c) Développer un réseau européen de surveillance de l'espace

Si l'Europe possède des moyens de surveillance de l'espace - principalement les radars français GRAVES 53 ( * ) et allemand TIRA 54 ( * ) - elle demeure néanmoins très dépendante des informations fournies par les États-Unis.

Les premières études pour GRAVES remontent au début des années 1990, avec deux objectifs principaux :

- le suivi des satellites espions survolant la métropole (du type d'Helios) ;

- la surveillance des rentrées atmosphériques à risques.

A l'issue du plan d'étude amont, le système a été pérennisé à partir de 2005. Pour qu'il puisse l'être à nouveau jusqu'en 2020-2025, ses obsolescences devront être traitées.

Depuis la mise en place de ce radar, la dépendance toujours plus grande à l'égard des moyens spatiaux et la multiplication des objets en orbite n'a fait qu'accroître l'importance de disposer de moyens autonomes de surveillance de l'espace.

Le radar GRAVES, développé par l'ONERA 55 ( * ) sous contrat avec la Direction générale de l'armement (DGA), permet de suivre les objets de taille supérieure à 1 m 2 , situés entre 400 et 1.000 km d'altitude. Quoiqu'insuffisante, cette capacité est unique en Europe. GRAVES est opéré par l'armée de l'air (CDAOA). Il a permis l'établissement d'un catalogue contenant environ 2.800 objets en orbite basse, à comparer avec le catalogue américain qui comporte plus de 12.000 objets en orbite basse et, en tout, environ 15.000 de plus de 10 cm.

Par ailleurs, le bâtiment d'essais et de mesures de la Marine nationale Monge possède des radars de poursuite qui permettent de suivre la trajectoire d'objets spatiaux (satellites, débris).

Deux télescopes du CNRS sont mobilisables pour la surveillance de l'orbite géostationnaire.

Quant au radar allemand d'imagerie et de trajectographie TIRA, il apporte des informations complémentaires tendant à faciliter l'identification des objets.

Le radar GRAVES a permis de coopérer plus efficacement avec les Américains, dans la mesure où chaque partenaire dispose d'informations sur les satellites sensibles de l'autre. A l'heure actuelle, les relations sont permanentes entre l'organisme de contrôle américain situé à Vandenberg ( Joint Space Operations center de l'USSTRATCOM 56 ( * ) ), la division Surveillance de l'espace de la CDAOA et le Centre d'orbitographie opérationnelle (COO) du CNES à Toulouse. Le réseau au sol américain, qui est constitué de 29 capteurs radars et optiques, civils et militaires, est le plus vaste et le mieux distribué du monde. Les radars surveillent l'orbite basse tandis que le réseau optique (télescopes) surveille la ceinture géostationnaire. Les Américains ont établi leur catalogue d'objets de plus de 10 cm à partir des observations ainsi réalisées. Ils émettent des messages d'alerte comportant des marges d'incertitude. Les risques sont analysés par le COO du CNES en vue de prévenir les collisions. Il est en effet possible d'éviter les collisions en déplaçant les objets spatiaux, du moins pour ceux qui sont encore actifs. Ce fut par exemple le cas, à plusieurs reprises, de la Station spatiale internationale.

En quelques années, le nombre d'alertes-collision s'étant multiplié, le CNES a développé un véritable service dans ce domaine.

La dépendance vis-à-vis des Américains est forte , car le radar français ne détecte que des objets déjà relativement gros (1 m 2 ), dans une zone restreinte de l'espace, et avec une aptitude limitée à en déterminer la nature et l'orbite exactes.

Les Russes et les Chinois disposent aussi très probablement de dispositifs de surveillance de l'espace, étant donné, d'une part, leur niveau technologique et, d'autre part, l'étendue de leur territoire, propice à l'installation de détecteurs. On ne connaît toutefois pas précisément ces capacités.

Pour l'avenir, il serait utile :

- de traiter les obsolescences prévisibles du radar GRAVES ;

- de mettre en place un ou plusieurs capteurs supplémentaires (par exemple en Guyane) afin d'avoir une vision plus exhaustive de ce qui se passe dans l'espace et de pouvoir identifier rapidement la trajectoire des objets repérés ;

- d'améliorer les capacités d'identification des objets, par exemple grâce à de l'imagerie optique, à partir du sol ou éventuellement de l'espace (Pléiades, par exemple, a récemment photographié le satellite Envisat).

Lors de la Ministérielle de 2008, les membres de l'ESA ont décidé la mise en place d'un programme européen de surveillance de l'espace (SSA 57 ( * ) ), qui n'a, pour le moment, pas eu les résultats escomptés et n'a pas conduit à la mise en place d'une feuille de route acceptée par tous les partenaires. Un portage plus politique de ce projet, par l'UE, est souhaitable. Le système à mettre en place doit bien sûr commencer par fédérer les capacités disponibles, mais la politique européenne de surveillance de l'espace ne peut se contenter des moyens existants. Elle doit les compléter.

LA SURVEILLANCE DE L'ESPACE LOINTAIN

La surveillance de l'espace a aussi deux composantes relatives à l'espace lointain :

- D'une part, le risque de désastre résultant d'un astéroïde percutant la Terre n'est pas complètement du domaine de la science fiction. Si les objets de diamètre inférieur à 25 m se désintègrent généralement dans l'atmosphère, ceux compris entre 25 m et 1 km sont susceptibles de provoquer un désastre régional. Au-delà de 1 km de diamètre, l'effet produit serait mondial, en raison des perturbations climatiques engendrées. En 1908, un astéroïde d'une cinquantaine de mètres de diamètre a ravagé une région de Sibérie dans un rayon de 20 km. L'augmentation de la densité de peuplement de la planète entraîne une exposition accrue au risque. L'Union européenne finance dans le cadre du projet européen NeoShield l'étude de trois méthodes pour détruire un corps céleste ou le dévier de sa trajectoire.

- D'autre part, la surveillance de la « météorologie spatiale », notamment des tempêtes solaires, est une nécessité. La météorologie de l'espace vise à prévoir l'activité solaire et quantifier son impact sur notre environnement spatial (satellites), technologique (télécommunications, transformateurs électriques) et au niveau du sol (corrosion des pipelines). Ces tempêtes sont en effet une menace pour l'intégrité des satellites et plus largement pour l'ensemble des réseaux de communication, de distribution d'énergie, ainsi que pour la navigation maritime et aérienne. Les conséquences sur Terre d'un événement solaire ont été observées pour la première fois en 1859 par l'astronome britannique Richard Carrington, puis en 1921, aux États-Unis. Une étude a montré que si la tempête solaire de 1921 se produisait aujourd'hui, elle affecterait plus de 130 millions de personnes, avec des conséquences soudaines et durables sur les infrastructures sur l'ensemble du territoire des États-Unis. Les conseillers scientifiques du président américain et du Premier ministre britannique ont publié conjointement un article 58 ( * ) mettant en garde contre ce risque et proposant des pistes pour le réduire, notamment par le renouvellement de satellites scientifiques susceptibles de fournir une alerte avancée. Au niveau européen, une approche coordonnée des services de « météorologie spatiale » est nécessaire : c'est l'un des objets du programme de surveillance de l'espace ( space situational awareness ) de l'ESA.

Orientations

- Redonner une impulsion à la coopération européenne sur les programmes d'observation afin de privilégier la mutualisation des moyens spatiaux européens de défense plutôt que leur duplication

- En France, réaliser les phases opérationnelles des programmes d'écoutes électromagnétiques et d'alerte avancée

- En lien avec la question des débris spatiaux (voir ci-après), mettre en place un système européen complet de surveillance de l'espace fédérant et complétant les moyens existants (notamment le radar français GRAVES)


* 53 Grand réseau adapté à la veille spatiale

* 54 Tracking & Imaging data

* 55 Office national d'études et recherches aérospatiales

* 56 United States Strategic Command (dépendant du département de la Défense américain)

* 57 Space situational awareness

* 58 « Celestial Storm Warnings », John Holdren (conseiller scientifique et technologique de Barack Obama) et John Beddington (conseiller scientifique de David Cameron), New York Times (10 mars 2011).

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