D. RÉSEAUX NUMÉRIQUES
De nombreux acteurs et observateurs, appartenant tant au monde rural qu'à l'univers des nouvelles technologies, s'accordent sur le diagnostic d'un potentiel d'utilisation des réseaux numériques particulièrement élevé dans les territoires ruraux. Jérôme Coutant, membre du collège de l'ARCEP 78 ( * ) , indique ainsi que cette instance « a la conviction que les territoires ruraux français ont un potentiel considérable, unique en Europe, qui ne demande qu'à être révélé par le numérique. Au cours de la décennie 2010/2020, tout ce qui sera connecté pourra révéler son potentiel, se transformer, tirer parti des ressources numériques mondiales et des trois milliards d'individus ou entreprises également connectées. C'est vrai pour les individus, pour les TPE, pour les agriculteurs, les éleveurs et les forestiers ou pour les professionnels du tourisme.
Dans ce monde multiconnecté qui émerge, les réseaux de nouvelle génération vont déverrouiller l'accès et permettre de créer de la valeur de façon totalement dissociée de l'implantation géographique . Tous les pays à faible densité, en Afrique, en Europe de l'Est ou en Amérique du Sud l'ont compris et il ne faut pas que nous perdions de temps en France car la course à la connexion est mondiale ».
Le même reconnaît que, dans les territoires ruraux, « les déploiements [de la fibre] à l'initiative des collectivités sont encore modestes et bien souvent les projets locaux de montée en débit ne sont pas coordonnés au niveau départemental ou régional. Cela tient au fait que les collectivités sont confrontées à plusieurs facteurs d'incertitude : manque de visibilité sur les financements de l'Etat et de l'Europe sur les dix ans à venir, incertitude sur le périmètre réel de déploiement des opérateurs et sur leur volonté de co-investir rapidement sur les RIP 79 ( * ) , et enfin complexité juridique, technique et opérationnelle de ces réseaux . Il y a donc toujours un risque de fracture numérique important pour les territoires ruraux par manque de cadrage national ».
Antoine Darodes, directeur de la régulation des marchés haut/très haut débit et des relations avec les collectivités territoriales à l'ARCEP, précise que « même dans les RIP en cours, les collectivités territoriales ont tendance à privilégier les déploiements dans les centres bourgs dans un souci d'équilibre économique de leur projet, faute de visibilité sur les financements de l'Etat dans la durée. Cela peut se comprendre dans les circonstances actuelles, mais cela revient à améliorer les lignes bénéficiant d'un débit déjà convenable en délaissant celles où le débit est faible, ce qui est vraiment paradoxal venant des collectivités ».
Pour éviter cette fracture, il serait impératif « que le cadrage national encourage la construction prioritaire, ou au moins concomitante, des prises les plus chères parallèlement à l'installation des prises urbaines .
Au final, l'engagement de l'Etat est primordial : « La principale variable d'ajustement est le financement public de long terme (...) , car ce sont des projets d'infrastructures à rentabilité longue ».
Quelles que soient les incertitudes quant au calendrier - le Gouvernement a décidé, en dernier lieu, d'anticiper à 2022 l'objectif d'une généralisation de l'accès au très haut débit -, aux technologies retenues et aux questions de financement (voir en annexe la note concernant les réseaux numériques), et bien que le simple haut débit ne soit pas encore accessible dans de nombreux territoires ruraux, la généralisation de l'accès au très haut débit numérique (THD) sur l'ensemble du territoire national ne fait guère de doute à l'horizon de 2030-2035 .
Quelles avancées concrètes attendre d'une généralisation du THD dans les territoires ruraux ?
En premier lieu, celles qu'apporterait aujourd'hui la simple généralisation d'un haut débit efficace : rien moins que l'accès au télétravail, à la télémédecine, à la téléformation, à l'e-commerce, à l'e-administration, aux jeux en ligne, aux services audiovisuels en accès direct, à la vidéoconférence résidentielle, à la domotique... Or, des effets cumulés de renouvellement des générations et d'apprentissage, très sensibles pour ce qui concerne l'usage des TIC (technologies de l'information et de la communication), font que les usages permis par Internet seront, très bientôt, aussi généralisés que l'accès lui même.
En second lieu, à court et moyen termes , l'amélioration de la qualité et de la quantité des données transmises autorisera toutes sortes de perfectionnements qui rendront les utilisations actuelles toujours plus confortables et interactives , particulièrement celles requérant des usages simultanés ou l'accès au « cloud computing » 80 ( * ) , gros consommateurs de bande passante.
Dans l'ensemble, ces progrès pourront inciter de nombreuses personnes , non seulement actives, mais encore âgées ou dépendantes, à s'installer ou à se maintenir dans les territoires ruraux .
A plus long terme, on peut vraisemblablement s'attendre au développement de services spécifiques (nouveaux services éducatifs, partage de ressources informatiques au sein d'un groupe fermé d'utilisateurs, « avatars comportementaux »...) qui n'auront d'autres limites, compte tenu des performances du THD, que l'imagination de leurs concepteurs.
Le développement tous azimuts de fonctions dopées par le très haut débit conduira probablement à une sorte d'ubiquité des internautes, si bien que le lieu de résidence constituera de plus en plus un choix libre , avec un allègement progressif de la contrainte que représente la localisation des services publics ou privés.
C'est pourquoi l'agrément de l'environnement rural - disponibilité du foncier, nature préservée et aménités diverses - sera de plus en plus décisif dans les décisions d'installation. Cet agrément sera d'autant plus crucial que la ville évoluera peut-être dans le sens d'une diminution des nuisances que d'aucuns « fuient » quelquefois à la campagne, tandis que la réalité augmentée, dans laquelle baigneront les foyers connectés, pourrait les rendre moins attentifs à l'environnement physique quotidien.
PRÉCONISATION
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* 78 Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
* 79 Réseaux d'initiative publique.
* 80 L'« informatique dans les nuages » apporte des services moins chers, plus fiables et plus évolutifs grâce à un hébergement de ressources informatiques dans le réseau et non sur le terminal informatique.