E. UN FINANCEMENT INSUFFISANT ET IMPROVISÉ
Même si les situations ne sont pas comparables, il est évident que les sommes que la France et les Pays-Bas consacrent à la prévention de l'inondation ne sont comparables en volume mais aussi en termes de priorité. Dans notre pays l'essentiel du financement va aux moyens d'intervention et à la réparation ; aux Pays-Bas, si les moyens d'intervention ne sont pas négligés, c'est la place réservée à la prévention qui est essentielle, celle de la réparation (assurance et indemnisation), résiduelle.
Ce n'est pas un secret mais certainement un non-dit, si en France l'État est le premier responsable de la politique de lutte contre l'inondation, son budget ne la finance qu'à la marge, marge particulièrement étroite s'agissant de son volet prévention. Comme on l'a vu, l'essentiel du financement vient des collectivités territoriales et des assurés du régime « catnat ». L'« usine à gaz » du financement de la lutte contre les catastrophes naturelles ressemble fort à une entreprise de camouflage où celui qui décide est rarement celui qui paie. En tout état de cause, ce n'est pas celui qui paie qui commande.
Le système pâtit donc d'un déficit certain de financements. Les établissements publics locaux en charge de la prévention vivent des participations de leurs membres et de la fraction du fonds « Barnier » que l'État veut bien leur affecter pour soutenir leurs investissements. Pas de taxe spécifique comme aux Pays-Bas. À part évidemment la surtaxe sur les contrats d'assurance qui finance le fonds « Barnier » et une fraction de celui-ci les PAPI.
Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les parts respectives des collectivités publiques au financement des actions, répartition que retrace le tableau suivant, mettant en lumière que l'État, par son budget ou le fonds « Barnier » (qui n'est pas une dépense budgétaire mais, rappelons-le, une ponction sur les primes d'assurance), participe seulement pour un tiers, le solde étant essentiellement financé par les collectivités territoriales ou leurs groupements.
Financeurs |
Montant programmé
(en millions d'euros) |
Part en pourcentage
|
Régions |
135 |
11,5 % |
Départements |
112 |
9,5 % |
Communes et groupements de communes |
337 |
28,7 % |
Collectivités territoriales et leurs groupements |
584 |
49,7 % |
État |
392 |
33,3 % |
Agences de l'eau, FEDER et autres |
200 |
17 % |
TOTAL |
1 176 |
100 % |
Les établissements publics territoriaux de bassin et leur financement À notre connaissance, il n'existe pas d'étude globale chiffrant le montant consolidé des budgets de l'ensemble des établissements publics (EPTB, syndicats de rivière,...) intervenant dans le domaine de la prévention des risques d'inondation. Une étude réalisée par le bureau d'étude EcoTerritorial pour l'Association française des EPTB permet cependant de s'en faire une idée, bien qu'elle ne porte que sur les trois-quarts des EPTB et qu'elle n'inclut pas les autres structures (syndicats de rivière) dont certains ont pourtant engagé des programmes conséquents d'investissement (Aude, Alpes-Maritimes), bénéficiant même de financement issu des programmes d'actions de prévention d'inondations (PAPI). La somme des budgets en 2009 des 23 EPTB analysés s'établit à 175 millions d'euros dont 145 millions d'euros pour les budgets principaux et 30 millions d'euros sur les budgets annexes. En extrapolant, on peut penser que le budget total des établissements publics en charge de la prévention de l'inondation se situe entre 240 et 300 millions d'euros. Par comparaison, le budget moyen annuel de l'ensemble des agences de l'eau est de 2,4 milliards d'euros et de 2 milliards d'euros hors actions consacrées au milieu aquatique et à la pollution diffuse. Les dépenses d'investissement, très variables d'une année sur l'autre, représentent 37,4 millions d'euros en moyenne sur la période 2006-2008 (21 % des budgets), soit 24,5 millions d'euros de travaux (14 %). « On observe une baisse assez marquée des recettes (et dépenses) d'investissement sur les trois dernières années (base 2006) pour l'ensemble des EPTB, élément qui semble renforcer l'incertitude sur la reconduite des programmes contractuels à venir (PAPI, Plans « Grands fleuves ») » constate l'étude. Près des trois-quarts des recettes d'investissement, hors emprunt, viennent de subventions, le reste correspondant au fond de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et aux dotations. La part des financeurs dans les ressources globales (hors emprunt) des EPTB est pour : - les membres statutaires de 55 % ; - les agences de l'eau de 16 % ; - l'État de 11 % ; - les autres collectivités territoriales de 7 % ; - l'Union européenne de 4 % ; - recettes propres d'activité, FCTVA et produits financiers et exceptionnels (9 %). Le montant des différentes interventions de l'ensemble des collectivités territoriales s'élève ainsi à 62 %. « Compte tenu de la teneur des missions des EPTB, on peut s'étonner de voir une participation financière aussi limitée de la part de l'État et des agences de l'Eau », note l'étude. 80 % des recettes apportées par les collectivités viennent des départements qui sont de loin les premiers financeurs des EPTB (49 % des ressources), bien que ce ne soit pas de leur compétence. Les régions apportent 14 % des recettes venant des collectivités et 9 % des ressources globales. La participation du bloc communal est marginale : seulement 4 % des ressources globales. Les recettes en contrepartie de services sont encore plus marginales. Ceci dit, il s'agit de moyennes, les situations pouvant être très différentes d'un EPTB à l'autre. Selon l'étude toujours, 58 % des recettes sont des recettes de fonctionnement et 42 % d'investissement (hors emprunt). « L'absence de ressource fiscale propre ou de prix pour services rendus (redevance ; rémunération des prestations de service...) pour les ETPB constitue un handicap sérieux quant à la stabilité future des ressources actuelles et concentre l'effort demandé auprès des contributeurs » note encore l'étude. Il apparaît donc nécessaire de mettre en place des ressources financières propres aux EPTB : redevance pour service rendu de protection contre les inondations comme l'a mise en place l'EPTB Oise-Aisne en 2010 - cette redevance visant à assurer les charges de fonctionnement de l'ouvrage de Longueuil Sainte Marie à hauteur de 75 % -, taxe foncière, taxe spéciale ou taxe locale d'équipement, etc. |
Notons que certains EPTB interviennent sur des cours d'eaux qui appartiennent au domaine public de l'État, lequel devrait, en toute logique, en assurer l'entretien et l'aménagement. Devant son inertie et ses réticences à intervenir, les collectivités riveraines se sont senties obligées de contribuer et d'intervenir progressivement. D'ailleurs, l'État, spécialiste de l'effet de levier (dont les collectivités sont le point d'appui), a très souvent, par le biais d'artifices de communication dont il a le secret et qu'il utilise dans d'autres domaines, présenté son intervention comme une aide aux collectivités (contrats de plan États-Région, PAPI...) alors que la réalité est toute autre, ce sont les collectivités qui aident l'État à assurer ses missions. Ce glissement progressif n'est pas sans rappeler celui opéré en sens inverse des propriétaires riverains vers les collectivités locales. Il appelle d'urgence une clarification des compétences, des responsabilités et des ressources qui vont avec. La mission souhaite que les prochaines lois de décentralisation abordent cette question fondamentale et sortent de cet enchevêtrement.
- Clarifier lors des prochaines lois de décentralisation les compétences et les responsabilités de l'État et de chaque niveau de collectivités territoriales en matière de prévention des risques inondations. - Assurer à chaque niveau les ressources financières lui permettant de faire face à ses obligations. |
Il n'existe, à notre grand étonnement, aucune étude d'un corps d'inspection ou de la Cour des comptes ayant évalué le coût pour la collectivité (État, collectivités locales, fonds « Barnier ») de la politique de prévention des risques inondations. L'exercice est compliqué en raison de la multiplicité des intervenants et des différentes tuyauteries qui alimentent la machine. Si tout chiffre court le risque d'être contesté, se livrer à cet exercice est nécessaire si l'on veut avoir une idée approchée de cet effort. L'estimation consiste donc à consolider 80 % du budget des EPTB et des autres intervenants locaux, d'y ajouter les crédits consacrés au plan « grands fleuves » (290 millions d'euros annoncés sur 7 ans), une partie des crédits inscrits au programme 181 « prévention des risques » 164 ( * ) , une partie du fonds « Barnier » (hors rachat de biens) et en éliminant les doublons (subvention ou affectation à un EPTB par exemple). On aboutit à une somme de 250 à 350 millions d'euros en moyenne annuelle à laquelle, il faudrait ajouter des coûts de structure qui ne peuvent être affectés précisément. On peut considérer grosso-modo que les 2/3 incombent aux collectivités locales, 1/3 incombant à l'État, au fonds « Barnier » et aux agences de l'eau. Mais ceci reste sujet à discussion, c'est pourquoi la mission demande qu'une étude soit conduite pour établir ces montants et qu'un tableau de bord puisse en assurer annuellement le suivi. Cette mission pourrait être confiée à l'Observatoire national des risques.
Collectivités locales
et leurs groupements
Etat
Fonds Barnier
Agences de l'eau
2/3
1/3
1/3
- Confier à l'Observatoire national des risques, une évaluation du montant des crédits consacrés, chaque année, par l'État, le fonds « Barnier » et les collectivités locales (et leurs établissements publics) à la politique de prévention des inondations et la mise au point d'un tableau de bord qui sera rendu public. |
Quoiqu'il en soit, ce montant est bien inférieur au montant moyen des dommages causés, de l'ordre d'1 milliard d'euros et des sommes consacrées à l'indemnisation par le régime « catnat », 530 millions d'euros. Chaque année, la collectivité nationale consacre plus d'efforts à la réparation des dommages qu'à leur prévention.
* 164 À partir des données figurant dans l'audit du programme 181 « Prévention des risques » publié par le CGEDD en mai 2012 p.38 et suivantes.