8. Martin Vanier, professeur de géographie et d'aménagement à l'université Joseph Fourier (Grenoble I)

12 juillet 2012


La périurbanisation doit-elle être combattue ou organisée ? Quelle pourrait-être, à l'avenir, son empreinte dans les territoires ruraux ?

Sans aucune hésitation, la périurbanisation doit être organisée plutôt que combattue. Elle répond à une tendance profonde, qui ne peut être ni contrée dans sa force, comme le montre son empreinte toujours plus forte sur le territoire, ni même réfutée dans son fondement : les ménages, comme les entreprises, sont à la recherche d'espace, de confort spatial, et ceci est universel. Mais on peut très bien choisir de combattre l'étalement urbain, tout en organisant la périurbanisation, c'est même le vrai sens de l'aménagement du territoire dans les campagnes, plutôt que d'être tenté de nier ce qui s'y passe.

[ Renée Nicoux - J'observe que les bourgs tendent à se dépeupler, au profit des toutes petites communes.]

Oui, la périurbanisation fonctionne autour de tous les pôles, y compris les plus petits. Ceci dit, pour comprendre ce qui se passe, il faut préciser qu'il existe deux définitions de la ville. La plus ancienne, la définition morphologique de l'INSEE, que nous connaissons bien, en application de laquelle 78 % des personnes vivent en ville (dans 20 % des communes) et 22 % à la campagne (dans 80 % des communes). Ces proportions sont relativement stables désormais. Mais il existe en plus, depuis 1994, une définition fonctionnelle, qui s'appuie sur les aires d'emploi. Suivant cette définition, 95 % de la population française réside dans des aires urbaines, petites, moyennes ou grandes. De ce fait, 80 % des ruraux (au premier sens de l'INSEE) sont pris dans des systèmes urbains. Là est la véritable nouveauté : les campagnes font parties du fonctionnement urbain, à toutes ses échelles.


• Remet-elle en cause nos représentations des campagnes, ainsi que les rapports que ces dernières entretiennent avec la ville ?

Oui, car on sort d'une époque où la campagne était exclusivement conçue comme un espace de production agricole, ce qui n'aura d'ailleurs été qu'une exclusivité passagère dans son histoire, disons dans la seconde moitié du XXème siècle productiviste. Désormais s'affirme le caractère habitable, résidentiel, des campagnes et, au fond, il est plutôt rassurant d'occuper le territoire, et par « habitable » il faut entendre l'ensemble des fonctions par lesquelles un territoire accueille des ménages, y compris son économie de services.


• La mobilité des hommes, des biens et des services est-elle un facteur d'égalisation des conditions territoriales ?

Parler d'égalisation des conditions territoriales n'a pas de sens pour un géographe, car les territoires existent par leurs différences de tous ordres, toujours redéfinies, et il est illusoire d'imaginer stopper cette différenciation qui est le « moteur de la géographie ». Mais la mobilité permet en effet un ajustement (plutôt qu'une égalisation), grâce à des pratiques d'accès qui s'adaptent autant que possible aux différences de conditions territoriales. Cela n'est pas nouveau, mais c'est aujourd'hui plus systématique, y compris grâce aux accès à distance, sans mobilité physique. La mobilité n'était d'ailleurs par uniquement celle de l'usager, mais aussi, à nouveau, celle du service, qui redécouvre l'itinérance.


• La gouvernance et l'architecture territoriales sont-elles problématiques en France ? Comment pourraient-elles évoluer ? Le législateur fait-il montre de conservatisme ?

L'architecture territoriale de la France n'est certainement pas parfaite, mais ce qui est problématique, c'est moins la carte des territoires que l'usage qu'on en fait, par le fonctionnement des collectivités, en leur sein et entre elles, par la pratique des compétences, par l'état de la fiscalité locale, part le rapport à l'ingénierie, etc. On promet toujours de réformer la carte, mais le fonctionnement et les pratiques ? Faut-il « que tout change pour que rien ne change ? ».

Ce qu'il faudrait faire évoluer, ce sont les règles de fonctionnement des collectivités entre elles, pour faire grandir la culture de la négociation interterritoriale, sortir les territoires du syndrome du fief, renouveler l'exercice démocratique qui s'est beaucoup essoufflé. Faire bouger en permanence l'architecture n'est pas prioritaire. On a clairement un grand déficit de gouvernance, qui laisse les « gouvernements » locaux dans des fonctionnements pseudo-souverains qui ne sont plus pertinents, alors qu'il faut organiser l'interterritorialité.

Le principe de la collectivité chef-de-file, l'idée d'administration interterritoriale de mission, la coordination des compétences croisées dans des politiques publiques en réseau, dans le cadre de l'exercice par chaque niveau de sa compétence générale, et des réformes plus techniques comme celle consistant à rendre plus simple et plus souple le cadre du syndicat mixte, sont quelques-unes des pistes pour cette interterritorialité.

Quant au législateur, il sera d'autant plus enclin au conservatisme, qu'il sera juge et partie : à la fois celui qui fait les règles, au national, et celui qui les joue, au local. Il faudrait empêcher les cumuls entre deux ensembles bien distincts, l'un constituant le « bloc local » (communes, intercommunalités, départements) l'autre le « bloc global » (régions, parlement, assemblée européenne). Et, par ailleurs, par-dessus tout, limiter dans tous les cas le nombre de mandats successifs à 2. Ceci diminuerait considérablement le conservatisme, inhérent à tout système de reproduction du pouvoir.

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