2. Une approche sectorielle d'un problème global

Si massif et étendu que soit le risque d'inondation, il est paradoxal de constater que sa prise en compte n'est pas globale mais distribuée entre les multiples tiroirs de l'administration de l'État, centrale et déconcentrée.

L'approche est donc sectorielle - sécurité, urbanisme, logement, développement économique, protection des milieux aquatiques... -, chacun poursuivant son objectif, sans lien évident avec les autres. On cherche où localiser la stratégie globale de prévention du risque inondation au sein des administrations de l'État.

À la partition « protection civile »/« prévention des risques », classique et observable dans la plupart des pays aux variantes près d'un État à l'autre, s'ajoutent quelques distinctions subtiles.

a) Pour le risque naturel, une répartition des tâches entre le ministère de l'intérieur et le ministère en charge de l'environnement

Le ministère de l'intérieur (direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises) intervient quasi exclusivement dans l'organisation des secours et la gestion de la crise par sa capacité opérationnelle (moyens, structures de commandement et de communication, planification, maintien en condition opérationnelle). Le ministère en charge de l'environnement (direction générale de la prévention des risques) intervient dans la mise en oeuvre des mesures de prévision, de prévention (réglementation, mise en oeuvre des PPRI), et d'aménagement (aide aux collectivités locales).

La compétence du ministère de l'intérieur, relativement claire, s'appuie sur des structures déconcentrées : préfet de département pour la conduite des opérations, préfet de zone pour la coordination des moyens de renfort. Le maire, sous sa casquette d'agent de l'État, intervient aussi dans la mise en oeuvre des secours, mais aussi en amont par la rédaction du plan communal de sauvegarde.

b) Une compétence protéiforme du ministère en charge de l'environnement

La politique du ministère en charge de l'environnement s'appuie, elle, sur une multitude d'organismes dont la coordination est imparfaite. Ainsi les objectifs de la direction générale de la prévention des risques sont-ils différents de ceux en charge de la protection des milieux aquatiques par exemple.

Si c'est le SCHAPI, dépendant de la direction générale de la prévention des risques, qui pilote dans chaque DREAL un SPC chargé de la prévision des crues, l'étiage de ce même cours d'eau est sous la surveillance de l'ONEMA...

Quant à la surveillance de l'entretien des cours d'eau, comme on sait, elle relève de la police de l'eau, répartie entre la DDTM et l'ONEMA, chacune avec des objectifs différents mais généralement plus soucieux de la protection des milieux aquatiques que de la sécurité de la population. Les excès d'entretien ou les entretiens non conformes sont sanctionnés plus fréquemment que les défauts, rarement signalés à la direction de la sécurité civile alors que cette information peut être décisive en cas de crue majeure. Cette priorité accordée à la protection du milieu aquatique plutôt qu'à la prévention de l'inondation, le directeur général de l'ONEMA, au cours de son audition, l'a expliquée par l'origine et la formation initiale de ses personnels. Des actions de formation sont en cours pour mieux intégrer la prévention du risque inondation et la relation avec les élus locaux...

c) Un lien non systématique entre prévention du risque inondation, l'urbanisme et le logement

Autre paradoxe, la prise en compte du risque inondation dans la législation et la réglementation relative à l'urbanisme, à la construction et au logement reste imparfaite.

Les retours d'expériences font régulièrement état de la présence importante de constructions en zone inondable et de la délivrance d'autorisations, y compris dans la période récente, ainsi qu'une prise en compte insuffisante des PPRI dans les documents d'urbanisme et dans les autorisations de construire.

Il en va de même de la relation entre la DGPR et les services en charge du logement. Notre collègue Éric Doligé, président du CEPRI, faisait observer, lors de son audition, que les deux tiers des éco-quartiers 151 ( * ) ayant bénéficié d'un label du ministère du logement étaient situés en zones inondables : « Ils ne s'en étaient pas aperçus tout simplement parce que cela ne faisait pas partie de leurs critères de réflexion... »

d) Pour les autres ministères, une préoccupation lointaine

Au-delà des services de secours épinglés par les rapports d'inspection post-crise, on pourrait citer de nombreux exemples de constructions publiques en zone inondable ou derrière des digues (universités, prisons, préfectures...). Les administrations comme certains bailleurs publics étant à la recherche de terrains bon marché et facilement aménageables, la prise en compte du risque le cède facilement à d'autres critères (accessibilité, moindre coût...). On pourrait également citer de nombreuses infrastructures de transport construites en zone inondable sur des remblais dont on découvre plus tard qu'elles sont des obstacles à l'écoulement des eaux en cas d'inondation.

Aucune autorité au sein de l'État n'est vraiment en capacité de faire prévaloir la prévention du risque ou de rendre les arbitrages en toute connaissance de cause.

e) La logique de silo des services déconcentrés

La compétence en matière de risque d'inondation est exercée principalement par le préfet de département, la coordination d'ensemble étant assurée par les préfets de bassin, compétence qui s'exerce essentiellement dans les plans relatifs aux fleuves domaniaux à forts enjeux tel le plan Rhône. Comme l'a expliqué M. Jean-François Carenco, préfet de la Région Rhône-Alpes et coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée, qui comprend les bassins hydrographiques du Rhône, de la Saône et des différents fleuves côtiers méditerranéens : « Qu'est-ce qu'un préfet de bassin ? Pas grand-chose malheureusement ! Il a un pouvoir d'animation, comme le dit le texte, de coordination... C'est également un pouvoir de connaissances, puisqu'il a à sa disposition, au sein de la DREAL de bassin, des équipes un peu plus outillées que les autres. Il est très important d'avoir une connaissance technique, scientifique, de modélisation. Des équipes y travaillent. Le préfet de bassin a enfin un pouvoir financier, puisqu'il dispose de crédits du ministère sur le programme 181 et sur le fond « Barnier ». (...) Le préfet dispose également d'un pouvoir d'influence puisqu'il est actif au sein du Comité de bassin, véritable Parlement de l'eau ; c'est le préfet qui prend un certain nombre d'arrêtés divers et variés mais il n'a pas de pouvoir hiérarchique sur les autres préfets en tant que préfet de bassin. Le sujet des submersions marines, très à la mode, est traité par le préfet de façade maritime. On a donc globalement un système juridique et hiérarchique qui me semble incomplet. Je plaide - et je l'ai écrit - pour que les préfets de bassin aient une autorité hiérarchique, s'agissant de ces problèmes, sur l'ensemble des préfets et soient accompagnés par un sous-préfet délégué. C'est le problème de demain, j'en suis convaincu. Nous avons réalisé un petit pas mais n'avons pas progressé suffisamment.»

Sauf que, si une telle organisation introduirait de la cohérence au niveau global, elle risquerait d'aggraver les incohérences et les inégalités de traitement au niveau local. (Voir Titre VI II E)

Selon une étude publiée par le ministère de l'environnement et du développement durable et la délégation à l'aménagement du territoire (DATAR) en janvier 2011 152 ( * ) , « l'augmentation moyenne du nombre de logements en zone inondable entre 1999 et 2006 est de 7,9 %. Entre 1999 et 2006, plus de 200 000 logements supplémentaires sont comptabilisés dans les territoires exposés aux inondations, dont 100 000 logements situés dans les communes de plus de 10 000 habitants. » La prescription des PPRI et le contrôle de légalité relèvent des préfets, l'urbanisme et les autorisations de construire des collectivités territoriales.

Le résultat de cette absence de hiérarchie entre les objectifs c'est qu'un préfet peut interpeller un maire, un jour sur le respect de l'inconstructibilité dans les zones délimitées du PPRI, le lendemain sur le respect des obligations de la loi SRU, et le surlendemain sur la nécessité, vu les dernières prévisions de l'INSEE, de programmer plusieurs milliers de logements sur sa commune dans les 10 années à venir.

Depuis la mise en oeuvre de la décentralisation d'une part, de la revue générale des politiques publiques (RGPP) d'autre part, on assiste à une contraction très forte des anciennes DDE et DDAF et à une mobilité plus grande de leur personnel. Le fait de confier de plus en plus de missions à des agences a diminué la capacité de coordination du préfet, au point qu'un décret en date du 28 avril 2012 a voulu y remédier en lui donnant la qualité de délégué territorial de certaines agences, pas de l'ONEMA, une disposition législative étant nécessaire pour cela

En réalité, chaque entité poursuit sa logique propre sans coordination d'ensemble. C'est la logique du silo. Or, cette cohérence ne peut être assurée qu'au niveau du territoire par le préfet, à condition qu'il ne change pas trop souvent.

f) L'éparpillement de la responsabilité locale

La cohérence n'est pas mieux assurée au niveau des collectivités territoriales. Rares sont les départements où des établissements publics de coopération exercent, pour l'ensemble des collectivités d'un bassin versant, l'ensemble des compétences relatives à la gestion de cours d'eau, la protection et la prévention des inondations. Dans certains cas, la collectivité départementale s'est engagée en adhérant aux syndicats, voire, comme dans le Gard, en pilotant étroitement cette action et en lui fournissant un appui technique important. Sur les cours d'eau domaniaux, des EPTB ont été mis en place. Face aux risques, les habitants se trouvent donc placés dans des situations très hétérogènes.

Rares aussi sont les communes, mêmes importantes, où la politique de prévention des risques est portée par un service spécifique. Elle l'est d'autant moins qu'elle est peu ou prou considérée comme une compétence de l'État (le préfet) qui dit le risque et prescrit le PPRI, ou comme une prérogative du maire (au titre de ses pouvoirs de police) et que celui-ci ne bénéficie plus de l'appui des pompiers qui ont quitté les corps municipaux avec la départementalisation. « Les communes ont d'une certaine façon perdu avec ce transfert une compétence qui leur permettait de diagnostiquer les risques à l'échelle municipale » estime Mme Mathilde Gralepois 153 ( * ) , entendue par la mission. La prévention peut se retrouver dans un service d'urbanisme, de sécurité civile, d'environnement ou de réseaux, mais aucun ne se sent porteur d'une politique globale. « Pour ce qui concerne la prise en compte des risques dans l'aménagement et l'urbanisme, je constate qu'il manque aujourd'hui un espace de connaissance. » Dès lors, la prévention est perçue essentiellement comme une contrainte. « Je pense qu'il existe un espace transversal de prévention et de gestion des risques, qui n'est plus occupé par les communes. Il se situe à la frontière de la sécurité civile, de l'environnement et de l'urbanisme, faisant le lien entre les différentes interrogations en matière de prévention des risques et de diagnostic. Aujourd'hui cette multidisciplinarité est rare dans les communes et, lorsqu'elle existe, elle est peu légitime car peu portée politiquement. (...) Finalement la thématique des risques se trouve souvent orpheline. »

En réalité, on perçoit bien au terme de la mission que la prévention du risque d'inondation devrait relever d'une logique d'aménagement du territoire et qu'elle devrait être portée sur chaque territoire par des acteurs fortement identifiés.


* 151 Les 13 éco-cités sont des programmes issus du grand emprunt. 11 d'entre elles se situent en zone inondable. 25 000 à 50 000 personnes sont censées rejoindre ces zones en l'espace d'une génération.

* 152 « La population exposée à des risques d'inondations » MEDDTL et DATAR janvier 2011.

* 153 Maître de conférences à l'Université de Tours.

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