Audition de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives
(20 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, d'avoir répondu à notre invitation, invitation un peu obligatoire, il faut bien le dire... ( Sourires .)
Comme vous le savez, monsieur Bigot, chaque groupe politique du Sénat dispose d'un droit de tirage pour créer une commission d'enquête sur un sujet lui tenant à coeur. En l'occurrence, le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'instituer une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques.
Je vais vous demander de respecter ce que j'appellerai la règle du jeu, c'est-à-dire de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».
( M. Bernard Bigot prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie.
Monsieur Bigot, vous avez reçu un questionnaire de M. le rapporteur, à qui je vais céder la parole afin qu'il énonce les questions devant tous nos collègues. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus intéressant pour nos travaux. Ensuite, vous répondrez soit aux questions complémentaires de M. le rapporteur, soit aux questions supplémentaires de mes collègues et de moi-même.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur Bigot, j'ai souhaité vous poser six questions, dont certaines se subdivisent en plusieurs sous-questions.
Premièrement, le récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire vous semble-t-il décrire de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire ?
Deuxièmement, au sein du CEA, pouvez-vous comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part ?
Troisièmement, comment se répartit la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière ? Cette imputation vous paraît-elle pertinente ? Qu'en est-il pour les énergies renouvelables ?
Quatrièmement, avez-vous des commentaires sur les mérites comparés, notamment en termes de coût, du remplacement de l'actuel parc nucléaire, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergie renouvelable ?
Cinquièmement, quelle est la vision du CEA sur l'état de la recherche en matière de stockage de l'électricité ? Quelles sont les perspectives, à quelle échéance et à quel prix ?
Enfin, sixièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération, au travers de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et des différents dispositifs fiscaux ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Bernard Bigot.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre d'intervenir devant cette commission d'enquête. Je vais répondre à ces différents points dans l'ordre où vous les avez abordés.
Vous m'avez d'abord demandé si le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire faisait une description correcte de l'investissement national en matière de recherche nucléaire.
De fait, à nos yeux, ce rapport retrace soigneusement l'ensemble des éléments de coût de la filière électronucléaire depuis plus de cinquante ans, ce qui, à ma connaissance, n'avait jamais été fait ni pour cette filière ni pour aucune autre.
La Cour a pu consulter l'ensemble des comptes annuels du CEA, validés par nos commissaires aux comptes, sur toute la période d'observation. Les chiffres retenus sont donc, du moins pour ce qui nous concerne, d'une parfaite fiabilité.
À mon sens, tout conduit donc à considérer que le rapport décrit de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire, soit 55 milliards d'euros valeur 2010, au titre des cinquante-quatre années allant de 1957 à 2010. On peut donc estimer que nous avons consacré un peu plus de un milliard d'euros par an à la recherche.
Il faut savoir qu'une part significative de ces dépenses porte sur les réacteurs du futur, notamment ceux dits de quatrième génération, et pas seulement sur le parc installé et la production actuelle d'électricité. Le rapport de la Cour des comptes permet de déterminer que 80 % de ces 55 milliards d'euros bénéficient à la filière actuelle, contre 20 % à la filière du futur.
Sachant que le parc actuel aura produit 427 térawattheures à un prix de production de l'ordre de 50 euros le mégawattheure, toutes charges comprises, ce qui correspond à une valeur marchande d'environ 110 euros par mégawattheure, la part de la recherche représente au plus 2,2 % de la valeur de l'électricité produite annuellement par la filière nucléaire. Ce pourcentage est encore plus faible, environ 2 %, si l'on inclut les revenus provenant du reste de la filière industrielle des équipementiers et du cycle, qui ont également bénéficié de cette recherche. Quelle industrie pourrait poursuivre un effort d'innovation avec un pourcentage encore plus faible de ses revenus destiné à la recherche ?
L'investissement de construction de notre parc actuel de cinquante-huit réacteurs et des installations du cycle du combustible, tel que le retrace la Cour des comptes, est de 115 milliards d'euros : 96 milliards pour les réacteurs et 19 milliards pour les industries du cycle. Si l'on rapporte les charges annuelles d'exploitation de ce parc de réacteurs, soit, selon le rapport, 8,9 milliards d'euros par an au coût d'investissement actualisé, on obtient moins de 7,5 % de coût de fonctionnement, toutes charges comprises.
Ce faible pourcentage souligne à quel point, une fois l'investissement réalisé, il est essentiel d'en tirer le meilleur parti en prolongeant le fonctionnement de ces installations autant que les exigences de sûreté l'autorisent.
Vous m'avez également demandé quel commentaire m'inspirait l'évolution de cet effort financier au fil du temps, ainsi que sa répartition entre les nombreux opérateurs, notamment l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les industriels.
En reprenant les chiffres cités par la Cour des comptes sur les différentes périodes en observation, on note que, de 1957 à 1969, la moyenne annuelle des dépenses de recherche a été de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. De 1970 à 1989, ainsi que de 1990 à 2010, elle s'est élevée à 1 milliard d'euros. Force est donc de constater une grande stabilité de la part consacrée aux dépenses de recherche dans notre pays. Par ailleurs, le nombre des opérateurs est plutôt stable : la recherche est désormais réalisée soit par les industriels, dont le nombre n'a pas beaucoup augmenté au cours de ces cinquante dernières années, soit par les opérateurs publics de recherche.
À cet égard, je veux souligner que l'ANDRA n'est pas à proprement parler un opérateur de recherche de manière principale, mais plutôt un collecteur de financement public ou privé de ressources, qu'elle redistribue ultérieurement à des opérateurs de recherche, en tant qu'agence de financement, selon ses besoins de recherche en matière de stockage des déchets radioactifs, dont l'État lui a confié la responsabilité.
À mon sens, les opérateurs publics de recherche dans le domaine nucléaire sont principalement au nombre de quatre : le CEA, l'IRSN, le CNRS, ainsi que l'ensemble constitué par les universités et grandes écoles. Il y a en outre d'autres acteurs qui, ayant des activités non spécifiques au champ nucléaire, peuvent y contribuer, tel le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, pour ce qui est de l'examen de la qualité des sous-sols susceptibles d'être utilisés pour le stockage des déchets.
Il est bien évidemment indispensable que l'État se dote, à travers le soutien direct qu'il apporte à des opérateurs publics de recherche, d'une capacité durable d'expertise lui permettant d'exercer en toute compétence son rôle de stratège de la politique nationale en matière d'énergie, de contrôleur et de régulateur en matière nucléaire. De notre point de vue, c'est le sens de la mission des opérateurs publics, dont le CEA fait partie.
Une fois l'investissement réalisé par l'État, il est logique qu'il demande aux opérateurs publics, pour autant que cela ne nuise pas à leur indépendance, de valoriser les moyens et compétences ainsi acquises en les mettant à la disposition des industriels contre rétribution. C'est, je crois, une gestion intelligente des moyens publics. Les industriels y sont, pour leur part, très favorables, dans la mesure où cette mutualisation est facteur d'optimisation économique.
Le rôle de chacun des opérateurs publics me semble donc bien défini. Aux universités et au CNRS est attribué le soin de conduire la recherche de base, essentiellement organisée autour des disciplines, sur l'ensemble des problématiques de la filière. À cet égard, le CEA ne peut que souhaiter le renforcement de leur implication sur les sujets d'intérêt potentiel pour la filière, cette expertise indépendante étant un excellent moyen de répondre aux interrogations de nos concitoyens et de nourrir leur confiance dans la maîtrise des risques de la filière.
À l'IRSN est confiée l'expertise en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection lui permettant d'exercer son rôle dans l'évaluation des opérateurs au service de l'État et de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Relève du CEA, enfin, la recherche scientifique et technologique sur l'ensemble de la filière, de l'exploration minière jusqu'à la gestion des déchets, en passant par la conception de réacteurs, l'optimisation des combustibles et le recyclage des matières.
Au final, je pense que l'État est en mesure de définir sa politique de filière et ses exigences en matière de sûreté de manière fondée.
Cette segmentation conduit potentiellement ces différents acteurs à des recoupements ou à des partenariats, qui sont notamment souhaitables dans les domaines se situant aux interfaces des différents champs de responsabilité. C'est par exemple le cas en matière de sûreté et de radioprotection, entre ceux qui doivent défendre leur choix en la matière et ceux qui doivent les évaluer et les contrôler.
Telle est la vision que nous avons aujourd'hui de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Vous m'avez ensuite demandé de comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part, au sein du CEA, désormais officiellement dénommé Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Le CEA qui est, comme vous le savez, un établissement public à caractère industriel et commercial, dispose d'une comptabilité analytique. Nous sommes donc en capacité de restituer finement les coûts, que l'on appelle complets, des différents programmes que nous conduisons.
Ainsi, sur la base du bilan financier 2011, qui vient de m'être remis, je suis en mesure de vous dire que nous avons consacré 550 millions d'euros en coûts complets à la recherche nucléaire, sous trois rubriques principales : les grands outils pour le développement du nucléaire, à hauteur de 208 millions d'euros ; l'optimisation du nucléaire industriel actuel, pour 173 millions d'euros ; le développement des systèmes industriels du futur, pour 168 millions d'euros. Sur cette somme, 271 millions d'euros provenaient de la subvention d'État, 279 millions d'euros d'autres ressources, dont les contrats industriels. Ces recherches ont mobilisé 3 365 personnes, ingénieurs, chercheurs et techniciens.
La même année, le CEA a consacré 214 millions d'euros, dont 84 millions d'euros de subvention d'État et 130 millions d'euros provenant d'autres ressources, aux recherches sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique associée. Ces recherches ont mobilisé environ 950 personnes, dont 801 sous statut, les autres étant des personnels type thésard ou en recherche post-doctorat.
Si l'on souhaite comparer l'effort qui vise, d'une certaine manière, à préparer l'avenir au travers des grands outils pour le développement nucléaire et le nucléaire du futur, et celui qui est consacré aux énergies renouvelables stricto sensu , on a donc 376 millions d'euros d'un côté et 214 millions d'euros de l'autre. Tels sont les éléments chiffrés précis que je suis en mesure de livrer à votre attention.
Il a été demandé au CEA, au moment où sa mission se développait à la fois dans le domaine de l'énergie nucléaire et dans celui des énergies renouvelables, de faire en sorte que, pour 1 euro dépensé pour le nucléaire du futur, 1 euro soit consacré aux énergies renouvelables. Nous essayons actuellement de répondre à cette exigence.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez par ailleurs demandé de présenter de manière consolidée le poids de la recherche publique sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
Ma position actuelle d'administrateur général du CEA n'est pas la situation la plus confortable pour répondre à cette question, car je ne connais pas nécessairement dans le détail les coûts associés à chacun des programmes des différents acteurs, d'autant que le sujet n'est pas si simple.
En effet, autant le nucléaire a une typologie assez assurée permettant sans difficulté d'identifier un périmètre, autant les énergies renouvelables sont multiples, diverses et font appel à des compétences variées. Je vais donc vous citer les éléments en ma possession, en toute sincérité, mais je ne doute pas que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ait des chiffres plus consolidés que ceux que je possède aujourd'hui.
La recherche publique sur le nucléaire, financée sur crédits publics, s'élève à environ 430 millions d'euros par an : 271 millions d'euros pour le CEA ; 28 millions d'euros pour le CNRS ; 115 millions d'euros pour l'IRSN ; une quinzaine de millions d'euros pour les universités et les grandes écoles. Ce décompte recèle un certain nombre d'incertitudes, puisque dans certains domaines comme les matériaux ou la géologie, des études peuvent être rattachées spécifiquement à un objet nucléaire ou, au contraire, à des objets plus vastes.
La recherche financée par les industriels, soit au sein des entreprises soit par l'intermédiaire des opérateurs publics, est d'un montant à peu près équivalent, soit 480 millions d'euros. Vous pouvez retrouver ces chiffres dans le rapport de la Cour des comptes.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, l'analyse est un peu plus complexe. Selon les chiffres dont je dispose, la recherche publique financée sur crédits publics s'élève sans doute à plus de 300 millions d'euros par an : le CEA y consacre 84 millions d'euros ; le CNRS, qui dispose de crédits publics d'environ 2 milliards d'euros, dépense de l'ordre de 60 millions d'euros dans ce domaine ; l'IFP Énergies nouvelles, l'IFPEN, finance des recherches pour une trentaine de millions d'euros, sur les 170 millions d'euros dont il bénéficie au titre de la subvention publique, tandis que les universités et les grandes écoles y consacrent environ 25 millions d'euros.
Les crédits abondés par l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, qui ont des responsabilités en la matière, sont de l'ordre 50 millions d'euros.
L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, au travers de la recherche sur les éoliennes offshore , et l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, au travers de la recherche sur les biocarburants, contribuent également à cet effort global, chacun pour 20 millions d'euros.
Mais il peut y avoir des variations extrêmement importantes. Comme vous le savez, des grands programmes d'investissements structurants pour l'avenir ont été engagés, ayant notamment des incidences dans le domaine des énergies renouvelables. Il est donc possible que, d'une année sur l'autre, on relève des fluctuations significatives dans les volumes de dépenses.
Vous m'avez interrogé sur les risques d'inefficience ou de doublon qu'était susceptible d'entraîner le nombre d'organismes publics actifs en matière de recherche.
Le constat est clair : il y a de très nombreux opérateurs de recherche qui concourent à la recherche publique dans le domaine de l'énergie, et en particulier dans les énergies renouvelables. C'est la raison pour laquelle a été créée, en 2009, sur l'initiative du CEA, en accord avec les ministères en charge de la recherche, du développement durable, de l'énergie et de l'industrie, une alliance dénommée ANCRE, Agence nationale de coordination de la recherche pour l'énergie, qui réunit dix-huit membres ès qualités : le CEA, le CNRS, la Conférence des présidents d'universités, l'IFPEN, le BRGM, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture - l'IRSTEA -, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - le CIRAD -, le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB -, l'IFREMER, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - l'IFFSTAR -, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques - l'INERIS -, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique - l'INRIA -, l'Institut de recherche pour le développement - l'IRD -, l'IRSN, le Laboratoire national de métrologie et d'essais - le LNE -, et l'Office national d'études et recherches aérospatiales - l'ONERA. Cette agence a pour mission, en liaison avec trois partenaires, qui sont des agences de programmation et de financement, c'est-à-dire l'ANDRA, l'ANR et l'ADEME, de coordonner notre effort de conception et de mise en oeuvre des programmes de recherche arbitrés par la puissance publique. Évidemment, il y a quatre grands contributeurs majeurs dans cette structure : le CEA, le CNRS, l'IFP et la Conférence des présidents d'universités.
Vous imaginez bien qu'une telle multitude d'acteurs nous impose d'être vigilants sur les risques d'inefficience ou de doublons. De notre point de vue, il revient à l'État d'y veiller en dernier ressort.
Pour sa part, le CEA s'est clairement concentré sur les enjeux qui sont en synergie étroite avec ses métiers de base et ses champs de compétences traditionnels : production, distribution et stockage de l'électricité ; électronique et technologies de l'information ; matériaux et transfert thermique ; génomique et biotechnologies.
C'est la raison pour laquelle le CEA se limite, en pleine responsabilité, au solaire thermique et photovoltaïque ou à la production de biocarburants de troisième génération - il s'agit par exemple de recherche sur les micro-algues pour essayer d'orienter la capacité d'un organisme végétal à produire des produits à haute valeur énergétique - au stockage et à la gestion de l'électricité pour le transport - avec tout ce qui tourne autour du véhicule électrique -, mais aussi l'habitat et le tertiaire, car il faut savoir que 43 % des énergies fossiles que nous importons à grands frais sont consacrées aux besoins de l'habitat et du tertiaire, contre 31 % au transport - dans cette logique, nous essayons de réduire la dépendance énergétique aux produits fossiles et donc de développer ces éléments alternatifs - au recyclage et au stockage de la chaleur pour l'habitat et l'industrie, à la production d'hydrogène, son stockage et sa distribution, sa conversion en électricité ou, par combinaison à la biomasse non alimentaire, en biocarburants de deuxième génération.
Il n'y pas de champ en matière de recherche technologique où le CEA soit réellement en compétition avec d'autres organismes, même s'il a besoin de concours. Il revient alors à l'ANCRE de coordonner ces initiatives. Dans ce cadre, le CEA ne se prive pas d'apporter des contributions au-delà des domaines dans lesquels il a vocation à se mobiliser prioritairement et à piloter l'action programmatique. Il peut par exemple intervenir en appui sur les problématiques matériaux ou électrotechniques de l'énergie éolienne ou des énergies marines portées par d'autres organismes.
Monsieur le rapporteur, vous souhaitez en outre connaître la répartition de la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière et savoir si cette imputation me paraît pertinente.
La mission première du CEA est de créer de la valeur économique, de favoriser le développement de l'emploi industriel dans notre pays. Cette politique de valorisation passe par le dépôt de brevets, afin de défendre la propriété intellectuelle créée grâce aux ressources qui lui sont apportées soit par l'État, soit par ses partenaires.
Vous le savez peut-être, en 2011, nous avons déposé plus de 615 brevets. L'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, doit communiquer son classement pour 2011 la semaine prochaine, mais je peux dire que, en 2010, le CEA était classé quatrième déposant, derrière les deux grands constructeurs automobiles français et une grande entreprise de cosmétiques et de produits d'hygiène. Nous étions battus d'un brevet par cette dernière.
L'enjeu n'est pas tant de prendre des brevets multiples et nombreux que de les valoriser. Nous disposons actuellement de 3 000 familles de brevets vivants, lesquelles sont mises à la disposition des entreprises soit, si elles y ont contribué, de manière prioritaire et exclusive dans leur champ de compétence, soit, au contraire, au profit de tiers, dans une logique de valorisation. Sur ces 3 000 familles, environ la moitié fait aujourd'hui l'objet de licences.
Nous procédons de la même façon avec nos partenaires industriels dans le domaine de l'énergie. Lorsque nous sommes à l'origine d'une innovation sur les seuls crédits publics, nous cherchons logiquement à en assurer le transfert dans la sphère économique. Une alternative s'offre alors à nous.
Nous pouvons la proposer à une entreprise industrielle existante contre une juste rétribution de la propriété intellectuelle ainsi créée, une part de cette rétribution pouvant avoir la forme d'un contrat industriel financé à 100 % pour poursuivre les travaux et accompagner le transfert.
Mais nous pouvons également créer une entreprise innovante. Comme vous le savez peut-être, le CEA crée chaque année entre quatre et six entreprises nouvelles sur l'ensemble de ses champs de compétences, en particulier, aujourd'hui, dans le domaine de l'énergie.
Enfin, il peut arriver que nous répondions à une sollicitation de la part d'une entreprise. Dans ce cas-là, elle doit financer le coût du projet aussi largement que possible, à des taux variant, en fonction de la négociation, de 50 % à 130 %, selon le retour de droit de propriété intellectuelle, ce dernier taux étant bien évidemment le moyen de préparer l'avenir.
Vous m'interrogez sur la pertinence de ce système. Vous le savez, quand il s'agit de parler d'argent, les négociations sont toujours difficiles. Mais il revient au CEA de défendre au mieux les intérêts de la puissance publique, en fonction de l'appréciation qu'ont les industriels de nos performances, dans un monde où la concurrence joue, que ce soit en France ou à l'étranger. Je crois pouvoir dire que le CEA est assez bien placé à cet égard.
Vous souhaitez aussi connaître ma position sur les mérites comparés, notamment en termes de coûts, de remplacement de l'actuel parc nucléaire quand il sera devenu obsolète, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergies renouvelables.
De mon point de vue, la question ne se pose pas exactement en ces termes. L'enjeu prioritaire est de trouver un substitut, autant que faire se peut, aux énergies fossiles que nous importons actuellement en quasi-totalité.
En effet, le coût de ces importations devient insoutenable. Je pense que vous avez tous à l'esprit que, l'année dernière, la France a importé pour 62 milliards d'euros d'énergies fossiles, alors que, en 2005, nous en avions importé la même quantité, voire un peu plus, pour une somme de 23 milliards d'euros. Vous imaginez bien que la multiplication par trois de la facture tous les six ans n'est pas durablement soutenable. Ce poste représente aujourd'hui 90 % de notre déficit commercial.
Notre pays exporte annuellement pour environ 400 milliards d'euros de biens tels que des avions, des voitures, des ponts, qui ont des durées de vie de plusieurs dizaines d'années, et en une seule année, nous importons 62 milliards d'euros sur le poste des énergies fossiles !
Par ailleurs, pour le CEA, qui est attaché à l'indépendance de notre pays et à la défense de ses intérêts supérieurs, la dépendance énergétique à 100 % dans le domaine des énergies fossiles, telle qu'elle existe aujourd'hui, est dangereuse dans un monde incertain, où ces ressources se raréfient.
À mon sens, le nucléaire et les énergies renouvelables ne sont pas concurrents, mais complémentaires.
L'énergie nucléaire est une source de production d'électricité continue, difficilement modulable dans le temps, massive, planifiable et centralisée, qui doit donc répondre aux besoins de production de base d'un pays, pour sa partie fortement urbanisée et industrialisée. En moyenne annuelle, nos besoins de puissance électrique quotidiens s'élèvent à 60 gigawatts, mais ils varient entre 30 gigawatts et 105 gigawatts ; les fluctuations sont donc considérables. Ce talon de 30 gigawatts n'est pas compressible et peut donc être assuré par l'énergie nucléaire.
Les énergies renouvelables, au contraire, sont des sources de production électrique intermittentes, diffuses, bien réparties sur le territoire, répondant à des besoins flexibles. Il faut favoriser leur consommation locale, au plus près de la production, grâce à des moyens de stockage adaptés qui permettent de réduire la dimension des réseaux d'interconnexion.
Enfin, votre question portait également sur les enjeux liés à la diminution des émissions de gaz à effet de serre pour réduire le risque de changement climatique et sur les économies comparées de ces moyens de production d'électricité. Les estimations dont je dispose, pour la France, indiquent un prix de l'ordre de 50 euros pour le mégawattheure d'électricité nucléaire, toutes charges assumées, de l'ordre de 75 à 80 euros pour le mégawattheure d'électricité éolienne terrestre, de 180 euros, voire un peu plus, pour le mégawattheure d'électricité éolienne produite en mer et de 200 à 400 euros pour le mégawattheure d'électricité solaire, sans parler de la problématique de l'intermittence. Il faut avoir tous ces éléments présents à l'esprit.
La politique que préconise le CEA consiste à couvrir les besoins flexibles d'électricité à la fois par des économies et par le recours à des énergies renouvelables, y compris avec un stockage local, en remplaçant, autant que faire se peut, la consommation d'énergies fossiles, sous réserve que l'augmentation des coûts ne crée pas un handicap pour les entreprises en renchérissant de manière inacceptable leurs charges.
Par ailleurs, il faut anticiper le renouvellement des réacteurs actuels par des réacteurs de type EPR, ou peut-être, dans l'avenir, par des réacteurs de quatrième génération. Comme vous le savez, les centrales nucléaires avaient été initialement pensées comme pouvant avoir une durée de vie de trente ans. La raison en est simple : lorsque le parc nucléaire français a été construit, on a adopté la technologie des réacteurs à eau pressurisée, développée aux États-Unis, dont un certain nombre d'exemplaires avaient déjà une durée de vie de trente ans. Aujourd'hui, on constate que cette durée de vie peut être plus longue : la porter à quarante ans semble raisonnable, au vu des résultats de l'inspection menée par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et les autorités de sûreté nucléaire. Si nous adoptions cette limite de quarante ans, en 2022, vingt-deux centrales nucléaires devraient être arrêtées, puisqu'elles atteindraient cet âge. Personnellement, je pense que notre pays doit réfléchir à anticiper la nécessité d'arrêter telle ou telle centrale, si les exigences de sécurité l'imposaient.
Comme vous le savez sans doute, le coût de l'électricité nucléaire, tel qu'il est attesté par le rapport de la Cour des comptes, reflète, pour 90 %, le coût des investissements, et à hauteur de 10 % le coût du fonctionnement. Si l'on prolonge la durée de vie d'une centrale d'un tiers, en la faisant passer de trente ans à quarante ans, on réduit en moyenne le coût de l'électricité de 15 % à 20 %. La prolongation de la durée d'utilisation des centrales nucléaires représente donc un enjeu majeur, comme le souligne la Cour des comptes.
Je le répète, il faut développer, autant que possible, les énergies renouvelables, en les substituant en priorité aux énergies fossiles, afin de démontrer la performance économique et la viabilité technique de ces énergies qui présentent bien des avantages, assortis de limitations que l'on connaît, notamment l'intermittence. Pour vous donner un exemple, le parc éolien allemand représente une capacité de 30 000 mégawatts installés ; en moyenne annuelle, il délivre près de 17 % de cette capacité nominale, avec des périodes sans production et des variations brusques. On ne peut donc pas, de mon point de vue, assurer la production d'énergie de base uniquement par une source d'énergie renouvelable, si l'on n'a pas trouvé préalablement de solutions au problème du stockage de l'électricité.
J'en viens précisément à votre cinquième question portant sur le stockage. Dans ce domaine, la vision du CEA est optimiste. Les efforts de recherche et développement, notamment sur le stockage électrochimique, ont permis des progrès tout à fait spectaculaires en termes de fiabilité, de cyclabilité, de durée de vie et de densité d'énergie, grâce à la compréhension des mécanismes intimes de fonctionnement de ces systèmes, mais aussi grâce aux nouveaux matériaux et aux logiques d'économies d'atomes. Aujourd'hui, on constate que le prix des batteries baisse très régulièrement, de l'ordre de 15 % à 25 % par an - je ne parle pas des batteries au plomb des véhicules standards, dont la technologie a atteint sa maturité, mais des batteries capables de stocker de grandes quantités d'énergie pour des véhicules électriques et qui pèsent, par exemple, plus de 200 kilogrammes. En 2009, l'investissement par kilowattheure stocké était de l'ordre de 1 500 euros ; le CEA s'est donné pour objectif de descendre à 250 euros, voire à 200 euros, à l'horizon de 2020. Nous sommes engagés sur la pente qui conduit du premier chiffre au deuxième, avec une amélioration considérable de ce que l'on appelle la cyclabilité : aujourd'hui, ces batteries assurent de l'ordre de 3 000 à 5 000 cycles, et nous sommes en train de développer des batteries dont on espère qu'elles assureront 20 000 cycles.
De même, les densités d'énergie s'améliorent considérablement. Par exemple, il y a quelques années, nous en étions à 0,16 kilowattheure par kilogramme et nous nous sommes donné pour objectif d'atteindre 0,3 kilowattheure par kilogramme, c'est-à-dire de doubler la performance. Aujourd'hui, on estime que le coût d'usage du stockage du kilowattheure est de l'ordre de 50 centimes d'euro et notre ambition est de réduire ce coût, avant 2020, à 5 centimes, voire à 3 centimes. Je vous rappelle que le coût de production du kilowattheure nucléaire est de 5 centimes : nous aurons donc alors atteint des niveaux de performance qui feront du stockage un élément de compétitivité.
L'enjeu est majeur : si nous voulons développer les énergies renouvelables, il faut disposer, en accompagnement, de moyens de stockage et privilégier la consommation locale. La raison en est simple : en Allemagne, pendant 165 jours par an, il faut arrêter un certain nombre d'éoliennes qui pourraient pourtant produire, parce que le réseau n'est pas suffisamment dimensionné. La production d'une éolienne, en moyenne journalière de même qu'en moyenne horaire, varie de 0 % à 100 % : pour collecter en permanence la totalité de l'énergie à l'instant où elle est produite, il faudrait dimensionner l'ensemble du réseau en fonction des jours où le vent souffle fort, soit 17 % du temps. Il est donc impossible de calibrer un réseau pour répondre à de telles exigences. Si l'on dispose d'un moyen de stockage, même partiel, de l'énergie électrique, on peut tirer un bien meilleur parti de l'investissement dans les énergies renouvelables.
Bien d'autres solutions existent, mais je n'ai pas le temps de les évoquer. Comme vous le savez, bon nombre d'énergies renouvelables, de même que le nucléaire, permettent de produire de l'électricité. Un des moyens de stocker l'électricité est de l'utiliser pour produire de l'hydrogène par décomposition de l'eau : l'hydrogène peut alors être stocké - éventuellement pour servir à la propulsion des véhicules - ou injecté dans le circuit de distribution du gaz naturel, auquel il peut être mélangé, jusqu'à hauteur de 25 %, améliorant ainsi la capacité calorifique, sans qu'il soit nécessaire de modifier les voies de distribution ni les voies d'usage. L'hydrogène peut encore être combiné avec la biomasse stockée pour produire des hydrocarbures sans perdre de carbone, donc en optimisant le recours à la biomasse dans notre pays grâce à la production de biodiesel ou de biokérosène, directement utilisables dans les circuits tels qu'ils existent aujourd'hui.
Des moyens de stockage existent donc : il faut que notre pays se dote d'une vision claire de sa politique énergétique, en tirant le meilleur parti de ses atouts. J'espère vous avoir convaincus que la France, en termes de capacités de développement technologique, peut apporter, notamment grâce aux compétences développées par le CEA, un certain nombre de réponses qu'il faudra confronter, bien évidemment, aux exigences de la compétitivité économique et à celles de la rationalité globale du système.
J'en arrive enfin à votre sixième question, relative aux dispositifs de soutien aux différentes énergies renouvelables.
Il faut encourager le développement des énergies renouvelables ; je ne crois pas que cela doive se faire au détriment du nucléaire, vous l'aurez compris. Au contraire, il faut préserver le nucléaire, pour autant qu'il se montre économe et qu'une parfaite sûreté des installations est garantie, et remplacer en partie les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Comme ces dernières ne sont pas véritablement compétitives aujourd'hui, il faut soutenir les filières.
Personnellement, j'aurais tendance à privilégier les mesures de soutien qui responsabilisent les acteurs. Ensuite, je donnerais la priorité à la progressivité : si l'électricité solaire représente seulement 1 % de notre production globale, même si elle est quatre ou cinq fois plus chère, son coût, réparti sur l'ensemble des consommateurs, reste acceptable ; en revanche, si l'on développe trop vite cette production, avant d'être parvenus à en réduire le coût, et qu'elle représente 20 % du total, tout en restant quatre fois plus chère, le coût de l'électricité pourrait augmenter de 80 %, ce qui créerait une situation inconfortable pour les entreprises et l'ensemble des consommateurs. Il n'y a pas de solution miracle ! La contribution au service public de l'électricité, la CSPE, représente plutôt un coût différé pour les consommateurs. À l'heure actuelle, plusieurs milliards d'euros sont dépensés, compte tenu de toutes les décisions prises dans le domaine des énergies renouvelables ; c'est du moins ce que je comprends des déclarations du grand électricien français.
Je suis également favorable aux dispositifs fiscaux, dans la mesure où s'ils induisent certes une dépense instantanée, ils sont un élément majeur de responsabilisation.
Pour conclure, je pense que notre pays ne fait pas assez d'efforts pour soutenir le solaire thermique, qui représente une vraie chance pour réduire les dépenses d'énergie dans le bâtiment. Nous devrions donc être beaucoup plus actifs dans ce domaine, car les technologies sont matures, il n'y a pas de craintes à nourrir quant aux progrès à accomplir. Un certain nombre de pays disposent d'une expérience industrielle dans ce secteur : il faut donc encourager toutes les initiatives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à toutes vos questions, peut-être un peu longuement, mais j'espère avoir été suffisamment précis.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vos réponses ont peut-être été un peu longues, monsieur l'administrateur général, mais elles étaient fort intéressantes.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions complémentaires ?
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur l'administrateur général, vos réponses ont été tout à fait « carrées », en particulier en matière de chiffres. Bien que l'organisme que vous représentez s'inscrive dans une logique de forte centralisation, vos propos reflètent une volonté de développer une production de proximité pour les énergies renouvelables, notamment le solaire thermique. Cet aspect n'a pas été soulevé aussi nettement lors des autres auditions.
Vous avez parlé d'indépendance énergétique et expliqué qu'il y avait deux réponses à cette problématique : l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Or le nucléaire n'est pas tout à fait un facteur d'indépendance, eu égard à la question de l'approvisionnement en matière première ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Vous avez tout à fait raison. Aujourd'hui, nous importons 8 000 tonnes d'uranium naturel par an, qui permettent de couvrir environ 45 % de notre consommation d'énergie primaire, et 140 millions de tonnes d'équivalent pétrole, en gaz et en pétrole. De ce point de vue, la dépendance à l'égard de l'uranium naturel est donc plus simple à gérer : stocker cinq ans de consommation d'uranium naturel ne pose pas de problème insurmontable, la quantité correspondante représentant quelques centaines de mètres cubes seulement.
Ensuite, l'uranium est assez largement distribué dans le monde, comme vous le savez, et le coût, ou la valeur commerciale, de notre consommation annuelle s'élève aujourd'hui à 800 millions d'euros. Les importations de pétrole et de gaz naturel coûtent, quant à elles, 62 milliards d'euros, payés cash aux pays fournisseurs. L'uranium est à l'origine d'une production électrique d'une valeur de 60 milliards d'euros : la plus-value est essentiellement apportée par le travail de la filière, accompli localement.
Je ne conteste nullement, monsieur le rapporteur, le fait que nous dépendions de ces 8 000 tonnes d'uranium, mais nous pouvons les stocker durablement. Par ailleurs, nous pouvons jouer sur toute une palette de fournisseurs, qu'il s'agisse du Canada, de l'Australie, du Niger, du Kazakhstan, de la Namibie ou de la République centrafricaine. La situation n'est pas tout à fait comparable s'agissant des énergies fossiles, comme vous le savez.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Avant de donner la parole à nos collègues, j'aurais souhaité vous demander deux précisions suite aux questions que vous a posées notre rapporteur, monsieur l'administrateur général.
Tout d'abord, j'aurais aimé que vous vous « mouilliez » davantage concernant la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. J'ai bien compris votre message : d'ici à 2022, si l'on retient une durée de vie de quarante ans, il faudrait fermer vingt centrales dans notre pays ; il convient donc d'y réfléchir. Pour votre part, qu'en pensez-vous ? Faut-il prolonger cette durée de vie jusqu'à cinquante ou soixante ans ?
Ensuite, s'agissant de votre effort de valorisation économique, je connaissais les chiffres impressionnants que vous avez cités en termes de brevets déposés par le CEA. En revanche, je ne savais pas que vous contribuiez à créer, chaque année, de quatre à six entreprises. Quel est leur secteur d'activité ? Que deviennent-elles ensuite ? Les revendez-vous ? Êtes-vous le seul investisseur ou intervenez-vous en partenariat ?
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous êtes des businessmen !
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Non. Nous avons la culture du service public, mais, comme je l'ai dit, nous nous efforçons aussi de créer de la valeur.
Pour répondre à votre première question, monsieur le président, ne craignant pas l'eau, j'accepte bien volontiers de me « mouiller » ! Ma vision est très simple : le nucléaire représente un investissement lourd. Aujourd'hui, aux termes du constat de la Cour des comptes, avec un parc nucléaire qui a, en moyenne, vingt-cinq ans d'âge, le prix de l'électricité représente, à hauteur de 90 %, la valorisation de notre investissement, et, à hauteur de 10 %, les coûts de fonctionnement, de démantèlement et de gestion des combustibles usés. Il faut donc privilégier l'allongement de la durée de vie, tout en respectant une exigence absolue : la sûreté de nos installations nucléaires. Nos concitoyens peuvent, je le crois, accepter le risque nucléaire s'il est maîtrisé et en l'absence de tout relâchement de radioactivité à l'extérieur des sites nucléaires ; ils ne peuvent pas l'accepter si une contamination durable se produit, comme à Fukushima.
Qu'avons-nous fait en matière de sûreté ? Dès le début, une éprouvette contenant des échantillons de l'acier constitutif de l'enceinte du coeur, qui représente la partie non substituable de l'installation, a été placée dans chaque réacteur. On prélève régulièrement des échantillons de ces éprouvettes pour examiner comment ils évoluent. L'acier de la cuve, d'une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres, est soumis en permanence à un flux de neutrons, d'une part, et à un stress thermique et mécanique, d'autre part. Pour vous donner une idée, chaque atome constitutif de cet acier est l'objet de plusieurs déplacements chaque année, comme dans un billard. La préservation des capacités mécaniques de cet acier qui assure le confinement du coeur constitue donc un véritable défi ! Or l'examen de ces échantillons laisse à penser que ce métal se comporte beaucoup mieux que prévu. D'un point de vue scientifique, ce constat est rassurant, car tout risque serait annoncé par des signes avant-coureurs, comme des fissures, qui nous permettraient d'agir par anticipation.
Autre point très important, tous les dix ans, nos centrales font l'objet d'un examen extrêmement approfondi, afin de garantir que les installations essentielles pour la sûreté du réacteur ont un comportement conforme à ce qui est attendu. Dans la situation actuelle, si le moindre risque est décelé, il le sera de manière anticipée et il n'y aura pas à hésiter : il faudra arrêter la centrale concernée. En revanche, en l'absence de risque, je ne vois pas pourquoi nous gaspillerions notre investissement en arrêtant les centrales plus tôt que nécessaire.
Au vu des premiers audits de sûreté décennaux, le comportement de nos réacteurs est apparu satisfaisant et l'Autorité de sûreté nucléaire a autorisé la prolongation de leur utilisation de dix années. Je ne sais pas ce qui se passera dans dix ans et personne ne peut le dire.
À titre personnel, je formulerai la recommandation suivante : si, dans dix ans, les centrales sont encore en très bonne forme, prolongeons leur utilisation ! Mais, puisque notre parc a été construit de manière cadencée - entre 1977 et 2000, on a mis en service, chaque année, trois ou quatre réacteurs - si un réacteur montre des signes de vieillissement qui ne permettent plus de garantir sa sûreté, les réacteurs de la même génération ne sont vraisemblablement pas dans un meilleur état. Or il n'est guère envisageable d'arrêter trois ou quatre réacteurs une même année. Il convient donc d'anticiper et de développer de nouvelles installations : quand elles fonctionneront, nous serons beaucoup plus sereins en ce qui concerne le développement durable.
Tel était le sens de la recommandation que j'avais formulée en 2003, lorsque j'étais haut commissaire à l'énergie atomique, en préconisant le lancement de l'EPR. Nous avons besoin d'un réapprentissage industriel ! Au regard des durées que nous évoquons, il est absolument indispensable d'apprendre à maîtriser les savoir-faire d'une nouvelle filière industrielle. Comme je l'ai dit, dans le passé, nous construisions trois ou quatre réacteurs par an, contre un seul actuellement. Le problème de l'EPR de Flamanville est tout à fait banal : des entretoises supérieures ne répondent manifestement pas aux exigences de qualité très élevées imposées en matière de sûreté nucléaire, et l'industriel concerné doit donc reprendre la fabrication de la pièce jusqu'à ce qu'elle donne satisfaction. Les délais s'en trouvent allongés d'autant.
Je recommande donc de prolonger la durée d'utilisation des centrales aussi loin que possible, car je ne vois pas pourquoi nous démantèlerions sans nécessité un réacteur, avec tous les coûts induits par le démantèlement et la multiplication du volume des déchets que cela suppose. Parallèlement, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour développer les énergies renouvelables en intégrant leurs contraintes propres afin de garantir la satisfaction de nos besoins.
Pour répondre à votre seconde question, monsieur le président, nous créons chaque année trois ou quatre entreprises. S'il existe déjà une entreprise capable d'exploiter l'innovation dont nous avons identifié le potentiel, nous n'en lançons pas une nouvelle. En revanche, dans le cas contraire, les équipes de la direction de la valorisation accompagnent les chercheurs ou l'équipe à l'origine de cette innovation pour créer une entreprise, en les « mariant » à un gestionnaire - en effet, les chercheurs ou les ingénieurs sont plutôt des créatifs, des hommes de la technique, on ne peut pas leur demander d'être « ambidextres », c'est-à-dire géniaux à la fois dans l'innovation et le management ! Nous apportons éventuellement des crédits : nous avons créé un fonds de placement, CEA Investissement, d'un montant de 25 millions d'euros, que nous avons presque consommés - j'espère que le programme des investissements d'avenir viendra l'abonder. Ces entreprises « sortent de notre giron » au terme de cinq à huit ans, lorsqu'elles ont fait la démonstration de leur viabilité. À ce moment-là, soit elles sont introduites sur le marché boursier, soit elles sont rachetées par des tiers, et nous pouvons espérer, dans certains cas, en tirer une plus-value.
Nous avons ainsi créé plus de 140 entreprises depuis 1985. Nous avons connu des échecs, mais je me souviens qu'un comité d'évaluation nous avait reproché un taux d'échec trop faible, qui pouvait laisser à penser que nous n'étions pas assez volontaristes ! Selon moi, si notre taux d'échec est plus faible que la normale, c'est tout simplement parce que notre mécanisme d'incubation est particulièrement fort et robuste.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - À vous entendre, monsieur l'administrateur général, j'ai le sentiment que l'approche du CEA est restée redoutablement franco-française. Or les auditions auxquelles nous avons procédé depuis quelques semaines attestent de la construction d'un système européen de l'électricité, marquée par un renforcement important des interconnexions et le développement massif de l'éolien, terrestre aujourd'hui, offshore demain, pour une puissance installée qui représente aujourd'hui le double du parc nucléaire français et augmente d'environ 10 gigawatts par an - la production d'électricité éolienne européenne représentera donc environ quatre fois celle de notre parc nucléaire à l'horizon de 2015.
Dans une Europe qui reste malgré tout une perspective politique majeure, la logique voudrait que l'on développe des programmes partagés, notamment entre la France et l'Allemagne, puisque les questions d'efficacité énergétique, de gestion de réseaux et de développement des énergies renouvelables - l'équivalent en photovoltaïque de la capacité de vingt-cinq tranches nucléaires doit être installé en Allemagne - devraient nous y amener.
J'en viens à ma première question : quels sont aujourd'hui vos programmes de recherche croisée avec l'Allemagne et, plus globalement, avec les pays qui s'inscrivent dans les grandes stratégies européennes de recherche définies par la Commission européenne ?
Je souhaite ensuite revenir sur le travail que vous réalisez dans le domaine des énergies renouvelables. Ces auditions ne nous permettent pas d'entrer dans le détail et je vous serais reconnaissant, puisque vous disposez d'une comptabilité analytique, de nous communiquer la liste précise et exhaustive des programmes relatifs aux énergies renouvelables sur lesquels travaille le CEA aujourd'hui. Ces éléments nous permettront d'avoir une idée plus précise de votre stratégie, en nous révélant sur quoi portent vos efforts, en termes financiers et opérationnels ; ils nous sont nécessaires pour avancer dans notre analyse.
Je suis surpris par certains chiffres : aujourd'hui, en France, le mégawattheure produit dans les grandes « fermes » photovoltaïques se négocie à 90 euros environ, donc à un prix bien inférieur à celui que vous avez mentionné. Compte tenu de notre potentiel de recherche, je m'étonne que nous n'ayons pas les mêmes ambitions dans le domaine du photovoltaïque que dans celui du stockage : si nous en sommes aujourd'hui à 90 euros le mégawattheure, nous pourrions espérer arriver à 60 euros demain, à condition que le potentiel de la recherche française soit pleinement engagé.
De même, vous n'avez pas parlé de l'efficacité énergétique, alors que l'électronique et l'intelligence des systèmes sont au coeur du travail du CEA. Il nous semble que nous sommes aujourd'hui extrêmement en retard dans la gestion de l'efficacité énergétique, notamment en ce qui concerne les effacements de pointe, alors que des réseaux intelligents permettraient de donner des conseils automatisés au consommateur. Rien de cela n'est en place et il me semble que ces préoccupations devraient être au coeur de votre action.
Comme vous n'aurez pas le temps de répondre à toutes nos questions, je me permets de réitérer ma demande : pouvez-vous nous adresser des documents détaillés qui nous permettront d'avoir une vision plus stratégique de la manière dont l'argent public est réparti entre les différents domaines de la recherche sur les énergies renouvelables ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Je reconnais que je n'ai pas parlé de l'Europe, car ma préoccupation première, en tant que gestionnaire d'un établissement qui reçoit l'essentiel de ses subsides d'un État, est d'aider cet État à faire face à ses propres besoins énergétiques. Vous avez totalement raison, nous devons avoir une politique européenne en matière d'énergie et d'importants progrès restent à accomplir à cet égard selon moi.
Je travaille en étroite concertation avec la Commission européenne sur un certain nombre de points, mais beaucoup reste à faire. La principale difficulté tient au fait qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de consensus absolu entre les différents États. L'Allemagne, vous le savez aussi bien que moi, a décidé de sortir du nucléaire : nous n'allons donc pas beaucoup travailler avec nos amis Allemands dans ce domaine, si ce n'est pour le démantèlement et l'assainissement. En revanche, dans le domaine des énergies renouvelables, nous travaillons avec eux. Dans le cadre de l'Institut européen de technologie, le CEA participe à un KIC - ce sigle signifiant knowledge and innovation community - qui réunit six pays européens souhaitant travailler au développement conjoint du nucléaire et des énergies renouvelables : nous y retrouvons nos amis Allemands. Nous nous inscrivons donc volontiers dans certains programmes européens, car l'effort de recherche peut bien évidemment être transversal.
Ne nourrissons pas trop d'illusions quant à l'existence d'une « grille électrique européenne » où tout serait partagé : lorsqu'il a fait très froid, la France a consommé quotidiennement 105 gigawatts de puissance électrique ; la totalité des interconnexions de notre pays représente une capacité de moins de 25 gigawatts, dont 5 gigawatts seulement avec l'Allemagne...
M. Ronan Dantec . - Cela va augmenter !
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Oui, mais cela représente un coût ! Notre logique répond à une vision systémique et non à une vision « individuelle ». Vous le savez peut-être, la France, qui est un pays où la production électrique est pourtant remarquablement distribuée, fait tourner en permanence deux centrales nucléaires uniquement pour chauffer les pattes des petits oiseaux et l'atmosphère : l'effet Joule, c'est-à-dire la déperdition d'énergie électrique, en est responsable. Tout cela n'est pas neutre, et il faut avoir ces éléments présents à l'esprit !
Nous sommes tout à fait désireux de travailler le plus étroitement possible avec nos amis Allemands : c'est le cas, par exemple, dans le domaine des biocarburants de deuxième génération.
J'en viens au dernier point que vous avez abordé, à savoir l'efficacité énergétique. Bien évidemment, nous pouvons considérablement progresser et le CEA est particulièrement bien placé dans ce secteur, car l'amélioration de l'efficacité énergétique consiste à rendre les systèmes « intelligents ». Aujourd'hui, cette intelligence repose essentiellement sur les technologies de l'information et nous nous efforçons d'en introduire le plus possible dans l'habitat ou l'automobile, car les coûts supplémentaires induits sont extrêmement modestes.
Par exemple, si l'on développe les véhicules électriques en France, on pourra installer une « puce » dans chaque véhicule, qui indiquera la durée de l'arrêt de celui-ci, afin que le gestionnaire du réseau puisse allouer l'électricité en fonction des besoins exprimés. En effet, 80 % des déplacements, en France, sont inférieurs à cent kilomètres, et une voiture reste à l'arrêt plus de vingt heures par jour. Avec un réseau intelligent, il sera possible de stocker dans les batteries des véhicules les ressources nécessaires et même de les récupérer. Pour donner un ordre de grandeur, si 80 % des parcours effectués par les 36 millions de véhicules utilitaires et particuliers que compte la France l'étaient grâce à un moteur électrique - aujourd'hui, les batteries de certains véhicules permettent déjà de parcourir deux cent cinquante kilomètres -, nous pourrions stocker 15 % de notre consommation moyenne d'électricité, ce qui n'est pas négligeable !
Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, monsieur le sénateur...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous pourrez compléter vos réponses par écrit !
M. Ronan Dantec . - Nous avons essentiellement besoin des documents de comptabilité analytique relatifs aux programmes de recherche sur les énergies renouvelables, pour nous faire une idée de la véritable stratégie du CEA...
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous sommes à votre disposition pour produire les éléments correspondants. Cependant, vous devrez consolider ces informations par celles qui pourraient émaner de nos partenaires...
M. Ronan Dantec . - Vous en avez sûrement une idée assez précise !
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Pas pour l'ensemble de nos partenaires, car nous n'avons pas tous les mêmes manières de travailler.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor . - J'aimerais savoir, monsieur l'administrateur général, qui est le décideur en matière de définition des niveaux ou des types de recherche. S'agit-il d'opérateurs extérieurs ou le CEA retient-il lui-même, en interne, un certain nombre de pistes ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous sommes un établissement public et une part de notre budget provient d'allocations budgétaires annuelles, mais le restant est fourni par les agences de financement et par nos engagements industriels.
Le CEA a pour responsabilité de présenter sa vision de politique scientifique devant les autorités gouvernementales et devant le Parlement. Le schéma que je vous ai présenté n'est pas secret, c'est celui que j'essaie de promouvoir et de défendre. Ces choix sont sur la table et nous sommes prêts à recevoir toutes les indications souhaitables ; nous avons plutôt une compétence technique et nous attendons de connaître les choix politiques.
L'État nous demande également d'être aussi proches que possible des industriels : lorsque l'un d'entre eux nous propose des conditions intéressantes pour travailler sur un sujet donné, si cette proposition est conforme aux grandes lignes de la politique voulue par le Gouvernement, nous répondons favorablement.
M. Jean-Marc Pastor . - Et si elle n'est pas conforme ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous refusons !
On nous demande souvent pourquoi le CEA ne s'investit pas dans le développement de l'éolien. Comme je vous l'ai expliqué, j'essaie de valoriser au mieux nos compétences. J'estime que, pour l'éolien, nous n'en sommes plus à une recherche sur les systèmes, mais à une recherche spécialisée. Pour vous donner un exemple, une nacelle éolienne de 3 mégawatts ou 5 mégawatts contient entre 200 et 500 kilogrammes de matériel magnétique. Si nous pouvons aider au recyclage de ces matières ou à la substitution d'une partie d'entre elles - les métaux rares représentent, vous le savez, un enjeu stratégique mondial -, nous le ferons, bien évidemment. Mais je ne suis pas le maître du jeu, c'est l'industriel « mature » dans le domaine de l'éolien qui est susceptible de me solliciter. Je ne peux pas jouer un rôle moteur, j'ai déjà tant à faire dans les domaines où le CEA occupe un rang de leader !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Chacun son métier !
M. Jean-Marc Pastor . - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé d'engager une réflexion sur l'hydrogène en tant que moyen de stockage de l'électricité. Nous serons certainement amenés à nous retrouver pour discuter de ce sujet.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Je crois beaucoup à cette voie, parce qu'elle permet de développer des systèmes cycliques et propres. Nous ne manquons pas d'eau et l'électricité est massivement produite par les énergies renouvelables et le nucléaire : nous disposons donc de tous les ingrédients et nous pouvons toujours recombiner l'hydrogène avec l'oxygène - qui, lui non plus, ne manque pas - pour obtenir à nouveau de l'eau. Un tel dispositif a un coût, puisque chaque transformation d'une énergie en une autre entraîne des déperditions. L'objet de nos recherches consiste à réduire ces déperditions.
Avec l'université de Corte et le Centre national de la recherche scientifique, nous avons créé un démonstrateur en Corse. Il s'agit du projet MYRTE, dont vous avez sûrement entendu parler : des capteurs solaires permettent de répondre aux besoins de la journée et le supplément d'énergie est stocké sous forme d'hydrogène ; pendant la nuit, on recombine l'hydrogène avec l'oxygène pour produire de l'électricité, ce qui prolonge la possibilité de production. Nous essayons ainsi de répondre à la problématique de l'intermittence.
M. Ladislas Poniatowski , président . - M. Pastor boit du petit-lait en vous écoutant !
M. Jean-Marc Pastor . - Beaucoup d'initiatives se développent dans ce domaine à l'échelon européen. Nous devrons ensuite engager un travail législatif et réglementaire, puisque le stockage de ce genre d'énergie, vous le savez, pose d'énormes problèmes, notamment si elle doit être employée pour alimenter des véhicules.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - L'Allemagne est en train de développer un réseau de distribution d'hydrogène pour les voitures. Celles-ci fonctionneront avec des moteurs à hydrogène soit thermiques, soit alimentés par une pile à combustible.
M. Jean-Marc Pastor . - En raison d'obstacles législatifs, nous ne pouvons pas mettre en place de bornes d'alimentation en hydrogène sur notre territoire. Mais nous y reviendrons, croyez-moi !
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je vais me faire l'avocat du diable, ou plutôt le porte-parole d'une personne que nous avons auditionnée il y a quelques jours...
Vous avez indiqué des chiffres extrêmement précis concernant le vieillissement des centrales nucléaires, mais je souhaite revenir sur deux points : le stockage des déchets et la durée de vie des centrales.
Tout d'abord, vous avez indiqué que la durabilité des installations ne serait connue que dans le futur. Les éléments que vous nous avez donnés sont-ils « consolidés » par rapport à cette incertitude ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Pour ce qui est de la durée d'utilisation, je confirme, conjointement avec EDF - qui a créé un institut international pour mener des recherches sur le vieillissement, auquel le CEA est associé -, que le vieillissement des composants principaux des réacteurs est plus lent que prévu...
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous parlez des éléments de la cuve ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Oui, le reste est substituable. Le petit miracle du nucléaire, si j'ose dire, c'est qu'il n'y a pratiquement pas de pièces mécaniques à l'intérieur du coeur : il n'y a donc pas d'usure par frottements, etc. En revanche, les échangeurs de chaleur qui subissent le cyclone de vapeur connaissent une véritable usure : leur oxydation a été plus forte que prévu, c'est pourquoi EDF a établi un plan de remplacement de ces pièces.
En ce qui concerne la durée de vie des centrales nucléaires, je confirme que tous les éléments sont aujourd'hui plutôt favorables : aux États-Unis, certains réacteurs ont cinquante ans et fonctionnent encore. Nous disposons donc d'une véritable expérience ! Dans le domaine technologique et industriel, on peut faire beaucoup, mais on ne peut pas raccourcir le temps. Ce n'est pas en faisant fonctionner cinq réacteurs en parallèle pendant dix ans que je saurai comment chacun d'entre eux fonctionnera dans cinquante ans ! Il faut accepter d'attendre le retour d'expérience.
Pour moi, le plus important est de prolonger le plus possible la durée de vie des installations, avec une observation extrêmement attentive afin d'éviter tout risque induit. Du point de vue des scientifiques et des ingénieurs, je vous confirme qu'il n'existe pas aujourd'hui de risques particuliers, supérieurs à ceux qui existaient avec la durée de vie initialement prévue, si l'on prolonge celle-ci de dix ans. En revanche, si l'on devait constater, demain, un problème dans une centrale, il ne faudrait pas hésiter à agir !
J'en viens au deuxième aspect que vous avez soulevé. Il est clair que le nucléaire produit des déchets : il en produit à due concurrence du combustible consommé. Les 8 000 tonnes d'uranium naturel que j'ai évoquées permettent de produire 1 100 tonnes de combustible, dont 5 % sont transformées avant que ce combustible soit retiré du réacteur. Le choix technologique retenu par la France consiste à séparer ces 5 % et à recycler les 95 % restants.
Les 5 % de déchets en question, lorsqu'ils sont retirés du réacteur, émettent une radioactivité de l'ordre de 100 000 à 1 000 000 fois supérieure à la radioactivité naturelle. Si vous exposez n'importe quel organisme vivant à un tel niveau de radioactivité, vous le détruisez ! Il faut donc confiner ces déchets.
Après une première loi, en 1991, qui confiait au CEA, au CNRS et à d'autres organismes la responsabilité d'examiner les différentes pistes possibles pour la gestion des déchets, le Parlement a arrêté, en 2006, un choix de référence, fondé sur la séparation et le stockage géologique de colis vitrifiés inertant les déchets radioactifs. Même dans un dépôt d'argile, qui comporte environ 15 % d'eau - or l'eau finit par dissoudre le verre, très lentement, sur des échelles de temps qui sont de l'ordre de la centaine de milliers d'années -, on peut garantir, sur le plan scientifique, que la radioactivité ainsi introduite va décroître. Lorsqu'un atome radioactif sortira éventuellement de la couche d'argile épaisse qui se trouve entre la Haute-Marne et la Meuse, la radioactivité induite, en flux, sera de l'ordre du centième ou du millième de la radioactivité naturelle. Nous disposons désormais d'une bonne compréhension de ces mécanismes, qui nous permet de telles affirmations. La radioactivité n'est pas dangereuse, aussi longtemps qu'elle ne dépasse pas un certain seuil : notre organisme dispose de mécanismes de réparation des dommages créés par les rayonnements ionisants qui sont capables de faire face à la radioactivité naturelle dans laquelle nous baignons.
Ma conviction profonde est que nous disposons aujourd'hui d'un scénario de référence. Des incertitudes demeurent quant aux coûts, parce qu'il s'agit d'un grand projet industriel, totalement novateur. La Cour des comptes affirme très clairement que, même si le coût du stockage des déchets doublait, celui-ci ne représenterait qu'un pourcentage très faible du coût de l'électricité.
Nous nous inscrivons donc dans la logique suivante : allonger la durée de vie des réacteurs pour faire baisser le coût moyen de l'électricité, sachant qu'un « jugement de paix » reste à rendre sur le coût du stockage géologique profond. Dans tous les cas, contrairement à ce que certains disent, le nucléaire reste compétitif, y compris en intégrant la nécessité d'assumer jusqu'à la fin des temps la responsabilité d'une gestion correcte du cycle du combustible.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous nous rendrons le mardi 17 avril à Bure.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Vous pourrez constater sur place l'état d'avancement de ce grand chantier.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur l'administrateur général, M. le rapporteur souhaitait savoir s'il pouvait trouver sur votre site Internet des informations sur les entreprises créées par le CEA.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous allons vous communiquer ces informations. Je ne peux pas vous certifier que ces éléments figurent sur notre site internet ; si tel est le cas, ils ne sont certainement pas présentés entreprise par entreprise. Vous connaissez l'une de ces entreprises, Soitec, chère à M. Vial... ( Sourires .) Nous avons également bon espoir de pouvoir aider Photowatt, dans le solaire, en apportant notre contribution au développement d'un procédé très innovant, l'hétérojonction. Tels sont les paris que nous nous prenons !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur l'administrateur général, je vous remercie de vos réponses très précises. Je crains que vous n'ayez donné envie à notre rapporteur de vous interroger à nouveau, vous-même ou vos collaborateurs, avant la rédaction de son rapport.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Je vous remercie de votre écoute.