TITRE IV - LES MARGES D'AMÉLIORATION DU DISPOSITIF ACTUEL DE LUTTE
CONTRE L'INONDATION

Au terme de notre analyse, il apparaît donc que, si le mode de traitement de la gestion de crise fait la force de la politique française de lutte contre l'inondation, sa manière de penser et d'organiser la prévention condamne celle-ci à l'inefficacité, la gestion de l'après-crise occupant une place intermédiaire sur l'échelle de l'efficacité. Avec une nuance, la gestion de la crise centrée sur le préfet fonctionne bien tant qu'il s'agit de faire face à des évènements connus, même violents, nettement moins bien face à des situations hors norme.

Conclusion : s'il est possible d'améliorer, comme nous le proposerons, la gestion de la crise et de l'après-crise sans remettre en cause sa logique, il est illusoire d'espérer de meilleurs résultats de la politique actuelle de prévention de l'inondation dans ce pays sans en changer les présupposés et les principes.

Comme on va le voir, l'amélioration de la gestion de crise passe essentiellement par celle des outils techniques, de l'organisation et de la coordination, celle de l'après-crise par une révision des régimes d'indemnisation.

I. LA GESTION DE LA CRISE

A. IL Y A CRISE ET CRISE

La simple analyse des événements de juin 2010 et de novembre 2011 nous a montré qu'il y avait crise et crise, les plus nombreuses traitables selon la procédure standard et celles qui, parce qu'exceptionnelles et imprévisibles, ne le sont pas. S'il importe de perfectionner le dispositif le plus couramment mis en oeuvre, il n'importe pas moins de faire en sorte qu'il intègre la possibilité de sa propre défaillance.

Cette distinction entre la gestion des crises prévisibles et celle des événements hors échelle est au coeur des travaux de M. Patrick Lagadec, directeur de recherche à l'École Polytechnique, auditionné par la mission.

Pour lui, les crises imprévisibles ne peuvent être traitées efficacement que si chaque niveau de responsabilité prend, dans l'action et, le cas échéant, hors procédure, les initiatives nécessaires avec les moyens humains et matériels immédiatement disponibles. Il en va de la crédibilité des autorités, qui ne peuvent arguer du caractère exceptionnel des événements pour justifier leur inaction. Pour M. Patrick Lagadec, « ce qui est important, c'est la granularité : comment on réorganise des énergies hyperlocales et pas seulement la pyramide hiérarchique. »

« Nous avons un problème d'intelligence stratégique, constate-t-il , « on sait traiter des événements lents, linéaires, mesurés, moyens avec quelques exceptions à la marge ; or, nous sommes face au non-linéaire, au discontinu, au chaotique . Un autre blocage, psychologique, a bien été mis en lumière par Nicole Fabre, dans « L'inconscient de Descartes » : dès qu'on nous annonce que quelque chose n'est plus sous contrôle, qu'il y a une faille dans le système, l'inquiétude immense se saisit des assemblées. Enfin , on ne peut plus se contenter d'appliquer des réponses préalablement codifiées ; il va falloir utiliser son propre jugement, inventer des nouvelles solutions et faire preuve de créativité . Le général Honoré, commandant la première armée américaine, a dû improviser face à Katrina en inventant un exercice pour permettre le déplacement de ces troupes. »

Pour être capables de faire face à tous les types de crise, il est donc essentiel que les gestionnaires, au-delà de la stricte maîtrise des procédures, soient préparés à être surpris, à être créatifs, à reconstruire dans l'urgence une organisation efficace, en faisant confiance aux acteurs présents, y compris la population, ce qui ne va pas vraiment dans le sens des logiques habituelles. Pour M. Patrick Lagadec, « les réponses s'apparentent parfois à des usines à gaz, les formations sont figées. Or, une crise, par définition, casse les règles du jeu. » M. Todd LaPorte, professeur à l'université de Californie à Berkeley, prône également la préparation des gestionnaires de crise à l'effet de surprise.

Lors de son audition, M. Patrick Lagadec a utilisé l'exemple du cyclone Katrina pour appuyer son propos sur la formation des responsables à la gestion de l'imprévu : « L'amiral Thad Allen, nommé quelques jours après Katrina, disait clairement que les procédures habituelles ne pouvaient s'appliquer : non, ce n'était pas un cyclone habituel. Le nombre de personnes évacuées fut plus grand que lors de n'importe quelle crise précédente aux États-Unis : 1,5 million, pour 225 000 logements détruits. Son premier objectif fut de redéfinir l'événement, comme équivalent à une attaque par une arme de destruction massive. Il faut faire appel à l'esprit critique des gens ; les exercices convenus ne suffisent plus.

M. Roy Williams, directeur de l'aéroport de la Nouvelle-Orléans, partait des mêmes principes. L'aéroport, habituellement lieu de flux, était devenu un lieu de stock, abritant le plus grand refuge, le plus grand hôpital, la plus grande maternité du pays. Les dortoirs des secouristes et les cuisines y furent installés : ce n'était pas réglementaire mais cela permettait d'avoir un contact permanent avec les équipes d'intervention, sans passer par le téléphone. »

Au regard de cet exemple, certes extrême, la mission est convaincue de la nécessité de former les gestionnaires de crises aux événements exceptionnels et imprévisibles. La connaissance des procédures, aussi perfectionnées soient-elles, et la multiplication des exercices, quand bien même permettraient-elles de faire face à ce qui est prévisible, ce qui n'est pas totalement certain, ne sauraient suffire à répondre à l'imprévu.

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