès optimal aux sites et aux fonctionnalités les plus avancés, le gouvernement a lancé en juin 2010 le programme national « très haut débit » , dont l'objet est d'assurer, à l'horizon de 2025 , la couverture de l'ensemble du pays 124 ( * ) avec un débit supérieur à 100 Mb/s en recourant, pour chaque territoire, « à la technologie la mieux adaptée ». Pour sa part, la Commission européenne s'est fixé l'objectif d'une connexion Internet à très haut débit 125 ( * ) de 50 % des Européens en 2020.
• A court et moyen terme, une majorité de
concitoyens pourraient avoir accès à des réseaux
physiques, notamment en fibre optique.
La migration des réseaux physiques vers très haut débit
La solution dite FTTH (« Fiber To The Home ») porte la fibre jusqu'à l'abonnés. A terme, cette technologie est probablement appelée à être la plus répandue. Deux modalités sont envisageables. En premier lieu, le « point-à-point passif » : chaque habitation est reliée au central par une fibre qui lui est dédiée de bout en bout comme l'est déjà la boucle locale téléphonique traditionnelle. Cette solution, complexe et coûteuse à mettre en place, évite le partage de débit et les risques de sécurité. En second lieu, le point-multipoint passif (dit « PON », pour « passive optical network ») : une fibre unique part du central, passe pas un coupleur (ou splitter, sorte de multiprise), et dessert plusieurs habitations. Avec un débit supérieur au gigabit, cette solution apparaît comme un bon compromis. En France, trois des quatre opérateurs impliqués dans le THD ( Orange , SFR et Free ) déploient la FTTH.
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En termes d'adoption des services THD, on comptabilise en juin 2011 :
- environ 150 000 abonnements sur la fibre optique . Le rythme de croissance des abonnements FTTH est estimé par l'ARCEP 126 ( * ) à environ 12 000 nouveaux abonnements par trimestre, ce qui est lent ;
- près de 400 000 abonnements THD sur l' infrastructure câble . Le rythme de croissance est ici estimé à environ 30 000 nouveaux abonnements par trimestre.
Aujourd'hui, le taux de couverture 127 ( * ) en France est de l'ordre de 21 % (près de 6,5 millions de foyers sont immédiatement raccordables) et le taux de pénétration 128 ( * ) , légèrement inférieur à 10 % .
A l'été 2011, les déploiements des réseaux THD restaient concentrés sur Paris et les métropoles régionales . Toutefois, certaines collectivités locales (Pau, Gonfreville, les Hauts-de-Seine, l'Ain, le Pays chartrain...) ont décidé d'anticiper le développement du THD et se sont impliquées assez vite dans le déploiement d'infrastructures de type FTTH ou FTTB sur leur territoire.
Au même moment, un rapport du Sénat 129 ( * ) a estimé que « La fracture numérique qui s'est créée avec l'apparition de l'Internet à haut débit est en passe de s'aggraver significativement avec l'essor du très haut débit, qui deviendra demain le standard pour la population des villes. Les collectivités se mobilisent depuis plusieurs années pour pallier les carences de l'Etat et de l'initiative privée sur leur territoire en investissant dans des réseaux haut, puis très haut débit
Elles sont cependant insuffisamment soutenues par des pouvoirs publics qui, au plus haut niveau, ne semblent pas avoir pris la mesure des enjeux et des besoins, tant du point de vue règlementaire que financier. Le plan France numérique 2012 promettait l'accès de tous en 2012 à un haut débit à 512 kbit/s. Bien que peu ambitieux par le niveau de débit visé, il ne sera pas atteint. Et le plan national très haut débit (PNTHD), en affichant des objectifs qu'il ne se donne pas les moyens de tenir, paraît irréaliste ».
Se pourrait-il qu'avec l'annonce d'une révision du plan « Très haut débit », ce constat ne soit pas demeuré lettre morte ?
L'annonce d'une révision du plan Très
haut débit
Mercredi 12 septembre 2012, à l'occasion de l'université d'été Ruralitic organisée à Aurillac, Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique, a dévoilé la stratégie très haut débit du gouvernement. La ministre déléguée a réaffirmé l'engagement du président de la République de desservir en très haut débit par fibre optique l'ensemble du territoire en 10 ans, soit trois ans de moins que ce que prévoyait le précédent plan . Souhaitant « inverser les priorités en faveur de la ruralité », elle a indiqué que l'Etat allait prendre « pleinement ses responsabilités en ayant un rôle de chef d'orchestre des déploiements ». Pour atteindre l'objectif de 2022, la fibre optique constituera « la technologie principale car c'est la technologie la plus pérenne », mais compte tenu des « capacités d'investissement limitées du secteur » la ministre a indiqué le recours à un « mix technologique ». La fibre à domicile (FTTH) sera déployée prioritairement « dans les zones où l'ADSL est de mauvaise qualité » et « les technologies de montée en débit ne seront utilisées qu'à titre transitoire ». Pour accélérer la transition du cuivre vers la fibre optique, elle a également évoqué l'idée d'une expérimentation locale d'extinction du cuivre dans une zone desservie en FTTH. En matière de financements, la ministre déléguée a annoncé que les collectivités territoriales engagées dans des réseaux d'initiative publique pourraient désormais bénéficier du milliard d'euros de prêts à long terme prévu par les « investissements d'avenir » jusqu'alors réservés aux opérateurs. Elle s'est également engagée à abonder le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) par « une ressource pérenne » et à mobiliser les financements européens. Fleur Pellerin a enfin annoncé un « renforcement de la gouvernance » du très haut débit associant mieux les territoires. Pour accompagner les collectivités territoriales engagées dans des réseaux de communication électronique d'initiative publique, la ministre déléguée a évoqué la création d'une structure nationale, dont la forme reste à définir, chargée de recenser les bonnes pratiques, d'accompagner les collectivités dans leur stratégie d'aménagement numérique, d'élaborer des référentiels techniques et de veiller au respect des engagements des opérateurs privés. L'ensemble de ces propositions devraient faire l'objet d'un prochain projet de loi . Source : http://www.maire-info.com |
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Quoi qu'il advienne, d'autres technologies
devront être mobilisées pour couvrir tout le territoire
,
notamment les services d'accès à Internet par
satellite
et les
services mobiles
utilisant
une partie des fréquences du
dividende numérique
libérées par l'arrêt de la
télévision analogique.
L'avènement des réseaux mobiles à très haut débit : éléments de compréhension Les ondes électromagnétiques sont portées par les photons (particules de lumière). Selon leur fréquence, ces ondes peuvent aussi bien être le support de champs magnétiques, de radio et de télédiffusion, de cuisson à micro-ondes, que de rayons infra-rouges, de lumière visible dans ses différentes couleurs, de rayonnement ultra-violet ou de rayons X. Les ondes UHF (ultra hautes fréquences), comprises entre 300 MHz et 3 GHz 130 ( * ) , sont le véhicule habituel des émissions de radio, de télévision et des liaisons téléphoniques mobiles. Dans cette fourchette, les fréquences les plus basses - inférieures à 1 GHz - sont dites « en or » car elles pénètrent facilement les bâtiments. La radio, puis la télévision, ont utilisé ces fréquences en priorité. Les communications mobiles grand public utilisent par conséquent des fréquences plus élevées : le GSM utilise la bande 900 MHz puis 1,8 GHz, l'UMTS la bande 2GHz avec des possibilités à 2,5 GHz. Cette montée en fréquences, au fur et à mesure du développement du marché et de l'augmentation du débit offert au client, atteint aujourd'hui ses limites. Or, la télévision numérique terrestre (TNT) permet l'arrêt complet de la télévision analogique terrestre, ce qui libère les fréquences « en or », celles dont la propagation est optimale : c'est le « dividende numérique ». C'est ainsi qu'en 2011, l'ARCEP pu conduire des procédures d'attribution de licences 4G 131 ( * ) , d'abord dans la bande 2,6 GHz, puis dans la bande 800 MHz, procédures achevées en décembre. Ainsi, les quatre opérateurs de réseaux mobiles actuels (Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange France et SFR) ont acquis des fréquences afin de déployer des réseaux mobiles à très haut débit. Il leur appartient désormais d'engager le déploiement de ces réseaux de nouvelle génération sur l'ensemble du territoire. |
L'utilisation des réseaux mobiles 4G - et, dans un premier temps, des réseaux LTE 132 ( * ) -, seront probablement utiles pour offrir un accès à Internet en très haut débit dans les zones peu denses, à la campagne et en montagne. Mais une des limites des réseaux mobiles à haut débit réside dans leur capacité à maintenir, lors de fortes montés en charge, une qualité de service et un débit constants.
Le « WiMAX 2 », dont la technologie est développée depuis 2011, procure un débit porté à 300 Mbps et se pose, dès maintenant, en alternative aux réseaux 3G actuels pour les échanges de données en mouvement. Plus tard, à partir de 2015, une offre satellite à très haut débit pourrait être proposée, et son coût demeurer accessible. Ces techniques constitueraient alors des solutions concurrentes pour couvrir les zones les moins denses.
* 1 Début 2012, le Bureau de la délégation à la prospective avait retenu, dans son programme de travail, l'idée d'un rapport sur l'avenir des territoires, de manière à fournir un éclairage qui soit, en quelque sorte, complémentaire de celui procuré par le rapport sur la prospective des villes de Jean-Pierre Sueur : « Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde ? », fait au nom de la délégation à la prospective, Sénat n° 594 tome III (2010-2011) - 9 juin 2011.
* 2 La réflexion est ici cantonnée au territoire métropolitain, pour des raisons tenant à la délimitation des compétences entre la délégation à la prospective et la délégation à l'Outre-mer du Sénat.
* 3 Institut national de la recherche agronomique.
* 4 Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale.
* 5 dont les comptes-rendus figurent en annexe.
* 6 Agreste Primeur n° 260, avril 2011.
* 7 Agreste, 2010.
* 8 Unité administrative locale de niveau 2.
* 9 Nomenclatures d'unités territoriales statistiques de niveau 3.
* 10 Une région apparaissant comme « essentiellement rurale » sur la base de ces critères est cependant classée comme « intermédiaire » (entre « essentiellement rurale » et « essentiellement urbaine ») si elle comprend un centre urbain de plus de 200 000 habitants représentant au moins 25 % de la population régionale.
* 11 Et, comme pour l'OCDE, une région est cependant classée comme « intermédiaire » si elle comprend un centre urbain de plus de 200 000 habitants représentant au moins 25 % de la population régionale.
* 12 Ces deux seuils résultent de recommandations adoptées au niveau international.
* 13 Les communes qui la composent sont soit ville-centre, soit banlieue. Si une commune représente plus de 50 % de la population de l'agglomération multicommunale, elle est seule ville-centre. Sinon, toutes les communes qui ont une population supérieure à 50 % de celle de la commune la plus peuplée, ainsi que cette dernière, sont villes-centres. Les communes urbaines qui ne sont pas villes-centres constituent la banlieue de l'agglomération multicommunale.
Par ailleurs, une agglomération multicommunale peut n'être constituée que de villes-centres.
* 14 INSEE Première n° 1364 - août 2011 « Le découpage en unités urbaines de 2010 - L'espace urbain augmente de 19 % en une décennie ».
* 15 Typologie des campagnes françaises et des espaces à enjeux spécifiques (littoral, montagne et DOM), DATAR, 2012.
* 16 Les nouvelles ruralités françaises à l'horizon 2030, INRA, juillet 2008.
* 17 Economie et Humanisme, n° 362, octobre 2002.
* 18 Les nouvelles ruralités en France à l'horizon 2030, juillet 2008, INRA, p. 21.
* 19 Territoires en mouvement n° 7, hiver 2012, DATAR.
* 20 Notion introduite par Armand Frémont dans « La région, espace vécu », paru en 1976.
* 21 Lignes à grande vitesse.
* 22 Appellation d'origine protégée ; l'AOP équivaut, au niveau de l'Europe, à l'appellation d'origine contrôlée (AOC) nationale.
* 23 Concernant les villes, on peut retenir, en première approche, la typologie suivante :
- de 3 000 à 20 000 habitants : petites villes (parmi lesquelles on distingue volontiers les petites villes périurbaines des « bourgs centres »)
- de 20 000 à 100 000 habitants : villes moyennes
- plus de 100 000 habitants : grandes villes.
* 24 Techniques de l'information et de la communication.
* 25 Même s'il faudrait, par ailleurs, considérer une part de la réflexion portant sur un autre « système spatial » identifié par la DATAR, celui dénommé « les villes intermédiaires et leurs espaces de proximité ».
* 26 Toutes données INSEE.
* 27 En habitants par kilomètre carré.
* 28 Se référer aux analyses d'Hervé le Bras : « Les quatre mystères de la population française », Odile Jacob, février 2007.
* 29 Recensement de la population de 2009.
* 30 Recensement de la population de 2006.
* 31 Recensement de la population de 2006.
* 32 « Simplification des normes au service du développement des territoires ruraux », rapport au Président de la République, mars 2012.
* 33 « Simplification des normes au service du développement des territoires ruraux », rapport au Président de la République, mars 2012.
* 34 « La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental », Armand Collin, 1990.
* 35 « Les nouvelles ruralités en France à l'horizon 2030 », 2008.
* 36 Seuil, 2008.
* 37 Economiste et sociologue allemand (1863-1941).
* 38 Nous nous fondons ici, pour partie, sur des contributions de Magali Talandier, maître de conférences à l'université Joseph Fourrier (Grenoble I).
* 39 Les pourcentages moyens donnés pour les quatre bases sont issus des calculs réalisés pour l'Assemblée des communautés de France (ADCF) par Laurent Davezies et Magali Talandier et publiés dans leur rapport « La crise et nos territoires : premiers impacts », Octobre 2010.
* 40 Geography and trade, 1991.
* 41 « Une autre géographie du développement rural : une approche par les revenus ». Publié dans la revue Géocarrefour, Vol. 83-4, avril 2008.
* 42 Voir le compte rendu de l'audition de Magali Talandier en annexe du rapport.
* 43 Voir « La crise et nos territoires : premiers impacts », Les notes territoriales de l'AdCF, octobre 2010.
* 44 La contribution économique territoriale (CET) a remplacé depuis 2010 la taxe professionnelle (TP), qui était l'imposition économique des collectivités territoriales depuis 1975.
* 45 « La République et ses territoires » (Seuil, 2008).
* 46 « Développement économique : la fausse évidence régionale », Les Annales de la recherche urbaine, novembre 2006.
* 47 « Economie résidentielle : du diagnostic à la stratégie », dossier réalisé par le Centre de ressources du développement rural pour le Réseau rural français, février 2011.
* 48 On peut en retenir une définition plus élastique, car des chefs-lieux qui n'atteignent pas tout à fait les 20 000 habitants constituent aussi des pôles urbains pour un bassin rural.
* 49 C'est ainsi que certains sports, certains lieux de villégiature se démocratisent successivement, tandis que l'« élite » investit d'autres activités et d'autres lieux.
* 50 « Simplification des normes au service du développement des territoires ruraux », mars 2012.
* 51 Pour les intercommunalités, l'écart irait de 64 euros par habitant pour les agglomérations à 20 euros pour les intercommunalités rurales.
* 52 Celle-ci est notamment susceptible de profiter aux villes petites et moyennes qui maillent les campagnes les plus fragiles.
* 53 Seuil, octobre 2012.
* 54 On rappelle que ces espaces sont définis comme regroupant les communes dont la densité est inférieure à trente habitants par km 2 . 42 % des communes, représentant 48 % du territoire métropolitain, présentent cette caractéristique. 5,3 millions d'habitants permanents y vivent.
* 55 Depuis la loi de solidarité et renouvellement urbain (« SRU ») du 13 décembre 2000, la planification foncière repose notamment sur les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU).
* 56 Depuis la loi de solidarité et renouvellement urbain « SRU » du 13 décembre 2000, la planification foncière repose notamment sur les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU).
* 57 Voir supra la typologie de la DATAR.
* 58 Entre 1999 et 2006, la part des personnes du troisième âge y a décru de 1,6 point, lorsqu'elle demeurait identique dans l'espace urbain. Par ailleurs, la tranche des vingt à cinquante-neuf ans a augmenté de 0,6 point dans l'espace rural.
* 59 Le concept de densité sociale, introduit par Durkheim, correspond au nombre de relations entre individus, rapporté au volume d'une société.
* 60 Le programme européen de développement rural LEADER (liaison entre les actions de développement de l'économie rurale) est un programme européen destiné à soutenir des projets « pilotes » en zones rurales. Ce programme est alimenté par le FEADER (fonds européen agricole de développement).
* 61 Appellation d'origine contrôlée.
* 62 Indication géographique protégée.
* 63 Rapport publié en février 2012 par le comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale.
* 64 Pierre Morel-A-l'Huissier, député, rapport au Président de la République, mars 2012.
* 65 La délégation aux collectivités territoriales du Sénat a chargé Georges Labazée d'un rapport sur: « Les partenariats entre l'Etat et les collectivités locales » qui abordera notamment la question du rôle des CPER.
* 66 « La Crise qui vient - la nouvelle fracture territoriale », Seuil, octobre 2012.
* 67 On rappelle que le zonage en aires urbaines, qui n'établit pas de distinction entre l'espace à dominante urbaine et l'espace à dominante rurale, est symptomatique à cet égard.
*
68
Allocution
du Président de la République aux Etats généraux de
la démocratie territoriale,
le 5 octobre 2012.
* 69 La loi SRU de solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000 a remplacé les schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) par les schémas de cohérence territoriale (SCOT).
* 70 Révision générale des politiques publiques. La RGPP consiste en une analyse des missions et actions de l'État précédant la mise en oeuvre de réformes structurelles. Cette politique a été engagée en 2007, puis abandonnée en 2012.
* 71 Services départementaux de l'éducation nationale de la Creuse.
* 72 Voir la proposition de loi pour l'instauration d'un bouclier rural au service des territoires d'avenir, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 février 2011 ou la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, enregistrée à la Présidence du Sénat le 19 mai 2011.
* 73 Une AOT est une des collectivités territoriales auxquelles la loi d'orientation pour les transports intérieurs n° 82-1153 du 30 décembre 1982, LOTI, a confié la mission d'organiser les transports.
* 74 Voir le rapport d'information d'Yves Krattinger intitulé « Les transports publics locaux en France : mettre les collectivités territoriales sur la bonne voie », fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, n° 319 (2011-2012) - 31 janvier 2012.
* 75 La loi n° 82-1153 d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 prévoit la production de bilans socio-économiques et environnementaux trois à cinq ans après la mise en service des grandes infrastructures de transport.
* 76 Technologies de l'information et de la communication.
* 77 « Pour une nouvelle approche des mobilités dans les territoires périurbains et ruraux », février 2012.
* 78 Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
* 79 Réseaux d'initiative publique.
* 80 L'« informatique dans les nuages » apporte des services moins chers, plus fiables et plus évolutifs grâce à un hébergement de ressources informatiques dans le réseau et non sur le terminal informatique.
* 81 Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie.
* 82 Prime d'aménagement du territoire. Avec un budget d'environ 40 millions d'euros par an, elle figure parmi les rares dispositifs nationaux d'aides directes à l'investissement des entreprises. Son action est orientée autour de deux types de projets : d'une part les créations, extensions ou reprises des entreprises industrielles ou de services implantées dans les zones d'aides à finalité régionale (AFR), d'autre part les programmes de recherche-développement et d'innovation des entreprises industrielles ou de services sur l'ensemble du territoire métropolitain.
* 83 On peut classer les zones en trois catégories : celles imposées par l'Europe (le « zonage AFR » - aides à finalité régionale), celles à dominante économique et les zones spécifiques ou thématiques.
* 84 Une grappe d'entreprise est un réseau d'entreprises constitué majoritairement de PME et de TPE, fortement ancrées localement, souvent sur un même créneau de production et à une même filière, mobilisé autour d'une stratégie commune. L'administration centrale participe à l'animation de ces réseaux sur la base de contrats d'objectifs leur procurant un subventionnement ainsi que d'actions structurantes (création d'un groupement d'employeurs ; mise en place d'actions de diversification des marchés pour les entreprises membres ; achat mutualisé d'équipements de production ou de prototypage...) visant à améliorer la compétitivité de leurs membres.
* 85 Le premier pilier de la PAC a pour objet de soutenir directement les marchés et les activités agricoles ; un second pilier, créé en 1999, est consacré au développement rural.
* 86 Par exemple, un rapport d'Oxfam (septembre 2012) suggère que le prix moyen d'aliments de base comme le maïs pourrait plus que doubler au cours des vingt prochaines années par rapport aux prix moyens observés en 2010, précisant que des modifications climatiques seraient à l'origine de plus de la moitié de cette augmentation.
* 87 Appellation d'origine contrôlée.
* 88 Indication géographique protégée.
* 89 En 1999, à côté d'un premier pilier ayant pour objet de soutenir les marchés et les activités agricoles, un second pilier consacré au développement rural, a été institué. La programmation du développement rural de l'Union européenne pour la période 2007-2013 s'organise autour de quatre axes : amélioration de la compétitivité des secteurs agricole et forestier (axe 1), amélioration de l'environnement et de l'espace rural (axe 2), qualité de la vie en milieu rural et diversification de l'économie rurale (axe 3) et poursuite du programme d'initiative communautaire « LEADER » (axe 4).
* 90 Programme de développement rural « hexagonal ».
* 91 « Territoires ruraux, territoires d'avenir », rapport d'information AN (XIV ème législature) n° 4301, février 2012.
* 92 Données 2009.
* 93 La méthanisation produit de l'électricité, de la chaleur et du gaz par la fermentation de déchets organiques : effluents d'élevage, graisses animales, sous-produits agricoles, tontes de pelouse etc.
* 94 Millions de tonnes équivalent-pétrole.
* 95 Propos tenus sur la base d'un exercice intitulé « Agriculture-forêts-climat ».
* 96 Les PLU intercommunaux doivent intégrer, lorsqu'ils existent, les programmes locaux de l'habitat (PLH) et les plans de déplacements urbains (PDU) ; ils constituent ainsi un instrument privilégié de la cohérence des politiques publiques territoriales.
* 97 Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique.
* 98 Prime d'aménagement du territoire.
* 99 Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.
* 100 Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services.
* 101 Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
* 102 Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services.
* 103 Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
* 104 Dégroupage : mise à disposition par France Télécom de la boucle locale cuivre à un autre opérateur, lui permettant d'installer des technologies ADSL plus performantes et de proposer des services innovants (triple-play par exemple)
* 105 FttH : fiber to the home, c'est-à-dire réseaux de fibre jusqu'à l'utilisateur
* 106 Montée en débit : opérations techniques permettant d'augmenter le débit des utilisateurs (par exemple création d'un répartiteur plus près des usagers, ce qui réduit la longueur des lignes cuivre et augmente les performances ADSL)
* 107 Very High Bitrate Digital Subscriber Line.
* 108 Schéma directeur territorial d'aménagement numérique.
* 109 La loi n° 82-1153 d'Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 prévoit la production de bilans socio-économiques et environnementaux 3 à 5 ans après la mise en service des grandes infrastructures de transport.
* 110 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 111 Haute autorité de santé.
* 112 Schéma régional d'aménagement et de développement du territoire.
* 113 Système productif local.
* 114 Contrat de projets État-région.
* 115 Pôles d'excellence rurale.
* 116 Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire.
* 117 FEDER.
* 118 Programmes opérationnels européens.
* 119 Schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie.
* 120 Schéma régional de développement économique.
* 121 Agence régionale de santé.
* 122 Le bit est un chiffre binaire, c'est-à-dire 0 ou 1. Toute information véhiculée par un circuit informatique est exprimée sous la forme d'une succession de bits, suivant diverses règles d'encodage. C'est pourquoi le bit est aussi l'unité de mesure informatique désignant la quantité d'information transmise. Le bit par seconde mesure alors la vitesse de transmission de cette information. Elle se décline notamment en kilobits par seconde (Kb/s), c'est-à-dire en milliers de bits par seconde, en mégabits par seconde (Mb/s), c'est-à-dire en millions de bits par seconde, et en gigabits par seconde (Gb/s), c'est-à-dire en milliards de bits par seconde.
* 123 Le WiMAX tend désormais à se déployer pour couvrir des zones de forte fréquentation telles que les gares, les aéroports, les ports de plaisance, les universités voire, comme aux Etats-Unis, les centres villes. Il peut aussi servir comme complément des bandes de fréquences mobiles classiques (3G, 4G...) pour répondre à l'explosion du trafic de données grâce aux fonctions de mobilité de cette technologie.
* 124 En passant par un seuil de 70 % de la population desservie en THD en 2020.
* 125 Même seuil de 100 mégabits par seconde.
* 126 Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Jusqu'en 2005, cet organisme s'appelait l'ART (Autorité de régulation des télécommunications).
* 127 Taux de couverture : nombre de foyers raccordables en FTTH/B / nombre total de foyers.
* 128 Taux de pénétration : nombre d'abonnés FTTH/B / nombre de foyers raccordables en FTTH/B.
* 129 « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes », rapport d'information n° 730 (2010-2011) du sénateur Hervé MAUREY, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 6 juillet 2011.
* 130 Le « hertz » est une unité de mesure de la fréquence donnant le nombre d'oscillation par seconde. Un hertz représente une oscillation par seconde. Un MHz (mégahertz) correspond à 1 million de hertz et un GHz (gigahertz) correspond à 1 milliard de hertz, ou encore à 1000 MHz. La plage de 300 MHz à 3 GHz est donc celle des fréquences comprises entre 300 millions et 3 milliards d'oscillations par seconde.
* 131 En télécommunications, la 4G est la 4 ème génération de standards en matière de téléphonie mobile. Elle succède à la 3G et à la 2G. Ce standard permet le « très haut débit mobile », qui correspond à des transmissions de données à des débits théoriques supérieurs à 100 Mb/s.
* 132 Le LTE (Long Term Evolution) est l'évolution la plus récente des normes de téléphonie mobile. Aussi appelé « 3,9G », elle est proche de la 4G mais sans satisfaire à toutes ses spécifications, notamment en termes de bande passante et de débits utilisables. En effet, le LTE utilise des bandes de fréquences hertziennes d'une largeur pouvant varier de 1,4 MHz à 20 MHz, permettant ainsi d'obtenir (pour une bande 20 MHz) un débit descendant théorique pouvant atteindre 300 Mbit/s, alors que la 4G pourra atteindre 1 Gbit/s ; ce débit nécessitera cependant, l'utilisation d'une bande de fréquence de 100 MHz de largeur.