C. UN REPLI DE L'ETAT GÉNÉRATEUR D'INÉGALITÉS DEVANT LA SÉCURITÉ ?
Tant au cours de leurs déplacements ou de leurs auditions que dans les observations recueillies au moyen de leur questionnaire, vos rapporteurs ont pu constater que le retrait des forces régaliennes du territoire, qu'il s'agisse de la gendarmerie ou de la police nationales, était très fréquemment dénoncé .
Parmi d'autres exemples, la commune de Cournon d'Auvergne (Puy-de-Dôme) leur a indiqué que les effectifs de police dans sa circonscription avaient été amputés de 30 postes sur un total de 77. A Brienon-sur-Armançon (Yonne), la brigade de gendarmerie (7 fonctionnaires) a été supprimée le 1 er avril dernier.
Ce désengagement se traduit sur le terrain soit par une diminution des effectifs des forces de sécurité, soit par un redéploiement des implantations territoriales.
Un retrait à deux niveaux 1 - La réforme des cartes territoriales Le retrait de l'Etat s'est effectué en deux phases successives, aux objectifs différents : - entre 2003 et 2006, à l'initiative de la LOPSI du 29 août 2002, les cartes gendarmerie et police ont été modifiées pour les adapter aux évolutions du peuplement et de la délinquance. Comme l'a noté la Cour des comptes, « ils (ces redéploiements) ont concerné 66 départements et se sont traduits par le transfert de 219 communes en zone de police et de 121 communes en zone de gendarmerie ». En l'absence du bilan nécessaire sur les mouvements de personnel correspondants, la Cour des comptes n'a pas pu établir que ces redéploiements territoriaux ont « globalement permis d'instaurer un meilleur emploi des effectifs de policiers et de gendarmes au regard des densités de populations et des niveaux de délinquance » 19 ( * ) ; - puis vint le processus de la RGPP qui, dès le premier conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007, visait à une meilleure répartition territoriale des forces de sécurité. Le CMPP du 4 avril 2008 poursuivait ce mouvement pour que « la police puisse exercer ses compétences sur des ensembles urbains plus vastes et cohérents, et la gendarmerie sur les autres espaces » ( cf . rapport du CMPP du 4 avril 2008). Il confirmait le plan des groupements de brigades de gendarmerie (communautés de brigades 20 ( * ) ) et renforçait le rôle des unités territoriales dans les missions de sécurisation. La mise en place des communautés de brigades a conduit à la réduction des effectifs préposés à l'accueil du public et à l'enregistrement des plaintes. Il a permis, en conséquence, un redéploiement sur le terrain des effectifs ainsi libérés. En soi, la méthode apparaît favorable à la sécurité des populations. Elle aboutit, cependant, à la réduction des heures d'ouverture des bureaux dans les brigades territoriales de proximité au profit de celles du siège de la COB, qui assure la permanence téléphonique pour l'ensemble de la circonscription. Ce regroupement nourrit le sentiment d'abandon. La Cour des comptes, dans son rapport sur les forces de sécurité publique (juillet 2011) pointe aussi « un risque de désengagement (qui) peut résulter de la nouvelle organisation territoriale, qui tend à différencier le lieu de domicile des gendarmes et leurs zones d'action opérationnelle (...). D'ailleurs, les efforts de communication de la gendarmerie pour démontrer que les regroupements de brigades n'ont pas distendu sa relation de proximité avec la population n'ont pas toujours emporté l'adhésion des élus. » 2 - La déflation des effectifs Pour la période triennale d'application du principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite aux forces régaliennes de sécurité (2008-2011), les effectifs de la gendarmerie ont été amputés de 3717 ETPT sur un total de 101 136 ETPT, ceux de la police de 1 322 ETPT sur 148 563 ETPT en tout. S'y ajoutaient les suppressions de 1 185 ETPT gendarmes et de 1 720 ETPT police décidées pour 2012. Notre collègue Eliane Assassi, rapporteur pour avis de votre commission des lois pour la mission sécurité, observait, l'an passé, que « les diminutions de personnel constatées depuis plusieurs années seraient moins dommageables si une série de réformes organisationnelles étaient menées ». Pour elle, il s'agit d'« une baisse des effectifs insuffisamment réfléchie » 21 ( * ) . Elle faisait écho au constat du rapporteur de la mission sénatoriale d'information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, le sénateur Dominique de Legge : « Elles (les communes) sont naturellement conduites à pallier les défaillances de l'Etat régalien qui, parallèlement, les a toujours plus impliquées : vidéo-surveillance et polices municipales contrebalancent l'affaiblissement de la présence de l'Etat sur le territoire » 22 ( * ) . Dans ce sombre tableau, la confirmation par le président de la République, le 29 juin dernier, de la création de postes dans la police et la gendarmerie nationales pourrait permettre de stopper cette lente dégradation du secteur régalien. Encore faudra-t-il que leur répartition sur le terrain bénéficie aux situations les plus alarmantes. Il importe, cependant, comme le réclame la commune de Saint-Martin d'Hères de redéployer les effectifs selon les besoins du terrain pour atténuer les disparités territoriales. C'était déjà la conclusion, en 1998, de notre collègue Jean-Jacques Hyest qui, avec le député Roland Carraz, avait conduit, à la demande du Premier ministre, une mission sur « une meilleure répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure sécurité publique ». Les deux parlementaires préconisaient notamment de « donner une priorité absolue dans la répartition des effectifs aux régions les plus touchées par la délinquance de voie publique ». |
1. Des collectivités appelées en renfort
Nombre d'élus locaux constatent, chaque jour, les conséquences de cet abandon qu'ils se voient contraints de combler sous des formes diverses mais qui se traduisent toutes par des charges supplémentaires pour les budgets locaux. Ainsi, selon la Cour des comptes, « dans certaines villes au taux de délinquance élevé, comme Cannes, Aix-en-Provence, Lyon, Saint- Etienne, Sète et Nîmes, on ne peut exclure que la mise en place d'une police municipale aux effectifs conséquents ait été un palliatif à la stagnation ou à l'érosion de ceux de la police nationale ». Le plus souvent, les allègements opérés par l'Etat conduisent un maire soit à mettre en place une police municipale sur le territoire communal, soit à recruter des effectifs supplémentaires : à Jonquières (Vaucluse), l'éloignement géographique de la brigade a conduit la municipalité à augmenter les effectifs de sa police.
Les retraites opérées peuvent également orienter la doctrine d'emploi du corps municipal : à Cannes (Alpes-Maritimes), les agents municipaux participent activement aux missions de sécurité publique et de police secours pour pallier l'insuffisance d'effectif des forces régaliennes.
En outre, le désengagement semble variable selon les territoires.
Le président de la communauté de communes de Roissy Porte de France, M. Patrick Renaud, observe que la gendarmerie n'assure plus de présence sur le terrain ; il revient donc à la police municipale de prendre le relais en appoint alors que, dans le même temps, elle est souvent appelée en renfort par la gendarmerie.
L' « érosion » globale des effectifs des forces nationales peut ainsi faire craindre une aggravation des inégalités devant la sécurité en fonction des moyens dont disposent les communes, certaines seulement ayant les moyens de la compenser en développant une police municipale, aux missions de plus en plus proches de celles de la police et de la gendarmerie nationales . Le maire d'une ville moyenne ayant répondu à la consultation exprime ainsi fortement la crainte d'un développement des inégalités de sécurité : « si l'Etat n'assure pas correctement cette fonction de sécurité, les communes les plus riches se doteront d'une police municipale forte avec l'ambition de renforcer leur sécurité sur leur territoire (...) en déplaçant probablement la délinquance sur les territoires alentours, moins riches » 23 ( * ) .
Selon la Cour des comptes, « il n'apparaît pas [inversement] de corrélation entre l'importance ou l'évolution des effectifs des policiers municipaux et celles des effectifs de policiers nationaux affectés en sécurité publique ». En effet, le système de répartition des effectifs de policiers nationaux entre les circonscriptions de sécurité publique ne prend pas en compte, parmi ses différents paramètres, l'existence ou non d'une police municipale.
Toutefois, d'après les témoignages recueillis par vos rapporteurs, il semble que les effectifs de police nationale aient été parfois revus à la baisse dans des villes dotées d'une police municipale. Ce problème concerne en particulier des villes moyennes dotées d'effectifs de policiers municipaux non négligeables mais ayant à faire face à une délinquance importante. Elles ne disposent pas forcément en effet des moyens nécessaires pour accroître les effectifs, l'étendue des missions et les équipements de leur police à mesure que la police nationale diminue son engagement. Ces communes connaissent donc le mouvement de « judiciarisation » évoqué ci-dessus, mais de manière totalement subie . Le maire de Lons-le-Saunier ne dit rien d'autre en refusant la création de polices municipales en doublon avec les services de l'Etat.
Certaines communes qui avaient dû s'adapter à cette situation en créant une police municipale, en la faisant travailler la nuit et en installant un système de vidéosurveillance, ont pu choisir de revenir sur une partie de ces évolutions à la suite d'un changement de majorité municipale. C'est le cas de Colombes, où la nouvelle municipalité a décidé de revenir à des horaires plus réduits (avec une interruption du service entre 1h45 et 6 heures du matin), de supprimer l'armement de 4ème catégorie au profit des tonfas et des lanceurs de flashballs . La commune a par ailleurs bénéficié d'un certain « retour » de la police nationale à la suite de plusieurs fusillades qui ont eu lieu dans des quartiers « sensibles » : le préfet a en effet déterminé un périmètre de sécurité renforcé où des effectifs supplémentaires de policiers interviennent.
Pour autant, toutes les collectivités ne sont pas soumises au même traitement. Pour certaines, les effectifs d'Etat sont adaptés aux besoins locaux : c'est le cas, par exemple, de la communauté d'agglomération du Val de Montmorency.
Par ailleurs, la qualité des rapports entre forces régaliennes et municipales contribue au maintien de la tranquillité publique. La commune de Baratier (Hautes-Alpes) se félicite de sa collaboration avec la gendarmerie d'Embrun, située à 5 km. Ce qui conforte aussi l'importance du maillage territorial et d'un nombre suffisant de brigades.
* 19 Cf. rapport sur la modification des zones de compétences de la police et de la gendarmerie nationales, demandé par la commission des finances de l'Assemblée nationale et publié dans le rapport spécial de M. Michel Diefenbacher sur la mission sécurité 2012 (n° 3805 annexe 40, XIIIème législature).
* 20 Commandement unique, dans une brigade « chef-lieu », de plusieurs brigades territoriales de proximité.
* 21 Cf. avis n° 112-Tome XIX (2011-2012).
* 22 Cf. rapport d'information n° 666 (2010-2011), tome 1 - La RGPP : un défi pour les collectivités territoriales et les territoires.
* 23 Et, de manière encore plus directe, un maire d'une petite ville du Puy-de-Dôme : « Je n'ai, en fait, qu'une crainte : que l'Etat se désengage lentement et transfère de fait l'une de ses missions régaliennes sur les collectivités locales ».