Rapport n° 667 (2011-2012) de M. Jean DESESSARD , fait au nom de la Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité, déposé le 11 juillet 2012
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I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION
D'ENQUÊTE
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Audition de M. Philippe de Ladoucette,
président de la Commission de régulation de l'énergie, et
de M. Jean-Yves Ollier, directeur général
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Audition de M. Éric Besson, ministre
auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie
numérique
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Audition de M. Gérard Mestrallet,
président-directeur général de GDF Suez
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Audition de M. Pierre Radanne, expert des
questions énergétiques et écologiques
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Audition de M. Dominique Maillard,
président du directoire de Réseau de transport
d'électricité (RTE)
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Audition de M. Fabien Choné, directeur
général de Direct Énergie et président de
l'Association nationale des opérateurs détaillants en
énergie
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Audition de M. Henri Proglio,
président-directeur général d'Électricité de
France
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Audition de M. Jean-Louis Bal,
président du Syndicat des énergies renouvelables
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Audition de M. Bernard Bigot, administrateur
général du Commissariat à l'énergie atomique et aux
énergies alternatives
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Audition de M. Gilles-Pierre Lévy,
président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, et de
Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la
Cour des comptes
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Audition de M. Jean-Marc Jancovici,
ingénieur conseil en énergie-climat
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Audition de M. Laurent Chabannes,
président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie
(UNIDEN)
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Audition de Mme Michèle Bellon,
président du directoire d'Électricité Réseau
Distribution France (ERDF)
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Audition de M. Luc Oursel, président du
directoire d'Areva
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Audition de M. Alain Bazot, président
d'UFC-Que Choisir
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Audition de MM. Xavier Pintat, sénateur,
président de la Fédération nationale des
collectivités concédantes et régies (FNCCR), et Pascal
Sokoloff, directeur général des services
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Audition de M. Paul Champsaur,
président de l'Autorité de la statistique publique et de la
commission sur le prix de l'accès régulé à
l'électricité nucléaire historique (ARENH)
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Audition de M. François-Michel Gonnot,
député, président du conseil d'administration de l'Agence
nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), et de Mme
Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'ANDRA
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Audition de M. André-Claude Lacoste,
président de l'Autorité de sûreté
nucléaire
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Audition de M. Franck Lacroix, président de
Dalkia
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Audition de Mme Virginie Schwarz, directrice
exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la
maîtrise de l'énergie
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Audition de Mme Reine-Claude Mader,
présidente de la Confédération de la consommation, du
logement et du cadre de vie (CLCV)
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Audition de M. Benoît Faraco,
porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la
Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme
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Audition de M. Jacques Percebois, professeur et
coauteur du rapport « Énergies 2050 »
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Audition de M. Pierre Bivas, président
de Voltalis
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Audition de M. Benjamin Dessus, président
de Global Chance
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Audition de M. Christian Bataille,
député, membre de l'Office parlementaire d'évaluation des
choix scientifiques et technologiques
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Audition de Mme Sophia Majnoni d'Intignano,
chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France
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Audition de M. Denis Baupin, adjoint au maire de
Paris, chargé du développement durable, de l'environnement et du
plan climat
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Audition de M. Jean-François
Conil-Lacoste, directeur général de Powernext et d'EPEX
SPOT
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Audition de MM. Pierre-Franck Chevet, directeur
général de l'énergie et du climat et Pierre-Marie Abadie,
directeur de l'énergie, au ministère de l'écologie, du
développement durable, des transports et du logement
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Audition de M. Denis Merville,
médiateur national de l'énergie
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Audition de Mme Maryse Arditi, pilote du
réseau énergie de France Nature Environnement
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Audition de Mme Annegret Groebel, responsable du
département des relations internationales du Bundesnetzagentur fûr
Elektrizität
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Audition de MM. Luc Poyer, président
du directoire d'E.ON France, Olivier Puit, directeur général
délégué d'Alpiq france, Michel Crémieux,
président d'Enel France, et
Frédéric de Maneville, président de Vattenfall
France
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Audition conjointe de M. Gilles-Pierre
Lévy, président de la deuxième chambre, et de
Mme Michèle Pappalardo, conseillère maître à la
Cour des comptes, ainsi que de représentants de la commission de
régulation de l'énergie, de représentants de la direction
générale de l'énergie et du climat du ministère de
l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et
de représentants d'EDF
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Audition de M. Philippe de Ladoucette,
président de la Commission de régulation de l'énergie, et
de M. Jean-Yves Ollier, directeur général
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II. PRÉSENTATIONS SOUS FORME DE
VIDÉO-PROJECTIONS AYANT SERVI DE SUPPORT D'INTERVENTION À
CERTAINES PERSONNES AUDITIONNÉES
N° 667
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 11 juillet 2012 Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2012 Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 12 juillet 2012 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques (1),
Président
M. Ladislas PONIATOWSKI,
Rapporteur
M. Jean DESESSARD,
Sénateurs.
Tome 2 : Comptes rendus des auditions et annexes.
(1) Cette commission d'enquête est composée de : M. Ladislas Poniatowski , président ; M. Jean Desessard, rapporteur ; M. Alain Fauconnier, Jean-Claude Merceron, Jean-Claude Requier, Mmes Laurence Rossignol, Mireille Schurch, M. Jean-Pierre Vial, vice-présidents ; MM. René Beaumont, Jacques Berthou, Ronan Dantec, François Grosdidier, Benoît Huré, Philippe Kaltenbach, Ronan Kerdraon, Jean-Claude Lenoir, Claude Léonard, Hervé Marseille, Jean-Jacques Mirassou, Jean-Marc Pastor, Xavier Pintat, Mme Esther Sittler. |
I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, et de M. Jean-Yves Ollier, directeur général
( 7 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, monsieur le président de la Commission de régulation de l'énergie, monsieur le directeur général, nous entamons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques.
En préambule, mes chers collègues, permettez-moi un bref rappel : cette commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, au titre de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cette création a été acceptée par le bureau du Sénat.
Dans le cadre de ses travaux, la commission a souhaité entendre en premier lieu MM. de Ladoucette et Ollier, en leur qualité, respectivement, de président et de directeur général de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE.
Je vous rappelle qu'aucune des informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peut être divulguée ou publiée, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur, pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à MM. de Ladoucette et Ollier, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur de Ladoucette, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
( M. Philippe de Ladoucette prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Ollier, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
( M. Jean-Yves Ollier prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous donne la parole, en précisant que, pour l'efficacité de notre travail, vous avez souhaité adresser à l'avance un certain nombre de questions aux personnes auditionnées, afin qu'elles puissent préparer des interventions fructueuses.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président, les six questions que je vais poser, qui se subdivisent en sous-questions, ont été en effet préalablement communiquées à M. de Ladoucette, président de la CRE, et à M. Ollier, directeur général.
Première question, monsieur de Ladoucette, pouvez-vous expliciter la position que vous avez exprimée au sujet de l'évolution des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 ?
Sous l'effet de quels facteurs les tarifs actuels devraient-ils ainsi évoluer ? L'arrêt de la production d'un nombre substantiel de centrales nucléaires allemandes a-t-il eu un impact sur la gestion des pointes de consommation ? L'explosion des prix sur le marché « spot », constatée à l'occasion de la récente vague de froid, a-t-elle un impact durable ?
Deuxième question, ces tarifs représentent-ils aujourd'hui fidèlement le coût réel de l'électricité, selon la formule retenue dans la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME » ?
Le tarif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, fixé par la loi NOME, vous semble-t-il cohérent, d'une part, avec les conclusions du « rapport Champsaur 2 » et, d'autre part, avec celles du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 ? Dans le cas inverse, quelles sont les composantes de ces tarifs qui devraient être différentes ?
Le cas échéant, pouvez-vous préciser quels sont les acteurs économiques subissant ce différentiel ? Peut-on considérer, après la mise en place de l'ARENH, qu'il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production, y compris les coûts fixes, et le prix de vente ? Si oui, qui, de l'exploitant ou de l'actionnaire, bénéficie de cette rente ? Le système belge de prélèvement de l'État au titre de la rente nucléaire, institué en 2008 à la charge des producteurs d'énergie atomique, serait-il transposable en France ?
Troisième question, quel jugement portez-vous sur le système d'actifs dédiés à la couverture d'une partie des charges futures du nucléaire, lequel est remis en cause par la Cour des comptes ?
Préconisez-vous une évolution de ce dispositif ?
Quatrième question, pouvez-vous nous dire jusqu'à quel niveau le tarif de rachat de l'électricité issue des différentes filières de production d'énergies renouvelables devra évoluer afin de couvrir les coûts de soutien à ces filières ?
Les modalités de fixation du tarif de rachat fixées par la loi de finances pour 2011 permettront-elles de rattraper le « stock » de dépenses d'EDF non compensées jusqu'à présent ? La CRE a-t-elle les moyens de déterminer le coût réel de chaque filière ? Nous sommes particulièrement intéressés.
Ces filières peuvent-elles, à court ou à moyen terme, produire de l'électricité à un coût comparable à celui des énergies fossiles ? Dans quelle mesure la montée en puissance des énergies renouvelables a-t-elle un impact sur les investissements à effectuer pour rénover et adapter notre réseau de transport d'électricité ?
Cinquième question, quel est le niveau d'investissement souhaitable dans les années à venir sur les réseaux de transport et de distribution d'électricité ?
Comment cela se traduirait-il dans les tarifs ?
Sixième et dernière question, pensez-vous que l'acquisition, à titre onéreux, de l'ensemble de leurs quotas d'émission de gaz à effet de serre par les électriciens, à compter de 2013, aura des conséquences sur le prix de l'électricité ou ce coût est-il déjà totalement intégré par les acteurs économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il n'y a que six questions, mais en effet beaucoup de sous-questions ! ( Sourires .)
Monsieur de Ladoucette, vous avez la parole pour répondre, si possible dans l'ordre des questions.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de toutes ces questions. Si vous le permettez, j'y répondrai après les avoir un peu réorganisées, pour éviter de passer d'un sujet à l'autre de façon désordonnée. Cependant, je vais m'efforcer de répondre à toutes vos interrogations.
Ainsi, après la première question, qui concerne les propos que j'ai tenus le 17 janvier 2012, j'aborderai, dans l'ordre, la tarification, c'est-à-dire la production, avec l'ARENH, l'acheminement, au travers des réseaux, et, enfin, les taxes, en évoquant la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et les énergies renouvelables. Nous aurons, de la sorte, évoqué l'ensemble des sujets qui vous intéressent.
En ce qui concerne l'explicitation des propos que j'ai tenus lors d'un colloque organisé le 17 janvier dernier, je crois utile, par précaution oratoire, de rappeler dans quelles conditions ces déclarations ont été faites.
J'avais à l'époque bien précisé qu'il s'agissait d'une estimation d'évolution des tarifs à législation constante, c'est-à-dire en ne changeant rien à ce qui existe aujourd'hui. Par ailleurs, je suis parti du principe que l'on appliquait cette législation dans toute sa dimension, de manière normale, ce qui n'a pas toujours été le cas. Par exemple, la CSPE a été lissée dernièrement, de sorte que les textes n'ont pas été appliqués comme il avait été prévu initialement.
Une fois ce contexte précisé, je tiens à vous exposer les trois éléments qui m'ont amené à dire que les tarifs pourraient considérablement augmenter d'ici à 2016.
Comme les évolutions tarifaires concernant l'électricité interviennent en été depuis plusieurs années, l'échéance retenue serait juillet ou août 2016. Ma déclaration portait donc sur cinq exercices tarifaires.
Le premier élément est lié aux évolutions concernant l'ARENH. Vous savez que, en application de la loi NOME, à partir de 2014, il revient à la CRE de proposer le montant de l'ARENH au Gouvernement, et non l'inverse. En outre, à partir du 1 er janvier 2016, c'est également la CRE, et non le Gouvernement, qui proposera l'évolution des tarifs de l'électricité. Enfin, il faut avoir un dernier élément en tête : la loi NOME prévoit que la période intérimaire jusqu'à 2016 doit être mise à profit pour faire en sorte que les tarifs réglementés de l'électricité rattrapent le prix de l'ARENH. Or, aujourd'hui, l'écart est de 4 % pour les « tarifs bleus » et de 5 % pour les tarifs professionnels.
Le deuxième élément a trait au coût de l'acheminement, au travers du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité, le TURPE.
Je suis parti du principe, assez général - et la mesure est plutôt conservatrice -, que le TURPE évoluerait chaque année de 2 % hors inflation. Avec une moyenne d'inflation de 2 %, son évolution prévisible est donc de 4 % par an. Le TURPE aura donc un impact d'environ 47 % sur les tarifs réglementés.
Le troisième élément tient à l'évolution de la CSPE, laquelle couvre un certain nombre de charges : la péréquation tarifaire, les éléments sociaux et, surtout, la contribution pour les énergies renouvelables.
La conjonction de ces trois éléments m'a conduit à dire qu'il fallait probablement envisager une augmentation des tarifs réglementés de l'électricité de l'ordre de 30 %.
Vous devez garder à l'esprit, même si cela n'a pas une influence considérable pour l'instant, que nous avons retenu comme prix de marché de gros celui qui est actuellement prévu pour 2013, c'est-à-dire 54 euros le mégawattheure.
Grosso modo , la répartition, à 1 % près, se fait à hauteur de un tiers pour chacun de ces éléments. Pour être très précis, cette hausse de 30 % se décompose comme suit : pour le TURPE, de l'ordre de 9 % ; pour l'ARENH, plus le complément de fournitures, plus les coûts commerciaux, de l'ordre de 11 %; pour la CSPE, de l'ordre de 10 %.
Voilà les éléments de réponse que je tenais à apporter à votre première question.
Je vais poursuivre en restant volontairement dans le cadre de l'ARENH, donc dans la partie « production ». Vous m'avez demandé si les tarifs représentaient aujourd'hui fidèlement le coût réel de l'électricité, selon la formule retenue dans la loi NOME.
Vous le savez, les tarifs ne sont pas encore construits par empilement des coûts, notamment à partir du prix de l'ARENH, comme le prévoit la loi NOME pour le début de l'année 2016. Par conséquent, il existe un « ciseau tarifaire », que j'ai évoqué tout à l'heure : les conditions d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs ne leur permettent pas, aujourd'hui, de faire des offres compétitives aux clients bénéficiant du tarif réglementé, puisqu'ils n'ont pas de moyens de production compétitifs en propre.
Je le répète, la hausse à opérer sur les tarifs des grands clients professionnels est de l'ordre de 5 %, contre 4 % pour les clients résidentiels et les petits professionnels. Ces chiffres ont été donnés par la CRE dans son avis sur la hausse des tarifs réglementés au 1 er juillet 2011.
Nous veillerons chaque année à ce que la problématique du « ciseau tarifaire » soit mise en évidence. Avant le 31 décembre 2015, sur la base de rapports de la CRE et de l'Autorité de la concurrence, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie doivent établir un rapport sur le dispositif ARENH et évaluer naturellement son impact sur le développement de la concurrence.
Vous m'avez également demandé si le tarif de l'ARENH fixé par la loi NOME me semblait cohérent, d'une part, avec les conclusions du rapport Champsaur 2 et, d'autre part, avec celles du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012.
Si je voulais faire une réponse très rapide, je dirais deux fois « oui », mais le sujet mérite sans doute de plus longs développements.
En premier lieu, le tarif est cohérent avec les conclusions du rapport Champsaur 2, la CRE ayant repris en grande partie la même méthodologie pour préparer son avis sur le prix de l'ARENH. Je m'explique : la loi NOME prévoit qu'un décret fixe les modalités de calcul selon lesquelles la CRE devra définir le prix de l'ARENH. Ce décret n'a toujours pas été pris, mais il devra l'être au plus tard le 31 décembre 2013.
En l'absence de décret, la CRE a élaboré sa propre méthode, qui a donné les résultats que vous savez, c'est-à-dire une fourchette comprise entre 36 euros et 39 euros le mégawattheure. Cette méthode est, à peu de chose près, la même que celle qui est retenue dans le rapport Champsaur 2.
La situation peut évoluer si le décret définissant les modes de calcul à utiliser par la CRE fournit des paramètres différents. Mais il reviendra au Gouvernement d'en décider. La valeur de l'ARENH pourra alors évoluer à la hausse ou à la baisse. En tout état de cause, il n'y a aucun problème à l'égard du rapport Champsaur 2.
S'agissant de la cohérence avec le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012, je ne relève pas plus de difficultés. En effet, ce n'est pas le même sujet qui est traité. La Cour a exposé quatre méthodes de valorisation du capital résiduel immobilisé dans les centrales nucléaires, mais n'a pris position pour aucune d'entre elles, se contentant de rappeler que chacune répond à une question différente. Elle précise d'ailleurs que la « méthode Champsaur » est adaptée pour établir un tarif, en l'espèce le prix de l'ARENH.
Concernant la méthode des coûts courants économiques, les CCE, la Cour des comptes explique que cette approche cherche à donner une idée de ce que coûterait aujourd'hui la reconstruction du parc nucléaire historique, à technologie constante. Elle détermine le prix qu'un acteur économique entrant sur le marché de l'approvisionnement en énergie d'origine nucléaire serait prêt à payer pour louer le parc actuel, plutôt que de le reconstruire.
De notre point de vue, il n'y a donc pas plus d'incohérence avec le rapport de la Cour des comptes qu'avec le rapport Champsaur 2. Bien entendu, je vous laisse juge de cette affirmation, monsieur le rapporteur.
Vous souhaitez aussi savoir si l'on peut considérer, après la mise en place de l'ARENH, qu'il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production, y compris les coûts fixes, et le prix de vente. Dans l'affirmative, vous voudriez savoir qui, de l'exploitant ou de l'actionnaire, en est le bénéficiaire.
À notre sens, il n'existe pas aujourd'hui de rente nucléaire. Si les 3 euros par mégawattheure de provision pour Fukushima - c'est-à-dire la différence entre ce que nous avions calculé, 39 euros, et les 42 euros constituant aujourd'hui le prix de l'ARENH -, sont surestimés, ils représenteraient une avance de trésorerie faite à EDF, avance que devrait logiquement rembourser l'opérateur. Nous verrons ce point lorsque nous aurons constaté les investissements effectivement réalisés.
La vente de l'ARENH par EDF aux fournisseurs alternatifs ne génère pas de rente au profit de l'opérateur historique.
À cet égard, il faut garder à l'esprit deux éléments fondamentaux. D'une part, EDF vend l'électricité au prix de l'ARENH, avec un « complément marché » à ses clients en offre de marché. D'autre part, les tarifs réglementés de vente ne prennent pas encore en compte le prix de l'ARENH. Sur l'ensemble de ces ventes, EDF vend donc l'électricité produite par son parc nucléaire historique, au plus, au prix de l'ARENH et ces prix couvrent les coûts de production dudit parc. Ils ne génèrent donc pas de rente nucléaire.
En outre, vous me demandez si le système belge de prélèvement de l'État au titre de la rente nucléaire institué, en 2008, à la charge des producteurs d'énergie atomique serait transposable en France. À mon sens, il pourrait être transposé, à condition qu'EDF vende la totalité de son électricité nucléaire au prix de marché, lequel est aujourd'hui significativement supérieur au prix régulé de l'ARENH.
Une solution différente, aboutissant à un système d'impôt négatif, aurait pu être imaginée par le Gouvernement et par le législateur lors de la discussion de la loi NOME. Ce n'est pas le choix fait à l'époque. On ne peut donc pas transposer aujourd'hui le système belge sur le système ARENH, sauf à tout changer, ce qui est de la responsabilité du législateur. En l'état actuel de la législation, une telle solution serait incohérente.
Par ailleurs, vous souhaitez savoir si l'acquisition à titre onéreux de l'ensemble de leurs quotas d'émission de gaz à effet de serre par les électriciens à compter de 2013 aura des conséquences sur le prix de l'électricité ou si ce prix est déjà totalement intégré par ces acteurs économiques.
Je dois reconnaître qu'une investigation complémentaire serait nécessaire, mais nous estimons aujourd'hui que ce prix est déjà très largement intégré. Il est vrai que le prix du CO 2 est aujourd'hui extrêmement bas, à moins de 10 euros la tonne.
Que se passerait-il si, comme en 2004 et en 2005, le prix du CO 2 montait pour atteindre des niveaux assez élevés ? À l'époque, la hausse s'était répercutée sur les prix de gros de l'électricité et, par conséquent, sur les prix libres de l'électricité. Je ne suis pas en mesure de faire une réponse définitive. Déposant sous serment, je ne vois pas comment je pourrais être catégorique sur une prévision. Je serai donc prudent, en disant que, aujourd'hui, à moins de 10 euros la tonne, le prix est intégré. En revanche, si le prix du CO 2 est de 30 euros la tonne, il faut s'attendre à une répercussion.
Pour terminer sur cette partie, vous m'avez demandé de vous faire part de mon jugement sur le système d'actifs dédiés à la couverture d'une partie des charges futures du nucléaire, système qui est remis en cause par la Cour des comptes. Vous souhaitez en outre savoir si je préconise une évolution de ce dispositif.
Tout d'abord, je dirai que ce sujet relève non pas de la CRE, mais de la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, la CNEF. Je ne connais pas précisément cette institution, mais elle est incontestablement compétente. ( Sourires .)
Par ailleurs, la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, est chargée, en tant qu'expert, de valider le montant des actifs dédiés.
Je souhaite ajouter un commentaire.
La Cour des comptes n'a pas complètement remis en cause le dispositif, mais elle propose de s'interroger sur la composition du portefeuille des actifs dédiés. Je dois dire que la CRE a également des interrogations sur la liquidité, telle qu'elle est prévue dans la loi. Ainsi, à notre sens, Réseau de transport d'électricité, RTE, ne serait pas parfaitement liquide sous cet angle-là. Cependant, nous ne disposons pas de cette compétence, donc de la pertinence pour nous exprimer sur ce sujet.
Le deuxième bloc de questions porte sur la problématique « réseaux et interconnexions ».
Vous m'avez demandé si l'arrêt de la production d'un nombre substantiel de centrales nucléaires allemandes a eu un impact sur la gestion des pointes de consommation. Ma première réponse, très rapide, est négative.
Je m'explique. Même si je ne peux pas dire qu'il n'y en aura pas un jour, je suis en mesure d'affirmer que, précisément, le jour de la pointe de consommation que tout le monde a en tête, il n'y a pas eu véritablement d'impact.
Néanmoins, de façon plus générale, je dois à la vérité de dire que l'arrêt des huit réacteurs nucléaires en Allemagne peut avoir des conséquences sur la gestion des pointes de consommation futures, et j'insiste sur cet adjectif, car ce n'est pas ce qui s'est passé.
Tout d'abord, l'arrêt des centrales réduit les marges du parc de production allemand pour faire face à la consommation domestique. Par conséquent, la production d'électricité pouvant être exportée vers la France sera moins importante.
Ensuite, le coût de production du nucléaire étant assez réduit, l'arrêt des réacteurs allemands est de nature à renchérir le prix de gros de l'électricité outre-Rhin, et, partant, le coût d'approvisionnement en électricité pour la France pendant les périodes de pointe. Je tiens quand même à souligner un élément très important : le couplage des marchés, impliquant pour l'instant des mécanismes de gestion de l'interconnexion, non seulement entre la France et l'Allemagne, mais également avec le Benelux, en attendant plus, est fondamental, car, en imposant de s'approvisionner auprès de la centrale la moins coûteuse, il tend à faire baisser le prix de gros français, lorsque l'on importe du courant des pays adjacents.
En résumé, l'arrêt des centrales nucléaires allemandes peut faire monter globalement le prix de référence allemand, mais l'importation d'électricité allemande se fera toujours dans le souci de la recherche d'un optimum économique, peut-être moins élevé qu'avant, mais toujours optimal.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Moins élevé qu'avant ? Nous connaissons tous le prix du charbon allemand. Aussi, globalement, les prix allemands vont augmenter du fait de l'arrêt des centrales.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Effectivement, les prix de gros en Allemagne vont augmenter. Mais, si l'on importe de l'électricité allemande, cela voudra dire qu'elle sera, à ce moment-là, moins chère que celle qui sera produite en France, sinon, nous n'irons pas la chercher en Allemagne !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Moins chère, mais plus chère qu'aujourd'hui !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous sommes d'accord !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Tout est dans la relativité !
Enfin, compte tenu des contraintes pesant sur le réseau de transport allemand, les centrales nucléaires arrêtées étant plutôt situées au sud du pays et la production, notamment celle des éoliennes, se trouvant au nord du pays, des investissements importants sont à prévoir. Les capacités du réseau permettant les échanges entre la France et l'Allemagne seront, de ce fait, un peu limitées. Mais nous parlons là des conséquences éventuelles futures que l'on peut imaginer.
Parlons plus précisément du pic de consommation du mois de février.
Lors du record absolu de consommation atteint avec 101 700 mégawatts, nous avons importé 8 350 mégawatts, soit 8,2 % de notre consommation. Cette importation provenait essentiellement d'Allemagne, à hauteur de 2 800 mégawatts, puis d'Angleterre, avec 2 000 mégawatts, de Belgique, avec 1 600 mégawatts, et enfin d'Espagne, avec 1 000 mégawatts.
Mme Laurence Rossignol . - Pouvez-vous nous redonner ces chiffres ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - On ne nous a pas transmis les mêmes pour le premier des deux jours de pointe.
Selon EDF, nous n'aurions importé que 180 mégawatts d'Allemagne et plus de 3 000 mégawatts d'Angleterre.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Le 8 février, à dix-neuf heures,...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je parle du 7 février, le premier jour.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Le record absolu de consommation de 101 700 mégawatts se situe le 8 février, à dix-neuf heures.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Oui, absolument !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je reprends la répartition des importations par la France : 2 800 mégawatts d'Allemagne ; 2 000 mégawatts d'Angleterre ; 1 600 mégawatts de Belgique ; 1 000 mégawatts d'Espagne ; 900 mégawatts d'Italie ; 50 mégawatts de Suisse.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Et nous avons vendu de l'électricité à l'Italie ce même jour !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Si vous le dites ! ( Sourires .)
Pour compléter ces chiffres, il faut savoir que le 9 février, jour où le pic de prix, et non de consommation, a été atteint, c'est-à-dire 1 938,50 euros le mégawattheure, la répartition des importations a été à peu près la même, puisque nous avons importé 2 500 mégawatts d'Allemagne, 2 000 mégawatts d'Angleterre, et ainsi de suite.
On voit bien que les décisions prises par le gouvernement allemand sur le nucléaire n'ont pas eu d'impact sur cette gestion de la pointe,...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - ... sachant que, sur la période allant du 1 er au 15 février 2012, la France a eu un solde importateur net de 1,2 térawattheure. Sur la seule frontière avec l'Allemagne, ce solde est de 0,85 térawattheure.
L'Allemagne reste donc un élément important, notamment, de notre système de gestion des pointes.
De façon corrélative, vous m'avez interrogé pour savoir si l'explosion des prix sur le marché spot constatée à l'occasion de cette vague de froid aurait un impact durable. Je ne le pense pas. Les niveaux atteints, aux alentours de 2 000 euros le mégawattheure, sont retombés assez rapidement par la suite, puisque, voilà quelques jours, et ce doit être encore le cas aujourd'hui, le prix de gros était de l'ordre de 51 euros le mégawattheure en moyenne.
Il n'y a donc pas eu d'effet durable.
Cela étant, force est de constater que l'occurrence d'un pic de prix traduit un problème structurel. En effet, la pointe de consommation d'électricité croît très fortement et, bien que la France conserve des marges d'exportation importantes, le parc de production n'est pas toujours suffisant pour faire face aux pointes de consommation lors des vagues de froid, les interconnexions étant de plus en plus nécessaires pour assurer la sécurité d'approvisionnement de notre pays.
Il s'agit là d'un élément très important à prendre en considération dans le cadre de la construction du marché européen de l'énergie.
De façon plus générale, vous souhaitez savoir quel est le niveau d'investissement souhaitable dans les années à venir sur les réseaux de transport et de distribution d'électricité, dans quelle mesure la montée en puissance des énergies renouvelables peut avoir un impact sur les investissements à effectuer et comment cela se traduirait dans les tarifs.
Je ne sais pas si votre question porte sur une vision à très long terme, par exemple à l'horizon de 2020 ou de 2025, ou si elle s'applique à un terme plus rapproché, par exemple sur le prochain tarif d'accès au réseau. Sur les tarifs, j'ai en partie répondu tout à l'heure en disant que nous avions, dans l'état actuel de la réglementation, envisagé une augmentation du TURPE de 2 % hors inflation, soit environ 4 % avec l'inflation. Le TURPE 4 est actuellement en cours d'élaboration, le TURPE 3 étant en fin de parcours. Ce futur tarif sera appliqué à partir de l'été 2013. La première consultation sur sa structure sera prochainement en ligne.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - Elle le sera dans les deux jours qui viennent.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - J'aborde maintenant la montée en puissance des énergies renouvelables, en Europe et en France, qui constitue un élément central des investissements futurs concernant les réseaux.
Une partie de la production d'électricité d'origine renouvelable est intermittente et peu ou pas pilotable, alors que les réseaux électriques ont été conçus à l'origine pour acheminer l'électricité produite de façon centralisée dans un seul sens, des centres de production vers les centres de consommation. L'injection de cette production d'origine renouvelable nécessite un fonctionnement bidirectionnel des réseaux, et donc leur adaptation.
Toutes choses égales par ailleurs, une modification substantielle du mix énergétique aurait probablement des incidences sur les investissements nécessaires dans les réseaux, non seulement les réseaux de distribution, mais également les réseaux de transport. Ce point, dont on parle assez peu, est important. Je ne sais pas si vous auditionnerez M. Dominique Maillard, président de RTE, mais, si tel est le cas, il vous en parlera.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous avons prévu de l'entendre, ainsi que Mme Michèle Bellon, présidente d'ERDF. Nous pourrons ainsi évoquer et le réseau de transport et le réseau de distribution.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - S'agissant très précisément de la situation française au regard du développement des énergies renouvelables, les installations raccordées au domaine de tension HTA, le plus souvent les éoliennes et les centrales de cogénération, nécessitent le développement d'infrastructures de réseau dédiées, dont le financement est assuré par le producteur.
Les coûts « réseau de distribution » de ce type de production sont donc imputés correctement aux agents économiques qui décident l'investissement. Ce n'est pas le réseau.
Les panneaux photovoltaïques sont, pour la plupart, raccordés, eux, en basse tension, et le raccordement au réseau de distribution de ces installations de production pose de nouveaux problèmes. En effet, les éventuels renforcements du réseau de distribution ne sont pas toujours financés par le producteur lors du raccordement.
Un débat est né entre ERDF et la CRE sur les coûts engendrés par le développement de la production photovoltaïque à la charge du gestionnaire du réseau, puisque nous n'avons pas les mêmes chiffres. Mais nous sommes tous d'accord pour dire qu'il y a un coût ! Est-il de l'ordre de 400, 500, 600 ou 700 millions d'euros ? Il s'agit d'un débat technique entre nous, qui sera tranché lorsque nous aurons achevé l'élaboration du prochain TURPE.
M. Ronan Dantec . - S'agit-il d'un coût annuel ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Non, il s'agit d'un coût forfaitaire.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - C'est un coût d'investissement global sur le réseau de distribution pour la période allant de 2012 à 2020.
M. Ladislas Poniatowski, président . - À quoi ce coût correspond-il exactement ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Il s'agit du coût lié au renforcement des réseaux HTA consécutif au raccordement d'installations de production photovoltaïque sur les réseaux BT et HTA. À ce jour, nous parlons de coûts prévisionnels, et non de coûts observables.
Mme Laurence Rossignol . - Ce coût ne concerne-t-il que le photovoltaïque ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Non, il porte sur toutes les énergies renouvelables.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - Non, seulement sur le photovoltaïque.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Il s'agit du développement de la production photovoltaïque à la charge du gestionnaire de réseau.
Selon ERDF, les coûts engendrés par le développement de la production photovoltaïque, à la charge du gestionnaire de réseau, seraient de 735 millions d'euros d'ici à 2020.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - Si l'on suit le scénario PPI.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Bien entendu, mais, s'agissant du photovoltaïque, je pense qu'il sera largement suivi.
Il y a un débat sur le coût : ERDF penche pour 735 millions d'euros, nous l'estimons plutôt à 400 millions d'euros.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Attendez, il semble que nous parlions de choses différentes.
Nous voulons parler du coût du branchement sur le réseau, qui, de toute façon, est à la charge du producteur, que ce soit du photovoltaïque ou de l'éolien.
En revanche, le chiffre que vous évoquez concerne les coûts du renforcement du réseau rendu nécessaire par l'injection de cette production supplémentaire. Aujourd'hui, il est facile d'avoir des chiffres précis sur le photovoltaïque, mais pas encore sur l'éolien. Cela viendra bientôt. Et cette facture est totalement à la charge du distributeur ou du transporteur.
Il faut donc bien faire la distinction entre le coût du branchement et le coût du renforcement du réseau de transport et de distribution.
M. Ronan Dantec . - S'agissant du photovoltaïque, à l'évidence, le réseau a besoin d'être modifié, mais, s'agissant du grand éolien, dont la production part tout de suite sur de la HT, il n'y a pas besoin de renforcement. La production par éolienne implique des besoins de gestion, mais pas de renforcement.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - C'est la raison pour laquelle je n'ai rien dit sur ce point pour l'instant. Je n'ai parlé que du photovoltaïque.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Alors, nous sommes d'accord !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je le répète, il y a un débat sur le coût exact. Les chiffres ne sont donc pas à prendre dans l'absolu. Nous sommes dans du prévisionnel, dans de l'estimation et dans la construction d'un tarif. Ce débat sera tranché, après des discussions entre l'opérateur ERDF et la CRE, qui va définir le prochain TURPE.
Voilà ce que je peux dire au sujet de l'impact des énergies renouvelables sur les investissements.
Il faut savoir que le fait de définir un tarif d'accès au réseau ne garantit pas que les investissements prévus seront réalisés. Ce qui permet de « boucler » le système, si je puis dire, c'est la possibilité que donne la loi à la CRE d'approuver les programmes d'investissement du transporteur RTE. D'un côté, la CRE élabore le TURPE et, de l'autre, elle approuve chaque année le programme d'investissements de RTE, ce qui n'est pas le cas pour ERDF, mais je ne dis pas qu'il faudrait qu'il en soit ainsi. À cela s'ajoute dorénavant une dimension européenne, puisque la troisième directive a été transposée en France dans le code de l'énergie.
Depuis mai 2011, la CRE a une mission de suivi du schéma décennal de développement que doit élaborer chaque année le gestionnaire du réseau de transport. Chaque année, RTE élabore donc un schéma glissant sur les dix années à venir. Le régulateur doit recueillir l'avis des acteurs du marché sur ce point et émettre un avis sur le schéma, en prenant en compte les besoins futurs en matière d'investissement et la cohérence de ce schéma avec le plan décennal proposé par l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie, l'ACER, laquelle a une vision globale européenne.
RTE a soumis à la CRE son premier plan décennal en janvier 2012. C'est donc tout récent. Une consultation publique sur ce schéma est prévue en avril 2012. RTE y annonce un besoin d'investissement d'environ 10 milliards d'euros pour les dix ans à venir. De cette somme sont exclus les investissements de renouvellement, ainsi que ceux qui sont relatifs à la logistique ou aux outils de gestion du marché et du système électrique. Pour vous donner une idée plus précise, ces deux catégories de dépenses représentent en 2012 respectivement 25 % et 10 % du budget annuel d'investissement de RTE, de l'ordre de 1 milliard à 1,2 milliard d'euros. La somme de 10 milliards d'euros, qui ne prend pas en compte ces postes de dépense, est donc très importante.
Dans le cas de la distribution, sujet assez délicat, que beaucoup d'entre vous connaissent de très près, il nous paraît nécessaire que l'ensemble des parties prenantes aient une vision globale des besoins d'investissement et des coûts associés, au niveau tant départemental que national.
Les nouvelles conférences départementales réunies désormais sous l'égide des préfets, instituées par l'article 21 de la loi NOME, doivent être le lieu de cet exercice de transparence et d'explication.
Quelques opérations ont d'ores et déjà été menées. Vous-même, monsieur le président, avez une expérience dans ce domaine et vous avez bien voulu nous en faire part. Cet apport est tout à fait instructif.
La procédure permettra de cerner réellement les problèmes et de dépassionner un débat délicat entre les autorités concédantes, ERDF, son actionnaire et la CRE. Beaucoup d'acteurs sont concernés par ce sujet extrêmement compliqué, sur lequel la CRE doit se pencher dans le cadre de l'élaboration du TURPE, qui concerne directement les élus locaux.
La CRE a donc prévu une augmentation du TURPE de l'ordre de 2 % hors inflation, comme je vous l'ai annoncé tout à l'heure, pour les raisons suivantes.
Tout d'abord, il faut améliorer la qualité d'alimentation pour faire face à l'augmentation de la durée moyenne de coupure constatée sur les réseaux de distribution, conséquence d'une baisse de l'investissement dans le réseau de distribution entre 1994 et 2003. En effet, on avait atteint un sommet d'investissements en 1993 et un plancher en 2003-2004, passant de 3 milliards d'euros à 1,4 milliard d'euros. Ce montant a remonté par la suite, mais les conséquences de cette baisse de l'investissement peuvent se constater aujourd'hui dans la qualité de l'approvisionnement.
Par ailleurs, les distributeurs se sont engagés dans des démarches de modernisation des réseaux concernant en particulier les dispositifs de comptage, pour répondre aux enjeux liés au développement de la production décentralisée.
Je reviens sur les dispositifs de comptage, car il s'agit d'un sujet également très sensible. On parle ainsi beaucoup de Linky actuellement. Il est important pour les gestionnaires de réseaux de distribution d'améliorer la qualité de leur service et de mieux gérer la montée en puissance des énergies renouvelables.
En outre, les besoins de raccordement et de renforcement des réseaux de transport et de distribution consécutifs au nouveau cycle d'investissement dans la production d'électricité provoquent un certain renchérissement.
Enfin, la construction de nouvelles infrastructures d'interconnexion, dont je vous ai parlé tout à l'heure et qui sont très importantes pour le fonctionnement des réseaux européen et français, est un facteur d'augmentation des coûts.
Pour mémoire, ERDF a investi 2,8 milliards d'euros en 2011, contre 1,8 milliard d'euros en 2007, soit une augmentation considérable, qu'il faut bien financer. In fine , c'est donc le consommateur qui doit supporter ces charges supplémentaires.
Nous devons donc trouver un équilibre entre les demandes, souvent pertinentes et justifiées, des gestionnaires de réseau, celles, toujours pertinentes et justifiées, des autorités concédantes, et les conséquences tarifaires qu'elles induisent. La tâche n'est pas toujours simple et l'augmentation de 2 % repose plutôt sur une vision assez conservatrice de la réalité.
J'en viens maintenant aux énergies renouvelables et à la CSPE.
Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité savoir jusqu'à quel niveau la part de la CSPE consacrée au rachat de l'électricité issue des différentes filières de production d'énergies renouvelables devrait évoluer pour couvrir les coûts de soutien à ces filières.
La CSPE est le troisième élément apparaissant sur la facture d'électricité, mais le consommateur n'en a pas une vision très nette dans la mesure où cette taxe a sa vie propre et évolue indépendamment de toute augmentation du tarif réglementé. Le montant de la CSPE est normalement fixé en début d'année. Au cours de la période transitoire, elle aura évolué à la fois au 1 er janvier et au 1 er juillet, avant de revenir à un système plus traditionnel.
Pour favoriser le développement des énergies renouvelables, les pouvoirs publics peuvent recourir à deux instruments économiques.
Le premier instrument, ce sont les tarifs d'achat. Les fournisseurs historiques - EDF et les ELD, en métropole ; EDF-SEI dans les zones non interconnectées, ainsi que Électricité de Mayotte - se voient dans l'obligation d'acheter, sur quinze ou vingt ans, la production d'électricité obtenue à partir de sources renouvelables, et ce à un tarif fixé par arrêté après avis de la CRE.
Nous vérifions si les tarifs induisent une rémunération normale des capitaux investis. Le système ne permet pas de contrôler la quantité d'énergie bénéficiant du soutien public. Si les tarifs sont fixés à un niveau trop élevé, ils peuvent conduire à un développement non contrôlé d'une filière à but spéculatif.
La forte croissance de la filière photovoltaïque en 2009 et en 2010 illustre le genre de « conséquences » - je ne sais quel terme employer - susceptibles d'être causées par un mauvais calibrage du tarif de départ. Mais ce problème n'est pas propre à la France, l'Allemagne l'a également rencontré. Ce n'est donc pas évident à mettre en place.
Second instrument, en dehors des tarifs d'achat : les appels d'offres pour les moyens de production. Il aboutit à fixer, ex ante , la quantité d'énergies renouvelables bénéficiant du soutien public. Sous cette contrainte globale, les projets sont sélectionnés en fonction de plusieurs critères, notamment le prix d'achat proposé par les candidats. L'électricité produite est vendue au fournisseur historique au prix fixé dans l'offre.
Un tel système permet de maîtriser la production d'énergies renouvelables qui bénéficie du soutien public, au moindre coût pour la collectivité. C'est vrai qu'il coûte moins cher, mais c'est vrai aussi qu'il développe moins !
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est logique !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Au titre de l'année 2012, la Commission de régulation de l'énergie évalue à 4,254 milliards d'euros les charges prévisionnelles de service public, dont 2,216 milliards d'euros liés aux énergies renouvelables, soit 52 % du total. C'est la première année où la part des énergies renouvelables dépasserait le seuil de 50 %. J'insiste sur le fait qu'il s'agit bien de prévisions.
Inscrivons-nous maintenant dans une perspective un peu plus lointaine, à l'horizon 2020. La CRE est, bien entendu, partie des principes qui ont été définis, retenant l'hypothèse que la programmation pluriannuelle des investissements, PPI, et les engagements du Grenelle seraient atteints à cette date. Mais ce n'est pas une certitude. Ils seront sans doute dépassés pour le photovoltaïque, mais rien n'est sûr pour l'éolien sur terre et en mer.
Si nous ajoutons à ces hypothèses un prix de marché de 54 euros le mégawattheure en 2013 et une inflation de 1 % par an, les charges dues, en 2020, aux énergies renouvelables sont estimées à 7,5 milliards d'euros, sur un montant global de CSPE d'un peu moins de 11 milliards d'euros. En d'autres termes, on atteindrait à peu près 70 % pour la part de la CSPE consacrée aux énergies renouvelables.
Mais, je le répète, il ne s'agit que de prévisions. À l'évidence, si les prix du marché de gros montent et, par exemple, atteignent 110 ou 120 euros, la CSPE, elle, diminuera considérablement.
Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité savoir si les modalités de fixation du montant de la contribution unitaire définies par la loi de finances pour 2011 permettraient de rattraper le « stock » de dépenses d'EDF non compensées jusqu'à présent.
Selon nos estimations sur l'évolution des charges, toujours fondées sur les mêmes hypothèses de départ, la croissance annuelle maximale de la contribution unitaire de 3 euros le mégawattheure, inscrite dans le code de l'énergie, permettra de combler le déficit d'EDF d'ici à la fin de 2015. Ce calcul n'intègre pas les intérêts intercalaires dont EDF souhaiterait qu'ils lui soient payés.
La CRE a-t-elle les moyens de déterminer le « coût réel » de chaque filière ? Voilà une question extrêmement difficile, surtout lorsque l'on dépose sous serment, et j'aurais tendance à vous répondre par la négative pour être certain de ne pas dire de bêtises !
Pour être totalement honnête, je précise que les appels d'offres permettent à la CRE de compléter son expertise technique et économique sur les énergies renouvelables, par le biais des plans d'affaires des candidats qui nous sont transmis, et cela représente énormément de dossiers à traiter.
Par ailleurs, lorsque la CRE doit rendre un avis sur un tarif d'achat, elle s'efforce de collecter les dernières données économiques en date pour la filière considérée, de manière à s'assurer que les tarifs proposés induisent une rémunération normale.
Ces filières peuvent-elles, à court ou à moyen terme, produire de l'électricité à un coût comparable à celui des énergies fossiles ? Voilà encore une question délicate ! Cela dépendra beaucoup de l'évolution du coût des énergies fossiles et de celui du CO 2 , que nous avons évoqué tout à l'heure.
Prenons simplement les dernières données dont dispose la CRE, celles de l'année 2010.
Il faut bien le dire, le prix de marché moyen est alors particulièrement bas et ne reflète pas la situation constatée sur plusieurs années : à 47,5 euros le mégawattheure, il est inférieur, voire très inférieur au coût d'achat des énergies renouvelables, qui s'établit, en moyenne, cette même année, à 82 euros le mégawattheure, avec des variations assez considérables puisqu'il représente, par mégawattheure, 60 euros pour l'hydraulique, plus de 500 euros pour le photovoltaïque, 84 euros pour l'éolien et 98 euros pour la biomasse.
Il est donc difficile, hormis pour l'hydraulique, qui est déjà compétitif, de se prononcer, en tout cas à court ou à moyen terme, sur la compétitivité future des filières d'énergies renouvelables, notamment sur celle du photovoltaïque, sauf rupture technologique majeure.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter. Je crois avoir couvert l'ensemble de vos questions, mais je suis, bien sûr, à votre disposition pour fournir les compléments nécessaires ou répondre à de nouvelles questions.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur de Ladoucette, vous n'avez certes pas répondu aux questions selon l'ordre dans lesquelles elles ont été posées, mais votre exposé était très complet.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur de Ladoucette, vous avez en effet répondu à toutes mes questions, avec la prudence nécessaire puisqu'il reste, comme vous l'avez signalé vous-même, quelques zones d'incertitudes, dues à la conjoncture.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, je vais abuser de ma fonction de président de la commission d'enquête pour me donner la parole en premier ! ( Sourires .) Je souhaite, monsieur de Ladoucette, obtenir deux précisions.
Premièrement, vous avez évoqué les interconnexions de réseaux électriques et souligné leur importance. Comment travaillez-vous sur ce sujet ? Les chiffres que vous nous avez donnés, notamment sur les pics de consommation, sont intéressants et permettent de connaître les différents pays qui nous fournissent de l'énergie.
Les investissements au titre des interconnexions sont-ils prévus dans le TURPE ? A priori , oui, car il s'agit d'opérations que doit mener RTE, et parfois même ERDF. J'aimerais avoir plus de précisions sur la part de ces investissements et sur l'évolution des besoins.
Deuxièmement, vous nous avez communiqué le montant des charges prévisionnelles de service public pour 2012 : la CSPE représenterait 4,3 milliards d'euros, dont 2,2 milliards d'euros pour les énergies renouvelables. Mais ce montant ne couvre pas, semble-t-il, l'ensemble des dépenses, puisque, à vous entendre, EDF paiera aussi un supplément au titre des dépenses nécessaires en vue de financer les énergies renouvelables, lesquelles seront amorties dans les années à venir. L'ordre de grandeur est-il réellement de plus de 1 milliard d'euros ?
D'après ce que j'ai cru comprendre, le soutien aux énergies renouvelables, notamment via le prix de rachat, ne coûterait pas loin de 3,5 milliards d'euros : 2,2 milliards d'euros payés par le consommateur au travers de la CSPE, et 1,3 milliard d'euros avancés par EDF, qui récupérera cette somme sur la CSPE des années à venir ; mais comment, à quel rythme, selon quel échéancier ?
Vous avez la parole, monsieur de Ladoucette.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Monsieur le président, je répondrai d'abord à la seconde partie de votre intervention.
Il y a effectivement un retard constaté : on doit de l'argent à EDF. Pourquoi ? Parce que le Gouvernement, pour des raisons qui lui sont propres - cela a des conséquences sur le consommateur -, a choisi de ne pas augmenter la CSPE au moment où il fallait le faire, estimant qu'une telle augmentation n'était pas utile ou pertinente.
De ce fait, la somme à verser à EDF est de l'ordre de 1 milliard d'euros. Le retard accumulé devrait être rattrapé en 2015, compte tenu des évolutions prévues, avec le plafond fixé à 3 euros le mégawattheure.
Même si ce n'est pas mon rôle de le dire, je sais qu'EDF souhaiterait obtenir des intérêts intercalaires de retard pour avoir avancé cet argent.
La CRE a la responsabilité de déterminer, chaque année, le montant de la CSPE. Pour 2012, elle avait préconisé 13 euros le mégawattheure, mais elle est, en fait, de 9 euros, d'où un décalage. Si vous le comblez, c'est le consommateur qui paie, et ce dans des proportions de plus en plus importantes : regardez votre facture d'électricité !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce sera le consommateur qui paiera à terme, de toute façon !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - C'est toujours le consommateur ou le contribuable qui paie, d'une manière ou d'une autre, ou peut-être éventuellement l'entreprise, mais dans le cadre d'une autre approche de la question. Voilà l'explication pour le milliard d'euros avancé par EDF et qui ne lui a pas été, jusqu'à présent, restitué.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Est-ce 1 milliard d'euros ou 1,3 milliard d'euros ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je crois que c'est 1,3 milliard d'euros.
M. Jean-Pierre Vial. Le retard va s'accumuler !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Absolument ! Puisque vous nous annoncez un rattrapage en 2015, vous prévoyez donc un lissage sur trois exercices budgétaires.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Sur 2012, 2013, 2014 et 2015.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - Je précise, monsieur le président, que l'écart entre les charges et ce qui avait été couvert par EDF représentait, à la fin de 2011, 2,6 milliards d'euros.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Monsieur de Ladoucette, vous dites que la CSPE devrait augmenter d'environ 10 %.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Entre aujourd'hui et 2016.
M. Ronan Dantec . - Cette CSPE réévaluée de 10 % couvrira-t-elle le coût, y compris le rattrapage ? Arriverons-nous ainsi à l'équilibre par rapport aux 7,5 milliards d'euros qui seraient affectés aux énergies renouvelables à l'horizon 2020 ? Ou y aura-t-il un gap très important à combler entre 2016 et 2020 pour être à l'équilibre ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je reprends ce que j'ai dit : tout dépend si la PPI et les engagements du Grenelle sont intégralement respectés.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Autrement dit, le offshore est intégré.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Oui, avec une prévision fixée à 6 000 mégawatts pour 2020.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cela concerne les cinq premiers sites.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Non, les dix sites sont compris. Nous avons intégré le premier appel d'offres, ainsi que le second, qui reste encore une éventualité.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En 2020, les cinq autres sites ne seront pas encore en fonctionnement. Pourtant, vous les avez comptabilisés.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Il avait été à un moment question que le second appel d'offres soit lancé tout de suite. Si tel n'était pas le cas, il y aurait effectivement un décalage.
Le tout, c'est de savoir de quoi nous parlons.
Nous avons pris comme hypothèses que la PPI et les engagements du Grenelle étaient respectés, avec un dépassement pour ce qui concerne le photovoltaïque.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez été très clair.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - M. le ministre chargé de l'énergie, que vous auditionnez cet après-midi, aura peut-être d'autres hypothèses à vous communiquer. Nous pouvons toujours discuter, à condition de connaître les hypothèses retenues.
M. Ronan Dantec . - Compte tenu de l'augmentation de 10 % d'ici à 2016 et des 7,5 milliards d'euros annoncés pour 2020, de combien faudrait-il augmenter la CSPE entre 2016 et 2020 ? L'ordre de grandeur serait-il le même ?
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - L'augmentation de 10 % correspond à un impact global sur le prix de l'électricité. Elle équivaut à peu près à un doublement de la CSPE d'ici à 2016.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Aujourd'hui, exprimée en euros par mégawattheure, la CSPE est à 9 ; en 2016, il faudrait qu'elle soit à 19,50.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il s'agit d'une augmentation de 10 % par an, nous sommes bien d'accord, nous vous avons bien compris.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - En 2020, la CSPE passerait à 26 euros le mégawattheure : 9 euros aujourd'hui, 19,50 euros en 2016, 26 euros en 2020.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En arrondissant, la part de la CSPE consacrée aux énergies renouvelables atteindrait plus de 6 milliards d'euros en 2020.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - Nous parlons du montant total.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Outre les énergies renouvelables, les autres éléments de dépenses composant la CSPE ont-ils été intégrés ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Oui, monsieur le président, il s'agit d'un montant global.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Y compris les dépenses afférentes à la Corse et aux départements d'outre-mer ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Absolument ! Tout a été pris en compte.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Comment avez-vous estimé la part sociale ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Au niveau où elle est aujourd'hui, qui est assez ridicule.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Par rapport au total, c'est peanuts !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - C'est en effet un niveau très bas, puisque la part sociale représente environ 2 % de la CSPE totale.
M. Ronan Dantec . - En 2020, le pic atteint par la part des énergies renouvelables dans la CSPE est globalement connu. Si l'on prolonge la courbe vers 2030, potentiellement, cette même part baisse. Quelles sont vos modélisations pour la période 2020-2030 ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Nous ne les avons pas faites. Je ne peux pas vous répondre.
M. Ronan Dantec . - Puisque les installations en cours seront progressivement amorties, la part des énergies renouvelables dans la CSPE pourrait baisser après 2020.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je ne suis pas en mesure de le contester, puisque, de toute façon, nous n'avons pas fait les modélisations.
Les prévisions que nous avons élaborées vont jusqu'en 2020, soit un terme déjà assez lointain ; les estimations peuvent considérablement évoluer. L'élément de variabilité très important, c'est le montant du prix de gros sur le marché de l'électricité.
M. Ladislas Poniatowski, président . - À combien avez-vous évalué le prix du offshore ? À 150 euros le mégawattheure ? Il dépendra, en fait, des résultats de l'appel d'offres. Mais quel prix de base avez-vous retenu pour 2012, 2015 et 2020 ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je laisse Jean-Yves Ollier vous répondre, monsieur le président, car il est beaucoup plus au fait que moi de ce sujet extrêmement sensible.
M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie . - Nous avons fait une hypothèse générique fondée sur le prix plafond de l'appel d'offres, qui est de 200 euros le mégawattheure.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je pense que ce sera moins. En tout cas, je l'espère pour la France !
Monsieur de Ladoucette, j'en reviens à ma question sur les interconnexions.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Certains des projets d'investissement annoncés sur les interconnexions ont déjà démarré.
Je commencerai par l'interconnexion France-Espagne : on en a parlé pendant vingt ans avant de commencer les travaux, mais elle est en cours de réalisation. L'investissement s'élève à 750 millions d'euros, partagés entre le gestionnaire de réseau espagnol et le gestionnaire de réseau français, RTE. C'est un élément non négligeable, qui sera pris en compte dans le TURPE. Nous avons également un projet avec la Suisse.
Pour le reste, le développement de nouvelles interconnexions, nous le savons, est extrêmement compliqué. Ce n'est pas une question de financement dans la mesure où, RTE vous le dira, les choses se règlent en général par le biais du TURPE. La France n'a jamais souffert d'un manque de financement en matière de réalisation d'interconnexions, ce qui n'est pas vrai pour tous les pays.
Si un tel développement est complexe, c'est parce qu'il soulève une question d'acceptabilité de la construction d'infrastructures lourdes. Tel est l'objet du travail des régulateurs européens, et la Commission de régulation de l'énergie est d'ailleurs relativement en pointe en la matière. Il s'agit de permettre d'optimiser les flux avec les infrastructures existantes, notamment par différents mécanismes dont j'ai parlé tout à l'heure, le plus connu, le plus médiatique, étant le couplage de marché, mais il y en a bien d'autres.
Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas d'infrastructures supplémentaires. Celles-ci sont nécessaires, mais ce n'est pas sur leur développement que l'on s'est fondé au départ pour construire l'Europe de l'énergie. De ce point de vue, le commissaire à l'énergie, M. Oettinger, a une vision extrêmement volontariste de l'achèvement de la construction du marché européen de l'énergie, puisqu'il a fixé l'échéance à 2014, ce qui nous paraît très optimiste ; mais admettons !
Cet achèvement passe par la mise en oeuvre, selon des temporalités différentes, d'un certain nombre de mécanismes d'optimisation des échanges entre les différents pays centraux, puisque c'est avec eux que nous essayons de fonctionner le mieux. Nous passons du long terme au très court terme, avec le couplage de marché à mi-chemin, chacune des opérations particulières prévues à un moment donné ayant pour but de parvenir à cette optimisation, dans la perspective de construire l'Europe de l'énergie.
Selon moi, cette Europe de l'énergie, des réseaux, à peu près telle que nous l'avons envisagée, devrait voir le jour, non pas en 2014, mais en 2016.
J'évoquerai également le projet de nouvelle ligne avec l'Italie, qui passera, me semble-t-il, par un tunnel. L'investissement pour RTE est de 500 millions d'euros.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol . - Monsieur de Ladoucette, disposez-vous également de prévisions sur les volumes de consommation ? Si oui, celles-ci, qu'elles traduisent un accroissement, une maîtrise ou une réduction, impactent-elles les autres prévisions sur les prix ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Il y a deux aspects dans votre question, madame la sénatrice. Les volumes de consommation constatés sur les réseaux ont un impact direct sur le TURPE. En ont-ils sur la production ? Oui et non, en vérité : les évolutions de la consommation sont prédéterminées aujourd'hui en fonction des éléments d'information à notre disposition.
Il y a clairement aujourd'hui une baisse de la consommation industrielle et une augmentation de la consommation tertiaire et résidentielle.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le chauffage !
M. Jean-Pierre Vial . - La climatisation !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - J'attendais une remarque sur le chauffage électrique ! ( Sourires .)
Nous n'avons pas fait d'estimations à moyen ou à long terme. Ce n'est pas notre coeur de métier, si je puis dire. Pour évaluer un tarif d'utilisation des réseaux, nous partons de ce que peut nous dire ERDF sur la consommation électrique. Grosso modo , nous connaissons les évolutions tendancielles. Je les ai indiquées : une baisse dans l'industrie, en raison de la désindustrialisation, une augmentation dans le résidentiel et le tertiaire.
Le chauffage électrique n'est pas un problème nouveau. Il est récurrent depuis plusieurs années et constitue une spécificité française qui soulève bien des débats. Les chiffres le montrent, la thermosensibilité en France constitue un record en Europe. En hiver, une variation de un degré à la baisse de la température nécessite 2 300 mégawatts supplémentaires,...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Une centrale nucléaire !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - ... soit la moitié de la totalité des besoins européens. La situation est due en grande partie au chauffage électrique. Il n'est pas nécessairement critiquable en lui-même, mais force est de constater qu'il a été implanté dans des habitations non adaptées, car mal isolées.
Installer un chauffage électrique dans une passoire énergétique n'est pas extrêmement efficace. C'est malheureusement souvent le cas. Se pose alors la question de la précarité énergétique, sujet de plus en plus sensible, puisque, comme vous le savez, elle touche entre 3,5 millions et 4 millions de foyers en France, qui consacrent plus de 10 % de leur budget pour se chauffer et s'éclairer.
Ce n'est certes pas le sujet d'aujourd'hui, mais c'est un vrai problème, parce que toute augmentation de la facture d'électricité, pour en revenir à notre débat, a des conséquences sur les personnes très fragiles. Il faut, d'une manière ou d'une autre, traiter le problème. La CRE n'a pas les réponses à cette question, mais elle se la pose.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je poserai deux questions.
Monsieur de Ladoucette, les chiffres que vous nous avez donnés sur le pic de consommation atteint en ce début d'année 2012 montrent bien cette thermosensibilité extrême de la France.
Essayons de raisonner à trois ou quatre ans : ce ne devrait pas être un exercice de prospective très compliqué pour une commission de régulation comme la vôtre ! Au milieu de la décennie, la production européenne d'énergies renouvelables aura encore significativement augmenté, notamment en ce qui concerne l'éolien et le photovoltaïque.
Actuellement, le photovoltaïque allemand, en termes de puissance crête, représente 25 000 mégawatts, l'équivalent de vingt-cinq tranches nucléaires. C'est absolument considérable. Le coût financier de l'investissement est déjà pris en compte puisque celui-ci est réalisé. Voilà la réalité énergétique en Europe aujourd'hui.
Le développement des énergies renouvelables continue. Partons du principe que l'on n'ouvre plus de tranches nucléaires, que l'on aille piano sur le renouvelable, mais que le niveau de production électrique en France reste inchangé : dans trois ou quatre ans, le marché européen aura plus de facilités qu'aujourd'hui à répondre à notre pic en cas de thermosensibilité. Voilà pour l'hiver. Mais qu'en sera-t-il en été ? La puissance disponible en Europe à cette période de l'année, avec le photovoltaïque qui « crache » au maximum, notamment en Allemagne, va, elle aussi, continuer d'augmenter.
Autrement dit, à court terme, à l'horizon 2015 ou 2020, la production électrique française, extrêmement importante par rapport à notre consommation, ne trouvera strictement plus preneur en Europe l'été, en raison du poids croissant des énergies renouvelables. Nous n'exporterons quasiment plus. En revanche, l'hiver, nous serons toujours acheteurs, évidemment, puisque, en parallèle, le chauffage électrique continue d'équiper assez massivement le logement neuf en France. Les Européens auront de moins en moins de difficultés à nous fournir, notamment en énergies renouvelables.
N'est-ce pas ce scénario qui est aujourd'hui sur la table pour la deuxième partie de la décennie ? Voilà une question qui mérite d'être posée dans le cadre d'une commission d'enquête sur le coût de l'électricité. Elle soulève énormément de problèmes en termes d'équilibre économique, dans la mesure où notre pays enregistrera un surplus d'électricité nucléaire invendable l'été et achètera de plus en plus d'électricité l'hiver, notamment d'électricité renouvelable.
Ma seconde question découle de la première. Dans le cadre d'une approche rationnelle, la priorité aujourd'hui pour la CRE n'est-elle pas, du coup, l'efficacité énergétique et, partant, la sortie du modèle fondé sur le chauffage électrique, et ce le plus vite possible puisque l'effet ciseau constaté est économiquement aberrant ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - À mon avis, ce n'est pas à la CRE de répondre à la seconde question ! ( Sourires .)
M. Ronan Dantec . - Elle doit tout de même avoir un avis ! ( Nouveaux sourires .)
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Monsieur Dantec, l'Europe fonctionne en permanence avec des échanges « à la minute » entre les différents pays. C'est ainsi que le système s'est construit. C'est sur ce modèle que nous essayons de mettre en place l'Europe de l'énergie.
La France est dans une situation un peu particulière, car les réacteurs nucléaires fournissent la production de base ainsi que la production de semi-base. Elle peut connaître, c'est vrai, quelques déficits à des moments de pointe, faute d'avoir la flexibilité nécessaire, le nucléaire n'étant pas fait pour cela. Cela dit, elle est en train de réaliser de ce point de vue certains investissements, concernant notamment des centrales à gaz ; elle développe également les énergies renouvelables, comme toute l'Europe.
C'est la nécessité d'être en permanence capable d'aller chercher la production électrique la moins chère là où elle se trouve qui justifie, en vérité, l'obligation absolue de construire l'Europe de l'énergie au travers des réseaux. Il n'est pas prévu que le niveau d'électricité produite excède les besoins recensés. Cela peut tout de même arriver : très récemment, l'Allemagne, en raison de la production simultanée d'éolien et de nucléaire, s'est retrouvée avec des prix négatifs, et extrêmement élevés !
Si l'ensemble du système permet d'avoir des prix moins hauts dans dix ou quinze ans, nous ne pourrons que nous en féliciter. Le problème, c'est que les énergies renouvelables sont, par définition, pour l'essentiel d'entre elles, des énergies intermittentes : il faut qu'il y ait du vent, du soleil.
On peut, certes, penser qu'il y aura toujours un endroit en Europe, si tout est interconnecté et fonctionne bien, où l'on trouvera du vent et du soleil à un moment donné !
M. Ronan Dantec . - Oui !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Cela relève toutefois encore de l'ordre du pari aujourd'hui, parce qu'il reste des congestions aux interconnexions. Il faudrait toutes les éliminer pour que le système fonctionne complètement et permette d'aller chercher la production électrique là où elle est la plus intéressante.
Monsieur le sénateur, il ressort de votre question la nécessité absolue de construire l'Europe de l'énergie et des réseaux. C'est le moyen de pallier les différences de mix énergétique entre les pays.
À vous entendre, la France risquerait de se retrouver avec un surplus de production nucléaire, ne sachant pas vers qui l'exporter. N'oublions pas, non plus, que nous allons assister au développement d'un certain nombre de produits pouvant nécessiter, à l'instar des véhicules électriques, d'être rechargés, si possible la nuit. De ce point de vue, le nucléaire convient assez bien, puisque c'est de la production de base. Il faudra trouver un équilibre entre l'efficacité énergétique et les nouveaux modes de vie.
Nous pouvons tout imaginer et il n'est pas de mon ressort de savoir quel est le bon mix énergétique. Je ne peux que rappeler des faits avérés.
C'est après le premier choc pétrolier, en 1973, que la France a lancé un programme nucléaire important. À la suite du deuxième choc pétrolier, en 1979, quelques mois après le black-out , le plus gros, le seul vraiment que nous ayons connu, elle lançait le deuxième programme nucléaire. Celui-ci était-il bien dimensionné au regard des prévisions de consommation pour les années à venir ? Certains pointent une erreur d'estimation. Ne refaisons pas l'histoire : en 1984, la France dépassait ses besoins de consommation et a pu exporter ; elle a aussi développé le chauffage électrique. Voilà pour les faits.
La suite ? Je ne suis pas devin, mais ce que vous dites est parfaitement plausible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Même s'il n'appartient pas à la CRE de se prononcer sur le mix énergétique, je vous remercie, monsieur de Ladoucette, du fait de votre connaissance du problème énergétique, de donner votre avis en la matière.
Je vous redonne la parole, monsieur Dantec.
M. Ronan Dantec . - Puisque nous sommes sur la question du coût, soyons précis : dans quelle mesure prenez-vous en compte la part d'exportation de l'électricité française dans les tarifs que vous calculez de manière prospective ? Aujourd'hui, dès lors que nous vendons de l'électricité, il n'y a aucun coût à supporter pour le contribuable français. Mais si l'hypothèse que j'ai évoquée tout à l'heure se vérifie demain et qu'il nous reste de l'électricité sur les bras, c'est le consommateur ou le contribuable français qui paiera ! Vous livrez-vous à un tel exercice prospectif ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mon cher collègue, nous allons entendre la réponse de M. de Ladoucette, mais je vous demande de reposer cette question, de manière peut-être encore plus pointue, au moment où nous auditionnerons EDF. Le sujet est d'importance. Je pense notamment aux pics de consommation, qui ont des conséquences catastrophiques pour les finances de la France.
M. Ronan Dantec . - Nous sommes bien d'accord, mais la CRE, dans le cadre de l'ARENH, a, me semble-t-il, son mot à dire sur la question.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez la parole, monsieur de Ladoucette.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - La CRE ne fait pas trop de prospective de ce point de vue.
Il est clair que l'exportation d'électricité est bénéfique à la balance des paiements française. Mais nous nous inscrivons là dans une vision macroéconomique qui ne relève pas réellement de notre responsabilité.
Par ailleurs, il ne peut pas y avoir de production qui nous reste sur les bras, pour reprendre vos propos, puisqu'il y a un équilibre permanent : aujourd'hui, l'électricité ne se stocke pas.
M. Ronan Dantec . - Et celle que l'on ne vend pas ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Elle n'est pas produite !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Eh oui !
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Il n'y a pas, à un moment donné, de surplus d'électricité. Les échanges commerciaux sont incessants : tout ce qui passe dans le réseau trouve preneur. En l'absence de besoin, rien n'y est injecté.
M. Ronan Dantec . - Cela change la rentabilité du parc nucléaire.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Il peut se faire que l'on ait trop de centrales nucléaires à un moment donné, mais ce n'est pas à moi de le dire. Je laisse cela aux décideurs, aux producteurs, au Gouvernement. Il n'en demeure pas moins que nous n'avons pas, à un moment donné, de production qui se retrouve, comme cela, « en l'air », puisque l'équilibre est permanent.
M. Ronan Dantec . - Vous n'intégrez pas du tout cet élément dans l'ARENH ?
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Nous avons eu un débat théorique avec le Gouvernement sur le prix de l'ARENH. Par mégawattheure, nous proposions 39 euros, le Gouvernement proposait, lui, 42 euros, arguant des conséquences à tirer de ce qui s'était passé à Fukushima et des tests à réaliser. Ne voulant pas entrer dans une discussion sur la sécurité nucléaire, nous n'avons pas donné d'avis négatif, ni d'avis positif. Nous avons accepté de prendre comme hypothèse que les besoins d'investissement après les expertises réalisées par l'Autorité de sûreté nucléaire représenteraient un surcoût de 3 euros le mégawattheure.
Si c'est moins, le prix n'atteindra pas 42 euros. Si c'est plus - 4, 5 ou 6 euros le mégawattheure -, il faudra l'intégrer. Pour le calcul de l'ARENH, la CRE part d'un principe logique : constater, ex post , le coût des investissements ; sinon, le débat est sans fin, car même l'ASN ne donne pas de montants.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, nous ne faisons aujourd'hui qu'entamer une longue série d'auditions et nos travaux s'étaleront sur trois mois. Il nous faut apprendre à travailler en fonction des personnes que nous auditionnons. Cela étant, je pensais bien qu'un certain nombre de questions déborderaient la compétence du régulateur !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Autrement dit, monsieur le président, pour les questions, nous sommes en période de pointe ! ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous apprenons le métier, si je puis dire !
Cela étant, il n'est pas impossible, monsieur de Ladoucette, que notre rapporteur, à la suite de certaines auditions, ait besoin de compléments d'information. Il s'adressera alors à vous par écrit ou souhaitera peut-être vous auditionner de nouveau, dans le cadre d'une réunion de commission de nature moins généraliste et plus technique. N'en soyez pas surpris !
En tous les cas, je vous remercie d'avoir répondu à toutes ces questions, y compris à celles qui « débordaient ». Mais nous sommes toujours restés dans notre rôle de commission d'enquête, et je vous félicite, monsieur le rapporteur, car les questions que vous avez posées au début de cette audition étaient très complètes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur de Ladoucette, je vous remercie à mon tour de la précision de vos réponses. Comme vous le disiez, monsieur le président, nous aurons probablement besoin d'informations complémentaires, pour bien cerner tous les domaines.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je vous les fournirai très volontiers.
Audition de M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique
(7 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames et messieurs, notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait application de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, la commission a souhaité entendre M. le ministre, pour connaître la position du Gouvernement sur l'appréciation du coût réel de l'électricité et sur les facteurs d'évolution de ce coût dans les années à venir.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à M. le ministre, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur le ministre, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
( M. le ministre prête serment. )
M. Ladislas Poniatowski, président. - Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. le ministre aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur le ministre, nous avons six questions à vous poser, qui vous ont été transmises.
Première question, nous aimerions savoir si, selon le Gouvernement, le prix de l'électricité payé actuellement par les différentes catégories de consommateurs en reflète bien le « coût complet » réel.
Deuxième question, que pensez-vous de l'évolution des prix de l'électricité sur le marché français hors tarifs régulés depuis l'entrée en vigueur de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », en distinguant les industriels des consommateurs particuliers ? Avez-vous des éléments de comparaison internationale, monsieur le ministre ?
Troisième question, quels sont, selon le Gouvernement, les principaux facteurs d'évolution du coût de l'électricité dans les années à venir en distinguant ce qui concerne la production - pouvez-vous, en particulier, faire le point sur le coût réel actuel du mégawattheure de chaque filière, les réseaux et la contribution au service public de l'électricité, la CSPE ?
S'agissant des tarifs régulés, que pensez-vous de la communication par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, d'une perspective d'augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'énergie d'ici à 2016 ?
Quatrième question, avez-vous des commentaires sur le récent rapport de la Cour des comptes relatif aux coûts de la filière électronucléaire et les nombreuses incertitudes qu'il soulève ? Quels enseignements le Gouvernement compte-t-il en tirer en matière de coût du mégawattheure nucléaire et de durée de vie des centrales ?
Cinquième question, après la mise en place de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, peut-on considérer qu'il existe une « rente nucléaire » liée à la différence entre le coût de production - y compris les coûts fixes - et le prix de vente ? Si oui, qui bénéficierait de cette rente ?
Sixième question, peut-on chiffrer le niveau nécessaire, dans les années à venir, du soutien - via les dispositifs fiscaux, la CSPE... - au développement des énergies renouvelables et de la cogénération ?
Plus précisément, peut-on prévoir l'évolution de la CSPE dans les dix ou vingt ans à venir et comment sera pris en compte le « stock » de dépenses déjà faites par EDF et non compensées jusqu'à présent par le niveau effectif de la CSPE ? Peut-on évaluer un coût fiscal pour l'État du soutien à ces énergies sous forme, par exemple, de crédits d'impôt ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'auditionner sur ce sujet crucial tant pour nos concitoyens que pour l'avenir de notre industrie.
Vous savez combien le Gouvernement s'est attaché sans relâche à assurer la transparence dans le domaine de l'énergie, et pas uniquement dans le domaine du nucléaire.
Après l'accident de Fukushima, le Premier ministre a demandé, en mars dernier, à l'Autorité de sûreté nucléaire de conduire des évaluations complémentaires de sûreté de nos installations. Le cahier des charges de ces audits a été soumis à l'examen du Haut Comité à la transparence avant sa validation et a, d'ailleurs, pu être complété après cet examen. L'ensemble des rapports, installation par installation, a été rendu public - ce qui est assez inédit -, comme le rapport de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et celui de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN.
Nous avons rendu public, l'été dernier, le rapport qui a été remis au Gouvernement par la commission Champsaur pour fixer le prix de l'ARENH.
Le Premier ministre a chargé la Cour des comptes d'évaluer les coûts de la filière électronucléaire française. Le rapport a été rendu public le 31 janvier et il est à la disposition de tous les Français. Je voudrais insister sur ce point, car il ne ressort pas toujours des commentaires : c'est le Premier ministre qui a demandé ce rapport à la Cour des comptes.
J'ai confié à une commission, la commission Énergie 2050, un rapport sur l'évaluation des conséquences des différents scénarios énergétiques pour notre pays. Ce rapport a été rendu public le 13 février dernier.
Le Gouvernement a donc mené une politique de transparence sans précédent en matière énergétique, tant il est crucial que l'ensemble des données chiffrées soit à la disposition de nos concitoyens à l'heure où le débat énergétique est sur la place publique. Votre commission d'enquête va permettre d'aller plus loin, en se concentrant sur la question de l'évolution des coûts de l'électricité sur l'ensemble de la chaîne.
Dans la suite de mon exposé, je donnerai beaucoup de chiffres économiques ou financiers puisque c'est le coeur de votre mission, mais nous devons nous garder de résumer notre politique énergétique aux seuls aspects économiques. Nous devons en effet concilier quatre objectifs prioritaires : la sécurité d'approvisionnement énergétique, la compétitivité de notre énergie, la protection de notre environnement, dont la lutte contre le réchauffement climatique, et l'accès de tous à l'énergie.
Comparativement au reste de l'Europe, les consommateurs français paient leur électricité à des prix remarquablement bas.
Dans les autres pays d'Europe, les ménages paient leur électricité en moyenne près de 40 % plus cher que dans notre pays. Les ménages allemands la paient près de 85 % plus cher. Ainsi, en France, la facture moyenne annuelle d'un ménage est de 700 euros environ, toutes taxes comprises. En Allemagne, elle est de 1 250 euros ; elle n'est donc pas loin de deux fois plus élevée. Une famille avec deux enfants chauffée à l'électricité paie son électricité en moyenne 1 000 euros en France, contre 1 850 euros en Allemagne.
Cet avantage pour le pouvoir d'achat des Français se traduit également en avantage compétitif pour les entreprises. Hors les entreprises fortement consommatrices d'électricité, que l'on appelle les « électro-intensifs », qui ont des contrats très spécifiques, la facture moyenne pour une entreprise ayant une consommation annuelle de 500 mégawattheures est de 42 500 euros hors TVA en France. En Allemagne, la même facture est de 62 500 euros environ, c'est-à-dire 50 % plus chère.
Quant aux électro-intensifs, nous leur avons permis de signer des contrats de long terme leur garantissant l'accès à une électricité compétitive sur plus de vingt ans. Cela a été rendu possible grâce à notre parc nucléaire, dont la prévisibilité des coûts est grande.
Or, non seulement notre électricité est compétitive, mais ce n'est pas au détriment des autres objectifs de notre politique énergétique.
Nous n'importons du combustible que pour 10 % de notre production électrique. Et notre solde d'échange d'électricité est exportateur de 55,7 térawattheures en 2011. En termes d'émission de CO 2 par unité de PIB, la France affiche la deuxième performance de l'Union européenne à vingt-sept pour les émissions de CO 2 dues à l'énergie, derrière la Suède, où nucléaire et hydraulique sont très développés.
Si les consommateurs français paient moins cher leur électricité, c'est non seulement parce que nos coûts sont plus faibles, mais aussi parce que nous garantissons, grâce aux tarifs et à la loi NOME, que cet avantage est répercuté au consommateur.
Nous avons la chance de disposer de coûts bas, car nous avons développé les deux sources d'électricité qui se révèlent les plus compétitives : tout d'abord, l'hydroélectricité - la moins chère - ; ensuite, le nucléaire.
Pour ceux qui doutaient de la compétitivité du nucléaire, les conclusions du rapport de janvier de la Cour des comptes me paraissent sans appel. Sa première conclusion, c'est que le mythe du « coût caché » du nucléaire s'effondre. La deuxième conclusion, c'est qu'il subsiste un certain nombre d'incertitudes réelles. Mais la Cour des comptes le dit très clairement, ces incertitudes ne feraient évoluer que marginalement le coût du nucléaire. J'y reviendrai.
En termes de chiffres, la Cour évalue le coût de l'électricité nucléaire - selon les options que l'on prend, notamment selon l'hypothèse de rémunération du capital qui est retenue - entre 32,3 et 49,5 euros par mégawattheure. Les comparaisons sont éclairantes. Dans ce contexte et même en prenant toute l'amplitude de la fourchette, seule l'hydroélectricité peut être moins chère que le nucléaire. Le mégawattheure produit à partir de gaz, de charbon ou d'éolien terrestre coûte, lui, entre 88 et 92 euros par mégawattheure, selon l'Union française de l'électricité. C'est donc deux à trois fois plus cher. Les autres sources de production d'électricité sont encore plus chères.
À ces coûts de production très compétitifs, nous avons adjoint un développement efficace de notre réseau électrique. Ainsi, les tarifs de réseaux en France sont inférieurs d'environ 30 % aux tarifs de réseaux en Allemagne : en 2010, 43 euros le mégawattheure contre 60 euros le mégawattheure.
Les ménages français bénéficient ainsi d'une électricité compétitive, via des tarifs réglementés fondés sur la réalité des coûts et qui répercutent tout l'avantage compétitif du nucléaire au consommateur, et ce grâce à la loi NOME. Nous avons maintenu les tarifs réglementés pour les particuliers et nous avons donné accès aux fournisseurs alternatifs à de l'électricité nucléaire au niveau de son coût de production, ce qui nous permet d'ouvrir le marché français tout en maintenant des prix bas pour le consommateur.
Notre système électrique a besoin d'investissements, ce qui conduira nécessairement à des hausses des coûts de l'électricité.
Nous sommes entrés depuis plusieurs années dans une phase de réinvestissement important, qu'il s'agisse de notre réseau électrique, du développement des énergies renouvelables ou des investissements sur les autres moyens de production. Nous sommes ainsi passés d'un monde où les tarifs de l'électricité évoluaient moins vite que l'inflation à un monde où l'évolution est un peu supérieure à l'inflation. S'il faut s'attendre à une poursuite de cette tendance, cette hausse doit néanmoins pouvoir être maîtrisée et rester proche de l'inflation.
Tout d'abord, nous investissons et allons continuer à investir de façon importante dans les réseaux. Ces investissements sont des éléments clés pour notre sécurité électrique. Nous devons, en particulier, faire face à la progression constante des besoins, même atténuée par les efforts d'efficacité énergétique, au développement des énergies renouvelables, qui soumettent le réseau à des défis nouveaux - intermittence de la production, décentralisation de la production -, aux fragilités spécifiques de certains territoires.
Pour cela, nous renforçons le réseau partout en France, à commencer par la Bretagne et la région PACA, qui sont les deux principaux points de fragilité de notre réseau. Les investissements sur le réseau de transport ont presque doublé depuis 2007, pour atteindre 1,5 milliard d'euros en 2012. Sur le réseau de distribution, les investissements, après avoir sensiblement diminué à la fin des années quatre-vingt-dix, ont augmenté depuis 2004. Ils atteindront 3 milliards d'euros en 2012.
Parmi nos investissements emblématiques, je voudrais citer Baixas-Santa Llogaia - 700 millions d'euros dont 350 pour RTE -, la ligne Cotentin-Maine - 343 millions d'euros -, le filet de sécurité PACA - 240 millions d'euros - et la ligne Bretagne - 108 millions d'euros.
La CRE travaille actuellement à l'élaboration du prochain tarif, le TURPE 4, qui entrera en vigueur en août 2013 pour quatre ans. Mais il est bien trop tôt pour donner un chiffre sur le niveau de ce TURPE 4.
Pour élaborer ces tarifs, la CRE doit, en effet, intégrer les orientations du Gouvernement, qui seront fixées d'ici à la fin de l'année. J'écrirai dans quelques jours, quelques semaines au plus tard, au président de la CRE concernant la structure du TURPE 4. Puis, mon successeur ministre de l'énergie devra lui écrire en fin d'année pour fixer les orientations en matière de niveau des tarifs. La CRE élaborera alors une décision qu'elle adressera au Gouvernement. Ce dernier pourra ainsi demander à la CRE une nouvelle délibération si, d'aventure, ses orientations n'étaient pas respectées. Rien n'est donc figé concernant le niveau du TURPE 4.
Nous investissons, par ailleurs, de façon très volontariste dans les énergies renouvelables.
Nous développons massivement l'éolien terrestre, qui constituera l'essentiel du développement des énergies renouvelables électriques d'ici à 2020. C'est certainement l'investissement le plus justifié à ce jour au sein des énergies renouvelables électriques, car c'est de loin la moins chère parmi ces énergies renouvelables. Ainsi, l'éolien terrestre devrait coûter en 2020 environ moitié moins à la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, que le solaire photovoltaïque, tout en produisant cinq fois plus d'énergie. Le coût complet de l'éolien terrestre est de l'ordre de 80 euros par mégawattheure contre environ 400 euros pour le solaire - et là, je conviens que les chiffres varient. Cela revient à dire qu'un euro de soutien par la CSPE pour l'éolien terrestre produit dix fois plus d'énergie renouvelable qu'un euro pour le solaire. Cet écart se réduira, à l'évidence, dans le futur, mais telle est la réalité aujourd'hui. Il est très clair qu'en termes d'éolien terrestre nous sommes arrivés à une baisse du prix de revient. Probablement ne faut-il pas en attendre beaucoup d'améliorations. En revanche, en matière de photovoltaïque, on peut espérer que - et nous agissons en ce sens, comme d'autres pays - le prix de revient va sensiblement diminuer.
De plus, nous investissons fortement dans la biomasse. J'ai annoncé lundi dernier le lancement de quinze projets de production d'énergie à partir de la biomasse. Ces projets, qui seront mis en service au cours des deux ans et demi à venir, représentent un total d'investissement de 1,4 milliard d'euros.
Et nous investissons dans les filières d'avenir que sont l'éolien offshore et le solaire photovoltaïque. J'y reviendrai précisément.
S'il est difficile de donner un chiffre pour l'évolution de la CSPE à l'horizon 2020, notamment parce que ce chiffrage dépend des hypothèses sur les prix de marché de l'électricité, actuellement très volatiles, on peut donner les ordres de grandeur suivants : la part de la CSPE due aux énergies renouvelables pourrait environ quadrupler de 2011 à 2020 - il s'agit de chiffres mouvants dont le président de la CRE a dû vous présenter sa propre vision ce matin. Actuellement, la CSPE est considérée par beaucoup d'experts comme un peu trop basse. Elle aurait dû, selon la CRE, être en 2012 fixée à 13,7 euros le mégawattheure, alors qu'elle ne sera que de 9 euros au premier semestre et 10,5 euros au second. En effet, le législateur a plafonné la hausse de la CSPE à un niveau inférieur à la progression des coûts du renouvelable, tout particulièrement le photovoltaïque, ces dernières années. Il y aura donc inéluctablement un retard, qui devra être rattrapé d'ici à 2015.
Au passage, je tiens à mentionner qu'une partie de cette hausse des coûts de soutien aux énergies renouvelables sera absorbée par la baisse très significative du soutien à la cogénération dans la CSPE. En effet, les contrats des installations supérieures à 12 mégawattheures ne seront pas renouvelés, alors que 85 % d'entre eux sont arrivés ou arriveront à échéance d'ici à 2014. Ainsi, les charges associées à la cogénération, après avoir atteint 1 milliard d'euros en 2009, devraient baisser et se stabiliser d'ici à quatre ans autour de 350 millions d'euros, estimation faite par les services de Bercy.
Ces éléments sur la cogénération, combinés à un quadruplement de la part de CSPE finançant le soutien aux énergies renouvelables, devraient, en ordre de grandeur, conduire à plus d'un doublement de la CSPE d'ici à 2020.
Enfin, nous investissons dans les autres moyens de production, qui constituent l'essentiel de notre parc actuel.
Nous devons, tout d'abord, investir dans notre parc nucléaire. Avant l'accident de Fukushima, le programme d'investissements de maintenance d'EDF pour les années 2011-2025 s'élevait à 50 milliards d'euros. Cela conduit à une moyenne annuelle de 3,3 milliards d'euros, ce qui constitue un quasi-doublement par rapport aux investissements réalisés en 2010. Les investissements à réaliser pour satisfaire aux demandes de l'ASN dites « post-Fukushima » sont aujourd'hui estimés par EDF à une dizaine de milliards d'euros, dont la moitié serait déjà prévue dans le programme initial de 50 milliards d'euros.
Sur cette base, il est donc inéluctable que le coût du nucléaire augmente. Le rapport Champsaur a détaillé les évolutions du coût du nucléaire en intégrant les investissements d'ici à 2025. Il a évalué que le niveau auquel devait être fixé le prix de l'ARENH était d'environ 39 euros par mégawattheure en moyenne, sur la période de régulation 2011-2025. Nous l'avons fixé à 42 euros à compter de janvier 2012 en anticipant l'accélération des investissements dits « post-Fukushima », que ne prenait évidemment pas en compte la commission Champsaur.
Ces chiffrages sont d'ailleurs cohérents avec ceux qui ont été réalisés par la Cour des comptes. Ils sont également cohérents avec les tarifs réglementés actuels, ce qui est logique puisqu'ils sont basés sur le principe de couverture des coûts, à cela près que le prix de l'ARENH intègre d'ores et déjà les investissements de maintenance à réaliser dans les prochaines années comme charges, ce qui n'est pas le cas des tarifs réglementés. Une hausse des tarifs réglementés de l'ordre de 6 % à 7 % - toutes choses égales par ailleurs - serait donc nécessaire d'ici au 1 er janvier 2016 pour refléter ces coûts.
J'ajoute que nous n'avons pas à craindre de hausse significative de ces coûts du nucléaire puisque la Cour de comptes a conclu que le coût complet du nucléaire n'évoluerait - en prenant les hypothèses les plus hautes - que de 5 % environ, si les charges futures de démantèlement ou de gestion des déchets venaient à doubler.
Les investissements dans la production ne se limitent évidemment pas au nucléaire et aux énergies renouvelables. Il nous faut aussi investir dans les moyens de production « conventionnels ». Plusieurs centrales à cycle combiné gaz ont été construites ces dernières années et j'ai annoncé, mercredi dernier, le résultat de l'appel d'offres que nous avons lancé pour une centrale à gaz à l'ouest de la Bretagne. Ces investissements sont nécessaires, non seulement pour renouveler un certain nombre de centrales qui vont s'arrêter d'ici à 2015 compte tenu de l'évolution des normes d'émission au niveau européen, mais aussi pour faire face à l'augmentation de la pointe électrique, et accompagner le développement du renouvelable.
Les incertitudes sont telles qu'il ne me paraît pas possible de donner un chiffre précis sur l'évolution des tarifs de l'électricité dans les années à venir.
J'ai naturellement pris connaissance du chiffrage évoqué par le président de la CRE de 30 % d'ici à 2016, qu'il a eu l'occasion de vous présenter ce matin. Dès que j'ai eu connaissance de ce chiffre, il y a quelques semaines, j'ai dit clairement que telle n'était pas l'analyse du Gouvernement. Je le redis, je ne partage pas ce chiffre, je ne partage pas ces analyses. Je le répète, le Gouvernement souhaite, en toute hypothèse, que les augmentations se situent dans une fourchette proche du taux d'inflation.
Pour ce qui est des coûts d'acheminement, je rappelle notamment que le Gouvernement devra donner ses orientations pour la fixation du TURPE 4. Cela signifie donc que des marges de manoeuvre existent.
S'agissant du prix de l'ARENH et des coûts du nucléaire, nous constaterons, dans les mois et années à venir, le coût exact des investissements. Je rappelle que le rapport Champsaur fixait le prix de l'ARENH à une fourchette haute à 39 euros et que nous l'avons fixé à 42 euros, ce que la Commission européenne trouve trop élevé. Si tel était le cas, les hausses à venir seraient, de ce fait, moindres.
Concernant le coût du soutien au renouvelable, tout dépendra de la proportion des projets qui se réaliseront vraiment, ce qui est très difficile à prévoir.
Face à cette nécessaire hausse des coûts de l'électricité, la première exigence, c'est de faire les bons choix pour limiter au strict nécessaire la hausse des coûts et pour ne faire que les investissements appropriés, au juste prix.
Cela ne veut pas dire avoir une logique strictement financière ou budgétaire. J'ai rappelé en introduction quels étaient les quatre objectifs que nous devions nous assigner.
Cela veut dire faire les bons choix au niveau de notre mix énergétique. C'est à cette fin que j'avais chargé MM. Percebois et Mandil de présider une commission pluraliste et ouverte associant des experts indépendants et plus de 80 associations et organismes du secteur de l'énergie pour mener une analyse des différents scénarios de politique énergétique pour la France à l'horizon 2050.
Si cela n'est pas déjà prévu, je me permets de vous suggérer d'auditionner MM. Percebois et Mandil.
M. Ladislas Poniatowski, président. - C'est prévu !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - La commission Énergies 2050 a étudié différents scénarios en comparant leur impact sur le prix de l'électricité, sur les émissions de gaz à effet de serre et sur notre sécurité d'approvisionnement.
Le scénario de l'accélération du passage de la deuxième à la troisième génération de réacteurs nucléaires, avec la fermeture anticipée d'une partie du parc actuel, a principalement un impact sur le prix, qui, dans les ordres de grandeur de la commission, passerait de 40 à 60 euros par mégawattheure.
Le scénario du prolongement de l'exploitation du parc nucléaire actuel, avec renforcement de l'investissement de sûreté et de maintenance, préserve un prix particulièrement compétitif, qui passe de 40 à 50 euros par mégawattheure. Ce scénario maintient l'ensemble des atouts de notre parc nucléaire : indépendance énergétique, absence d'émission de gaz à effet de serre, compétitivité des prix.
Le scénario d'une réduction de 75 % à 50 % en 2030 de la part de notre électricité d'origine nucléaire impliquerait, quant à lui, une augmentation de 40 à 70 euros par mégawattheure du prix de l'électricité, soit une augmentation de 75 %. Il représente aussi un accroissement de moitié de nos émissions de gaz à effet de serre de notre parc électrique et une augmentation importante de nos importations d'énergies fossiles. Ce serait la fin de notre indépendance énergétique pour la production d'électricité.
La sortie complète du nucléaire à l'horizon 2030 représente un doublement du prix de l'électricité, le recours massif aux importations d'énergies fossiles et le risque d'une multiplication par cinq de nos émissions de gaz à effet de serre.
Je retiens trois conclusions du rapport de la commission Énergies 2050.
D'abord, le rapport met en avant que la priorité de la politique énergétique française devrait être la réduction de notre dépendance aux importations d'hydrocarbures, qu'il s'agisse du pétrole, du gaz ou du charbon. Pour parvenir à cette transition énergétique, les deux priorités sont, d'une part, la maîtrise de notre consommation et, d'autre part, le développement des énergies décarbonées, les énergies renouvelables comme le nucléaire. Nous avons besoin, je le pense, des deux volets. Il ne faut pas les opposer.
Ensuite, réduire le nucléaire à 50 % représenterait une perte de 150 000 emplois directs - je dis bien « directs » - pour notre économie. C'est considérable ! Cela signifierait - ne tournons pas autour du pot, c'est dans le débat d'aujourd'hui ! - fermer 24 réacteurs qui atteindront, d'ici à 2025, une durée de vie de 40 ans, sans en construire aucun autre. Cela aurait des conséquences très importantes. Une telle décision signerait, en réalité, la fin de l'industrie nucléaire française. On ne peut pas - il faut que chacun en ait conscience - laisser cette industrie à l'arrêt pendant plus d'une décennie sans perdre les savoir-faire indispensables.
Enfin, du point de vue de l'ensemble des critères, la prolongation de la durée de vie de nos réacteurs actuels, sous réserve que l'Autorité de sûreté nucléaire l'autorise, est à privilégier. Il faut chaque fois rappeler que c'est cette dernière qui, au cas par cas, réacteur par réacteur, donne l'autorisation de prolonger la durée de vie des centrales. C'est pourquoi nous devons à la fois préparer la prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans et poursuivre le programme de construction de l'EPR, avec un deuxième réacteur à Penly, après celui de Flamanville. C'est le sens des décisions qu'a prises le Président de la République à l'occasion du Conseil de politique nucléaire du 8 février dernier.
Les investissements dans la prolongation de notre parc nucléaire sont donc bien de bons investissements, que nous devons financer.
Nous devons aussi poursuivre le développement sans précédent des énergies renouvelables engagé par le Gouvernement depuis cinq ans. Mais nous devons le faire avec discernement.
Nous avons dû freiner l'emballement du photovoltaïque avant que son impact macroéconomique soit trop lourd et trop coûteux. L'Allemagne, souvent citée en exemple sur ce terrain, est en train de s'en rendre compte. C'est ainsi qu'elle a décidé, en février, des baisses très importantes de ses tarifs de rachat, de 20 à 25 %. Elle devra toutefois faire face aux obligations d'achat induites par les panneaux déjà installés. Il est d'ores et déjà acquis que le surcoût annuel pour les consommateurs allemands des panneaux déjà installés sera en 2012 de 10 milliards d'euros, alors que nous en sommes à 1,5 milliard d'euros en France. La contribution payée par les consommateurs allemands d'électricité pour financer les énergies renouvelables s'élève à 35,9 euros par mégawattheure, ce qui est quatre fois plus élevé que la CSPE française. Cela représenterait une hausse immédiate de 20 % de nos tarifs électriques. C'est considérable !
Pour ce qui nous concerne, nous avons mis en place un nouveau dispositif de soutien, avec une cible de nouveaux projets de 500 mégawattheures par an. Ce dispositif doit permettre le développement d'une filière industrielle d'excellence en France. Tel était l'objectif : non seulement réduire les coûts pour le consommateur, mais également créer des filières industrielles d'excellence. D'où les deux appels d'offres pour le solaire photovoltaïque que nous avons lancés l'été dernier.
Car c'est là une exigence que nous avons fixée à l'industrie des énergies renouvelables : le développement de filières françaises. Nous n'investirons pas dans les énergies renouvelables pour financer des industries qui seraient basées à l'étranger et qui, par ailleurs, ont, pour certaines, un niveau de technicité contestable. En tant que ministre de l'industrie, je recommande que nous privilégiions les filières renouvelables avec un fort taux de retour en termes de valeur ajoutée et difficilement délocalisables, comme l'éolien offshore ou la biomasse, en nous appuyant sur nos avantages comparatifs.
C'est aussi pourquoi nous avons décidé le lancement d'un grand programme éolien offshore . Nous avons lancé un premier appel d'offres pour 3 000 mégawattheures, dont nous annoncerons les résultats au mois d'avril. Cet appel d'offres devrait permettre la création d'environ 10 000 emplois en France.
Quant aux emplois créés par les énergies renouvelables, il ne s'agira d'emplois réellement créés qu'à la condition qu'ils ne soient plus subventionnés dans quelques années. C'est pourquoi nous devons soutenir en priorité les filières dont le potentiel de compétitivité à terme existe par rapport aux autres moyens de production d'électricité.
Il y a, enfin, un autre type d'investissements dont je n'ai pas parlé : il s'agit des économies d'énergie. Je n'en ai pas parlé car elles ne sont pas intégrées dans les tarifs : elles sont financées non par les consommateurs d'électricité, mais par les contribuables pour ce qui relève du soutien public. Le développement des économies d'énergie est une priorité. En même temps, ne nous abusons pas nous-mêmes : l'effet sur le contribuable doit lui aussi être pris en compte. Il n'y a pas de réponse générique au regard de la très grande hétérogénéité des actions de maîtrise de la demande énergétique. Ces actions sont en tous les cas, et c'est une transition pour évoquer mon dernier point, un élément essentiel de la lutte contre la précarité énergétique.
Face à cette hausse des coûts de l'électricité, raisonnable mais inéluctable, nous devons enfin accompagner les consommateurs les plus modestes.
L'énergie représente près de 7 % des dépenses des ménages. Mais nous devons traiter spécifiquement la question des trois millions et demi de nos concitoyens pour lesquels elle représente plus de 10 % des dépenses chaque mois.
D'abord, je citerai un chiffre : pour un ménage qui se chauffe à l'électricité, la facture représente en moyenne 4 % des dépenses du foyer. Seulement, après avoir baissé en euros constants - je dis bien « en euros constants » - pendant une vingtaine d'années, le prix a augmenté au niveau de l'inflation à partir de 2006, et croît désormais à un rythme légèrement supérieur à l'inflation, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner.
Il faut se garder de réponses simplistes, car le problème de la précarité énergétique n'est pas simple. Il touche des situations très différentes, des populations fragiles et hétérogènes, souvent en grande souffrance, qui ont besoin d'une réponse adaptée à leur situation et, surtout, d'un accompagnement.
Parmi les solutions que, très sincèrement, j'écarte d'emblée, figure le « tarif à tranches ». Le principe est simple : on fait payer peu les premiers mégawattheures et beaucoup les suivants. Ce principe, en apparence séduisant, me paraît terriblement inefficace.
Le tarif à tranches rate sa cible et serait même injuste : les plus démunis sont souvent ceux qui consomment paradoxalement beaucoup en proportion, car leur logement a besoin d'être rénové et mieux isolé. Ils sont donc les premiers pénalisés par une mesure censée les aider.
Le tarif à tranches n'incite pas ceux qui consomment trop à modérer leur facture : l'ouverture du marché permet à ceux qui sont pénalisés par ce tarif, souvent les plus aisés, qui sont aussi les mieux informés, d'aller chez un fournisseur alternatif, lequel leur proposera un prix plus attractif.
La solution paraît résider, au contraire, dans une pluralité d'outils et une action d'ensemble. C'est ce que nous essayons de faire : nous avons, me semble-t-il, un bilan sans précédent en la matière.
Nous avons ainsi créé un tarif social de l'électricité en 2006, que nous avons relevé de dix points l'an dernier. La réduction moyenne par foyer aidé est de 90 euros par an environ.
Nous avons, par ailleurs, automatisé l'attribution des tarifs sociaux au 1 er janvier pour que les ménages qui, jusqu'à présent, ne renvoyaient pas le formulaire qui leur était adressé en bénéficient tout de même, c'est-à-dire près des deux tiers des 1,5 million de foyers concernés aujourd'hui. Les travaux d'automatisation ont d'ores et déjà été engagés par les fournisseurs depuis le 1 er janvier et nous avons publié ce matin un décret en ce sens, qui formalise la procédure d'automatisation.
Par ailleurs, les coupures d'électricité sont interdites pendant l'hiver pour les ménages en difficulté.
Nous menons, enfin, une action de long terme pour aider les ménages en difficulté à réduire durablement leur facture. Pour cela, nous avons, en particulier, créé un fonds d'aide à la rénovation thermique des logements, doté de 1,35 milliard d'euros, dont 1,1 milliard financé par l'État. Ce fonds bénéficiera à plus de 300 000 foyers précaires d'ici à 2017.
En conclusion, notre politique énergétique fait face à un triple défi : un défi écologique dont la prise de conscience est légitimement de plus en plus forte, un défi économique que la crise actuelle rend particulièrement saillant, et un défi d'approvisionnement que souligne la succession de tensions géopolitiques.
Grâce notamment à son choix nucléaire, la France dispose de nombreux atouts pour sa production électrique. Mais nous ne saurions nous reposer sur nos lauriers. Il faut que nous gardions bien conscience de ce sur quoi repose ce succès et que nous sachions nous adapter sans remettre en cause nos atouts. Notre électricité est bon marché. Elle le restera, malgré des hausses modérées, si nous savons faire les bons choix et les investissements nécessaires, dans les réseaux électriques, dans les énergies renouvelables et dans le nucléaire.
Je n'ai pas oublié que vous m'aviez demandé, à la fin de la semaine dernière, de vous fournir les documents adressés par le Gouvernement à la Commission européenne au cours de son enquête sur les tarifs régulés. Eu égard aux délais, il ne m'a pas été possible de réunir l'ensemble des documents demandés. Je ne manquerai pas, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de vous les adresser tout à fait officiellement dans le courant du mois de mars.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour cet exposé très complet. Vous avez bien présenté les choix du Gouvernement en matière de mix énergétique et d'investissements.
Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaite vous poser deux questions complémentaires.
Ma première question concerne le prix de l'ARENH, qui inclut les investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie de nos centrales nucléaires. Bruxelles nous a interdit, bien sûr, d'y inclure la construction de nouvelles centrales. Il me semble que devraient tout de même y être inclus les investissements de sûreté nécessaires, préconisés dans l'enquête faisant suite à l'accident de Fukushima que vous avez évoquée. Ces éléments n'avaient pas été pris en compte lors de la fixation du prix de l'ARENH. Ne faut-il pas le faire désormais ? J'aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.
Ma deuxième question porte sur l'énergie hydraulique.
Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que la raison pour laquelle les Français payaient l'électricité beaucoup moins cher que leurs voisins européens était liée au nucléaire et à l'hydraulique.
En matière d'hydraulique, nous allons nous lancer dans une phase d'appel d'offres qui va s'étendre de 2014 à 2025 ou 2026.
Qu'attendez-vous de cet appel d'offres ? Pensez-vous qu'il permettra de faire baisser le prix de l'hydraulique ? Ne croyez-vous pas qu'il entraînera, au contraire, un effet de hausse, compte tenu des investissements qui risquent d'être nécessaires pour moderniser l'ensemble des centrales hydrauliques ?
Vous avez la parole, monsieur le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Sur le premier point, vous aurez noté que la commission Champsaur a ajouté à son rapport, après l'accident de Fukushima, un post-scriptum ou addendum dans lequel elle explique qu'il convenait d'intégrer dans le prix de l'ARENH les investissements de sûreté nécessaires, dont elle n'était pas encore en mesure de faire le chiffrage. Nous avons alors estimé à 42 euros le coût du mégawattheure.
Bien évidemment, il faudra désormais estimer l'évolution de ce coût réel au fur et à mesure des travaux, et procéder à des ajustements, en concertation avec la CRE.
Pour ce qui concerne les appels d'offres en matière d'hydraulique, je ne suis pas en situation de répondre à votre question. Nous n'en sommes en effet qu'au début du processus. Nous connaissons, en outre, un paradoxe : l'administration n'avait pas les compétences nécessaires pour procéder à ces appels d'offres.
Nous avons donc transmis les facteurs à prendre en compte en termes de prix, de taxes, d'environnement et de sécurité, mais nous ne savons pas quels seront, à l'arrivée, les résultats des appels d'offres. Plusieurs experts, partisans de la concurrence, et sur les pronostics desquels je ne m'engage pas, estiment que ceux-ci pourraient avoir des effets bénéfiques pour les consommateurs. Nous verrons ce qu'il en sera au final.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je poserai deux questions.
Je tiens, premièrement, à exprimer ma surprise : après avoir cité des chiffres extrêmement précis, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre, vous avez affirmé que les tarifs pour 2016 et 2020, tels qu'ils sont estimés par la CRE, n'étaient pas prévisibles. Vous avez pourtant mentionné le prix de l'ARENH et donné une estimation assez précise de la CSPE ; par ailleurs, s'agissant du TURPE, il ne semble pas que la marge d'erreur soit très importante.
Vos chiffres sont à peu près les mêmes chiffres que ceux qui ont été indiqués, ce matin, par le président de la CRE. Il est donc étonnant que vous ne partagiez pas son point de vue sur une future hausse des tarifs de 30 % qui, si l'on accepte de la prendre en compte, rapproche la France de la moyenne des pays européens, lesquels connaissent une hausse du coût de l'électricité de 40 %. La différence est donc peu significative.
Sur quels chiffres, selon vous, subsiste-t-il une inconnue ? Pouvez-vous nous expliquer ce qui justifie la distance que vous prenez par rapport à la position de la CRE ?
Paradoxalement, alors que vous peiniez à donner des chiffres pour 2016, vous avez été plus précis s'agissant des tarifs de 2030. Vous nous avez dit, ainsi, que si la production d'électricité d'origine nucléaire passait à 50 % en 2030, l'augmentation des tarifs serait extrêmement significative. Par quels calculs obtenez-vous ces résultats ?
Ma deuxième question concerne l'EPR.
Votre logique industrielle, que nous connaissons, a sa cohérence. Or la Cour des comptes estime, dans son rapport, que le coût de production minimal, s'agissant de l'EPR de Flamanville, s'établit entre 70 et 80 euros le mégawattheure. Ce coût est largement supérieur à celui de l'énergie éolienne, compte tenu de la courbe tendancielle baissière du coût de l'éolien en Europe. Il se posera peut-être, demain, une vraie difficulté : en termes de puissance de crête, qui augmente très vite, l'électricité produite par l'EPR risque de n'être plus concurrentielle, en Europe, par rapport à celle produite par les énergies renouvelables, notamment par l'éolien terrestre.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Si l'on retient l'hypothèse de la CRE, soit une augmentation de 30 % des tarifs de l'électricité en France, alors, dites-vous, nous aurons réduit l'essentiel du différentiel avec les autres pays européens, qui connaissent une hausse moyenne de 40 %. À une petite réserve près...
M. Ladislas Poniatowski, président. - Eux aussi augmentent leurs tarifs !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - En effet ! Ces pays, eux aussi, et en particulier ceux qui choisissent de réduire la part du nucléaire dans leur mix énergétique, augmentent fortement leurs tarifs. Ce n'est pas moi qui le dis ! Écoutez les discours du ministre de l'énergie allemand sur le sujet...
Les Allemands font preuve d'une très grande cohérence. Que disent-ils ? Nous augmenterons fortement nos tarifs de l'électricité, mais notre population l'accepte, et nous le ferons parce que nous voulons sortir du nucléaire. Ce faisant, nous dégraderons notre dépendance énergétique et notre bilan carbone. Au moins, les choses sont dites !
M. Ronan Dantec . - Ce n'est pas ce qu'ils disent concernant le bilan carbone !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Ils le disent au contraire très clairement ! De toute façon, quand bien même ils ne tiendraient pas ces propos, ils n'ont pas le choix...
La caractéristique première du renouvelable éolien et photovoltaïque est l'intermittence. Tant que nous ne disposerons pas de systèmes massifs de stockage de l'électricité, il ne sera pas possible d'avoir, à la fois, de l'éolien et du photovoltaïque sans posséder des systèmes de secours de production d'électricité qui, s'ils ne sont pas nucléaires, ne peuvent être que thermiques. Je mets quiconque au défi d'apporter la démonstration contraire ! Or l'énergie thermique entraîne mécaniquement l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Comme les Allemands sont honnêtes et cohérents, ils le reconnaissent !
Vous m'avez ensuite interrogé sur les chiffrages. Ceux-ci dépendront, bien évidemment, des orientations de politique énergétique qui seront choisies. C'est le cas, ainsi, pour toute une partie de la CSPE. Il m'est donc difficile d'anticiper sur les résultats de décisions qui dépendent du résultat des prochaines élections. Ces déterminants concernent les investissements réalisés sur les réseaux, l'énergie renouvelable, les investissements de maintenance du parc nucléaire, le renouvellement et l'extension du parc de production thermique.
Nous devons, me semble-t-il, poser la question différemment. Quel prix de l'électricité estimons-nous acceptable pour notre industrie et pour les ménages ? Après avoir répondu à cette question, nous pourrons décider de la répartition du mix énergétique et des investissements.
Le rapport de la commission Énergies 2050, qui compte plus de 300 pages, a la grande qualité de décrire précisément le chemin de crête que nous devons emprunter pour atteindre ce résultat. Tel est le schéma auquel, pour ma part, je souscris.
Pour ce qui concerne l'EPR, même en supposant que les chiffres extrêmement élevés que vous retenez soient exacts, vous n'ignorez pas qu'il existe aujourd'hui de grandes incertitudes en la matière. En toute hypothèse, seuls deux réacteurs sont concernés, sur un parc beaucoup plus large. Vous ne pouvez donc pas en déduire, sauf à arrêter tous les autres réacteurs, que le coût du nucléaire équivaudra au prix de revient que vous venez de citer.
Il suffit de discuter avec les industriels, et vous allez, je crois, en auditionner certains. Le président d'Areva vous indiquera quelle baisse du prix de revient de l'EPR il estime possible d'obtenir - j'ai ce chiffre en tête, mais je ne vous le donnerai pas, car il lui revient de vous donner cette information ! -, après avoir tiré les leçons d'un grand classique de l'industrie : c'est la tête de série qui coûte le plus cher ; ensuite, après que se sera produit le retour d'expérience, le prix de revient diminue. Cela vaut autant, d'ailleurs, pour l'EPR que pour le photovoltaïque. C'est donc assez cohérent.
L'élément de surcoût le plus important de l'EPR fut le bardage spécial grâce auquel, même en cas d'accident « suprême », c'est-à-dire de fusion du coeur du réacteur, ce coeur ne pourra jamais s'enfoncer ni dans le sol ni dans les fondations, et aucune émanation de radionucléides ne sera libérée dans l'atmosphère. Ce savoir-faire très particulier, chacun le sait, le secteur du BTP a eu du mal à le mettre en oeuvre. Ces structures sont désormais en place en France, à Flamanville, en Finlande, et sur les deux EPR du site de Taishan, en Chine. Pour autant, les prix de production seront-ils toujours les mêmes ? Non !
Je reviens d'un voyage en Chine. Je puis donc vous le dire, les Chinois considèrent que s'ils devaient nous commander à l'avenir d'autres EPR, ceux que les professionnels appellent Taishan III et IV - ce qui n'est pas acquis ! -, les prix de revient devraient être bien moins élevés.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - En Angleterre, les opérateurs des deux EPR négocient un tarif de rachat garanti largement supérieur à 100 euros. C'est un chiffre intéressant !
M. Ladislas Poniatowski, président. - Ce sera beaucoup moins ! Ces propos n'engagent que vous...
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Parlez-vous, monsieur le sénateur, de prix de rachat ou de prix de revient de l'électricité ?
M. Ronan Dantec . - Comme vous le savez, les Anglais souhaitent revenir à des prix garantis, en réaction contre le libéralisme de la période précédente...
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Entendons-nous bien : pour notre part, nous ne parlons qu'en termes de prix de revient complet, et non de tarif d'achat.
M. Ronan Dantec . - Les opérateurs anglais négocient sur ces prix !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Vous interrogerez les industriels sur ce sujet...
Pour ce qui concerne la France, vous disposez des chiffres. Encore une fois, le fait de retrouver les mêmes ordres de grandeur dans les documents établis par la commission Champsaur, la Cour des comptes, ou par les industriels, est assez éclairant.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol . - Ma première question, également évoquée par mon collègue Ronan Dantec, concerne les indications données, ce matin, par le président de la CRE sur l'augmentation qu'il jugeait nécessaire des tarifs de l'électricité, la fameuse hausse de 30 %. Sans émettre d'avis sur l'opportunité politique de ses propos, force est de constater que ceux-ci étaient argumentés.
Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, dans la première partie de votre intervention, que le Gouvernement n'avait pas fait ce choix, sans préciser quelle alternative vous proposiez, et sur quelles prévisions vous vous fondiez pour récuser l'argumentation de la CRE. Ne me répondez pas, s'il vous plaît, que tout dépendra du résultat des élections, car ma question est bien la suivante : dans l'hypothèse où votre majorité serait reconduite, que feriez-vous ? Pour le reste, ne vous inquiétez pas, nous nous en occuperons !
Ma deuxième question est une demande de précision.
La CSPE est consacrée pour 2 % à la part sociale, et vous avez rappelé que le nombre de ménages en situation de précarité énergétique se situait entre 3 et 4 millions, un chiffre largement partagé.
Quelqu'un connaît-il la répartition des parts respectives du fioul et de l'électricité dans la consommation de ces ménages, qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques ?
Si l'on tente de faire coïncider le chiffre de la CSPE consacrée à la part sociale, soit 2 %, ce qui est relativement faible, et le nombre de ménages en situation de précarité énergétique, soit environ 3,5 millions, il est légitime de se demander si les conditions d'éligibilité aux tarifs sociaux sont bien adaptées à la réalité que vivent les ménages.
Ma troisième question concerne les engagements pris au mois de décembre par la ministre de l'environnement, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, relatifs aux objectifs de réduction de la consommation d'énergie à l'horizon 2020.
Des informations différentes ont été données sur ce sujet. Dans un communiqué de presse, il est fait état d'un objectif de 20 % de réduction de la consommation d'énergie - plus exactement entre 19,7 % et 21,4 % - à l'horizon 2020. Ailleurs, il est question de 20 % d'efficacité énergétique. Ce n'est pas exactement la même chose !
Le gouvernement auquel vous appartenez confirme-t-il cet objectif de 20 % de réduction de la consommation d'électricité d'ici à 2020 ? Quelle voie entendez-vous emprunter pour y parvenir ?
S'agissant de l'EPR, je préfère les informations claires aux fantasmes.
Monsieur le ministre, pourriez-vous communiquer à notre commission d'enquête un rapport expliquant les raisons du doublement du prix entre les évaluations initiales et les évaluations finales ?
En tant qu'élus locaux, nous savons tous que, pour la construction de la moindre salle de sports, il existe toujours une différence entre le prix initial évalué et le prix final. Pour ce qui concerne l'EPR, nous parlons cependant d'un doublement du prix !
Vous avez répondu en partie à ma dernière question. Pensez-vous que les retours d'expérience relatifs au coût du premier EPR nous permettront réellement d'avoir une vision plus fine du coût des autres EPR, dans la mesure où vous avez choisi de poursuivre la construction de ce type de réacteurs ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - J'ai déjà répondu à votre première question. Je tiens simplement à rappeler que, aux termes de la loi NOME, s'agissant des tarifs applicables aux consommateurs jusqu'en 2015, c'est le Gouvernement qui fixe les prix de l'électricité. Dans ces conditions, ces prix dépendront, comme je vous l'ai dit, des investissements réalisés sur les réseaux et les installations nucléaires, entre autres.
Les objectifs du Gouvernement, qui sont très simples, ont été fixés par le Président de la République dans un cahier des charges : la progression des prix de l'électricité ne doit pas être « plus de légèrement supérieure à l'inflation ». Nous pourrions débattre de la signification de l'adverbe « légèrement », mais il n'en reste pas moins que cet objectif est très clair.
Ne vous inquiétez pas, m'avez-vous dit : en cas d'alternance, nous nous en occuperons ! Pour tout vous dire, cela m'inquiète justement un peu... mais tel n'est pas l'objet de notre discussion.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Je confirme !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Pour ce qui concerne la répartition de la consommation entre fioul et électricité, je ne suis pas en mesure de vous donner ces chiffres aujourd'hui. Je vous les ferai parvenir par l'intermédiaire du président de votre commission d'enquête dans quelques jours, le temps de recueillir ces informations.
S'agissant des tarifs sociaux, je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit en introduction de mon intervention. J'attire simplement votre attention sur la formidable avancée que constitue l'automatisation. Le fait que les bénéficiaires des minima sociaux n'aient pas besoin de faire la demande d'un tarif social, mais que celui-ci leur soit automatiquement accordé, représente, je crois, une évolution importante.
Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question relative au distinguo que vous avez relevé dans les documents diffusés par Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était encore ma collègue au sein du Gouvernement voilà quelques jours. Selon moi, sous réserve d'inventaire, il s'agit bien de réduire de 20 % la consommation d'énergie, et non, spécifiquement, la consommation d'électricité. Je vérifierai cette information, si vous voulez bien me transmettre, pour votre part, les documents qui sont à votre disposition.
Pour ce qui concerne l'EPR, vous avez raison : il faudra un audit très précis. Areva dispose probablement des premiers éléments du retour d'expérience que j'évoquais. Après la mise en oeuvre de l'EPR de Flamanville, nous aurons nécessairement besoin d'une analyse objective. Les parlementaires décideront, ensuite, si nous devons aller plus loin. Je vous ai d'ores et déjà fait part de quelques orientations et indications relatives au coût et à la technicité des fondations.
Nous devrons faire cet audit. Chacun le souhaite, y compris le gouvernement finlandais. De ce point de vue, il n'y a rien à cacher. En revanche, si vous me demandiez de vous envoyer ce rapport la semaine prochaine, je serais bien incapable de vous le transmettre.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je souhaite rebondir sur l'importante question, relative à l'énergie hydraulique, posée par notre président, Ladislas Poniatowski.
Nous n'investissons plus, les équipements sont anciens et, de ce fait, notre évaluation des coûts d'investissement de ces ouvrages est relativement mauvaise. Il serait intéressant, à l'occasion du renouvellement des concessions, de disposer d'éléments plus précis, que nous n'avons pas pour le moment.
Nos capacités de création de nouveaux ouvrages ne sont pas complètement négligeables. J'y reviendrai tout à l'heure, en évoquant, notamment, l'usage qui pourrait être fait des ouvrages existants, par exemple dans le cadre du stockage.
Ma question porte sur les réseaux.
Comme nous l'avons vu, le TURPE doit nous permettre d'accompagner la modernisation et le renforcement des réseaux. Très sincèrement, j'ai le sentiment - mais je peux me tromper - que nous n'avons pas, aujourd'hui, une vision claire de la carte des réseaux et de son évolution, en termes tant d'entretien que de renforcement des installations.
Je me suis fait communiquer les chiffres. Nous pouvons constater qu'en période de pointe - c'est également valable pour tous les pays concernés par l'interconnexion - les réseaux tels qu'ils existent nous permettent tout juste d'assurer la distribution d'électricité. Cette situation ne peut aller qu'en s'aggravant avec le développement des nouvelles énergies qui, pour être bien utilisées, doivent être mises en réseau afin qu'un équilibre soit assuré. L'optimisation des capacités d'utilisation des énergies renouvelables présuppose et nécessite donc l'existence de réseaux de qualité.
Avons-nous suffisamment anticipé cette situation et disposons-nous d'un schéma nous permettant d'optimiser l'interconnexion nécessaire entre les pays et l'usage qu'il nous faudra faire, demain, des énergies renouvelables, qui seront très utilisatrice des réseaux ?
J'en reviens à l'énergie hydraulique.
Nous savons que son optimisation, et notamment celle du stockage, passe non seulement par le renforcement des ouvrages, mais aussi par la baisse du coût du transport. Ainsi, en France, lorsque l'on utilise de l'énergie pour stocker, on paie le coût du réseau. À ma connaissance, ce n'est pas le cas dans les autres pays.
Le stockage coûte très cher en France, dans la mesure où il n'est pas exonéré et ne bénéficie pas d'un coût de réseau diminué ou nul. Ne pourrait-on, au niveau du stockage, appliquer un coût moindre à l'usage du réseau ? Ce serait une façon d'optimiser cette solution énergétique.
J'avais cru comprendre que certains pays, comme l'Espagne, s'engageaient actuellement dans la réalisation d'importants programmes hydrauliques, notamment afin d'optimiser le stockage. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions en la matière ?
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - S'agissant de l'énergie hydraulique, vous avez raison : le renouvellement des concessions, que nous avons accepté pour des raisons d'ouverture du marché et de mise en oeuvre de la directive, doit être l'occasion de poser les questions que vous avez évoquées. Pour cette raison, nous avons mandaté un cabinet afin qu'il prépare les éléments d'un appel d'offres. Il appartiendra au gouvernement issu de la prochaine élection de déterminer les critères à retenir.
Le développement des énergies renouvelables crée, en effet, de nouvelles obligations en matière de réseaux. Ce problème est beaucoup plus sensible s'agissant des interconnexions entre pays que pour notre territoire, qui est assez bien maillé du fait des lieux d'implantation de nos principales sources de production d'électricité, exception faite des deux points faibles que j'ai cités, la Bretagne et la région PACA, dont nous devons absolument résoudre les problèmes énergétiques.
Vous me permettrez, au passage, de faire une digression sur ces derniers cas, qui posent des questions de fond sur nos infrastructures. Vous savez à quel point il est difficile, aujourd'hui, de réaliser certaines infrastructures. Je tiens à attirer votre attention sur le fait que des décisions de tribunaux administratifs, dont il ne m'appartient pas de juger du bien-fondé, viennent casser des investissements absolument indispensables pour la sécurisation des réseaux.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Y compris la centrale à gaz de Bretagne !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - J'espère que ce ne sera pas le cas, mais nous verrons bien... Cette installation est absolument vitale pour la Bretagne !
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je suis tout à fait de votre avis.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Une région ne peut pas vivre durablement en ne produisant que 10 % de l'électricité qu'elle consomme, un chiffre à mettre en relation avec les 15 % produits en région PACA.
Vous avez également raison, monsieur Vial, pour ce qui concerne les relations entre pays. Nous n'avons pas critiqué le choix allemand de renoncer au nucléaire, car il s'agissait d'une décision souveraine, mais nous avons instantanément dit à nos amis allemands, ainsi qu'à nos collègues des autres pays de l'Union, que les Européens devaient discuter entre eux des conséquences d'une telle décision.
J'en reviens aux chiffres. Nous avons fortement augmenté les investissements sur les réseaux de transport : 1,2 milliard d'euros par an depuis 2007. Nous pourrions passer, lors de la négociation du prochain TURPE, à 2 milliards d'euros d'investissements ; il s'agit là d'un ordre de grandeur. Nous préparons également des schémas régionaux de raccordement en vue de planifier la consolidation de ces réseaux.
J'ajouterai un mot sur le stockage de l'hydroélectricité. Cette question devrait être abordée à l'occasion de la négociation du TURPE 4. Nous l'avons d'ores et déjà posée, et en discutons actuellement avec la CRE. Je la reposerai dans une lettre que j'enverrai très prochainement. Le prochain ministre de l'énergie aura ainsi la possibilité de mettre cette orientation en oeuvre, s'il la confirme.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier . - Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que la France ait fait preuve d'un tel excès de zèle pour appliquer la directive visant à lancer l'appel d'offres pour le renouvellement des concessions ? Selon nos informations, nous sommes les seuls à avoir agi de la sorte. Les autres pays ont prévu de le faire en 2050.
Quelle est l'explication de cette réactivité ? Habituellement, nous sommes un peu plus mauvais dans ce genre d'exercice.
M. Ladislas Poniatowski, président. - La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique . - Votre réaction me fait plaisir. Si vous pouviez développer ces propos par écrit, je m'empresserai de les transmettre à la Commission européenne : cela pourrait faciliter notre dialogue !
La France a accepté, dans les conditions que vous connaissez, sur l'initiative de ses gouvernements successifs, l'ouverture du marché de l'électricité. Nos collègues européens et la Commission estiment que nous sommes un marché faussement ouvert. C'est pourquoi nous avons élaboré, entre autres textes, la loi NOME.
Notre pays conserve un monopole en matière de production d'électricité nucléaire, les installations d'EDF produisant 75 % de notre électricité. Nous devons donc en discuter avec nos partenaires et avec la Commission, et, au cours de ces échanges, nous avons effectivement mis dans la balance le renouvellement des concessions.
Comme vous le savez, en vertu de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, la durée des concessions est de soixante-quinze ans à compter de la construction des installations. Nous arrivons donc à échéance. Notre démarche était donc un bon moyen de respecter l'esprit et, je l'espère, la lettre de la directive.
M. Ladislas Poniatowski, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir répondu à nos questions.
Du ministre de l'énergie, nous n'attendions pas des réponses techniques, mais des réponses relatives à la stratégie, aux choix et au mix énergétique. Vous avez tout à fait joué le jeu.
Notre rapporteur auditionnera certains de vos collaborateurs, notamment M. Pierre-Marie Abadie, dans le cadre d'auditions plus techniques, ouvertes à tous nos collègues qui seraient intéressés par ce sujet.
Il s'agit donc de bien faire la part entre les auditions officielles de commission, en assemblée plénière, et ces auditions techniques menées par le rapporteur, car nous n'attendons pas le même type d'informations des personnes auditionnées.
Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir contribué, de manière intéressante, à nous éclairer.
Audition de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez
( 7 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.
Monsieur le président-directeur général, chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet notamment de solliciter la création d'une commission d'enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'utiliser ce droit pour soulever la question du coût de l'énergie et du prix de l'électricité dans notre pays. Telle est la raison d'être de la commission d'enquête.
Comme la procédure le prévoit, je vais vous demander de prendre devant nous un engagement solennel.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
(M. Gérard Mestrallet prête serment.)
M. Ladislas Poniatowski , président . - M. le rapporteur vous a préalablement adressé une série de questions, afin que vous puissiez préparer vos réponses. Nous cherchons en effet à obtenir des informations aussi nombreuses que possible, pour être aidés dans nos travaux.
Je commencerai donc par donner la parole à M. le rapporteur. Ensuite, vous prendrez le temps que vous souhaiterez pour répondre à ses questions. Enfin, mes collègues pourront vous poser un certain nombre de questions complémentaires et vous demander des précisions.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président-directeur général, permettez-moi de vous rappeler les six questions, subdivisées en sous-questions, que je vous ai adressées.
Premièrement, les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent-ils, selon vous, les coûts réels complets de production, de transport, de distribution et de fourniture ?
Par ailleurs, après la mise en place de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », qui fait obligation à EDF de céder un quart de son électricité d'origine nucléaire à ses concurrents à un tarif spécifique, le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, permet-il aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF ?
Enfin, après la mise en place de l'ARENH, peut-on considérer qu'il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production et le prix de vente ? Et, dans l'affirmative, qui en bénéficie ?
Deuxièmement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), selon qui les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Partagez-vous ce diagnostic, qu'il nous a confirmé ce matin ? Dans l'affirmative, pourquoi ? De manière générale, la France peut-elle rester durablement compétitive en Europe en matière de prix de l'électricité ?
Troisièmement, un groupe énergétique comme GDF Suez peut-il dresser un tableau réaliste des coûts actuels de la production d'électricité dans les différentes filières et de leur évolution prévisible au cours des dix ou vingt prochaines années ? En particulier, comment réagissez-vous aux conclusions de la Cour des comptes sur le coût de la filière nucléaire ? Enfin, quel sera demain, selon vous, un mix électrique compétitif et quelles conséquences aura-t-il sur le prix de l'électricité ?
Quatrièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur les mécanismes actuels de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération, comme la contribution au service public de l'électricité, - la CSPE - et les dispositifs fiscaux ?
Cinquièmement, quelle est la manière correcte, selon GDF Suez, de fixer les prix de l'électricité ? Faut-il s'en remettre entièrement au marché, dont on perçoit la grande volatilité, en particulier en période de pointe électrique ? Ou bien un système tarifaire est-il légitime sur le long terme, au moins pour les particuliers ? Le cas échéant, la formule retenue par la loi NOME vous semble-t-elle pertinente ?
Sixièmement, l'acquisition à titre onéreux par les électriciens de l'ensemble de leurs quotas d'émission de gaz à effet de serre à compter de 2013 aura-t-elle des conséquences sur le prix de l'électricité ? Ou bien avez-vous d'ores et déjà complètement intégré ce prix dans vos conditions de vente ?
Telles sont, monsieur le président, les six séries de questions que j'ai adressées à M. Gérard Mestrallet.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur le président-directeur général, vous avez la parole.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant vous.
Je vous propose de répondre dans l'ordre à toutes les questions que M. le rapporteur m'a posées.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Prenez pour cela le temps qu'il vous faudra.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - La première série de questions porte sur les différents tarifs régulés de l'électricité, les coûts réels, la mise en place de la loi NOME et l'ARENH.
D'abord, la notion de coûts réels doit être bien relativisée. Il n'existe pas une définition unique du coût de l'électricité, comme d'ailleurs la Cour des comptes l'a montré. Plusieurs définitions existent, qui dépendent de l'usage que l'on veut en faire et de l'objectif que l'on poursuit.
Par exemple, si l'on souhaite prendre une décision d'investissement pour l'avenir, il ne faut pas tenir compte du coût des installations anciennes, mais des coûts de développement des nouveaux réacteurs. Pour l'EPR actuel, la Cour des comptes évoque une fourchette de l'ordre de 70 à 90 euros par mégawattheure.
En revanche, si l'on souhaite fixer des tarifs pour aujourd'hui, il convient de veiller à couvrir, pour le nucléaire, les coûts de démantèlement, les coûts opérationnels et une rémunération normale du capital.
S'agissant de ce dernier point, dont je reparlerai, il faut bien distinguer, comme la Cour des comptes l'a fait, le capital qui n'a pas été amorti, dont la rémunération est parfaitement légitime, et le capital déjà amorti, qui, si on le rémunère, est en réalité rémunéré deux fois.
Si l'on couvre les coûts que je viens d'indiquer, on arrive à 32 ou 33 euros par mégawattheure. Cette évaluation fait consensus puisqu'elle est commune à la Commission de régulation de l'électricité et du gaz de Belgique, la CREG, à la commission Champsaur sur l'organisation du marché de l'électricité, à la Cour des comptes...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Tout en bas ! Il s'agit d'un montant plancher.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Ce montant n'est pas une fourchette basse pour la Cour des comptes, qui le définit de manière extrêmement précise : à 32 euros par mégawattheure, il correspond à la couverture des coûts hors coût du capital ; à 33 euros, il intègre en plus la rémunération du capital non amorti.
La Cour des comptes mentionne en outre deux autres montants. Au total, il y a donc quatre niveaux de coût, qui ont été très bien résumés par le ministère de l'énergie dans un communiqué que j'ai sous les yeux.
Les deux premiers niveaux, de 32 et 33 euros par mégawattheure, sont pertinents pour déterminer les coûts réels du nucléaire.
Un montant de 39,9 euros par mégawattheure a été obtenu par la Cour des comptes par la méthode du coût comptable complet de production, c'est-à-dire en tenant compte de l'amortissement, de la rémunération du capital non amorti et du remplacement des réacteurs. Mais il est évident qu'on ne peut pas inclure dans un tarif payé aujourd'hui le coût d'un remplacement qui devra être financé le moment venu, c'est-à-dire dans dix, quinze ou vingt ans - et qui sera d'ailleurs l'investissement le plus rentable qui soit.
Le dernier chiffre, celui de 49,5 euros par mégawattheure, a été le plus médiatisé parce qu'il pouvait correspondre aux intérêts de certains. Mais il est absolument hors de propos, puisqu'il comprend le coût de la rémunération du capital investi à l'origine en tenant compte de l'inflation, de sorte que ce capital déjà amorti serait rémunéré une seconde fois, ce qui ne serait pas légitime.
Je le répète, les chiffres de 32 et 33 euros par mégawattheure ont été donnés par le rapport Champsaur, la CRE et la Cour des comptes. J'ajoute que c'est le seul chiffre que le Président de la République ait cité, à propos du coût du nucléaire, dans le discours qu'il a prononcé à Fessenheim. Et il a évidemment raison...
Les coûts dont je viens de parler sont essentiellement ceux d'EDF. Je vais maintenant vous donner des éléments de référence qui concernent la Belgique, où nous-mêmes avons sept centrales nucléaires.
Il s'agit de centrales à eau pressurisée, de même modèle que les centrales françaises. Les deux parcs ont été construits au même moment et de façon assez parallèle. D'ailleurs, ils l'ont été en coopération, puisque EDF détient 50 % de l'une de nos sept tranches, Tihange 1, et que, de notre côté, nous détenons des droits de copropriété sur Chooz B et Tricastin. Nous connaissons donc bien nos coûts respectifs.
La CREG, qui est le régulateur belge, a été invitée par le gouvernement à évaluer ce qu'on a appelé la rente nucléaire, c'est-à-dire la différence entre un prix de vente et un coût de production.
Pour cela, elle a évalué le coût de revient de nos centrales dans une fourchette de 17 à 21 euros par mégawattheure. C'est sur la base de ces chiffres officiels que la CREG a estimé la marge réalisée par les électriciens nucléaires belges - nous gérons toutes les centrales, mais nous partageons une partie de leur propriété avec EDF et E.ON. C'est aussi sur la base de ces chiffres que la taxe nucléaire a été fixée à 550 millions d'euros pour les sept centrales.
Nous avons contesté cette évaluation du régulateur : pour notre part, nous estimions le coût direct d'une centrale à 23,5 euros par mégawattheure.
En outre, nous considérions que, pour déterminer le niveau à partir duquel il faudrait considérer qu'il y a une marge - une rente -, il conviendrait d'ajouter à ce montant 5 euros correspondant au coût de réserve. En effet, comme une centrale doit être arrêtée de temps en temps, si l'on veut fournir à un consommateur une bande continue pendant plusieurs années, il faut ajouter au coût direct ce qu'on appelle un back-up , que nous avons évalué à 5 euros.
Au total, nous estimions donc à 28,5 euros par mégawattheure le prix de revient de nos centrales nucléaires en Belgique. D'où vient la différence avec le montant de 32 euros qui concerne EDF, dont les centrales sont à peu près les mêmes que les nôtres ? Simplement du fait que, en Belgique, nos centrales tournent à peu près 10 % de plus que celles d'EDF en France.
Autrement dit, le taux de disponibilité de nos centrales est proche de 90 %, alors que celui des centrales d'EDF se situe historiquement plus près de 80 %, même s'il s'est amélioré l'année dernière. Le prix de revient du mégawattheure produit par EDF est donc supérieur d'environ 10 % à celui de notre mégawattheure. Et si l'on augmente de 10 % le montant de 28,5 euros, on retrouve à peu près le chiffre de 32 ou 33 euros mentionné par la Cour des comptes.
Ce chiffre est donc donné par quatre sources différentes, la cinquième étant la validation suprême par le discours du Président de la République à Fessenheim.
La deuxième sous-question de M. le rapporteur porte sur les modalités de mise en oeuvre de la loi NOME. Il s'agit de savoir si le niveau de l'ARENH permet aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF.
La réponse est : oui, dans une certaine mesure, pour les clients ne bénéficiant par de tarifs réglementés, c'est-à-dire essentiellement pour les anciens clients du tarif réglementé transitoire d'ajustement de marché, le TaRTAM.
Le cas de GDF Suez est d'ailleurs assez illustratif puisque avant le TaRTAM, au moment de l'ouverture des marchés pour les clients industriels - laquelle s'est faite progressivement, en commençant par les très gros consommateurs -, nous avions pris petit à petit 7 à 8 % du marché. Ensuite, lorsque le TaRTAM a été mis en place, nous avons perdu à peu près tous ces clients et nous avons été conduits à vendre directement sur le marché. Grâce à l'instauration de l'ARENH, nous avons commencé à retrouver peu à peu quelques-uns de ces gros clients industriels.
En revanche, l'ARENH n'atteint absolument pas son objectif pour la clientèle particulière et tous ceux qui bénéficient de tarifs réglementés. En effet, il existe un ciseau tarifaire, c'est-à-dire un écart entre le coût d'achat pour le fournisseur alternatif et le prix de vente aux clients finaux, déterminé par référence aux tarifs réglementés.
Il en résulte qu'on ne peut pas concurrencer EDF sur le marché des clients particuliers, puisqu'il n'est évidemment pas possible de mener une activité économiquement équilibrée en achetant à 42 euros - le niveau de l'ARENH - pour revendre à 35 ou à 36 euros - le niveau du tarif bleu.
Au passage, j'observe qu'en vendant son électricité à 42 euros par mégawattheure EDF réalise une marge très significative, pour la raison qu'elle réalise déjà une marge considérable en vendant son électricité à 35 euros par mégawattheure à tous les Français. Il est extrêmement simple de comprendre qu'EDF ne pourrait pas dégager sur le marché français un EBITDA de plusieurs milliards d'euros si le prix de revient de son électricité vendue à 35 euros était de 42 euros.
Une marge existe donc bien et, du point de vue des concurrents potentiels, il est clair que le prix de l'ARENH fixé à 42 euros par mégawattheure ne permet pas une ouverture à la concurrence du marché des particuliers - d'ailleurs, cette ouverture n'a pas lieu.
Je note que la CRE, dans son avis de juin 2011, a signalé l'existence de ciseaux tarifaires de l'ordre de 3 à 4 euros entre les tarifs réglementés et le prix de l'ARENH. Plus précisément, elle a estimé ce ciseau tarifaire à 3,2 à 3,5 euros par mégawattheure pour le tarif bleu, 3,1 euros par mégawattheure pour le tarif jaune et 2,6 euros par mégawattheure pour le tarif vert, sur la base d'un prix de marché de 55 euros par mégawattheure - ce qui est encore son niveau aujourd'hui.
Ce ciseau tarifaire et l'impossibilité d'introduire de la concurrence pour les clients bénéficiant de tarifs réglementés tiennent à la fixation arbitraire du prix de l'ARENH au niveau trop élevé de 42 euros, qui est exactement celui que demandait EDF.
Pour estimer le bon coût du nucléaire amorti en vue de fixer un tarif, il faut tenir compte des coûts d'exploitation - ce point ne fait pas débat -, mais aussi, s'agissant des coûts passés, c'est-à-dire de la valorisation des actifs, de l'amortissement du parc et de la rémunération du capital non amorti.
S'agissant des coûts futurs, il est normal de tenir compte des coûts non productifs, comme les coûts de démantèlement et de traitement des déchets. Ils sont inclus dans les chiffres de 32 et 33 euros par mégawattheure que j'ai indiqués et dans le coût de 17 à 21 euros par mégawattheure que le régulateur belge nous impute. Autrement dit, pour le régulateur belge, l'estimation de 17 à 21 euros par mégawattheure inclut les coûts de démantèlement et de traitement des déchets.
En revanche, il n'est pas normal d'inclure dans les coûts futurs les coûts de prolongation, de mise à niveau et de renouvellement, qui ne devront être intégrés aux tarifs que lorsqu'ils seront constatés par le régulateur. En effet, il n'y a aucune raison de faire préfinancer par le consommateur d'aujourd'hui des dépenses productives qu'EDF engagera dans quinze ou vingt ans.
D'ailleurs, le fait de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes de 30 à 40 ans ou de 40 à 50 ans est l'investissement le plus rentable que je connaisse. Chaque fois que cet allongement par rapport à la durée finale d'amortissement a été envisagé en Europe, ce qui s'est produit en Allemagne - avant les décisions récentes -, aux Pays-Bas et en Belgique, ce sont les États qui ont demandé aux opérateurs de payer et non l'inverse.
On a l'impression qu'il faudrait faire payer le consommateur d'aujourd'hui pour une décision d'investissement visant à allonger, dans dix ou quinze ans, la durée de vie de centrales nucléaires - une décision qui, d'ailleurs, reste à prendre.
Or, indépendamment du fait que ces dépenses sont décalées dans le temps, puisque la question ne se pose pas aujourd'hui, c'est aux opérateurs que, dans tous les autres pays d'Europe, on a demandé de payer.
En Belgique, par exemple, j'ai négocié avec M. Van Rompuy, qui était Premier ministre.
Sur les sept centrales que nous avons dans le pays, trois vont arriver à l'âge de 40 ans en 2015 ; les quatre autres y arriveront seulement en 2025. Or la loi belge prévoit que les centrales doivent être fermées au bout de quarante ans, sauf si le gouvernement en décide autrement pour des raisons de sécurité d'approvisionnement.
Avec M. Van Rompuy, qui était convaincu de la nécessité de garder le nucléaire, nous avons négocié, dans une première étape, la prolongation de 10 ans des trois centrales les plus âgées. En échange, il a été convenu que nous paierions chaque année au budget de l'État belge une somme comprise entre 215 et 245 millions d'euros.
Aux Pays-Bas, où il n'y a qu'une seule centrale nucléaire, l'allongement a été négocié en échange d'investissements réalisés par l'opérateur, à la place de l'État, dans les énergies renouvelables et les infrastructures.
En Allemagne, à l'époque où Mme Merkel envisageait de prolonger des centrales - depuis, elle a décidé de les fermer -, elle avait négocié un allongement d'une durée moyenne d'environ douze ans, en échange duquel les opérateurs nucléaires allemands étaient invités à contribuer au budget fédéral pour 2,3 milliards d'euros.
Je le répète : il n'est pas question de prendre en compte les coûts de prolongation des centrales.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si vous le permettez, monsieur le président-directeur général, je souhaite vous poser une question. Vous avez été très clair, mais je veux être certain d'avoir bien compris.
Vous considérez donc que, dans le prix de revient de 28 euros par mégawattheure pour la Belgique, vous intégrez les coûts de démantèlement et de traitement des déchets ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Oui, monsieur le rapporteur.
Pour ce qui est des coûts de mise à niveau post-Fukushima, il sera normal de les intégrer lorsqu'ils devront être supportés, mais pas avant.
S'agissant, enfin, des coûts de renouvellement, si jamais on devait fermer des centrales anciennes pour en construire de nouvelles, il faudrait les prendre en compte dans le paquet global au moment où les investissements seraient réalisés. Mais, de toute façon, seule la centrale de Flamanville est aujourd'hui en cours de construction. Cette question est donc marginale.
Cette approche avait conduit la commission Champsaur, le régulateur et la Cour des Comptes à retenir, pour le prix de l'ARENH, une fourchette de 32 à 33 euros par mégawattheure - à comparer au prix actuel de 42 euros par mégawattheure.
La troisième sous-question de M. le rapporteur porte sur la notion de rente, qui nous semble assez discutable s'agissant d'activités industrielles. Vous la définissez comme l'écart entre le coût de production et le prix de vente, ce qui correspond en fait à une marge. Le terme de rente est un peu particulier.
En tout cas, on peut dire qu'il n'existe pas vraiment de rente nucléaire, ou que cette rente est relativement faible, pour la part de la production vendue au niveau des tarifs réglementés. La rente est redistribuée aux consommateurs d'électricité via ces tarifs, qui correspondent à un coût sous-jacent du nucléaire compris entre 32 et 34 euros par mégawattheure.
En revanche, on peut dire qu'une rente existe pour les mégawatts vendus au prix de l'ARENH, c'est-à-dire à 42 euros par mégawattheure. En effet, entre un prix de vente de 42 euros et un prix de revient de 32 ou 33 euros, il y a 9 ou 10 euros de marge - de rente, selon votre définition - qui ne bénéficient pas aux consommateurs, mais à l'opérateur.
Si le prix de l'ARENH était porté à 50 euros par mégawattheure et les tarifs réglementés alignés sur cette valeur conformément à la loi NOME, un transfert supplémentaire, représentant des montants considérables, serait opéré des consommateurs vers l'opérateur.
Je tiens à souligner que la rente nucléaire française ne bénéficie en aucun cas aux opérateurs alternatifs. Du reste, c'est parfaitement normal. Nous n'avons jamais réclamé qu'il en aille autrement ni eu l'intention de piller qui que ce soit.
Nous connaissons le prix de revient du nucléaire, non seulement parce que nous sommes coactionnaires du nucléaire français, mais aussi parce que nous avons, en Belgique, des centrales identiques aux centrales françaises.
À l'époque, nous demandions que le prix de l'ARENH soit fixé à 35 euros par mégawattheure parce que c'est le niveau du prix de l'électricité dans le tarif bleu. Nous considérions qu'EDF réalisant de très grosses marges en vendant de l'électricité aux Français à 35 euros par mégawattheure - il suffit de voir le niveau de ses bénéfices dans ses comptes -, le fait de vendre aux fournisseurs alternatifs à un prix identique ne lui ferait pas perdre un euro.
Comme nous aurions pu proposer à nos clients des tarifs de l'ordre de 35 euros par mégawattheure, la différence ne se serait pas vraiment faite sur ce plan, tout le monde proposant des prix assez voisins. Mais le consommateur aurait eu un vrai choix, la différence se faisant sur la qualité des services, des prestations et le dynamisme commercial.
Nous n'avons pas été suivis. Mais il n'était pas question pour nous de capter une quelconque rente nucléaire d'EDF. Nous demandions simplement qu'EDF nous vende de l'électricité au prix pratiqué dans les tarifs réglementés aux particuliers.
Je m'excuse d'avoir été un peu long dans ma réponse à cette première série de questions. Je serai beaucoup plus bref pour répondre aux questions suivantes.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous vous en serons reconnaissants car, de cette façon, mes collègues pourront vous poser quelques questions complémentaires.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - La deuxième série de questions de M. le rapporteur concerne les déclarations de M. Philippe de Ladoucette à propos d'une augmentation de 30 % du tarif régulé de l'électricité.
Ces déclarations portaient sur les trois volets du prix de l'électricité : la CSPE, le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, lié aux infrastructures, et l'ARENH.
S'agissant de la CSPE et du TURPE, pour lesquels il y aura en effet des augmentations, nous n'avons aucune raison de remettre en cause les chiffres de la CRE.
En revanche, nous sommes évidemment hostiles à une augmentation du prix de l'ARENH. Au contraire, nous suggérons que les prix de l'électricité pourraient diminuer si le niveau de l'ARENH était baissé en deçà de 42 euros par mégawattheure.
La sous-question suivante de M. le rapporteur porte sur la capacité de la France à conserver des prix de l'électricité compétitifs.
La réponse dépendra de sa capacité à maîtriser les coûts de l'électricité, à réduire la part du chauffage électrique dans la consommation - car cette part, lorsqu'elle est élevée, entraîne des besoins de couverture de pointe qui sont extrêmement coûteux - et à développer le mix électrique qui lui convient le mieux.
Elle dépendra aussi des choix politiques qui seront faits. À qui doit bénéficier l'avantage du parc nucléaire déjà amorti ? Aux ménages, aux industriels électro-intensifs, à EDF, au financement des énergies renouvelables ? Ces choix politiques, qui ne nous appartiennent pas, peuvent influer sur la compétitivité de notre économie.
Troisièmement, vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur, si un groupe énergétique comme GDF Suez pouvait dresser un tableau réaliste des coûts de production de l'électricité dans les différentes filières et quel serait le mix électrique compétitif de demain.
GDF Suez n'est ni un gazier ni un électricien, mais un apporteur de solutions énergétiques qui dispose, dans sa panoplie, de l'ensemble des énergies.
Je vous rappelle que notre chiffre d'affaires global, de 90 milliards d'euros, comprend de l'électricité pour un tiers, du gaz naturel pour un autre tiers et des services pour le dernier tiers, lui-même composé de deux parties égales : les services d'efficacité énergétique et les services à l'environnement.
Les services à l'environnement sont assurés par Suez Environnement, que vous connaissez bien, c'est-à-dire notamment la Lyonnaise des Eaux, SITA et Degrémont.
En plus de vendre les commodités - l'électricité et le gaz -, GDF Suez est le plus important fournisseur de services d'efficacité énergétique en Europe. Ces services forment une branche complète qui réalise un chiffre d'affaires de 14 milliards d'euros et emploie 77 000 salariés.
Pour ce qui concerne l'électricité, nous sommes partisans d'un mix comprenant du nucléaire, de l'hydraulique, des turbines à gaz et beaucoup d'énergies renouvelables.
À propos de ces dernières, je rappelle que nous sommes le premier producteur d'électricité d'origine éolienne en France, en Italie et en Belgique, ainsi que le deuxième en Allemagne. En France, de surcroît, nous sommes deux fois plus gros que le numéro 2.
Nous disposons d'une large panoplie. En outre, depuis la fusion avec Gaz de France, nous avons augmenté nos capacités de production en France de 2 000 mégawatts, ce qui correspond à deux tranches nucléaires. Nous l'avons fait pour moitié dans l'éolien et pour moitié dans les turbines à gaz.
Le nucléaire amorti coûte 32 ou 33 euros par mégawattheure, selon le rapport de la Cour des comptes et la commission Champsaur. En Belgique, comme je le disais tout à l'heure, ce coût est un peu moindre.
Pour une centrale à gaz à cycle combiné, les coûts complets de l'électricité sont aujourd'hui compris entre 75 et 80 euros par mégawattheure.
S'agissant des énergies renouvelables, l'hydraulique est compétitif - extraordinairement compétitif, même, lorsqu'il est complètement amorti. En effet, sa durée de vie étant séculaire, les investissements peuvent être amortis sur une très longue période. À mes yeux, en outre, l'hydraulique est la plus belle source de production d'électricité. L'hydroélectrique, pour nous, c'est de l'or... Non pas en termes d'argent, mais parce que l'hydroélectricité est très belle !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Pouvez-vous nous indiquer ce que sont les coûts de production dans l'éolien ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Pour l'éolien terrestre, le coût direct est à peu près de 80 euros par mégawattheure. Il baisse un peu, mais moins vite que pour le solaire. Selon nous, il faudrait ajouter à ce chiffre entre 5 et 15 euros de coûts indirects, c'est-à-dire de coûts de réseau.
En effet, lorsqu'il y a beaucoup de vent, une production très forte peut survenir d'un seul coup et de manière très localisée. C'est pourquoi il est nécessaire de renforcer les réseaux à mesure que l'on développe l'énergie éolienne. Ce renforcement représente un coût de 5 à 15 euros par mégawattheure, qu'il convient d'ajouter au coût direct de 80 euros par mégawattheure.
Le coût des énergies renouvelables baisse plus ou moins rapidement depuis plusieurs années déjà, le prix du solaire diminuant beaucoup plus vite grâce aux nouveaux équipements et cellules photovoltaïques. Il s'agit là de domaines extrêmement concurrentiels, d'ailleurs dominés dans la période la plus récente par les Chinois, et dans lesquels les baisses de coûts ont été considérables.
L'éolien est plus cher quand il est offshore que lorsqu'il est terrestre. En outre, le prix de revient de l'éolien offshore en euro par kilowattheure n'est pas le même pour tous les mâts. Selon qu'il est installé dans une zone où il y a beaucoup de vent, par exemple au nord de l'Écosse, ou dans une zone où il y en a peu, comme dans le Calvados, un même mât pourra produire deux fois plus d'électricité.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mais quel est le coût moyen, pour vous, en France ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Et ensuite, quel est le coût moyen au nord de l'Écosse ! (Sourires.)
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Le coût dépasse les 200 euros par mégawattheure en France le long des côtes et il peut tomber à 150 euros dans les régions où il y a plus de vent.
Je le répète, l'éolien offshore est nettement plus cher que l'éolien terrestre, qui n'est pas très éloigné de la rentabilité autonome. Il en était proche, notamment, quand les prix de marché en Europe étaient d'environ 75-80 euros, comme en 2007, puisque, comme je l'ai indiqué, le prix de l'éolien terrestre se situe environ à 80 euros.
Hélas pour les opérateurs, mais heureusement pour les consommateurs, les prix de marché de l'électricité sont aujourd'hui à 55 euros par mégawattheure. Ils sont les mêmes dans ce que l'on appelle la « plaque de cuivre de l'Europe de l'ouest », en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, et ils sont assez stables depuis un an ou deux, c'est-à-dire depuis le début de la crise. L'éolien terrestre, qui se rapprochait de la rentabilité d'équilibre, seuil à partir duquel les subventions auraient pu être supprimées, s'en est donc de nouveau éloigné. Cela signifie que, sans soutien public, il n'a pas de justification économique. Or nous n'anticipons pas une remontée spectaculaire des prix de marché dans les prochaines années.
Pour le nucléaire nouveau, le coût serait de 70 à 90 euros par mégawattheure, mais il n'est pas facile de faire des estimations en la matière, car nous n'avons pas d'expérience : seuls deux réacteurs sont en construction en Europe et nous ne pourrons déterminer le coût de cette énergie que lorsqu'ils seront achevés. Et encore aurons-nous alors une image imparfaite, car nous ne saurons pas ce que donnerait une véritable série, ces deux réacteurs étant des prototypes qui, l'un et l'autre, ont connu les difficultés que vous savez.
M. Jean-Pierre Vial. - Vous n'avez pas évoqué l'énergie solaire !
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Le coût du solaire baisse beaucoup. Il était de 600-700 euros par mégawattheure il y a quelques années et il se rapproche des 200 euros pour les installations les plus récentes. Toutefois, le problème est un peu le même que pour l'éolien : un équipement identique produira bien sûr beaucoup plus d'électricité au Sahara que dans le nord de l'Allemagne. Pourtant, il y a bien plus d'installations solaires dans le nord de l'Allemagne qu'au Sahara.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Et quels sont les coûts de votre énergie hydraulique ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Partout dans le monde, les coûts directs de l'énergie hydraulique sont extrêmement faibles. C'est le niveau de l'investissement qui est très élevé, même si tout dépend de la durée sur laquelle on amortit les installations.
Au Brésil, nous avons réalisé dans nos nouvelles centrales de très gros investissements, comme il n'en existe plus en France aujourd'hui. Nous amortissons les barrages sur trente ou trente-cinq ans, mais une fois l'investissement réalisé, le coût direct n'est que de quelques euros. Il suffit en quelque sorte de regarder l'eau couler.
En revanche, je le répète, l'amortissement de l'investissement est très lourd. Le coût de la construction d'un barrage est du même ordre de grandeur que celui d'une centrale nucléaire. Nous construisons actuellement au Brésil un barrage dont la capacité sera de 3 750 mégawatts, ce qui est considérable, et dont la construction coûtera de l'ordre de 8 milliards de dollars. Son coût est donc un peu supérieur à celui d'un EPR, qui s'élève aujourd'hui à 6 milliards d'euros, mais sa puissance sera 2,5 fois celle d'un tel réacteur. Et l'avantage de l'hydraulique est que, une fois les installations construites, les coûts d'exploitation sont très faibles ; il faut simplement rembourser les emprunts et amortir l'investissement.
J'en viens à la question portant sur le mix électrique. Celui-ci devra être diversifié, c'est notre credo . Il devra aussi être flexible - ce point est très important.
Une telle flexibilité n'est apportée ni par le nucléaire, qui fonctionne en base, ni par le renouvelable, qui est intermittent. Dans notre parc électrique, nous devrons avoir des installations flexibles, c'est-à-dire qui produisent de l'électricité quand on le leur demande.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Donc du gaz ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Des turbines à gaz, absolument. Il s'agit d'un élément de flexibilité qui est partout reconnu.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bien sûr !
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Quatrièmement, vous m'avez demandé quel jugement je portais, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération.
Les mécanismes mis en oeuvre, tels que les tarifs de rachat, les appels d'offres ou le crédit d'impôt, correspondent à des coûts divers pour les consommateurs d'électricité et/ou le contribuable, depuis l'éolien on shore , qui est proche des prix de marché, jusqu'au photovoltaïque intégré au bâti, qui se situe encore aujourd'hui dans le haut de la fourchette.
Le soutien à des technologies de maturités variées, qui représentent des coûts différents pour la collectivité, peut évidemment se justifier selon la diversité des objectifs visés, qu'il s'agisse de politique environnementale, dans une perspective d'abaissement du coût des technologies, ou de politique industrielle. De façon générale, on pourrait sans doute faire un peu plus pour la recherche-développement en France, c'est-à-dire pour l'offre, et un peu moins pour la demande, surtout lorsque les technologies sont loin de la compétitivité.
Nous estimons qu'il est important de mesurer et d'assumer les coûts du soutien aux énergies renouvelables, et cela partout en Europe. Trop souvent, le débat sur le coût des énergies renouvelables vient seulement ex post , par exemple lorsque l'on discute de la CSPE, la contribution au service public de l'électricité. En Allemagne, de même, le coût de l'électricité a été renchéri de façon très considérable chaque année, à cause des gigantesques installations photovoltaïques qui ont été créées.
Toute politique énergétique repose sur un triangle dont les sommets sont l'environnement et le climat, la sécurité de l'approvisionnement et la compétitivité. Or les politiques européennes, et souvent aussi les politiques nationales, ont privilégié le climat et l'environnement, négligé quelque peu la sécurité de l'approvisionnement, notamment en ne prenant pas assez en compte le caractère fortement intermittent des énergies renouvelables, et oublié complètement la compétitivité.
Le problème du coût du système n'a pas véritablement été posé au moment où les orientations en matière d'énergies renouvelables ont été prises. Cela ne signifie pas forcément que l'on aurait pris des décisions différentes, mais il aurait fallu les assumer complètement, alors que l'on n'a même pas envisagé leurs conséquences.
Cinquièmement, vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur, quelle était la manière correcte de fixer les prix de l'électricité et s'il fallait s'en remettre entièrement au marché.
Selon nous, la fixation des prix de l'électricité doit respecter un principe, à savoir faire en sorte que les consommateurs paient le juste prix.
« Juste » signifie, je le dis d'emblée, qu'il faut distinguer les ménages en situation de précarité énergétique et les autres et consolider les dispositifs en faveur des premiers. C'est ce que nous avons proposé au Gouvernement pour ce qui concernait le gaz, et c'est d'ailleurs ce qui a été fait, mais pas tout à fait comme nous l'avions suggéré.
« Juste » signifie aussi qu'il faut assumer une politique de vérité des coûts, qu'il s'agisse du gaz - en acceptant de payer le prix de la sécurité d'approvisionnement, c'est-à-dire les contrats à long terme, qui aujourd'hui sont indexés sur le pétrole, et nous n'y pouvons rien - ou de l'électricité, avec des tarifs reflétant les coûts réels d'approvisionnement, y compris ceux du nucléaire amorti.
La méthode pour y parvenir relève, là encore, du choix politique.
Le marché est une possibilité, dès lors que l'on parvient à intégrer dans les prix la valeur de la sécurité énergétique et de la prévention du changement climatique, donc les émissions de CO 2 .
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Le tarif est une autre possibilité, sans constituer une nécessité, sauf dans le cas des tarifs sociaux.
La loi NOME, si elle n'est pas parfaite - je me suis exprimé sur ce point -, permet, à condition qu'elle soit correctement appliquée, de concilier deux grands objectifs : d'une part, laisser l'avantage nucléaire au consommateur, ce qui implique de ne pas fixer le prix de l'électricité à 42 euros, et, d'autre part, ouvrir la concurrence aval au bénéfice du consommateur, comme nous le proposions avec notre chiffre de 35 euros, qui ne pénalisait en rien EDF, qui ne transférait pas de marge aux opérateurs alternatifs et qui offrait au consommateur un choix dont celui-ci ne dispose pas aujourd'hui.
Sixièmement, et enfin, vous m'avez interrogé sur l'obligation faite aux électriciens d'acquérir à titre onéreux l'ensemble de leurs quotas d'émission de gaz à effet de serre à compter de 2013.
Nous considérons que cette mesure n'emportera pas de véritables conséquences sur les marchés de gros, qui intègrent déjà le coût d'opportunité du CO 2 , même si celui-ci est très faible aujourd'hui, ce qui signifie que le signal-prix est très réduit.
Sur le marché français, qui est fortement connecté avec ses voisins, on peut déjà observer que le coût du CO 2 est pris en compte dans le prix du mégawattheure. Pour donner un ordre de grandeur du contenu en CO 2 de la production électrique de la centrale marginale sur ce marché, à raison de 500 kilogrammes de CO 2 par mégawattheure et de 10 euros la tonne de CO 2 , ce coût est d'environ 5 euros par mégawattheure. Telle est, grosso modo , la part du CO 2 dans le prix de marché.
Ce sera également vrai pour les clients qui bénéficient de l'ARENH, puisque leurs factures dépendent de ce dernier et du prix de gros.
En revanche, pour les autres clients, ce n'est pas le prix de gros qui sera déterminant, mais le niveau des tarifs réglementés. En toute rigueur, celui-ci devrait donc inclure le coût des quotas de CO 2 , qui seront payants à partir de 2013, au moins pour la part fossile de la production française. Cette dernière étant essentiellement nucléaire et hydroélectrique, elle est très faiblement émettrice en CO 2 .
En Belgique, la question se pose dans des termes différents, dès lors qu'il n'y a pas de tarifs réglementés, mais des prix réputés libres. Cela ne veut pas dire pour autant que les pouvoirs publics se désintéressent du sujet, loin s'en faut. En tout cas, le régulateur, lui, n'y est pas indifférent.
Pour les prix de gros, nous n'anticipons pas un impact très considérable du changement du régime relatif au CO 2 , mais il serait logique d'intégrer proportionnellement cette mesure dans les tarifs réglementés.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pour la prise en compte du coût du CO 2 , vous avez évoqué le chiffre de 5 euros par mégawatt.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Tout à fait.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est considérable !
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Oui, mais ce coût est déjà implicitement intégré aujourd'hui.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Entendu.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Dans les 55 euros du prix de marché de gros, on peut estimer que 5 euros environ correspondent au coût du CO 2 .
M. Jean Desessard, rapporteur . - Merci.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Mestrallet, je souhaiterais obtenir une précision sur votre réponse à la quatrième question de notre rapporteur, qui portait sur les prix de rachat de l'électricité à partir des énergies renouvelables. Vous êtes présents dans l'éolien dans plusieurs pays : en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et sur le continent américain, me semble-t-il.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Oui, aux États-Unis, au Canada, au Panama, au Brésil, au Chili, au Pérou.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Quelles sont les conditions de rachat ? Où gagnez-vous de l'argent et où en perdez-vous ? En effet, nous souhaiterions avoir des éléments de comparaison entre la France et les autres pays.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Nous essayons de gagner de l'argent partout ! (Sourires.)
Dans certains pays, nous avons parfois le sentiment que la décision de consacrer autant d'incitations et de subventions aux énergies renouvelables est discutable, dans l'intérêt même de la collectivité, mais il s'agit d'un choix politique, que nous respectons évidemment.
Pour notre part, nous investissons en faisant des choix rationnels. Pour tout investissement dans l'éolien, nous réalisons des calculs extrêmement simples, qui intègrent, d'une part, le coût d'investissement et, de l'autre, la production d'électricité dépendant du régime des vents. En France, c'est très facile à calculer : c'est un prix de rachat de l'électricité, ce que l'on appelle un feed-in tariff . Toute l'électricité produite est rachetée à un certain prix. Il ne faut donc se tromper ni sur le coût de l'investissement ni sur le régime des vents, ...
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est un calcul d'amortissement.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - ... mais en principe tout est connu à l'avance, et le taux de rentabilité que nous obtenons est le même partout.
Le plus souvent, des appels d'offres sont proposés, et nous soumettons ensuite nos projets. Les gouvernements sélectionnent les meilleurs candidats, et nous avons un taux interne de rentabilité, qui est le coût du capital augmenté de 2 %. Nous soumettons alors un prix de vente.
M. Ladislas Poniatowski , président . - En somme, vous gagnez de l'argent en fonction de l'offre que vous avez faite.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Voilà.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Comme pour chaque audition passionnante, nous aurions plusieurs dizaines de questions à poser... S'agissant du prix de marché européen de 55 euros, est-il déterminé par le mégawatt charbon, ou par un mix entre le nucléaire, le gaz et charbon ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Le gaz et le charbon entrent aussi en considération. Le prix dépend logiquement du temps, car ce sont les centrales marginales qui le déterminent. Et ces 55 euros valent évidemment pour une bande, sachant que les prix de l'électricité sont extrêmement volatils ; comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, ils peuvent s'élever jusqu'à 2 000 euros ou plus.
En effet, nous ne savons pas stocker l'électricité en grosse quantité. La question du stockage de l'énergie est, à mon avis, un problème central.
M. Ronan Dantec . - Tel était le sens de ma question sur le coût. Dans tous les chiffres que vous donnez, nous voyons se dessiner une espèce de convergence des coûts entre 60 et 80 euros pour le nucléaire de nouvelle génération, le combiné gaz et l'éolien. Toutes ces énergies se situent à peu près dans les mêmes gammes de prix aujourd'hui.
Or vous êtes un opérateur européen. La stratégie d'interconnexion qui est portée par la Commission européenne devrait, sinon sécuriser la distribution et éviter les black-out , du moins permettre une fluidité plus forte de l'électricité. Cela aura un impact sur les prix et les stratégies des opérateurs, qui pourront raisonner encore davantage à l'échelle européenne. Dans ce cadre, la question de la puissance crête installée en Europe, tous types de production confondus, sera, à mon avis, de plus en plus stratégique.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Absolument.
M. Ronan Dantec . - On parle souvent de consommation et trop peu de capacité de puissance crête.
Selon vous, la question du stockage ne sera-t-elle pas essentielle demain, par exemple grâce aux techniques dites de « méthanation », c'est-à-dire à la production de méthane à partir d'hydrogène et de gaz carbonique ?
Comme par ailleurs vous êtes présent dans le gaz, vous pourriez faire, d'une part, du grand éolien et, d'autre part, sur les surplus dégagés, puisque nous raisonnerions en puissance crête, du combiné gaz, ce qui créerait une synergie sur votre offre. Vous êtes un opérateur européen particulièrement bien placé pour mener une telle stratégie.
Cette perspective a-t-elle du sens à moyen terme ? Les investissements en recherche et développement correspondent-ils à l'enjeu ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur.
Tout d'abord, à l'échelle européenne, une meilleure interconnexion permettra d'élargir la base sur laquelle les capacités de réserve doivent être calculées. Si l'Europe était une simple juxtaposition de pays, sans interconnexion, la somme des capacités de réserve à mettre en jeu serait évidemment beaucoup plus importante. Plus nous parvenons à interconnecter nos réseaux, plus la solidarité est possible et plus on peut utiliser dans un pays qui en a besoin les capacités de réserve non utilisées d'un autre pays. Naturellement, cette évolution participera, dans une proportion qui n'est sans doute pas facile à déterminer, de la baisse collective du coût par la diminution de la capacité crête nécessaire.
Ensuite, il est vrai que la grande particularité du marché de l'électricité est qu'il est très difficile de stocker celle-ci en grosse quantité.
Aujourd'hui, nous ignorons comment stocker l'énergie sous forme d'électricité. Nous savons transformer en électricité l'eau stockée dans les barrages, mais nous ne parvenons pas à faire le chemin inverse, sauf dans les stations de pompage, en remontant le niveau de l'eau, par exemple pendant la nuit, dans un réservoir. Il existe très peu de stations de pompage : en France, sur une production de 100 000 mégawatts, celles-ci concernent peut-être seulement 3 000 ou 4 000 mégawatts. De même, nous produisons de cette façon 1 000 mégawatts en Belgique, 1 000 aux États-Unis et 2 000 mégawatts au Royaume-Uni, où nous possédons la plus grosse station de pompage d'Europe.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Avec une seule centrale hydraulique ? Où est-elle située ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Cette centrale se trouve dans le pays de Galles, et elle est la plus importante de ce type en Europe. Elle appartenait à International Power, une entreprise britannique implantée surtout dans les pays émergents, mais présente aussi au Royaume-Uni. Quand nous nous sommes rapprochés de ce groupe, nous avons trouvé cette très belle station de pompage dans la corbeille.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cela faisait partie du lot de la mariée !
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Aujourd'hui, il est très difficile de construire de nouvelles stations de pompage. Il existe un projet en France, dans la vallée de la Dordogne, qui fera partie du paquet des concessions hydroélectriques le jour où celles-ci seront mises en concurrence.
Une autre façon de stocker l'énergie est d'utiliser le gaz. Ce dernier peut être transformé en électricité dans des centrales à cycle combiné, comme il en existe six ou sept en France. GDF Suez dispose du plus important parc de centrales à cycle combiné au monde, soit 280 installations.
Ces centrales sont extrêmement flexibles. Toutefois, comme vous le signaliez, monsieur le sénateur, nous ne savons pas parcourir le chemin inverse aujourd'hui, c'est-à-dire que nous ne parvenons pas à transformer l'électricité dont nous disposons en gaz. Certes, nous y arrivons en laboratoire, où il est possible de produire du méthane grâce à la double synthèse, c'est-à-dire à partir de CO 2 et d'eau. Peut-être y parviendrons-nous un jour sur une base industrielle, ce qui offrirait au système énergétique une flexibilité tout à fait extraordinaire. En tout cas, nous suivons bien sûr ces travaux très attentivement, car maîtriser une telle technique, pour nous qui sommes à la fois électriciens et gaziers, ce serait le rêve !
Je soulignais tout à l'heure que nous pourrions faire un effort de recherche et développement plus important en ce qui concerne les énergies nouvelles. Ici, il s'agit non pas tout à fait d'une énergie nouvelle, mais en tout cas d'une nouvelle forme de production d'électricité. Si la France pouvait réaliser des progrès dans ce domaine, elle disposerait d'un avantage compétitif important.
M. Ronan Dantec . - Avez-vous engagé Suez dans cette direction ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Au sein de GDF Suez, le CRIGEN, le Centre de recherche et innovation gaz et énergies nouvelles, s'en occupe. Il ne s'agit pas de recherches très lourdes à ce stade, mais évidemment ces questions nous intéressent.
Je voudrais signaler à la commission d'enquête une particularité du prix de l'électricité. J'indiquais tout à l'heure que, en cas de tensions très fortes, quand toutes les capacités sont saturées, ce prix pouvait s'envoler, passant de 55 euros à 1 000 euros ou à 2 000 euros ; nous avons même atteint les 3 000 euros sur le marché français, malgré le nucléaire.
Toutefois, à l'inverse, le prix de l'électricité peut être négatif. En effet, lorsque les centrales nucléaires tournent, qu'il y a beaucoup de vent et que la somme de cette production est supérieure à la consommation instantanée, il y a trop d'électricité. Comme nous ne pouvons arrêter ni les centrales nucléaires ni les éoliennes, même si certaines de ces dernières peuvent désormais être débranchées, l'électricité est proposée alors à un prix négatif. De là l'intérêt des systèmes de stockage ou des stations de pompage.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Où va cette électricité qui est en surproduction, comme les fruits des agriculteurs à certains moments de l'année ?
Mme Laurence Rossignol . - Mystères de la technique !
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Il faut que cette électricité soit consommée de toute façon. À tout moment, la production et la consommation doivent s'équilibrer. Comme on ne peut pas arrêter la production, on paye une entreprise pour qu'elle la consomme.
M. Ronan Dantec . - Cela arrive souvent ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Non, c'est assez rare. En revanche, en Espagne et en Allemagne du nord, où il y a beaucoup d'éoliennes, cela arrive plus fréquemment. La part de l'éolien en France est faible : il représente 6 000 mégawatts.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Si nous raisonnons à l'échelle européenne, comme la capacité de production éolienne augmente de façon significative d'année en année, la surproduction que vous évoquez va logiquement s'accroître elle aussi. Dès lors, est-ce que des capacités de stockage ne trouveraient pas leur équilibre économique dans les trois, quatre ou cinq prochaines années ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Il faut parier ici sur la volatilité du marché, qui doit permettre de stocker l'électricité quand elle est trop abondante, donc achetée peu cher, et de la revendre pour écrêter les pointes, lorsque son prix est élevé. Il s'agit de calculs assez complexes, mais je pense que tous les dispositifs de stockage de l'énergie doivent être étudiés.
Du reste, nous travaillons aussi sur le stockage de l'énergie sous forme d'air comprimé. On remplit des cavités souterraines de gaz et on les comprime avec de l'air mû par des pompes, donc en utilisant de l'électricité. Quand on veut utiliser cette énergie retenue, au moment des pointes de consommation, on rouvre la cavité et on fait tourner une turbine qui produit de l'électricité.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor . - Vous avez évoqué la question du stockage, et je partage tout à fait votre sentiment. Il s'agit d'un chantier considérable, qui doit nous permettre de valoriser toutes les capacités de production d'énergie dont nous disposons.
Vous avez cité l'Espagne et son usage des énergies renouvelables et de l'éolien. Dans ce pays, plusieurs sites tournent en permanence, à pleine puissance et avec un stockage de l'énergie excédentaire sous forme d'hydrogène. Est-ce que vous travaillez sur cette voie, et qu'en pensez-vous ?
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - L'hydrogène est au coeur du processus de la double synthèse, qui vise à produire du méthane. Il y a là un continuum de recherches. Le schéma est le même et les deux domaines doivent être explorés simultanément, car ils sont également prometteurs.
M. Jean-Marc Pastor . - Et ils présentent des coûts qui restent intéressants. Peut-être la commission d'enquête pourrait-elle auditionner des acteurs qui sont concernés directement par cette technique ? À Toulouse ou à Huesca - ce n'est pas si loin -, de telles opérations sont menées depuis vingt ans maintenant.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Mestrallet, vous avez évoqué les services d'efficacité énergétique, en soulignant qu'ils représentaient pour GDF Suez un chiffre d'affaires de 14 milliards d'euros. Du coup, j'ai une question peut-être anecdotique : quand vous vendez l'électricité à 2 000 euros en période de pointe, utilisez-vous les services de traders qui, en fonction de la météorologie et de la demande d'énergie, déterminent le prix de vente ? Et fixent-ils ce dernier à la journée, à l'heure, à la minute ?...
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Le prix est fixé pour des périodes extrêmement courtes, c'est-à-dire quelques minutes, parfois quelques secondes. Nous disposons d'une plate-forme d'interface avec le marché, animée par des traders - en effet, il existe aujourd'hui des bourses de l'électricité, une en France, à Paris, une en Belgique, une en Allemagne, une aux Pays-Bas - et d'une équipe de gestion de l'énergie, Energy management. Celle-ci, que nous avons choisi d'organiser à l'échelle européenne au début de cette année - une décision maintenant effective -, donne des ordres à toutes nos centrales sur le continent en fonction du marché.
Les centrales nucléaires tournent en base et les énergies renouvelables produisent une électricité qui est dite « fatale ». En revanche, les nombreuses centrales à gaz, les centrales à charbon et les centrales hydrauliques peuvent couvrir les besoins de pointe. Elles sont appelées, par ordre de mérite, par l'équipe d'Energy management, tandis que l'équipe de trading fait l'interface avec le marché.
Nous fournissons bien entendu d'abord nos clients contractuels - c'est la règle -, puis nous vendons l'énergie excédentaire sur le marché. La particularité de la France, c'est que les pointes de consommation y sont liées aux vagues de froid, en raison de la place importante qu'occupe le chauffage électrique.
Le grand intérêt de la production hydroélectrique, c'est qu'elle peut être mise en oeuvre quand toutes les autres capacités sont saturées et qu'il y a encore, malgré tout, une demande. Nos équipes s'efforcent alors d'écrêter cette pointe et de faire en sorte que tous les consommateurs aient de l'électricité.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Mestrallet, merci beaucoup. Peut-être notre rapporteur sera-t-il amené, dans le cadre des travaux qu'il va suivre pendant trois mois, à vous interroger de nouveau, notamment par écrit. Ne soyez pas surpris si tel est le cas.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - Je me tiens naturellement à votre disposition et lui répondrai bien volontiers.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie d'avoir répondu aux questions qui vous avaient été adressées et à celles que nous vous avons posées aujourd'hui.
M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez . - C'est moi qui vous remercie, monsieur le président.
Audition de M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques
( 7 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Radanne, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la commission.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions, je voudrais vous rappeler l'historique de la constitution de la présente commission d'enquête.
Chaque groupe politique du Sénat a droit à la création d'une commission d'enquête ou mission d'information par année parlementaire, sur un sujet qui préoccupe ses membres. Le groupe écologiste a utilisé ce droit afin de se pencher sur le coût de l'électricité dans notre pays.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, monsieur Radanne, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
( M. Pierre Radanne prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Radanne, je vous rappelle les cinq questions que je vous ai adressées.
Tout d'abord, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité ?
Ensuite, à vos yeux, quel est le coût de chaque filière de production d'électricité ? D'un strict point de vue économique, le nucléaire est-il un mode de production durablement compétitif ?
Vous plaidez pour un développement massif des énergies renouvelables. Pouvez-vous chiffrer l'effort nécessaire en matière de production d'électricité ? Comment se traduirait-il dans le prix de l'électricité, à savoir du point de vue des coûts de production et de réseau ainsi que de la taxation ?
La sécurité de la fourniture d'électricité aux consommateurs sera-t-elle assurée sans un développement massif et coûteux des centrales à gaz ? Un tel scénario de développement des énergies renouvelables vous semble-t-il acceptable par les Français, souvent défiants à l'égard de l'éolien ?
Dans quelle mesure la montée en puissance des énergies renouvelables a-t-elle un impact sur les investissements effectués pour rénover et adapter notre réseau d'acheminement d'électricité ?
Par ailleurs, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération ?
Enfin, de manière concrète, à consommation électrique égale, une sortie du nucléaire peut-elle être réalisée sans un renchérissement du coût de l'électricité et une augmentation importante des émissions françaises de gaz à effet de serre ? Plus concrètement, que pensez-vous des différentes évaluations qui ont été réalisées sur le coût de la sortie du nucléaire en Allemagne ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Pierre Radanne.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Monsieur le rapporteur, la réponse à la deuxième question que vous m'avez posée éclairant toute la discussion, je vais vous la fournir en premier.
Une grande confusion existe dans le débat aujourd'hui entre coût et surcoût. Pour ma part, vous vous en doutez, je suis hostile à toute destruction de capital. Autrement dit, les ouvrages existants ne doivent pas être remplacés avant la fin normale de leur vie. Notre pays ne dispose pas d'une richesse telle qu'il puisse se permettre de mettre au rebut des installations avant l'arrivée à terme de leur fonctionnement normal.
À cet instant de la discussion, il est essentiel de revenir sur le contexte actuel, notamment après l'accident de Fukushima.
Le secteur de l'énergie obéit à des cycles de grande amplitude.
Un premier cycle a été enclenché après la Seconde Guerre mondiale, en raison de la destruction de l'ensemble du système énergétique européen. L'Europe a alors restructuré ce dernier : des monopoles publics ont été instaurés pour effectuer des investissements massifs dans le domaine de la reconstruction.
Un deuxième cycle a commencé en 1973 avec le choc pétrolier dû non pas à une rupture d'approvisionnement ou à une pénurie de ressources, mais à notre dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient, qui, à l'époque, s'était embrasé. En effet, il a été confronté à la guerre du Kippour et à la guerre entre l'Iran et l'Irak. De ce fait, le prix du pétrole a été multiplié par dix.
Tous les pays qui ont eu les moyens de recourir au nucléaire l'ont fait. Il est important de noter que les installations nucléaires de tous les pays ont le même âge. Tous les réacteurs ont été construits entre 1973 et 1990, sauf ceux des pays émergents - la Chine et l'Inde -, qui sont plus récents.
Depuis 1990, aucun investissement de production n'a été réalisé, car la plaque européenne se trouvait en surcapacité. Ainsi, depuis cette même année, le coût du kilowattheure en France a chuté de 40 %, en raison de l'absence d'investissements massifs.
Comment se classent les différents moyens de production ?
Le coût de l'énergie nucléaire est lié à celui d'opérations complexes telles que le démantèlement et le stockage des déchets et à des éléments de risque. Le prix du kilowattheure de l'électricité produite à partir de combustibles fossiles est forcément dépendant de l'évolution à court et surtout à moyen terme de celui du pétrole et du gaz. Je n'évoque pas le charbon sur lequel ne pèse pas la même incertitude. Quant aux énergies renouvelables, leur coût est prévisible et n'est pas indexé sur la colère du monde. Il est lié aux coûts de production et aucune dépendance extérieure ne l'influe.
Il est essentiel de bien situer les incertitudes. Pour ce qui concerne les combustibles fossiles, aujourd'hui, l'électricité n'est quasiment plus produite à partir du pétrole dans les pays industrialisés. Quant au gaz, il attire toutes les convoitises. Cette énergie est utilisée en priorité pour le chauffage et en tout point du monde pour produire de la vapeur industrielle. Elle est également de plus en plus utilisée pour la production d'électricité, notamment pour celle qui est destinée à être stockée afin de faire face aux pointes de consommation. Elle l'est d'ailleurs à tel point que, aujourd'hui, la production d'un kilowattheure électrique consomme pratiquement plus de gaz qu'un chauffage à gaz.
À long terme, une incertitude très forte concerne l'évolution du prix du gaz, indépendamment de la quantité de ressource disponible. En effet, d'importantes tensions peuvent peser sur l'approvisionnement gazier parce que cette énergie, qui, du point de vue logistique, est la plus difficile à transporter, est très sollicitée.
J'en viens à la question portant sur le nucléaire.
J'ai fait partie du groupe d'experts de la Cour des comptes qui a enquêté pendant six mois sur les coûts de cette filière. Il a reconstitué le prix du kilowattheure nucléaire à partir des coûts historiques, sachant que le coût de construction du parc nucléaire français s'est élevé à 73 milliards d'euros. Mais quid des coûts futurs ? La Cour, bien que n'ayant jamais dû procéder à de la prospection sur des coûts futurs tout au long de son histoire, a essayé de se prononcer sur ce point.
Je dois vous avouer que je ne connais pas le prix du kilowattheure nucléaire - d'ailleurs, personne ne le connaît - pour une raison très simple : il ne sera connu qu'aux environs de 2080, quand l'ensemble du cycle sera achevé, notamment lorsque les opérations de démantèlement auront été effectuées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez avoir conscience de l'importance de l'incertitude qui caractérise toute expression honnête sur cette question.
L'estimation du coût du démantèlement relevée par la Cour des comptes, à la suite d'une enquête internationale, varie de 1 à 3.
Pour ce qui concerne le stockage des déchets nucléaires, la représentation nationale a voté la loi de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs et a prévu la réversibilité de la gestion des déchets. Mais dans les calculs effectués par les différents opérateurs, au premier rang desquels l'État, le coût des déchets nucléaires n'est pris en considération que sur une période de cent ans.
Par ailleurs, la Cour des comptes s'est interrogée sur le taux d'actualisation. Autrement dit, quelle préférence est accordée aux investissements futurs ?
Historiquement, au moment de l'engagement du programme nucléaire, le taux d'actualisation était de 8 %. L'OCDE a toujours visé les 5 %. Actuellement, EDF et les opérateurs retiennent ce dernier taux. Pour ma part, j'ai plaidé pour une fourchette comprise entre 1,5 % et 2 %, me fondant sur un raisonnement qui a fait l'objet de plusieurs thèses. En effet, la ressource financière prélevée sur les générations futures ne doit pas être supérieure à la croissance économique, sauf à les appauvrir. Un choix politique peut néanmoins être fait en ce sens.
Quoi qu'il en soit, un taux d'actualisation compris entre 1,5 % et 2 % par an, correspondant au taux de la croissance actuellement envisagé, assurerait une neutralité, si la France n'enregistre pas une hausse importante de sa population active. Tous les experts s'accordant aujourd'hui à reconnaître que les gains de productivité sont de l'ordre de 1,5 % par an, la fourchette que je conseille de retenir est sincère et prudente.
La prise en compte de ces différents éléments relatifs au démantèlement et au taux d'actualisation change considérablement le prix du kilowattheure. La Cour des comptes, faute de temps, n'a pas pu réintégrer le coût lié à la recherche, soit 38 milliards d'euros depuis 1945, ni celui de Superphénix de 24 milliards d'euros. Elle a établi le coût du mégawattheure à 50 euros. Ce chiffrage n'est guère différent de celui de la commission Champsaur qui était de 42 euros.
Il ne faut pas non plus oublier le coût des assurances. En dehors de la convention de Paris, aujourd'hui, aucun accord international ne vise l'assurance du nucléaire. Sachez que le coût d'assurance du parc des 58 réacteurs nucléaires français s'élève à 91 millions d'euros par an seulement. En réalité, ce chiffre représente un millième du coût de construction et ne prend pas en compte les dégâts extérieurs dus à des accidents.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé si les tarifs de l'électricité reflétaient fidèlement le coût de l'électricité. Vous le savez, depuis plusieurs années, EDF et la Commission de régulation de l'électricité - la CRE - envisagent une augmentation de 30 %. Cette hausse sera probablement supérieure, ne serait-ce que parce que les coûts de l'électricité ont diminué de 40 % depuis 1990. Forcément, on va revenir à des coûts compatibles avec ceux qui avaient cours au moment de la construction du programme nucléaire.
Je veux maintenant aborder les difficultés qu'a fait surgir l'accident qui s'est produit à Fukushima.
La volonté d'EDF est de faire passer la durée de fonctionnement des réacteurs de 40 à 60 ans, sachant que le réacteur de Fessenheim, le plus ancien, aura 40 ans en 2017, soit demain. Par la suite, sur une quinzaine d'années, l'ensemble des réacteurs atteindront cet âge.
Vous le constatez, les temps d'investissement dans ce secteur d'industrie sont extrêmement longs. Les chiffrages effectués par EDF relatifs au montant des investissements nécessaires pour prolonger la durée de vie des réacteurs s'établissent à 50,4 milliards d'euros, somme qui doit être comparée au coût initial de construction de 73 milliards d'euros. Par conséquent, 50,4 milliards d'euros seront investis pour prolonger de 20 ans le fonctionnement des réacteurs, alors que 73 milliards d'euros ont permis de faire tourner ceux-ci pendant 40 ans. C'est en quelque sorte le coût de la jouvence des réacteurs. Je vous précise, mesdames, messieurs les sénateurs, que tous les chiffres que je vous cite sont en euros 2010.
Vous le savez, une incertitude pèse sur les cuves. En effet, il n'est pas possible de changer la cuve d'un réacteur compte tenu du bombardement neutronique que ce dernier a subi. Or nous ne connaissons pas la durée de vie d'une cuve. C'est l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, qui décidera, à la suite d'enquêtes décennales notamment, si la cuve de tel réacteur est encore fonctionnelle ou s'il faut envisager l'arrêt du réacteur en raison de la fragilité de sa cuve.
Tel était le contexte avant l'accident de Fukushima. Mais cette catastrophe a fait apparaître un élément que personne n'avait prévu, à savoir la survenue possible d'un désordre dû non pas au réacteur, mais à une cause extérieure. En l'occurrence, il s'agissait d'un tremblement de terre associé à un tsunami.
Il résulte de la réflexion menée par l'Autorité de sûreté nucléaire que les sites ont été très mal conçus. Les piscines de stockage ont été installées à côté des réacteurs. Par conséquent, si un problème survient au niveau de la piscine, la gestion du réacteur sera difficile. Il n'existe pas de PC de crise. En cas d'interruption de l'approvisionnement en eau, aucune réserve n'est prévue. En cas d'arrêt de fourniture d'électricité, les groupes électrogènes sont sans protection.
Certes, en France, le risque de voir surgir un tsunami est pratiquement nul, mais un avion peut s'écraser sur la piscine d'un réacteur qui se trouve dans un baraquement en tôle et qui contient deux fois plus de radioactivité en son sein que le coeur. Un acte de terrorisme peut être commis ou un feu industriel de proximité peut survenir. Différents risques doivent donc être envisagés.
L'Autorité de sûreté nucléaire a remis un rapport au début du mois de janvier, mais ce document ne comporte aucun chiffre. L'Autorité demande aux opérateurs de chiffrer le coût de la mise à niveau, tout en prenant en considération les enseignements qui ont pu être tirés de l'accident de Fukushima.
Pour sa part, EDF a annoncé un surcoût de 10 milliards d'euros qui ne prévoit pas le confinement des piscines de stockage. La négociation entre l'ASN et EDF va se poursuivre. Par conséquent, je ne connais pas le montant des investissements supplémentaires qui devront être faits. Si le chiffre de 10 milliards d'euros est maintenu, il s'ajoutera aux 50,4 milliards d'euros que j'ai cités tout à l'heure.
Par ailleurs, je rappelle que, en France, tous les réacteurs ont été construits en même temps et avec les mêmes matériaux. Donc si l'ASN constate, à un moment quelconque, une défaillance sur la cuve d'un réacteur, la difficulté sera alors de nature générique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, eu égard à mon expérience industrielle, je peux vous dire qu'aucun industriel au monde, dans quelque secteur que ce soit, n'aurait commis la faute d'avoir des usines ayant toutes le même âge. Je crains non pas le nucléaire en tant que tel, mais le nucléaire du quatrième âge, c'est-à-dire la fin de vie des réacteurs alors qu'il n'existe pas de protection.
Comme les réacteurs ont été commandés par paquets - à la fin des années soixante-dix, six commandes de réacteurs ont été passées - et que, aujourd'hui, personne n'envisage de construire des équipements nucléaires ou autres à une telle cadence, il va falloir lisser les réinvestissements. Par conséquent, que l'on sorte du nucléaire ou pas, il va falloir commencer rapidement ces réinvestissements, afin de retrouver une pyramide des âges normale des équipements de production électrique. À l'heure actuelle, comment imaginer que l'entreprise Renault n'ait que de vieilles usines ?
Vous le constatez, monsieur le rapporteur, le coût réel de l'électricité doit prendre en considération l'engagement de trois dépenses simultanées : une dépense liée à la prolongation de vie des réacteurs, si cette option est retenue, une dépense relative à la protection au regard de l'accident survenu à Fukushima et une dépense liée aux investissements consacrés à la reconstruction du parc. N'oubliez pas non plus un point déterminant : la réalisation d'économies d'électricité.
Vous avez évoqué la vague de froid et le marché spot.
Au moment de la vague de froid qu'a subie notre pays, j'ai contacté Réseau de transport d'électricité, RTE, pour connaître la part de la France dans la pointe de consommation d'électricité de l'Europe des Vingt-Huit. Cette quotité correspond à la moitié. En Allemagne, pays qui a 12 millions d'habitants de plus que la France et dont la capacité industrielle est supérieure, la pointe s'élève à 50 gigawatts. Or celle de la France s'établit à 101,7 gigawatts.
Dans les dix dernières années, la pointe électrique française a augmenté de 25 %, alors que la hausse de la consommation d'électricité a été inférieure à 10 %. Ce fait est dû au recours au chauffage électrique qui place la France dans une situation de grande fragilité. Heureusement que le reste de l'Europe n'a pas fait le même choix...
Un problème se pose : alors qu'entre 1990 et le milieu des années 2000 l'Europe se trouvait dans une situation de surcapacité électrique, tel n'est plus le cas aujourd'hui. Cet hiver, on a pu le constater, la conjoncture était tangente.
Je ne peux que constater l'urgence de réaliser des économies d'électricité. La réponse majeure au problème électrique est non pas le développement des énergies renouvelables, mais la réalisation d'économies, qu'elles résultent de l'isolation du bâti, de la rénovation de l'éclairage ou de la qualité des équipements électroménagers. Je tiens à vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que le secteur résidentiel tertiaire utilise les deux tiers de l'électricité consommée en France.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le secteur résidentiel tertiaire, est-ce le logement particulier ?
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Il s'agit de l'ensemble du logement, soit l'habitat en général et le secteur du tertiaire constitué par les bureaux, les commerces, les hôpitaux, etc.
J'en viens à votre troisième question. Il s'agit d'une question de temps, de rythme plutôt que d'une question d'argent. Le problème auquel nous sommes confrontés est que - je vais le dire d'une façon un peu dramatique, car j'ai le sentiment que la gravité de l'époque n'est pas comprise - nous devons faire, dans les prochaines années, des choix qui détermineront notre secteur énergétique pour le demi-siècle à venir.
Nous sommes au carrefour de plusieurs crises.
Tout d'abord, notre parc électrique - c'est le sujet qui nous occupe aujourd'hui - est vieillissant et sera bientôt en danger.
Par ailleurs, l'augmentation des prix du pétrole est extrêmement préoccupante. Le ralentissement de la croissance dans les pays industrialisés n'a pas fait baisser ces prix, contrairement à ce qui s'était passé en 2008. Nous sommes installés dans une situation de tension qui fait grimper les prix.
Il faut également mentionner l'horreur que constitue le changement climatique, sujet que j'étudie avec beaucoup d'attention. Nous sommes face à un compte à rebours totalement terrifiant : il faudrait une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Compte tenu du temps de séjour - environ 120 ans - du gaz carbonique dans l'atmosphère, l'inertie est considérable, de sorte que, si nous dérapons, nous ne pourrons pas redresser la trajectoire.
Enfin, la demande mondiale d'énergie - pas seulement celle des pays émergents - augmente très fortement. Nous sommes donc dans une situation de très grande tension.
Il faut construire aujourd'hui une nouvelle politique énergétique, en commençant par les économies d'énergie, notamment dans le domaine de l'électricité, pour desserrer les contraintes, et en s'engageant dans le développement des énergies renouvelables. Cela nécessitera un remaillage du réseau électrique, qui peut être effectué de manière régulière.
Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est de programmation, c'est d'une loi de planification. Quand, à la fin de l'année 1997, j'ai été nommé à la présidence de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, le budget prévu pour les questions de maîtrise de l'énergie et de développement des énergies renouvelables en 1998 était égal à zéro...
Les investissements réalisés par la France en matière d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables ne sont pas ridicules, mais notre pays a fait du stop and go en permanence. Or si les coups d'accélérateur sont suivis d'un abandon des filières mettant en danger les entreprises, on aboutit à une déstructuration des secteurs concernés. Plus que l'instauration de mécanismes de taxation ou d'autres dispositifs, le point essentiel est la prévisibilité pour l'ensemble des acteurs et le développement industriel des filières sur la longue durée.
Nous allons revoir l'ensemble du secteur énergétique pour le demi-siècle à venir. Le secteur énergétique inclut également le secteur des transports, puisque ce dernier est dépendant du pétrole à 98 %.
Il importe de lancer le plus vite possible, après l'élection présidentielle, un véritable débat énergétique dans le pays. Je peux comprendre que certains de nos concitoyens se méfient de l'énergie éolienne, mais cela signifie qu'ils ne saisissent pas les enjeux énergétiques pour notre pays dans cette séquence historique. Il faut emporter l'adhésion de nos concitoyens par une comparaison sincère et sérieuse des risques.
Lors de son audition, M. Mestrallet a évoqué la question de la méthanation. Je pense que celle-ci constitue une vraie percée technologique. Dans la mesure où le gaz, à la différence de l'électricité, peut être stocké, nous avons là l'élément de flexibilité que nous cherchions depuis des décennies à travers des mécanismes complexes. Nous sommes aujourd'hui capables d'obtenir cette flexibilité grâce aux technologies que nous avons sur l'étagère. La résolution du problème me semble donc à portée de main.
J'en viens à votre quatrième question. Lorsque j'étais président de l'ADEME, j'étais totalement hostile aux tarifs de rachat de l'électricité produite à partir de l'énergie photovoltaïque décidés à cette époque. Je suis bien entendu favorable à la fixation de tarifs de rachat, mais, lorsqu'un dispositif fiscal est conçu de telle sorte que, s'il atteint son but, il fait sauter la banque, c'est un mauvais dispositif ; quand le succès conduit à l'échec, cela signifie que le dispositif a été mal réglé. Or on savait déjà, il y a dix ans, que des tarifs trop élevés casseraient la filière, et c'est bien ce qui s'est passé.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il fallait faire des réglages.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - On pouvait faire des réglages subtils. Par exemple, l'électricité est encore produite avec du pétrole dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer, ainsi qu'en Corse, soit pour deux millions d'habitants ; dans ces zones où la pointe de consommation d'électricité est liée à la climatisation, il fallait fixer un tarif de rachat élevé. Il y avait des niches à travailler, et les conditions de développement de la filière étaient gérables. Mais il ne fallait pas pousser à la transformation de terres agricoles en fermes photovoltaïques ; ce n'est pas une idée sérieuse.
Je reprends un argument que j'ai déjà avancé : la faiblesse française, c'est malheureusement l'absence de constance des politiques, alors même que ces sujets sont stratégiques, et le seront encore davantage à l'avenir.
S'agissant de la sortie du nucléaire, je ressens une souffrance : je suis profondément choqué et bouleversé par le manque de sérieux et de professionnalisme dont il a été fait état depuis un an.
Les services publics, les différents ministères n'ont pas réalisé de comparaison sérieuse des options. Nous avons été abreuvés de scénarios souvent non chiffrés - en tout cas du point de vue financier, ce qui, par les temps qui courent, constitue tout de même un léger défaut - par les différents opérateurs : l'Union française de l'électricité ou Réseau de transport d'électricité, par exemple. L'État a publié le rapport « Énergie 2050 », mais ce dernier repose uniquement sur des consultations d'experts, sans calcul de quelque nature que ce soit. L'association négaWatt a présenté un scénario, mais sans chiffrage ni comparaison avec les autres scénarios. Enfin, un certain nombre d'acteurs ont lancé des chiffres dans les médias - vous avez cité les chiffres allemands, mais des chiffres français aussi peu sérieux ont été avancés.
La sortie du nucléaire ne constitue pas un surcoût. Si on suit mon raisonnement initial, cette sortie ne revient pas à détruire du capital mais à remplacer des ouvrages en fin de vie. Dès lors, qu'on reste dans le nucléaire ou qu'on en sorte, il faut investir.
Des calculs ont déjà été effectués. De mon côté, j'ai repris ce travail de façon sérieuse, car j'estime qu'on ne peut pas s'en tenir à la situation actuelle. J'ai constitué une équipe de cinq personnes qui travaillent sur le sujet, afin d'établir des scénarios impartiaux d'ici à la fin de l'été.
Le travail est énorme. Il s'agit de comparer tous les scénarios - pronucléaires, avec peu de nucléaire, avec beaucoup d'énergies renouvelables, avec beaucoup d'économies d'électricité, etc. - dans les mêmes conditions. Tant que cet exercice n'aura pas été fait, le débat reposera sur du vent...
Les investissements que la France devra réaliser seront de l'ordre de 500 milliards d'euros. Toutefois, je le répète, cette somme ne constitue pas un surcoût, puisqu'elle correspond au remplacement d'équipements en fin de vie tant du côté de l'offre - de la production d'énergie - que du côté de la demande. Il faudra renouveler des équipements de chauffage, des véhicules, des infrastructures de transport. Quels choix ferons-nous pour chacun de ces secteurs ?
Lorsque j'aurai achevé mon étude, je la ferai expertiser par des pairs issus de différents pays, car nous devons sortir du jeu malsain dans lequel nous sommes aujourd'hui.
D'après les études déjà réalisées, les coûts ne diffèrent pas significativement selon qu'on remplace les réacteurs en fin de vie par de nouveaux réacteurs ou par d'autres moyens de production. En revanche, un facteur joue considérablement : le niveau d'économies d'énergie. En clair, plus on intègre d'économies d'énergie dans un scénario, meilleur il est, quel que soit le mode de production choisi.
Mme Laurence Rossignol . - Quand la fin de vie d'un réacteur intervient-elle ?
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Pour moi, un réacteur est en fin de vie après quarante ans d'activité, parce qu'une prolongation de quarante à soixante ans coûte extrêmement cher, d'autant que les investissements à effectuer sont plus importants depuis la catastrophe de Fukushima - tous les coûts supplémentaires ne sont pas encore connus. Prolonger la durée de vie des réacteurs impliquerait donc tellement de dépenses simultanées que je ne vois pas comment le pays pourrait les financer.
Plus vite nous ferons des économies d'électricité, plus nos marges de manoeuvre seront grandes. Malheureusement, la pyramide des âges du parc de production électrique - ce n'est pas le cas des autres installations - est tellement déséquilibrée que nous devons commencer assez rapidement à faire des investissements de renouvellement. Il faut en effet lisser ces investissements sur une longue période, afin qu'ils soient supportables.
J'ai vu des chiffres concernant l'Allemagne : ils n'ont aucun sens. Le coût de construction d'un EPR, tel qu'expertisé par la Cour des comptes après consultation d'EDF et d'Areva, est de 3 000 euros le kilowatt, soit le double du coût des anciennes centrales ; cet écart s'explique par la sophistication des nouveaux réacteurs. Admettons que l'Allemagne doive changer de mode de production pour 10 000 mégawatts : les ordres de grandeur ne sont pas du tout les mêmes. Ces chiffres n'ont donc aucun sens.
Si je devais émettre un seul souhait concernant la représentation nationale, ce serait qu'elle prenne conscience que, au moment où nous nous préparons à renouveler l'ensemble de notre secteur énergétique, notamment électrique, mais aussi une grande partie du secteur des transports, et à réhabiliter nos logements, ne serait-ce que pour respecter nos engagements en matière climatique, il est tout à fait choquant qu'aucun exercice sérieux de prospective n'ait été engagé. Les sommes en jeu sont pourtant astronomiques.
Il faut optimiser la dépense publique en établissant des scénarios contradictoires et un calendrier lissé de mise en oeuvre des investissements, afin que le coût de ces derniers soit supportable pour nos concitoyens.
Je voudrais terminer par une remarque. En 2011, notre pays a enregistré une dépense de 70,4 milliards d'euros : c'est l'argent que nous avons jeté par la fenêtre pour acheter du pétrole, du gaz, de l'uranium et du charbon. Cette somme est équivalente à notre déficit commercial. Le rêve que je forme pour mon pays, c'est que, à l'avenir, nous utilisions l'essentiel de ces 70,4 milliards d'euros en France, pour réhabiliter nos logements et développer les transports collectifs et les énergies renouvelables présentes sur notre territoire.
Je me situe totalement à rebours du discours dominant : j'estime que la prise en charge de la question énergétique constitue l'un des meilleurs scénarios de sortie de crise, puisque nous pourrions mettre fin à une hémorragie de 70,4 milliards d'euros par an.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie, monsieur Radanne.
Avant de vous donner la parole, mes chers collègues, je tiens à rappeler, dans la mesure où je crains que cette intervention très macroéconomique, voire même géopolitique, ne nous incite à des réflexions d'ensemble, que tel n'est pas notre rôle : nous sommes là pour demander des précisions et poser des questions complémentaires à M. Radanne.
M. Ronan Dantec . - Je partage complètement votre opinion, monsieur le président. Il s'agit bien d'une commission d'enquête sur le coût de l'électricité.
Je m'interroge sur les scénarios auxquels vous travaillez, monsieur Radanne, et qui devraient être publiés en septembre. Au-delà de votre analyse macroéconomique, avec laquelle je suis d'accord, je voudrais savoir d'où proviennent les données que vous utilisez et à quelles méthodologies vous avez recours : comment a-t-on accès aux données et comment construit-on des scénarios de manière crédible ?
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Il y a une erreur dans la manière d'aborder le problème. La question n'est pas le coût du kilowattheure mais le montant de la facture.
M. Ronan Dantec . - Je suis tout à fait d'accord.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Chaque ménage consomme une quantité d'énergie donnée à un prix unitaire donné. La question importante n'est pas le coût du kilowattheure mais le montant de la facture payée. Or celle-ci dépend du volume d'énergie consommé.
Pour un certain nombre d'énergies, comme le pétrole et le gaz, nous n'avons aucune influence sur la fixation du prix unitaire ; en revanche, nous pouvons agir sur le volume. On ne peut pas construire de scénario ni indiquer de prix du kilowattheure indépendamment des actions conduites pour contrôler la demande d'énergie. Ce sujet a été abordé lors de l'audition de M. Mestrallet. Si on laisse filer la pointe de consommation électrique, on augmente considérablement le coût du kilowattheure.
Je ne comprends pas très bien la partie technique de la question.
M. Ronan Dantec . - Ma question était beaucoup plus simple : est-ce que l'ensemble des données sont disponibles, de sorte que votre travail est de faire une synthèse - un travail de bénédictin, certes, mais qui comporte peu d'inconnues -, ou est-ce qu'il existe des « boîtes noires », des éléments dont l'obtention nécessiterait un travail bien plus approfondi ?
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Il n'y a pas de « boîtes noires » : toutes les données relatives aux coûts sont accessibles. En revanche, la combinatoire, le choix des paramètres, cela constitue un travail extrêmement lourd : j'ai prévu 1 000 hommes-jours.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Deux pays - le Japon et l'Allemagne - sont sortis du nucléaire, le premier pour des raisons accidentelles, le second par choix.
Au Japon, seuls deux réacteurs fonctionnent encore. En 2011, la facture de pétrole a augmenté de 77 %, et la facture de gaz d'un peu moins de 30 %.
Outre-Rhin, en revanche, la sortie du nucléaire n'a pas coûté grand-chose. En effet, les Allemands ont utilisé au maximum leurs centrales fonctionnant non pas au charbon, malheureusement, mais au lignite. C'est donc une autre facture qui augmente : les émissions de CO 2 explosent.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - C'est la raison pour laquelle j'ai abordé la question du temps.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Absolument !
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Ce qui coûte cher, ce n'est pas le virage mais la précipitation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Tout à fait ! Vous aviez d'ailleurs raison de dire que votre conclusion - votre souhait que nos 70,4 milliards d'euros par an d'achat d'énergie soient redéployés - était une image, car il est évident que cela ne peut pas se faire comme ça : il faut du temps.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - On ne peut certes pas tout redéployer, mais on peut tout de même en redéployer une partie.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Bien entendu !
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Notez que le Japon, qui possède cent trente volcans, avait oublié de développer la géothermie... ( Rires .) Sa politique énergétique contredisait les caractéristiques de son territoire. Le Japon est en train de réapprendre à connaître ce dernier. Il va effectuer la transition du nucléaire aux énergies renouvelables par le biais de la géothermie.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Les Japonais ne vous écoutent pas beaucoup s'agissant des économies d'énergie. Quelques bâtiments publics diminuent effectivement leur consommation, de manière symbolique, mais certains de nos collègues sénateurs, qui sont allés au Japon dans le cadre d'une autre mission, ont été stupéfaits de constater que Tokyo by night était toujours aussi éclairée. Les Japonais consomment de l'énergie à tour de bras ! Les ministères de l'industrie et des finances ont certes diminué leur consommation d'électricité, au point que leurs couloirs sont un peu sombres, mais on se demande si, dans leur vie quotidienne, les Japonais ont vraiment tiré la leçon de ce qui s'est passé.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - L'industrie japonaise est, avec l'industrie allemande, la plus performante du monde en termes d'économies d'énergie. Le secteur des transports japonais est dominé par les transports collectifs. Enfin, le Japon est le pays dont l'intensité énergétique par unité de PIB est la plus faible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser d'autres questions ?...
Je vous remercie, monsieur Radanne. Votre analyse, notamment dans sa dimension macroéconomique, était particulièrement intéressante pour les généralistes que nous sommes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie moi aussi de votre intervention, monsieur Radanne. Si vous êtes d'accord, je vous recontacterai pour vous poser quelques questions complémentaires.
M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques . - Ce fut un honneur d'être auditionné par votre commission.
Audition de M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)
(13 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le président du directoire de Réseau de transport d'électricité, RTE, je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui, même si toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée.
Comme vous le savez, chaque formation politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage annuel ». Le groupe écologiste a utilisé ce droit pour créer une commission d'enquête sur un sujet d'actualité, à savoir le coût réel de l'électricité.
En tant que président du directoire de RTE, vous êtes directement concerné par les problèmes de coût de l'électricité. Vous avez d'ailleurs été touché très directement, il y a quelques semaines à peine, par l'actualité, lors de la pointe de consommation des 7 et 8 février derniers.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour les questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête :
Monsieur Maillard, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Dominique Maillard prête serment.)
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Maillard, nous avons six questions à vous poser, qui vous ont été transmises.
Première question, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien en ligne avec les investissements sur le réseau de transport d'électricité ?
Deuxième question, quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et de leurs conséquences sur le TURPE ? Les chiffres seraient-ils très différents en fonction des choix de la France en matière de production ?
Troisième question, quels investissements sont possibles et souhaitables en matière d'interconnexion ? Un fort développement des interconnexions serait-il compatible avec le maintien d'un marché français et de prix français spécifiques de l'électricité ?
Quatrième question, quel commentaire faites-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France et sur sa « pointe », particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Sur quels leviers préconisez-vous d'agir afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ?
Cinquième question, quel est le coût des pertes d'électricité en ligne lors des phases de transport et de distribution ? Y a-t-il des moyens de le réduire ? À cet égard, le projet parfois évoqué de centrales photovoltaïques géantes au Sahara vous paraît-il réaliste en termes de coût d'acheminement ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Dominique Maillard.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai aux questions dans l'ordre où elles m'ont été posées, en faisant une légère exception pour le sujet d'actualité, c'est-à-dire la pointe de consommation du mois de février dernier. L'existence de telles pointes est l'une des justifications des investissements que nous aurons à faire.
En guise d'introduction, je vous présenterai brièvement Réseau de transport d'électricité, RTE.
RTE a été constitué il y a une dizaine d'années, dans la foulée des directives européennes sur l'ouverture des marchés et la disparition des monopoles. RTE est un monopole « naturel » au sens où même les économistes les plus libéraux n'envisagent pas la duplication d'un réseau de transport d'électricité, aussi bien pour des raisons économiques que pour des raisons environnementales. Pour autant, ce monopole est régulé : RTE a l'obligation de fournir des prestations non discriminées à l'ensemble des opérateurs du marché, y compris l'opérateur historique, qui est aujourd'hui notre actionnaire à 100 %.
Il a beaucoup été discuté au niveau européen des différents modèles possibles. La France, avec quelques autres pays, a adopté le modèle ITO, Independent Transmission Operator - en français : « opérateur de transport indépendant ». Ce modèle reconnaît que RTE est une filiale à 100 % de l'opérateur historique, mais fixe un ensemble de conditions que nous devons remplir pour attester de notre indépendance à son égard : on ne doit pas pouvoir nous soupçonner de le favoriser, soit dans notre politique d'investissements, soit dans notre comportement au jour le jour.
RTE doit respecter un certain nombre de règles et un code de bonne conduite, avec un contrôleur général de la conformité - un déontologue - à demeure.
Nos investissements - c'est un point très important qui rejoint l'une des questions posées - ne sont pas fixés par l'actionnaire, ce qui est exorbitant du droit commun, mais sont approuvés par le régulateur, que vous avez déjà entendu. Idem pour les tarifs, mais c'est parce que nous sommes un monopole.
RTE, ce sont 8 500 personnes et 100 000 kilomètres de lignes de 63 000 à 400 000 volts. La frontière entre le transport et la distribution ne résulte pas des lois particulières de l'électrotechnique ; elle est fixée de la sorte en France depuis 1946 : au sein d'EDF, ces deux activités étaient distinguées. La différence a sans nul doute son importance pour les élus locaux que vous êtes, puisque la distribution est assurée sous un régime de concession - l'autorité concédante étant la commune ou un regroupement de communes -, alors que le transport relevait naguère d'un régime de concession d'État. Aujourd'hui, RTE est propriétaire de son réseau, mais doit respecter un cahier des charges qui est un peu l'équivalent d'une concession passée avec l'État.
Sur ces 100 000 kilomètres de réseau, 25 000 kilomètres sont à 400 000 volts - ce sont les autoroutes de l'électricité, la grande colonne vertébrale du réseau -, 25 000 kilomètres sont à 225 000 volts - soit le niveau de tension immédiatement inférieur - et 50 000 kilomètres constituent le réseau de répartition, qui est plutôt un réseau régional à 90 000 volts et à 63 000 volts.
Sur le plan technique, ces réseaux à différents niveaux de tension ont la caractéristique d'être maillés. Cela signifie qu'il existe plusieurs chemins électriques entre deux points, ce qui permet de garantir la continuité de l'alimentation, par exemple lors des interventions d'entretien, en cas d'incidents ou à l'occasion d'événements météorologiques. Cependant, cette continuité d'alimentation ne peut pas être garantie si une tempête, comme nous en avons connu, met par terre plusieurs éléments du réseau.
Si le réseau de transport est maillé, ce n'est pas le cas du réseau de distribution, du moins pas dans toutes ses composantes, notamment en ce qui concerne l'alimentation des habitations, généralement desservies par une seule ligne.
Notre philosophie est donc celle du réseau maillé, de la redondance, c'est-à-dire que nous calculons le réseau selon une logique du « n-1 » au « n-2 » : nous devons être capables de nous passer d'un élément, d'une tranche, d'un poste, d'une grande ligne, voire plus, et si nous perdons un des chemins, nous devons avoir la possibilité d'en emprunter au moins un autre.
Nos investissements annuels s'élèvent à 1,2 milliard d'euros et notre chiffre d'affaires à 4 milliards d'euros. Nous investissons donc à peu près le tiers de notre chiffre d'affaires.
Nos recettes proviennent pour 90 % des tarifs de péage fixés par le régulateur. Ces tarifs ne sont pas négociables. Nous avons l'interdiction de pratiquer des ristournes commerciales au bénéfice de nos plus gros clients. Nous appliquons, bien sûr, strictement cette règle. Les 10 % restants proviennent de la gestion des interconnexions avec les pays voisins.
RTE est responsable du développement de ces interconnexions et de leur exploitation. Ces interconnexions sont gérées commercialement par un régime d'enchères. En effet, elles ne sont pas suffisantes pour satisfaire potentiellement toute la demande : on met donc aux enchères les capacités. Le système est néanmoins vertueux puisque la propension à payer pour le passage d'une frontière est au plus égale au différentiel de prix existant entre les deux côtés de la frontière : si en France le prix du mégawattheure est de 50 euros et si le coût de production en Allemagne est de 40 euros, les producteurs allemands auront envie de vendre en France, mais ils n'accepteront évidemment pas de payer plus de 10 euros pour le passage de la frontière. S'ils payent 5 euros, ils sont contents, s'ils payent 2 euros, ils sont encore plus contents, etc.
Dans ce système d'enchères, instauré par les directives européennes, les exploitants des réseaux des deux côtés de la frontière se partagent les recettes, quel que soit le sens de circulation de l'électricité. Mais ces recettes sont difficilement prévisibles, dans la mesure où elles résultent à la fois du volume des échanges et des différentiels de prix, qui eux-mêmes ne sont pas prédictibles : ils peuvent dépendre de conditions locales instantanées de température, de météo, de disponibilité des moyens de production, etc. Ces recettes s'élèvent à près de 300 millions d'euros, soit, je le répète, 10 % de nos recettes.
Telle est l'économie générale de RTE.
Quelle est maintenant notre mission ? Elle est non seulement de développer et d'entretenir le réseau, mais aussi d'assurer l'équilibre entre l'offre et la demande, bien que RTE ne soit ni producteur ni consommateur. En effet, l'électricité ne se stocke pas, c'est une vérité électrotechnique. Il faut donc assurer de manière instantanée l'équilibre entre l'offre et la demande.
Comment assurer cet équilibre, sachant qu'il y a des aléas aussi bien du côté de l'offre que du côté de la demande ?
Chaque fournisseur sur le marché est tenu de donner au réseau autant d'énergie que ses clients sont censés en consommer ; j'ai bien dit « sont censés en consommer », puisque la consommation n'est jamais prévisible avec une certitude absolue. Les fournisseurs satisfont à cette exigence soit avec leurs propres moyens de production, soit grâce à des contrats passés avec d'autres producteurs ou en achetant de l'électricité à l'étranger. Ils fournissent donc a priori à RTE autant d'énergie que ses clients en consomment. En réalité, il existe toujours un écart, par exemple parce que la température est inférieure de 1°C ou de 2°C à la prévision, parce que la nébulosité n'est pas celle qui était attendue, parce qu'une usine s'arrête, etc.
Il faut donc compenser cet écart. C'est à RTE qu'incombe cette responsabilité. Nous le faisons à partir des moyens que nous pouvons mobiliser, la loi faisant obligation aux producteurs de nous déclarer toutes leurs capacités disponibles. Malgré tout, ils sont libres de leurs prix. C'est une façon de concilier libéralisme et dirigisme : le dirigisme tient à l'obligation de déclarer les capacités, le libéralisme à la libre détermination du prix. Un producteur qui n'aura pas envie d'être sollicité proposera un prix élevé, mais un producteur dont l'installation ne fonctionnera qu'à 80 % de ses capacités aura tendance à vouloir la faire fonctionner à 100 %, puisque le coût marginal est faible, et donc à proposer un prix attractif.
RTE peut également recourir à des effacements, c'est-à-dire procéder à une diminution de la consommation. De gros consommateurs industriels peuvent accepter - mais cela a un coût - d'arrêter leur production ou de démarrer des moyens de production autonome. Il existe aussi maintenant des agrégateurs d'effacement, c'est-à-dire des opérateurs qui fédèrent des effacements, y compris de consommateurs domestiques, dont la somme est significative pour RTE, notamment pour les moyens de pointe, sujet que j'aborderai dans quelques instants.
Cet ajustement, soit par des productions supplémentaires, soit par des effacements, est réalisé par RTE de manière instantanée.
Néanmoins, nous ne sommes que des greffiers : nous mobilisons les moyens, puis nous reconstituons en essayant de rendre à César ce qui lui appartient : si on a dû mobiliser des moyens, c'est que certains fournisseurs n'ont pas apporté assez d'énergie au réseau par rapport à la demande de leurs clients, et inversement. Nous réconcilions ces écarts - c'est le mécanisme d'ajustement - en faisant payer l'énergie que nous avons dû acheter à ceux qui n'en ont pas produit assez et en rémunérant ceux qui ont fourni plus d'énergie que ce qui leur était demandé pour leurs propres clients. Je n'entrerai pas dans le détail, mais il existe un système qui permet d'éviter que certains fournisseurs soient systématiquement trop « longs » ou trop « courts ».
C'est là une de nos missions importantes, celle sur laquelle nous sommes jugés : si nous ne parvenons pas à l'assurer, l'autre façon d'ajuster l'offre à la demande est de réduire celle-ci, non de manière volontaire par un effacement, mais par des délestages. On déleste quand on ne peut plus assurer par des moyens de production les compléments nécessaires ou à défaut d'effacement volontaire. Pour éviter un effondrement ou un déséquilibre important du réseau, on déleste grâce à des automates qui répartissent la consommation : sont bien entendu d'abord effacées les consommations non prioritaires. Ce moyen de dernier recours a été utilisé pour la dernière fois en France en novembre 2006, à la suite d'un incident.
Y a-t-il des périodes plus cruciales que d'autres ? Oui, les périodes de pointe sont celles qui demandent le plus de vigilance. Il ne faudrait pas en tirer la conclusion que ce sont nécessairement les seules périodes dangereuses pour l'équilibre entre l'offre et la demande. D'ailleurs, les grands incidents, en France, en Europe ou dans le monde, ne sont pas forcément survenus en période de pointe. Le 4 novembre 2006, nous n'étions pas en période de pointe : un soir de week-end, quelque part en Allemagne, un de nos collègues a pris une mauvaise décision et interrompu une ligne importante afin de permettre la sortie d'un bateau dont la construction venait d'être achevée dans un chantier naval. Pour éviter la formation d'un arc électrique entre le mât de ce bateau et la ligne, il a coupé la circulation d'électricité non pas à une heure du matin, comme prévu, mais à dix heures du soir, parce que le capitaine du navire, craignant que la mer ne soit pas bonne, a voulu sortir plus tôt. À dix heures du soir, le système électrique n'avait pas la même configuration qu'à une heure du matin. En interrompant cette ligne, notre collègue allemand a provoqué, par un effet de dominos, des surcharges sur d'autres lignes, qui ont les unes après les autres disjonctées. Toute la partie est de l'Europe s'est trouvée coupée de la partie ouest. Manque de chance, à ce moment-là, la partie est était exportatrice d'environ 10 000 mégawatts vers la partie ouest.
Les mécanismes de compensation automatique sur l'ensemble de la plaque continentale tolèrent des variations pouvant aller jusqu'à 3 000 mégawatts, mais aucun moyen ne permet de compenser une variation de 10 000 mégawatts. Les systèmes de délestage ont pris le relais : faute de pouvoir augmenter la production au bon niveau, la consommation a été abaissée pour arriver à l'équilibre et reconstruire le réseau. Il y a donc eu sur l'Europe de l'Ouest un délestage qui a concerné au total environ 15 millions de consommateurs, en France, mais aussi en Belgique, en Espagne et jusqu'au Maroc, pays qui est également interconnecté. Ce délestage a permis de réajuster l'offre et la demande en moins de deux heures. Ensuite, progressivement, des moyens de production supplémentaires, notamment hydrauliques, à démarrage très rapide, ont pu être mis en place pour remonter la production et reconstituer le réseau.
Nous ne sommes pas à l'abri d'incidents de ce type. En l'occurrence, le 4 novembre 2006, il résultait d'une erreur de manipulation ou d'une prise en compte insuffisante des conséquences de la coupure d'une ligne sur les réseaux voisins.
Vous m'avez demandé si le développement de l'interconnexion n'était pas de ce fait risqué. Même si cet incident a bien été l'« exportation » d'un geste professionnel inadapté de l'Allemagne vers les autres pays, ma réponse est catégoriquement non.
Aujourd'hui, et de manière quotidienne, la synchronisation des réseaux permet, à l'insu du consommateur final, de compenser d'éventuelles variations : centrales qui s'arrêtent brutalement de fonctionner, sautes de vent pour la production éolienne, etc. Tous ces incidents sont absorbés par la synchronisation des réseaux : plusieurs fois par jour, des actions de solidarité permettent la continuité de l'alimentation. Il y a eu un seul problème en cinq ans, qui s'est traduit par des délestages, et j'espère même que la probabilité d'un tel événement baissera à l'avenir. En tout cas, la balance est selon moi clairement positive.
Les risques vont-ils s'accroître dans les années à venir ? Oui, parce que les marges dont disposent l'ensemble des opérateurs électriques ont tendance à se réduire. Il est plus difficile de construire de nouvelles installations, quelles qu'elles soient. Il est surtout plus difficile de réaliser de nouvelles lignes électriques. Certes, je prêche pour ma paroisse, mais je n'ai pas honte de le faire.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous êtes en partie là pour ça ! (Sourires.)
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Cet état de fait tient, sans doute, à plusieurs éléments.
Premièrement, on a de plus en plus de mal à convaincre nos concitoyens - mais on n'utilise peut-être pas les bons arguments - de la nécessité de continuer à renforcer et à développer le réseau. Certes, nous menons des actions pour réduire les pointes, ce qui favorise la diffusion de l'idée selon laquelle finalement la consommation d'électricité n'aurait pas vocation à croître indéfiniment ; par conséquent, si le régime était appelé à se stabiliser, il ne serait pas nécessaire de renforcer le réseau.
Or nous n'avons pas encore totalement réussi à freiner la progression de la pointe, du moins en France. Il faut poursuivre les efforts en ce sens mais pour l'heure il y a toujours une progression. De plus, la géographie tant des points de consommation que des points de production de l'énergie électrique est en perpétuelle évolution. En matière de consommation, l'inertie est forte, mais des zones industrielles se développent néanmoins, pas forcément à proximité des anciennes zones industrielles, et notre vocation est bien de les alimenter, où qu'elles soient.
Deuxièmement, il existe des projets ambitieux partout en Europe, notamment pour le développement des ENR, les énergies renouvelables, dont la localisation est liée à la présence de la ressource, qui n'a pas de raison de coïncider avec la localisation historique des moyens de production classiques. C'est vrai pour l'éolien offshore , pour lequel il est nécessaire de développer un réseau de toutes pièces, mais c'est vrai également dans une certaine mesure pour l'éolien classique, qui se met en place sur des sites où il y a de la ressource, où les conditions d'acceptation sont satisfaisantes, mais où le réseau n'est pas nécessairement au niveau voulu. Il faut donc développer le réseau. Ce raisonnement, facilement compris par ceux qui s'intéressent, comme vous, au sujet, n'est pas toujours aisément admis par nos concitoyens.
Par conséquent, nous devons faire preuve d'imagination et trouver des solutions innovantes. Je pense, bien sûr, à la mise en souterrain des ouvrages, qui résout un problème esthétique, mais se traduit aujourd'hui par des surcoûts importants ; j'y reviendrai.
Les périodes de pointe posent également problème en ce que les marges sont alors plus réduites. En France, au mois de février dernier, nous avons dépassé les 100 000 mégawatts. Nous étions aux alentours de 102 000 mégawatts de puissance de pointe. Sa progression a été de 30 % en vingt ans, soit une croissance plus rapide que celle de la consommation moyenne. Pourquoi ? Parce que notre pays a connu un développement important des usages thermiques de l'électricité - du chauffage électrique -, notamment pour la consommation domestique. Cela entraîne une forte sensibilité de la consommation d'électricité à la température. À l'heure actuelle, on considère que cette sensibilité est de 2 300 mégawatts par degré en moins : 10° C de moins que la température normale saisonnière, cela représente 23 000 mégawatts de plus de consommation, avant mesures d'effacement et d'incitation.
D'autres pays ont fait des choix différents. C'est le cas de la plupart de nos voisins. Je pense au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, à l'Allemagne, qui ont plutôt opté pour le chauffage au gaz. Leur consommation de gaz présente une forte sensibilité à la température. Vous vous souvenez peut-être, d'ailleurs, que durant la première quinzaine du mois de février, lors de la vague de froid, Gazprom s'était estimé dans l'incapacité d'assurer la fourniture de gaz à l'Union européenne.
La spécificité française - c'est une question de politique énergétique - a conduit à un fort développement du chauffage électrique, qui nous rend très sensibles aux variations de température. Cela explique sans doute que la progression que j'ai évoquée soit importante, même si d'autres aspects ne sont pas à négliger.
La pointe de consommation intervient avec une quasi-régularité de métronome à 19 heures, car notre société est de plus en plus grégaire ; les gens ont tendance à faire à peu près les mêmes choses en même temps. À 19 heures, les restaurants commencent à ouvrir, même si d'autres commerces ferment, de nombreuses personnes sont dans le métro, certaines se trouvent chez elles, prennent une douche, allument la télévision, rechargent leurs appareils mobiles, etc. Il y a une concentration. Cela signifie qu'en l'espace d'une heure, entre 18 heures 30 et 19 heures 30, la consommation peut varier de 2 000 mégawatts à 3 000 mégawatts, simplement par un effet de concentration des usages.
RTE est donc tenu, en tant que transporteur, de même que l'ensemble des producteurs en tant que fournisseurs d'énergie, de dimensionner ses équipements à ces besoins. Dimensionner les équipements, ce n'est pas seulement disposer de moyens de production ; cela peut être, aussi, disposer d'interconnexions, même si, globalement, le système électrique français est exportateur net. En 2010, nous avons exporté 55 milliards de kilowattheures. La consommation nationale est de l'ordre de 500 milliards de kilowattheures. Nous avons donc exporté 11 % de notre production d'électricité. Certes, nous n'avons pas été toutes les heures ou tous les jours de l'année exportateurs : il y a aussi des jours où nous avons été importateurs, notamment en hiver et durant les périodes de pointe.
Lors de la pointe du 8 février dernier, le volume d'importation atteignait, de mémoire - ce chiffre doit être confirmé -, environ 8 000 mégawatts pour une consommation totale de 102 000 mégawatts, soit à peu près 7 % de la consommation.
Cela ne veut pas nécessairement dire que nous étions en pénurie physique à hauteur de 8 000 mégawatts. Cela signifie qu'au moment de la pointe un certain nombre d'opérateurs ont trouvé à l'étranger des kilowattheures moins chers que ceux qu'ils auraient pu produire ou acheter sur le territoire national, ce qui était assez logique puisqu'il s'agissait d'une période de tension par rapport à la demande : tous les moyens disponibles ont été mis sur le marché, mais à un coût croissant. Il suffisait que nos voisins disposent de moyens de production à coût marginal faible, par exemple à partir d'énergies renouvelables, pour que les opérateurs aient intérêt à acheter de l'électricité à l'étranger plutôt que de la produire en France, pour autant, évidemment, que les capacités d'importation soient suffisantes. À cet égard, nous leur avons indiqué qu'il était possible d'importer en pointe jusqu'à 9 000 mégawatts, 10 000 mégawatts au grand maximum, mais pas au-delà. C'est la contrainte que nous avons posée.
De quels pays avons-nous importé ? De tous les pays voisins, y compris l'Allemagne. Nous avons dû rester exportateurs à la pointe à l'égard de la Suisse et sans doute de l'Italie.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces éléments nous ont été transmis !
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Permettez-moi néanmoins d'insister sur un point : à l'heure actuelle, les échanges en Europe se font sur des bases commerciales.
Bien sûr, il existe des limitations physiques aux capacités d'exportation ou d'importation puisque nous ne nous trouvons pas sur une plaque de cuivre, mais en tout état de cause ces échanges sont fondés sur la disponibilité ou sur les prix relatifs. Quand la demande est forte en France, les prix y sont élevés : il est compréhensible que l'on puisse alors trouver des tarifs plus attractifs à l'étranger.
Vous avez demandé si nous préconisions de limiter l'ampleur du phénomène. La réponse est oui. Pour son confort d'exploitant, il est important que RTE ne se trouve pas dans des situations de tension, notamment en Bretagne et dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, plus particulièrement dans le Var et les Alpes-Maritimes, où l'état de développement du réseau ne permet pas d'assurer, en toutes conditions, un bon approvisionnement.
RTE a donc lancé, avec les partenaires régionaux, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, et nos collègues d'ERDF, Électricité réseau distribution France, les actions « ÉcoWatt Bretagne » ou « ÉcoWatt Provence Azur », qui consistent à adresser aux consommateurs volontaires, en général la veille pour le lendemain, une alerte selon un code de couleurs facile à mémoriser. Ces messages, envoyés par messagerie électronique ou par SMS, les informent de la survenue d'une période de pointe et sont assortis d'un certain nombre de conseils pour limiter la consommation ou la reporter à des heures moins chargées.
Nous devons continuer à oeuvrer en ce sens. En Bretagne, plus de 40 000 personnes ont adhéré à ce système. Il faut ensuite évaluer sa contribution à la réduction de la pointe. On estime qu'elle est sans doute de l'ordre de 1 kilowatt par volontaire : cela correspond à un convecteur laissé éteint dans une pièce inoccupée, à un repassage ou à une lessive différé. Pour 40 000 adhérents, le gain est donc de 40 mégawatts. Ce n'est pas grand-chose, mais dans la mesure où c'est toujours la dernière goutte qui fait déborder le vase, RTE est preneur de ces mobilisations de consommateurs, non rémunérées et fondées sur le volontariat.
Il y a d'autres moyens d'inciter les gens à réduire leur consommation en période de pointe. Je pense aux méthodes tarifaires, mais c'est l'affaire des producteurs ou des fournisseurs, pas la nôtre. Il existe toujours des tarifs « effacement jour de pointe » pour certains producteurs. Je pense également aux économies structurelles, c'est-à-dire à une meilleure isolation des logements, afin qu'ils consomment moins, à la pointe comme durant d'autres périodes.
Il y a enfin - j'en ai parlé tout à l'heure - les effacements commerciaux, réalisés par des opérateurs agrégateurs d'effacements individuels qui proposent à RTE et à des fournisseurs d'énergie des blocs d'effacements obtenus par des systèmes de télécommande ou de radiocommande.
J'ai passé beaucoup de temps sur la quatrième question. Je vais maintenant répondre aux autres questions dans l'ordre où elles m'ont été posées.
Premièrement, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics est-il bien en ligne avec les investissements ?
Nos investissements au cours des cinq dernières années ont doublé en euros courants. Ils sont passés de 770 millions d'euros en 2006 à une prévision de 1,38 milliard d'euros en 2012. Avec l'inflation, cela fait un peu moins en volume. Pourquoi ont-ils doublé ? Parce que nous devons faire face à des besoins supplémentaires en matière de renforcement du réseau, liés à la modification de la géographie des moyens de production. Je reviendrai sur l'estimation relative au renforcement du réseau lié aux objectifs du Grenelle de l'environnement en matière d'éolien.
Deuxièmement, nous devons renforcer les interconnexions. C'est nécessaire, voire indispensable, en termes de sécurité d'alimentation. J'y reviendrai tout à l'heure.
Troisièmement, il faut faire face au renouvellement de nos 100 000 kilomètres de réseau. Nous mettons en service, bon an mal an, moins de 1 000 kilomètres de réseau par an. À ce rythme, le renouvellement prendra un siècle. Nos lignes sont bien construites, robustes, elles sont entretenues, les pylônes sont repeints, mais cent ans, c'est un grand âge ! Le rythme du renouvellement ne pourra donc que s'accentuer. À ce stade, nous ne courons pas de risque, car une grande partie du réseau est encore récente. Le réseau à 400 000 volts a été mis en service dans les années quatre-vingt : il a trente ans, c'est un réseau jeune. Néanmoins, il faudra un jour ou l'autre envisager son renouvellement.
À partir de 2007, période basse, nous avons donc considéré qu'il fallait accroître le rythme d'investissement. Cette donnée, pour répondre à votre question, a été prise en compte dans le TURPE 3. Le « juge de paix », ce sont nos résultats, qui doivent rester positifs. Certes, c'est une façon très grossière d'apprécier les choses, mais si les tarifs n'avaient pas été convenables, nous n'aurions pas eu entre 200 millions et 300 millions d'euros de résultats. De mon point de vue, le calage des tarifs est satisfaisant.
À cet égard, il y a d'autres indicateurs. Notre endettement a repris. Quand RTE a été créé, en 2000, son endettement était de 8 milliards d'euros. Il a diminué en 2006, pour tomber à 6 milliards d'euros. Aujourd'hui, il est de 7 milliards d'euros. Cependant, c'est de la bonne dette, puisqu'elle est destinée non à financer des déficits, mais à soutenir des investissements qui constituent la « base d'actifs régulés » de RTE.
Notre tarif est calculé pour couvrir nos dépenses d'exploitation et rémunère notre capital investi à hauteur de 7,25 %. Par conséquent, nos investissements entrent dans la « base d'actifs régulés » pour laquelle l'autorité de régulation autorise une rémunération des capitaux investis.
S'agissant du TURPE 3, je ne dirai pas que je suis un opérateur heureux. Là aussi, nous avons des discussions avec le régulateur sur un certain nombre de points. Certaines régulations dites « incitatives » ne nous paraissent pas si incitatives que cela, mais j'y reviendrai.
Quelles sont les perspectives en ce qui concerne le TURPE 4, tarif qui devrait prendre effet à compter de juillet 2013 ? Ce tarif fera l'objet d'une proposition de la part du régulateur. Nous sommes en discussion. Je ne saurais préjuger le résultat, mais je puis faire état des demandes formulées par RTE.
Nous considérons qu'il faudra maintenir le rythme d'investissement, voire l'accentuer légèrement, pour renforcer à la fois les interconnexions - je donnerai quelques arguments pour expliquer en quoi cela est nécessaire - et le réseau en vue d'une transition énergétique, quelle qu'elle soit.
Nous pensons qu'il faudra sans doute atteindre en euros courants des niveaux compris entre 1,5 milliard et 1,6 milliard d'euros d'ici à 2015. Nous sommes actuellement à 1,38 milliard d'euros. La tendance est donc plutôt à la hausse.
En termes de tarif, cela devrait se traduire, si l'on veut maintenir les ratios d'endettement et les résultats à des niveaux comparables à ceux d'aujourd'hui, par une progression de 3 %, soit l'inflation plus 1 point dans une hypothèse où l'inflation s'établirait à 2 %.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Alors si l'inflation est de 5 %, ça fera 6 % ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Oui, mais nous avons fondé nos calculs sur une hypothèse de 2 %.
À cela s'ajoute un problème technique de rattrapage. Je n'entrerai pas dans les détails, mais le régulateur prend en compte dans notre tarif actuel un certain nombre de paramètres, tel le coût des pertes. Cela répond à une de vos questions. Nous achetons sur le marché sans savoir à l'avance quel sera ce coût, et le tarif est donc fondé sur des hypothèses. Un mécanisme de correction intervient ensuite en fonction de la réalité économique constatée : si le tarif nous a été trop favorable, nous sommes débiteurs à l'égard du consommateur ; si au contraire le paramètre considéré a été sous-évalué, nous sommes créditeurs. Ce mécanisme, assez simple même s'il paraît de prime abord compliqué, permet de corriger dans la limite de plus ou moins 2 % les écarts entre les paramètres théoriques et les paramètres réalisés.
Au cours de la période tarifaire précédente, qui s'est terminée en 2007, on a cumulé les écarts pendant trois ans. Les paramètres nous ayant été trop favorables, nous avions accumulé un excédent de recettes de 800 millions d'euros. Le régulateur nous a demandé, à juste titre, de les restituer au consommateur, ce que nous faisons à raison de 200 millions d'euros par an au travers des tarifs. Cela signifie que quand nous aurons fini de rembourser, à la fin de la période tarifaire, il faudra remonter le tarif au niveau antérieur.
Le chiffre d'affaires de RTE étant de 4 milliards d'euros, 200 millions d'euros représentent quasiment 5 % de celui-ci. Cette « marche d'escalier » pour recaler le tarif à un niveau permettant de refléter les coûts pourrait peut-être être étalée sur une ou deux années. Cela vient s'ajouter aux chiffres que j'indiquais tout à l'heure.
Pourquoi investir sur les réseaux ?
Tout d'abord, je l'ai souligné tout à l'heure, il faut suivre le mouvement, qui est lent, de l'évolution de la consommation. Certaines régions sont économiquement plus dynamiques que d'autres et leur consommation d'électricité progresse plus vite. Ainsi, en Bretagne, le taux de croissance de la consommation d'électricité depuis vingt ans est supérieur de 1 point à la moyenne nationale ; c'est le résultat du développement des PME et de l'activité économique. Dans d'autres régions - je pense à la région PACA -, c'est plutôt le tourisme ou l'installation des retraités qui sont en cause. Toujours est-il que, là aussi, la consommation d'électricité croît plus vite qu'ailleurs.
On peut estimer que 1 % par an, ce n'est pas beaucoup, mais au bout de vingt ans, cela représente une hausse d'un peu plus de 20 %. Il faut donc investir dans ces régions.
Deuxièmement, il faut renforcer les interconnexions. Oui, je suis favorable au développement des interconnexions. Pourquoi ? Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, organiser une vaste zone synchrone est le meilleur moyen d'amortir les chocs. Par exemple, en France, l'arrêt d'une tranche nucléaire représente une perte de puissance de 1 000 mégawatts, sur une puissance totale de 60 000 mégawatts ces jours-ci - 100 000 mégawatts correspondant à la puissance de pointe. On perd donc approximativement 1,5 % de la puissance. Si nous nous trouvons dans un ensemble interconnecté, ce qui est le cas au niveau de l'Europe continentale, la puissance totale de la production est de l'ordre de 800 000 mégawatts, soit plus de dix fois la taille du parc français. Nul besoin d'être un grand spécialiste de l'électrotechnique, ce que je ne suis pas au demeurant, pour comprendre que l'interconnexion permet un amortissement des variations. J'ai pris l'exemple de l'arrêt d'une tranche nucléaire, mais il pourrait s'agir de celui d'un champ éolien ou d'une centrale classique, voire d'un grand barrage à cause d'un incident.
Par conséquent, l'intérêt de l'interconnexion est la mutualisation des moyens. C'est également un facteur absolument indispensable pour le développement des énergies renouvelables. J'entends parfois dire que le développement des énergies renouvelables signifie la fin des grands réseaux : grâce aux énergies diffuses, on produira et on consommera sur place. Cette idée, éminemment sympathique, est en complet décalage avec la réalité ; elle le sera d'autant plus que les objectifs fixés en matière de développement des énergies renouvelables seront ambitieux. Le dernier appel d'offres lancé par le Gouvernement pour l'éolien offshore porte sur cinq sites de 500 à 600 mégawatts, avec des points d'atterrage, c'est-à-dire de raccordement. Or 500 mégawatts, c'est la puissance d'un cycle combiné à gaz. Les problèmes à régler pour le raccordement au réseau seront tout à fait les mêmes que pour l'implantation d'un nouveau cycle combiné. Il faudra donc développer le réseau.
Vous avez également soulevé la question de l'intermittence, à laquelle je vais essayer de répondre rapidement. C'est une question récurrente, plus souvent évoquée par les opposants aux énergies renouvelables que par leurs partisans. Les énergies renouvelables sont intermittentes. Pour moi, ce n'est ni une qualité ni un défaut, c'est une caractéristique. Leur production est liée à des facteurs souvent météorologiques, qui ne sont prévisibles que dans une certaine limite et qui ne sont pas corrélés avec les variables qui guident l'évolution de la consommation.
Comment résoudre cette difficulté ? Je vois trois solutions.
La première solution, c'est le stockage d'énergie. C'est selon moi la bonne solution à terme, mais il faudra trouver les structures adéquates, des technologies fiables, utilisables à des coûts raisonnables. Il faut absolument intensifier les recherches dans ce domaine. Aujourd'hui, nos ressources en la matière sont essentiellement le stockage sous forme hydraulique. Il s'agit d'une bonne technologie, mais dont l'emploi exige certaines caractéristiques en termes de sites.
La deuxième façon de traiter le problème de l'intermittence, c'est le développement des réseaux. Je prendrai un exemple : le Danemark a une capacité d'interconnexion avec ses voisins de 5 000 mégawatts, égale à sa puissance de pointe. Cela signifie qu'à certains moments, si le vent ne souffle pas au Danemark, ce pays peut importer la totalité de son énergie de l'étranger. Quand il y a du vent, il peut aussi exporter quasiment la totalité de sa production.
La France ne peut pas, compte tenu de sa taille, faire la même chose, car elle dispose de 100 000 mégawatts de puissance installée. Nos capacités d'interconnexion sont de l'ordre de 10 000 mégawatts : on ne peut pas les multiplier par dix, mais il convient de les renforcer.
La troisième voie pour résoudre le problème de l'intermittence consiste à développer des moyens de compensation. Quand la ressource éolienne ou photovoltaïque, par exemple, fait défaut, on doit pouvoir démarrer d'autres moyens de production. Vous m'avez interrogé sur la méthanisation. J'ignore s'il s'agit nécessairement d'une des bonnes options, mais effectivement certaines personnes songent à utiliser l'électricité en surplus pour fabriquer de l'hydrogène par électrolyse, afin soit de récupérer cet hydrogène, soit de refaire ensuite de l'électricité. C'est sans doute une solution qui mérite d'être étudiée et qui permettrait de lisser les besoins.
Vous m'avez interrogé sur les projets de centrales photovoltaïques au Sahara. De tels projets ont été développés d'abord par les Allemands avec Desertec, puis en France par le consortium Medgreen, avec cette différence importante que Medgreen s'intéresse davantage aux interconnexions. Développer les interconnexions sera toujours utile, surtout si l'on réalise des investissements durables.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La question était de savoir si, selon vous, ce projet était sérieux ou pas.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Compte tenu de la perte liée à l'acheminement.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Dans l'absolu, les pertes de transport sont de l'ordre de 2 % de la consommation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quelle que soit la distance ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - C'est une moyenne. Comme le réseau de RTE est maillé, je ne suis pas en mesure de vous dire si la consommation de Paris est assurée par la centrale de Gravelines ou par le barrage de Bissorte. Ce que je puis affirmer, c'est que, en moyenne, pour une consommation de 100, il faut injecter 102 dans le réseau.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous répondez précisément à la question précédente sur les pertes en ligne.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Le législateur a prévu que nous achetions les pertes. Le consommateur qui a besoin de 100 mégawattheures achète 100 mégawattheures, mais pour lui fournir cette quantité d'électricité, il faut injecter 102 mégawattheures dans le réseau. C'est RTE qui paye les 2 mégawattheures de pertes et qui répercute ce coût dans ses charges. Cela représente 20 % de nos charges : 20 % du coût du transport est constitué par la compensation des pertes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ah bon ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Oui, les pertes représentent 2 % en volume et 20 % en termes de coût du transport.
Je n'ai pas à répondre pour mes collègues de la distribution, que vous entendrez peut-être. La distribution, elle, supporte 5 % de pertes, parce que l'électricité est distribuée à des niveaux de tension plus bas et que les pertes sont inversement proportionnelles au carré de la tension. Les pertes sont donc plus importantes à basse tension. Par ailleurs, nos collègues de la distribution ont un réseau « chevelu ». Quoi qu'il en soit, le principe est le même : ce sont eux qui achètent les pertes. De ce fait, ERDF et RTE sont aujourd'hui les plus gros acheteurs d'électricité sur le marché français.
Votre question portait sur le cas d'une liaison point à point entre Marseille et le Sahara.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Voilà !
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Effectivement, il y aurait des pertes, liées à la résistance électrique. Si l'on opte pour un câble comportant beaucoup de cuivre, les pertes seront moins importantes, mais produire du cuivre consomme de l'énergie. Pour un calcul complet sur ce sujet, il faudrait s'adresser à M. Jancovici. (Sourires.) Cela étant, des liaisons sont aujourd'hui exploitées convenablement, par exemple entre la Norvège et les Pays-Bas, sur 600 kilomètres, point à point, grâce à un câble sous-marin, en courant continu, avec des pertes qui doivent être de l'ordre de 3 %.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Très bien, je vous remercie de votre réponse.
Je souhaiterais des précisions sur deux points très techniques.
Vous avez expliqué, au début de votre audition, que RTE n'est pas simplement un transporteur, mais est aussi un régulateur.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Au sens physique du terme, pas au sens juridique. Nous sommes des « équilibreurs ».
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est RTE qui lance l'appel pour faire face à la consommation ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Pour les écarts.
Je m'explique. Sur le marché, les fournisseurs ont un portefeuille de clients. Je prendrai l'exemple de la société mère, que je connais bien. Elle a un parc de production, des clients, des centrales ; elle peut également acheter à d'autres producteurs et à l'étranger. La règle de base est qu'elle doit nous fournir ex ante autant d'énergie que son portefeuille de clients est censé en consommer.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez des bases prévisionnelles ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Tout à fait. Néanmoins, dans la pratique, comme je l'ai souligné, il existe toujours des écarts, que nous sommes chargés de compenser. Un nuage sur Paris, c'est quelquefois 500 mégawatts de plus en éclairage !
RTE est chargé de réaliser cet ajustement. C'est ce que l'on appelle le « mécanisme d'ajustement ». Comme vous le dites, nous annonçons qu'il manque 500 mégawatts et nous faisons appel, dans l'ordre, aux mieux-disants sur une liste de propositions.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie de cette précision. Vous gérez donc les écarts entre le prévisionnel et la situation réelle ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Exactement, et ce dans les deux sens : il peut aussi y avoir un excès de production.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le transport d'électricité est-il mesuré toutes les minutes, toutes les heures ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Je serais ravi d'inviter les membres de votre commission d'enquête à visiter notre centre de pilotage de Saint-Denis,...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Certains d'entre nous le connaissent déjà !
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - ... où 30 000 informations sont rafraîchies toutes les secondes. Ces informations portent sur les caractéristiques du réseau, sur la tension, sur l'intensité, puisqu'il y a des limites physiques, sur la situation dans les aiguillages que sont les postes. Notre responsabilité est d'optimiser ce dispositif et de veiller à la sécurité, donc à la redondance du schéma.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous prenez donc des décisions à la seconde près ? (Sourires.)
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Ce sont souvent nos ordinateurs qui le font. J'ai évoqué tout à l'heure les automates. Par exemple, une décision de délestage n'est pas prise par un opérateur. La procédure est prévue, programmée. Bien sûr, il y a intervention humaine afin de réfléchir à l'étape suivante, à savoir la reconstitution des réserves. Certaines décisions, qui doivent être prises très rapidement, ne peuvent pas faire l'objet de cogitations ou de consultations : elles doivent être arrêtées automatiquement. L'intelligence humaine intervient ensuite pour reconstituer, réparer.
Cependant, il y a toujours des imprévus et les programmes informatiques ne peuvent couvrir tous les cas de figure. C'est heureux, car sinon nous vivrions dans un monde artificiel. L'intervention humaine demeure. Nous ne sommes d'ailleurs pas allés très loin dans l'élaboration de ce que les spécialistes appellent les « systèmes experts », qui assurent une sorte de pilotage automatique, comme dans les avions. Nous n'avons pas de tels systèmes, nous avons des automates, ce qui est différent. Un automate fonctionne plutôt comme un disjoncteur, en cas de tension excessive. Mais il y a toujours une présence humaine, sauf pour certains gestes professionnels dont le délai d'exécution est de l'ordre de la milliseconde.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Laurence Rossignol, Ronan Dantec, Jean-Pierre Vial, Jean-Claude Requier et Claude Léonard ont des questions à vous poser, monsieur Maillard.
J'abuserai néanmoins de ma position de président pour vous poser les deux premières.
L'éolien offshore va être développé assez rapidement. Vous avez évoqué l'ampleur des investissements à réaliser pour relier les cinq sites dont la production variera entre 500 et 600 mégawatts.
Première question, j'ai cru comprendre que ces investissements ne seraient pas à la charge de RTE, mais incomberaient aux opérateurs se portant candidats, même si les travaux seront réalisés par RTE, seul compétent en termes de maîtrise d'ouvrage dans ce domaine.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Tout à fait, c'est ce qui nous avait été dit.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Confirmez-vous cette information ?
Seconde question, l'éternel problème des régions PACA et Bretagne devient dramatique. Vous ne nous rassurez pas en nous disant que, de surcroît, dans ces deux régions la croissance de la consommation d'électricité est plus rapide qu'ailleurs. Le TURPE 4, qui couvrira la période 2013-2016, tient-il compte des investissements qui seront nécessaires pour transporter l'électricité vers ces deux régions ?
Question subsidiaire : des surcoûts apparaissent au fil du temps, liés à des difficultés de transport en région PACA ou au refus des Bretons de voir n'importe quoi s'installer n'importe où. Qui va payer, sinon l'ensemble des consommateurs français ? Ces surcoûts sont-ils bien prévus dans le TURPE 4 ?
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. - Je voudrais poser trois questions.
Premièrement, où en êtes-vous pour la ligne Cotentin-Maine ? Quels obstacles rencontrez-vous ? Qu'en est-il de l'acceptation de sa réalisation ? Quid également de l'adéquation des divers calendriers censés se combiner pour la création de cette ligne ?
Deuxièmement, quel diagnostic faites-vous sur les questions environnementales, les problèmes de nuisances et de troubles sanitaires divers liés aux lignes à haute tension ? Je n'ai pas de religion sur le sujet, mais j'imagine que vous devez disposer de quelques pistes. Quelles sont-elles ?
Troisièmement, que recouvre pour vous le vocable « Europe de l'énergie » ? Quelle place occupe la question des réseaux ? Vous avez abordé ce point en évoquant les interconnexions. Il s'agit d'une vaste question, pour laquelle j'accepterais une réponse écrite.
M. Ronan Dantec. - Je poserai deux questions.
Premièrement, j'aimerais vous entendre sur le transfert de la moitié du capital de RTE au fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires. On voit bien l'intérêt de cette écriture comptable pour EDF dans le calcul de son endettement. Quelles en seront les conséquences pour RTE à court et à long termes ? Imaginons que le fonds ne soit pas assez abondé : RTE sera-t-il demain affecté par ce jeu d'écritures ?
Deuxièmement, vous avez expliqué que RTE devait acheter de l'électricité et sélectionner des fournisseurs, y compris au niveau européen, et que l'interconnexion se développera - je partage d'ailleurs votre analyse. Actuellement, la puissance crête de l'interconnexion est de 10 000 mégawatts. À combien s'élèvera-t-elle demain : à 20 000 mégawatts, à 30 000 mégawatts ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Oui, à l'horizon de 2025.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Elle sera de 20 000 mégawatts en 2025 ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Cela peut dépendre des hypothèses sur les mix énergétiques de nos voisins. Nous construisons des lignes à la fois pour la France, mais aussi pour l'Europe.
M. Ronan Dantec. - Il y aura donc a priori doublement de la puissance crête de l'interconnexion. Cela devrait plutôt influer à la baisse sur le prix de l'électricité, dans le cadre d'un marché européen de plus en plus ouvert puisque telle est clairement la volonté de l'Europe.
Dans cette perspective, certaines structures qui jouent un rôle important, pas seulement au moment des pics de consommation - je pense à la centrale de Cordemais, en Bretagne, qui fonctionne au charbon -, seront-elles encore compétitives demain, y compris en périodes de pointe ? RTE n'aura-t-il pas tout intérêt à recourir au grand éolien scandinave ou espagnol, sauf bien sûr s'il n'y a pas de vent ? On ne pourra pas garder des structures aussi importantes que la centrale que j'ai évoquée si elles doivent fonctionner seulement quelques heures par an. Vous devez donc obligatoirement avoir dans vos cartons des études prospectives sur le prix de l'électricité à moyen terme dans le cadre du développement de l'interconnexion. Comment envisagez-vous l'évolution du prix de l'électricité et des grandes structures de production ?
M. Jean-Pierre Vial. - Je poserai quatre questions.
Premièrement, en ce qui concerne l'interconnexion, nous avons bien compris les enjeux liés à vos investissements. Mais certaines interconnexions sont liées à des situations géographiques difficiles. En ma qualité d'élu savoyard, j'évoquerai les Alpes et, par solidarité montagnarde, les Pyrénées. Aujourd'hui, le franchissement de ces massifs n'est possible que dans le cadre de grands ouvrages. Un plan existe-t-il pour permettre à RTE de se caler sur ces grands programmes, prévus sur quinze ou sur vingt ans ?
Deuxièmement, s'agissant du TURPE, nous avons bien compris que, notamment pour le prix du transport, le principe de ce que l'on appelle le « timbre poste » prévalait. Il n'en demeure pas moins que pour le stockage beaucoup de pays voisins font bénéficier les utilisateurs d'un tarif préférentiel - je ne dirai pas de la gratuité - afin de favoriser cette pratique. Ce n'est pas le cas en France, ce qui pénalise considérablement le stockage. Dans le cadre du TURPE 4, avez-vous envisagé une évolution ?
Troisièmement, en ce qui concerne l'effacement, je me félicite de l'évolution que vous avez décrite, permettant aujourd'hui la croissance du marché capacitaire, croissance qui demeure cependant très faible puisque, sauf démenti de votre part, elle n'est que de 1 à 1,5 gigawatt par an. Les capacités que vous offrez sont en gros de 400 mégawatts, or le gisement est estimé entre 5 et 7 gigawatts. Que comptez-vous faire pour mieux l'exploiter ?
Quatrièmement, on parle fréquemment d'effacement en période de pointe, mais moins souvent d'effacement en période basse, c'est-à-dire lorsque le prix est nul ou inférieur à 20 euros le mégawattheure. Or on considère que, pour 1 000 à 2 000 heures, il existe des disponibilités qui permettraient de réaliser un effacement négatif. Quelles dispositions envisagez-vous de prendre dans ce domaine ?
M. Jean-Claude Requier . - Je poserai pour ma part deux questions.
La première a déjà été soulevée par M. le président et concerne le problème des zones mal alimentées. Je pense, en particulier, à la région PACA : les Alpes-Maritimes, ainsi que Monaco, sont alimentées par une seule ligne à très haute tension. Comment faire en cas de problème ?
Seconde question, le prix de l'électricité va-t-il selon vous augmenter au cours des dix prochaines années ?
M. Claude Léonard . - Monsieur le président du directoire de RTE, vous avez cité beaucoup de chiffres. Ainsi, vous nous avez dit que le pic de consommation était de 102 000 mégawatts. Avez-vous indiqué quelle était la consommation moyenne globale durant l'intersaison, par exemple en ce moment ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Exactement 101 800 mégawatts ! (Sourires.)
La parole est à M. Dominique Maillard, pour les réponses.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Pour l'éolien offshore , c'est en fait le consommateur qui paiera, soit via la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, soit via le TURPE.
Au titre de la CSPE, sera effectivement à la charge de l'investisseur, qui l'inclura dans sa proposition de prix d'appel d'offres, l'acheminement de l'électricité jusqu'à un centre de collecte, qui sera lui-même souvent offshore . Ensuite, le raccordement terrestre et le renforcement du réseau terrestre qui en résultera incomberont à RTE.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous seuls avez le droit de toucher à vos lignes.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - C'est RTE qui en supportera la charge, laquelle sera répercutée dans le TURPE.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Et pour le lieu même où s'établit la connexion entre RTE et le producteur ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - C'est RTE.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Qui décide du lieu ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il sera déterminé en fonction des paramètres techniques !
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Tout à fait, le point de collecte sera probablement situé à l'intérieur du champ d'éoliennes. Ensuite, RTE réalisera la liaison, sans doute en courant continu, entre la plateforme de collecte et un point d'atterrage.
À ce propos, nous sommes en discussion avec l'administration, car nous avons un problème avec la loi littoral, qui nous interdit de traverser la zone, même au moyen d'un ouvrage souterrain, même en remettant chaque grain de sable à sa place...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le législateur risque d'être obligé d'intervenir à un moment ou à un autre.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Si la loi n'est pas modifiée, nous serons parfois obligés de faire des détours importants pour nous raccorder - sans aller jusqu'à passer par la Belgique, mais presque ! -, alors que le dispositif avait été conçu avec un point de raccordement possible en face des différents champs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - On amendera la loi littoral !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Mais uniquement sur ce point ! (Sourires.)
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - En ce qui concerne les renforcements, nous avons des perspectives, aussi bien en Bretagne qu'en région PACA, en vue de ne pas avoir à nous en remettre chaque année à la bonne volonté des consommateurs et au système ÉcoWatt, qui est transitoire.
En Bretagne, nous avons développé le « pacte électrique breton », qui a été récemment revalidé par le président du conseil régional de Bretagne, avec le ministre chargé de l'énergie. Il consiste à mettre en place une solution globale, passant malgré tout par un renforcement du réseau et des moyens de production. Un appel d'offres a été lancé pour la réalisation d'une centrale dans la région de Brest ; il a été remporté par un consortium Direct Énergie-Siemens. Par ailleurs, nous tablons sur un développement du recours aux énergies renouvelables et de la maîtrise de la demande. Le cumul de ces quatre volets devrait permettre d'aboutir à des solutions plus pérennes.
En ce qui concerne RTE, il faudra renforcer le réseau et réaliser une liaison d'environ 100 kilomètres entre Saint-Brieuc et Lorient, en 225 000 volts et en technologie souterraine, pour un coût d'environ 200 millions d'euros, à l'horizon de 2016-2017. Ce sera inclus dans le TURPE 4, qui couvre cette période.
Pour la région PACA, une solution à peu près analogue a été retenue, nommée « filet de sécurité PACA ». Vous savez qu'il existait un projet de ligne aérienne à 400 000 volts passant un peu trop près des gorges du Verdon. La déclaration d'utilité publique, la DUP, a été annulée. Nous ne reviendrons pas sur les lieux du crime, mais à défaut de construire une autoroute de l'électricité, nous essaierons de créer des routes nationales à quatre voies, si vous me permettez cette image. Nous renforcerons donc le réseau sous-jacent à 225 000 volts, solution un peu moins efficace et un peu plus chère, mais faisable, d'autant qu'un certain nombre de liaisons seront souterraines. L'objectif est 2016.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La ligne à 225 000 volts devient une ligne à 400 000 volts ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Non, ce sera une ligne à deux fois 225 000 volts, avec suffisamment de liaisons pour pouvoir « récupérer ». Comme l'a souligné M. Requier, le problème aujourd'hui est que le Var et les Alpes-Maritimes sont alimentés par une ligne unique. Cette grosse ligne double terne suffit en temps normal, mais elle est vulnérable en cas d'incendie de forêt ou de gros orage et il n'y a pas de reprise possible du réseau par une autre ligne à 400 000 volts. Nous allons donc développer la possibilité de reprendre l'alimentation par le réseau à 225 000 volts sous-jacent, ce qui nécessite de le renforcer à certains endroits. C'est cela le filet de sécurité en question. Il sera également inclus dans le TURPE 4.
J'indique à Mme Rossignol que les travaux ont commencé sur la ligne Cotentin-Maine. Notre objectif est de les achever avant la fin de l'année. Les conditions d'acceptation sont difficiles, même si nous avons signé une convention avec les milieux agricoles. Il y a eu un certain nombre de recours, purgés pour la plupart d'entre eux. Aucun n'est suspensif. Certaines municipalités sont farouchement opposées au projet, d'autres le soutiennent. Nous avons décidé de réaliser les travaux rapidement afin d'éviter d'éventuelles confrontations entre les entreprises travaillant pour RTE et les gens sur le terrain, encore que les difficultés proviennent davantage d'associations assez largement extérieures à la région que des propriétaires locaux, avec lesquels nous avons pu passer des conventions.
Quant à l'Europe de l'énergie, elle passe aussi par un renforcement de la coordination. L'incident de novembre 2006 auquel j'ai fait référence tout à l'heure est analysé par tous les opérateurs européens comme résultant d'une insuffisance de coordination. C'est la raison pour laquelle nous avons développé et nous continuons de développer des outils communs. L'un d'entre eux est Coreso, un centre de supervision situé à Bruxelles.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je propose que nous parlions des actions menées par RTE avec les autres transporteurs le jour où vous serez auditionné par le groupe d'étude.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Volontiers !
J'indique à M. Dantec que le transfert de la moitié du capital de RTE au fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires ne change rien dans l'immédiat. Il s'agit d'une écriture passée dans les comptes d'EDF, qui reste notre actionnaire à 100 %. Les titres inscrits dans ce fonds dédié ont vocation à servir de caution ou de garantie pour faire face aux futures dépenses de démantèlement des installations nucléaires. J'ai bien dit : « ont vocation à servir de caution ou de gage », c'est-à-dire que le moment venu EDF aura l'obligation...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Permettez-moi de vous interrompre : la question de M. Dantec est tout à fait pertinente, mais c'est à la maison mère d'y répondre, et non à RTE.
M. Ronan Dantec . - Il est quand même intéressant de connaître l'avis de RTE !
M. Ladislas Poniatowski, président . - RTE n'a pas eu le choix, c'est son actionnaire qui lui a dit de gager un certain nombre d'actifs. La réponse de M. Maillard est intéressante, mais cette question, tout à fait pertinente, doit être posée au P-DG de l'actionnaire !
M. Ronan Dantec . - J'ai également prévu de la lui poser !
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Il reviendra à l'actionnaire, et sans doute aux pouvoirs publics, qui exercent la tutelle, notamment sur ce point, indépendamment de l'actionnariat, de décider : soit cela servira de caution, c'est-à-dire qu'EDF devra apporter, pour faire face aux futures dépenses, l'équivalent de la valeur d'actifs, soit EDF sera amené à réaliser. Mais la loi telle qu'elle est rédigée aujourd'hui dispose clairement que seuls peuvent être actionnaires de RTE l'État, EDF ou un organisme public, ce qui supposera le moment venu de choisir entre ces différentes hypothèses.
M. Ronan Dantec . - Les conclusions seront tirées au moment opportun.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Votre question sur le marché européen était aussi très intéressante : restera-t-il de la place pour des moyens de production qui ne serviront finalement que quelques heures par an ?
Il faut garder en tête que l'électricité est sans doute la matière première ou la commodité dont la plage de variation des prix est le plus étendue. Elle connaît même, à certains moments de certains jours de certaines années - c'était encore le cas il y a quelques semaines - des prix négatifs. Cela signifie que les producteurs doivent alors payer s'ils veulent produire, parce qu'en fait on n'a pas besoin de leur électricité durant ces périodes. En revanche, à d'autres moments, le prix peut monter très haut ; il est « capé » par les ordinateurs, la limite étant fixée à 3 000 euros le mégawattheure. Vous vous souvenez du débat sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, d'environ 40 ou 42 euros le mégawattheure. Disons que le prix moyen de production est à peu près de 50 euros, mais que le prix de l'électricité peut varier entre moins 200 euros et plus 3 000 euros.
Évidemment, les extrêmes dans les deux sens sont très localisés dans le temps, mais je pense qu'un certain nombre d'opérateurs pourront être tentés d'essayer de gagner 3 000 euros le mégawattheure, même si c'est seulement une centaine d'heures dans l'année, alors que le coût de production est de 40 euros. Le propre d'un industriel est de prendre des risques et de faire de tels paris.
M. Ronan Dantec . - Normalement, l'interconnexion renforcée devrait limiter ce phénomène.
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Certes, mais elle ne le fera pas disparaître. Par exemple, les prix négatifs sont souvent liés à une surproduction d'énergie renouvelable, qui s'écoule parce qu'elle a la priorité sur le réseau. Les prix très élevés, en revanche, sont liés aux situations difficiles. Lors des derniers pics, en France, nous avons connu une journée où les prix sont montés à près de 1 000 euros le mégawattheure pendant quelques heures.
Pour répondre à votre question, je prends le pari - mais RTE n'est pas producteur - que des industriels choisiront de faire tourner des moyens de production pas très modernes dans l'espoir de vendre le kilowattheure vingt fois le prix de production, même si ce n'est que pendant 100 heures dans l'année.
M. Ronan Dantec . - Ma question allait un peu plus loin : le niveau d'interconnexion atteint et la montée en puissance des énergies renouvelables - 10 mégawatts connectés de plus l'année prochaine en puissance crête en Allemagne - ne menacent-ils pas, à assez court terme, des installations thermiques au charbon pas très modernes qui ne pourront pas fonctionner seulement quelques heures par an ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Je ne sais pas. Il me semble que la diversité des moyens de production est l'une des richesses de l'Europe. Je ne suis pas de ceux qui déplorent la diversité des mix énergétiques. Au contraire, je fais partie de ceux qui s'en réjouissent, car la complémentarité des mix est une façon d'optimiser. Je serai très inquiet le jour où tous les pays européens auront 40 % d'énergie renouvelable, 20 % de cogénération, 15 % de charbon à capture et séquestration, etc. Il existe des spécificités géographiques. Il est assez logique que les Finlandais recourent à la biomasse et les Suisses à l'hydraulique, davantage que les Néerlandais. La valorisation des ressources naturelles spécifiques me paraît être une bonne chose.
Je serai plus optimiste que vous ne semblez l'être. Je pense qu'il y aura de la place pour ces divers moyens de production. Le propre d'un industriel est de faire des paris. Quelquefois il gagne, quelquefois il perd. Mon pronostic est que des producteurs voudront courir leur chance, mais peut-être suis-je trop optimiste.
M. Vial a raison s'agissant de la traversée des Alpes et des Pyrénées. C'est un sujet particulièrement difficile.
En ce qui concerne les Alpes, il le sait bien, nous utiliserons le tunnel du Fréjus : les ingénieurs électriciens et ceux du BTP ont pu se mettre d'accord sur une solution recourant à cette infrastructure existante.
Malheureusement, la difficulté n'a pu être résolue de façon similaire pour la traversée des Pyrénées vers l'Espagne. Nous allons donc construire notre propre tunnel, ce qui est un peu dommage.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Un tunnel spécifique ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Oui.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce sera la première fois ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Pour RTE, oui.
M. Jean-Claude Requier . - À quel endroit sera-t-il réalisé ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Au Perthus. Ce sera un petit tunnel : on pourra s'y tenir debout, mais l'ouvrage sera spécifiquement dédié au passage d'un câble souterrain.
Je ne peux qu'appeler de mes voeux la conciliation des grands projets d'interconnexion en général, qu'il s'agisse de transport routier, de transport ferroviaire ou de transport électrique. La collectivité a tout à gagner à la mutualisation des moyens.
Vous avez également évoqué, monsieur Vial, la question du stockage. À ce jour, effectivement, notre tarif ne le prend pas en compte. Le stockage ne relève pas juridiquement de notre responsabilité, mais certains de nos collègues, en particulier Red Eléctrica de España, ont retenu cette option et obtenu les autorisations nécessaires pour le développer. Ce n'est pas le cas en France.
Aujourd'hui, le stockage est l'affaire des producteurs, des grands opérateurs, qui le développent sur leur initiative, quand ils ont une ressource. Comme je l'ai souligné, les stations de pompage sont à l'heure actuelle le procédé de stockage le plus opérationnel. L'hydraulique relève d'EDF et des entreprises disposant de concessions hydrauliques.
Une autre question importante que vous avez soulevée, monsieur le sénateur, a trait à l'effacement. Oui, la loi NOME a explicitement prévu la création d'un marché de capacités, qui doit traiter sur un pied d'égalité les capacités de production et les capacités d'effacement. Nous nous engageons à respecter cet engagement.
Vous avez évoqué les appels d'offres. Effectivement, les ordres de grandeur sont ceux que vous avez cités : ils sont inférieurs au potentiel, lequel est beaucoup plus important. De notre point de vue, RTE n'est pas le seul réceptacle ou le seul interlocuteur possible. Notre idée est que les fournisseurs eux-mêmes peuvent avoir intérêt à développer au sein de leur portefeuille des capacités d'effacement.
Dans un marché de capacités, non seulement chaque fournisseur doit être responsable de la distribution de l'énergie à son portefeuille de consommateurs, mais il doit aussi pouvoir fournir une puissance de pointe suffisante : soit il se débrouille pour avoir un portefeuille de moyens de production directe ou indirecte, soit il s'arrange pour mettre en place un portefeuille de capacités d'effacement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je ne comprends pas. C'est ce qui s'est passé lors de la pointe de consommation ? Concrètement, un certain nombre de coups de fil ont été passés à des consommateurs industriels pour qu'ils acceptent de s'effacer ; ce n'est pas RTE qui l'a fait, c'est directement EDF ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Ça dépend.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Donc le producteur fait déjà cela ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Oui, bien sûr, mais à petite échelle.
Pour répondre à la question de M. Vial, il y a effectivement sans doute un potentiel plus important qui est mobilisable, mais tout dépendra du prix auquel il est accessible.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il sera mobilisé par RTE ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Pour ce qui concerne le mécanisme d'ajustement, oui. C'est d'ailleurs déjà le cas. À caractéristiques et à prix équivalents, nous choisissons quelquefois déjà un effacement plutôt qu'une production supplémentaire.
Comme l'a noté M. le président de la commission d'enquête, la responsabilité de mobiliser les effacements incombe également dans certains cas aux différents fournisseurs. Simplement, il y a encore un potentiel important inexploité. Mon message est le suivant : oui, RTE devra jouer son rôle dans le cadre du marché de capacités prévu par la loi NOME, mais les fournisseurs devront également faire en sorte que leur portefeuille soit un mix entre production et effacement.
M. Requier m'a demandé quel était mon pronostic sur l'évolution future du prix de l'électricité. Sans chercher à minimiser les choses, je livrerai un élément factuel : le coût du transport représente à peu près le dixième du prix pour le consommateur individuel. En gros, le consommateur domestique paye son électricité environ 80 euros le mégawattheure hors taxes, 115 euros taxes comprises. Le coût du transport représente 8 euros, soit 10 % du prix final. Ce taux me paraît tenable. Il n'y a pas de raison qu'il augmente. Cela signifie que le renchérissement du prix de l'électricité sera lié à un ensemble de facteurs, le coût du transport me paraissant devoir suivre la norme. Je ne vois pas pourquoi celui-ci dépasserait 10 % du prix de l'électricité à l'avenir.
Je me permets de vous signaler au passage, sans vouloir jeter de pierre dans le jardin de personne, qu'aujourd'hui le consommateur domestique paye moins pour le transport d'électricité qu'au titre de la CSPE.
M. Ladislas Poniatowski, président . - À l'avenir, ce sera encore plus flagrant.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les 8 euros, c'est pour ce qui vous concerne ?
M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité . - Absolument, c'est le coût du transport. S'y ajoute le coût de distribution.
J'indique à M. Léonard qu'il existe une application disponible sur smartphone , « RTE-éCCO 2 O2mix », qui permet de connaître en temps réel la puissance appelée. Par exemple, en consultant cette application, je constate que la puissance appelée, aujourd'hui à 15 heures 30, est de 57 718 mégawatts, avec 78 % de nucléaire, 1 % d'éolien, 6 % d'hydraulique, 5 % de charbon, 2 % de gaz, etc.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le président du directoire de Réseau de transport d'électricité, il ne nous reste plus qu'à vous remercier.
Audition de M. Fabien Choné, directeur général de Direct Énergie et président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie
(14 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je tiens à remercier nos collègues présents bien que le Sénat ne siège pas en cette période. Je me permets de faire observer très amicalement à notre rapporteur que l'opposition sénatoriale est beaucoup plus représentée aujourd'hui que la majorité - j'enfonce le clou ! ( Sourires .)
Monsieur Choné, je vous remercie de suppléer M. Xavier Caïtucoli, dont j'excuse bien volontiers l'absence. Je sais qu'il tenait à être entendu et je suis sûr que vous le remplacerez parfaitement.
Je procéderai tout d'abord à un rappel sur les raisons de votre présence devant cette commission d'enquête. Le groupe écologiste a utilisé son « droit de tirage » pour créer une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité dans notre pays et son imputation aux différents acteurs économiques et a choisi de confier à un de ses représentants le poste de rapporteur. Celui de président est donc revenu à un membre de l'opposition sénatoriale.
Je rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, monsieur Choné, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Choné, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Fabien Choné prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie, monsieur Choné.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse le soin de préciser ce qu'attend notre commission, sachant que M. Choné aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, et l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourrez lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Choné, comme l'a rappelé M. le président, je vous ai adressé six questions, que je vais résumer.
Premièrement, les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent-ils actuellement, selon vous, les « coûts réels » complets de production, de transport, de distribution et de fourniture ?
Deuxièmement, quelle forme pourrait prendre demain, d'après vous, un mix électrique compétitif, et comment se traduirait-il en termes de prix de l'électricité ?
Troisièmement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, selon lesquelles les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ?
Quatrièmement, quel commentaire faites-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France et sur sa « pointe » particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Sur quels leviers préconisez-vous d'agir afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ?
Cinquièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération ?
Sixièmement, Direct énergie a déjà pris des parts dans le secteur de la distribution d'électricité. Quels seront les investissements nécessaires en ce domaine dans les années à venir ? Leur coût dépendra-t-il des choix opérés en matière de production d'électricité ?
Telles sont les six questions que nous vous avons adressées.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Fabien Choné.
M. Fabien Choné, directeur général de Direct Énergie et président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir invité un représentant de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, l'ANODE, à venir témoigner devant votre commission d'enquête. M. Xavier Caïtucoli, président-directeur général de la société Direct Énergie, membre de l'ANODE, ne pouvait être présent parmi vous aujourd'hui et vous prie de bien vouloir l'en excuser.
L'intitulé de votre commission d'enquête nous semble très judicieux, notamment en raison de la nécessité de déterminer l'imputation des coûts réels de l'électricité aux différents agents économiques. En effet, on s'interroge souvent sur le niveau de ces coûts, mais plus rarement sur la manière de les imputer aux agents économiques. Or vous pourrez constater, en prenant connaissance des questions posées par l'ANODE et des solutions qu'elle propose, que cette problématique est vraiment centrale de notre point de vue.
Permettez-moi tout d'abord de présenter en quelques mots l'ANODE. Cette association a été créée en septembre 2006, sous le nom d'Association nationale des opérateurs détaillants en électricité, dans le contexte du débat parlementaire sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, qui a notamment abouti à la création du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché, le TARTAM, afin de promouvoir la création, en France, d'un marché libéralisé de l'électricité qui permette au consommateur de bénéficier pleinement de la concurrence, d'une part, et des avantages de la politique énergétique française, d'autre part. Autrement dit, l'ANODE a été créée pour faire en sorte que les Français puissent bénéficier du développement de la concurrence ainsi que des avantages résultant de la politique française en faveur de l'énergie nucléaire. L'ANODE est devenue l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie en 2010, date à laquelle elle a également accueilli des opérateurs actifs dans le secteur du gaz. Elle réunit aujourd'hui Altergaz, Gaz de Paris, Direct Énergie, Planète Oui et Poweo, c'est-à-dire les fournisseurs qui alimentent près de 90 % des clients ayant quitté les deux opérateurs historiques, EDF et GDF-Suez.
Je vais répondre à vos questions, monsieur le rapporteur, en essayant de les relier à un certain nombre de sujets qui nous préoccupent particulièrement.
La première porte sur l'évolution de la concurrence face aux tarifs réglementés de vente et sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH.
Je procéderai tout d'abord à un rappel historique. En 2006, lors de la création de l'ANODE, nous étions en présence d'un « effet de ciseaux » tarifaire. De nombreuses voix se sont élevées pour dire que cette situation était due à l'existence de tarifs réglementés calés sur le coût de production de l'énergie nucléaire. Telle n'a pas été la position adoptée par l'ANODE à l'époque. En effet, nous considérons, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, que le consommateur doit pouvoir bénéficier, en France, de la concurrence dans le domaine de la fourniture d'électricité, mais aussi de l'avantage résultant du choix politique national de créer un parc de centrales nucléaires. Pour cette raison, l'ANODE a proposé, dès 2006, la création d'une « offre de gros nucléaire ». En effet, en présence d'un effet de ciseaux, on peut essayer d'agir sur la branche supérieure ou sur la branche inférieure : beaucoup déclaraient que les tarifs réglementés étaient trop bas, nous estimions quant à nous que le problème était dû à l'absence d'une « offre de gros » représentative de la politique nucléaire.
Cette proposition n'a malheureusement pas été retenue en 2006. Toutefois, à la suite de la publication du rapport Champsaur et de la promulgation de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi NOME, cette « offre de gros nucléaire » existe désormais, sous la forme de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, que vous connaissez bien. La question principale est de savoir si le niveau de l'ARENH et celui des tarifs réglementés permettent à la concurrence de se développer.
Tout d'abord, il faut bien comprendre que le législateur - du moins, c'est ainsi que nous l'interprétons - a décidé d'intégrer à terme dans le prix de l'électricité nucléaire, et donc dans les tarifs réglementés de vente, des éléments qui n'avaient pas été retenus initialement, notamment les coûts futurs résultant de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. À cet égard, nous ne disposons que de très peu d'informations, qu'il s'agisse des conséquences de cette décision sur le niveau des prix ou des méthodes de calcul employées. Le tarif de 42 euros par mégawattheure est-il satisfaisant ? Nous ne sommes pas capables de répondre à cette question, parce que nous ne disposons pas des paramètres qui nous permettraient d'évaluer ce prix et que nous ne connaissons pas non plus la méthode de calcul utilisée. Je rappelle que la loi NOME prévoit qu'un décret en Conseil d'État définira celle-ci, mais pour l'heure nous ne la connaissons pas, non plus que les paramètres retenus, et nous pouvons seulement affirmer - cela a été souvent répété - que ce niveau de prix, aujourd'hui, toutes choses égales par ailleurs, ne permet pas le développement de la concurrence sur le « segment bleu » : cela est très clair !
La loi NOME a posé le principe de la convergence du prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique et des tarifs réglementés - à l'horizon de 2015 -, auxquels s'ajoute le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE. Le niveau de ces trois éléments va déterminer l'espace économique où les opérateurs fournisseurs pourront se développer.
Plusieurs dispositions de la loi sont très rassurantes pour nous. En effet, celle-ci prévoit de confier à terme à la Commission de régulation de l'énergie la responsabilité de fixer les trois éléments que je viens d'évoquer : elle le fait déjà pour le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, elle le fera bientôt, à la fin de 2013, pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et, à la fin de 2015, pour les tarifs réglementés de vente. Aujourd'hui, pour l'ANODE et les producteurs alternatifs, il importe avant tout de rendre très rapidement cohérents ces trois éléments, afin que la concurrence puisse se développer - puisse survivre, ai-je envie de dire. Par conséquent, il est essentiel que les évolutions à venir du TURPE et de l'ARENH permettent d'atteindre cet objectif le plus rapidement possible.
J'insiste particulièrement sur cette notion de cohérence : pour nous, depuis que nous avons obtenu ce que nous souhaitions, à savoir une offre de gros nucléaire, la cohérence est désormais prioritaire. Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, à ce que le prix de l'ARENH soit plus élevé que ce que l'on pouvait espérer l'année dernière, pour permettre d'accroître la sûreté du parc nucléaire. Maintenant, il faut assumer les conséquences des choix relatifs au développement du parc nucléaire, à la fois dans la fixation du prix de l'ARENH et dans celle des tarifs réglementés. Si ces choix ne sont pris en compte qu'au travers du prix de l'ARENH, on ne donne pas à EDF les moyens de réaliser les investissements correspondants, puisque les tarifs réglementés sont aujourd'hui malheureusement très largement majoritaires sur notre marché.
Vous posez la question de l'incidence du niveau de l'ARENH sur les tarifs réglementés. Effectivement, à partir du moment où le coût de la production nucléaire augmente, les tarifs réglementés en subissent les conséquences, mais leur hausse devrait être limitée à 10 % pour les cinq ans qui viennent. Si cette augmentation doit permettre à la fois de sécuriser davantage le parc nucléaire et de prolonger de dix ou vingt ans le bénéfice économique que les Français tirent aujourd'hui de l'existence d'un parc nucléaire performant, nous estimons qu'elle est évidemment tout à fait souhaitable. Pour que cela fonctionne, il faut des évolutions tarifaires - je viens d'évoquer une augmentation de 10 % en cinq ans uniquement pour la part de la production nucléaire, j'évoquerai plus tard les autres parts. L'important est de ne pas rater les premières marches, car si nous attendons trop, les suivantes seront d'autant plus élevées et nous aurons du mal à les franchir.
Cette augmentation tombe mal, parce qu'elle se conjugue avec l'évolution des tarifs réglementés de vente rendue nécessaire par celle des autres composantes de ces derniers, à savoir l'accès au réseau, la contribution au service public de l'électricité, ou CSPE, et le coût de la commercialisation, qui doit évoluer significativement pour tenir compte du mécanisme d'économies d'énergie.
Pour répondre à votre question sur notre estimation de ces trois éléments, monsieur le rapporteur, j'indiquerai qu'elle est relativement cohérente avec celle qu'a présentée le président de la Commission de régulation de l'énergie. On pourrait ouvrir un débat sur la hausse des tarifs réglementés : celle-ci devrait s'établir autour de 20 %, plutôt que de 30 %, sur les cinq prochaines années, parce que la CSPE n'est pas incluse dans les tarifs réglementés, dans la mesure où elle s'applique à toutes les offres, libres et réglementées. Pour nous, l'essentiel n'est pas de savoir si les prix vont augmenter ni de combien ; nous en aurons une idée à mesure que nous obtiendrons des informations, notamment sur les investissements dans le réseau ou sur les investissements effectifs en vue de la prolongation de la durée de vie du parc de centrales nucléaires. En revanche, il est capital de savoir qui doit payer et selon quelles modalités - c'est la question judicieuse qui est posée par votre commission d'enquête - et comment rendre la facture le plus acceptable possible. Je rappelle que le montant de cette facture dépend de deux éléments : le prix et la consommation ; nous devons nous intéresser non seulement au niveau de cette dernière, mais aussi à sa forme.
De notre point de vue, la tendance haussière des prix de l'énergie, notamment de l'électricité, justifie plus encore que l'on développe la concurrence. La concurrence est source de modération tarifaire ; j'ai bien dit « modération tarifaire », et non pas « baisse des prix » - toutes choses égales par ailleurs, on peut souhaiter que les prix baissent grâce à la concurrence, mais vous savez que la conjoncture est telle que cela ne sera pas possible. La concurrence doit aussi favoriser les innovations en matière d'offres et de services, pour consommer moins et pour consommer mieux. Dans la situation où nous sommes, nous estimons que la concurrence doit plus que jamais être encouragée.
À cet égard, nous craignons énormément que cette conjoncture très défavorable n'incite à une « politisation des tarifs », c'est-à-dire au maintien des tarifs à un niveau très bas. Telle est la situation actuellement en Belgique. L'Espagne a aussi choisi de recourir à cette politique, il y a plusieurs années : pour information, elle connaît aujourd'hui un « déficit tarifaire », c'est-à-dire une dette de l'État espagnol envers les opérateurs énergétiques, de 23 milliards d'euros environ, ce qui contribue évidemment aux difficultés budgétaires que rencontre le gouvernement de ce pays. Pour régler le problème, les Espagnols devraient augmenter leurs tarifs non pas de 30 % sur les cinq prochaines années, mais de 37 % dès maintenant ! Ils se trouvent donc dans une situation très inconfortable, que la France doit à tout prix éviter de connaître.
Ces mauvaises nouvelles nous obligent à nous poser un certain nombre de questions sur la manière dont on consomme l'énergie en France. En particulier, la précarité énergétique augmentant forcément avec la croissance des prix, nous devons refonder globalement notre vision de cette problématique, et je vous présenterai les propositions de l'ANODE sur ce point. Par ailleurs, la maîtrise de la demande devient un enjeu de plus en plus important ; je distinguerai la maîtrise de la demande d'énergie de la maîtrise de la demande de puissance.
En ce qui concerne la précarité énergétique, nous pensons qu'il faut revoir de fond en comble les tarifs sociaux, notamment en termes de périmètre - la hausse des prix provoque une augmentation du nombre de clients en situation de précarité énergétique, c'est-à-dire qui consacrent plus de 10 % de leur budget au paiement de leurs factures d'énergie - et en termes de niveau. Il faut sans doute coupler ces tarifs sociaux à des politiques de soutien à une meilleure maîtrise de la consommation ; j'y reviendrai.
Les membres de l'ANODE demandent avec insistance qu'on les autorise, comme les opérateurs historiques, à proposer à leurs clients le tarif social de l'électricité, ce que la loi ne permet pas actuellement. Il est fort regrettable que les clients en situation de précarité ne puissent pas bénéficier à la fois des avantages du tarif social de l'électricité et de ceux des offres compétitives des opérateurs alternatifs, alors que cela est possible dans le secteur du gaz, par exemple. Cette demande a donné lieu à une polémique dans le cadre de la préparation du décret en vue de l'automatisation des tarifs sociaux : l'Autorité de la concurrence et la Commission de régulation de l'énergie, dans leurs avis respectifs, ont estimé qu'il était urgent de faire évoluer le tarif social de l'électricité pour que l'ensemble des fournisseurs puissent le proposer à leurs clients, dans l'intérêt même des consommateurs concernés.
En ce qui concerne la maîtrise de la demande d'énergie, je voudrais tout d'abord exposer notre vision du dispositif des certificats d'économie d'énergie, dont les objectifs étaient louables mais que nous estimons aujourd'hui très insatisfaisants.
À l'heure actuelle, sur le marché des certificats d'économie d'énergie, le prix du mégawattheure cumulé actualisé est d'environ 4 ou 5 euros, ce qui représente plusieurs centaines de millions d'euros pour l'ensemble du dispositif. Nous estimons qu'à peine 20 % de cette dépense revient effectivement à ceux qui investissent dans les systèmes destinés à améliorer l'efficacité énergétique. Le reste est capté, par pur effet d'aubaine, par des intermédiaires ou par de nouveaux opérateurs créés en réponse à la lourdeur administrative du dispositif. Cette organisation n'est absolument pas efficace, d'autant que le dispositif est très peu sélectif : il oriente les obligés que nous sommes vers les actions qui rapportent le plus de mégawattheures cumulés actualisés, et pas forcément vers les actions les plus rentables du point de vue de celui qui investit dans l'efficacité énergétique. La raison en est simple : ce dispositif est très opaque. Nous n'avons pas fait de sondage, mais je pense que les consommateurs français ne le connaissent quasiment pas, voire pas du tout, ce qui est regrettable.
L'autre motif d'inquiétude tient à nos yeux au financement du dispositif. Aujourd'hui, il est prévu, notamment dans le contrat de service public, que les tarifs réglementés de vente doivent intégrer le coût du dispositif pour les opérateurs historiques, or tel n'est manifestement pas le cas. Aucune des évolutions tarifaires récentes n'a répercuté ce coût qui, pour nous, pourrait être à l'origine d'un effet de ciseaux tarifaire très inquiétant. En effet, il va croissant et fait partie des éléments qui vont entraîner une augmentation des tarifs réglementés, si l'on suit le contrat de service public et la logique consistant à faire payer au consommateur, par le biais du prix de l'énergie, le coût du dispositif d'efficacité énergétique. Nous pensons que ce n'est pas une bonne chose, parce qu'il n'y a pas de corrélation, aujourd'hui, entre la quantité d'énergie électrique consommée et l'efficacité énergétique : un foyer qui dispose d'une habitation très bien isolée et a fait le choix d'avoir une voiture électrique pour des raisons écologiques aura une consommation d'électricité importante et sera amené à verser une contribution très élevée au dispositif d'économies d'énergie, alors qu'il est déjà très vertueux dans ce domaine.
L'ANODE propose donc de modifier radicalement le système, puisqu'il n'est pas satisfaisant. Notre première suggestion est de faire supporter le coût du dispositif par les responsables de l'inefficacité énergétique de l'habitat, qui sont également les décideurs en matière d'investissements, à savoir les propriétaires - je ne m'intéresse pas à la partie du dispositif relative aux transports -, et non par les locataires qui acquittent les factures d'électricité. Notre proposition est simple : il s'agit de créer une contribution, payable avec la taxe foncière, établie en fonction d'un diagnostic de performance énergétique, qu'il faut généraliser et sans doute améliorer. Ce dispositif serait assez lourd, mais, de notre point de vue, les enjeux sont colossaux en France, notamment du fait du niveau de développement du chauffage électrique : il faut faire évoluer la situation.
Nous pensons que la mise en oeuvre du dispositif que nous préconisons aurait des effets vertueux, parce que le propriétaire disposera de tous les éléments lui permettant de faire évoluer son bien et pourra rentabiliser les investissements consentis en matière d'amélioration de l'efficacité énergétique de trois manières : premièrement, il pourra réduire le montant de la taxe dont il doit s'acquitter, selon un schéma similaire à celui de la taxe écologique pour les voitures, s'il améliore le diagnostic de performance énergétique de l'habitat ; deuxièmement, il pourra répercuter sur le loyer une partie du coût de ces investissements, comme le prévoit la loi, dans la mesure où le locataire bénéficie de ces derniers sous forme d'une réduction de sa facture d'électricité ; troisièmement, il pourra bénéficier du fonds qui sera alimenté par cette contribution.
Nous proposons que les fournisseurs restent au centre du dispositif, parce qu'ils sont en mesure de définir ce que le locataire va pouvoir économiser sur sa facture électrique, en termes à la fois de consommation et d'offres tarifaires. Les fournisseurs ont donc un rôle important à jouer. Je n'entrerai pas davantage dans le détail, mais il me semble que traiter ce sujet est crucial pour permettre enfin une évolution dans le domaine de l'efficacité énergétique de l'habitat en France.
La maîtrise de la demande en pointe et en puissance constitue un enjeu majeur pour la France. Je rappelle que la surconsommation de notre pays due à sa « thermosensibilité » représente la moitié de celle de l'Europe, avec environ 2 300 mégawatts de consommation électrique supplémentaire pour une baisse de température de 1°C, soit deux fois la consommation d'une ville comme Marseille. Cela oblige à mobiliser des moyens de production utilisés assez rarement et en outre particulièrement polluants : l'enjeu est donc crucial tant sur le plan économique que du point de vue écologique.
L'ANODE a sensibilisé très tôt les différentes parties prenantes à la question de la pointe électrique, notamment le Sénat dans le cadre de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, lors d'une audition en date du 22 février 2007. Depuis sa création, l'ANODE est favorable à l'instauration d'un dispositif de rémunération de la capacité de production : nous pensons qu'un marché qui ne rémunère que l'énergie n'est pas efficace pour rentabiliser les moyens de production de pointe, mais surtout - et c'est le plus important - pour valoriser à leur juste niveau les effacements de consommation qui permettront de lisser cette dramatique pointe de consommation en période de froid.
À cette fin, nous soutenons la mise en place de deux dispositifs fondamentaux. Le premier est d'ordre économique : il s'agit du mécanisme de capacité, qui est prévu par la loi NOME. Le second est d'ordre technique : il s'agit du « compteur intelligent », c'est-à-dire du projet Linky.
En ce qui concerne le dispositif économique, des discussions ont lieu en ce moment même sur un projet de décret qui sera présenté par l'administration au Conseil supérieur de l'énergie la semaine prochaine. Ce projet nous inquiète assez fortement, parce que nous estimons que le mécanisme prévu n'est pas cohérent avec l'objectif visé, à savoir permettre une rentabilité correcte des moyens de production d'énergie ou d'effacement, en complément de ce que ces moyens de production vont rapporter sur le marché de l'énergie. Sur ce marché, lorsqu'il y a des tensions dues à des sous-capacités de production, les prix sont élevés, donc la rémunération de la capacité doit être faible pour que le complément se fasse de manière constante. A contrario , en présence d'une surcapacité de production, il n'y a pas de tensions sur les prix, donc les producteurs ne récupèrent pas de « valeur puissance » : il est alors nécessaire que la rémunération de la capacité soit importante.
Nous estimons donc que la rémunération de la capacité doit être inversement corrélée avec les tensions du système. Je reconnais que ce raisonnement est contre-intuitif, mais le mécanisme qu'il sous-tend permettrait d'assurer une rentabilité stable aux producteurs d'énergie et d'effacement. Il est également nécessaire pour garantir le financement des investissements correspondants, qui sont assez lourds.
Or tels ne sont pas les principes qui fondent le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui, car il opère une corrélation directe entre la rémunération de la capacité et les tensions du système, donc les périodes de sous-capacité. Cette perspective nous inquiète, parce que les producteurs seront clairement incités à maintenir une sous-capacité. Ils récupéreront ainsi beaucoup d'argent sur le marché de l'énergie grâce à la fois aux pointes de prix et au mécanisme de rémunération des capacités. Il ne nous paraît pas souhaitable de mettre les opérateurs en situation de maintenir une sous-capacité de production en France, or le mécanisme aggrave fortement la volatilité du prix de la capacité et de la rémunération des producteurs d'énergie et d'effacement. Cette forte volatilité n'étant pas favorable à l'investissement, il convient de l'éviter. Par ailleurs, en cas de sous-capacité effective, le consommateur va payer très cher l'énergie complémentaire à l'énergie nucléaire en cas de pointe de prix, de même qu'il paiera très cher la rémunération de la capacité, parce que la loi NOME prévoit de l'intégrer aux tarifs réglementés : il va subir les conséquences de l'insuffisance des moyens de production...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Permettez-moi de vous interrompre un instant, monsieur Choné. Un élément ne me semble pas clair : un certain nombre de membres de l'ANODE sont devenus également producteurs, donc votre raisonnement n'est plus tout à fait logique. Vous ne pouvez plus défendre les membres de l'ANODE comme s'ils étaient des intermédiaires vendant de l'électricité produite par d'autres opérateurs : vous êtes devenus des acteurs, notamment Direct Énergie, c'est pour cela que nous vous auditionnons.
M. Fabien Choné . - Ce que je viens de dire est très important pour les nouveaux entrants que nous sommes : pour développer de nouveaux moyens de production, il faut pouvoir les financer. Lorsque nous présentons un plan d'affaires à une banque en vue de la création d'un nouveau moyen de production, elle examine deux points : le niveau de rémunération - nous souhaitons que le dispositif de rémunération de la capacité nous permette d'atteindre un seuil acceptable - et la stabilité de cette rémunération, son degré de risque. Or le dispositif de rémunération de la capacité qui nous est proposé aujourd'hui va entraîner une volatilité très forte des prix de l'énergie et des prix des capacités : il n'est pas acceptable par une banque, c'est donc une mauvaise chose.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si je vous ai bien compris, monsieur Choné, pour les opérateurs investisseurs, le fait de laisser filer les prix en période de tension, où les capacités de production sont insuffisantes, peut être intéressant ponctuellement, mais il est compensé par une très grande incertitude en période de surcapacité, où l'on ne sait pas ce que sera le prix de l'énergie ? Vous voulez donc une régulation...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Non, il ne s'agit pas de cela. Cette question est l'un des « dadas » de notre collègue Jean-Pierre Vial. L'inquiétude est que cet arrêté ne favorise les producteurs nouveaux entrants. Or la loi NOME était bien précise : il fallait favoriser les investissements en capacités de production, mais aussi l'effacement. Cet arrêté oublie un peu l'effacement ou ne le favorise pas de la même manière...
M. Fabien Choné . - Non ! Notre inquiétude tient au fait que le dispositif proposé ne va pas favoriser les investissements - à cet égard, la production et l'effacement sont logés à la même enseigne -, parce que sa mise en oeuvre aboutira à une rémunération très volatile. Cela n'est pas souhaitable pour les nouveaux entrants, en particulier, parce qu'ils ne pourront pas financer de nouveaux moyens de production. En effet, cette organisation des rémunérations incitera globalement les producteurs à rester en situation de sous-capacité : c'est ce que l'on constate aujourd'hui avec ce que l'on appelle le marché energy only . Avec un tel système, les nouveaux entrants ne sont pas incités à venir concurrencer les producteurs déjà installés, parce qu'alors le marché basculerait de la sous-capacité vers la surcapacité et tout le monde y perdrait !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je crois que M. Jean-Pierre Vial souhaiterait obtenir une précision.
M. Jean-Pierre Vial . - J'ai bien suivi votre logique en ce qui concerne l'effacement, monsieur Choné. Je partage d'ailleurs votre avis jusqu'à un certain point, mais c'est un point de rupture. Je ne parlerai pas du prix de l'énergie pour ne pas donner l'impression d'être partial dans mon analyse. Vous nous expliquez que la rémunération de la capacité devrait être faible en période de pointe et plus importante en période basse, soit exactement l'inverse de ce qui est prévu.
Excusez-moi de revenir à des données de base, mais je n'ai jamais vu de marché où l'on essaie d'accroître l'offre alors qu'il n'y a déjà pas suffisamment de clients ! À l'inverse, sur un marché où l'offre est insuffisante au regard de la demande, les prix augmentent et il faut essayer d'élargir l'offre pour satisfaire les clients et faire baisser les prix.
Très sincèrement, je ne comprends donc pas votre argumentation sur la nécessité de mieux rémunérer les producteurs en période basse qu'en période de pointe. Certes, en période de basse consommation, on constate depuis peu que de l'électricité est disponible à très bas prix - moins de 20 euros le mégawattheure -, parfois même à prix négatif, c'est-à-dire qu'il faut payer les utilisateurs !
En ce qui concerne la rémunération de l'effacement, le mécanisme que vous proposez m'étonne, parce qu'il va tout à fait à l'encontre de ce qui est aujourd'hui étudié et mis en place.
M. Fabien Choné . - J'ai bien conscience que ce raisonnement n'est pas du tout intuitif. Je vais donc essayer de mieux m'expliquer.
Quand j'évoque le niveau plus ou moins élevé de la rémunération de la capacité, je ne parle pas de sa variation dans le courant de l'année, pour une bonne et simple raison : la rémunération de la capacité s'évalue de manière annuelle, puisque le dispositif a prévu des certificats annuels. Je ne dis donc pas que la rémunération de la capacité doit être forte quand les prix, à une heure donnée, sont bas, voire négatifs - vous avez raison de souligner que cette situation peut se produire -, et faible quand les prix, à une période de grand froid, sont élevés ; je dis simplement que, en moyenne, certaines années présentent des pointes de prix caractéristiques d'une situation de sous-capacité, alors que d'autres ne connaissent aucune pointe de prix, ce qui peut refléter une situation de surcapacité.
Encore une fois, ce que je dis est valable pour les producteurs d'énergie comme pour les fournisseurs d'effacement. Je tiens d'ailleurs à souligner que Direct Énergie et les autres membres de l'ANODE souhaitent investir dans les capacités d'effacement. Pourquoi avons-nous défendu depuis le départ la rémunération de la capacité ? Ce n'est pas uniquement pour pouvoir développer de nouveaux moyens de production ! En France, le bon sens voudrait que l'on renforce les effacements, notamment dans la situation actuelle, où le chauffage électrique est très développé, plutôt que les moyens de production de pointe.
Pour qu'un investissement puisse être réalisé, qu'il s'agisse de production ou d'effacement, il est crucial que sa rémunération soit la plus stable possible, évidemment à un juste niveau, c'est le principe même de la rémunération la capacité. Il faut également que cette rémunération soit la plus légitime possible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je voudrais poser une question non pas au président de l'ANODE, mais au directeur général de Direct Énergie. Vous avez investi dans deux centrales, pour le moment...
M. Fabien Choné . - Nous en sommes maintenant à trois.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Lesquelles sont déjà entrées complètement en fonction ?
M. Fabien Choné . - Aucune centrale à cycle combiné gaz n'est dans ce cas. En revanche, notre filiale Poweo a investi dans une centrale, à Pont-sur-Sambre, qui a fonctionné cet hiver...
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai assisté à son inauguration. Gagnez-vous ou non de l'argent avec cette centrale ? Vous ne pouvez pas en même temps demander l'instauration d'un marché libre et attendre une garantie de rémunération des investissements !
M. Fabien Choné . - Je n'ai pas parlé de garantie de rémunération. Je dis simplement que, pour que le marché libéralisé fonctionne, notamment dans le domaine de la production, qui est compliqué, il faut que son organisation permette de traiter correctement la question du prix de l'énergie et celle de la rémunération de la capacité de production.
L'exemple de Pont-sur-Sambre est intéressant. Avant-hier, la société Poweo Pont-sur-Sambre Production a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, parce qu'elle perd énormément d'argent et ne peut plus assumer ces pertes, alors même que le fonctionnement de cette centrale, qui a fourni plus de 400 mégawatts pendant les pointes de consommation, a permis de surmonter les pics de demande de cet hiver. Nous nous trouvons dans une situation aberrante, car cette centrale est absolument nécessaire pour la sécurité d'approvisionnement et dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements. Les centrales à cycle combiné gaz sont des moyens de production qui jouent un rôle important, notamment par la flexibilité de leur fonctionnement, sachant que les deux piliers de la politique énergétique française, les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire, n'offrent pas cette souplesse. La centrale de Pont-sur-Sambre, qui est l'une des toutes premières de sa catégorie en France et que tout le monde reconnaît comme absolument nécessaire, est aujourd'hui en faillite !
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est vrai !
M. Fabien Choné . - Nous sommes donc dans une situation dramatique ! Pour répondre à une de vos questions sur le coût de production de l'électricité, on peut estimer qu'il s'établit, pour une centrale à cycle combiné gaz, à environ 75 euros par mégawattheure, or les prix de l'électricité sur le marché se situent entre 50 et 55 euros par mégawattheure. Nous avons donc absolument besoin d'un mécanisme de rémunération des capacités.
Supposons maintenant que ce mécanisme soit mis en place comme il est envisagé aujourd'hui et que survienne une reprise économique, entraînant un besoin important en moyens de production, sans que les investissements nécessaires aient été réalisés, comme nous le craignons : dans ce cas, les prix de l'électricité vont s'envoler, des pics apparaîtront très régulièrement, on atteindra même les 3 000 euros par mégawattheure à plusieurs reprises. Les producteurs vont alors bénéficier, outre de ce niveau élevé de prix, d'une rémunération de la capacité attrayante, corrélée avec les tensions du marché. Ce serait aberrant ! Nous sommes aujourd'hui en situation de surcapacité par rapport à la demande, celle-ci étant très faible parce que l'activité industrielle a beaucoup baissé depuis la crise de l'année dernière : si ce mécanisme de rémunération de la capacité fonctionnait déjà aujourd'hui, on peut estimer que la centrale de Pont-sur-Sambre serait quand même en faillite. J'espère avoir été clair.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous nous présentez, dans un même modèle, un dispositif qui doit répondre à la demande en régime ordinaire annuel et un autre qui doit permettre de faire face aux pointes de consommation. La centrale que vous évoquez est un outil de production qui a été effectivement utile dans la période de pointe. Dans le cadre de l'élaboration de la loi NOME, l'Assemblée nationale avait réalisé une étude d'impact montrant que le recours à de tels équipements devait être rémunéré à un prix plus fort, d'environ 250 euros ou 300 euros par mégawattheure, dans la mesure où ils ne fonctionnaient que peu de temps dans l'année, pendant les périodes de pointe.
J'ai le sentiment que vous préconisez que ces investissements soient rémunérés toute l'année, et pas seulement pendant les périodes de pointe. Or les équipements en question ont précisément vocation à fonctionner durant ces seules périodes !
Prenons l'exemple de l'énergie hydraulique. Les propriétaires de certaines petites installations, plutôt que de turbiner toute l'année pour une rémunération basse, préfèrent concentrer leur production sur les périodes de pointe, où elle est mieux rémunérée. Quand on investit dans un équipement, il faut savoir à quelle demande on choisit de répondre : la demande en régime de croisière ou la pointe ; c'est l'une ou l'autre !
M. Fabien Choné . - La centrale à cycle combiné gaz de Pont-sur-Sambre - mais c'est aussi le cas des autres projets de Direct Énergie dans l'est de la France ou en Bretagne - est un moyen de production de semi-base, pas de pointe. La production de base est assurée par les centrales nucléaires, la production de semi-base par les centrales à cycle combiné gaz, la production de pointe ou d'extrême pointe par les turbines à combustion ou les centrales hydroélectriques. Vous avez plutôt évoqué des moyens de pointe, ce que l'on appelle des turbines à gaz ouvertes.
Pour être précis, nous estimons qu'un moyen de production doit être rémunéré sur le marché de l'énergie uniquement quand il fonctionne ; on ne peut pas envisager de le rémunérer quand il ne tourne pas. On doit additionner à cette rémunération, qui est déjà corrélée avec les tensions du système, une rémunération de la capacité de production, qui est annuelle et que l'on ne peut pas figer sur une période donnée de l'année - mais si l'on devait le faire, ce serait plutôt l'extrême pointe, où se manifeste le plus fort besoin de puissance et de capacité, qu'il faudrait prendre en considération. À partir du moment où les investissements dans les moyens de production sont fixes, si l'on veut que la rentabilité soit stable, la rémunération de la capacité doit être « anti-corrélée » avec la rémunération sur le marché de l'énergie. Je vous concède que ce raisonnement n'est pas intuitif, mais si l'on veut faire en sorte que le marché de l'énergie soit correctement organisé, il convient de traiter cette question importante.
M. Ladislas Poniatowski, président . - D'un point de vue macroéconomique, votre demande ne me choque pas. La France a besoin d'un certain nombre de centrales à cycle combiné gaz pour répondre aux périodes de pointe et elle n'en a pas assez, cela est très clair ! Nous étions bien contents de pouvoir compter sur trois centrales à cycle combiné gaz, me semble-t-il, le 8 février dernier, jour du pic extrême de consommation.
L'anomalie serait de rémunérer à un prix très élevé l'électricité d'origine solaire ou éolienne - ce message s'adresse aussi à M. le rapporteur ! -, qui ne pourra vraisemblablement pas assurer l'appoint nécessaire en période de pointe ; il est heureux que l'on puisse s'appuyer alors sur l'hydraulique et les centrales à cycle combiné gaz ! Mais il est normal, même si l'on paie cher l'électricité produite aux heures de pointe, que ceux qui investissent dans ces centrales puissent tabler sur un amortissement sur un certain nombre d'années. Il n'est donc pas choquant de rechercher un équilibre : nous sommes bien contents que des groupes privés aient investi dans des centrales à cycle combiné gaz.
M. Fabien Choné . - Je voudrais souligner deux aspects qui me semblent importants, monsieur le président.
Tout d'abord, les certificats qui pourront ouvrir droit à rémunération de la capacité seront octroyés aux différentes filières de production. Il est clair qu'accorder des certificats de capacité à un producteur d'électricité photovoltaïque, alors que le pic de consommation en France se situe plutôt vers 19 heures en hiver, à un moment où il fait nuit, peut sembler problématique.
Ensuite, M. Vial a posé une question très intéressante, celle de l'obligation d'achat, qui rémunère très basiquement le producteur en fonction de ce qu'il produit, quel que soit le moment de l'année. On est en droit de se demander s'il ne faudrait pas revenir sur ce système pour inciter les acteurs concernés, de plus en plus nombreux, à produire au moment où l'on en a le plus besoin, c'est-à-dire lors des pics de consommation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Les turbines à gaz comme les centrales hydrauliques peuvent produire de l'électricité à n'importe quel moment, alors que le vent ne se stocke pas, pas plus que le soleil !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Choné, vous avez évoqué un prix de 75 euros par mégawattheure, à quoi correspond-il ?
M. Fabien Choné . - Il s'agit du coût de production par une centrale à cycle combiné gaz standard, en semi-base.
Pour pouvoir développer des offres qui permettent d'obtenir des avancées en matière de maîtrise de la demande en puissance de la part des consommateurs, il est nécessaire de disposer de compteurs qui mesurent efficacement les consommations lors des périodes de pointe. Il est évident que, pour tous les membres de l'ANODE, la réalisation du projet Linky est éminemment souhaitable. Il faut faire évoluer le comptage en France, afin d'envoyer aux consommateurs les bons signaux tarifaires, correspondant à la réalité des coûts de la production électrique et reflétant notamment leur horosaisonnalité. Cette évolution est fondamentale pour rationaliser la consommation des clients et même « effacer » la demande liée au chauffage électrique. Je lisais récemment dans la presse, et notre association souscrit à cette appréciation, que le chauffage électrique est aujourd'hui un boulet pour le système français de production électrique ; il pourrait représenter demain un atout si l'on était capable de maîtriser correctement cette consommation grâce au système de comptage. L'ANODE a donc présenté trois propositions sur ce sujet.
La première concerne l'évolution des tarifs réglementés de vente. Nous estimons que le déploiement de Linky, qui va coûter 5 milliards d'euros à la collectivité, doit être l'occasion de remettre en question, non pas en termes de niveau, mais de structure, la construction des tarifs réglementés de vente. Il serait aberrant d'investir une telle somme dans le déploiement d'un compteur intelligent permettant de proposer des offres qui incitent à consommer lorsque les coûts sont les plus faibles et de maintenir un tarif réglementé de vente dit « de base », le tarif bleu, à un niveau identique toute l'année. Or ce tarif concerne vingt millions de consommateurs français, dont environ cinq millions utilisent un chauffage électrique. Nous pensons qu'il est important de remettre en cause la structuration des tarifs réglementés et de faire disparaître ce tarif de base qui ne constitue absolument pas une bonne option dans la perspective du déploiement de Linky. Vingt millions de clients concernés, c'est important : il faut donc traiter ce sujet le plus rapidement possible ; cela figurait d'ailleurs parmi les préconisations du rapport Poignant-Sido, synthétisant les conclusions du groupe de travail sur la gestion de la pointe de consommation électrique de 2009. Nous souhaitons qu'un débat s'engage très rapidement sur la structure des tarifs réglementés de vente à la suite du déploiement de Linky.
Deuxièmement, l'arrêté relatif aux dispositifs de comptage du 4 janvier 2012 prévoit que Linky enregistre des index de consommation conformément au cahier des charges établi par la CRE en 2007. Or, depuis cette date, la loi NOME a instauré, ce qui était souhaitable, des dispositifs fondamentaux, à savoir l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique et la rémunération de la capacité. Le projet Linky, tel qu'il est prévu aujourd'hui, et l'arrêté relatif aux dispositifs de comptage, tel qu'il a été publié le 4 janvier 2012, ne prévoient pas que le nouveau compteur enregistre les consommations qui permettent d'évaluer, d'une part, les droits d'allocation au titre de l'ARENH, et, d'autre part, la participation du consommateur aux obligations en matière de capacité. Cela est fort regrettable ! On met en place deux dispositifs, l'un économique, l'autre technique, pour gérer la pointe, mais ils ne sont pas en cohérence.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous auriez voulu un compteur qui coûte quatre fois plus cher ?
M. Fabien Choné . - Non ! Il faut simplement organiser les index de consommation de manière à pouvoir mesurer les éléments pertinents. Aujourd'hui, les droits d'allocation au titre de l'ARENH sont construits en fonction de la consommation sur certaines périodes de l'année. Je ne vais pas entrer dans le détail, mais il s'agit en fait des périodes creuses. Les compteurs Linky ne sont pas conçus pour mesurer les consommations durant ces périodes en particulier.
De la même manière, le projet actuel de décret sur les mécanismes de capacité prévoit la définition d'une période dite « PP1 » où la consommation sera mesurée pour évaluer les obligations de capacité des fournisseurs. Linky ne comporte pas, aujourd'hui, d'index d'enregistrement des consommations qui permette de faire ressortir ces éléments...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous voulez dire que l'on ne va pas jusqu'au bout de la logique ?
M. Fabien Choné . - Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous ne sommes pas là pour relancer le débat sur Linky. Monsieur Choné, vous remettez en cause un instrument qui va donner beaucoup plus d'informations aux consommateurs et, par ailleurs, permettre, dans les périodes de pointe, de mieux régler la production pour éviter que des régions entières subissent des ruptures d'alimentation. L'amélioration est évidente ! Ne critiquez pas cet instrument de manière caricaturale !
Vous êtes président de l'ANODE. On connaît votre opposition aux prix régulés, mais soyez prudent : reconnaissez que Linky apporte des améliorations ! Votre manière de présenter les choses est excessive !
M. Fabien Choné . - Si c'est ce que vous avez compris, monsieur le président, alors je me suis mal exprimé, car tel n'est pas le message que je souhaite faire passer. Soyons bien clairs : le dispositif Linky est absolument nécessaire, il est fondamental pour le système électrique français, on ne fera rien sans lui ! On peut mettre en place un dispositif de rémunération de la capacité, mais si l'on est incapable de mesurer la consommation, il ne servira à rien.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Très bien ! Je suis heureux de vous l'entendre dire !
M. Fabien Choné . - Si l'ANODE vous présente aujourd'hui ces remarques, c'est parce qu'elle entend être constructive : elle ne veut pas que l'on investisse 5 milliards d'euros dans un dispositif certes nécessaire, mais qui ne serait pas optimal.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le dispositif sera évolutif : il y aura trois générations de compteurs. Le premier appel d'offres ne portera que sur une partie des compteurs à déployer en France, de manière à permettre, lorsque des compteurs plus performants seront disponibles, de les installer au fur et à mesure. Mais il est sûr que le consommateur qui recevra son nouveau compteur dans un an disposera d'une information moins complète que celui qui obtiendra le sien dans cinq ans, parce que la première version sera moins « intelligente ».
M. Fabien Choné . - Pour abonder dans votre sens, je soulignerai que notre proposition d'enregistrer les deux types de consommation que j'évoquais serait très simple à mettre en oeuvre dans le cadre de l'évolution du compteur et ne représenterait pas de surcoût. Nous estimons simplement qu'il est dommage de ne pas paramétrer correctement les compteurs avant de procéder à leur déploiement : quatorze index d'enregistrement sont prévus dans Linky, c'est largement suffisant pour faire ce que nous proposons. Dix index sont réservés à l'offre du fournisseur : c'est trop ! Est-il raisonnable d'envisager qu'un fournisseur propose à un consommateur lambda dix postes tarifaires par mois, soit cent vingt postes par an ? Ce n'est pas souhaitable ! C'est pourquoi nous avons suggéré à l'administration qui, malheureusement, ne nous a pas suivis, qu'un certain nombre des index d'enregistrement déjà prévus soient réservés aux mesures relatives à l'ARENH et au mécanisme de capacité.
Nos propositions sont donc vraiment constructives et, je le répète, leur mise en oeuvre n'entraînerait aucun coût supplémentaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Message reçu !
M. Fabien Choné . - Une troisième observation relative à Linky nous paraît également très importante. Ce dispositif est fondamental pour véhiculer l'information sur le coût réel de l'électricité vers le consommateur, mais sera-t-il suffisant, notamment pour assurer une meilleure maîtrise de la consommation du chauffage électrique ? Nous pensons que tel n'est pas le cas !
Si l'on veut que les Français agissent sur leur consommation, notamment au titre du chauffage électrique, il faut que le signal tarifaire arrive jusqu'à l'installation de chauffage. Autrement dit, une fois que le nouveau compteur sera posé, il faudra mettre en place des asservissements des radiateurs électriques en fonction des signaux tarifaires de Linky, de manière que les chauffages électriques s'effacent, en suivant exactement le modèle déjà mis en place pour les chauffe-eau électriques : onze millions de chauffe-eau électriques sont déjà ainsi asservis.
Pour aller au bout de la logique d'efficacité du dispositif de maîtrise de la demande en pointe, nous pensons qu'il est nécessaire d'asservir le chauffage électrique. Notre proposition exacte, puisque la mise en place de cet asservissement coûte très cher, notamment du fait de la nécessité de faire appel à un professionnel, consiste à coupler la pose du compteur à l'installation facultative simultanée du dispositif d'asservissement du chauffage électrique. Cet aspect est essentiel, parce que le coût de la mise en place de l'asservissement peut être évalué à 150 euros : si l'on arrive à associer les deux opérations, il sera réduit des deux tiers.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces auditions sont intéressantes parce que nous sortons toujours du sujet... ( Sourires .) Je pense toutefois qu'une explication complémentaire est peut-être nécessaire pour certains de nos collègues.
Vous parlez de l'effacement chez le particulier. Ce débat a été très important et les associations de consommateurs ont défendu leurs mandants. Il ne faut pas instaurer d'effacement automatique pour les consommateurs, puisque le système d'effacement qui a été mis en place pour les industriels repose sur l'adhésion : certains industriels, en fonction de leur activité ou de leurs besoins, s'engagent par contrat à effacer leur consommation dans des périodes de pointe, mais ils ne souhaitent pas le faire à d'autres moments. Le même principe doit s'appliquer pour les particuliers : il ne faudrait pas que le fournisseur, au moment d'une pointe de consommation, puisse couper d'autorité le chauffage chez les particuliers pendant dix minutes, un quart d'heure, voire davantage. Le consommateur doit être libre d'adhérer ou non à cet effacement.
Je suis tout à fait d'accord avec l'idée d'équiper, dans l'avenir, les logements pour permettre la mise en oeuvre du système que vous avez décrit, car c'est indéniablement une solution intelligente, mais soyez prudent dans votre manière de présenter les choses !
M. Fabien Choné . - Encore une fois, si je n'ai pas été suffisamment clair, veuillez m'en excuser. Il est évidemment inenvisageable qu'un tel dispositif soit imposé de manière autoritaire. D'ailleurs, en ce qui concerne les chauffe-eau électriques, le consommateur dispose d'un relais qui lui permet de rester maître de son utilisation. C'est évidemment fondamental !
Simplement, si l'on veut aller au bout de la logique, il faut asservir le chauffage électrique, chez les particuliers qui le souhaitent, afin de réduire les pics de consommation, voire de compenser l'intermittence des énergies renouvelables - on peut d'ailleurs imaginer que, demain, cela soit fait indépendamment des pics de consommation. Le coût de la mise en place de cet asservissement chez cinq millions d'utilisateurs du chauffage électrique, lié au déplacement d'un professionnel, peut être évalué entre 500 millions et 600 millions d'euros. Cette somme est déjà payée au travers de la mise en oeuvre de Linky : si l'on veut rentabiliser davantage ce projet et aboutir à un résultat effectif, il faut envisager l'application de notre proposition. Telle est notre réponse à votre question : « Sur quels leviers préconisez-vous d'agir afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ? »
M. Ladislas Poniatowski, président . - Proposition pertinente !
M. Fabien Choné . - J'en viens à votre question sur les coûts de distribution et leur couverture.
Les coûts des infrastructures de réseaux connaissent aujourd'hui une évolution très sensible, qui aboutit à envisager une hausse du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité d'environ 10 % d'ici à 2015, si je reprends les chiffres du président de la CRE, qui est forcément bien placé pour les évaluer. Cette hausse est comparable à celle résultant de la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire ; c'est un élément très important de la hausse attendue.
Deux types d'investissements nouveaux doivent être couverts : ceux qui concernent la qualité d'alimentation et ceux qui ont trait aux énergies renouvelables.
Sur le premier point, on nous explique aujourd'hui qu'il faut surinvestir dans les réseaux, notamment le réseau de distribution, pour retrouver le niveau de qualité moyen atteint en 2000, niveau qui s'est dégradé depuis. Mais de quel optimum économique parle-t-on ? Le niveau de qualité atteint en 2000 est-il celui qui était souhaité à cette époque ? Est-il celui que l'on attend aujourd'hui ? Nous ne disposons pas d'informations dans ce domaine. Quelle méthode permet de trouver le meilleur compromis entre les investissements réalisés, qui ont une incidence importante sur les coûts et donc sur les tarifs réglementés, et le niveau de qualité souhaité ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous parlez de la dégradation du réseau de distribution, pas du réseau de transport ?
M. Fabien Choné . - Je parle des réseaux de distribution.
La Commission de régulation de l'énergie, qui propose les tarifs d'accès au réseau, estime que des programmes d'investissement très importants doivent être engagés. Ces programmes sont également proposés par les gestionnaires de réseaux en fonction du besoin affiché d'améliorer le niveau de qualité. Tout le monde est favorable à l'augmentation du niveau de qualité : en tant que fournisseurs, nous estimons que cette démarche est dans l'intérêt de nos clients. Mais, dans le contexte haussier actuel de l'évolution des prix de l'électricité, nous nous demandons si le compromis entre le niveau des investissements lourds et le niveau de qualité a été correctement envisagé. Nous ne disposons d'aucune information sur ce point et nous aimerions savoir si ce compromis a été judicieusement évalué.
J'ajoute que l'impression qui se dégage des contacts que nous avons avec nos clients et l'ensemble des parties prenantes est que le problème ne se pose pas en termes de niveau de qualité moyen, mais en termes de disparités régionales. Certaines régions bénéficient d'une qualité de service excellente, alors que dans d'autres elle est exécrable...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Dans quelles régions la qualité est-elle excellente ?
M. Fabien Choné . - Plutôt dans les zones urbaines...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Effectivement, il s'agit plus d'une opposition entre la France rurale et la France urbaine que d'une véritable disparité géographique. Nous évoquerons ce sujet lors de l'audition de Mme Bellon.
M. Fabien Choné . - La question du compromis entre coûts et qualité me paraît donc importante.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quelle est votre estimation du coût de la distribution ?
M. Fabien Choné . - Aujourd'hui, le tarif d'accès au réseau doit se situer aux environs de 40 euros par mégawattheure, soit environ 45 % de la facture hors taxes reçue par les clients.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il s'agit simplement de la distribution, pas du transport ?
M. Fabien Choné . - Contrairement au gaz, pour l'électricité, le coût de la distribution inclut celui du transport, puisque c'est le distributeur qui paie l'accès au réseau de transport.
M. Ladislas Poniatowski, président . - M. Maillard, que nous avons auditionné hier, indiquait un coût de 10 euros pour la partie transport, ce qui voudrait dire que celui de la partie distribution s'élèverait à 35 euros par mégawattheure.
M. Fabien Choné . - Ces chiffres me paraissent tout à fait raisonnables. Il faut les entendre hors taxes et contributions.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous constatons que leurs promoteurs paient le raccordement au réseau, mais pas le renforcement de celui-ci. Or le coût du renforcement du réseau de distribution, qui est très important et représente des centaines de millions d'euros, voire des milliards d'euros à l'horizon de 2020, est supporté par les consommateurs. Au regard de l'objectif affiché par votre commission d'enquête, nous estimons qu'il est légitime d'imputer ce coût aux agents qui l'induisent, à savoir les promoteurs des énergies renouvelables ; c'est la meilleure manière de le limiter.
Nous sommes donc favorables à la proposition de la Commission de régulation de l'énergie, qui procède actuellement à une consultation sur le prochain tarif d'accès au réseau, de mettre en oeuvre un « timbre d'injection » pour traiter cette question. Il faut que vous sachiez que le tarif d'utilisation des réseaux, aujourd'hui, est payé par les seuls consommateurs. Les producteurs ne paient rien, ou quasiment rien : ils acquittent une participation au titre du système électrique européen.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ils ne paient pas pour les renforcements nécessaires...
M. Fabien Choné . - Non. Est-ce une bonne chose que les producteurs ne paient rien ? Nous ne le pensons pas, notamment au regard de votre interrogation sur la bonne imputation des coûts aux agents économiques.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Grâce au Sénat, un changement est intervenu : les producteurs supportent au moins les coûts de raccordement ! Auparavant, même le raccordement était mis à la charge du distributeur. En revanche, le producteur ne supporte effectivement pas le coût du renforcement du réseau : c'est le distributeur, autrement dit les consommateurs français.
M. Fabien Choné . - Et c'est tout à fait regrettable, parce que si le producteur assumait ce coût, il choisirait les sites les plus adaptés pour implanter ses installations...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce débat a été tranché. D'ailleurs, sur cette question, le vote du Sénat avait été unanime. Nous n'allons pas refaire les lois tous les deux ans. On n'avance pas beaucoup avec des remises en cause permanentes de la loi. J'entends le même discours chaque année !
M. Fabien Choné . - Une nouvelle fois, je me suis mal exprimé : il est hors de question pour nous de remettre en cause la loi sur ce point ! La CRE propose aujourd'hui, dans le cadre de ses attributions, de mettre en place un « timbre d'injection » différencié géographiquement pour inciter les producteurs à s'installer là où leur arrivée entraîne le moins de besoins en matière de renforcement du réseau. Notre approbation de cette proposition ne remet pas du tout en cause ce qui a été voté par le Parlement...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pourriez-vous expliquer ce qu'est un « timbre d'injection » ?
M. Fabien Choné . - Cela consiste à faire payer par les producteurs le coût de l'injection de leur production dans le réseau électrique. Cela correspond en fait au tarif d'accès au réseau pour les producteurs...
M. Jean-Pierre Vial . - Par analogie avec le timbre de soutirage !
M. Fabien Choné . - Exactement ! Je suis désolé de devoir recourir à ce jargon technique !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce tarif est-il calculé en fonction de la quantité injectée ou de la situation géographique ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cela reviendrait à remettre en cause tout le schéma éolien français ! Ce schéma est à peu près équilibré - certains l'acceptent, d'autres le refusent. Selon votre logique, monsieur Choné, on rejetterait tout projet éolien là où le raccordement entraînerait des investissements trop importants en matière de renforcement !
M. Fabien Choné . - Il ne s'agit pas de faire payer les investissements de renforcement, il s'agit de créer pour les producteurs un tarif d'accès au réseau qui tienne compte de critères géographiques, de manière à orienter les investissements vers les zones où ils sont le plus efficaces pour la collectivité. Il ne s'agit pas de faire payer des renforcements au cas par cas : ce sujet est dépassé, nous sommes bien d'accord.
Nous soutenons la proposition de la CRE, parce que nous estimons qu'elle a vocation à imputer correctement aux agents économiques les coûts de leur activité pour le système électrique. Nous regrettons que l'ensemble des charges du réseau soient supportées par les consommateurs, parce qu'il serait beaucoup plus efficace d'en faire payer une partie aux producteurs. L'explication est simple : en matière de consommation, un système de péréquation tarifaire existe en France, sur lequel personne ne souhaite revenir, alors qu'en termes de production, tel n'est pas le cas. Or les producteurs, par la localisation de leurs équipements et leur programme de fonctionnement, influent directement sur la structure des coûts du réseau, mais également sur l'importance des pertes. Vous savez que le plan de pertes dépend aujourd'hui directement du plan de production : s'il existait une tarification de l'accès au réseau pour les producteurs, on pourrait influer sur le plan global de production du parc français, et donc réduire les pertes dans notre pays. En imputant correctement aux agents économiques le vrai coût des pertes, on pourrait diminuer celles-ci, ce qui correspond à l'intérêt général !
Vous avez également posé une question sur le mix énergétique idéal pour la France et sur les coûts dans dix ans ou vingt ans. Je n'entrerai pas dans le détail de ces sujets, car je pense que l'ANODE n'est pas la mieux placée pour vous donner des éléments d'information. Je souhaite simplement rappeler que nous sommes en phase avec la politique énergétique française actuelle, qui favorise les énergies décarbonées. Aujourd'hui, notre système électrique est très décarboné : il faut continuer d'en profiter, effectuer les substitutions nécessaires au bénéfice de l'électricité, par exemple avec le véhicule électrique, ce qui signifie qu'une augmentation de la consommation française électricité ne serait pas nécessairement une mauvaise nouvelle en termes d'efficacité économique et écologique.
Pour cela, il faut s'appuyer sur les deux piliers de la politique énergétique française, à savoir le développement des énergies renouvelables, d'une part, et la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, d'autre part. Ces deux objectifs ne paraissent nullement contradictoires : bien au contraire, ils sont complémentaires. Nous pensons que l'avantage économique que représente le nucléaire historique permet de rendre acceptables les efforts que nous devons consentir pour développer les énergies renouvelables jusqu'à ce que ces filières deviennent matures.
Il est donc tout à fait cohérent de conserver ces deux piliers, maintenus par une clé de voûte, le développement des cycles combinés gaz. En effet, sans ces centrales qui assurent la flexibilité du système électrique, l'ensemble ne fonctionnera pas. La clé de voûte est une toute petite pierre par rapport à l'ensemble de l'édifice, mais elle lui permet de tenir debout : le développement des cycles combinés gaz nous paraît donc absolument nécessaire. Enfin, on l'a évoqué tout à l'heure, il faut que les obligations d'achat participent le plus possible aux efforts visant à faire évoluer notre consommation.
Pour conclure, j'ajouterai un dernier mot sur la situation du marché français : nous pensons que de nombreuses évolutions sont nécessaires pour tenir compte du contexte économique général, notamment de l'évolution des prix des matières premières. La concurrence a selon nous un rôle important à jouer, en termes à la fois de modération tarifaire et d'innovation, notamment dans les services. Aujourd'hui, la concurrence est critiquée : certains estiment qu'elle n'a rien apporté. Il faut le reconnaître, la concurrence n'a pas apporté beaucoup, mais elle a été étouffée jusqu'à maintenant, pour ne pas dire asphyxiée. Il est donc nécessaire de lui permettre de trouver très rapidement un espace économique, afin qu'elle puisse apporter tout ce qu'elle doit aux Français, notamment en termes d'innovation. Il convient également de la rendre compatible avec les dispositifs de précarité énergétique, parce qu'il faut absolument éviter que les évolutions que nous proposons ne laissent au bord de la route des Français en difficulté.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Choné, je vous remercie de cet exposé très complet. Monsieur le rapporteur, avez-vous obtenu toutes les réponses que vous souhaitiez aux questions que vous avez posées ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument, monsieur le président.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je me garderai bien d'ouvrir à nouveau le débat sur le compteur dit « intelligent ».
Monsieur Choné, vous avez dit tout à l'heure que les bénéfices de la mise en oeuvre des énergies nouvelles n'étaient revenus qu'à hauteur de 20 % dans la poche des investisseurs réels et que les 80 % restants avaient nourri la spéculation. Pouvez-vous nous fournir des éléments plus précis sur ce point, y compris les noms des entreprises qui auraient bénéficié indûment de cette manne ?
M. Fabien Choné . - J'ai évoqué ces chiffres à propos non pas des énergies renouvelables, mais des certificats d'économie d'énergie. Représentant des opérateurs qui ne sont pas dominants en France, je ne saurais garantir leur exactitude.
Globalement, quand nous payons 4 ou 4,5 euros par mégawattheure cumulé actualisé un certificat d'économie d'énergie, nous avons le sentiment qu'une part importante de ce montant revient aux installateurs et une autre aux intermédiaires, ceux qui coordonnent les installateurs et mettent en place les procédures administratives liées aux certificats d'économie d'énergie. On peut estimer que ces intermédiaires créent des emplois, mais ces emplois, compte tenu de l'efficacité globale du système, ne créent pas beaucoup de valeur pour la France, de notre point de vue. C'est pourquoi nous souhaitons remettre en cause le dispositif.
En fait, 20 % seulement de la dépense globale liée au dispositif revient au consommateur qui isole son logement ou change ses fenêtres, sous forme de ristourne sur sa facture. Pourquoi le retour est-il aussi faible ? Parce que le consommateur ne connaît absolument pas le dispositif des certificats d'économie d'énergie et n'est pas responsabilisé. Il ne sait pas exactement à quoi il pourrait prétendre, quel est le coût du mégawattheure cumulé actualisé ni à combien de mégawattheures cumulés actualisés il aurait droit en fonction de son isolation. Le dispositif est tellement opaque que le consommateur n'a pas les moyens de négocier à armes égales avec celui qui lui propose d'en bénéficier, en général l'installateur. Pour nous, il est urgent, a minima , de communiquer très largement sur ce dispositif pour que les consommateurs sachent à quoi ils pourraient prétendre pour financer leurs investissements, ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui. Demandez autour de vous qui sait ce qu'il pourrait récupérer en changeant ses fenêtres : je vous mets au défi de trouver une seule personne capable de répondre !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je n'ai pas pu assister au début de cette audition, mais j'en lirai le compte rendu avec une grande attention.
Vous avez annoncé tout à l'heure un coût de production du mégawattheure en cycle combiné gaz de 75 euros. Aujourd'hui, sur le marché spot , en dehors des pics de consommation, le prix du mégawattheure s'élève à 50 euros environ. D'ici au milieu de la décennie, donc dans très peu de temps, nous pourrons disposer d'une production d'énergie renouvelable européenne beaucoup plus forte - environ 10 mégawatts supplémentaires l'année prochaine pour la seule Allemagne - et l'interconnexion se développe rapidement, comme nous l'avons vu hier. Je me pose donc la question suivante : si le coût de production du mégawattheure en cycle combiné gaz reste de 75 euros et si, en dehors des périodes de très grande pointe, l'Europe connaît une surcapacité de production électrique, notamment d'origine renouvelable, votre mégawattheure ne risque-t-il pas de ne pas être compétitif, hormis en cas d'extrême pic de consommation ? Quel est le modèle économique d'un tel investissement ? Prenons l'exemple de la centrale de Landivisiau, que je connais un peu : pour obtenir un retour sur investissement satisfaisant, faut-il qu'un équipement de ce type fonctionne 60 % du temps, voire 80 %, ou peut-il ne fonctionner qu'à la demande ?
Par ailleurs, avez-vous réfléchi au fait que vos centrales à cycle combiné gaz pourraient s'insérer dans un modèle de stockage de l'énergie, y compris de méthanation, en produisant à certains moments de l'hydrogène ou du méthane que vous réinjecteriez ensuite dans le cycle ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces deux questions s'adressent plus au directeur général de Direct Énergie qu'au président de l'ANODE. En ce qui concerne la première d'entre elles, monsieur Choné, ne revenez pas sur tout ce que nous avez dit tout à l'heure avant que M. Dantec n'arrive.
M. Fabien Choné . - Soyons clairs : un cycle combiné gaz, aujourd'hui, n'est pas rentable. Nous le disions tout à l'heure, la société qui gère la centrale de Pont-sur-Sambre a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde avant-hier : elle se trouve donc dans une situation dramatique.
Vos questions recouvrent deux sujets essentiels : la rémunération de la capacité de production, qui est nécessaire notamment pour financer la participation des équipements à la sécurité d'approvisionnement, et la meilleure participation au système électrique des moyens de production sous obligation d'achat. Aujourd'hui, les promoteurs de ces derniers se moquent éperdument de l'incidence de leurs installations sur le système électrique, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques pour ceux qui sont soumis aux règles du marché concurrentiel, notamment les exploitants des centrales à cycle combiné gaz.
En ce qui concerne la durée de fonctionnement d'une centrale à cycle combiné gaz, que nous définissons comme un moyen de production de semi-base, un tel équipement a vocation à tourner entre 3 500 et 4 000 heures par an, soit environ 40 % de l'année.
Enfin, vous avez évoqué l'idée de coupler des moyens de production avec des systèmes de stockage de l'énergie. Les enjeux en matière de stockage de l'électricité sont effectivement cruciaux - cela ne concerne d'ailleurs pas seulement les cycles combinés gaz, mais aussi les énergies renouvelables et, plus globalement, tous les moyens de production du système électrique. J'attire votre attention sur le fait que les chauffe-eau électriques - je reviens sur la question des effacements diffus - pourraient être envisagés, demain, comme des dispositifs de stockage de l'énergie si l'on parvenait à les piloter plus efficacement qu'aujourd'hui. Le chauffage électrique pourrait également très bien participer à l'équilibrage global du système, à condition de gérer convenablement son asservissement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je souhaiterais poser une dernière question.
Selon vous, monsieur Choné, une incertitude demeure quant aux décisions d'investissement pour l'amélioration du réseau de distribution. Si je vous ai bien compris, il existe une demande pour revenir au niveau de qualité de l'année 2000, mais vous ne comprenez pas exactement ce qu'elle recouvre ?
M. Fabien Choné . - Nous devons effectuer des choix économiques : si l'on réalise tous les investissements prévus, il en résultera des hausses de prix très importantes. Il nous paraît essentiel que les choix politiques entraînant des investissements, des coûts et des évolutions de prix soient clairement assumés et optimisés. En matière d'investissements dans les réseaux pour augmenter la qualité moyenne, nous ne disposons d'aucun élément pour déterminer quel est l'optimum. Or de tels investissements auront des conséquences très importantes sur l'évolution des tarifs réglementés à l'horizon de 2015, puisqu'ils représentent un tiers de la hausse envisagée par le président de la CRE.
Nous souhaitons donc que la doctrine technico-économique qui amène à décider ces investissements très lourds soit clarifiée, rendue plus transparente. Nous voulons connaître les paramètres pris en compte, notamment le niveau de qualité souhaité - le fameux « critère B », c'est-à-dire la durée moyenne annuelle de coupure. Ils doivent faire l'objet d'un choix assumé par tout le monde, ce qui ne nous paraît pas être le cas aujourd'hui. En tout cas, nous ne disposons d'aucune information.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cette demande de qualité correspond aussi à une attente des élus. Pendant dix ans, on a cessé d'investir dans le réseau de distribution en France. Les investissements ont repris depuis 2008, le rattrapage est important, mais un terrible retard s'est accumulé ! Les élus, notamment tous les présidents de syndicat d'électricité de France, demandent qu'ERDF fasse preuve d'une plus grande transparence dans ses choix. Monsieur le rapporteur, nous recevrons prochainement Mme Bellon : vous aurez l'occasion de lui poser votre question directement !
Monsieur Choné, je vous remercie de la précision de vos réponses.
Audition de M. Henri Proglio, président-directeur général d'Électricité de France
(14 mars 2012)
M. Claude Léonard , président . - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai l'honneur de présider cette séance en remplacement de M. Ladislas Poniatowski.
Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux par l'audition de M. Henri Proglio, président-directeur général d'Électricité de France, EDF.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage annuel, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons notamment conduits à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité afin d'éclairer les choix énergétiques français.
À cette fin, la commission a souhaité vous entendre, monsieur Proglio, en votre qualité de dirigeant d'EDF. La position d'opérateur historique et de principal producteur et fournisseur d'électricité d'EDF en France rend bien évidemment incontournable votre audition sur le sujet qui occupe notre commission d'enquête.
Je vous remercie, monsieur Proglio, d'être présent aujourd'hui devant notre commission.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
La commission a souhaité que la présente audition soit publique. Un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à M. Proglio, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, monsieur Proglio, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
( M. Henri Proglio prête serment .)
M. Claude Léonard , président . - Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser les attentes de notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Proglio aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur Proglio, nous vous avons adressé six séries de questions, car nous ne voulions pas vous poser de questions-surprises. Au contraire, nous souhaitions avoir de votre part des réponses argumentées, étayées.
Pour commencer, permettez-moi de rappeler ces questions.
Première série de questions : les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent-ils actuellement, selon vous, les coûts réels complets de production, de transport, de distribution et de fourniture ?
Par ailleurs, après la mise en place de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, la loi NOME, et l'obligation d'EDF de céder une partie de son électricité d'origine nucléaire à ses concurrents à un tarif spécifique - l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique -, censé représenter le coût de production de son parc historique, vos concurrents sont-ils en mesure de proposer des offres attractives aux consommateurs ? Comme vous le savez, certains d'entre eux considèrent que le prix actuel - 42 euros le mégawattheure - procure une marge excessive à votre entreprise, notamment au regard du coût du nucléaire que GDF Suez opère en Belgique. Ce tarif est-il pertinent ?
Deuxième série de questions : quel est le coût actuel de la production d'électricité par les différentes filières ? À cet égard, comment réagissez-vous aux conclusions de la Cour des comptes sur le coût de la filière électronucléaire ?
Par ailleurs, quelle est l'évolution prévisible de ces coûts à une échelle de dix ou vingt ans ?
Quel sera demain, selon vous, un mix électrique compétitif et comment se traduira-t-il en termes de prix de l'électricité ?
Troisième série de questions : la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires n'est-elle pas un pari compte tenu des investissements qui sont nécessaires et de l'incertitude qui pèse sur la date de leur arrêt ?
Comme le rappelle la Cour des comptes, EDF a évalué le coût des investissements de prolongation de vie des centrales nucléaires à 50 milliards d'euros en valeur 2010 sur les quinze prochaines années, à comparer aux 73 milliards d'euros du coût de la construction du parc. Ce coût est-il raisonnable, alors même que l'on ne dispose pas de vision claire sur la durée de vie des éléments non remplaçables, comme la cuve des réacteurs ?
En tout état de cause, une prolongation de la durée de vie des centrales actuelles dispensera-t-elle EDF d'investir dès à présent dans des infrastructures de remplacement de ces centrales, construites dans un intervalle de temps resserré ?
Quatrième série de questions : pour succéder, à plus ou moins long terme, aux centrales nucléaires de la génération des années soixante-dix à quatre-vingt-dix, vous semble-t-il préférable d'investir dans une nouvelle technologie nucléaire comme l'EPR ou bien dans des technologies renouvelables matures, par exemple l'éolien terrestre ?
Des technologies comme la méthanation peuvent-elles permettre, à un horizon raisonnable, de répondre à la question de l'intermittence de ces moyens de production à des conditions économiques acceptables ?
Cinquième série de questions : que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, qui considère que les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Partagez-vous ce diagnostic et, dans l'affirmative, pourquoi ?
D'une manière générale, la France peut-elle rester durablement compétitive en Europe en matière de prix de l'électricité ?
Enfin, sixième et dernière question : quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien - la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et les dispositifs fiscaux - aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération ?
M. Claude Léonard , président . - Monsieur Proglio, vous avez la parole.
M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, je vais vous lire les réponses qui ont été préparées aux questions qui nous ont été adressées par écrit. Je vous prie de bien vouloir me pardonner l'emploi d'un vocabulaire technique. Je serai ensuite évidemment à votre disposition pour répondre à toutes vos questions complémentaires.
Je commencerai par les premières questions de M. le rapporteur sur les tarifs régulés et sur les coûts réels de l'électricité.
Aujourd'hui, les tarifs régulés de l'électricité, et plus globalement les prix payés par l'ensemble des consommateurs français, sont très largement inférieurs à la moyenne des prix des pays européens. Les prix européens sont en effet 50 % plus élevés en moyenne qu'en France. Cette donnée est facilement vérifiable.
Cela représente un gain de pouvoir d'achat pour les ménages de l'ordre de 300 euros par an. Quant aux entreprises, notamment les entreprises industrielles fortes consommatrices d'énergie, elles trouvent en France un avantage compétitif majeur.
Or, aujourd'hui, les tarifs réglementés de vente d'électricité ne reflètent plus l'intégralité des coûts complets de sa production, de son acheminement et de sa commercialisation.
Cette affirmation s'appuie sur les évaluations d'EDF, ainsi que sur le rapport de la Cour des comptes publié en janvier dernier, lequel y fait déjà référence. Le coût de production du parc nucléaire existant est évalué à 49,5 euros le mégawattheure en 2010.
Cette valeur est très inférieure à tout moyen de production neuf, qu'il s'agisse d'un parc nucléaire neuf, de cycles combinés gaz ou des énergies renouvelables, mais elle est supérieure au prix actuel de l'ARENH, qui s'établit à 42 euros le mégawattheure - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur -, et aux tarifs réglementés.
Nous sommes en effet entrés dans une phase d'investissements massifs, qui permettront d'allonger la durée de fonctionnement du parc de production, de répondre aux exigences de sûreté de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, et d'améliorer la qualité du réseau, afin de permettre aux Français de continuer de bénéficier d'un prix de l'électricité particulièrement compétitif.
La première chose à dire concernant le rôle du prix de l'ARENH dans le développement de la concurrence est qu'il est impossible qu'EDF cède une part de sa production à ses concurrents sans que ceux-ci en paient rapidement le coût complet.
Par ailleurs, j'observe que les concurrents d'EDF, qui trouvaient le prix de l'ARENH trop élevé, se sont tous portés acquéreurs dès le jour où l'ARENH a été disponible, et ce en grande quantité.
Je constate également que les concurrents d'EDF ont acquis un portefeuille de près de deux millions de clients et que la concurrence est très vive sur le marché des entreprises grandes consommatrices.
S'agissant des centrales nucléaires en Belgique, qui auraient un coût de 28 euros le mégawattheure, ce montant ne représente en rien le coût complet de production. Je l'ai déjà dit et je répète : je suis prêt à acheter toute la production à ce prix, en Belgique ou ailleurs. Ce coût ne tient pas compte des investissements nécessaires à la construction du parc, ce qui est un comble pour une industrie aussi capitalistique que la nôtre !
Je précise que, selon Eurostat, le prix de vente en Belgique est de 213 euros TTC le mégawattheure pour les ménages et de 75 euros le mégawattheure pour les grands industriels. Nous sommes donc très loin des coûts avancés et nettement - de l'ordre de 20 % à 60 % - au-dessus des prix français.
J'en viens à votre deuxième série de questions, monsieur le rapporteur.
L'entreprise EDF, leader mondial de l'électricité, présente sur l'ensemble des filières de production, est bien placée pour connaître les coûts des différentes filières et pour essayer de prévoir leurs évolutions.
En France, le parc nucléaire existant reste aujourd'hui le moyen le plus compétitif pour produire de l'électricité, après, bien sûr, l'hydraulique, dont l'essentiel du potentiel - les barrages - a été équipé depuis longtemps. Les barrages hydrauliques font d'ailleurs l'objet, comme vous le savez, d'un projet de mise en concurrence.
Le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire confirme ce point : le coût de production nucléaire est évalué à 49,5 euros le mégawattheure pour l'année 2010 en utilisant une approche économique - la seule qui soit pertinente -, dont la Cour dit elle-même qu'elle englobe l'ensemble des coûts, passés, présents et futurs de la filière nucléaire.
Cette valeur est proche de nos propres évaluations, dont, vous vous en souvenez, nous avions parlé voilà déjà dix-huit mois à l'occasion de la loi NOME. Elle est à la fois bien supérieure à la part production en base des tarifs régulés de vente actuels, qui est de l'ordre de 38 euros le mégawattheure, et bien inférieure au coût de tout autre moyen de production, actuel ou futur. Cela justifie que l'on cherche à tirer le meilleur parti du parc nucléaire existant, le plus longtemps possible, ce qui permettra de procéder à son renouvellement avec les meilleures technologies parvenues à maturité sur le plan industriel.
En effet, le coût complet de production de l'électricité à partir de charbon ou de gaz est aujourd'hui de l'ordre de 70 euros à 75 euros le mégawattheure, à comparer aux 49,5 euros du nucléaire, avec les technologies existantes et pour une production de base, c'est-à-dire constante tout au long de l'année. Je précise que ce calcul est effectué avec les prix actuels des combustibles, qui sont particulièrement bas pour le gaz. Ce prix est de l'ordre de 8 à 10 dollars par million de BTU, l'unité thermale britannique. Ils sont certes plus élevés pour le charbon - 100 dollars la tonne -, mais avec un prix du CO 2 très bas, qui s'établit à 8 euros la tonne. Or celui-ci est prépondérant pour la filière charbon.
Ces équipements classiques au charbon ou au gaz connaîtront bien sûr des évolutions technologiques au cours des dix à vingt prochaines années, principalement pour le gaz. Le nouveau cycle combiné que nous engageons à Bouchain avec General Electric atteindra ainsi un rendement de 60 %, contre moins de 58 % aujourd'hui. Cette évolution devrait permettre de gagner entre 3 euros et 5 euros par mégawattheure. Pour autant, nos perspectives de prix du gaz et du CO 2 sont à la hausse. Nous estimons que le coût du mégawattheure variera dans une fourchette raisonnable comprise entre 70 euros et 100 euros pour les équipements au charbon ou au gaz. Par exemple, un cycle combiné au gaz à haut rendement, avec un prix du gaz de 12 ou 13 dollars le million de BTU et un prix du CO 2 de l'ordre de 40 euros par tonne, produit une électricité aux environs de 100 euros le mégawattheure.
Le nouveau nucléaire sera compétitif par rapport à ces moyens classiques, mais coûtera lui-même sensiblement plus cher que le parc existant, pour des raisons qui tiennent à la fois aux évolutions de conception, aux évolutions réglementaires et aux coûts de construction. La Cour des comptes indique que le coût de production de Flamanville 3, l'EPR en cours de construction, pourrait se situer entre 70 euros et 90 euros le mégawattheure. Celui-ci n'est évidemment pas représentatif du coût d'un réacteur génération 3 de série, car Flamanville est un pilote. Nous travaillons à l'industrialisation de ce réacteur avec Areva, afin d'intégrer le retour d'expérience de réalisation, mais aussi de conception.
Quant aux énergies renouvelables, ou plus exactement les énergies nouvelles - je rappelle que l'hydraulique joue un rôle déterminant parmi les énergies renouvelables -, elles ne rendent pas, il faut le noter, un service comparable aux équipements nucléaires, au charbon ou au gaz, du fait de leur intermittence. En Europe, un panneau solaire produit sa pleine capacité en moyenne seulement un jour sur huit et une éolienne terrestre un jour sur quatre. Même si le nucléaire peut fournir une certaine modulation de sa puissance, un développement fort des énergies renouvelables s'accompagnerait du développement de moyens thermiques et de stockage, afin d'assurer la compensation du caractère intermittent de ces énergies, avec le coût et les émissions de CO 2 correspondants.
Par ailleurs, ces énergies nécessitent de coûteux développements du réseau, comme l'ont souligné à plusieurs reprises RTE, Réseau de transport d'électricité, et ERDF, Électricité réseau distribution France, nos filiales de transport et de distribution. L'ensemble de ces coûts, dits de « système », ne sont pas pris en compte aujourd'hui. Ils représentent de l'ordre de 20 euros le mégawattheure, qu'il convient d'ajouter à tous les coûts que je vais vous citer pour les énergies intermittentes.
L'éolien terrestre est racheté 85 euros le mégawattheure et se développe correctement dans ces conditions, ce qui signifie que son coût, non compris les surcoûts système que je viens d'indiquer, est légèrement inférieur. Ce coût évoluera assez peu dans le futur, d'autant que, progressivement, les meilleures zones de vent seront épuisées. Le potentiel français est estimé à environ 100 térawattheures, soit moins du quart de la production du parc nucléaire français.
L'éolien offshore ne s'est pas développé avec un tarif d'achat à 130 euros le mégawattheure. Comme vous le savez, les appels d'offres qui avaient été lancés n'ont pas reçu de réponse. Il fait désormais l'objet de nouveaux appels d'offres, dont un très ambitieux pour près de 3 000 mégawattheures, auquel EDF a concouru. Nous verrons le résultat, mais le coût pourrait se situer, selon toute vraisemblance, entre 170 euros et 200 euros le mégawattheure.
Le solaire photovoltaïque est racheté, pour les nouveaux contrats, jusqu'à 388 euros le mégawattheure lorsque les équipements solaires sont intégrés au bâti résidentiel. L'énergie produite par les fermes solaires est achetée moins chère, de l'ordre de 150 euros à 200 euros le mégawattheure dans les conditions d'ensoleillement de la France. Rappelons que la majorité des volumes rachetés le sont aux tarifs d'avant le moratoire, lesquels peuvent atteindre 600 euros le mégawattheure, sur vingt ans.
Quel est le mix énergétique idéal pour le futur ? Il n'existe pas de bon mix universel. Le mix relève d'une politique énergétique, dans laquelle les pouvoirs publics jouent bien sûr un rôle déterminant. Le mix privilégie plus ou moins certains critères : des critères de compétitivité économique, d'émission de CO 2 , d'indépendance énergétique, de prévisibilité des coûts, ... EDF s'inscrit dans le cadre de cette politique énergétique et s'astreint à rendre le meilleur service énergétique au moindre coût pour la collectivité. On pourrait d'ailleurs tenir le même propos pour les développements que nous faisons au Royaume-Uni, où nous sommes le principal opérateur, ou en Europe centrale et en Italie.
On pense aujourd'hui que les coûts des nouveaux moyens de production des différentes filières devraient être assez proches, entre 70 euros et 100 euros le mégawattheure, qu'il s'agisse du nucléaire, du charbon, du gaz ou de l'éolien terrestre. L'éolien offshore et le solaire sont encore loin de la compétitivité pour les dix à vingt ans qui viennent.
Aujourd'hui, il nous apparaît économiquement justifié, mais aussi prudent, de préserver le parc existant et de mettre à profit cette période pour mieux préparer, de façon industrielle, l'avenir énergétique avec le mix que choisira la France. C'est ce que nous faisons pour le nucléaire, l'hydraulique, le thermique et les énergies nouvelles, avec Alstom par exemple sur l'éolien offshore .
La troisième série de questions portait sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires actuelles, sur les investissements à y consacrer et sur le point de savoir si une prolongation de la durée de vie des centrales actuelles dispenserait EDF d'investir dès à présent dans les infrastructures de remplacement de ces centrales.
Comme je viens de l'indiquer, le nucléaire existant est le moyen de production le plus compétitif. En tirer le meilleur parti représente la meilleure stratégie économique et industrielle pour le pays. EDF a donc pour ambition de porter la durée de fonctionnement de l'ensemble des centrales nucléaires à soixante ans.
Cette démarche est celle de l'ensemble des exploitants nucléaires dans le monde. Les États-Unis, qui disposent de réacteurs de même technologie que les nôtres, mais qui sont en moyenne plus âgés, ont déjà étendu les licences de quarante ans à soixante ans pour plus de la moitié de leurs réacteurs, très exactement pour soixante de leurs cent quatre réacteurs. La Suède, pour prendre un autre exemple, a engagé la même démarche.
En France, la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire de 2006 ne fixe pas de durée limite de fonctionnement à notre parc nucléaire. Elle conditionne la poursuite de l'exploitation à un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, tous les dix ans. Cependant, nous avons entamé avec l'Autorité de sûreté nucléaire des discussions techniques portant sur un plus long terme et sur les conditions techniques requises dans la perspective d'une durée d'exploitation de soixante ans. Pour un programme industriel de cette ampleur, une visibilité supérieure à dix ans est en effet totalement indispensable.
Une limitation à quarante ans de la durée de fonctionnement du parc serait très difficile d'un point de vue industriel et financier. Comme l'ont souligné la Cour des comptes et la commission Énergies 2050, le renouvellement du parc à quarante ans supposerait de mettre en service cinquante gigawatts, soit, par exemple, l'équivalent de trente EPR sur une période courte - une dizaine d'années -, en commençant dès 2020 : le rythme semble industriellement difficile à soutenir, quel que soit le mix énergétique choisi. De ce point de vue, un allongement de la durée de fonctionnement du parc existant permettrait de se donner du temps et des marges de manoeuvre afin de préparer et de programmer au mieux son renouvellement.
Ce projet industriel suppose la réalisation d'environ 55 milliards d'euros d'investissements dans les quinze ans à venir. Ce montant peut certes apparaître considérable, mais il est bien moindre que celui qui serait nécessaire en cas de renouvellement du parc, quelle que soit la technologie utilisée.
Dans ces conditions, le parc existant restera largement compétitif : la Cour des comptes a estimé à 54 euros le mégawattheure le coût du parc intégrant ce programme dans les années à venir. Encore une fois, ce coût est très inférieur à celui de tout autre moyen, qu'il s'agisse du nouveau nucléaire, du thermique à flamme ou des énergies renouvelables.
Ces investissements comprennent une large rénovation, sorte de « grand carénage », indispensable à l'approche des trente ans de fonctionnement. Une fois cette rénovation réalisée, les centrales pourront fonctionner pendant trente nouvelles années, sans préjuger, bien sûr, des avis qui nous sont délivrés tous les dix ans par l'ASN.
L'ensemble de nos investissements contribuent à trois objectifs indissociables : l'amélioration en continu de la sûreté, la performance de notre parc au quotidien, en particulier sa disponibilité, que nous avons déjà très fortement redressée en 2011 - peut-être l'avez-vous constaté -, et sa durée de fonctionnement.
Ces investissements visent à augmenter de manière significative la sûreté, conformément à la démarche d'amélioration continue qui est la nôtre depuis le début du programme nucléaire, tant à la conception qu'en exploitation.
Nous avons ainsi lancé la FARN, la force d'action rapide nucléaire. Certains médias en ont vu les premiers éléments à Civaux, vendredi dernier. Nous avons également annoncé, à la suite des recommandations de l'ASN, l'installation de diesels d'ultime secours et, plus largement, de « noyaux durs » de fonctions de sauvegarde. Le coût de ces travaux est évalué à une dizaine de milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros étaient déjà prévus dans notre programme initial de 50 milliards d'euros. Globalement, EDF devrait donc effectuer 55 milliards d'euros d'investissements - soit 50 milliards plus 10 milliards, moins 5 milliards - dans les quinze ans à venir.
Ces investissements de rénovation et d'amélioration de la sûreté sont porteurs d'emplois et de développement pour l'ensemble de la filière nucléaire qui, rappelons-le, constitue le troisième secteur industriel français. Le nucléaire français a été construit dans les années soixante-dix et quatre-vingt, soit avec des générations qui partent aujourd'hui à la retraite. Il y a donc là une opportunité en termes d'emplois industriels de haute qualification, en particulier dans la métallurgie, la mécanique et l'électronique.
Vous m'avez également interrogé, monsieur le rapporteur, sur les composants non remplaçables que sont la cuve et l'enceinte de confinement. Toutes nos études montrent leur capacité à atteindre les soixante ans. Ces deux composants font l'objet d'une attention particulière et de contrôles très sévères ou d'épreuves à chaque visite décennale, et ce dans une démarche de respect absolu des impératifs de sûreté, sous le contrôle indépendant de l'Autorité de sûreté nucléaire. Ces contrôles sont complétés par des programmes de modélisation, menés conjointement par EDF et le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, qui permettent d'anticiper l'évolution des matériaux.
Ce projet ne nous empêche pas de préparer d'ores et déjà l'avenir : exploiter notre parc sur la totalité des soixante ans permettra de développer des technologies matures et des filières industrielles complètes.
La construction de l'EPR de Flamanville est une première étape. Nous y construisons un nouveau moyen de production nucléaire, mais aussi un retour d'expérience, grâce à notre partenariat avec Areva : d'Olkiluoto à Flamanville, de Flamanville à Taishan en Chine, et de Taishan à nos projets futurs, notamment britanniques, comme vous l'avez compris.
Pour le thermique à flamme, j'ai déjà cité l'exemple du projet de Bouchain, avec General Electric.
Nous contribuons également au développement et à la maturation des filières d'énergies nouvelles. Au-delà de l'hydraulique, nous sommes engagés dans les énergies nouvelles depuis plus de dix ans. Nous avons poursuivi cet engagement en 2011 avec le rachat total d'EDF Énergies nouvelles. En 2011, pour les nouveaux moyens de production, le groupe EDF a plus investi dans les énergies nouvelles que dans le nouveau nucléaire. Nous développons la filière industrielle française tant dans le photovoltaïque que dans l'éolien. Nous avons ainsi, par exemple, le projet de créer une filière française de turbines offshore avec notre partenaire Alstom, dans le cadre des appels d'offres en cours.
Enfin, nous accroissons nos investissements dans la recherche et le développement, à hauteur de 490 millions d'euros pour l'année 2011. Ce budget continue de s'accroître d'année en année.
J'en viens maintenant à la quatrième série de questions, qui portait sur les centrales nucléaires de la génération des années soixante-dix à quatre-vingt-dix et sur les technologies renouvelables.
Il s'agit de renouveler à plus ou moins long terme de quoi produire 420 térawattheures par an, soit les trois quarts de la production française actuelle. Le « plus ou moins long terme » a bien sûr beaucoup d'importance.
Pour les dix à vingt ans qui viennent, nous venons de le voir, le parc existant offre la meilleure compétitivité et, sur des bases économiques, son remplacement ne nous semble pas justifié. Aujourd'hui, les technologies disponibles à moins de 100 euros le mégawattheure, soit le double du coût de production du parc nucléaire existant, sont l'EPR, les cycles combinés gaz et l'éolien terrestre, dont les coûts de production sont compris entre 70 euros et 100 euros le mégawattheure.
La question du choix entre les filières se pose donc à un horizon plus lointain.
Pour un déploiement au-delà de 2030, il serait prématuré d'annoncer aujourd'hui les technologies qui s'imposeront alors que certaines sont encore loin de la maturité : c'est le cas de l'éolien offshore , du photovoltaïque, du solaire à concentration, du nucléaire de génération 4 ou du stockage. À cet égard, il est difficile de comprendre l'exercice de la roadmap 2050 européenne, qui retient un jeu unique de coûts des filières à l'horizon 2050.
Alors que le coût des filières de l'éolien maritime, du solaire photovoltaïque et du solaire à concentration se situe aujourd'hui dans une plage comprise entre 150 euros et 300 euros le mégawattheure, il pourrait se rapprocher du coût des moyens conventionnels.
Le nucléaire de génération 4 et le charbon avec capture et séquestration peuvent également devenir une option, sans doute pas avant 2040 pour la génération 4.
Les moyens de stockage chimique ou le recours à l'hydrogène pourraient alléger les contraintes de la production intermittente, et permettre ainsi une plus grande part d'énergie intermittente - l'énergie solaire, l'éolien terrestre et maritime. Mais là encore, l'incertitude sur les coûts à long terme demeure très importante.
En conclusion, exploiter le parc existant au-delà de quarante années de fonctionnement, c'est se donner la possibilité de faire évoluer le mix en bénéficiant pleinement des progrès des filières du futur et en matière de maîtrise de la demande. Ce sujet est également très important.
J'évoquerai maintenant la méthanation : le développement de procédés de stockage compétitifs est effectivement crucial pour développer un système électrique plus intermittent. La méthanation est-elle le meilleur de ces procédés ? Les contraintes sont fortes, et il m'est difficile d'entrer ici dans un exposé trop technique.
La méthanation consiste à fabriquer du méthane à partir d'hydrogène et de C02. En amont, il faut donc produire de l'hydrogène, par électrolyse de l'eau, et capter du C02. Ce procédé est mis en avant par l'association Negawatt pour recycler la production d'énergie nouvelle renouvelable excédentaire en période de demande faible et coupler les réseaux d'électricité et de gaz.
Il existe de grandes incertitudes techniques et économiques concernant ce processus, qui en est aujourd'hui au stade de la recherche et du développement. Un démonstrateur de 25 kilowatts a été installé en Allemagne. Le coût du gaz fabriqué, estimé avec les techniques connues aujourd'hui, est très élevé.
Tous les procédés utiles pour lisser un paysage énergétique futur doivent faire l'objet de recherche et de développement : les pompages hydrauliques - cette technologie est mature mais n'est disponible qu'en capacité limitée en France, de l'ordre de quelques gigawatts -, les batteries sodium-soufre, ...
En conclusion, il faut poursuivre la recherche, mais ne pas trop attendre d'une technologie miracle pour le système énergétique de demain.
J'en viens maintenant à la cinquième série de questions, qui portait sur les déclarations du président de la CRE sur les augmentations du tarif de l'électricité.
Par définition, il m'est très difficile de commenter ces déclarations. Elles portaient sur la facture totale des ménages, toutes taxes comprises, et non sur le tarif de l'électricité.
Je rappelle simplement que la facture complète comporte une part relative aux coûts de production de l'énergie - nous en avons beaucoup parlé -, une part relative aux coûts des réseaux, ainsi qu'une part de taxes, dont la CSPE. C'est ce tarif intégré qui est concerné.
La CSPE, je le rappelle, permet de financer les charges de péréquation du tarif réglementé dans les zones non interconnectées du territoire - l'outre-mer, la Corse et les îles -qui, sinon, ne pourraient bénéficier de l'avantage comparatif du parc nucléaire d'EDF. C'est un élément de solidarité géographique. La CSPE permet également de financer les charges liées au tarif de première nécessité, c'est-à-dire la solidarité sociale. Ces deux éléments constituaient, à l'origine, la raison d'être de la CSPE.
S'y sont ajoutés les surcoûts résultants des politiques de soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération.
Ces dernières charges sont en forte hausse depuis plusieurs années du fait de l'augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Or le montant de la CSPE n'a pas suivi l'évolution de ces charges, qui sont présentées chaque année par la CRE au Gouvernement, de sorte qu'EDF supporte aujourd'hui - et elle seule - un déficit cumulé de 3,8 milliards d'euros sur ces charges à la fin de l'année 2011. Je rappelle que ce déficit cumulé, qui était de 600 millions d'euros à la fin de l'année 2008, est passé à 1,7 milliard d'euros à la fin de l'année 2009, à 2,7 milliards d'euros à la fin de l'année 2010 et à 3,8 milliards d'euros à la fin de 2011. Telles sont les évolutions récentes.
Un rattrapage doit donc être effectué. La question se pose de l'évolution de la CSPE dans la durée pour soutenir le développement des énergies nouvelles. Les montants nominaux sont très élevés. J'en dirai un mot en réponse à votre dernière question.
Quant aux projections pour 2016, elles dépendent, il faut le souligner, d'un grand nombre de paramètres qui sont par nature incertains.
Pour ce qui concerne la part fourniture du tarif, à l'horizon 2016, le coût complet du parc nucléaire devrait se situer autour de 50 euros le mégawattheure. Ces coûts sont maîtrisés et bien inférieurs à toute solution alternative, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises.
Quels investissements seront nécessaires au maintien de la qualité du réseau et à l'intégration des nouvelles installations d'énergies nouvelles ?
Pour la CSPE, les volumes d'énergie renouvelable effectivement développés et le prix de marché constituent également une incertitude.
Pour évaluer la facture en 2016, le président de la CRE a pris en compte ses propres évaluations des besoins de hausse de la CSPE et du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE.
À votre dernière question, j'apporterai une réponse affirmative : oui, la France peut rester compétitive en Europe en termes de prix de l'électricité. J'oserai dire qu'elle le doit.
Le coût complet du nucléaire est très sensiblement inférieur à celui des autres moyens de production, après l'hydraulique. La performance industrielle du groupe EDF, en matière de production comme dans les domaines du transport et de la distribution, permet d'assurer à nos concitoyens une sécurité d'approvisionnement électrique à un coût tout à fait compétitif. La compétitivité de la France devrait s'accroître par rapport à celle de tous ses voisins européens dans les années qui viennent.
Aujourd'hui, je le répète, pour les ménages, le prix européen est 50 % plus élevé qu'en France. En Allemagne, la facture est 80 % plus lourde qu'en France. Même avec les évolutions nécessaires pour couvrir intégralement le coût du parc existant et soutenir le développement des énergies nouvelles, la facture française restera, je vous en donne la garantie, plus compétitive. J'ajoute en outre que le prix va augmenter dans les autres pays européens du fait du développement des énergies renouvelables et du recours plus important aux énergies fossiles, notamment en Allemagne.
Pour finir, j'en viens à votre sixième question : quel jugement EDF porte-elle, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération ? Il s'agit là de la CSPE bien sûr.
La France vise 27 % d'électricité d'origine renouvelable en 2020. Elle s'est fixé des objectifs par filières qui ont été inscrits dans la programmation pluriannuelle des investissements. Il s'agit d'une ambition et de choix de politique publique.
Vous me demandez mon jugement, d'une part, sur le mécanisme de soutien mis en oeuvre pour atteindre ces objectifs et, d'autre part, sur le financement de ce soutien.
J'évoquerai d'abord le mécanisme de soutien.
Le principe du mécanisme de l'obligation d'achat adopté en France pour soutenir le développement des énergies renouvelables est simple : le Gouvernement décide des prix auxquels l'électricité produite doit être achetée afin de permettre à ces filières de se développer. Il peut aussi lancer des appels d'offres, comme on l'a vu sur l'éolien offshore .
Dans les deux cas, les prix sont naturellement beaucoup plus élevés que le prix du marché, car ces filières ne sont pas à maturité économique et ne se développeraient pas sans soutien public. EDF est obligée de signer des contrats avec les producteurs qui le demandent et d'acheter la production. Elle supporte donc, et elle seule, un surcoût en achetant à un prix plus élevé que le prix du marché l'énergie ainsi produite.
Que peut-on dire des montants en jeu filière par filière ? Examinons les quelques filières dont le développement est le plus significatif.
Le tarif d'achat de l'éolien terrestre est aujourd'hui de 85 euros le mégawattheure. L'objectif pour 2020 est un parc de 19 gigawatts installés. C'est de très loin la filière la plus compétitive pour contribuer à l'atteinte de l'objectif que s'est fixé la France. À l'horizon 2020, le surcoût associé est de l'ordre de 1 milliard d'euros par an.
Les prix d'achat de l'éolien offshore ne sont pas encore connus, je le rappelle. Les appels d'offres sont en cours pour la première tranche de 3 000 mégawatts. On estime que les prix d'achat se situeront entre 170 euros et 200 euros le mégawattheure. L'objectif pour 2020 est de 6 gigawatts installés. Le surcoût attendu est de l'ordre de 2 milliards d'euros par an.
Les prix d'achat du photovoltaïque se situent aujourd'hui entre 213 euros et 600 euros le mégawattheure, selon le type d'installation et la date à laquelle le contrat a été signé. Le développement très rapide de cette filière du fait du prix d'achat élevé a conduit le Gouvernement à modifier la réglementation au printemps dernier. Les contrats antérieurs à cette nouvelle réglementation sont bien entendu honorés, aux anciens tarifs et sur vingt ans. En suivant le rythme de 500 mégawatts par an que s'est donné le Gouvernement après le moratoire, 8 gigawatts seront installés en 2020, pour un surcoût attendu de l'ordre de 2,5 milliards d'euros par an, dont 1,5 milliard d'euros issus des contrats signés avant le moratoire et 1 milliard d'euros issu des contrats signés après cette date.
L'objectif pour la filière biomasse d'atteindre 2,3 gigawatts en 2020 conduit à un surcoût de l'ordre de 1 milliard d'euros par an.
Enfin, les volumes sous obligation d'achat de la filière cogénération décroissent sensiblement. Le surcoût en 2020 sera d'environ 450 millions d'euros par an. Le soutien de la cogénération par le secteur électrique a été très significatif, de l'ordre d'une dizaine de milliards d'euros en une douzaine d'années. Il se réduit donc aujourd'hui.
Au total, toutes filières confondues, le surcoût annuel à l'horizon 2020 est de l'ordre de 7 milliards d'euros. Mes chiffres, vous le voyez, sont assez proches de ceux de la CRE.
Une des difficultés majeures que pose le système de l'obligation d'achat est de réussir à caler les tarifs au bon niveau. On a pu constater en France, ainsi que dans nombre de pays européens, l'effet de prix mal calés par rapport aux coûts, qui occasionnent des phénomènes de bulles spéculatives.
Nos voisins allemands sont confrontés à cette même difficulté. Ils ont des objectifs ambitieux, mais ne cessent de les dépasser. La facture de l'éolien et du photovoltaïque est devenue lourde. Le montant de la taxe ENR est de 35,9 euros le mégawattheure, pour financer 13 milliards d'euros de charges annuelles. Face à ces montants, le développement est freiné brutalement. Des dizaines de milliers d'emplois sont concernés, notamment dans le solaire. L'expérience espagnole, plus ancienne, est similaire.
La maîtrise du pilotage du rythme de développement apparaît donc comme un enjeu clé, à la fois pour la maîtrise des coûts, mais aussi, bien sûr, d'un point de vue industriel. L'appel d'offres pluriannuel est de ce point de vue plus efficace et permet un meilleur pilotage des quantités. L'État y a de plus en plus recours, et je pense que c'est une bonne chose.
J'en viens maintenant à la question du financement.
Le surcoût dont je viens de parler est aujourd'hui exclusivement à la charge d'EDF. Il est en théorie compensé par la CSPE, qui est une taxe sur les consommations d'électricité.
Mon analyse du dispositif est, sur ce volet, plus critique, ce qui me conduira, si vous me le permettez, à formuler quelques propositions.
Comme vous le savez, la loi prévoit que : « Les charges imputables aux missions de service public assignées aux opérateurs électriques sont intégralement compensées. » C'est le cas.
Ces charges sont en très forte hausse depuis plusieurs années, principalement du fait du développement des énergies nouvelles. Or le montant de la CSPE n'a pas suivi l'évolution de ces charges.
Le déficit de compensation cumulé d'EDF s'élevait, à la fin de l'année 2011, à 3,8 milliards d'euros. Ce déficit pèse évidemment sur son bilan et sur sa dette. Il se traduit par des charges financières évaluées à environ 1 milliard d'euros sur la période. Un rattrapage doit être fait et les charges financières doivent être prises en compte dans les charges à compenser.
Pour faire face à l'augmentation des charges, il faudrait que la CSPE dépasse 20 euros le mégawattheure avant 2020, dont 15 euros le mégawattheure au moins du fait des énergies renouvelables.
Le dispositif de financement doit être aménagé. Quelles sont les solutions imaginables ? Une piste mérite, selon moi, d'être examinée. Le financement du soutien aux énergies nouvelles pourrait être assuré autrement que par la CSPE. Ce soutien répond à des objectifs de politique économique dans les secteurs de l'environnement, de l'industrie, de l'emploi, de l'aménagement du territoire. Il n'a donc pas lieu d'être financé par les seuls consommateurs d'électricité, celle-ci étant l'énergie la moins carbonée. Ce financement pourrait être assuré par un fonds alimenté par une assiette beaucoup plus large que la seule consommation d'électricité.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter aux questions qui m'ont été adressées.
M. Claude Léonard, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie, monsieur Proglio, d'avoir apporté des réponses complètes et très précises à nos questions.
Si je vous ai bien compris, vous pensez que, dans l'attente de la construction de l'EPR, du développement du photovoltaïque, de l'éolien offshore , de nouvelles technologies, des résultats de la recherche sur le stockage, le plus simple serait de prolonger les centrales existantes. Cette solution serait, selon vous, à la fois la plus économique et la plus prudente.
Vous avez par ailleurs évoqué les difficultés que pose la CSPE, en particulier le fait qu'elle ne soit pas compensée pour votre entreprise. Compte tenu du coût important de cette taxe - 20 euros, dont 15 euros pour les énergies renouvelables -, vous indiquez que le financement du soutien aux énergies nouvelles devrait reposer non pas simplement sur le consommateur, mais aussi sur d'autres acteurs. Pourriez-vous préciser lesquels ? S'agira-t-il du contribuable ou envisagez-vous d'autres financements ?
M. Claude Léonard, président . - Je voulais vous poser la même question, monsieur Proglio.
M. Henri Proglio . - La subvention accordée aux énergies nouvelles explique l'essentiel de la croissance des besoins de la CSPE.
Je rappelle que cette contribution a été instituée pour garantir la péréquation tarifaire et la solidarité nationale. Si l'on s'en était tenu à ces deux seules raisons, on pourrait faire décroître son taux assez rapidement dans les années à venir. Mais la CSPE sert aussi aujourd'hui à subventionner les énergies nouvelles, ce qui explique le montant considérable qu'il reste à financer au titre de la compensation de ces subventions. Ces subventions sont destinées aux producteurs, diffus. Elles sont supportées actuellement par la seule entreprise EDF, à l'exclusion de tout autre acteur du paysage énergétique français.
Permettez-moi de vous donner un seul chiffre : le solde qu'il reste à compenser des subventions déjà accordées aux projets existants dans le secteur des énergies nouvelles s'élève aujourd'hui à 33 milliards d'euros. La compensation est due au titre des subventions déjà accordées, lesquelles n'ont rien à voir avec les besoins énergétiques du pays. Elles sont le résultat de décisions déjà engagées.
Compte tenu du taux actuel de la CSPE, on ne pourra récupérer cette somme - et je ne tiens pas compte des nouveaux projets qui sont lancés, lesquels entraîneront une hausse des subventions - que sur une durée très longue. EDF supportant seule les frais financiers liés à cette dette, laquelle ne lui incombe pas, cela représente des sommes tout à fait considérables. Si l'on souhaite que cette récupération intervienne dans des délais assez courts, il faudra alors augmenter le taux de la CSPE.
Au lieu de faire payer aux seuls consommateurs d'électricité cette taxe, qui a vocation à couvrir des subventions elles-mêmes destinées à favoriser le développement d'énergies non émettrices de CO 2 , il serait plus raisonnable de faire contribuer les énergies fortement émettrices de CO 2 , comme le gaz ou le pétrole. Je rappelle que, en France, l'électricité est décarbonée.
Il me paraîtrait plus rationnel d'augmenter le nombre de ceux qui contribuent au financement de cette subvention en faisant participer le gaz, le pétrole et l'ensemble des énergies. Certes, une telle solution serait assez compliquée à mettre en oeuvre, car il est plus facile de demander à un seul acteur de faire le sale travail et de récupérer les sommes. Si le client ne paie pas, il suffit en effet de lui couper l'électricité ! C'est assez simple.
Il est assez caricatural que cette taxe pèse sur le seul acteur qui produise une énergie, je le répète, totalement décarbonée. Le résultat est qu'il est contraint d'augmenter ses tarifs en raison non du coût de l'énergie qu'il produit, mais de cette taxe.
Une solution - si vous me permettez de suggérer une idée - pourrait être de solliciter les autres acteurs du paysage énergétique, et non pas seulement EDF.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous dites, monsieur Proglio, que ce n'est pas au consommateur de payer cette taxe, car elle sert à financer des subventions. Or le prix de l'électricité étant plus élevé dans les autres pays européens, où la part des énergies renouvelables est plus importante, on peut dire que, dans les autres pays, c'est le consommateur qui paie.
M. Henri Proglio . - C'est le cas un peu partout. C'est le consommateur ou le contribuable qui paie, parfois les deux.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce n'est donc pas obligatoirement une subvention.
Vous suggérez que cette taxe pourrait être étendue à d'autres opérateurs, en particulier à ceux qui produisent des énergies émettant beaucoup de CO 2 .
M. Henri Proglio . - Je dis aussi qu'il est assez caricatural que, dans un pays qui prône la concurrence, la contrainte pèse sur le seul opérateur historique...
M. Jean Desessard, rapporteur . - À l'achat.
M. Henri Proglio . - À l'achat, oui.
Les nouveaux entrants, qui ont vocation à lui faire concurrence, ne sont pas soumis à cette contrainte. Je trouve cela assez spectaculaire.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Dernière question, monsieur Proglio : vous êtes donc pour l'ouverture de l'obligation d'achat aux autres opérateurs ?
M. Henri Proglio . - Aux autres opérateurs, bien sûr, mais également aux autres énergies.
M. Claude Léonard, président . - J'ai une question technique à vous poser, monsieur Proglio.
Le mix énergétique français comprend des énergies renouvelables, dont l'énergie hydraulique, historique, plus toutes les énergies nouvelles, qui en représentent 8 % ou 10 %.
M. Henri Proglio . - Elles représentent plus que cela, 15 % ou 16 %. L'hydraulique doit représenter 12 %.
M. Claude Léonard, président . - Quelle est la part de marché d'EDF dans le secteur des énergies renouvelables, en direct ou via ses filiales ? Je sais que vous êtes opérateur dans le domaine de l'énergie solaire. Quelle part de la production hydraulique détenez-vous ?
M. Henri Proglio . - Dans le domaine hydraulique, nous détenons l'essentiel du marché, mais pas son intégralité.
M. Claude Léonard, président . - Il existe de petits producteurs.
M. Henri Proglio . - Il y a d'autres producteurs, des petits et des plus importants. Quelques opérateurs hydrauliques ont bénéficié de conditions d'accès à ce marché, comme la CNR, la Compagnie nationale du Rhône. Je cite un exemple au hasard.
Dans le secteur des énergies nouvelles, notre part de marché doit être de l'ordre de 20 %. Nous détenons - en chiffres ronds - 80 % de la production hydraulique et 20 % de la production des énergies renouvelables en France.
M. Claude Léonard, président . - Je vais maintenant donner la parole aux membres de la commission, en commençant par Mme Rossignol.
Mme Laurence Rossignol . - J'ai trois questions à vous poser, monsieur Proglio.
Ma première question porte sur les différences d'évaluations des frais d'exploitation entre le rapport Charpin de 2000 et le récent rapport de la Cour des comptes.
Dans le rapport Charpin, les frais d'exploitation étaient évalués à 3,7 milliards d'euros par an à l'horizon 2010. Dans le rapport de la Cour des comptes, ils sont aujourd'hui estimés à 5,6 milliards d'euros.
Comment expliquez-vous le différentiel entre l'estimation faite il y a dix ans sur la foi des indications données par EDF et celles qui figurent aujourd'hui dans le rapport de la Cour des comptes ? Que s'est-il passé ?
Ma deuxième question porte sur votre activité d'actionnaire principal de la société anonyme ERDF. J'aimerais connaître vos exigences d'actionnaire à l'égard de cette société anonyme. Attendez-vous des bénéfices de sa part ? Considérez-vous, à l'inverse, que cette filiale devant remplir une mission de service public, vous n'avez pas à en attendre de bénéfices ? Si vous en attendez des bénéfices, cela vous paraît-il compatible avec les investissements que doit réaliser ERDF ?
Enfin, ma troisième question est un peu éloignée de l'objet de notre commission.
Aujourd'hui, EDF développe une activité importante à l'international en tant qu'opérateur du nucléaire. L'un des enseignements que l'on peut tirer des accidents nucléaires, c'est que la sécurité et la sûreté dépendent en grande partie de la transparence une fois l'accident survenu. On l'a vu au Japon, qui est une démocratie relativement transparente. La manière dont s'est déroulé l'accident nucléaire, les difficultés qu'ont eues les Japonais à mettre en place des solutions un peu efficaces et la pression qu'ont dû exercer les États-Unis, en particulier, montrent qu'il y a une forte corrélation entre transparence et sûreté.
Certains pays engagés aujourd'hui dans l'énergie nucléaire ne satisfont pas à ces obligations de transparence. Je pense particulièrement à la Chine. Alors qu'elle n'est pas transparente sur l'essentiel de ses activités industrielles et de ses problèmes de pollution, elle ne le deviendra pas, comme par magie, dans le domaine du nucléaire. Je pense également à l'Inde, qui est une démocratie plus transparente, mais qui n'a pas d'autorité de sûreté indépendante et qui ne veut pas en avoir.
Comment pouvez-vous lier garantie de sûreté et absence de démocratie et de transparence à l'international ?
M. Henri Proglio . - Votre première question portait sur la différence entre les évaluations des frais d'exploitation faites il y a dix ans et celles qui ont été réalisées récemment.
D'abord, les euros de l'époque ne sont évidemment pas les euros d'aujourd'hui. C'est significatif.
Ensuite, les extensions de durée de vie sont un phénomène nouveau. On intègre dans les coûts actuels les évaluations des investissements nécessaires à l'extension de la durée de vie, corrélés à l'amélioration continue de la sûreté. Voilà ce qui, pour l'essentiel, justifie la différence entre les évaluations que vous évoquez. Les chiffres d'EDF sont totalement transparents - ils sont d'ailleurs assez largement commentés dans le rapport de la Cour des comptes - et sont à votre disposition.
Vous m'avez ensuite interrogé sur mes exigences en tant qu'actionnaire d'ERDF. Les actionnaires n'ont pas des exigences différentes. Un actionnaire est exigent par essence, en termes d'efficacité, de qualité du service rendu et de résultat de l'entreprise, les trois n'étant en principe pas incompatibles, sinon l'entreprise, quelle qu'elle soit, aurait du mal à vivre. À cet égard, je ne vois pas pourquoi ERDF serait une entreprise différente des autres.
J'attends d'ERDF qu'elle respecte ses missions de service public, parce que c'est sa raison d'être et l'essentiel de son métier. J'attends d'elle qu'elle soit efficace économiquement - en tant qu'actionnaire, je suis particulièrement attentif à ce point - et, évidemment, j'attends un résultat.
Alors est-il interdit à une entreprise, parce qu'elle est économiquement bien gérée, de faire des investissements ? C'est là une vision un peu caricaturale du monde.
J'attends de n'importe quelle entreprise placée sous ma responsabilité qu'elle assume sa mission, qu'elle satisfasse à ses exigences de performance, qu'elle effectue des investissements et délivre des résultats à son actionnaire. Ces exigences ne sont en rien incompatibles entre elles. Voilà ce que j'attends d'ERDF au quotidien.
Vous m'avez enfin interrogé sur la transparence. Il y a bien sûr une corrélation entre transparence et sûreté nucléaire. Toutefois, il ne m'appartient pas de faire des commentaires sur transparence et démocratie, car cela nous éloignerait de l'objet de cette commission. Je ne sais pas si les deux sont corrélés. Je ne sais pas si on doit spécifiquement viser tel ou tel pays.
L'organisation de la sûreté nucléaire repose sur plusieurs axes lourds. Le premier, c'est la compétence et l'exigence de l'opérateur ou des opérateurs concernés.
Historiquement, les opérateurs se sont progressivement organisés. Compte tenu de la réputation du nucléaire et du fait que tout accident nucléaire, quel qu'il soit, porte préjudice à l'ensemble de la profession, une solidarité naturelle existe entre les opérateurs mondiaux.
Ces opérateurs se sont d'abord organisés aux États-Unis, après l'accident de Three Mile Island . Une organisation extrêmement exigeante et très compétente a alors été mise en place, l'INPO - Institute of nuclear power operations . Elle effectue des audits permanents des centrales et des installations nucléaires.
À l'échelon international, la WANO, la World association of nuclear operators - l'organisation des opérateurs nucléaires mondiaux -, a été créée sur l'initiative de l'ensemble des pays opérateurs. C'est d'ailleurs aujourd'hui l'un des collaborateurs d'EDF qui préside à sa destinée.
La WANO est un organisme exigeant qui s'inspire de l'INPO, qu'elle englobe, d'ailleurs. Elle audite tous les ans chacune des décisions nucléaires. Toutes les centrales nucléaires font l'objet d'audits permanents. Certes, certains pays sont plus transparents et plus rigoureux que d'autres. Parmi ceux que vous avez cités, les plus vertueux ne sont pas les premiers auxquels on aurait pu penser et le plus défaillant n'avait pas la réputation d'être le moins compétent. Je ne jette pas la pierre à nos camarades japonais.
La WANO s'est récemment réorganisée de manière à être encore plus exigeante. Ses audits sont désormais accessibles à tous.
Le second axe de l'organisation de la sûreté nucléaire repose sur les autorités indépendantes. Il est vrai que le nucléaire impose, par principe, l'existence d'autorités de sûreté indépendantes. Je reconnais que l'ASN fait partie des bons élèves de la classe des autorités de sûreté nucléaire et qu'elle constitue une référence, mais elle n'est pas la seule organisation de ce type.
Professionnalisme, exigence interne des opérateurs, exigences externes des autorités de sûreté, contrôle par les autorités de sûreté des opérateurs et contrôle en continu par les opérateurs de leurs homologues, et d'eux-mêmes d'ailleurs, sont des éléments clés de la sûreté nucléaire.
La WANO a vocation à aider les nouveaux entrants dans le club nucléaire agrandi, à leur donner les moyens d'accéder à ce type d'organisation. C'est ainsi que la profession s'est organisée.
Mme Laurence Rossignol . - Vous n'avez pas répondu à ma troisième question, monsieur Proglio.
M. Henri Proglio . - Laquelle ?
Mme Laurence Rossignol . - Ou plutôt, vous n'y avez apporté qu'une réponse institutionnelle. Je vous avais demandé comment on peut garantir la sûreté nucléaire dans des pays où les conditions de transparence ne sont pas remplies.
M. Henri Proglio . - Je ne veux pas stigmatiser tel ou tel pays.
Mme Laurence Rossignol . - Ma question est théorique.
M. Henri Proglio . - Non, elle n'est pas théorique, elle est pratique.
Mme Laurence Rossignol . - Disons qu'elle est concrète.
M. Henri Proglio . - J'ai des réponses concrètes à apporter, mais n'attendez pas de moi que je stigmatise tel pays en le désignant comme un mauvais élève.
Mme Laurence Rossignol . - Ce n'est pas le sujet.
M. Henri Proglio . - En public, je ne le ferai pas. La responsabilité que j'assume n'est pas compatible avec ce genre de démagogie. Je ne le ferai pas, mais j'ai la réponse à votre question.
M. Claude Léonard, président . - Dont acte.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je vous poserai deux questions qui appellent des réponses assez précises.
La première concerne l'EPR de la Grande-Bretagne. EDF Energy a engagé une négociation avec le gouvernement britannique sur un prix d'achat garanti de l'électricité de l'EPR, ...
M. Henri Proglio . - De l'électricité nucléaire.
M. Ronan Dantec . - D'accord.
... sur la base du mécanisme contract for difference .
Cette négociation avec le gouvernement britannique est-elle toujours en cours aujourd'hui ? On peut lire ici et là que la négociation se ferait sur la base d'un certain prix. On évoque 115 euros le mégawatt. Cet élément est intéressant concernant le coût de sortie de l'EPR, sauf à considérer que ce réacteur est toujours en développement et qu'il n'est pas mature.
Par ailleurs, si vous ne parvenez pas à obtenir le tarif que vous souhaitez, investirez-vous et développerez-vous néanmoins un EPR en Grande-Bretagne ?
Ma seconde question porte sur le montage financier auquel a procédé EDF pour alimenter le fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires. Nous avons besoin d'un certain nombre d'éclaircissements sur ce montage, qui est tout de même assez étonnant. Je rappelle qu'EDF a décidé d'allouer la moitié du capital de RTE à ce fonds, y compris sa dette, ce qui représente une valorisation de 2,3 milliards d'euros.
Il est bien évident, comme nous l'a d'ailleurs dit le président du directoire de RTE lorsque nous l'avons auditionné, que le jour où vous aurez besoin de cet argent pour le démantèlement des centrales, vous ne vendrez pas RTE au plus offrant. Vous devrez obligatoirement la racheter. Cela signifie-t-il qu'EDF doive provisionner le rachat de RTE dans ses comptes ? Aujourd'hui, cet argent n'est provisionné nulle part. Or il faudra bien racheter RTE. Dès lors, il manque bien environ 4 milliards d'euros pour atteindre l'objectif fixé par la loi NOME pour le financement du démantèlement.
Comment comptez-vous atteindre cet objectif d'ici à 2015-2016 ?
Enfin, à combien estimez-vous le coût du démantèlement futur des centrales ?
M. Henri Proglio . - La négociation avec les Britanniques est en cours. Par respect pour le gouvernement britannique, je ne préciserai évidemment ni les termes de cette négociation ni les prix auxquels elle est en train de se conclure. On ne fait jamais état de telles informations lorsqu'une négociation commerciale est en cours. Je pourrais vous donner de faux prix pour ne pas handicaper la négociation, mais comme je témoigne sous serment, je ne le ferai pas, ne m'en veuillez pas !
Ensuite, il y a une impropriété dans la question que vous posez. Les pouvoirs publics britanniques négocient non pas le prix de l'électricité de l'EPR, mais le prix du mégawatt électronucléaire. C'est à nous qu'il revient ensuite de savoir quel type de technologie utiliser. L'EPR est un choix d'EDF. L'entreprise est responsable de ses choix industriels.
Les pouvoirs publics britanniques négocient en fait ce qui se pratique dans un secteur que j'ai connu dans une autre vie - les transports publics -, à savoir une garantie de recettes. Des investissements sont effectués, un service public est rendu avec une garantie de recettes. Cela signifie que si les recettes dépassent la garantie, le surplus est reversé à la collectivité. En revanche, si les recettes sont inférieures à la garantie, le cocontractant, en l'occurrence le gouvernement, couvre la différence.
Il s'agit donc d'une négociation complexe, innovante, comme il n'y en a jamais eu dans le domaine électronucléaire. C'est parce que la Grande-Bretagne est un pays libéral que la négociation se fait en ces termes et que l'équation est assez complexe. Notre intérêt est évidemment que le prix permette de rendre un véritable service public accessible à tous. Notre but n'est pas d'optimiser je ne sais quelle formule afin de parvenir à un compte de résultat très favorable les premières années, mais incompatible avec la mission de service public qui est la nôtre.
Nous sommes donc engagés avec les pouvoirs publics britanniques dans une négociation importante, innovante, complexe, de nature à la fois économique, industrielle et politique. Elle débouchera dans les mois qui viennent. Ensuite, il appartiendra à EDF de faire ses choix industriels et de prendre ses responsabilités dans le cadre du contrat qui aura été négocié.
Quant aux prix que vous pouvez lire dans la presse, ils ne sont parfois pas réels, en tout cas, je ne les accrédite pas. Ensuite, ils n'ont rien à voir avec la technologie. Nous négocions le prix d'équilibre d'un service public. Il ne faut pas en tirer de conclusion sur le prix de revient de l'EPR ni même sur la conformité ou non du projet pilote avec celui de Taishan, de Flamanville ou d'ailleurs. Vous le voyez, le sujet est compliqué et ambitieux.
Vous m'avez ensuite interrogé sur le fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires. La date à laquelle ce fonds sera utilisé dépendra de la durée de vie des centrales. Si cette durée est portée à soixante ans, ce que j'estime raisonnable, la durée de vie moyenne du parc nucléaire français existant étant aujourd'hui de vingt-six ans, nous reparlerons de ce fonds dans trente-quatre ans.
Dans l'intervalle, nous allons constituer des provisions et ne pas laisser l'argent dormir dans une tirelire, sans rémunération. Nous investissons donc dans des titres dont la solidité, la pérennité et la performance nous permettent de nous assurer que cet argent sera convenablement placé.
Les investissements dans des infrastructures de service public régulés, dont le rendement est à ce titre garanti par les États souverains, et qui sont par ailleurs convenablement gérés, sont considérés comme des placements à la fois sûrs et raisonnablement rentables.
Peut-être vous seriez-vous réjouis si nous avions acheté des autoroutes à Hong-Kong, des infrastructures de transport aérien ou des aéroports en Asie du Sud-Est ou bien des infrastructures routières au Brésil ? Il n'est absolument pas exclu que nous le fassions, mais nous avons considéré que RTE, infrastructure régulée, portant un rendement garanti par l'État français, n'était pas plus méprisable qu'une infrastructure internationale et portant un rendement dans un pays ne faisant pas partie de la zone euro. Nous avons pensé que, s'agissant d'un investissement durable ayant vocation à être pérenne, il n'était pas stupide de choisir des titres RTE.
Nous avons donc soumis ce choix aux autorités de contrôle qui veillent à ce que les investissements effectués pour constituer les fonds de démantèlement soient rigoureux et sécurisés. Je rappelle que la réglementation européenne nous impose d'ériger une muraille de Chine entre le transporteur RTE et EDF. Plus les réglementations européennes et les directives se multiplient, plus la distance entre les deux entreprises s'accroît, à tel point que, aujourd'hui, EDF n'a plus le droit de gérer RTE. Or, nous en sommes actionnaires à 100 %.
Nous avons donc considéré que le fait de céder une partie de RTE au fond de démantèlement n'était ni absurde, ni dérisoire, ni ridicule.
Ensuite, nous avons pensé que RTE avait une valeur intrinsèque liée à son rendement garanti et, pour répondre à votre question, qu'il ne devait pas y avoir qu'un seul actionnaire possible. D'un point de vue comptable, lorsqu'on vend une participation, on vend aussi la quote-part de dette qui lui est associée. Pour des raisons tenant au mode de comptabilité, nous sommes passés d'une intégration globale à une intégration proportionnelle. La dette en consolidation a donc diminué, non parce que nous avons cédé la dette, mais du fait de notre mode de consolidation, conforme aux normes comptables IFRS, c'est-à-dire les normes internationales d'information financière qui s'imposent à nous.
L'opération que vous évoquez n'a donc rien d'un tour de passe-passe. Elle n'est pas non plus le fruit d'une gestion hasardeuse. Elle n'est pas le signe d'un mépris de la liquidité à terme. Au fond, il ne nous paraissait ni déraisonnable ni surréaliste, pour financer le fonds de démantèlement, d'investir en partie - à hauteur de 2,3 milliards d'euros - dans des titres RTE, en plus des titres d'entreprises cotées et - ou - des titres de fonds d'infrastructures.
Il s'agit là d'un choix fait par des financiers, pour des financiers. Cet investissement présente tous les critères de beauté d'un investissement dans un fonds de démantèlement.
M. Claude Léonard, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Monsieur Proglio, je vous poserai trois questions.
La première porte sur les réseaux. En cette fin d'hiver, lequel a été rigoureux, nous savons que nous pouvons compter sur les importantes productions des autres pays. Quelle est votre réflexion aujourd'hui sur les interconnexions ? Certains programmes revêtent-ils un caractère urgent ?
Ma deuxième question porte sur la politique énergétique européenne, même si je me souviens de la réponse assez claire, pour ne pas dire brutale, que vous nous aviez donnée la dernière fois que nous vous avons interrogé sur ce sujet. Puisqu'on nous dit que l'Europe se met à beaucoup travailler dans ce domaine, pourriez-vous nous dire ce que vous attendez d'une telle politique ?
Troisième et dernière question, qu'espérez-vous de façon générale, plus particulièrement en termes de prix ou d'outil d'effacement, du compteur intelligent, lequel a donné lieu à des débats passionnants, pour ne pas dire passionnés, ce matin en commission ?
M. Henri Proglio . - Il serait trop long ici de débattre de la politique européenne en matière d'interconnexions. Un tel débat serait en outre virtuel, car il n'existe pas de politique européenne dans ce domaine.
Ensuite, nous pourrions énumérer le nombre de sujets dans le domaine énergétique sur lesquels il serait intelligent ou utile que l'Europe se dote d'une politique, mais, je le répète, il n'existe pas aujourd'hui de politique européenne énergétique.
Tous les pays ont leur propre politique énergétique, entre lesquelles, on le voit, il existe des divergences, compte tenu des enjeux, qui sont considérables. On peut les décliner par thème : l'indépendance, le coût économique, le taux d'émission. Sur ces sujets, chaque pays a sa doctrine. Aucune d'entre elle n'est vraiment alignée, pour ne pas dire cohérente, avec les autres.
M. Claude Léonard, président . - Il n'existe pas de politique sur les objectifs, mais il y en a une sur la pratique, sur les interconnexions.
M. Henri Proglio . - Pas davantage : les interconnexions ont été réalisées sur le plan bilatéral, et non pas européen.
M. Ronan Dantec . - Nous allons tout de même vers un schéma d'interconnexions européennes.
M. Henri Proglio . - Non ! Nous allons vers des interconnexions, européennes certes puisqu'elles lient deux pays européens l'un à l'autre, mais il n'y a pas de politique européenne d'interconnexion globale. À ma connaissance, une telle politique n'a jamais été mise en oeuvre.
Certes, l'Espagne se préoccupe d'interconnexion afin de tenter de rompre son isolement, ne serait-ce que pour des raisons géographiques. L'Italie, l'Allemagne, la Grande-Bretagne s'en préoccupent également. Pour autant, il n'existe pas de politique d'interconnexion européenne. Les interconnexions sont une des manières d'optimiser les moyens de production. Elles permettront peut-être un jour à l'Europe de tirer profit de sa géographie et de ses cultures.
Il est vrai que les pointes de consommation ne sont pas les mêmes dans tous les pays, pour des raisons culturelles évidentes. En Allemagne, on dîne vers dix-huit heures trente, en Espagne, vers vingt-deux heures trente, en France, aux alentours de vingt heures. Vous voyez bien que s'il existait une politique européenne, cela se saurait ! Une telle politique aurait des conséquences en termes de capacités de production et de moyens de production de pointe, mais, je le répète, il n'en existe pas en soi.
Cet état de fait ouvre d'ailleurs des perspectives à la France, qui se trouve être au milieu de ce paysage et qui pourrait, mieux que d'autres, en tirer profit. Encore faudrait-il qu'il existe une véritable volonté de mettre en oeuvre une politique d'interconnexion et d'exporter. Une telle politique prend du temps. Il faut non seulement négocier avec les États voisins, mais également trouver les moyens de réaliser les interconnexions, ce sujet n'étant pas le plus facile. Que l'on songe aux difficultés provoquées par la volonté de construire une ligne à haute tension vers l'Espagne... Ce projet est enfin en passe de voir le jour, dans des conditions que vous avez suivies, mais cela aura pris vingt ans.
La question des interconnexions est absolument cruciale. À défaut d'être un sujet fondamental à l'échelon européen, il peut être un sujet très important de politique française en matière d'exportation. J'indique d'ailleurs, sans aucune vanité, qu'EDF a doublé ses exportations d'énergie l'année dernière par rapport à l'exercice précédent, année où l'entreprise avait déjà globalement été exportatrice d'énergie. S'il est difficile de chiffrer nos exportations en térawattheures, je peux en revanche vous indiquer qu'EDF a exporté pour environ 3 milliards d'euros d'électricité l'année dernière.
Le sujet des interconnexions mériterait d'être exploré et développé. C'est un véritable sujet industriel et commercial, comme le froid l'a montré cet hiver.
Les interconnexions posent cependant des problèmes techniques, en raison de la vulnérabilité des réseaux. Plus il y a d'interconnexions, plus les défaillances d'un pays peuvent retentir sur l'autre. Les interconnexions sont suffisantes pour que les réseaux soient vulnérables, mais pas assez pour que les exportations soient faciles. Ce sujet est complexe.
Le compteur intelligent est un compteur interactif.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous n'en êtes pas un partisan, monsieur Proglio ?
M. Henri Proglio . - Le compteur rend le réseau intelligent. On parle d'ailleurs de réseau intelligent, mais le compteur, lui, est interactif. Il apporte de la valeur ajoutée au réseau et fait partie de son intelligence. Placé en fin de réseau, le compteur est un élément important de l'optimisation du système. À terme, il permettra de réaliser des économies d'énergie, de mieux gérer la consommation, notamment les pointes, en ayant une meilleure connaissance des besoins, et de mieux utiliser les interfaces. Les réglages se feront à distance. Le compteur est un élément important d'évolution vers des réseaux intelligents.
Ce compteur, que nous avons développé, est encore en phase d'expérimentation. Il est pour l'instant installé dans 300 000 foyers en France et son utilisation a vocation à être généralisée. J'ai eu l'occasion de dire en d'autres lieux que je souhaitais que ce compteur ne soit pas facturé aux utilisateurs. Cela implique un certain nombre de décisions, dont certaines n'ont pas encore été prises. Pour cette raison, j'ai du mal à répondre totalement à votre question. En tout cas, EDF, en tant qu'entreprise de plein exercice, c'est-à-dire responsable d'une part, et qui se veut compétitive d'autre part, souhaite que ce compteur soit mis gratuitement à la disposition de ses clients. Elle est prête pour cela à prendre les risques industriels et les risques d'entrepreneur qu'il importe qu'elle prenne.
M. Claude Léonard, président . - La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier . - Je ne vous poserai qu'une question, monsieur Proglio, mon collègue vous ayant interrogé sur les compteurs.
Les opérateurs restent très discrets sur la capacité de l'hydraulique à participer à de nouvelles productions dans le domaine des énergies renouvelables. L'hydraulique, me semble-t-il, constitue une rente, ce n'est pas un secteur innovant. Dans le cadre de la remise en concession des barrages, EDF a-t-elle des propositions à faire qui lui permettraient de se distinguer de ses concurrents, sachant que, curieusement, le cahier des charges, dans ce domaine, ne dit pas grand-chose, ce que je trouve fort regrettable ?
M. Henri Proglio . - EDF est le cinquième hydraulicien mondial, certains pays - le Canada, le Brésil, la Chine et la Russie - disposant de ressources naturelles plus importantes que nous.
Toutefois, nous estimons être les meilleurs sur le plan de la technique. J'ai notamment beaucoup renforcé les compétences et les moyens de l'ingénierie hydraulique au cours des deux dernières années, de manière à ce que nous puissions de nouveau partir à l'assaut du marché international, car c'est surtout à l'international que l'hydraulique va se développer.
Nous avons inauguré, il y a maintenant un an, un barrage à Nam Theun, au Laos, qui dessert à la fois le Laos et la Thaïlande. Référence pour la banque mondiale, il s'agit vraisemblablement de l'un des plus beaux barrages du monde en termes d'efficacité économique et de développement durable. C'est EDF qui l'a conçu et réalisé. Nous en sommes actionnaires à 40 %. Nous pouvons donc être modestement fiers des compétences d'EDF dans ce domaine. Nous avons vocation à continuer partout dans le monde.
En France, j'aimerais pouvoir vous dire que les développements en matière d'hydroélectricité sont importants, mais il n'est pas sûr, s'il fallait noyer une vallée pour créer un nouveau barrage, que j'obtienne un très grand succès auprès de la population. Il est possible que j'aie tort, mais bon... Nous nous contenterons donc vraisemblablement d'accroître l'efficacité des barrages existants, de faire progresser leur capacité de production par des adjonctions, des améliorations, des optimisations, et d'améliorer le service, mais les développements dans ce secteur resteront marginaux.
Quelques améliorations sont encore possibles. Toutefois, dans le contexte actuel de mise en concurrence de nos barrages, je n'ai pas envie de vous faire part de nos idées afin de ne pas les livrer à nos concurrents. Je dis « nos barrages » parce qu'ils nous appartiennent et que nous avons vocation à les garder. L'hydraulique est un très grand et beau métier, dans lequel la France et EDF, bien sûr, ont un rôle à jouer dans le monde.
M. Claude Léonard, président . - La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier . - Comme mon collègue Claude Léonard dans une vie antérieure, j'ai défendu l'implantation du laboratoire de Bure dans la Meuse. Or j'ai été troublé il y a quelque temps par une polémique, dont la presse s'est fait l'écho, entre EDF et Areva d'une part, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, d'autre part, sur les prescriptions de l'ANDRA et les montants engagés, que vous sembliez contester. Cette polémique a jeté le doute sur l'appréciation des uns et des autres sur les coûts du traitement et du stockage. Êtes-vous aujourd'hui en phase avec l'ANDRA ?
M. Henri Proglio . - Je ne vais pas entrer dans une nouvelle polémique, d'autant que la situation s'est tout de même un peu calmée.
M. François Grosdidier . - On est en général informé des polémiques lorsqu'elles commencent, plus rarement lorsqu'elles s'achèvent.
M. Henri Proglio . - J'ai un caractère plutôt entier, me semble-t-il, je vais donc vous dire les choses clairement.
Depuis le lancement du projet, le cahier des charges n'a pas changé. Ma responsabilité d'entreprise et d'opérateur est de veiller à la sûreté et à l'efficacité du cycle du combustible nucléaire. Une fois que l'on a un projet, que le cahier des charges est défini, qu'il ne varie plus en termes de sûreté, de sécurité, de réversibilité, de durée, de contraintes techniques, les budgets sont établis.
Si vous aviez le projet de faire construire un logement, accepteriez-vous que le budget initialement prévu soit multiplié par trois en l'espace de deux ans sans qu'il y ait la moindre évolution du cahier des charges ?
En pareil cas, il me paraît légitime de poser des questions soit à l'opérateur, soit à celui qui est responsable du dépassement des coûts. N'importe quelle responsable de fonds qui ne lui appartiennent pas devrait avoir la même réaction.
Je n'ai pas engagé de polémique, j'ai simplement fait preuve d'exigence, d'efficacité et de responsabilité. Il semble aujourd'hui que les choses rentrent dans l'ordre, et je m'en réjouis. Il n'y a eu aucune sorte de polémique sur les normes, sur la sûreté, sur les exigences, sur les techniques et sur les contraintes liées à l'opération. Il s'agit juste pour nous de bien gérer l'argent qui nous est confié ou que nous allons chercher auprès de ceux qui font l'objet de la mission de service public que nous avons reçue. Il me paraît être de ma responsabilité d'y être attentif. C'est tout.
M. Claude Léonard, président . - Il y a le consommateur in fine .
M. Henri Proglio . - Le consommateur, le contribuable et nos concitoyens... Il me paraît nécessaire de vous rendre des comptes à cet égard et d'être intransigeant sur ces sujets. Il n'est pas question de polémiquer. C'est simplement ma responsabilité.
M. Ronan Dantec . - Sur ce point, la nouvelle estimation de l'ANDRA sur le coût du stockage - 35 milliards d'euros - peut-elle vous poser des problèmes budgétaires ? Quelles seront pour vous les conséquences de la multiplication par trois de la facture ?
M. Henri Proglio . - Si j'avais accepté la multiplication par trois de la facture, je vous dirais quelles conséquences cela entraînerait, mais comme je ne l'ai pas acceptée, ce débat n'a pas lieu d'être.
M. Claude Léonard, président . - Nous voici parvenus au terme de cette audition. Monsieur Proglio, nous vous remercions d'avoir été, comme à votre habitude, très réactif et très clair. Il est possible que la commission d'enquête ait besoin de vous auditionner de nouveau avant la fin de ses travaux, sachant que son calendrier est très contraint et qu'elle doit remettre ses conclusions définitives à la fin du mois de juin.
M. Henri Proglio . - Je vous remercie de votre accueil, monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs. Je reste bien entendu à votre disposition. Par essence, l'opérateur qu'est EDF se doit d'être à la fois transparent, exigeant et à la disposition des représentants de ses mandants.
M. Claude Léonard, président . - Je tiens à rappeler que si l'audition est publique et filmée par Public Sénat, rien ne doit filtrer des travaux de la commission d'enquête avant qu'elle ne remette ses conclusions définitives. Ces exigences s'appliquent également aux participants des réunions de la commission d'enquête et au public.
Audition de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables
(14 mars 2012)
M. Claude Léonard, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables, le SER.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », devenu une institution dans la maison. Elle a pour objet de déterminer le coût réel de l'électricité : nous serons notamment conduits à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés » qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, la commission a souhaité vous entendre, monsieur Bal, en votre qualité de président du Syndicat des énergies renouvelables, qui réunit les industriels français de l'ensemble des filières d'énergies renouvelables. Vous pourrez ainsi apporter à notre commission d'enquête des éléments d'information importants sur le développement et les coûts de production de ces énergies en France.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Bal, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
( M. Jean-Louis Bal prête serment .)
M. Claude Léonard, président . - Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Bal aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Bal, nous vous avons envoyé à l'avance un questionnaire détaillé pour que vous puissiez préparer des réponses précises.
Comme nous sommes en retard sur l'horaire prévu, je me contenterai de résumer les questions que nous vous avons adressées.
D'une façon générale, à la lumière du récent rapport de la Cour des comptes, pensez-vous que les tarifs actuels de l'électricité en reflètent le coût réel ?
Pouvez-vous nous donner des estimations chiffrées du coût complet de production d'électricité à partir des énergies renouvelables ?
Quel jugement portez-vous sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Un développement important des énergies renouvelables en France vous paraît-il envisageable ? Cette question est certes très large, mais elle appelle des réponses précises !
Du fait de leur caractère intermittent, quelle place peuvent occuper les énergies renouvelables dans la structure de l'offre d'électricité ?
M. Claude Léonard, président . - La parole est à M. Jean-Louis Bal.
M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de m'avoir invité.
Sur la première question - le tarif de l'électricité reflète-t-il les coûts réels ? -, le SER n'a évidemment d'expertise à apporter que sur la partie qui le concerne, c'est-à-dire les énergies renouvelables.
Nous faisons le constat, et nous aurons certainement l'occasion de revenir sur ce point dans la discussion, que le coût de développement des énergies renouvelables est répercuté sur le consommateur via la contribution au service public de l'électricité, la CSPE. Toutefois, la CSPE est plafonnée à 7,5 euros par mégawattheure en 2011, ce qui engendre un déficit de compensation au détriment d'EDF. Je suppose que mon prédécesseur à cette table, M. Proglio, a dû vous en parler !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il s'est effectivement plaint qu'on lui devait de l'argent.
M. Jean-Louis Bal . - À juste titre ! Cela représente 2 milliards d'euros en 2011, un montant qui s'ajoute à 1 milliard d'euros dus pour 2010. Cette somme est supportée aujourd'hui non par le consommateur, mais par EDF. Elle ne s'explique pas uniquement par les énergies renouvelables, qui ne représentaient en 2011 que 42 % de la CSPE.
De ce point de vue, le tarif actuel de l'électricité ne reflète pas entièrement le coût de développement des énergies renouvelables et il n'est pas normal que ce soit EDF qui le supporte. Cela peut d'ailleurs expliquer une certaine réticence de l'entreprise nationale au regard du développement de ce type d'énergies.
En ce qui concerne le rapport de la Cour des comptes sur les coûts du nucléaire, il n'est évidemment pas dans les compétences du SER de porter un jugement sur ce document. Toutefois, j'ai noté que les coûts futurs du réacteur EPR sont estimés entre 70 et 90 euros du mégawattheure, mais il faut y mettre les précautions d'usage : le coût final n'est pas connu puisque le premier exemplaire du réacteur ne fonctionne pas encore, et une tête de série ne préjuge pas du coût qui découlerait de la fabrication d'une plus grande série.
Cependant, cette fourchette donne une indication sur le niveau de compétitivité que devront atteindre à moyen terme les énergies renouvelables électriques. Voilà quelle est la principale indication que je retiens de ce rapport.
Sur la deuxième question, j'ai essayé d'établir une estimation des coûts complets de l'électricité produite par les deux principales filières, l'éolien et le photovoltaïque, et leur probable évolution. Il est difficile d'estimer avec précision les coûts de l'investissement et les coûts de fonctionnement des installations éoliennes ou photovoltaïques parce qu'il s'agit d'informations commerciales que les opérateurs ne donnent pas nécessairement avec la plus grande transparence.
Néanmoins, par recoupement avec les développements qu'on a pu observer à l'étranger, on peut dire que, en 2012, le coût d'investissement pour une centrale éolienne terrestre est de l'ordre de 1 450 kiloeuros par mégawatt et par an, avec un coût de raccordement de l'ordre de 100 kiloeuros par mégawatt, des coûts d'exploitation compris entre 35 et 50 kiloeuros par mégawatt et par an, c'est-à-dire de 2 % à 4 % de l'investissement, et des coûts de démantèlement estimés à 25 kiloeuros par mégawatt, soit 2 % de l'investissement.
L'ensemble de ces coûts est pris en compte dans la détermination du tarif actuellement en vigueur, qui est de 82 euros par mégawattheure, pour une durée de quinze ans.
Toutefois, la durée de vie des installations éoliennes est supérieure à quinze ans. Si l'on devait calculer le tarif en retenant une durée de vingt ans, il serait inférieur à 82 euros. On peut aussi considérer que, au bout de quinze ans, l'opérateur éolien sera présent sur le marché libre de l'électricité et vendra son électricité à un prix qui sera déterminé par les conditions de ce marché. Les coûts marginaux pourraient aller jusqu'au remplacement de la turbine ou à la mise à neuf de l'installation. Il est difficile de les estimer aujourd'hui, mais ils seront certainement inférieurs à ceux d'une installation nouvelle.
Les coûts relatifs à l'éolien sont aujourd'hui assez stables ; ils ne devraient pas énormément diminuer, en dehors de quelques effets d'échelle, à l'horizon 2020. En revanche, les coûts de raccordement risquent d'augmenter fortement avec la mise en oeuvre des schémas régionaux de raccordement au réseau, qui vont succéder aux schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie. Cela pourrait aller jusqu'au triplement de ces coûts.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si je vous ai bien compris, le coût du mégawattheure éolien, qui est actuellement de 82 euros sur quinze ans, pourrait descendre autour de 65 euros si la durée de vie des installations était de vingt ans.
M. Jean-Louis Bal . - Je dirais plutôt 70 euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Entre 65 et 70 euros...
M. Jean-Louis Bal . - Effectivement !
En ce qui concerne le photovoltaïque, les coûts moyens sont de l'ordre de 3 000 euros par kilowatt, avec une très grande dispersion selon la taille des installations. En 2010, les coûts étaient compris entre 2 200 euros et 6 000 euros par kilowatt.
Ces coûts ont connu une forte baisse en 2010, de l'ordre de 15 %. Toutes les analyses montrent que les prix devraient continuer à diminuer pour se situer, en 2020, entre 1 200 euros par kilowatt pour l'hypothèse basse et 2 000 euros par kilowatt pour l'hypothèse haute, ce qui conduirait à un coût du mégawattheure compris entre 100 et 200 euros.
Les coûts d'exploitation et de maintenance de la filière photovoltaïque sont de l'ordre de 70 à 100 euros par kilowatt et par an, et devraient rester stables à l'horizon 2020. Ce sont surtout les coûts d'investissement qui vont diminuer. En revanche, les coûts de raccordement - je reviens ici sur la question des schémas régionaux de développement des réseaux - pourraient faire l'objet d'une augmentation sensible.
Concernant les autres filières, vous savez que la biomasse fait l'objet d'appels d'offres par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, et que les installations, puisqu'il s'agit de cogénération, sont relativement complexes et de grande taille. Nous disposons de très peu d'informations sur les coûts d'investissement. En revanche, via les retours du ministère de l'écologie, nous connaissons les coûts moyens du mégawattheure proposés par les prétendants aux appels d'offres : ils sont de l'ordre de 120 à 150 euros par mégawattheure.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie pour les précisions que vous nous avez apportées. Sur le photovoltaïque, la fourchette que vous avez évoquée est assez large, entre 100 à 200 euros.
M. Jean-Louis Bal . - Effectivement, mais cette fourchette large correspond à la variabilité de la taille des installations : du générateur individuel de quelques kilowatts installé sur une maison à la centrale au sol de plusieurs mégawatts : on comprend bien que les coûts peuvent être notablement différents.
Cet effet d'échelle n'existe pas pour l'éolien, car la puissance des installations est toujours de plusieurs mégawatts.
M. Claude Léonard, président . - Que pensez-vous du développement des centrales de taille importante dont la puissance atteint 60, 80, voire 100 mégawatts ? Je pense à celle qui est située sur une ancienne base aérienne près de Nancy, dont la puissance doit être de 100 ou 120 mégawatts.
M. Jean-Louis Bal . - Sur la base de Toul-Rosières ?
M. Claude Léonard, président . - Oui ! Est-ce que cette taille de centrale permet de diminuer les coûts de production ?
M. Jean-Louis Bal . - Certainement ! On peut atteindre des coûts beaucoup plus bas que sur des installations individuelles.
Le coût de production du mégawattheure issu d'une centrale de cette taille doit être comparé à celui d'une centrale classique. La comparaison se fait avec le prix de gros de l'électricité.
Le coût du générateur photovoltaïque situé sur une habitation doit, quant à lui, être comparé au coût délivré par le réseau au droit de cette habitation.
M. Claude Léonard, président . - C'est-à-dire au compteur.
M. François Grosdidier . - Quelle est la différence : le coût du compteur ?
M. Jean-Louis Bal . - Les coûts évoqués par M. Proglio - ceux de l'accès réglementé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, ou ceux du prix de gros de l'électricité - sont de l'ordre de 50 euros par mégawattheure. Or le tarif de distribution de l'électricité se situe aujourd'hui autour de 110 euros du mégawattheure : la différence est assez importante.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous voulez dire qu'une personne qui installerait un panneau solaire économiserait 110 euros ?
M. Jean-Louis Bal . - Pas tout à fait, car elle ne peut pas non plus se passer complètement du réseau, mais ce serait vrai si elle consommait entièrement l'électricité produite sur son toit.
M. Claude Léonard, président . - Nous n'avons pas progressé sur la question du stockage de l'électricité.
M. Jean-Louis Bal . - La question qui se pose tient moins au stockage qu'à la consommation intégrale de la production. Si le consommateur consommait toute sa production, il pourrait réaliser une économie de 110 euros par mégawattheure produit. C'est ce qui se passe aujourd'hui, par exemple, en Californie, où la production photovoltaïque est parfaitement adaptée au profil de consommation : elle est entièrement absorbée par la consommation du bâtiment, laquelle est essentiellement imputable à la climatisation.
M. François Grosdidier . - Qu'en est-il de l'éolien maritime ?
M. Jean-Louis Bal . - Dans ce domaine, on estime aujourd'hui que les coûts d'investissement sont deux fois plus élevés, c'est-à-dire de l'ordre de 3 000 euros par kilowatt. Mais ces estimations sont assez fluctuantes, car nous ne disposons que de peu de retours d'expériences.
Dans le monde, 4 000 mégawatts d'éolien sont installés en mer, contre 200 000 mégawatts sur terre. En mer, le coût d'investissement dépend de plusieurs facteurs : distance de la côte, profondeur, nature des sols. Il peut donc osciller de façon importante autour de 3 000 euros par kilowatt.
Des appels d'offres ont été lancés par le ministère chargé de l'énergie. On estime encore assez mal les coûts d'exploitation, qui sont probablement plus élevés que pour l'éolien terrestre, mais, là encore, le retour d'expériences est relativement faible. Les estimations faites au moment du lancement des appels d'offres tablaient sur un coût de l'ordre de 180 euros du mégawattheure. Les calculs de la CSPE à l'horizon 2020, tant ceux qui se fondent sur les chiffres que je viens de vous présenter, que ceux qui s'appuient sur les évaluations de la CRE, reposent sur une hypothèse de ce niveau-là.
J'en viens à la troisième question, qui portait sur les mécanismes de soutien, en particulier les tarifs d'achat.
Le système dit de l'obligation d'achat avec un tarif incitatif est celui qui permet le mieux de répondre à un objectif de développement de capacités nouvelles de production d'électricité de sources renouvelables. En dix ans, depuis la loi de février 2000, près de 10 000 mégawatts ont été installés, dont 6 500 mégawatts en éolien terrestre, 2 500 mégawatts en électricité solaire, le reste provenant de diverses sources, notamment des centrales en biomasse. Ce système tarifaire peut être très satisfaisant, à condition qu'il permette d'accorder une juste rémunération des capitaux sans générer de rentes indues. Pour cela, l'administration doit s'attacher à mener un travail très pointu pour établir des tarifs justes et incitatifs.
Pour les filières dont les coûts de production baissent très vite, comme le solaire photovoltaïque, le système tarifaire peut présenter des lacunes si l'inertie de l'analyse et du processus réglementaire n'est pas en mesure de faire évoluer le niveau tarifaire assez rapidement, de façon à coller à la réalité.
Je souligne donc ici le besoin d'un pilotage très fin de la politique de soutien aux énergies renouvelables : cela nécessite que l'administration centrale puisse disposer de moyens humains à la hauteur des enjeux.
En ce qui concerne les mécanismes de soutien, le tarif tel qu'il est actuellement conçu n'engendre pas automatiquement une structuration industrielle des filières. De ce point de vue, l'appel d'offres peut présenter des avantages assez nets. Nous espérons que celui qui a été lancé pour l'éolien offshore , dont on devrait connaître les résultats dans les prochaines semaines, permettra d'engendrer un tel développement industriel.
Puisque l'on parle de l'obligation d'achat, via des tarifs ou des appels d'offres, je voudrais rappeler qu'aujourd'hui, le tarif est supérieur au prix du marché. Les surcoûts devraient être entièrement répercutés sur le consommateur d'électricité, et ne pas être à charge de l'opérateur EDF ou des distributeurs non nationalisés.
La question portait aussi sur les dispositifs fiscaux que sont le crédit d'impôt développement durable et l'éco-prêt à taux zéro, dit éco-PTZ. S'ils ne concernent que marginalement la production d'électricité, ils sont en revanche très utiles pour les équipements utilisant une source d'énergie renouvelable thermique, comme les appareils de chauffage au bois, les chauffe-eau solaires et les pompes à chaleur.
Néanmoins, ce système permet d'inciter les ménages à s'équiper en panneaux photovoltaïques puisque, à son niveau actuel, la seule incitation tarifaire ne permet pas de déclencher des investissements. Je signale que le photovoltaïque n'est pas éligible au dispositif de l'éco-PTZ.
Par ailleurs, nous ne sommes pas opposés à un rabotage régulier des dispositifs fiscaux, les énergies renouvelables n'ayant pas vocation à être éternellement subventionnées. Nous demandons simplement que ces rabotages soient visibles dans le temps.
De ce point de vue, nous nous réjouissons que le mécanisme du crédit d'impôt, qui devait prendre fin en 2012, ait été prolongé jusqu'en 2015. Il est important de connaître, année par année, le niveau de diminution du crédit d'impôt afin que les industriels puissent s'adapter.
La quatrième question portait sur le respect des objectifs du Grenelle de l'environnement et les investissements nécessaires, sur les obstacles au développement des énergies renouvelables et sur les conséquences sur la facture d'électricité.
Concernant les énergies renouvelables, l'objectif est d'atteindre 23 % sur l'ensemble des usages de l'énergie, contre 9 % en 2007. Nous en sommes aujourd'hui à environ 13 %. Le progrès est incontestable, même si nous ne nous inscrivons pas totalement dans la trajectoire nécessaire pour atteindre les 23 %.
M. François Grosdidier . - En 2020 ?
M. Jean-Louis Bal . - Oui ! Pour parvenir à ce pourcentage, il faudra également atteindre des objectifs en termes de diminution de la consommation, lesquels ne sont bien évidemment pas de notre ressort.
L'objectif de 23 % a été ventilé entre électricité, usage thermique et transports.
Pour l'électricité, il s'agit d'atteindre 27 % à l'horizon 2020, ce qui nécessite d'augmenter la capacité de toute une série de filières.
Comme M. Proglio l'a souligné à la fin de son audition, l'hydro-électricité n'en sera qu'une composante mineure : il s'agit là de passer de 25 000 à 27 500 mégawatts.
Les progrès viendront essentiellement de l'éolien terrestre, d'abord, qui doit atteindre les 19 000 mégawatts, contre 6 500 mégawatts actuellement. L'éolien maritime, dont la production est actuellement égale à zéro, devra atteindre 6 000 mégawatts.
Pour le photovoltaïque, l'objectif est de 5 400 mégawatts, contre 2 600 mégawatts aujourd'hui. Dans le livre blanc qu'il vient de publier, le Syndicat propose de porter cet objectif à 20 000 mégawatts.
Concernant la biomasse, il s'agit, en cogénération, d'atteindre l'objectif de 2 300 mégawatts.
Les 1 000 mégawatts restants se répartissent entre diverses énergies renouvelables.
Les investissements privés nécessaires pour atteindre ces objectifs sont estimés à environ 50 milliards d'euros d'ici à 2020.
Nous insistons sur le fait que ce coût doit être considéré comme un investissement, qui doit ensuite se traduire par une structuration industrielle de la filière. En effet, ce coût doit « rapporter » financièrement, en termes de création d'emplois, d'exportations et d'importations évitées.
Nous avons estimé l'impact sur la CSPE en reprenant les objectifs du Grenelle de l'environnement, à l'exception du photovoltaïque pour lequel je vous rappelle que le SER propose de porter l'objectif national à l'horizon 2020 à 20 000 mégawatts, au lieu de 5 400 mégawatts.
Le surcoût pour la CSPE serait d'environ 6 milliards d'euros en année courante en 2020. Ce chiffre est voisin de l'estimation de la CRE, avec toutefois la différence notable d'objectif du photovoltaïque.
Il convient de souligner que, en huit ans, le coût estimé peut varier très sensiblement selon les hypothèses. Je rappelle que le coût pour la CSPE correspond à la différence entre le tarif d'achat de l'énergie concernée et le prix de gros de l'électricité. Suivant les hypothèses que vous formulez quant à l'évolution de ce coût - la CRE l'a estimé à 2 % en euros constants, contre 4 % à 5 % selon nous -, les résultats peuvent être très différents.
Une autre variable, qui concerne essentiellement le photovoltaïque, est évidemment le coût de la filière, pour laquelle nos hypothèses sont beaucoup plus optimistes que celles de la CRE ; mais c'est aussi notre compétence de mieux connaître les évolutions de cette filière. Nous avons pris en compte les évolutions récentes du coût du photovoltaïque, lesquelles ont été très spectaculaires.
L'évolution de la CSPE devrait se traduire par une augmentation du prix facturé au consommateur de l'ordre de 10 % à 12 %, d'ici à 2020, par rapport au prix actuel.
M. de Ladoucette a annoncé ici, comme il l'avait déjà fait dans plusieurs enceintes, les augmentations du prix de l'électricité qui devaient être attendues dans les prochaines années. Il a évoqué une hausse du prix de l'électricité de 30 % à l'horizon 2016 ; nous pensons, pour notre part, que l'augmentation due aux énergies renouvelables sera de 1,5 % par an, soit 6 % à l'horizon 2016 sur les 30 % annoncés par M. de Ladoucette.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il avait intégré 15 % d'inflation. Vous retenez donc de 6 %, au lieu de 15 %.
M. Jean-Louis Bal . - J'en viens à la question relative aux obstacles au développement des énergies renouvelables. À notre sens, ils sont de trois ordres.
Il s'agit, en premier lieu, des obstacles administratifs. La filière principalement concernée est l'éolien terrestre.
Je vous rappelle qu'a été mis en place un véritable millefeuille, avec une réglementation particulièrement lourde.
D'abord, une double planification a été prévue, avec les zones de développement de l'éolien et les schémas régionaux. Encore une fois, nous ne contestons pas l'intérêt de disposer d'une planification ; mais pourquoi en avoir prévu deux ?
Ensuite, une double autorisation est nécessaire : le permis de construire et la procédure des installations classées pour la protection de l'environnement, ou classement ICPE.
À cela s'ajoute la règle du nombre minimum de cinq éoliennes par parc.
Par ailleurs, se pose la question de la compatibilité entre la loi Littoral et la loi Grenelle 2. La loi Littoral oblige, dans les communes littorales, à construire dans la continuité de l'urbanisme, alors que la loi Grenelle 2 interdit toute construction d'éoliennes à moins de 500 mètres des habitations. Entre ces deux lois, il y a une contradiction évidente.
En deuxième lieu, nous avons identifié des obstacles économiques, particulièrement pour le solaire photovoltaïque.
Le nouveau cadre économique mis en place à la suite du moratoire de mars 2011 est de moins en moins incitatif pour les installations inférieures à 100 kilowatts : la dégressivité du tarif d'achat est automatique tous les trimestres, sur la base d'un mauvais indicateur : l'entrée en file d'attente, et non pas la réalisation d'installations.
Au-dessus des 100 kilowatts, s'applique la procédure d'appel d'offres, qui nous semble peu adaptée à des installations de taille moyenne. Elle convient mieux, semble-t-il, à des installations de plus grande taille. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur l'intérêt de ces appels d'offres dans l'optique de la structuration des filières industrielles.
En troisième lieu, les deux filières sont confrontées à un obstacle technico-économique : l'accès au réseau électrique, c'est-à-dire le raccordement, avec des procédures qui risquent de devenir de plus en plus coûteuses.
J'ai évoqué précédemment les schémas régionaux de raccordement au réseau qui, sur le principe, sont une excellente chose : ils permettront de mutualiser les coûts de développement des réseaux entre l'ensemble des producteurs.
La répartition de ces coûts de développement des réseaux, qu'il s'agisse du réseau de transport ou du réseau de distribution, entre gestionnaires de réseaux et producteurs d'énergies renouvelables est une question très importante. Quelle que soit la clé de répartition adoptée, les coûts, qui sont aujourd'hui estimés entre 2 et 3 milliards d'euros d'ici à 2020, devront être ensuite répercutés sur les tarifs, soit le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, pour les réseaux de transport et de distribution, soit le tarif d'achat de l'électricité produite par les producteurs, si l'on répartit la charge sur eux.
En ce qui concerne l'acceptabilité des énergies renouvelables - on pense d'emblée à l'éolien -, contrairement à une opinion répandue, l'acceptabilité de l'éolien est bonne, cela mérite d'être souligné.
Il suffit pour s'en convaincre de relire les résultats des enquêtes d'opinion menées depuis 2001 par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME. Ils montrent que l'acceptation de l'éolien est bonne et s'améliore d'année en année. Malgré cela, il existe effectivement des mouvements contestataires, qui sont plutôt le fait d'une minorité agissante. Il n'y a pas de véritable problème d'acceptabilité sociétale.
La cinquième question concernait la façon dont les énergies renouvelables s'inscrivent dans la structure de l'offre, et leur caractère intermittent, susceptible de les cantonner à un rôle d'appoint.
Je tiens à le dire d'emblée, nous ne contestons pas que l'éolien et le photovoltaïque soient actuellement des formes d'énergie « fatales » ne produisant, effectivement, que lorsque la ressource est disponible, et pas nécessairement en fonction des besoins des consommateurs.
Cette production se substitue aujourd'hui aux moyens marginaux, c'est-à-dire les plus chers mis en oeuvre à un instant donné, qui sont généralement thermiques, évitant ainsi l'utilisation de ressources fossiles et l'émission de gaz à effet de serre.
Tout d'abord, la part de l'éolien dans le mix électrique progresse assez rapidement. Elle a représenté en 2011, en moyenne sur l'année, 2,5 % de parts de la consommation couverte, soit la consommation domestique de près de 5 millions de personnes. Selon les objectifs du Grenelle de l'environnement, cette part devrait atteindre 10 %.
On constate chaque année une augmentation notable de la production éolienne lors des mois les plus froids, c'est-à-dire en période de pointes de consommation. C'est le cas, notamment, lors des vagues de froid. Durant le mois de décembre 2011, le parc éolien français a couvert 4 % de nos besoins en électricité, et on a retrouvé des taux similaires lors de la vague de froid de janvier 2012, dont tout le monde se souvient. Ainsi a été évité le recours à des centrales thermiques - charbon, gaz ou fioul - et à des productions au coût élevé. Nous avons réduit d'autant nos besoins en importation d'électricité, qui sont tout de même très carbonés.
De ce point de vue, je reprendrai les conclusions de RTE dans son bilan prévisionnel 2011 : les capacités éoliennes installées permettent d'éviter l'utilisation ou l'installation d'une certaine quantité de centrales thermiques. Ainsi, malgré l'intermittence de sa production, le parc éolien participe à l'équilibre de l'offre et de la demande. On peut retenir que, en France, en termes d'ajustement du parc de production, 25 000 mégawatts produits par des éoliennes équivalent à 5 000 mégawatts produits par des équipements thermiques.
Le photovoltaïque a couvert, quant à lui, 0,5 % de la consommation d'électricité en 2011. Là encore, je prends pour référence RTE, qui considérait, dans son bilan prévisionnel 2009, que, à une échelle globale, sur l'ensemble du territoire, la production photovoltaïque vient directement se soustraire à la courbe de consommation. À l'horizon 2020, l'impact de la production photovoltaïque sera notable en été. Elle viendra effacer en partie la pointe journalière et sera probablement corrélée à la consommation due à la climatisation.
En ce qui concerne la question de l'intermittence, il convient tout d'abord de rappeler que le système électrique est aujourd'hui conduit pour gérer une consommation subissant des variations quotidiennes de l'ordre de 15 gigawatts, et dimensionné pour faire face à des événements imprévus, tels que des pannes subites de groupes de production, qui peuvent atteindre 1 500 mégawatts, ou des erreurs de prévisions météorologiques. Rappelons qu'un seul degré d'écart, en hiver, se traduit par la consommation de 2 300 mégawatts supplémentaires.
En France, grâce au dispositif IPES, Insertion de la production éolienne dans le système, mis en place par RTE, dont Dominique Paillard a dû vous parler et auquel nous avons été associés lors de la phase expérimentale, la production éolienne est suivie en temps réel. Bénéficiant d'un foisonnement à l'échelle du territoire, la variation de la production est relativement lente, et le système IPES permet de prévoir la production éolienne la veille pour le lendemain, avec une précision satisfaisante, limitant ainsi les incertitudes sur les volumes produits. L'aléa résiduel lié aux erreurs de prévision reste donc très inférieur aux autres aléas auxquels doit faire face le système électrique.
Aujourd'hui, le photovoltaïque n'est pas encore pris en compte dans ces prévisions, mais RTE y travaille.
L'observabilité et la prévisibilité des productions « fatales » sont donc actuellement l'enjeu principal de l'insertion à grande échelle dans le système électrique métropolitain. La nécessité de recourir au stockage de l'énergie ne se posera pas avant dix ans au moins. Il n'en reste pas moins qu'il faut s'en préoccuper dès aujourd'hui et commencer à développer de nouveaux procédés de stockage de l'énergie. Cela se fait d'ores et déjà aujourd'hui, via nos stations de transfert d'énergie par pompage, c'est-à-dire les barrages. Il reste donc encore des marges de manoeuvre en matière de stockage d'énergie.
Je ne sais pas si vous avez prévu d'auditionner un représentant de l'ADEME. Cette dernière ayant entamé des travaux sur ce sujet dans le cadre des investissements d'avenir, je pense que cela pourrait être intéressant.
Tout ce que je viens de dire vaut pour la métropole.
Dans les territoires de Corse et d'outre-mer, dont les réseaux électriques sont beaucoup plus sensibles, car non interconnectés, ou, pour ce qui concerne la Corse, peu interconnectés, et surtout de taille réduite, la situation est très différente, et peut être intéressante. À ce titre, les années à venir seront riches d'enseignements. Ces territoires pourraient devenir des laboratoires du point de vue de la gestion des réseaux et de l'intermittence, ainsi que du développement du stockage.
Les limites empiriques des 30 % de pénétration des énergies « fatales et aléatoires » seront bientôt atteintes dans la plupart de ces territoires. La direction des systèmes électriques insulaires d'EDF mène actuellement des travaux sur le développement du stockage de l'électricité qui, associé à des installations d'énergies renouvelables, pourrait permettre de dépasser cette limite. Est ainsi en cours, à la Réunion, un projet de recherche assez intéressant portant sur les batteries sodium-soufre.
M. Claude Léonard, président . - Vous n'êtes pas le premier, depuis que nous procédons à des auditions dans le cadre de cette commission d'enquête, à nous dire que la filière photovoltaïque est en train d'évoluer et qu'elle deviendra vraiment compétitive parce que les coûts d'investissement vont baisser. Pourriez-vous préciser par quels mécanismes ?
L'une des raisons d'être du moratoire - je suis bien placé pour le savoir, car je participe à un projet intéressant dans ce domaine ! -, nous a-t-on dit publiquement, tient au fait que l'on avait fait tourner l'industrie chinoise, pour parler franc, en achetant « hardi petit ! » des panneaux qui arrivaient par containers, et que l'on avait ainsi créé une bulle fiscale et déstructuré les industries européennes, notamment françaises, du secteur.
Y a-t-il à nouveau un avenir pour la fabrication de panneaux photovoltaïques en Europe et en France, à part l'usine Photowatt, dont on parle tous les jours, mais pour des raisons « particulières » ? ( Sourires .)
J'ai appris que Bosch allait remettre en route une filière de fabrication dans la région lyonnaise, à Vénissieux, dans une ancienne usine d'équipement automobile. Monsieur Bal, sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que les coûts d'investissement vont baisser ? Les investissements sont de fait considérables : un projet de 180 hectares de grosses fermes solaires coûte entre 200 et 300 millions d'euros !
M. Jean-Louis Bal . - Il faut revenir un peu sur le passé. Jusqu'en 2008, les tarifs étaient parmi les plus élevés d'Europe, car ils rémunéraient à sa juste valeur l'équipement, qui coûtait très cher. Ensuite, il s'est produit une chute rapide des coûts, qui n'a pas été suffisamment anticipée. C'est la raison pour laquelle j'insistais précédemment sur la nécessité de mettre en place un pilotage au niveau de l'administration, assuré par un personnel suffisant en nombre, en vue de renforcer l'expertise nécessaire pour anticiper les baisses de coût.
Certaines de ces baisses ont été engendrées par un investissement massif, réalisé essentiellement en Chine. Or le développement du marché mondial concernait surtout l'Europe, le Japon et les États-Unis, et il était piloté par des mécanismes de soutien public. Le résultat fut celui que vous avez décrit : c'est en priorité l'industrie chinoise qui a profité de ces incitations publiques. On peut difficilement en faire le reproche à la Chine, dont la vision était la bonne.
Notre problème, c'est d'avoir réagi trop lentement et de n'avoir pas suffisamment anticipé.
Le reproche que l'on peut adresser à ceux qui, en France, étaient en charge de la politique menée en matière photovoltaïque, c'est d'avoir développé la demande avant l'offre. Avec la forte baisse des coûts engendrée par ces importants investissements chinois, essentiellement liés à des effets d'échelle, nous devons miser sur des technologies innovantes si nous voulons reprendre la main sur l'industrie photovoltaïque. M. le sénateur Vial sera certainement de mon avis sur ce point.
Les Chinois ont développé leur industrie en se fondant sur la technique du silicium standard, à 15 % ou 16 % de rendement, mais à une échelle telle que nous ne pourrons plus les concurrencer sur ce type de produits.
L'une des voies possibles pour développer chez nous une industrie du composant photovoltaïque est de miser sur des cellules au silicium à très haut rendement, du type de celui développé par l'Institut national de l'énergie solaire, l'INES, et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA, avec des techniques d'hétérojonction qui permettront de dépasser les 20 % de rendement.
Une autre voie consiste à travailler sur les couches minces. Il s'agit de déposer sur de grandes surfaces le matériau semi-conducteur sur une épaisseur extrêmement faible, de l'ordre du millionième de millimètre. Le prix du matériau devient alors très réduit.
Des technologies innovantes sont développées en France au sein de l'Institut de recherche et développement sur l'énergie photovoltaïque, l'IRDEP, installé en région parisienne, et, plus récemment, de l'Institut national de l'énergie solaire (INES). La France dispose donc des ressources technologiques permettant d'engendrer un développement industriel.
Pour en revenir à Photowatt, le Président de la République a dit très clairement dans son discours de Bourgoin-Jallieu que cette usine devait miser, pour assurer son avenir, non pas sur les technologies actuelles, mais sur l'hétérojonction, développée dans le cadre de PV Alliance, et dont les rendements sont très élevés.
Nous ne parviendrons à développer de nouveau une filière industrielle française que sur la base de l'innovation et de la haute performance. Bosch, par exemple, a investi non pas sur la cellule, mais sur l'assemblage des cellules en modules. Cette voie, qui est envisageable, permet de produire des modules photovoltaïques adaptés au marché français et, entre autres, à notre exigence particulière en matière d'intégration au bâtiment.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez dit que la part des énergies renouvelables était passée, entre 2007 et 2011, de 6 % à 13 %...
M. Jean-Louis Bal . - Je crois avoir plutôt dit de 9 % à 13 %.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Dans ce cas, mon raisonnement n'est plus le même. Si l'on était passé de 6 % à 13 % de 2007 à 2011, ou 2012, il nous était tout à fait possible d'atteindre 23 % en 2020. La progression de 9 % à 13 %, soit 4 %, est bien moins importante. Il faudrait donc que la progression globale soit de 10 % entre aujourd'hui et 2020. Cela vous paraît-il possible ?
M. Jean-Louis Bal . - Une telle progression est possible, mais nous ne sommes pas aujourd'hui sur la bonne trajectoire. J'ajoute que les progrès accomplis depuis 2007 l'ont été grâce aux biocarburants.
La part de biocarburants consommés et produits en France est passée de zéro, ou presque, à 2,5 millions de tonnes équivalent pétrole. Nous avons probablement atteint la limite de ce qu'il est possible de faire, en France, en matière de biocarburants de première génération. Nous ne ferons plus de progrès dans ce domaine ; il est donc inutile de prolonger cette tendance.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Cet objectif est donc réalisable, mais nous devons faire remonter la courbe de progression.
Pour cela, dites-vous, il convient d'évaluer le prix de chaque filière au plus juste. Les administrations doivent apporter leur soutien. Le prix doit permettre d'éviter des situations de rentes, mais tenir compte aussi des investissements.
Il faut également, selon vous, développer la filière industrielle, et donc les industries de proximité, comme le disait le Président de la République.
Vous avez souligné que l'on avait créé une demande, alors que l'offre n'existait pas. Les entreprises françaises du secteur souffraient donc d'un manque de compétitivité, non parce qu'elles étaient absentes du marché, mais à cause des économies d'échelle réalisées par d'autres pays. Pourquoi les entreprises françaises n'ont-elles pas été capables de faire des économies d'échelle ?
Si l'on m'avait dit que leurs difficultés étaient liées à la différence de coût de la main-d'oeuvre, j'aurais pu le comprendre ! Or, vous soutenez qu'il s'agit seulement d'une question d'économies d'échelle... Dès lors, je m'interroge : pourquoi nos entreprises n'en ont-elles pas aussi profité ?
Par ailleurs, alors que vous estimez que leur salut peut venir du développement de technologies plus pointues, pourquoi les entreprises chinoises ne seraient-elles pas capables, elles aussi, de développer de telles technologies ?
Vous avez déclaré, également, qu'il fallait supprimer les réglementations visant à empêcher les petites installations, dans les domaines du solaire et surtout de l'éolien, afin de soutenir toutes les formes d'énergies renouvelables.
Vous avez indiqué que la population acceptait bien mieux l'éolien qu'on ne le dit généralement. Malgré tout, le développement des énergies renouvelables, de l'éolien en particulier, est forcément limité dans l'espace. Selon vous, quelles sont ces limites ?
Estimez-vous qu'il faille aussi limiter l'installation de fermes solaires, pour des raisons liées au respect des espaces, des paysages, du patrimoine ?
Mes questions portent donc, tout à la fois, sur l'économie, les conditions d'installation, le prix et les limites spatiales du développement de l'éolien et du solaire.
M. Jean-Louis Bal . - Vous avez évoqué la concomitance entre le développement de l'offre et celui de la demande. La demande, qui s'est développée en 2007 et 2008, était en effet largement supérieure à la capacité de production de Photowatt. L'offre n'était donc pas à la hauteur.
On peut probablement reprocher aux actionnaires de Photowatt de l'époque de n'avoir pas su mesurer les investissements qu'il était nécessaire de faire, notamment dans le domaine de la recherche-développement, pour permettre à l'entreprise de garder un avantage compétitif.
J'ai parlé des investissements massifs réalisés par la Chine. Nous aurions aussi pu, en France, réaliser de tels investissements.
Les pays d'Asie, notamment la Chine, disposent néanmoins d'un avantage en termes de coût de la main-d'oeuvre, ce qui explique l'ampleur de leurs investissements. Cela dit, l'avantage du faible coût de la main-d'oeuvre concerne plus la phase en « aval » de la production, c'est-à-dire l'assemblage en modules, que la fabrication de la cellule proprement dite.
Vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur, quel était notre avantage sur l'industrie chinoise en termes d'innovations.
Pour l'heure, même si cela ne durera pas, les Français, comme les Américains et les Japonais, ont un avantage sur la Chine en termes de ressources en recherche-développement. Nous devons cependant avoir conscience que la Chine travaille actuellement pour développer ses performances en la matière, et qu'elle finira par nous rattraper. Nous devons donc accepter la compétition à ce niveau, le seul auquel nous pouvons encore concurrencer la Chine.
J'ai aussi évoqué les obstacles administratifs relatifs à l'éolien. Il s'agit non pas d'autoriser l'installation d'éoliennes n'importe où et n'importe comment, sans prévoir aucune règle de protection de la population et de l'environnement, mais d'éliminer les règles redondantes ou celles qui n'ont pas de fondement.
Je pense, à cet égard, à la règle prévoyant l'installation de cinq mâts d'éoliennes, au minimum, par parc. Une telle règle peut avoir du sens dans la Beauce, car les terres y sont immenses. En Bretagne, en revanche, où l'habitat est extrêmement dispersé, il devient très difficile d'installer cinq éoliennes ou plus par parc, surtout si l'on veut respecter la règle de l'éloignement des 500 mètres de toute habitation.
Je tiens à le dire clairement : réclamer une simplification des procédures administratives ne signifie en aucun cas rendre la réglementation « laxiste ».
La simplification de certaines règles administratives permettrait d'ouvrir l'accès à l'éolien aux citoyens et aux petites collectivités, ce qui favoriserait son acceptation par la population.
J'en viens aux limites spatiales.
Pour le développement de l'éolien terrestre, tout d'abord, je pense que les limites techniques sont probablement moins fortes que les limites sociétales. Nous avons évoqué la question de l'acceptabilité. Il est bien évident que si l'on avait installé dans notre pays des éoliennes tous les 200 mètres, cela poserait un problème d'acceptation.
La limite de l'acceptation sociale est difficile à évaluer aujourd'hui. Elle sera déterminée au fur et à mesure du développement de cette énergie, et nous verrons bien à quel moment les populations en auront assez.
L'effet inverse pourrait aussi très bien se produire. Nous constatons aujourd'hui que les populations qui vivent à côté d'un parc d'éoliennes acceptent et perçoivent l'éolien bien mieux que celles qui ne les « vivent » pas au quotidien.
Pour ce qui concerne l'éolien en mer, les limites sont tout aussi difficiles à cerner, même si elles sont surtout d'ordre technique. Pour installer des éoliennes en mer, il faut tenir compte de la profondeur, de la distance du rivage. Néanmoins, contrairement à ce que beaucoup croient, il se pose également des problèmes d'acceptation. Je rappelle en effet que les usagers de la mer sont nombreux, dans les secteurs tant du tourisme, de la pêche, du transport que de l'exploitation de granulats, entre autres.
De nombreuses contraintes, que nous n'avons pas encore suffisamment explorées, pèsent donc sur l'éolien en mer. Les mesurer nous permettrait d'évaluer les limites du développement de cette technologie.
Ces limites pourraient s'élargir grâce aux progrès technologiques. Il est en effet question, vous le savez, de développer l'éolien flottant. Les éoliennes seraient alors posées non pas sur les fonds marins, mais ancrées, ce qui permettrait de les installer sur des zones d'une profondeur atteignant 150 mètres, alors que nous sommes aujourd'hui limités à des profondeurs de 30 ou 40 mètres. Ce serait un moyen de repousser ces fameuses limites, que l'on ne connaît pas encore très bien.
Pour ce qui concerne le solaire, le potentiel de développement est beaucoup plus important, pour une raison simple : l'endroit idéal pour installer des panneaux solaires, ce sont les bâtiments. Pour vous donner un ordre de grandeur, l'installation de panneaux photovoltaïques sur 10 000 kilomètres carrés de bâtiments permettrait de couvrir deux fois la consommation d'électricité en France. Ce chiffre, certes tout à fait théorique, suffit à démontrer qu'il convient d'installer les panneaux photovoltaïques en priorité sur les surfaces artificialisées.
Nous devons éviter, bien sûr, d'implanter des centrales photovoltaïques dans les zones agricoles, mais nous disposons de bien d'autres surfaces disponibles, de différentes sortes. Vous avez cité, monsieur le président, l'exemple d'une base militaire désaffectée. On pourrait aussi évoquer les décharges ou les friches industrielles, qui constituent un vaste potentiel d'exploitation.
Les bâtiments, et en premier lieu ceux qui sont neufs, représentent la solution idéale pour cette technologie, et permettront la production de très nombreux gigawatts.
M. Claude Léonard, président . - Je souhaite conclure cet entretien par une question et deux constats.
Tout d'abord, la décision prise l'année dernière, à l'issue du moratoire, de fixer à 500 mégawatts la limite de production du solaire vous paraît-elle pertinente pour relancer la filière française de fabrication des panneaux photovoltaïques ? Permettra-t-elle vraiment de développer l'emploi dans ce secteur économique, compte tenu de la partition existante, et qui s'apparente à un véritable saucissonnage, entre installations sur les toitures et centrales au sol ?
Premier constat : les militaires se plaignent des difficultés que leur posent les éoliennes, non parce qu'ils ne peuvent pas passer entre des pales en rotation ( sourires ), mais parce que ces installations sont une source de brouillage électromagnétique des radars des avions lors des vols à basse altitude autorisés dans les zones militaires protégées. Je précise que je tiens ces informations directement d'un général de l'armée de l'air.
Second constat : le service départemental d'incendie et de secours dont je m'occupe commence à rencontrer des difficultés lorsque des feux se déclenchent dans des bâtiments équipés de panneaux solaires, à cause de l'énergie solaire produite en pleine journée.
L'incendie d'une maison ou d'une grange dont la toiture est recouverte de panneaux solaires - cela ne se produit certes pas tous les jours - peut provoquer une coupure de courant. Les pompiers peuvent être privés d'eau, alors que cette dernière est le moyen le plus efficace pour éteindre les incendies. Se pose par ailleurs le problème de la conductibilité de l'électricité, donc de la sécurité des sapeurs-pompiers.
Les industriels seront-ils suffisamment imaginatifs pour inventer un système comparable à celui qui existe pour le gaz, et qui permet de couper les vannes de l'extérieur du bâtiment en cas d'incendie ? C'est un réel problème, qui devient un enjeu de sécurité pour les sapeurs-pompiers.
M. Jean-Louis Bal . - Monsieur le rapporteur, la limite des 500 mégawatts par an ne nous paraît pas suffisante pour développer la filière industrielle du solaire. Nous proposerons donc, dans notre livre blanc, une limite de 1 500 à 2 000 mégawatts par an.
Si nous voulons donner de la visibilité aux industriels, nous devons prévoir un chiffre bien supérieur à ces 500 mégawatts par an. Rappelons qu'il existe en France, outre Photowatt, plusieurs projets industriels dans ce secteur. Avec une telle limite de production, nous ne pourrions pas opposer de résistance à la concurrence étrangère, qui tentera, elle aussi, de s'imposer.
Cette limite des 500 mégawatts par an avait été fixée, également, en fonction des coûts que représentait le photovoltaïque pour la CSPE au début de l'année 2011. Sachant que ces coûts ont fortement diminué, on peut aujourd'hui envisager d'adopter un rythme annuel bien supérieur, à condition, encore une fois, de mener une politique industrielle permettant de transformer les coûts de la CSPE en investissements.
Les choses sont en cours. Je n'en ai pas beaucoup parlé jusqu'à présent, mais il faut savoir que les investissements d'avenir, qui sont gérés par l'ADEME, permettent de financer des sauts de verrous technologiques initiés par une série d'industriels mobilisés sur le marché français.
Pour ce qui concerne les brouillages de radars, monsieur le président, je suis quelque peu surpris par votre observation.
Nous rencontrons certes quelques problèmes avec les radars. Ces appareils sont de trois types : les radars de l'aviation civile, ceux de l'aviation militaire et ceux de Météo France.
Jusqu'à présent, notre dialogue avec l'armée a toujours été excellent, et nous évitons d'installer des éoliennes à proximité des radars militaires. L'armée a d'ailleurs la possibilité de nous l'interdire.
M. Claude Léonard, président . - Je parlais des radars embarqués dans les avions ! Dans certaines zones, en France, les appareils sont autorisés à effectuer des vols d'entraînement à très basse altitude, et il semble que les éoliennes leur posent un problème. Je suis l'élu d'un département très « éoliannisé », si vous me permettez d'utiliser ce néologisme. L'installation de 220 éoliennes a été autorisée, et 190 ou 200 ont déjà été érigées.
M. Jean-Louis Bal . - Les développements technologiques actuels portent sur des éoliennes non pas furtives, mais à signature réduite. Ainsi, le grand industriel EADS développe actuellement, grâce aux investissements d'avenir gérés par l'ADEME, des pales à signature réduite, destinées à éviter, ou tout au moins à diminuer, les brouillages de radars.
Nous rencontrons ce genre de problème principalement avec Météo France, dont les radars doivent repérer des objets bien plus petits, des gouttelettes d'eau, ce qui est parfois difficile !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les erreurs de prévisions météorologiques seraient donc dues aux éoliennes ?...
M. Jean-Louis Bal . - Nous n'avons pas encore provoqué, à ce jour, de brouillage sur les orages cévenols !...
Pour ce qui concerne la réglementation relative aux incendies, nous nous sommes saisis de ce problème et y travaillons avec les autorités concernées. Il existe des dispositifs permettant de court-circuiter les panneaux en cas d'intervention des pompiers. Il nous faut désormais mettre en oeuvre les dispositifs expérimentés, et nous diffusons une réglementation sur ce sujet.
M. Claude Léonard, président . - Monsieur Bal, je vous remercie pour toutes les précisions que vous nous avez apportées au cours de cette audition, qui a duré un peu plus d'une heure et quart.
Je remercie également les différents intervenants, notamment M. le rapporteur et M. Jean-Pierre Vial.
Il se peut que, au cours des travaux de cette commission d'enquête, qui doit s'achever à la fin du mois de juin, et en fonction de l'évolution des réflexions du rapporteur et de l'équipe administrative du Sénat, nous nous permettions de faire de nouveau appel à vous, dans le cas où nous aurions besoin de précisions supplémentaires.
M. Jean-Louis Bal . - Ce sera avec un grand plaisir !
Audition de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives
(20 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, d'avoir répondu à notre invitation, invitation un peu obligatoire, il faut bien le dire... ( Sourires .)
Comme vous le savez, monsieur Bigot, chaque groupe politique du Sénat dispose d'un droit de tirage pour créer une commission d'enquête sur un sujet lui tenant à coeur. En l'occurrence, le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'instituer une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques.
Je vais vous demander de respecter ce que j'appellerai la règle du jeu, c'est-à-dire de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».
( M. Bernard Bigot prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie.
Monsieur Bigot, vous avez reçu un questionnaire de M. le rapporteur, à qui je vais céder la parole afin qu'il énonce les questions devant tous nos collègues. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus intéressant pour nos travaux. Ensuite, vous répondrez soit aux questions complémentaires de M. le rapporteur, soit aux questions supplémentaires de mes collègues et de moi-même.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur Bigot, j'ai souhaité vous poser six questions, dont certaines se subdivisent en plusieurs sous-questions.
Premièrement, le récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire vous semble-t-il décrire de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire ?
Deuxièmement, au sein du CEA, pouvez-vous comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part ?
Troisièmement, comment se répartit la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière ? Cette imputation vous paraît-elle pertinente ? Qu'en est-il pour les énergies renouvelables ?
Quatrièmement, avez-vous des commentaires sur les mérites comparés, notamment en termes de coût, du remplacement de l'actuel parc nucléaire, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergie renouvelable ?
Cinquièmement, quelle est la vision du CEA sur l'état de la recherche en matière de stockage de l'électricité ? Quelles sont les perspectives, à quelle échéance et à quel prix ?
Enfin, sixièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération, au travers de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et des différents dispositifs fiscaux ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Bernard Bigot.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre d'intervenir devant cette commission d'enquête. Je vais répondre à ces différents points dans l'ordre où vous les avez abordés.
Vous m'avez d'abord demandé si le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire faisait une description correcte de l'investissement national en matière de recherche nucléaire.
De fait, à nos yeux, ce rapport retrace soigneusement l'ensemble des éléments de coût de la filière électronucléaire depuis plus de cinquante ans, ce qui, à ma connaissance, n'avait jamais été fait ni pour cette filière ni pour aucune autre.
La Cour a pu consulter l'ensemble des comptes annuels du CEA, validés par nos commissaires aux comptes, sur toute la période d'observation. Les chiffres retenus sont donc, du moins pour ce qui nous concerne, d'une parfaite fiabilité.
À mon sens, tout conduit donc à considérer que le rapport décrit de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire, soit 55 milliards d'euros valeur 2010, au titre des cinquante-quatre années allant de 1957 à 2010. On peut donc estimer que nous avons consacré un peu plus de un milliard d'euros par an à la recherche.
Il faut savoir qu'une part significative de ces dépenses porte sur les réacteurs du futur, notamment ceux dits de quatrième génération, et pas seulement sur le parc installé et la production actuelle d'électricité. Le rapport de la Cour des comptes permet de déterminer que 80 % de ces 55 milliards d'euros bénéficient à la filière actuelle, contre 20 % à la filière du futur.
Sachant que le parc actuel aura produit 427 térawattheures à un prix de production de l'ordre de 50 euros le mégawattheure, toutes charges comprises, ce qui correspond à une valeur marchande d'environ 110 euros par mégawattheure, la part de la recherche représente au plus 2,2 % de la valeur de l'électricité produite annuellement par la filière nucléaire. Ce pourcentage est encore plus faible, environ 2 %, si l'on inclut les revenus provenant du reste de la filière industrielle des équipementiers et du cycle, qui ont également bénéficié de cette recherche. Quelle industrie pourrait poursuivre un effort d'innovation avec un pourcentage encore plus faible de ses revenus destiné à la recherche ?
L'investissement de construction de notre parc actuel de cinquante-huit réacteurs et des installations du cycle du combustible, tel que le retrace la Cour des comptes, est de 115 milliards d'euros : 96 milliards pour les réacteurs et 19 milliards pour les industries du cycle. Si l'on rapporte les charges annuelles d'exploitation de ce parc de réacteurs, soit, selon le rapport, 8,9 milliards d'euros par an au coût d'investissement actualisé, on obtient moins de 7,5 % de coût de fonctionnement, toutes charges comprises.
Ce faible pourcentage souligne à quel point, une fois l'investissement réalisé, il est essentiel d'en tirer le meilleur parti en prolongeant le fonctionnement de ces installations autant que les exigences de sûreté l'autorisent.
Vous m'avez également demandé quel commentaire m'inspirait l'évolution de cet effort financier au fil du temps, ainsi que sa répartition entre les nombreux opérateurs, notamment l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les industriels.
En reprenant les chiffres cités par la Cour des comptes sur les différentes périodes en observation, on note que, de 1957 à 1969, la moyenne annuelle des dépenses de recherche a été de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. De 1970 à 1989, ainsi que de 1990 à 2010, elle s'est élevée à 1 milliard d'euros. Force est donc de constater une grande stabilité de la part consacrée aux dépenses de recherche dans notre pays. Par ailleurs, le nombre des opérateurs est plutôt stable : la recherche est désormais réalisée soit par les industriels, dont le nombre n'a pas beaucoup augmenté au cours de ces cinquante dernières années, soit par les opérateurs publics de recherche.
À cet égard, je veux souligner que l'ANDRA n'est pas à proprement parler un opérateur de recherche de manière principale, mais plutôt un collecteur de financement public ou privé de ressources, qu'elle redistribue ultérieurement à des opérateurs de recherche, en tant qu'agence de financement, selon ses besoins de recherche en matière de stockage des déchets radioactifs, dont l'État lui a confié la responsabilité.
À mon sens, les opérateurs publics de recherche dans le domaine nucléaire sont principalement au nombre de quatre : le CEA, l'IRSN, le CNRS, ainsi que l'ensemble constitué par les universités et grandes écoles. Il y a en outre d'autres acteurs qui, ayant des activités non spécifiques au champ nucléaire, peuvent y contribuer, tel le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, pour ce qui est de l'examen de la qualité des sous-sols susceptibles d'être utilisés pour le stockage des déchets.
Il est bien évidemment indispensable que l'État se dote, à travers le soutien direct qu'il apporte à des opérateurs publics de recherche, d'une capacité durable d'expertise lui permettant d'exercer en toute compétence son rôle de stratège de la politique nationale en matière d'énergie, de contrôleur et de régulateur en matière nucléaire. De notre point de vue, c'est le sens de la mission des opérateurs publics, dont le CEA fait partie.
Une fois l'investissement réalisé par l'État, il est logique qu'il demande aux opérateurs publics, pour autant que cela ne nuise pas à leur indépendance, de valoriser les moyens et compétences ainsi acquises en les mettant à la disposition des industriels contre rétribution. C'est, je crois, une gestion intelligente des moyens publics. Les industriels y sont, pour leur part, très favorables, dans la mesure où cette mutualisation est facteur d'optimisation économique.
Le rôle de chacun des opérateurs publics me semble donc bien défini. Aux universités et au CNRS est attribué le soin de conduire la recherche de base, essentiellement organisée autour des disciplines, sur l'ensemble des problématiques de la filière. À cet égard, le CEA ne peut que souhaiter le renforcement de leur implication sur les sujets d'intérêt potentiel pour la filière, cette expertise indépendante étant un excellent moyen de répondre aux interrogations de nos concitoyens et de nourrir leur confiance dans la maîtrise des risques de la filière.
À l'IRSN est confiée l'expertise en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection lui permettant d'exercer son rôle dans l'évaluation des opérateurs au service de l'État et de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Relève du CEA, enfin, la recherche scientifique et technologique sur l'ensemble de la filière, de l'exploration minière jusqu'à la gestion des déchets, en passant par la conception de réacteurs, l'optimisation des combustibles et le recyclage des matières.
Au final, je pense que l'État est en mesure de définir sa politique de filière et ses exigences en matière de sûreté de manière fondée.
Cette segmentation conduit potentiellement ces différents acteurs à des recoupements ou à des partenariats, qui sont notamment souhaitables dans les domaines se situant aux interfaces des différents champs de responsabilité. C'est par exemple le cas en matière de sûreté et de radioprotection, entre ceux qui doivent défendre leur choix en la matière et ceux qui doivent les évaluer et les contrôler.
Telle est la vision que nous avons aujourd'hui de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Vous m'avez ensuite demandé de comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part, au sein du CEA, désormais officiellement dénommé Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Le CEA qui est, comme vous le savez, un établissement public à caractère industriel et commercial, dispose d'une comptabilité analytique. Nous sommes donc en capacité de restituer finement les coûts, que l'on appelle complets, des différents programmes que nous conduisons.
Ainsi, sur la base du bilan financier 2011, qui vient de m'être remis, je suis en mesure de vous dire que nous avons consacré 550 millions d'euros en coûts complets à la recherche nucléaire, sous trois rubriques principales : les grands outils pour le développement du nucléaire, à hauteur de 208 millions d'euros ; l'optimisation du nucléaire industriel actuel, pour 173 millions d'euros ; le développement des systèmes industriels du futur, pour 168 millions d'euros. Sur cette somme, 271 millions d'euros provenaient de la subvention d'État, 279 millions d'euros d'autres ressources, dont les contrats industriels. Ces recherches ont mobilisé 3 365 personnes, ingénieurs, chercheurs et techniciens.
La même année, le CEA a consacré 214 millions d'euros, dont 84 millions d'euros de subvention d'État et 130 millions d'euros provenant d'autres ressources, aux recherches sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique associée. Ces recherches ont mobilisé environ 950 personnes, dont 801 sous statut, les autres étant des personnels type thésard ou en recherche post-doctorat.
Si l'on souhaite comparer l'effort qui vise, d'une certaine manière, à préparer l'avenir au travers des grands outils pour le développement nucléaire et le nucléaire du futur, et celui qui est consacré aux énergies renouvelables stricto sensu , on a donc 376 millions d'euros d'un côté et 214 millions d'euros de l'autre. Tels sont les éléments chiffrés précis que je suis en mesure de livrer à votre attention.
Il a été demandé au CEA, au moment où sa mission se développait à la fois dans le domaine de l'énergie nucléaire et dans celui des énergies renouvelables, de faire en sorte que, pour 1 euro dépensé pour le nucléaire du futur, 1 euro soit consacré aux énergies renouvelables. Nous essayons actuellement de répondre à cette exigence.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez par ailleurs demandé de présenter de manière consolidée le poids de la recherche publique sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
Ma position actuelle d'administrateur général du CEA n'est pas la situation la plus confortable pour répondre à cette question, car je ne connais pas nécessairement dans le détail les coûts associés à chacun des programmes des différents acteurs, d'autant que le sujet n'est pas si simple.
En effet, autant le nucléaire a une typologie assez assurée permettant sans difficulté d'identifier un périmètre, autant les énergies renouvelables sont multiples, diverses et font appel à des compétences variées. Je vais donc vous citer les éléments en ma possession, en toute sincérité, mais je ne doute pas que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ait des chiffres plus consolidés que ceux que je possède aujourd'hui.
La recherche publique sur le nucléaire, financée sur crédits publics, s'élève à environ 430 millions d'euros par an : 271 millions d'euros pour le CEA ; 28 millions d'euros pour le CNRS ; 115 millions d'euros pour l'IRSN ; une quinzaine de millions d'euros pour les universités et les grandes écoles. Ce décompte recèle un certain nombre d'incertitudes, puisque dans certains domaines comme les matériaux ou la géologie, des études peuvent être rattachées spécifiquement à un objet nucléaire ou, au contraire, à des objets plus vastes.
La recherche financée par les industriels, soit au sein des entreprises soit par l'intermédiaire des opérateurs publics, est d'un montant à peu près équivalent, soit 480 millions d'euros. Vous pouvez retrouver ces chiffres dans le rapport de la Cour des comptes.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, l'analyse est un peu plus complexe. Selon les chiffres dont je dispose, la recherche publique financée sur crédits publics s'élève sans doute à plus de 300 millions d'euros par an : le CEA y consacre 84 millions d'euros ; le CNRS, qui dispose de crédits publics d'environ 2 milliards d'euros, dépense de l'ordre de 60 millions d'euros dans ce domaine ; l'IFP Énergies nouvelles, l'IFPEN, finance des recherches pour une trentaine de millions d'euros, sur les 170 millions d'euros dont il bénéficie au titre de la subvention publique, tandis que les universités et les grandes écoles y consacrent environ 25 millions d'euros.
Les crédits abondés par l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, qui ont des responsabilités en la matière, sont de l'ordre 50 millions d'euros.
L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, au travers de la recherche sur les éoliennes offshore , et l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, au travers de la recherche sur les biocarburants, contribuent également à cet effort global, chacun pour 20 millions d'euros.
Mais il peut y avoir des variations extrêmement importantes. Comme vous le savez, des grands programmes d'investissements structurants pour l'avenir ont été engagés, ayant notamment des incidences dans le domaine des énergies renouvelables. Il est donc possible que, d'une année sur l'autre, on relève des fluctuations significatives dans les volumes de dépenses.
Vous m'avez interrogé sur les risques d'inefficience ou de doublon qu'était susceptible d'entraîner le nombre d'organismes publics actifs en matière de recherche.
Le constat est clair : il y a de très nombreux opérateurs de recherche qui concourent à la recherche publique dans le domaine de l'énergie, et en particulier dans les énergies renouvelables. C'est la raison pour laquelle a été créée, en 2009, sur l'initiative du CEA, en accord avec les ministères en charge de la recherche, du développement durable, de l'énergie et de l'industrie, une alliance dénommée ANCRE, Agence nationale de coordination de la recherche pour l'énergie, qui réunit dix-huit membres ès qualités : le CEA, le CNRS, la Conférence des présidents d'universités, l'IFPEN, le BRGM, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture - l'IRSTEA -, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - le CIRAD -, le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB -, l'IFREMER, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - l'IFFSTAR -, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques - l'INERIS -, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique - l'INRIA -, l'Institut de recherche pour le développement - l'IRD -, l'IRSN, le Laboratoire national de métrologie et d'essais - le LNE -, et l'Office national d'études et recherches aérospatiales - l'ONERA. Cette agence a pour mission, en liaison avec trois partenaires, qui sont des agences de programmation et de financement, c'est-à-dire l'ANDRA, l'ANR et l'ADEME, de coordonner notre effort de conception et de mise en oeuvre des programmes de recherche arbitrés par la puissance publique. Évidemment, il y a quatre grands contributeurs majeurs dans cette structure : le CEA, le CNRS, l'IFP et la Conférence des présidents d'universités.
Vous imaginez bien qu'une telle multitude d'acteurs nous impose d'être vigilants sur les risques d'inefficience ou de doublons. De notre point de vue, il revient à l'État d'y veiller en dernier ressort.
Pour sa part, le CEA s'est clairement concentré sur les enjeux qui sont en synergie étroite avec ses métiers de base et ses champs de compétences traditionnels : production, distribution et stockage de l'électricité ; électronique et technologies de l'information ; matériaux et transfert thermique ; génomique et biotechnologies.
C'est la raison pour laquelle le CEA se limite, en pleine responsabilité, au solaire thermique et photovoltaïque ou à la production de biocarburants de troisième génération - il s'agit par exemple de recherche sur les micro-algues pour essayer d'orienter la capacité d'un organisme végétal à produire des produits à haute valeur énergétique - au stockage et à la gestion de l'électricité pour le transport - avec tout ce qui tourne autour du véhicule électrique -, mais aussi l'habitat et le tertiaire, car il faut savoir que 43 % des énergies fossiles que nous importons à grands frais sont consacrées aux besoins de l'habitat et du tertiaire, contre 31 % au transport - dans cette logique, nous essayons de réduire la dépendance énergétique aux produits fossiles et donc de développer ces éléments alternatifs - au recyclage et au stockage de la chaleur pour l'habitat et l'industrie, à la production d'hydrogène, son stockage et sa distribution, sa conversion en électricité ou, par combinaison à la biomasse non alimentaire, en biocarburants de deuxième génération.
Il n'y pas de champ en matière de recherche technologique où le CEA soit réellement en compétition avec d'autres organismes, même s'il a besoin de concours. Il revient alors à l'ANCRE de coordonner ces initiatives. Dans ce cadre, le CEA ne se prive pas d'apporter des contributions au-delà des domaines dans lesquels il a vocation à se mobiliser prioritairement et à piloter l'action programmatique. Il peut par exemple intervenir en appui sur les problématiques matériaux ou électrotechniques de l'énergie éolienne ou des énergies marines portées par d'autres organismes.
Monsieur le rapporteur, vous souhaitez en outre connaître la répartition de la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière et savoir si cette imputation me paraît pertinente.
La mission première du CEA est de créer de la valeur économique, de favoriser le développement de l'emploi industriel dans notre pays. Cette politique de valorisation passe par le dépôt de brevets, afin de défendre la propriété intellectuelle créée grâce aux ressources qui lui sont apportées soit par l'État, soit par ses partenaires.
Vous le savez peut-être, en 2011, nous avons déposé plus de 615 brevets. L'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, doit communiquer son classement pour 2011 la semaine prochaine, mais je peux dire que, en 2010, le CEA était classé quatrième déposant, derrière les deux grands constructeurs automobiles français et une grande entreprise de cosmétiques et de produits d'hygiène. Nous étions battus d'un brevet par cette dernière.
L'enjeu n'est pas tant de prendre des brevets multiples et nombreux que de les valoriser. Nous disposons actuellement de 3 000 familles de brevets vivants, lesquelles sont mises à la disposition des entreprises soit, si elles y ont contribué, de manière prioritaire et exclusive dans leur champ de compétence, soit, au contraire, au profit de tiers, dans une logique de valorisation. Sur ces 3 000 familles, environ la moitié fait aujourd'hui l'objet de licences.
Nous procédons de la même façon avec nos partenaires industriels dans le domaine de l'énergie. Lorsque nous sommes à l'origine d'une innovation sur les seuls crédits publics, nous cherchons logiquement à en assurer le transfert dans la sphère économique. Une alternative s'offre alors à nous.
Nous pouvons la proposer à une entreprise industrielle existante contre une juste rétribution de la propriété intellectuelle ainsi créée, une part de cette rétribution pouvant avoir la forme d'un contrat industriel financé à 100 % pour poursuivre les travaux et accompagner le transfert.
Mais nous pouvons également créer une entreprise innovante. Comme vous le savez peut-être, le CEA crée chaque année entre quatre et six entreprises nouvelles sur l'ensemble de ses champs de compétences, en particulier, aujourd'hui, dans le domaine de l'énergie.
Enfin, il peut arriver que nous répondions à une sollicitation de la part d'une entreprise. Dans ce cas-là, elle doit financer le coût du projet aussi largement que possible, à des taux variant, en fonction de la négociation, de 50 % à 130 %, selon le retour de droit de propriété intellectuelle, ce dernier taux étant bien évidemment le moyen de préparer l'avenir.
Vous m'interrogez sur la pertinence de ce système. Vous le savez, quand il s'agit de parler d'argent, les négociations sont toujours difficiles. Mais il revient au CEA de défendre au mieux les intérêts de la puissance publique, en fonction de l'appréciation qu'ont les industriels de nos performances, dans un monde où la concurrence joue, que ce soit en France ou à l'étranger. Je crois pouvoir dire que le CEA est assez bien placé à cet égard.
Vous souhaitez aussi connaître ma position sur les mérites comparés, notamment en termes de coûts, de remplacement de l'actuel parc nucléaire quand il sera devenu obsolète, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergies renouvelables.
De mon point de vue, la question ne se pose pas exactement en ces termes. L'enjeu prioritaire est de trouver un substitut, autant que faire se peut, aux énergies fossiles que nous importons actuellement en quasi-totalité.
En effet, le coût de ces importations devient insoutenable. Je pense que vous avez tous à l'esprit que, l'année dernière, la France a importé pour 62 milliards d'euros d'énergies fossiles, alors que, en 2005, nous en avions importé la même quantité, voire un peu plus, pour une somme de 23 milliards d'euros. Vous imaginez bien que la multiplication par trois de la facture tous les six ans n'est pas durablement soutenable. Ce poste représente aujourd'hui 90 % de notre déficit commercial.
Notre pays exporte annuellement pour environ 400 milliards d'euros de biens tels que des avions, des voitures, des ponts, qui ont des durées de vie de plusieurs dizaines d'années, et en une seule année, nous importons 62 milliards d'euros sur le poste des énergies fossiles !
Par ailleurs, pour le CEA, qui est attaché à l'indépendance de notre pays et à la défense de ses intérêts supérieurs, la dépendance énergétique à 100 % dans le domaine des énergies fossiles, telle qu'elle existe aujourd'hui, est dangereuse dans un monde incertain, où ces ressources se raréfient.
À mon sens, le nucléaire et les énergies renouvelables ne sont pas concurrents, mais complémentaires.
L'énergie nucléaire est une source de production d'électricité continue, difficilement modulable dans le temps, massive, planifiable et centralisée, qui doit donc répondre aux besoins de production de base d'un pays, pour sa partie fortement urbanisée et industrialisée. En moyenne annuelle, nos besoins de puissance électrique quotidiens s'élèvent à 60 gigawatts, mais ils varient entre 30 gigawatts et 105 gigawatts ; les fluctuations sont donc considérables. Ce talon de 30 gigawatts n'est pas compressible et peut donc être assuré par l'énergie nucléaire.
Les énergies renouvelables, au contraire, sont des sources de production électrique intermittentes, diffuses, bien réparties sur le territoire, répondant à des besoins flexibles. Il faut favoriser leur consommation locale, au plus près de la production, grâce à des moyens de stockage adaptés qui permettent de réduire la dimension des réseaux d'interconnexion.
Enfin, votre question portait également sur les enjeux liés à la diminution des émissions de gaz à effet de serre pour réduire le risque de changement climatique et sur les économies comparées de ces moyens de production d'électricité. Les estimations dont je dispose, pour la France, indiquent un prix de l'ordre de 50 euros pour le mégawattheure d'électricité nucléaire, toutes charges assumées, de l'ordre de 75 à 80 euros pour le mégawattheure d'électricité éolienne terrestre, de 180 euros, voire un peu plus, pour le mégawattheure d'électricité éolienne produite en mer et de 200 à 400 euros pour le mégawattheure d'électricité solaire, sans parler de la problématique de l'intermittence. Il faut avoir tous ces éléments présents à l'esprit.
La politique que préconise le CEA consiste à couvrir les besoins flexibles d'électricité à la fois par des économies et par le recours à des énergies renouvelables, y compris avec un stockage local, en remplaçant, autant que faire se peut, la consommation d'énergies fossiles, sous réserve que l'augmentation des coûts ne crée pas un handicap pour les entreprises en renchérissant de manière inacceptable leurs charges.
Par ailleurs, il faut anticiper le renouvellement des réacteurs actuels par des réacteurs de type EPR, ou peut-être, dans l'avenir, par des réacteurs de quatrième génération. Comme vous le savez, les centrales nucléaires avaient été initialement pensées comme pouvant avoir une durée de vie de trente ans. La raison en est simple : lorsque le parc nucléaire français a été construit, on a adopté la technologie des réacteurs à eau pressurisée, développée aux États-Unis, dont un certain nombre d'exemplaires avaient déjà une durée de vie de trente ans. Aujourd'hui, on constate que cette durée de vie peut être plus longue : la porter à quarante ans semble raisonnable, au vu des résultats de l'inspection menée par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et les autorités de sûreté nucléaire. Si nous adoptions cette limite de quarante ans, en 2022, vingt-deux centrales nucléaires devraient être arrêtées, puisqu'elles atteindraient cet âge. Personnellement, je pense que notre pays doit réfléchir à anticiper la nécessité d'arrêter telle ou telle centrale, si les exigences de sécurité l'imposaient.
Comme vous le savez sans doute, le coût de l'électricité nucléaire, tel qu'il est attesté par le rapport de la Cour des comptes, reflète, pour 90 %, le coût des investissements, et à hauteur de 10 % le coût du fonctionnement. Si l'on prolonge la durée de vie d'une centrale d'un tiers, en la faisant passer de trente ans à quarante ans, on réduit en moyenne le coût de l'électricité de 15 % à 20 %. La prolongation de la durée d'utilisation des centrales nucléaires représente donc un enjeu majeur, comme le souligne la Cour des comptes.
Je le répète, il faut développer, autant que possible, les énergies renouvelables, en les substituant en priorité aux énergies fossiles, afin de démontrer la performance économique et la viabilité technique de ces énergies qui présentent bien des avantages, assortis de limitations que l'on connaît, notamment l'intermittence. Pour vous donner un exemple, le parc éolien allemand représente une capacité de 30 000 mégawatts installés ; en moyenne annuelle, il délivre près de 17 % de cette capacité nominale, avec des périodes sans production et des variations brusques. On ne peut donc pas, de mon point de vue, assurer la production d'énergie de base uniquement par une source d'énergie renouvelable, si l'on n'a pas trouvé préalablement de solutions au problème du stockage de l'électricité.
J'en viens précisément à votre cinquième question portant sur le stockage. Dans ce domaine, la vision du CEA est optimiste. Les efforts de recherche et développement, notamment sur le stockage électrochimique, ont permis des progrès tout à fait spectaculaires en termes de fiabilité, de cyclabilité, de durée de vie et de densité d'énergie, grâce à la compréhension des mécanismes intimes de fonctionnement de ces systèmes, mais aussi grâce aux nouveaux matériaux et aux logiques d'économies d'atomes. Aujourd'hui, on constate que le prix des batteries baisse très régulièrement, de l'ordre de 15 % à 25 % par an - je ne parle pas des batteries au plomb des véhicules standards, dont la technologie a atteint sa maturité, mais des batteries capables de stocker de grandes quantités d'énergie pour des véhicules électriques et qui pèsent, par exemple, plus de 200 kilogrammes. En 2009, l'investissement par kilowattheure stocké était de l'ordre de 1 500 euros ; le CEA s'est donné pour objectif de descendre à 250 euros, voire à 200 euros, à l'horizon de 2020. Nous sommes engagés sur la pente qui conduit du premier chiffre au deuxième, avec une amélioration considérable de ce que l'on appelle la cyclabilité : aujourd'hui, ces batteries assurent de l'ordre de 3 000 à 5 000 cycles, et nous sommes en train de développer des batteries dont on espère qu'elles assureront 20 000 cycles.
De même, les densités d'énergie s'améliorent considérablement. Par exemple, il y a quelques années, nous en étions à 0,16 kilowattheure par kilogramme et nous nous sommes donné pour objectif d'atteindre 0,3 kilowattheure par kilogramme, c'est-à-dire de doubler la performance. Aujourd'hui, on estime que le coût d'usage du stockage du kilowattheure est de l'ordre de 50 centimes d'euro et notre ambition est de réduire ce coût, avant 2020, à 5 centimes, voire à 3 centimes. Je vous rappelle que le coût de production du kilowattheure nucléaire est de 5 centimes : nous aurons donc alors atteint des niveaux de performance qui feront du stockage un élément de compétitivité.
L'enjeu est majeur : si nous voulons développer les énergies renouvelables, il faut disposer, en accompagnement, de moyens de stockage et privilégier la consommation locale. La raison en est simple : en Allemagne, pendant 165 jours par an, il faut arrêter un certain nombre d'éoliennes qui pourraient pourtant produire, parce que le réseau n'est pas suffisamment dimensionné. La production d'une éolienne, en moyenne journalière de même qu'en moyenne horaire, varie de 0 % à 100 % : pour collecter en permanence la totalité de l'énergie à l'instant où elle est produite, il faudrait dimensionner l'ensemble du réseau en fonction des jours où le vent souffle fort, soit 17 % du temps. Il est donc impossible de calibrer un réseau pour répondre à de telles exigences. Si l'on dispose d'un moyen de stockage, même partiel, de l'énergie électrique, on peut tirer un bien meilleur parti de l'investissement dans les énergies renouvelables.
Bien d'autres solutions existent, mais je n'ai pas le temps de les évoquer. Comme vous le savez, bon nombre d'énergies renouvelables, de même que le nucléaire, permettent de produire de l'électricité. Un des moyens de stocker l'électricité est de l'utiliser pour produire de l'hydrogène par décomposition de l'eau : l'hydrogène peut alors être stocké - éventuellement pour servir à la propulsion des véhicules - ou injecté dans le circuit de distribution du gaz naturel, auquel il peut être mélangé, jusqu'à hauteur de 25 %, améliorant ainsi la capacité calorifique, sans qu'il soit nécessaire de modifier les voies de distribution ni les voies d'usage. L'hydrogène peut encore être combiné avec la biomasse stockée pour produire des hydrocarbures sans perdre de carbone, donc en optimisant le recours à la biomasse dans notre pays grâce à la production de biodiesel ou de biokérosène, directement utilisables dans les circuits tels qu'ils existent aujourd'hui.
Des moyens de stockage existent donc : il faut que notre pays se dote d'une vision claire de sa politique énergétique, en tirant le meilleur parti de ses atouts. J'espère vous avoir convaincus que la France, en termes de capacités de développement technologique, peut apporter, notamment grâce aux compétences développées par le CEA, un certain nombre de réponses qu'il faudra confronter, bien évidemment, aux exigences de la compétitivité économique et à celles de la rationalité globale du système.
J'en arrive enfin à votre sixième question, relative aux dispositifs de soutien aux différentes énergies renouvelables.
Il faut encourager le développement des énergies renouvelables ; je ne crois pas que cela doive se faire au détriment du nucléaire, vous l'aurez compris. Au contraire, il faut préserver le nucléaire, pour autant qu'il se montre économe et qu'une parfaite sûreté des installations est garantie, et remplacer en partie les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Comme ces dernières ne sont pas véritablement compétitives aujourd'hui, il faut soutenir les filières.
Personnellement, j'aurais tendance à privilégier les mesures de soutien qui responsabilisent les acteurs. Ensuite, je donnerais la priorité à la progressivité : si l'électricité solaire représente seulement 1 % de notre production globale, même si elle est quatre ou cinq fois plus chère, son coût, réparti sur l'ensemble des consommateurs, reste acceptable ; en revanche, si l'on développe trop vite cette production, avant d'être parvenus à en réduire le coût, et qu'elle représente 20 % du total, tout en restant quatre fois plus chère, le coût de l'électricité pourrait augmenter de 80 %, ce qui créerait une situation inconfortable pour les entreprises et l'ensemble des consommateurs. Il n'y a pas de solution miracle ! La contribution au service public de l'électricité, la CSPE, représente plutôt un coût différé pour les consommateurs. À l'heure actuelle, plusieurs milliards d'euros sont dépensés, compte tenu de toutes les décisions prises dans le domaine des énergies renouvelables ; c'est du moins ce que je comprends des déclarations du grand électricien français.
Je suis également favorable aux dispositifs fiscaux, dans la mesure où s'ils induisent certes une dépense instantanée, ils sont un élément majeur de responsabilisation.
Pour conclure, je pense que notre pays ne fait pas assez d'efforts pour soutenir le solaire thermique, qui représente une vraie chance pour réduire les dépenses d'énergie dans le bâtiment. Nous devrions donc être beaucoup plus actifs dans ce domaine, car les technologies sont matures, il n'y a pas de craintes à nourrir quant aux progrès à accomplir. Un certain nombre de pays disposent d'une expérience industrielle dans ce secteur : il faut donc encourager toutes les initiatives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à toutes vos questions, peut-être un peu longuement, mais j'espère avoir été suffisamment précis.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vos réponses ont peut-être été un peu longues, monsieur l'administrateur général, mais elles étaient fort intéressantes.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions complémentaires ?
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur l'administrateur général, vos réponses ont été tout à fait « carrées », en particulier en matière de chiffres. Bien que l'organisme que vous représentez s'inscrive dans une logique de forte centralisation, vos propos reflètent une volonté de développer une production de proximité pour les énergies renouvelables, notamment le solaire thermique. Cet aspect n'a pas été soulevé aussi nettement lors des autres auditions.
Vous avez parlé d'indépendance énergétique et expliqué qu'il y avait deux réponses à cette problématique : l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Or le nucléaire n'est pas tout à fait un facteur d'indépendance, eu égard à la question de l'approvisionnement en matière première ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Vous avez tout à fait raison. Aujourd'hui, nous importons 8 000 tonnes d'uranium naturel par an, qui permettent de couvrir environ 45 % de notre consommation d'énergie primaire, et 140 millions de tonnes d'équivalent pétrole, en gaz et en pétrole. De ce point de vue, la dépendance à l'égard de l'uranium naturel est donc plus simple à gérer : stocker cinq ans de consommation d'uranium naturel ne pose pas de problème insurmontable, la quantité correspondante représentant quelques centaines de mètres cubes seulement.
Ensuite, l'uranium est assez largement distribué dans le monde, comme vous le savez, et le coût, ou la valeur commerciale, de notre consommation annuelle s'élève aujourd'hui à 800 millions d'euros. Les importations de pétrole et de gaz naturel coûtent, quant à elles, 62 milliards d'euros, payés cash aux pays fournisseurs. L'uranium est à l'origine d'une production électrique d'une valeur de 60 milliards d'euros : la plus-value est essentiellement apportée par le travail de la filière, accompli localement.
Je ne conteste nullement, monsieur le rapporteur, le fait que nous dépendions de ces 8 000 tonnes d'uranium, mais nous pouvons les stocker durablement. Par ailleurs, nous pouvons jouer sur toute une palette de fournisseurs, qu'il s'agisse du Canada, de l'Australie, du Niger, du Kazakhstan, de la Namibie ou de la République centrafricaine. La situation n'est pas tout à fait comparable s'agissant des énergies fossiles, comme vous le savez.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Avant de donner la parole à nos collègues, j'aurais souhaité vous demander deux précisions suite aux questions que vous a posées notre rapporteur, monsieur l'administrateur général.
Tout d'abord, j'aurais aimé que vous vous « mouilliez » davantage concernant la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. J'ai bien compris votre message : d'ici à 2022, si l'on retient une durée de vie de quarante ans, il faudrait fermer vingt centrales dans notre pays ; il convient donc d'y réfléchir. Pour votre part, qu'en pensez-vous ? Faut-il prolonger cette durée de vie jusqu'à cinquante ou soixante ans ?
Ensuite, s'agissant de votre effort de valorisation économique, je connaissais les chiffres impressionnants que vous avez cités en termes de brevets déposés par le CEA. En revanche, je ne savais pas que vous contribuiez à créer, chaque année, de quatre à six entreprises. Quel est leur secteur d'activité ? Que deviennent-elles ensuite ? Les revendez-vous ? Êtes-vous le seul investisseur ou intervenez-vous en partenariat ?
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous êtes des businessmen !
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Non. Nous avons la culture du service public, mais, comme je l'ai dit, nous nous efforçons aussi de créer de la valeur.
Pour répondre à votre première question, monsieur le président, ne craignant pas l'eau, j'accepte bien volontiers de me « mouiller » ! Ma vision est très simple : le nucléaire représente un investissement lourd. Aujourd'hui, aux termes du constat de la Cour des comptes, avec un parc nucléaire qui a, en moyenne, vingt-cinq ans d'âge, le prix de l'électricité représente, à hauteur de 90 %, la valorisation de notre investissement, et, à hauteur de 10 %, les coûts de fonctionnement, de démantèlement et de gestion des combustibles usés. Il faut donc privilégier l'allongement de la durée de vie, tout en respectant une exigence absolue : la sûreté de nos installations nucléaires. Nos concitoyens peuvent, je le crois, accepter le risque nucléaire s'il est maîtrisé et en l'absence de tout relâchement de radioactivité à l'extérieur des sites nucléaires ; ils ne peuvent pas l'accepter si une contamination durable se produit, comme à Fukushima.
Qu'avons-nous fait en matière de sûreté ? Dès le début, une éprouvette contenant des échantillons de l'acier constitutif de l'enceinte du coeur, qui représente la partie non substituable de l'installation, a été placée dans chaque réacteur. On prélève régulièrement des échantillons de ces éprouvettes pour examiner comment ils évoluent. L'acier de la cuve, d'une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres, est soumis en permanence à un flux de neutrons, d'une part, et à un stress thermique et mécanique, d'autre part. Pour vous donner une idée, chaque atome constitutif de cet acier est l'objet de plusieurs déplacements chaque année, comme dans un billard. La préservation des capacités mécaniques de cet acier qui assure le confinement du coeur constitue donc un véritable défi ! Or l'examen de ces échantillons laisse à penser que ce métal se comporte beaucoup mieux que prévu. D'un point de vue scientifique, ce constat est rassurant, car tout risque serait annoncé par des signes avant-coureurs, comme des fissures, qui nous permettraient d'agir par anticipation.
Autre point très important, tous les dix ans, nos centrales font l'objet d'un examen extrêmement approfondi, afin de garantir que les installations essentielles pour la sûreté du réacteur ont un comportement conforme à ce qui est attendu. Dans la situation actuelle, si le moindre risque est décelé, il le sera de manière anticipée et il n'y aura pas à hésiter : il faudra arrêter la centrale concernée. En revanche, en l'absence de risque, je ne vois pas pourquoi nous gaspillerions notre investissement en arrêtant les centrales plus tôt que nécessaire.
Au vu des premiers audits de sûreté décennaux, le comportement de nos réacteurs est apparu satisfaisant et l'Autorité de sûreté nucléaire a autorisé la prolongation de leur utilisation de dix années. Je ne sais pas ce qui se passera dans dix ans et personne ne peut le dire.
À titre personnel, je formulerai la recommandation suivante : si, dans dix ans, les centrales sont encore en très bonne forme, prolongeons leur utilisation ! Mais, puisque notre parc a été construit de manière cadencée - entre 1977 et 2000, on a mis en service, chaque année, trois ou quatre réacteurs - si un réacteur montre des signes de vieillissement qui ne permettent plus de garantir sa sûreté, les réacteurs de la même génération ne sont vraisemblablement pas dans un meilleur état. Or il n'est guère envisageable d'arrêter trois ou quatre réacteurs une même année. Il convient donc d'anticiper et de développer de nouvelles installations : quand elles fonctionneront, nous serons beaucoup plus sereins en ce qui concerne le développement durable.
Tel était le sens de la recommandation que j'avais formulée en 2003, lorsque j'étais haut commissaire à l'énergie atomique, en préconisant le lancement de l'EPR. Nous avons besoin d'un réapprentissage industriel ! Au regard des durées que nous évoquons, il est absolument indispensable d'apprendre à maîtriser les savoir-faire d'une nouvelle filière industrielle. Comme je l'ai dit, dans le passé, nous construisions trois ou quatre réacteurs par an, contre un seul actuellement. Le problème de l'EPR de Flamanville est tout à fait banal : des entretoises supérieures ne répondent manifestement pas aux exigences de qualité très élevées imposées en matière de sûreté nucléaire, et l'industriel concerné doit donc reprendre la fabrication de la pièce jusqu'à ce qu'elle donne satisfaction. Les délais s'en trouvent allongés d'autant.
Je recommande donc de prolonger la durée d'utilisation des centrales aussi loin que possible, car je ne vois pas pourquoi nous démantèlerions sans nécessité un réacteur, avec tous les coûts induits par le démantèlement et la multiplication du volume des déchets que cela suppose. Parallèlement, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour développer les énergies renouvelables en intégrant leurs contraintes propres afin de garantir la satisfaction de nos besoins.
Pour répondre à votre seconde question, monsieur le président, nous créons chaque année trois ou quatre entreprises. S'il existe déjà une entreprise capable d'exploiter l'innovation dont nous avons identifié le potentiel, nous n'en lançons pas une nouvelle. En revanche, dans le cas contraire, les équipes de la direction de la valorisation accompagnent les chercheurs ou l'équipe à l'origine de cette innovation pour créer une entreprise, en les « mariant » à un gestionnaire - en effet, les chercheurs ou les ingénieurs sont plutôt des créatifs, des hommes de la technique, on ne peut pas leur demander d'être « ambidextres », c'est-à-dire géniaux à la fois dans l'innovation et le management ! Nous apportons éventuellement des crédits : nous avons créé un fonds de placement, CEA Investissement, d'un montant de 25 millions d'euros, que nous avons presque consommés - j'espère que le programme des investissements d'avenir viendra l'abonder. Ces entreprises « sortent de notre giron » au terme de cinq à huit ans, lorsqu'elles ont fait la démonstration de leur viabilité. À ce moment-là, soit elles sont introduites sur le marché boursier, soit elles sont rachetées par des tiers, et nous pouvons espérer, dans certains cas, en tirer une plus-value.
Nous avons ainsi créé plus de 140 entreprises depuis 1985. Nous avons connu des échecs, mais je me souviens qu'un comité d'évaluation nous avait reproché un taux d'échec trop faible, qui pouvait laisser à penser que nous n'étions pas assez volontaristes ! Selon moi, si notre taux d'échec est plus faible que la normale, c'est tout simplement parce que notre mécanisme d'incubation est particulièrement fort et robuste.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - À vous entendre, monsieur l'administrateur général, j'ai le sentiment que l'approche du CEA est restée redoutablement franco-française. Or les auditions auxquelles nous avons procédé depuis quelques semaines attestent de la construction d'un système européen de l'électricité, marquée par un renforcement important des interconnexions et le développement massif de l'éolien, terrestre aujourd'hui, offshore demain, pour une puissance installée qui représente aujourd'hui le double du parc nucléaire français et augmente d'environ 10 gigawatts par an - la production d'électricité éolienne européenne représentera donc environ quatre fois celle de notre parc nucléaire à l'horizon de 2015.
Dans une Europe qui reste malgré tout une perspective politique majeure, la logique voudrait que l'on développe des programmes partagés, notamment entre la France et l'Allemagne, puisque les questions d'efficacité énergétique, de gestion de réseaux et de développement des énergies renouvelables - l'équivalent en photovoltaïque de la capacité de vingt-cinq tranches nucléaires doit être installé en Allemagne - devraient nous y amener.
J'en viens à ma première question : quels sont aujourd'hui vos programmes de recherche croisée avec l'Allemagne et, plus globalement, avec les pays qui s'inscrivent dans les grandes stratégies européennes de recherche définies par la Commission européenne ?
Je souhaite ensuite revenir sur le travail que vous réalisez dans le domaine des énergies renouvelables. Ces auditions ne nous permettent pas d'entrer dans le détail et je vous serais reconnaissant, puisque vous disposez d'une comptabilité analytique, de nous communiquer la liste précise et exhaustive des programmes relatifs aux énergies renouvelables sur lesquels travaille le CEA aujourd'hui. Ces éléments nous permettront d'avoir une idée plus précise de votre stratégie, en nous révélant sur quoi portent vos efforts, en termes financiers et opérationnels ; ils nous sont nécessaires pour avancer dans notre analyse.
Je suis surpris par certains chiffres : aujourd'hui, en France, le mégawattheure produit dans les grandes « fermes » photovoltaïques se négocie à 90 euros environ, donc à un prix bien inférieur à celui que vous avez mentionné. Compte tenu de notre potentiel de recherche, je m'étonne que nous n'ayons pas les mêmes ambitions dans le domaine du photovoltaïque que dans celui du stockage : si nous en sommes aujourd'hui à 90 euros le mégawattheure, nous pourrions espérer arriver à 60 euros demain, à condition que le potentiel de la recherche française soit pleinement engagé.
De même, vous n'avez pas parlé de l'efficacité énergétique, alors que l'électronique et l'intelligence des systèmes sont au coeur du travail du CEA. Il nous semble que nous sommes aujourd'hui extrêmement en retard dans la gestion de l'efficacité énergétique, notamment en ce qui concerne les effacements de pointe, alors que des réseaux intelligents permettraient de donner des conseils automatisés au consommateur. Rien de cela n'est en place et il me semble que ces préoccupations devraient être au coeur de votre action.
Comme vous n'aurez pas le temps de répondre à toutes nos questions, je me permets de réitérer ma demande : pouvez-vous nous adresser des documents détaillés qui nous permettront d'avoir une vision plus stratégique de la manière dont l'argent public est réparti entre les différents domaines de la recherche sur les énergies renouvelables ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Je reconnais que je n'ai pas parlé de l'Europe, car ma préoccupation première, en tant que gestionnaire d'un établissement qui reçoit l'essentiel de ses subsides d'un État, est d'aider cet État à faire face à ses propres besoins énergétiques. Vous avez totalement raison, nous devons avoir une politique européenne en matière d'énergie et d'importants progrès restent à accomplir à cet égard selon moi.
Je travaille en étroite concertation avec la Commission européenne sur un certain nombre de points, mais beaucoup reste à faire. La principale difficulté tient au fait qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de consensus absolu entre les différents États. L'Allemagne, vous le savez aussi bien que moi, a décidé de sortir du nucléaire : nous n'allons donc pas beaucoup travailler avec nos amis Allemands dans ce domaine, si ce n'est pour le démantèlement et l'assainissement. En revanche, dans le domaine des énergies renouvelables, nous travaillons avec eux. Dans le cadre de l'Institut européen de technologie, le CEA participe à un KIC - ce sigle signifiant knowledge and innovation community - qui réunit six pays européens souhaitant travailler au développement conjoint du nucléaire et des énergies renouvelables : nous y retrouvons nos amis Allemands. Nous nous inscrivons donc volontiers dans certains programmes européens, car l'effort de recherche peut bien évidemment être transversal.
Ne nourrissons pas trop d'illusions quant à l'existence d'une « grille électrique européenne » où tout serait partagé : lorsqu'il a fait très froid, la France a consommé quotidiennement 105 gigawatts de puissance électrique ; la totalité des interconnexions de notre pays représente une capacité de moins de 25 gigawatts, dont 5 gigawatts seulement avec l'Allemagne...
M. Ronan Dantec . - Cela va augmenter !
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Oui, mais cela représente un coût ! Notre logique répond à une vision systémique et non à une vision « individuelle ». Vous le savez peut-être, la France, qui est un pays où la production électrique est pourtant remarquablement distribuée, fait tourner en permanence deux centrales nucléaires uniquement pour chauffer les pattes des petits oiseaux et l'atmosphère : l'effet Joule, c'est-à-dire la déperdition d'énergie électrique, en est responsable. Tout cela n'est pas neutre, et il faut avoir ces éléments présents à l'esprit !
Nous sommes tout à fait désireux de travailler le plus étroitement possible avec nos amis Allemands : c'est le cas, par exemple, dans le domaine des biocarburants de deuxième génération.
J'en viens au dernier point que vous avez abordé, à savoir l'efficacité énergétique. Bien évidemment, nous pouvons considérablement progresser et le CEA est particulièrement bien placé dans ce secteur, car l'amélioration de l'efficacité énergétique consiste à rendre les systèmes « intelligents ». Aujourd'hui, cette intelligence repose essentiellement sur les technologies de l'information et nous nous efforçons d'en introduire le plus possible dans l'habitat ou l'automobile, car les coûts supplémentaires induits sont extrêmement modestes.
Par exemple, si l'on développe les véhicules électriques en France, on pourra installer une « puce » dans chaque véhicule, qui indiquera la durée de l'arrêt de celui-ci, afin que le gestionnaire du réseau puisse allouer l'électricité en fonction des besoins exprimés. En effet, 80 % des déplacements, en France, sont inférieurs à cent kilomètres, et une voiture reste à l'arrêt plus de vingt heures par jour. Avec un réseau intelligent, il sera possible de stocker dans les batteries des véhicules les ressources nécessaires et même de les récupérer. Pour donner un ordre de grandeur, si 80 % des parcours effectués par les 36 millions de véhicules utilitaires et particuliers que compte la France l'étaient grâce à un moteur électrique - aujourd'hui, les batteries de certains véhicules permettent déjà de parcourir deux cent cinquante kilomètres -, nous pourrions stocker 15 % de notre consommation moyenne d'électricité, ce qui n'est pas négligeable !
Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, monsieur le sénateur...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous pourrez compléter vos réponses par écrit !
M. Ronan Dantec . - Nous avons essentiellement besoin des documents de comptabilité analytique relatifs aux programmes de recherche sur les énergies renouvelables, pour nous faire une idée de la véritable stratégie du CEA...
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous sommes à votre disposition pour produire les éléments correspondants. Cependant, vous devrez consolider ces informations par celles qui pourraient émaner de nos partenaires...
M. Ronan Dantec . - Vous en avez sûrement une idée assez précise !
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Pas pour l'ensemble de nos partenaires, car nous n'avons pas tous les mêmes manières de travailler.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor . - J'aimerais savoir, monsieur l'administrateur général, qui est le décideur en matière de définition des niveaux ou des types de recherche. S'agit-il d'opérateurs extérieurs ou le CEA retient-il lui-même, en interne, un certain nombre de pistes ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous sommes un établissement public et une part de notre budget provient d'allocations budgétaires annuelles, mais le restant est fourni par les agences de financement et par nos engagements industriels.
Le CEA a pour responsabilité de présenter sa vision de politique scientifique devant les autorités gouvernementales et devant le Parlement. Le schéma que je vous ai présenté n'est pas secret, c'est celui que j'essaie de promouvoir et de défendre. Ces choix sont sur la table et nous sommes prêts à recevoir toutes les indications souhaitables ; nous avons plutôt une compétence technique et nous attendons de connaître les choix politiques.
L'État nous demande également d'être aussi proches que possible des industriels : lorsque l'un d'entre eux nous propose des conditions intéressantes pour travailler sur un sujet donné, si cette proposition est conforme aux grandes lignes de la politique voulue par le Gouvernement, nous répondons favorablement.
M. Jean-Marc Pastor . - Et si elle n'est pas conforme ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous refusons !
On nous demande souvent pourquoi le CEA ne s'investit pas dans le développement de l'éolien. Comme je vous l'ai expliqué, j'essaie de valoriser au mieux nos compétences. J'estime que, pour l'éolien, nous n'en sommes plus à une recherche sur les systèmes, mais à une recherche spécialisée. Pour vous donner un exemple, une nacelle éolienne de 3 mégawatts ou 5 mégawatts contient entre 200 et 500 kilogrammes de matériel magnétique. Si nous pouvons aider au recyclage de ces matières ou à la substitution d'une partie d'entre elles - les métaux rares représentent, vous le savez, un enjeu stratégique mondial -, nous le ferons, bien évidemment. Mais je ne suis pas le maître du jeu, c'est l'industriel « mature » dans le domaine de l'éolien qui est susceptible de me solliciter. Je ne peux pas jouer un rôle moteur, j'ai déjà tant à faire dans les domaines où le CEA occupe un rang de leader !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Chacun son métier !
M. Jean-Marc Pastor . - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé d'engager une réflexion sur l'hydrogène en tant que moyen de stockage de l'électricité. Nous serons certainement amenés à nous retrouver pour discuter de ce sujet.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Je crois beaucoup à cette voie, parce qu'elle permet de développer des systèmes cycliques et propres. Nous ne manquons pas d'eau et l'électricité est massivement produite par les énergies renouvelables et le nucléaire : nous disposons donc de tous les ingrédients et nous pouvons toujours recombiner l'hydrogène avec l'oxygène - qui, lui non plus, ne manque pas - pour obtenir à nouveau de l'eau. Un tel dispositif a un coût, puisque chaque transformation d'une énergie en une autre entraîne des déperditions. L'objet de nos recherches consiste à réduire ces déperditions.
Avec l'université de Corte et le Centre national de la recherche scientifique, nous avons créé un démonstrateur en Corse. Il s'agit du projet MYRTE, dont vous avez sûrement entendu parler : des capteurs solaires permettent de répondre aux besoins de la journée et le supplément d'énergie est stocké sous forme d'hydrogène ; pendant la nuit, on recombine l'hydrogène avec l'oxygène pour produire de l'électricité, ce qui prolonge la possibilité de production. Nous essayons ainsi de répondre à la problématique de l'intermittence.
M. Ladislas Poniatowski , président . - M. Pastor boit du petit-lait en vous écoutant !
M. Jean-Marc Pastor . - Beaucoup d'initiatives se développent dans ce domaine à l'échelon européen. Nous devrons ensuite engager un travail législatif et réglementaire, puisque le stockage de ce genre d'énergie, vous le savez, pose d'énormes problèmes, notamment si elle doit être employée pour alimenter des véhicules.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - L'Allemagne est en train de développer un réseau de distribution d'hydrogène pour les voitures. Celles-ci fonctionneront avec des moteurs à hydrogène soit thermiques, soit alimentés par une pile à combustible.
M. Jean-Marc Pastor . - En raison d'obstacles législatifs, nous ne pouvons pas mettre en place de bornes d'alimentation en hydrogène sur notre territoire. Mais nous y reviendrons, croyez-moi !
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je vais me faire l'avocat du diable, ou plutôt le porte-parole d'une personne que nous avons auditionnée il y a quelques jours...
Vous avez indiqué des chiffres extrêmement précis concernant le vieillissement des centrales nucléaires, mais je souhaite revenir sur deux points : le stockage des déchets et la durée de vie des centrales.
Tout d'abord, vous avez indiqué que la durabilité des installations ne serait connue que dans le futur. Les éléments que vous nous avez donnés sont-ils « consolidés » par rapport à cette incertitude ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Pour ce qui est de la durée d'utilisation, je confirme, conjointement avec EDF - qui a créé un institut international pour mener des recherches sur le vieillissement, auquel le CEA est associé -, que le vieillissement des composants principaux des réacteurs est plus lent que prévu...
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous parlez des éléments de la cuve ?
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Oui, le reste est substituable. Le petit miracle du nucléaire, si j'ose dire, c'est qu'il n'y a pratiquement pas de pièces mécaniques à l'intérieur du coeur : il n'y a donc pas d'usure par frottements, etc. En revanche, les échangeurs de chaleur qui subissent le cyclone de vapeur connaissent une véritable usure : leur oxydation a été plus forte que prévu, c'est pourquoi EDF a établi un plan de remplacement de ces pièces.
En ce qui concerne la durée de vie des centrales nucléaires, je confirme que tous les éléments sont aujourd'hui plutôt favorables : aux États-Unis, certains réacteurs ont cinquante ans et fonctionnent encore. Nous disposons donc d'une véritable expérience ! Dans le domaine technologique et industriel, on peut faire beaucoup, mais on ne peut pas raccourcir le temps. Ce n'est pas en faisant fonctionner cinq réacteurs en parallèle pendant dix ans que je saurai comment chacun d'entre eux fonctionnera dans cinquante ans ! Il faut accepter d'attendre le retour d'expérience.
Pour moi, le plus important est de prolonger le plus possible la durée de vie des installations, avec une observation extrêmement attentive afin d'éviter tout risque induit. Du point de vue des scientifiques et des ingénieurs, je vous confirme qu'il n'existe pas aujourd'hui de risques particuliers, supérieurs à ceux qui existaient avec la durée de vie initialement prévue, si l'on prolonge celle-ci de dix ans. En revanche, si l'on devait constater, demain, un problème dans une centrale, il ne faudrait pas hésiter à agir !
J'en viens au deuxième aspect que vous avez soulevé. Il est clair que le nucléaire produit des déchets : il en produit à due concurrence du combustible consommé. Les 8 000 tonnes d'uranium naturel que j'ai évoquées permettent de produire 1 100 tonnes de combustible, dont 5 % sont transformées avant que ce combustible soit retiré du réacteur. Le choix technologique retenu par la France consiste à séparer ces 5 % et à recycler les 95 % restants.
Les 5 % de déchets en question, lorsqu'ils sont retirés du réacteur, émettent une radioactivité de l'ordre de 100 000 à 1 000 000 fois supérieure à la radioactivité naturelle. Si vous exposez n'importe quel organisme vivant à un tel niveau de radioactivité, vous le détruisez ! Il faut donc confiner ces déchets.
Après une première loi, en 1991, qui confiait au CEA, au CNRS et à d'autres organismes la responsabilité d'examiner les différentes pistes possibles pour la gestion des déchets, le Parlement a arrêté, en 2006, un choix de référence, fondé sur la séparation et le stockage géologique de colis vitrifiés inertant les déchets radioactifs. Même dans un dépôt d'argile, qui comporte environ 15 % d'eau - or l'eau finit par dissoudre le verre, très lentement, sur des échelles de temps qui sont de l'ordre de la centaine de milliers d'années -, on peut garantir, sur le plan scientifique, que la radioactivité ainsi introduite va décroître. Lorsqu'un atome radioactif sortira éventuellement de la couche d'argile épaisse qui se trouve entre la Haute-Marne et la Meuse, la radioactivité induite, en flux, sera de l'ordre du centième ou du millième de la radioactivité naturelle. Nous disposons désormais d'une bonne compréhension de ces mécanismes, qui nous permet de telles affirmations. La radioactivité n'est pas dangereuse, aussi longtemps qu'elle ne dépasse pas un certain seuil : notre organisme dispose de mécanismes de réparation des dommages créés par les rayonnements ionisants qui sont capables de faire face à la radioactivité naturelle dans laquelle nous baignons.
Ma conviction profonde est que nous disposons aujourd'hui d'un scénario de référence. Des incertitudes demeurent quant aux coûts, parce qu'il s'agit d'un grand projet industriel, totalement novateur. La Cour des comptes affirme très clairement que, même si le coût du stockage des déchets doublait, celui-ci ne représenterait qu'un pourcentage très faible du coût de l'électricité.
Nous nous inscrivons donc dans la logique suivante : allonger la durée de vie des réacteurs pour faire baisser le coût moyen de l'électricité, sachant qu'un « jugement de paix » reste à rendre sur le coût du stockage géologique profond. Dans tous les cas, contrairement à ce que certains disent, le nucléaire reste compétitif, y compris en intégrant la nécessité d'assumer jusqu'à la fin des temps la responsabilité d'une gestion correcte du cycle du combustible.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous nous rendrons le mardi 17 avril à Bure.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Vous pourrez constater sur place l'état d'avancement de ce grand chantier.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur l'administrateur général, M. le rapporteur souhaitait savoir s'il pouvait trouver sur votre site Internet des informations sur les entreprises créées par le CEA.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Nous allons vous communiquer ces informations. Je ne peux pas vous certifier que ces éléments figurent sur notre site internet ; si tel est le cas, ils ne sont certainement pas présentés entreprise par entreprise. Vous connaissez l'une de ces entreprises, Soitec, chère à M. Vial... ( Sourires .) Nous avons également bon espoir de pouvoir aider Photowatt, dans le solaire, en apportant notre contribution au développement d'un procédé très innovant, l'hétérojonction. Tels sont les paris que nous nous prenons !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur l'administrateur général, je vous remercie de vos réponses très précises. Je crains que vous n'ayez donné envie à notre rapporteur de vous interroger à nouveau, vous-même ou vos collaborateurs, avant la rédaction de son rapport.
M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA . - Je vous remercie de votre écoute.
Audition de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, et de Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes
(20 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski , président. - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons procéder à l'audition de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, et de Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes.
Notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a ainsi fait usage de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. L'excellent récent rapport de la Cour des comptes intitulé « Les coûts de la filière électronucléaire » constitue évidemment un élément fondamental d'information sur le sujet, c'est pourquoi il nous a paru utile d'entendre M. Lévy et Mme Pappalardo, afin qu'ils puissent nous apporter un éclairage supplémentaire.
Je rappelle que les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission d'enquête a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Monsieur Lévy, madame Pappalardo, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, sachant que je suis bien conscient du caractère particulier de cette procédure s'agissant de magistrats s'exprimant, de surcroît, au nom d'une institution collégiale :
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Gilles-Pierre Lévy prête serment.)
( Mme Michèle Pappalardo prête serment.)
Je vous donne la parole, monsieur Lévy, pour nous présenter le rapport de la Cour des comptes. M. le rapporteur vous posera ensuite quelques questions complémentaires, qui vous ont été communiquées à l'avance afin que cette audition puisse être fructueuse.
M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous présenter brièvement le rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, en m'appuyant sur la projection de documents Powerpoint. Mme Michèle Pappalardo et moi-même répondrons avec plaisir aux questions que vous nous poserez ; si nous ne sommes pas en mesure de le faire sur-le-champ, nous nous efforcerons de vous fournir les réponses ultérieurement.
Après avoir dressé un panorama global des dépenses prises en compte, j'évoquerai les incertitudes pesant sur les charges futures, les méthodes d'évaluation des coûts complets de production, la question stratégique de la durée de fonctionnement des centrales, les actifs dédiés et les perspectives de coût à court et à moyen terme. Je conclurai sur quelques éléments difficilement chiffrables.
L'élaboration du rapport de la Cour des comptes répond à une demande du Premier ministre en date du 17 mai 2011, faisant suite à un entretien entre le Président de la République et un groupe de représentants d'organisations non gouvernementales. Il s'agissait en particulier de déterminer si la production d'électricité nucléaire comportait des coûts cachés.
Le rapport a donc pour objet d'analyser les éléments constitutifs du coût de production - et non du prix - de l'électricité nucléaire en France. Le coût que nous avons étudié représente environ 40 % du prix, le reste étant constitué des coûts de distribution, à hauteur de 33 %, et des impôts et taxes, dont la contribution au service public de l'électricité, la CSPE.
Nous avons essayé de ramener tous les paramètres à l'année 2010, dernier exercice pour lequel nous disposons d'éléments factuels. La vocation de la Cour des comptes est d'abord d'essayer de cerner au maximum ce qui est, avant de s'interroger sur ce qui pourrait être. Nous avons ainsi étudié le parc actuel - et non le parc de réacteurs EPR, à supposer qu'il voie le jour -, composé de réacteurs PWR.
Il nous était par ailleurs demandé d'examiner la prise en compte des charges futures, les dépenses assumées par d'autres acteurs que les opérateurs - existe-t-il des dépenses qui ne sont pas intégrées dans les coûts ? -, ainsi que la question des assurances - quelle est la réalité de l'assurance implicite apportée par l'État en cas de catastrophe ? - et celle des actifs dédiés - tels qu'ils sont constitués, répondent-ils aux exigences des textes législatifs qui les définissent ?
Le délai qui nous était imparti était anormalement bref pour un travail aussi lourd. Nous avons constitué une formation réunissant des représentants des principales chambres de la Cour des comptes concernées, spécialistes de l'énergie, de l'environnement, de la recherche, du calcul économique, etc. Nous nous sommes fait assister par un groupe d'experts, en ayant soin de recruter des personnalités indépendantes. Cela s'est révélé très difficile, dans la mesure où, en pratique, la plupart des experts travaillent pour les acteurs du nucléaire ou sont fondamentalement hostiles à celui-ci. Nous sommes néanmoins parvenus à constituer ce groupe, qui nous a beaucoup apporté. Je précise que ces experts étaient de différentes sensibilités et de profils variés : pro- et anti-nucléaires, Français et étrangers - deux Belges et un Américain, ce dernier nous ayant malheureusement quittés à mi-parcours -, spécialistes de diverses disciplines, y compris du calcul économique, dans la mesure où nous cherchions notamment à apprécier des décisions de dépenses à très long terme : je pense en particulier à M. Grollier, directeur de recherche à l'Institut d'économie industrielle de Toulouse et éminent spécialiste de l'actualisation.
Les membres de ce comité nous ont aidés à « caler » le questionnement puis nous ont donné leur avis sur chaque partie du rapport avant sa présentation devant la formation concernée.
Nous avons par ailleurs demandé à une quinzaine de rapporteurs de travailler sur ces sujets dans le cadre de cinq sous-rapports. Bien entendu, nous avons appliqué les règles de contradiction inhérentes à la Cour des comptes : une première contradiction sur les sous-rapports, puis une contradiction finale.
Enfin, nous avons effectué de vingt-cinq à trente auditions et visites de sites, en nous efforçant d'entendre les principaux représentants du métier et des diverses sensibilités, c'est-à-dire les responsables des grands organismes travaillant dans le domaine de l'électricité nucléaire tels que EDF, Areva, le CEA, etc., d'organisations non gouvernementales, pour la plupart hostiles ou réservées à l'égard de l'industrie nucléaire, des syndicats, de la Commission de régulation de l'énergie, de l'Autorité de sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, de la direction générale de l'énergie et du climat.
Nous avons pris en compte trois catégories de dépenses : les dépenses passées, les coûts intégrés dans les comptes des exploitants ou les coûts de fonctionnement, les coûts supportés par les crédits publics.
En ce qui concerne tout d'abord les dépenses passées, la construction du parc électronucléaire a coûté au total - ce montant a été ramené à sa valeur en euros de 2010 - 188 milliards d'euros : 6 milliards d'euros pour le parc de première génération, qui n'est plus en fonction, 96 milliards d'euros pour les cinquante-huit réacteurs en activité, 19 milliards d'euros pour le cycle du combustible, 55 milliards d'euros pour la recherche. Il est étonnant de constater que la recherche coûte environ 1 milliard d'euros par an depuis cinquante ans, de manière constante. On peut en déduire que c'est plutôt la taille des équipes qui commande l'effort de recherche que le budget qui commande la taille des équipes. Enfin, il convient d'ajouter une dépense de 12 milliards d'euros pour Superphénix, située à mi-chemin entre recherche et industrie, même si elle est théoriquement industrielle. Réalisé par EDF, Superphénix n'a en pratique guère fonctionné - huit mois, si mes souvenirs sont bons - et a joué autant un rôle d'instrument de recherche que d'instrument de production - il consommait d'ailleurs autant, sinon plus, que ce qu'il produisait.
Cette dépense de 188 milliards d'euros permet d'assurer 70 % de l'approvisionnement en électricité d'un pays de 65 millions d'habitants. Ce montant n'est pas totalement disproportionné si on le compare au coût d'un réseau d'autoroutes ou de TGV, mais il reste considérable : le nucléaire est d'abord une industrie d'investissements.
En ce qui concerne ensuite les coûts d'exploitation d'EDF, ils s'élèvent à 8,95 milliards d'euros en « valeur 2010 », dont 2,68 milliards d'euros de dépenses de personnel, 2,13 milliards d'euros de combustible, 2,01 milliards d'euros de consommations externes. Nous avons expertisé ces coûts, qui ont été validés par les commissaires aux comptes. Globalement, en dépit de quelques retraitements, nous confirmons le chiffre annoncé par EDF, à savoir 9 milliards d'euros.
En ce qui concerne enfin les charges et provisions futures, ces deux catégories sont séparées par l'actualisation.
Les charges brutes, c'est-à-dire les dépenses totales, s'étalent sur des durées très longues, dépassant parfois le siècle pour la gestion des déchets ultimes. Elles doivent donc être actualisées. Nous avons constaté que les taux d'actualisation employés en France étaient dans la moyenne des autres pays, à savoir 5 %, inflation comprise.
Le démantèlement coûte 31,9 milliards d'euros en charges brutes et 17,3 milliards d'euros en charges actualisées. La gestion du combustible usé coûte 14,8 milliards d'euros et le dernier coeur 3,8 milliards d'euros bruts, soit respectivement 9,1 milliards d'euros et 1,9 milliard d'euros actualisés. Enfin, la gestion des déchets ultimes coûte 28,4 milliards d'euros bruts, soit 9,8 milliards d'euros actualisés. L'écart est d'autant plus grand que les dépenses s'étalent sur une longue période.
Au total, les charges brutes s'élèvent à 79,4 milliards d'euros et les provisions à 38,4 milliards d'euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pourriez-vous nous préciser davantage la différence entre les charges brutes et les provisions ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - La différence tient à l'actualisation. Les charges brutes correspondant à des dépenses étalées sur plusieurs années, elles doivent être actualisées. Le taux d'actualisation, dont la détermination n'est pas purement mathématique, fait l'objet de débats parmi les experts. C'est la raison pour laquelle siégeait, au sein du comité d'experts, un spécialiste de la question, qui vient de publier un ouvrage de 400 pages sur l'actualisation. En tout état de cause, nous avons vérifié que les méthodes employées étaient analogues à celles qui ont cours dans les autres pays. On peut certes discuter de ce qu'est un bon taux d'actualisation. On peut notamment se demander si cela a un sens d'actualiser de la même façon des dépenses très lointaines, qui reposeront sur les générations futures.
M. Ronan Dantec. - Un taux d'actualisation de 5 %, par définition, tend vers zéro sur des échéances longues, ce qui pose tout de même un problème fondamental.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.
M. Gilles-Pierre Lévy. - C'est l'une des vraies questions qui se posent. Dans la mesure où nous ne disposons pas de méthode absolue, nous avons beaucoup observé ce qui se pratiquait dans les sept principaux pays nucléaires autres que la France. Globalement, le taux retenu est dans la moyenne des taux employés par ces pays, à savoir 5 %, dont 2 % d'inflation.
Les dépenses telles qu'elles sont constatées sont d'abord celles qui sont prises en charge par les exploitants. Il convient à cet égard d'éviter les doubles comptes. En particulier, comment faut-il compter les dépenses prises en charge par EDF lorsqu'il s'agit d'achats de combustible ou de retraitement de combustible à Areva ? Nous avons vérifié, en sachant que le marché n'est pas pur et parfait dans ce domaine, qu'il n'y avait pas d'anomalie. Nous sommes arrivés à la conclusion que, globalement, les prix appliqués étaient conformes à ce qui se pouvait se pratiquer sur un marché normal, et qu'il ne fallait pas les compter deux fois. Nous avons estimé, après avoir vérifié l'absence de subventions déguisées, que ces dépenses étaient bien prises en compte dans les comptes d'EDF.
J'en viens aux coûts supportés par les crédits publics.
Il existe deux types principaux de dépenses financées sur crédits publics : les dépenses de recherche et celles qui ont trait à la sécurité, à la sûreté et à la transparence.
Les dépenses de recherche, précédemment évoquées, s'élèvent à un peu plus de 1 milliard d'euros par an. Aujourd'hui, la majeure partie de ces dépenses est financée par les exploitants eux-mêmes ; nous ne devons pas les compter deux fois. Restent financés sur crédits publics 414 millions d'euros par an en 2010. À l'inverse, voilà dix ou quinze ans, la majorité des dépenses de recherche était financée sur crédits publics.
En ce qui concerne les dépenses relatives à la sécurité, à la sûreté et à la transparence, les principaux postes sont l'ASN et l'IRSN, pour la part de leurs activités concernant la production d'électricité nucléaire. Elles comprennent également les dépenses de gendarmerie, de transports, les subventions aux commissions de suivi de la transparence. Au total, 230 millions d'euros sont financés sur crédits publics dans ce cadre.
Par conséquent, s'ajoutent aux dépenses d'exploitation d'EDF et à l'ensemble des dépenses prises en compte par les exploitants 414 millions d'euros au titre de la recherche et 230 millions d'euros au titre des dépenses de sécurité, de sûreté et de transparence, soit au total, en 2010, 644 millions d'euros. Je ferai observer que ce montant est à peu près du même ordre de grandeur que le produit de la taxe sur les installations nucléaires de base pour 2010, à savoir 580 millions d'euros. L'écart était beaucoup plus marqué voilà dix ou vingt ans.
En résumé, les dépenses de fonctionnement à la charge de l'exploitant s'élèvent à quelque 9 milliards d'euros en supprimant les doubles comptes ; il convient d'y ajouter 644 millions d'euros de dépenses financées par la puissance publique.
S'agissant d'une activité fortement consommatrice de capital, il convient ensuite de s'interroger sur la prise en compte des coûts du capital. Les méthodes employées font l'objet d'intenses débats parmi les experts ; j'en citerai cinq.
La première consiste à prendre en compte l'annuité d'amortissement telle qu'elle est constatée. La deuxième considère l'amortissement linéaire sur quarante ans. Trois autres méthodes appliquent un loyer à un capital : l'approche selon le coût comptable complet de production, dite C3P, où l'on réévalue le capital en fonction de l'inflation ; celle de la commission Champsaur, qui applique un loyer au capital réévalué, en cherchant à amortir le capital restant dû pour la période 2011-2025 ; enfin, la méthode du coût courant économique, qui repose sur le calcul d'un loyer par application d'un taux constant équivalant au coût moyen pondéré du capital - les capitaux d'emprunt et les capitaux propres utilisés pour financer les opérateurs - sur une base d'investissement réévaluée de l'inflation.
L'application des trois principales méthodes pour le calcul du coût total donne les résultats suivants, sensiblement différents : 1,8 milliard d'euros pour la C3P; 2,4 milliards d'euros pour la méthode Champsaur, 8,3 milliards d'euros pour celle du coût courant économique. Il faut ajouter à ces chiffres, en 2010, des investissements de maintenance de 1,7 milliard d'euros et des dépenses d'exploitation de l'ordre de 10 milliards d'euros selon la méthode employée.
Au total, quand on rapporte ces montants aux 407 térawattheures produits en 2010, on obtient un coût de 33,4 euros ou de 33,1 euros par mégawattheure selon les deux premières méthodes, mais de 49,5 euros par mégawattheure selon la dernière méthode. L'écart est donc très significatif.
En réalité, une méthode n'est ni bonne ni mauvaise, tout dépend de ce que l'on en attend. Si l'on cherche une méthode pour comparer différentes énergies, celle du coût courant économique est probablement la plus adaptée. Si l'on souhaite définir un prix en permettant au consommateur de bénéficier des amortissements qui ont déjà été réalisés, la méthode Champsaur sera privilégiée. EDF préfère clairement la méthode du coût courant économique. Chacun peut adopter, en fonction de ce qu'il souhaite calculer, une méthode différente. Voilà ce que l'on peut constater sur ce sujet.
M. Ronan Dantec. - Quel pourcentage la rémunération du capital représente-t-elle dans ces évaluations ?
Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes . - Le calcul a été fait avec un taux de 7,8 % pour le coût courant économique et de 8,4 % pour la méthode Champsaur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le coût du démantèlement est-il compris ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - Oui.
Mme Michèle Pappalardo . - Toutes les provisions que nous avons évoquées tout à l'heure sont incluses dans ces coûts. Elles sont réparties différemment selon leur type. Les provisions pour gestion des déchets et des combustibles usés sont inscrites à la ligne « dépenses d'exploitation ». Nous sommes capables de calculer, pour chaque année, la partie des provisions correspondant à la production. En revanche, pour le démantèlement, qui concerne plutôt le capital et l'investissement, les provisions sont inscrites à la ligne « coût du capital ». Nous avons fait le calcul que vient d'exposer M. Lévy et nous avons ajouté le montant du coût de démantèlement calculé chaque année. Toutes les provisions sont donc intégrées dans ces coûts.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est un autre sujet, mais l'assurance est-elle comprise ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - Aujourd'hui, l'assurance représente une petite dépense pour les exploitants, moins de 100 millions d'euros par an. Elle est prise en compte, mais à un niveau dont on peut débattre, et figure dans les dépenses d'exploitation. Nous y reviendrons ultérieurement.
J'en viens à la question des coûts futurs, lesquels peuvent être discutés.
S'agissant des coûts de démantèlement, aucun opérateur, à ce jour, n'a démantelé un parc de plusieurs dizaines de réacteurs du même type. Aujourd'hui, trois méthodes peuvent être envisagées pour évaluer ces coûts.
L'ancienne méthode des coûts de référence, dite PEON, consistait à appliquer un pourcentage au coût complet des investissements. Le montant des charges ainsi calculées représentait 16 % du coût, puis 15 %. On ne comprend pas très bien sur quoi elle était fondée.
Une deuxième méthode, appliquée par EDF, la méthode dite Dampierre, consistait à analyser, à partir du cas d'une centrale type, ce que coûterait chacune des opérations de démantèlement. Cette méthode nous a paru solide. Elle a déjà été actualisée, mais elle gagnerait à l'être une nouvelle fois, car les paramètres varient dans le temps. Sur le fond, c'est en tout cas une approche cohérente, contrairement à la précédente.
Enfin, comme personne ne sait réellement comment de telles opérations se dérouleraient dans la réalité, nous nous sommes penchés sur les études menées dans les autres pays.
L'extrapolation des études internationales au coût du démantèlement du parc d'EDF amène à situer l'évaluation d'EDF, soit 18,4 milliards d'euros, tout en bas de la fourchette. L'un des opérateurs allemands estime le coût du démantèlement à 62 milliards d'euros. D'autres évaluations sont proches de celle d'EDF, comme celle de la Suède -20 milliards d'euros -, qui est probablement l'un des pays ayant le plus exploré ce sujet. D'autres encore avancent des chiffres plus de deux fois supérieurs, soit 44 milliards d'euros ou 46 milliards d'euros.
Nous avons donc étudié, à titre indicatif, quel serait l'impact du doublement des charges de démantèlement sur le coût : il entraînerait une augmentation de 5 % de celui-ci.
Le stockage profond des déchets représente une deuxième source d'incertitudes.
Il existe des désaccords importants à ce sujet entre les exploitants, qui estiment le coût de ce stockage à une quinzaine de milliards d'euros, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, en principe seul expert en la matière, qui l'évalue à quelque 35 milliards d'euros. Cet écart provient de différences d'appréciation de chaque coût, mais également d'une diversité d'approches, s'agissant notamment de la réversibilité.
La Cour des comptes n'est pas compétente pour donner un avis sur ce point. Elle évalue la sensibilité du coût à un doublement du devis du stockage profond des déchets à 1 %. En effet, la période considérée étant extrêmement longue, l'actualisation ramène le coût à un niveau peu élevé.
Enfin, nous nous sommes interrogés sur le taux d'actualisation. Si nous avons constaté que le taux retenu par EDF était dans la moyenne des autres opérateurs, cette moyenne n'est pas mathématique. Un point de variation du taux d'actualisation aurait un impact de 0,8 % sur les coûts.
Voilà ce que l'on peut dire, au total, sur les coûts futurs et leur sensibilité à une variation des paramètres.
Je voudrais à présent aborder la question importante de la durée de fonctionnement des réacteurs.
C'est l'un des sujets qui nous a le plus interpellés. En pratique, la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire d'autoriser la prolongation de trente à quarante ans de la durée de vie de deux réacteurs nucléaires a donné lieu à de vifs débats. L'âge moyen du parc actuel est de vingt-cinq ans ; vingt-deux réacteurs, soit 30 % de la puissance installée, auront quarante ans de fonctionnement avant la fin de 2022.
Si, juridiquement, les réacteurs, à deux exceptions près, ont une autorisation de fonctionnement pour trente ans, l'amortissement comptable que pratique EDF porte sur quarante ans, conformément aux règles de la comptabilité qui préconisent, à tort ou à raison, de retenir la durée de vie la plus probable. En réalité, EDF table, comme en témoignent des déclarations aux analystes financiers et certains articles parus récemment dans le quotidien Le Monde sous la signature d'Henri Proglio, sur une durée de vie de cinquante à soixante ans. À titre indicatif, aux États-Unis, le fonctionnement de ce type de réacteurs est autorisé pour soixante ans ; cela ne signifie pas que les Américains ont raison : c'est un constat.
Quoi qu'il en soit, si l'on devait remplacer les vingt-deux réacteurs que j'évoquais à l'instant avant la fin de 2022, compte tenu des délais de mise en oeuvre de sources d'énergie alternatives ou de réalisation d'économies d'énergie correspondantes, l'effort à fournir serait comparable à un effort de guerre. À supposer que l'on continue à recourir à l'énergie nucléaire, une dizaine d'années séparent la décision de construire un réacteur EPR de l'entrée en service de celui-ci. Nous sommes en 2012 : il faudrait donc construire une douzaine de réacteurs EPR - leur puissance étant plus élevée que celle des réacteurs actuels - d'ici à 2022. Cela me paraît hautement improbable, mais vous êtes mieux placés que moi pour en juger.
La mise en oeuvre de sources d'énergie alternative n'est pas non plus immédiate. C'est un élément important à garder à l'esprit.
Par conséquent, il est vraisemblable - mais pas certain : les Japonais ont arrêté l'essentiel de leur parc nucléaire sans préavis - que les dépenses de maintenance, qui s'assimileront à des dépenses de prolongation de la durée de vie, vont fortement augmenter. Leur incidence est supérieure à celle des dépenses futures.
Les dépenses pour investissements de maintenance d'EDF étaient en moyenne de 800 millions d'euros par an entre 2003 et 2008. En 2010, elles atteignaient 1,75 milliard d'euros. Le programme d'EDF, avant l'audit réalisé par l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima, prévoyait un budget de 50 milliards d'euros à ce titre pour la période 2011-2025, soit 3,4 milliards d'euros par an. Je précise que les dépenses mises en oeuvre aboutissent à la fois à maintenir les équipements en bon état de fonctionnement et à prolonger de vingt ans leur durée de vie.
En même temps que le Gouvernement demandait à la Cour des comptes un rapport sur les coûts de l'électricité nucléaire, il chargeait l'Autorité de sûreté nucléaire d'étudier les précautions supplémentaires à prendre après l'accident de Fukushima. Le programme de l'ASN n'a pas été formellement chiffré. L'ordre de grandeur avancé par l'ASN comme par EDF est de 10 milliards d'euros. J'ai été frappé par leur convergence de vues au cours des auditions que nous avons menées. Ils s'accordent également sur le fait que la moitié de ces dépenses sont déjà plus ou moins prises en compte dans le programme de maintenance d'EDF. Le surcoût est donc de l'ordre de 5 milliards d'euros pour la période 2011-2025, sachant que ces dépenses seront concentrées en début de période.
M. Jean Desessard, rapporteur . - S'agissant du chiffrage du programme de l'ASN, vous avez recoupé les chiffres fournis par EDF avec d'autres, mais vous n'avez pas procédé à vos propres calculs ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - La Cour des comptes n'a pas pu effectuer de tels calculs. Les conclusions de l'ASN ont été remises au mois de janvier 2012, en même temps que notre rapport. Nous en avons discuté avec les équipes d'EDF et avec l'ASN : il est frappant de constater que, alors qu'ils ne suivent pas forcément la même logique, ils arrivent à des conclusions analogues. Des appels d'offres en vue de réaliser des chiffrages détaillés sont lancés ; un délai de six mois a été prévu.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous avons tous été surpris de constater que les estimations étaient analogues. Le fait que la moitié des dépenses soit déjà intégrée dans les travaux de maintenance, en revanche, ne fait pas l'objet d'un consensus.
Mme Michèle Pappalardo . - Nous avons vérifié qu'une partie de ces 10 milliards d'euros était bien prise en compte dans le programme de maintenance. Nous ne saurions préciser si elle s'élève à 4 milliards, à 5 milliards ou à 6 milliards d'euros, mais les ordres de grandeur présentés nous ont semblé tout à fait acceptables. Nous savons quelles sont les grandes masses issues de l'évaluation de l'ASN ; certaines d'entre elles figurent effectivement dans le programme de maintenance de 50 milliards d'euros.
Les conséquences de l'audit de l'ASN pour Areva et le CEA n'ont en revanche pas du tout été chiffrées.
M. Gilles-Pierre Lévy. - J'en arrive maintenant aux actifs dédiés.
L'article 20 de la loi du 28 juin 2006 impose la constitution de provisions financées indépendamment du cycle d'exploitation, afin que l'argent nécessaire soit disponible à l'issue de celui-ci.
Au 31 décembre 2010, sur un total de 27,8 milliards d'euros de provisions actualisées à couvrir, 65 % de cette somme l'étaient par des actifs dédiés, 18 milliards d'euros par des titres financiers cotés, 4,6 milliards d'euros par des créances entre opérateurs du nucléaire, et un peu plus de 2 milliards d'euros correspondaient à 50 % des titres de RTE. Enfin, le solde, soit 2,7 milliards d'euros, n'était pas couvert.
Ce chapitre appelle quelques commentaires.
Premièrement, la loi ayant été modifiée, les exploitants sont en règle aujourd'hui - sinon, ils ne l'auraient pas été.
Deuxièmement, ces actifs sont gérés, en France, par les exploitants eux-mêmes ; dans d'autres pays, leur gestion a été confiée à d'autres acteurs. Cela peut se discuter en termes d'indépendance ou de méthodologie, sachant que les exploitants se sont efforcés d'embaucher des spécialistes de ces sujets.
Troisièmement, ces actifs correspondent aux provisions actualisées. Pour qu'ils couvrent les dépenses finales, il faut donc que leur rentabilité soit au moins égale au taux d'actualisation, soit 5 %. Si l'on considère la rentabilité des actifs financiers au cours du dernier siècle, on constate que les actions ont rapporté en moyenne plus de 5 % par an. Cela étant posé, ce qui s'est produit une fois dans l'histoire ne se reproduira pas forcément une deuxième fois. Autrement dit, notamment en période de crise financière, on peut se demander si ces actifs rapporteront bien 5 % par an sur plusieurs décennies...
Quatrièmement, l'acceptation de créances croisées entre acteurs du nucléaire peut se discuter. En effet, ces créances, certes minoritaires au regard du total - 4,6 milliards d'euros -, seront incertaines en cas de crise systémique du nucléaire. Si, demain, plus personne ne veut de l'énergie nucléaire, tous les acteurs seront en difficulté et ils ne pourront pas se rembourser mutuellement. L'État a d'ailleurs estimé que financer le CEA pour qu'il constitue des actifs destinés à rembourser des dépenses payées par ce même établissement public n'avait pas de sens. Cela signifie qu'un certain nombre de dépenses risquent de retomber sur la puissance publique.
J'évoquerai à cet instant la décision d'EDF d'allouer 50 % du capital de RTE au portefeuille d'actifs dédiés. Cette solution est-elle raisonnable ou pas ? Sans trahir le secret des délibérations, j'indiquerai que c'est l'un des points qui ont été le plus discutés entre nous lors de la contradiction.
Dans un premier temps, nous étions très réservés. Même si les avis demeurent partagés - Michèle Pappalardo et moi en discutions encore tout à l'heure -, nous le sommes moins aujourd'hui, dans la mesure où si, en cas de crise systémique du nucléaire, les créances entre acteurs du secteur risquent de perdre de leur valeur, en revanche, tant qu'on aura de l'électricité, on aura a priori besoin de la transporter.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bien sûr.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Les textes qui régissent RTE prévoient que la CRE garantisse une rentabilité du capital. Par conséquent, les 50 % du capital de RTE engendrent un flux de revenus normalement garanti par la CRE. On peut donc penser que l'option retenue par EDF n'est pas totalement aléatoire.
En conclusion, je ferai observer qu'il serait souhaitable de ne pas modifier la règle du jeu régulièrement.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous évoquez des provisions à couvrir. Cela signifie-t-il que ce n'est pas encore fait ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - Non, c'est la cible. Il est prévu que la totalité des provisions soit couverte en 2015 par des actifs dédiés.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les opérateurs ont déjà mis en place des actifs dédiés à cette fin.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Absolument. Les provisions sont aujourd'hui couvertes à hauteur des deux tiers par des actifs dédiés, dont 75 % sans couverture croisée. Ces patrimoines financiers sont gérés par les opérateurs, mais séparément du reste de leur activité.
Cela étant précisé, plusieurs questions se posent.
Premièrement, ces actifs, qui sont essentiellement financiers - il s'agit d'actions -, se valoriseront-ils à hauteur de 5 % par an sur les vingt, trente ou cent prochaines années ?
Deuxièmement, les actifs représentant des créances entre exploitants - d'EDF sur Areva ou d'Areva sur EDF, par exemple -, qui représentent une part minoritaire du portefeuille d'actifs dédiés, présentent-ils la même sécurité que les autres ? Nous n'en sommes pas certains.
Troisièmement, affecter la moitié du capital de RTE à ce portefeuille d'actifs représente-t-il une solution raisonnable ? On peut, à la rigueur, considérer que oui.
M. Ronan Dantec. - S'il fallait réaliser le dernier des actifs que vous avez cités, il faudrait bien que quelqu'un le rachète. Or ce ne pourrait être qu'EDF ou l'État, car je ne pense pas que RTE sera mis sur le marché privé. En fait, affecter 50 % du capital de RTE au portefeuille d'actifs dédiés permet à EDF de faire une économie de trésorerie. J'imagine que c'est sur ce point que porte le débat au sein de la Cour des comptes.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Pas seulement.
C'est un fait que, dans d'autres pays, des réseaux ont été privatisés, en tout ou en partie. En réalité, ceux qui achètent de tels actifs achètent un flux de revenus, théoriquement garanti par la CRE dans le cas de RTE. Certes, la loi pourrait changer sur ce point. Le réseau de transport d'électricité pourrait-il être privatisé en France, comme il l'a été dans d'autres pays ? Je ne sais pas.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La loi dit que non.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Pour le moment, la loi l'exclut formellement.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Si RTE devait être privatisé demain, faites-moi confiance, il y aurait des candidats au rachat, car c'est une entreprise sacrément rentable !
EDF demandera vraisemblablement que la période de provisionnement soit prolongée, compte tenu des dépenses supplémentaires que risque d'entraîner la mise en oeuvre des préconisations de l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima. Pour les 25 % restant à provisionner, la date butoir, qui est actuellement 2015, serait alors reportée de deux ou trois ans. Avez-vous eu le temps de prendre en compte cette hypothèse ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - Je me bornerai à observer qu'il serait préférable de ne pas changer la règle du jeu. Il n'appartient pas à la Cour des comptes de dire au Parlement ce qu'il doit décider, mais il est clair que si EDF obtient tous les trois ou cinq ans une prolongation, cela dénature quelque peu l'exercice, sachant que, aujourd'hui, la plus grande partie des provisions sont couvertes par des actifs dédiés, répondant pour la majeure partie, mais pas en totalité, à la définition de tels actifs.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En dehors des incertitudes sur les actifs croisés, peut-on dire que la situation est globalement correcte au regard des provisions à couvrir ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - Oui, mais pas totalement. Une part minoritaire des provisions n'est pas couverte du tout, mais c'est conforme à la loi, l'échéance ayant été reportée à 2015.
Par ailleurs, nous avons clairement un doute sur les actifs croisés, qui nous paraissent présenter un risque, outre la question, qui n'est pas totalement marginale, de la rentabilité.
M. Ronan Dantec. - Il manque au maximum 10 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Je parlerai brièvement de l'assurance, cette question ayant été soulevée. Sommes-nous bien assurés en cas de catastrophe nucléaire ?
Sur le plan de la théorie, il est très difficile de calculer une prime d'assurance contre un phénomène pour lequel il n'existe pas de série statistique significative.
Trois catastrophes nucléaires ont eu lieu à ce jour.
L'accident de Three Miles Island s'est circonscrit à l'enceinte de confinement, sans provoquer de réels dégâts à l'extérieur. Son coût peut être estimé entre 1 milliard et 2 milliards de dollars.
Il y a eu ensuite la catastrophe de Tchernobyl. L'évaluation de son coût suscite des débats sur lesquels je suis incapable de me prononcer. Les dégâts se chiffrent en centaines de milliards de dollars, mais il est très difficile de préciser davantage.
Enfin, la catastrophe de Fukushima est due autant au tsunami et au tremblement de terre consécutif qu'à l'accident nucléaire lui-même. L'évaluation du coût de ce dernier n'est pas terminée. Le Japon remettra-t-il en route ses autres centrales ou pas ? S'il ne le fait pas, l'accident de Fukushima concernera l'ensemble des centrales et le coût sera totalement différent. L'incertitude est forte sur ce point.
On m'objectera naturellement que les situations ne sont pas comparables. En particulier, il est habituel de faire observer que Tchernobyl est un accident soviétique autant qu'un accident nucléaire : la centrale était dépourvue d'enceinte de confinement, les équipes n'étaient pas suffisamment formées, etc. C'est possible. Cela étant, le risque zéro n'existe pas.
En conclusion, ce que l'on peut simplement dire, c'est qu'il est techniquement difficile de calculer le montant d'une prime d'assurance contre un risque très important qui s'est réalisé très rarement dans le passé.
Les assurances ont joué pour d'autres types de catastrophes, notamment certains tremblements de terre, en particulier celui de Californie et, dans une moindre mesure, celui de Kobé, ainsi que certains cyclones, tel Katrina. L'ordre de grandeur est la centaine de milliards de dollars.
Sur le plan factuel, voici ce que couvrent aujourd'hui les assurances, aux termes des conventions en vigueur : en cas d'accident, les exploitants sont engagés à hauteur de 91 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence d'un peu moins de 110 millions d'euros et les autres États parties à la convention à hauteur de 143 millions d'euros, soit un montant total de 340 millions d'euros, qui pèse pour plus des deux tiers sur les États.
Le protocole de 2004, qui n'a pas encore été ratifié par tous les États et qui n'est donc pas encore juridiquement en vigueur, prévoit une augmentation significative des montants que j'ai cités : les exploitants seront engagés à hauteur de 700 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence de 500 millions d'euros et les autres États parties à hauteur de 300 millions d'euros, soit un total de 1,5 milliard d'euros.
C'est l'ordre de grandeur du coût de l'accident de Three Miles Island, mais sûrement pas celui du coût de l'accident de Fukushima ou, a fortiori , de la catastrophe de Tchernobyl.
Il faut être extrêmement prudent lorsque l'on avance une estimation d'une provision dans ce domaine, car il ne faudrait pas que le public y voit l'annonce d'une catastrophe à venir. L'IRSN a estimé, à titre purement indicatif - ce n'est que le résultat du travail de deux personnes -, le coût d'un accident nucléaire grave, mais pas totalement incontrôlé, à 70 milliards d'euros. Pour couvrir ce montant, la Cour des comptes a simplement calculé qu'il faudrait provisionner 1,75 milliard d'euros par an pendant quarante années - durée de vie théorique et comptable d'une centrale nucléaire aujourd'hui. Cela s'ajouterait aux quelque 10 milliards d'euros de dépenses d'exploitation et, selon la façon dont on compte, aux 2,5 milliards à 9 milliards d'euros pour la prise en compte du capital, soit un peu moins de 2 milliards d'euros de provision par an rapportés à un total d'une vingtaine de milliards d'euros : la prime d'assurance serait donc de l'ordre de 8 %. Bien entendu, on ne constitue pas une telle provision pour se prémunir contre les conséquences d'un tremblement de terre ou d'un cyclone, par exemple. Voilà ce que l'on peut dire sur ce sujet.
En conclusion, permettez-moi de faire quatre commentaires et trois remarques.
Schématiquement, la question posée à la Cour des comptes était : les coûts de la filière électronucléaire sont-ils à peu près tous connus ? La réponse est globalement positive, sauf en ce qui concerne la prime d'assurance, au sujet de laquelle nous n'avons pas de bonne réponse.
Deuxièmement, les dépenses financées par des crédits publics ne sont pas du premier ordre si on les rapporte aux coûts pris en charge par les exploitants. Ces dépenses ont atteint 644 millions d'euros en 2010, répartis entre dépenses de recherche et coûts liés à la sécurité, à la sûreté et à la transparence. Un tel montant n'est pas négligeable, mais il n'est pas de première grandeur au regard des coûts totaux, qui s'élèvent à une vingtaine de milliards d'euros.
Troisièmement, le nucléaire, à l'évidence, est un domaine dans lequel subsistent de nombreuses incertitudes industrielles et scientifiques, d'autant plus difficiles à gérer que l'on se projette à long terme.
Quatrièmement, nous avons déjà évoqué les investissements supplémentaires demandés par l'Autorité de sûreté nucléaire à la suite de l'accident de Fukushima. Ces investissements ne sont pas marginaux, mais ils ne sont pas non plus d'un ordre de grandeur radicalement différent de ceux qui étaient prévus. Leur coût s'élèverait à une dizaine de milliards d'euros, montant à comparer à la cinquantaine de milliards d'euros d'investissements envisagés sur les quinze prochaines années.
J'en viens maintenant aux trois remarques annoncées, qui vont au-delà du calcul des coûts.
En premier lieu, la durée de vie effective des centrales pose véritablement question. En tout état de cause, sauf à réduire de manière significative notre consommation d'électricité, compte tenu des délais de mise en oeuvre des solutions alternatives - économies d'énergie, construction d'EPR ou recours aux énergies renouvelables -, ne pas décider, c'est décider de prolonger la durée de vie des centrales.
En deuxième lieu, dans tous les cas, un volume considérable d'investissements sera nécessaire. Les seuls coûts de la maintenance, qui étaient inférieurs à 1 milliard d'euros par an, sont en voie de passer à quelque 4 milliards d'euros, soit 20 % des 20 milliards d'euros calculés sur la base du coût courant économique, le CCE. Cette évolution a une incidence plus significative que la prise en compte d'une incertitude forte sur le coût du démantèlement ou sur celui de la gestion des déchets.
En troisième lieu, je tiens à souligner que nous n'avons pas travaillé significativement sur la prise en compte des externalités, qu'elles soient positives ou négatives, c'est-à-dire sur les quotas de CO 2 économisés ou dépensés, sur les devises économisées ou dépensées, sur les emplois créés ou supprimés, etc. Ces sujets méritent d'être étudiés mais ne faisaient pas l'objet du présent rapport.
Voilà ce que je voulais vous dire pour résumer le travail de la Cour des comptes, madame, messieurs les sénateurs. Je vous remercie de votre attention.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous vous remercions d'avoir orienté la présentation de votre rapport en fonction du thème de travail de notre mission d'enquête.
Monsieur le rapporteur, de nombreuses questions ont déjà reçu réponse. Souhaitez-vous néanmoins obtenir certaines précisions ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je tiens tout d'abord à saluer à mon tour la qualité du travail de la Cour des comptes. Le sujet était difficile, car il existe de nombreuses incertitudes. Vous avez bien cerné l'ensemble des problèmes. Je salue également la qualité de votre exposé, au cours duquel vous avez répondu à presque toutes les questions que je souhaitais vous poser.
J'aimerais toutefois revenir sur la question de la sensibilité du coût de production de l'électricité nucléaire à la variation de certains paramètres. Il y a en effet une incertitude sur le coût du démantèlement. Vous avez indiqué que le doublement des charges de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % au maximum du coût de production. Une révision à la hausse du devis de stockage profond des déchets aurait quant à elle une incidence de 1 %. Enfin, une révision du taux d'actualisation aurait pour effet une augmentation du coût moyen de production de 0,8 %.
Par ailleurs, en cas de prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, l'augmentation des dépenses de maintenance aurait également une incidence sur le coût moyen de production, mais je ne vous ai pas entendu donner de pourcentage sur ce point.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Il serait compris 15 % et 20 %, mais peut-être suis-je un peu excessif...
Mme Michèle Pappalardo . - Il serait plutôt compris entre 10 % et 15 %.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Pourtant, avec 3,7 milliards d'euros rapportés à un total de 20 milliards, il me semble que l'on s'inscrit plutôt dans la fourchette comprise entre 15 % et 20 %.
Mme Michèle Pappalardo . - En fait, ce pourcentage s'établit à 9,5 % sur la base du CCE et à 15 % si l'on prend en compte le coût le plus faible, c'est-à-dire le coût comptable.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Lorsque nous disons qu'un doublement des charges de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % du coût de production de l'électricité, il ne s'agit là ni d'un minimum ni d'un maximum. Dans l'incertitude, nous avons simplement pris une marge, qui nous semblait cohérente avec ce que l'on peut observer dans d'autres pays. Une telle hypothèse de sensibilité nous paraissait en outre correspondre aux ordres de grandeur évoqués dans les débats actuellement en cours entre l'Autorité de sûreté nucléaire et les exploitants. Toutefois, il n'y a pas de certitude : si tout le monde s'est trompé, il est possible que le chiffre réel soit supérieur !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Précisément : à part les Russes, personne n'a jamais encore totalement démantelé une centrale nucléaire et n'est donc en mesure aujourd'hui d'en préciser le coût. Tous les chiffres qui figurent sur le tableau que vous nous avez présenté correspondent à des estimations.
J'ai beaucoup apprécié la prudence dont vous avez fait preuve sur certains points, mais vous m'avez semblé assez affirmatif concernant le coût du démantèlement, alors que nous sommes aussi dans l'incertitude à ce sujet.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Je me suis certainement mal exprimé ; vous avez entièrement raison. Des équipements, de petits réacteurs ont déjà été démantelés, mais jamais un parc homogène complet. Opérer sur une telle échelle permettrait sans doute de réaliser des économies industrielles, car normalement le démantèlement du cinquantième réacteur coûterait moins cher que celui du premier, à conditions de sécurité équivalentes.
Dans l'incertitude où nous sommes effectivement sur le coût du démantèlement, nous avons considéré les estimations retenues par les pays comparables au nôtre afin d'essayer d'extrapoler au parc nucléaire français ce qui nous semblait être la moins mauvaise d'entre elles, rien de plus.
M. Ladislas Poniatowski , président . - J'ai la prétention d'être bien informé sur ces sujets, mais je dois dire que je ne connaissais pas ce tableau, que j'ai trouvé très intéressant.
Mme Michèle Pappalardo . - Vous ne pouviez pas l'avoir vu auparavant, car c'est nous qui l'avons fait ! (Sourires.)
Pour le réaliser, nous nous sommes appuyés sur des chiffres disponibles dans la littérature, puis nous avons tenté de les ramener le plus possible à notre situation en termes de parc de réacteurs et à notre définition de la notion de démantèlement, laquelle recouvre des réalités très différentes selon les pays. Ainsi, elle englobe souvent, chez nos voisins, la gestion des déchets.
Jusqu'à présent, personne ne nous a dit que nous avions commis des erreurs grossières. Nous avons tenté de préciser un certain nombre d'éléments, mais il est exact que, pour l'heure, aucun réacteur du type de ceux dont nous disposons n'a jamais été démantelé.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. - Compte tenu des coûts de maintenance, le CCE tendrait donc vers 60 euros dans les prochaines années ? Mais si la rentabilité des actifs dédiés n'atteignait pas 5 %, cela aurait-il également une incidence sur le CCE ? Tout a-t-il déjà été pris en compte dans vos calculs ?
Mme Michèle Pappalardo . - Je ne sais pas comment vous parvenez à 60 euros. En 2010, le CCE s'établissait à 49,5 euros, avec 1,7 milliard d'euros d'investissements de maintenance. Le doublement des investissements de maintenance portera le CCE à 54 ou à 55 euros.
On peut bien sûr ensuite faire l'hypothèse que le coût du démantèlement va lui aussi doubler, par exemple, et aller plus loin encore, mais la seule certitude, c'est que les investissements de maintenance vont augmenter.
Par ailleurs, le taux d'actualisation peut certes évoluer, mais c'est relativement peu probable à court terme. Toutefois, on sait évaluer l'impact d'une modification de ce taux : s'il diminuait de 1 %, cela entraînerait une hausse de près de 1 % du CCE.
M. Ronan Dantec. - Si l'État annonçait qu'il manque 10 milliards d'euros de provisions pour démantèlement, cela entraînerait-il une augmentation du CCE, par exemple si l'on excluait le recours à des actifs croisés ?
M. Gilles-Pierre Lévy. - La gestion des actifs est théoriquement séparée du fonctionnement. Si les actifs ne rapportaient pas 5 % par an sur une longue période, s'ils ne rapportaient que 3 %, par exemple, les exploitants devraient alors compenser le manque à gagner, ce qui pèserait sur leurs comptes.
Mme Michèle Pappalardo . - En trésorerie.
M. Ronan Dantec. - Cela ne jouerait pas sur le CCE ?
Mme Michèle Pappalardo . - On ne parle pas du tout de la même chose. Dans l'hypothèse que vous faites, le montant de la provision ne change pas : il est toujours calculé en fonction du coût de l'ANDRA, etc. Les provisions comptabilisées dans les comptes des exploitants doivent être utilisées, en partie en tout cas, pour acheter des actifs dédiés. Cela a un effet, mais pas sur le CCE.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Claude Léonard.
M. Claude Léonard. - J'ai une question un peu technique à poser, mais je maîtrise un peu moins bien ce sujet que celui de l'énergie solaire.
L'un des tableaux que vous nous avez présentés indique que les dépenses annuelles d'investissement de maintenance passeraient de 3,4 milliards d'euros à 3,7 milliards d'euros, du fait des préconisations de l'ASN après l'accident de Fukushima. Quelles sont les préconisations dont la mise en oeuvre entraînera cette augmentation de 300 millions d'euros par an ? Le nucléaire français s'inscrit déjà dans une démarche de sécurisation maximale.
M. Gilles-Pierre Lévy. - L'ASN a ajouté des contraintes, dont certaines étaient déjà prévues, par exemple la création d'une salle de crise protégée dans chacune des centrales ou le rajout d'un générateur d'électricité autonome et protégé pour chaque réacteur. Ce sont là les deux principaux postes de dépenses. Chacun d'entre eux a été évalué « à la louche » à 2 milliards d'euros pour l'ensemble du parc. Le coût de la création d'une salle de crise est évalué à une centaine de millions d'euros, soit une dépense de 2 milliards d'euros au total pour vingt centrales.
Mme Michèle Pappalardo . - Pour parvenir aux 300 millions d'euros que vous avez évoqués, nous avons simplement divisé 5 milliards d'euros par quinze ans.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. le rapporteur, pour poser une question qui, je le crains, risque de s'écarter du sujet qui nous occupe...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le secteur du nucléaire fait beaucoup appel à la sous-traitance, or les salariés des sous-traitants ne travaillent pas dans les mêmes conditions que les autres. Ce fait a-t-il été pris en considération par la Cour des comptes ? Avez-vous évalué le coût que représente, pour la collectivité, la prise en charge des maladies professionnelles qui peuvent résulter de cette situation ? Ce sujet est un peu difficile, mais il y a un véritable problème.
M. Gilles-Pierre Lévy. - Nous n'avons pas évalué ce que représenterait un changement de pratiques en matière de sous-traitance.
Mme Michèle Pappalardo . - Nous n'avons pas chiffré un tel coût, d'une part parce que ce n'est pas à nous de le faire, d'autre part parce que nous ne saurions pas comment le faire.
Cela étant, sur le sujet des maladies professionnelles, de très importants progrès ont été accomplis ces derniers temps. Les maladies professionnelles ont effectivement un coût, mais il est déjà pris en compte dans les coûts d'exploitation. Nous n'avons pas insisté sur le fait que l'évolution des dépenses d'exploitation d'EDF a été relativement forte ces dernières années, puisqu'elles ont augmenté de 11 % entre 2008 et 2010. Cette tendance va se poursuivre et même s'accentuer, en raison notamment de l'évolution des modalités de recours à la sous-traitance et du renouvellement des compétences du personnel. Nous avons souligné de manière qualitative l'augmentation potentielle des coûts de personnel liée à la mise en oeuvre des préconisations de l'ASN.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je comprends qu'il soit très difficile d'établir un tel chiffrage. Vous avez tout de même souligné que ces coûts étaient pris en compte dans les charges d'exploitation.
Mme Michèle Pappalardo . - Absolument.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. - Le coût de la construction de l'EPR suscite beaucoup d'interrogations ! Vous avez indiqué une fourchette, mais on sent bien que des incertitudes subsistent. Pourriez-vous nous indiquer comment vous avez calculé ce coût ?
Mme Michèle Pappalardo . - Comme nous l'avons écrit dans le rapport, nous n'avons rien calculé, rien validé, et ce volontairement. La Cour des comptes ne peut pas aujourd'hui valider le coût de construction alors que celle-ci n'est pas encore achevée, et encore moins le coût de production, puisque si des hypothèses sont faites sur l'évolution des coûts d'exploitation par comparaison avec ceux des centrales actuelles, la Cour des comptes ne peut rien constater.
Nous n'avons donc nullement validé les chiffres qui nous ont été donnés et qui figurent dans le rapport : 6 milliards d'euros pour le coût de construction et entre 70 et 90 euros pour le coût de production, ce qui est d'ailleurs peut-être un peu optimiste. Ces chiffres ont été obtenus en prenant comme hypothèses un taux d'utilisation de l'EPR de 90 % - cela me paraît là aussi un peu optimiste -, une durée de vie de l'EPR de soixante ans et des coûts de production moins importants que ceux des centrales actuelles.
Les chiffres qui nous ont été donnés semblent cohérents avec ces hypothèses, mais nous ne pouvons pas les valider aujourd'hui. Nous les avons fait apparaître dans notre rapport parce qu'ils sont cités dans le débat et qu'il peut être intéressant de les connaître, mais, je le répète, nous n'avons pas calculé le coût de production de l'EPR en développement. Nous avons simplement dit et écrit clairement que, a priori , les EPR suivants devraient coûter moins chers que le premier, sans toutefois pouvoir davantage préciser les choses. Nous sommes restés extrêmement prudents sur ce point.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je crains, monsieur Dantec, que vous ne restiez sur votre faim ! Je ne vois pas comment la Cour des comptes pouvait répondre sur ce point.
Cette question n'a rien à voir avec le sujet de notre commission, mais, en tant que président du groupe énergie, je peux vous indiquer que nous la suivrons de près. Le coût de l'EPR présente une grande importance pour les parlementaires que nous sommes. Pour commencer à l'appréhender, nous devrons nous intéresser aux quatre seuls réacteurs en construction aujourd'hui, à savoir le finlandais, qui est le plus ancien et aussi celui dont le chantier a le plus dérapé, celui de Flamanville et les deux chinois, dont l'un sera d'ailleurs terminé avant le nôtre.
Nous nous pencherons sur ce sujet, mais nous n'aurons malheureusement pas de réponses à nos questions au cours des travaux de cette commission d'enquête. Je comprends tout à fait l'argumentation de Mme Pappalardo : il était très difficile, pour la Cour des comptes, d'aller plus loin.
M. Ronan Dantec. - Je ne m'attendais pas à apprendre aujourd'hui le prix au centime près du mégawattheure produit à Flamanville ! Je note toutefois que vous considérez que les coûts annoncés sont un peu optimistes.
Cela étant, ces estimations « à la louche » prennent-elles en compte le coût du démantèlement de l'EPR, ainsi que le coût du stockage ? En effet, le coût de 35 milliards d'euros avancé par l'ANDRA ne concerne que le parc actuel ; il ne prend pas en compte l'EPR.
Mme Michèle Pappalardo . - La méthode de calcul de ces coûts est comparable à celle qui est utilisée pour le CCE. La logique est la même. Utiliser une même méthode permet de faire des comparaisons.
Les charges futures - nous parlons d'un futur très éloigné, bien sûr - sont intégrées. Si vous souhaitez faire des comparaisons de coûts de construction, j'attire votre attention sur le fait que le coût de 6 milliards d'euros prévu aujourd'hui inclut l'ingénierie, mais pas les intérêts intercalaires. Or la durée de la construction étant longue, ces derniers auront un poids important.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie vivement de vos prestations, madame Pappalardo, monsieur Lévy.
J'indique que le rapport annuel de 2011 de la Cour des comptes comporte un volet très intéressant sur la contribution au service public de l'électricité, sujet d'actualité qui entre dans le champ des préoccupations de notre commission d'enquête. Ce document datant du mois de février 2011, nous nous permettrons probablement de demander à la Cour des comptes de bien vouloir l'actualiser. Ses magistrats sont indépendants et libres de déterminer leur programme de travail, mais nous serions ravis que vous acceptiez d'accéder à cette requête. C'est la qualité de votre rapport sur les coûts de la filière électronucléaire qui nous incite à entreprendre cette démarche. Vous nous avez mis en appétit avec ce travail très important pour nous parlementaires, par conséquent ne soyez pas surpris si nous saisissons officiellement le Premier président dans les prochains jours !
Je vous renouvelle nos remerciements de vous être pliés à cet exercice et de nous avoir présenté votre rapport en tenant compte de l'objet de notre commission d'enquête.
Audition de M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil en énergie-climat
(20 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski , président . - La commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité est ravie d'accueillir M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil en énergie-climat.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour les questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Jean-Marc Jancovici prête serment.)
Vous avez reçu par avance un questionnaire de la part de M. le rapporteur.
M. Jean-Marc Jancovici . - Je ne jurerai pas de cela, mais ce n'est pas important, car ce que j'ai l'intention de dire, comme en politique, est assez indépendant de la question posée ! ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Quoi qu'il en soit, nous vous demanderons de rester dans les limites du sujet. Après que vous aurez répondu aux six questions de M. le rapporteur, nous vous interrogerons plus avant le cas échéant.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur Jancovici, je suis désolé que le texte des questions que je souhaitais vous poser aujourd'hui ne vous soit pas parvenu.
Premièrement, comment analysez-vous le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de l'électricité nucléaire ? Cette source d'électricité va-t-elle, à vos yeux, demeurer compétitive d'un point de vue économique ?
Deuxièmement, êtes-vous favorable, notamment pour ce qui concerne le coût de l'électricité, à la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires actuelles ou au développement d'une nouvelle génération de centrales - EPR ou quatrième génération -, propre à engager la France dans la voie de ce type de production pour le long ou le très long terme ? N'êtes-vous pas plutôt favorable à un développement des énergies renouvelables ?
Troisièmement, de manière générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ?
Quatrièmement, ces mêmes tarifs vous semblent-ils pertinents d'un point de vue environnemental, au regard du « message » à envoyer aux consommateurs ? Le cas échéant, comment devraient-ils évoluer selon vous ?
Cinquièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération - contribution au service public de l'électricité, dispositifs fiscaux ? Ce mécanisme vous paraît-il justifié dans son principe, trop ou pas assez développé, bien ou mal ciblé ? On pourrait élaborer des mécanismes de financement reposant non pas sur le consommateur, mais, par exemple, sur le contribuable ou sur les entreprises.
Sixièmement, le prix de l'électricité en Europe devrait-il mieux refléter le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre ? La prochaine acquisition à titre onéreux desdits quotas par les électriciens va-t-elle dans le bon sens et aura-t-elle des conséquences sur le prix payé par les consommateurs ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - J'espère, monsieur Jancovici, que ces questions ne se trouvent pas à des années-lumière de ce que vous avez préparé ! ( Sourires .)
Vous avez la parole.
M. Jean-Marc Jancovici . - Pour étayer mon propos, je vous projetterai un document Powerpoint . Mon exposé servira d'assise à mes réponses à vos questions, monsieur le rapporteur. Elles tiendront ensuite en peu de mots.
L'essentiel de mon intervention visera à rappeler un fait simple : l'énergie est avant tout, par définition, la grandeur physique qui caractérise le changement d'état d'un système. Dire que l'énergie est une grandeur physique signifie qu'elle obéit à un certain nombre de lois. Les faits scientifiques ne sont pas des opinions : ils s'imposent à nous. Si l'on essaie de construire l'avenir en les ignorant, on va dans le mur !
Qu'il me soit permis de rappeler quelques éléments de base sur l'énergie.
L'énergie est donc, par définition, ce qui caractérise le changement. Du point de vue de l'utilisateur, un certain nombre de pratiques, aujourd'hui passées dans la vie courante, mais de manière très récente à l'échelle de l'histoire de l'humanité, supposent d'utiliser ou de restituer de l'énergie. C'est le cas si l'on modifie la température dans une pièce, si l'on met un objet en mouvement ou si on l'arrête, si l'on change une forme...
Aujourd'hui, le travail de tous les ouvriers d'usine consiste essentiellement à appuyer sur des boutons et à actionner des manettes afin de piloter des machines pour modifier, changer, déformer, extruder, aplatir, emboutir, etc. L'ouvrier moderne n'utilise donc pas plus ses muscles que l'employé des services.
Quand un corps se déplace dans un champ avec lequel il interagit, de l'énergie est mise en jeu ; idem quand une composition atomique change. Soit dit en passant, toutes les énergies que l'on utilise sur terre dérivent directement ou indirectement de l'énergie nucléaire. Enfin, l'énergie intervient quand de la matière et du rayonnement interagissent.
Par conséquent, dire que l'on utilise de l'énergie, c'est dire que l'on change le monde qui nous entoure. La conclusion qui s'impose alors est simple : l'énergie « propre » n'existe pas puisque, par définition, utiliser de l'énergie, c'est modifier ce qui nous entoure. Or être propre, n'est-ce pas laisser des lieux dans l'état dans lequel on les a trouvés ? Quand on utilise de l'énergie, c'est justement pour faire évoluer cet état.
Si l'énergie propre n'existe pas, ce qui peut exister en revanche, c'est une énergie dont les bénéfices sont significativement plus importants que les inconvénients, ou l'inverse. Comme l'énergie est une grandeur physique, ces différents aspects ne sont qu'une affaire de chiffres.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 3.)
Je vous présenterai maintenant un petit calcul qui rend compte de la totalité du monde qui nous entoure aujourd'hui. Je soutiens que les 35 heures, l'égalité entre les hommes et les femmes, le divorce, les études longues, la tertiarisation de l'économie, l'étalement urbain, la concentration urbaine, la désertification rurale, etc., s'expliquent par la comparaison entre l'énergie que sont capables de fournir nos muscles et l'énergie qui est associée à toutes les machines que nous employons, y compris le vidéoprojecteur que j'utilise en ce moment, l'ordinateur dont je me sers, le métro qui m'a amené ici, le percolateur qui vous a fait le café.
L'organisme d'un humain bien entraîné, par exemple celui d'un militaire du peloton de gendarmerie de haute montagne, qui gravit le Mont-Blanc et qui pèse 65 kilos restitue environ 0,5 kilowattheure d'énergie mécanique dans cet exercice. Je ne sais pas si certains d'entre vous ont déjà escaladé le Mont-Blanc en une journée ; pour l'avoir fait, mais en deux jours, je puis vous assurer que l'effort est significatif et qu'on ne le répète pas les jours suivants !
Par conséquent, le maximum d'énergie qu'un être humain puisse fournir avec ses jambes, lesquelles sont dotées des muscles les plus puissants de son organisme, représente une fraction de kilowattheure par journée de travail. Admettons que je sois non pas un esclavagiste, mais un employeur qui rémunère correctement ses employés : si je paie un homme au SMIC pour pédaler comme un forcené dans une usine, le kilowattheure d'énergie mécanique produit me reviendra environ 200 euros ; s'il utilise ses bras, la quantité d'énergie restituée sera grosso modo dix fois inférieure et le coût de revient dix fois supérieur. Quand bien même je ne respecterais aucune des lois sociales en vigueur en France et traiterais mes employés comme des esclaves, le simple fait de devoir les maintenir en vie, les nourrir, les protéger du froid, des prédateurs, etc. me ferait payer le kilowattheure d'énergie mécanique quelques euros ou une dizaine d'euros. En comparant ce chiffre au coût de l'énergie produite par les machines, on comprend pourquoi l'esclavage a disparu !
En effet, un litre de notre très chère essence, qui affole tant les foules à l'heure actuelle, contient environ 10 kilowattheures d'énergie chimique. Après passage dans un moteur, elle produit quelques kilowattheures d'énergie mécanique. En termes de coût marginal - hors coût du moteur -, le kilowattheure d'énergie mécanique issu d'une machine sera de 1 000 à 10 000 fois moins cher que le kilowattheure produit par un travailleur humain payé au SMIC.
Par conséquent, n'importe quel différentiel de salaire dans le monde se compense par n'importe quel trajet. En mettant des machines à notre service, nous avons multiplié notre pouvoir d'achat par 50, par 100 ou par 1 000. Bref, voilà ce qui permet les acquis sociaux. Cela a quelques implications.
Tout d'abord, contrairement à une idée répandue, le prix réel de l'énergie, depuis que nous en utilisons, n'a pas augmenté ; il a même considérablement décru. Le prix réel correspond au temps de travail nécessaire pour acquérir un kilowattheure. Cette durée est la seule unité constante dans le temps pour mesurer le prix réel d'une chose. Toute autre unité monétaire est trompeuse, en particulier le prix en monnaie courante, voire le prix en monnaie constante, qui doit être ramené à ce que les gens gagnent : si la fiche de paie augmente plus vite que le prix en monnaie constante, le prix réel n'augmente pas ; il baisse.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 4.)
Cette courbe retrace le prix du pétrole, qui est le prix directeur de toutes les autres énergies, depuis 1860. On constate qu'en monnaie constante le prix du baril de pétrole entre 1880 - auparavant, il a décru parallèlement à celui de l'huile de baleine, la source d'énergie concurrente - et 1970 est resté relativement stable, aux alentours de 20 dollars. Dans le même temps, la rémunération du consommateur occidental a été multipliée par quinze à vingt, ce qui revient à dire que le prix du litre de pétrole a été divisé par quinze à vingt. En outre, ma corporation, celle des ingénieurs, ayant remarquablement travaillé et multiplié par un facteur compris entre deux à dix l'efficacité mécanique de l'utilisation d'un litre de pétrole, le coût réel du kilowattheure fourni par l'esclave énergétique qu'est la machine a été divisé par cinquante à cent en l'espace d'un siècle.
Le prix réel - c'est-à-dire exprimé en temps de travail - de n'importe quel objet pouvant être acquis aujourd'hui - une table, une chaise, une paire de lunettes, une chemise - et existant déjà il y a un siècle a été divisé par un facteur allant de cinquante à cent. C'est ce que l'on appelle l'augmentation du pouvoir d'achat. Cette augmentation peut se ramener, en première approximation - j'insiste bien sur ce point -, à la baisse du prix réel de l'énergie. Même au cours des périodes récentes, contrairement à l'idée répandue, le prix de l'énergie a continué de baisser.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 5.)
Ce superbe graphique, issu de l'excellent Service de l'observation et des statistiques, présente l'évolution des dépenses de carburants, d'électricité, de gaz et autres combustibles des ménages français depuis 1970. Comme ces dépenses augmentent, on se dit que les gens paient leur énergie de plus en plus cher. En fait, la donnée importante est leur part dans le budget des ménages, autrement dit la part du temps de travail consacrée à l'achat de l'énergie. En prenant ce paramètre en considération, on s'aperçoit que l'énergie coûte moins cher aujourd'hui qu'avant le premier choc pétrolier.
Encore une fois, contrairement à une idée très répandue, l'énergie coûte de moins en moins cher. En fait, son coût est passé, au cours des quarante dernières années, de rien à encore moins que rien : j'ai montré tout à l'heure que l'énergie mécanique valait entre un millième et un dix-millième du coût du travail humain.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 6.)
Quel type d'énergie utilisons-nous en France ? Les journalistes, dans notre pays, confondent en permanence énergie et électricité, au motif que les seuls dispositifs de production français sont non pas des puits de pétrole ou de gaz ni des mines de charbon, mais des centrales électriques.
Les Français consomment, pour l'essentiel, des combustibles fossiles importés. Il faut pomper un peu pour les extraire du sous-sol, mais également les transporter. La part du pétrole dans la consommation énergétique des Français est exactement identique à ce qu'elle est dans la consommation des Britanniques, des Allemands ou des Italiens, les Américains n'utilisant guère plus de pétrole que nous.
Contrairement à une idée courante, le recours au nucléaire ne sert pas à éviter d'utiliser du pétrole ; il sert à éviter de consommer du gaz et du charbon, ce qui, selon moi, est une excellente idée.
Vous pouvez constater, sur ce graphique, que la part du chauffage électrique est importante, mais qu'elle est loin de constituer l'essentiel du total. Notez également que, pour le résidentiel et le tertiaire, le chauffage consomme moins d'électricité que les autres usages. Autrement dit, la consommation d'électricité qui augmente le plus vite aujourd'hui dans les bâtiments n'est pas celle qui est liée au chauffage, mais celle qui sert à faire fonctionner tout le reste : les machines qui montent et qui descendent, qui cuisent, qui refroidissent, qui tournent, qui retransmettent des tas d'images extraordinaires, etc. Bref, le chauffage ne représente pas l'essentiel de la consommation électrique dans les bâtiments.
Selon moi, il est très important de garder en tête un raisonnement macroéconomique : la notion microéconomique de coût et de prix n'a pas nécessairement beaucoup de sens.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Que signifie « ECS » dans le tableau ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Eau chaude sanitaire.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Et « autres » ? Ce sont tous les appareils électriques ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Chauffage et ECS constituent les usages thermiques de l'électricité. La catégorie « autres » recouvre les usages spécifiques : tous les moteurs électriques, les réfrigérateurs, les pompes, les machines à laver, les appareils audiovisuels, les ampoules électriques...
M. Jean Desessard , rapporteur . - La consommation d'électricité est supérieure pour ces usages spécifiques ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Oui, et elle croît plus vite !
Je n'ai pas indiqué, dans le schéma, l'évolution de la consommation électrique dans les bâtiments en France. De mémoire, elle est passée, entre 1970 et aujourd'hui, de 50 térawattheures à 250 ou 300 térawattheures. L'essentiel de l'augmentation est imputable au poste « autres », et non au chauffage électrique.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 7.)
L'une des conclusions que je tire des éléments précédents est que les outils de pilotage macroéconomique dont nous disposons aujourd'hui sont totalement trompeurs. C'est l'un des problèmes sur lesquels on bute souvent lorsqu'on établit des comparaisons économiques. Selon l'économie que nous avons apprise à l'école, il y a deux facteurs de production : le capital et le travail. Quand le PIB « flageole » - ce qui ne manque pas d'inquiéter fortement tous les élus ! -, on détaxe un peu le travail et on injecte du crédit pour augmenter le capital, afin que le PIB reprenne du souffle. En fait, cela ne fonctionne pas : depuis maintenant quarante ans, il y a trop de travail - le chômage est structurel - et trop de capital - de nombreuses bulles spéculatives se forment -, et pourtant le PIB est flageolant ! Cela signifie que le schéma que j'ai décrit n'est pas le bon.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 8.)
La bonne représentation du système est la suivante : la machine économique mondiale n'est qu'une machine à transformer en autre chose des ressources gratuites grâce à du travail, fourni par des êtres humains ou des machines. Tout ce qui se trouve dans cette salle, mesdames, messieurs les sénateurs, tout ce qui s'offrira à votre regard quand vous en sortirez n'est rien d'autre que de la ressource naturelle transformée par l'action de l'homme.
Les ressources naturelles sont le fruit de 15 milliards d'années d'évolution depuis le big bang et elles sont gratuites, y compris le pétrole, le gaz, le charbon, l'uraniuM. Les partisans des énergies renouvelables affirment souvent que le vent et le soleil sont gratuits, mais il en est de même de toutes les autres sources d'énergie. Ce qui coûte pour le pétrole, par exemple, c'est l'accès à la ressource, qui a la mauvaise idée de se trouver sous les pieds de M. Dupont et pas sous ceux de M. Durand ! Cependant, la formation de la ressource est gratuite : personne n'a payé le moindre centime pour que se constituent les réserves de pétrole, les atomes de fer, de cuivre, de manganèse, ainsi que tout le patrimoine de la biodiversité. Ces ressources gratuites sont captées et transformées grâce à notre travail afin de devenir autre chose.
Par ailleurs, la formation de capital ne représente qu'une boucle interne au système. Le capital, par exemple l'immeuble dans lequel nous sommes, c'est des ressources et du travail passés.
Dans ce schéma, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le travail qui permet de transformer les ressources est fourni par nos muscles et par les machines dans un rapport de 1 à 200.
Cette représentation éclaire ce qui se passe depuis trente-cinq ans : s'il y a un problème de volume disponible pour l'énergie - et c'est bien de cela qu'il s'agit, et non d'un problème de prix -, il y a un problème de volume pour le PIB, quel que soit le prix auquel les gens ont accès à l'énergie.
Je prendrai un exemple caricatural à cet égard. Si demain matin le carburant est rationné et les volumes disponibles divisés par dix, peu importe que les gens paient le litre de carburant 50 centimes, 1 euro ou 1,5 euro plus cher : les flux de transport seront instantanément divisés par dix et, en première approximation, le PIB français sera divisé par un chiffre compris entre cinq et vingt. Ce n'est pas une question de prix de l'énergie, c'est une question de quantité disponible. Dans un marché parfait, les deux paramètres sont corrélés, mais le marché n'est pas parfait et une foule de régulations - rationnements, quotas, normes, interdictions - interviennent hors marché. Dans le monde réel, les prix et les volumes ne sont pas parfaitement asservis par le jeu de phénomènes totalement lisses. Ce qui compte, encore une fois, ce sont les volumes.
C'est exactement ce que l'on observe en France depuis le premier choc pétrolier : une contrainte pèse sur les volumes, contrainte qui a fait régresser la croissance du PIB de 3 % à 1 % par an, d'où un chômage structurel et un tas de petits inconvénients qui ne sont pas à la veille d'être résolus...
S'il y a en plus une pression sur les ressources, il y aura également une pression sur la production, quelle que soit la quantité d'énergie disponible. Par exemple, si la ressource en poissons est épuisée, vous aurez beau armer tous les chalutiers du monde avec toute l'énergie disponible, ils ne prendront aucun poisson et le PIB de la pêche sera nul.
Or, j'insiste, ni le stock de poissons ni le stock de pétrole ne sont nulle part valorisés dans les représentations économiques. Par conséquent, le prix de l'énergie ne donne qu'une vision très partielle de l'importance du système énergétique dans le fonctionnement des sociétés modernes. Les déterminants du premier ordre sont le volume disponible et celui que je peux obtenir.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 9.)
Voilà un premier graphique qui accrédite mes propos. Il retrace la variation depuis 1961 de la consommation d'énergie de la planète, en violet, et celle du PIB mondial, en bleu. Les deux sont extrêmement bien corrélées, conformément à ce que je viens de vous dire.
La première partie de mon intervention peut se résumer ainsi : mère nature nous a donné gratuitement des combustibles fossiles, qui alimentent les moteurs et la chimie, lesquels font fonctionner la totalité des machines qui nous entourent ; par ricochet, cela a induit une très forte hausse de la productivité du travail, qui a structuré l'ensemble de nos acquis sociaux. Même le divorce est un fruit de ce phénomène : on ne divorce pas dans les pays qui manquent d'énergie. En effet, un divorce amène un doublement des besoins en logement - la crise du logement est notamment due au divorce - et par voie de conséquence de la consommation d'énergie pour le chauffage et la fabrication de tous les objets de la vie courante, sans parler du transport des éventuels enfants d'un domicile à l'autre ou de la facture du psychiatre, la garde alternée étant très néfaste à l'équilibre mental de ces derniers, ainsi qu'une étude épidémiologique récente vient de le démontrer... Ce n'est pas une blague : il est prouvé que le divorce augmente instantanément la consommation d'énergie des ex-conjoints d'environ 60 % !
L'urbanisation croissante est une fonction de l'énergie croissante. Pourquoi ? Parce que quand une énergie abondante permet de faire fonctionner de nombreuses machines, il devient possible de retirer les agriculteurs des champs et les ouvriers des usines pour les employer dans des bureaux où leur fonction sera d'échanger des informations, comme nous le faisons actuellement ou comme le font les comptables, les banquiers, le personnel de la sécurité sociale. Nous ne produisons rien de physique, nous échangeons des informations. Si nous pouvons le faire, c'est parce que, ailleurs, des machines s'occupent des flux physiques à notre place et fabriquent des vêtements, de la nourriture, des voitures, des logements, etc.
En cela, une société fortement urbanisée et fortement tertiarisée n'est pas une société fortement dématérialisée ; elle est, au contraire, l'aboutissement ultime d'une société fortement consommatrice d'énergie.
Si je vous montrais la courbe de la consommation d'énergie par personne en fonction de la part du tertiaire dans l'emploi, vous pourriez constater qu'il existe une très belle corrélation à la hausse mais pas du tout à la baisse. De plus, le tertiaire comprend tous les services de transport, qui ne sont pas spécialement dématérialisés.
L'énergie, et non la technique, a joué un rôle central dans cette évolution. La technique permet de construire un ordinateur ; pour que chacun puisse avoir un ordinateur à 500 euros, il faut de l'énergie à gogo : surtout pour la fabrication, un peu pour le fonctionnement.
À ce stade, deux questions d'une importance déterminante se posent : y a-t-il un goulet d'étranglement en amont en ce qui concerne l'accès aux combustibles fossiles ? Y a-t-il un goulet d'étranglement en aval au regard du changement climatique induit par la libération de CO 2 dans l'atmosphère ?
Pour répondre à la première question, il faut faire appel à un petit théorème de mathématiques. Les combustibles fossiles mettent des centaines de millions d'années à se former : 300 millions pour le charbon et 100 millions pour le pétrole. Aux échelles de temps qui nous intéressent, nous pouvons donc considérer que le stock extractible de combustibles fossiles est donné une fois pour toutes, même si l'on ne connaît pas à l'avance son niveau. Lorsqu'on puise dans un stock donné une fois pour toutes, l'extraction ne peut aller indéfiniment croissant. Elle ne peut même pas être indéfiniment constante : l'exploitation du stock part de zéro, se termine à zéro et passe par un maximum entre les deux. Cela se démontre, et c'est vrai pour le pétrole, pour le gaz, pour le charbon, pour tous les minerais métalliques de cette bonne vieille terre.
Pour toutes ces matières premières, il existe donc une entité mathématique qui s'appelle le « pic ». Celui-ci peut avoir déjà été atteint ou ne devoir l'être que dans un avenir éloigné ; il peut s'établir au niveau actuel de production ou à un niveau bien supérieur. Mais l'existence de cette entité est démontrée et son apparition est inéluctable.
En ce qui concerne le pétrole, un premier pic est très facile à discerner : le pic des découvertes, qui est déjà passé.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 12.)
Cette courbe, qui retrace les découvertes annuelles de réserves de pétrole extractibles, est passée par un maximum en 1964. À l'heure actuelle, un peu plus de 2 000 milliards de barils ont été découverts. La quantité extraite a crû jusqu'en 2005 et s'est stabilisée depuis cette date. Elle représente au total environ 1 200 milliards de barils, soit à peu près la moitié de ce qui a été découvert.
Compte tenu du délai moyen qui sépare l'apparition du pic des découvertes de celle du pic de production, donnée qui se vérifie dans toutes les grandes zones pétrolières, nous sommes au maximum de la production mondiale de pétrole. L'Agence internationale de l'énergie a même avoué que le pic de production avait été atteint en 2006. En première approximation, retenons simplement que la production annuelle de pétrole est désormais stable. Cette période de stabilité durera plus ou moins longtemps, selon le rythme d'extraction des stocks déjà connus et celui des nouvelles découvertes.
Nous sommes donc très loin des 50 milliards de barils annuels de nouvelles réserves de l'âge d'or des découvertes, quand les ingénieurs de Schlumberger exploraient le sous-sol des pays bordant le golfe Persique. Aujourd'hui, quand on découvre un gisement de seulement quelques milliards de barils, cela semble mirifique !
Le « plateau » de production durera jusqu'aux alentours de 2020, puis nous assisterons à un déclin absolument inexorable, n'en déplaise aux automobilistes français, aux gestionnaires de turbines à fioul ou aux utilisateurs de fioul lourd.
Quel sera le prix du pétrole à ce moment-là ? Selon moi, ce n'est pas le sujet. Comme je l'ai déjà souligné, ce qui importe, ce sont les volumes. Par ailleurs, au vu des expériences passées, il convient de rester extrêmement modeste quand on se risque à faire des prévisions : on gagne du temps à ne pas écouter ceux qui annoncent une prévision de prix à vingt ans pour le pétrole ! La seule certitude est que les cours vont devenir volatils.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 13.)
Voici un comparatif entre les prix réels du pétrole constatés jusqu'en 2010 et les prévisions de prix établies, année après année, par l'Agence internationale de l'énergie : il y a de quoi rire !
Il est impossible de prédire l'évolution du prix d'une matière première aussi essentielle que le pétrole, dont le marché comporte énormément de biais et d'incertitudes. Je ne sais pas quel sera le prix du pétrole à l'avenir, mais encore une fois là n'est pas la question : ce qui importe, ce sont les volumes.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 14.)
Une règle de trois fait apparaître pourquoi l'énergie et le PIB - ou GDP, gross domestic product - sont si fortement liés. Le PIB par habitant, c'est-à-dire le pouvoir d'achat, est égal au produit de l'énergie par personne par la quantité d'énergie nécessaire pour obtenir 1 dollar de PIB, qui mesure l'efficacité énergétique de l'économie.
Intéressons-nous maintenant aux variations. Vous savez que la variation d'un produit est la somme des variations de ses termes. La croissance du PIB par personne est donc la somme de la croissance de l'énergie par personne - voilà pourquoi cet élément est si structurant - et de celle de l'efficacité énergétique de l'économie. La première, en moyenne mondiale, a crû de 2 % par an entre le début de la révolution industrielle et 1980. Après cette date, sa croissance est devenue presque nulle. Quant à l'efficacité énergétique de l'économie, elle augmente de 1 % par an depuis 1970. Tout cela signifie que la croissance du PIB par habitant, qui concerne essentiellement les économies dites « développées » jusqu'en 1990-1995, est passée brutalement à partir de 1980, pour des raisons physiques, de 3 % à 1 % par an, ce qui a entraîné l'apparition puis l'augmentation de la dette des États souverains, l'endettement des ménages et des entreprises, la volatilité des prix de l'énergie, l'émergence du chômage structurel, bref tous les petits désagréments que l'on nous promet de régler après la prochaine élection, mais qui ne le seront bien évidemment pas, sauf mise en oeuvre d'un nouveau « plan Marshall ».
En conclusion, toute réflexion prospective sur le prix de l'énergie doit prendre en compte le fait qu'il n'y aura pas de retour de la croissance : je n'y crois pas.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Votre démonstration vaut pour la France ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Elle vaut pour n'importe quel pays.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Le sigle « NRJ » recouvre le volume d'énergie ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Oui, le volume et non le prix. Le terme « NRJ/POP » désigne la quantité d'énergie par personne et par an, exprimée en kilowattheures.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Comment calculez-vous ces chiffres ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Il suffit de diviser la production mondiale d'énergie - issue du pétrole, du gaz, des centrales nucléaires et hydrauliques, de la biomasse, le reste étant négligeable - par la population mondiale. Toutes les énergies peuvent s'exprimer en kilowattheures.
Ce petit calcul prouve que toute réflexion prospective sur les investissements dans les infrastructures énergétiques doit, à mon sens, s'envisager dans un contexte où nous ne retrouverons pas une croissance économique forte. Est-ce un bien ou un mal ? Là n'est pas la question. Si gérer, c'est prévoir, il faut avoir cette donnée en tête.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 15.)
Voilà une illustration de cette corrélation entre énergie et PIB à partir de 1968. L'évolution de la production mondiale de pétrole est figurée en violet. Il s'agit bien de la production, et non du prix. La variation du PIB par personne est figurée en bleu. Contrairement à une idée répandue, la co-variation des deux courbes est meilleure à partir de la fin des années quatre-vingt qu'auparavant, époque où la production de pétrole pouvait varier plus fortement sans trop affecter le PIB, et l'économie n'est pas moins sensible aujourd'hui qu'hier à la quantité de pétrole accessible, bien au contraire : les transports tiennent une place plus importante dans une économie mondialisée.
Vous pouvez également constater qu'au cours des deux derniers épisodes de crise, la chute du PIB n'a pas entraîné celle de la production de pétrole ; c'est l'inverse qui s'est produit. C'est le reflet de l'effet « volume ». Lorsque l'offre de pétrole est réduite brutalement, cela provoque, outre une hausse du prix, une baisse du PIB, celui-ci étant piloté par le volume de pétrole. Cette baisse n'est pas simplement due à l'effet inflationniste de la hausse du prix du pétrole.
Que se passera-t-il, à l'avenir, en ce qui concerne le volume de pétrole ?
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 16.)
Ce graphique représente la quantité totale de pétrole à disposition de l'Europe depuis 1965. La production domestique est figurée en rose, avec un petit talon de production provenant historiquement des pays de l'Est situés non loin de la mer Caspienne. Est également prise en compte la production de la mer du Nord - dont celle de la Norvège -, qui a connu un pic en 2000 et qui décline, depuis, à raison de 5 % à 8 % par an. Les importations en provenance du reste du monde sont figurées en vert.
On constate que les importations représentent l'essentiel du pétrole consommé par les Européens. Le début du déclin « terminal » de l'accès européen au pétrole date, selon moi, de 2005. Depuis cette date, le volume de pétrole à la disposition de l'Europe a diminué de 8 %. La production mondiale étant désormais stable, en raison de l'effet d'éviction dû aux pays émergents et aux pays producteurs eux-mêmes, la fraction résiduelle mise sur le marché mondial baisse. Les importations et la production européennes décroissent, par conséquent la quantité de pétrole disponible en Europe diminue.
Or, en l'état actuel des choses, il n'y a que deux manières de faire baisser la consommation de pétrole : par la hausse des prix, forte et non régulée, ou par la récession. Mon sentiment est que nous entrons maintenant dans une ère nouvelle de l'économie européenne, qui sera marquée par de fortes hausses du prix du pétrole et la récession. C'est dans ce contexte qu'il faudra envisager nos investissements électriques.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 17.)
Voilà comment se décompose le prix du litre de super dont il a beaucoup été question il n'y a pas si longtemps. Pour l'essentiel, le prix de l'essence est constitué de taxes, qui ne sont pas seulement prélevées par la France. Les taxes encaissées par les États producteurs constituent un quart du prix. La TIPP compte pour 41 %, la TVA pour 16 % et la part de l'« affreux » Total pour 5 %. Une éventuelle suppression de la marge de Total - 10 milliards d'euros - ne réduirait que très faiblement le prix du carburant à la pompe pour le consommateur : la baisse serait de l'ordre de 5 centimes. Les ordres de grandeur ne seraient pas modifiés. En particulier, cela ne changerait rien aux paramètres liés à la rareté de la ressource ni aux dépenses d'extraction, les coûts marginaux de celle-ci augmentant très fortement pour les nouveaux gisements mis en exploitation.
Voilà pourquoi je pense le plus grand mal de l'instauration d'une TIPP flottante. Selon moi, il s'agirait d'une subvention directe aux exportations du Qatar, de la Russie et de la Libye.
M. Jean Desessard , rapporteur . - L'application de la TIPP flottante serait limitée dans le temps. Il s'agit de permettre aux entrepreneurs de respecter leurs devis.
M. Jean-Marc Jancovici . - C'est une mesure fondée sur l'idée que le prix du pétrole finira par se stabiliser, or cela ne pourra arriver que dans un contexte de récession.
M. Jean Desessard , rapporteur . - D'accord !
M. Jean-Marc Jancovici . - Instaurer la TIPP flottante revient donc à appauvrir l'État tant que le pétrole continue à se vendre, avant que cet appauvrissement ne s'aggrave avec la récession. Je ne suis pas sûr que ce soit la façon la plus intelligente d'utiliser l'argent public.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 18.)
Le gaz se formant géologiquement aux mêmes endroits que le pétrole, il est découvert à peu près en même temps que lui. Au début, le gaz n'intéressait pas du tout les pétroliers. Trouver du gaz était même, pour eux, une véritable calamité. Ce n'est plus le cas à l'heure actuelle. Ils n'aimaient pas trouver du gaz pour une raison simple : contrairement au pétrole, le gaz coûte plus cher à transporter qu'à extraire. Le pétrole étant liquide à température ordinaire, il se transporte avec une densité d'énergie par unité de volume beaucoup plus importante que le gaz, qui obéit à la loi de Mariotte, et donc à un coût moins élevé.
Voilà pourquoi les deux tiers du pétrole extrait sur Terre passent une frontière avant d'être consommés. Cela n'est vrai que pour 25 % du gaz, le gaz naturel liquéfié représentant en particulier 8 % de la consommation mondiale de gaz. La seule vraie énergie internationale est donc le pétrole. Toutes les autres énergies sont des énergies régionales, comme le gaz, ou domestiques, comme le charbon.
Le pic des découvertes de gisements gaziers a déjà été passé depuis longtemps. Comme pour le pétrole, la production va monter puis se réduire. On raclera les réservoirs, ce qui sera plus difficile à faire que pour le pétrole. Le pic de production interviendra, selon les régions, entre maintenant et 2050.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 19.)
Voilà maintenant un graphique qui figure l'approvisionnement gazier de l'Europe. On observe une proportion inverse à celle constatée pour le pétrole. Les importations ne représentent que 40 % du total, mais le pic de production des gisements de la mer du Nord, d'où proviennent les 60 % restants, a été passé dans les années 2000. La production européenne est en léger déclin pour le moment, mais la tendance s'accélérera fortement lorsque la Norvège passera également son pic, d'ici à 2020.
Par conséquent, le remplacement, même en période de transition énergétique, de la moindre centrale nucléaire en Europe par du gaz se fera nécessairement au détriment d'une consommation de gaz ailleurs. On ne peut pas accroître la production actuelle de l'Europe, qui est déjà en baisse.
La récente décision de Mme Merkel de relancer le plan Schröder et de remplacer le nucléaire allemand par du gaz russe aura un effet d'éviction direct sur le consommateur français. Les textes européens n'interdisent pas à l'Allemagne de faire un tel choix, mais la France doit bien comprendre ce que cela signifie pour elle.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 20.)
Ce que la presse désigne de manière erronée sous le nom de gaz de schiste - pour l'essentiel, ce n'en sont pas - correspond en fait à ce que l'on appelle les gaz non conventionnels, catégorie qui recouvre trois familles de gaz.
La moins importante d'entre elles est celle des gaz de schiste, ou plus exactement de roche-mère. Ces gaz se sont formés dans la roche qui contenait les sédiments organiques à l'origine de la formation du pétrole et du gaz et n'ont pas quitté cette roche.
La deuxième famille est celle des gaz de charbon. Il s'agit tout simplement du grisou, que l'on récupère en fracturant les veines de charbon et qui est composé essentiellement de méthane.
La troisième famille est celle des gaz de réservoir compact, qui ont migré depuis la roche-mère où ils se sont formés vers une roche-réservoir, où ils se sont accumulés, comme pour le gaz ordinaire, à la particularité près que la roche-réservoir s'est par la suite un peu resédimentée. La perméabilité n'est donc plus assurée, et il faut la recréer en fracturant la roche-réservoir. Il s'agit également de techniques de fracturation, comme pour le gaz de schiste, mais sur le plan géologique cela n'a rien à voir.
On trouve du gaz de réservoir compact là où il y a du gaz tout court. On peut trouver du gaz de roche-mère là où il y a des roches-mères, mais ce n'est nullement une certitude : depuis la surface, on peut seulement savoir s'il y a des roches-mères ; pour savoir si elles contiennent du gaz, il faut forer. À titre indicatif, lorsque l'on soupçonne, après « échographie », qu'une formation géologique contient du pétrole, les forages d'exploration ne donnent rien cinq fois sur six.
Avons-nous en France des gaz de schiste ? On ne peut pas le savoir tant qu'on n'a pas foré. Y a-t-il en Europe des gaz de réservoir compact ? La réponse est non. Y a-t-il du gaz de charbon ? Pour les pays qui ont des gisements de charbon, la réponse est oui ; pour la France, où il reste très peu de charbon, la réponse est non.
Confondre gaz de schiste et gaz non conventionnels, schiste et gaz de schiste et tout extrapoler à la France est un mauvais raccourci médiatique. En réalité, nous ne savons pas si un approvisionnement en gaz de schiste est possible en France. Quand bien même cela le serait, l'exploitation du gaz de schiste est considérablement plus capitalistique que celle du gaz conventionnel.
Tout le gaz du gisement de Lacq a été extrait par un seul forage d'exploitation. Pour les gaz non conventionnels, un puits draine une surface d'environ un kilomètre carré. Il faut donc forer un puits tous les kilomètres pour exploiter un gisement : je vous laisse imaginer ce que cela donnerait dans les Cévennes ! Il faut donc pouvoir forer facilement et disposer de suffisamment de capitaux pour le faire en permanence.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 21.)
Quelles sources d'énergie sont utilisées en Europe pour fabriquer de l'électricité ? Contrairement à la réponse couramment donnée à l'occasion d'un sondage réalisé aux États-Unis, l'électricité ne sort pas du mur, il faut la produire.
En Europe, l'électricité provient en grande partie du charbon. Il entre pour moitié dans la fabrication de l'électricité allemande. Du reste, l'Energiekonzept allemand, ce n'est pas de construire principalement des éoliennes, c'est essentiellement de produire de l'électricité à partir du charbon et du gaz. L'Allemagne construit actuellement 20 gigawatts de capacité fossile pour pouvoir décommissionner les 23 gigawatts de production nucléaire actuellement en service. Avec un peu de chance, la population allemande diminuera suffisamment rapidement pour que les émissions de CO 2 du pays n'augmentent pas. En tout état de cause, le plan allemand de transition énergétique repose sur l'effet combiné du vieillissement de la population et de l'augmentation de la consommation de gaz et de charbon. La presse française applaudit des deux mains, mais j'ai quelques doutes sur l'intérêt écologique du système...
Le charbon fournit donc un tiers de l'électricité européenne, le gaz entre 15 % et 20 %. Comme je l'ai souligné, la quantité de gaz disponible est déjà en baisse. Viennent ensuite l'hydroélectricité et l'éolien. À l'échelle européenne, l'éolien n'est pas significatif aujourd'hui. Peut-il le devenir ? Ne disposant pas d'assez de temps pour répondre à cette question aujourd'hui, je me bornerai à quelques observations.
Il n'existe pas, aujourd'hui, de foisonnement éolien en Europe. Il est faux de prétendre le contraire. Soit une dépression est installée sur la façade atlantique et les éoliennes injectent leur production électrique sur le réseau, de l'Espagne à la Grande-Bretagne en passant par l'Allemagne et la France, soit il n'y a pas de dépression et donc pratiquement pas de production. Il n'existe pas d'effet de compensation entre le nord et le sud de l'Europe.
Par ailleurs, je suis favorable à ce qu'on limite le bénéfice des tarifs de rachat à la production électrique dont la disponibilité est garantie de façon permanente. Sinon, cela signifie que l'intermittence induite est mise à la charge d'un autre acteur du réseau, sans que celui-ci soit prévenu ni même désigné.
L'intermittence induite oblige d'autres acteurs à prévoir des moyens de back up , de stockage ou d'effacement de consommation. En gros, dans la situation actuelle, on subventionne le producteur d'énergie éolienne pour introduire de l'intermittence dans le réseau électrique et on impose à d'autres d'assumer les surcoûts qui en découlent. Il serait préférable, à mon sens, de distinguer deux sous-catégories au sein des tarifs de rachat : l'une pour le kilowattheure garanti, à savoir celui qui est fourni de manière certaine quand on en a besoin - la production hydroélectrique entre dans cette sous-catégorie -, l'autre pour le kilowattheure injecté dans le réseau au gré de la production, ce dernier valant nécessairement moins cher. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.
Il y a donc des distinctions à faire entre les énergies renouvelables. La production électrique est mieux garantie à partir d'un stock de bois, qui peut être consommé à la demande, qu'à partir de l'éolien, qui fournit de l'électricité uniquement quand le vent souffle. Dans la mesure où l'électricité ne se stocke pas en tant que telle - on stocke de l'eau en altitude ou une séparation chimique dans une batterie -, une source intermittente a nécessairement moins de valeur pour un réseau électrique qu'une source garantie et pilotable.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 22.)
Comment vont évoluer les prix exogènes, c'est-à-dire ne dépendant pas des décisions françaises ?
Le prix du charbon est figuré dans le graphique de gauche. Il entre pour environ 50 % dans le coût de la production électrique issue du charbon. Le prix du charbon est très bien corrélé à celui du pétrole. Par conséquent, comme le prix du pétrole augmentera, sauf récession, celui du charbon suivra la même tendance.
Le prix du gaz - qui constitue 70 % du coût de production du kilowattheure produit à partir du gaz - est figuré dans le graphique de droite. Il a évolué de façon identique au niveau mondial, jusqu'au moment où les États-Unis se sont fortement décorrélés des autres zones, pour des raisons de production domestique, ce qui ne changera rien au destin des Européens, comme nous avons pu le constater récemment. Pour l'Europe, le prix du gaz continuera d'être asservi à celui du pétrole. L'électricité produite à partir du gaz coûtera donc plus cher.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 23.)
J'en viens à l'hydroélectricité. Voilà un modèle qui présente une synthèse des simulations issues du dernier rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC. Il établit l'évolution des précipitations sur la planète selon un scénario qualifié de « charbon haut », c'est-à-dire caractérisé par une utilisation maximale du charbon consommable, avec un pic aux alentours de 2050. Il fait apparaître l'évolution des précipitations en hiver et en été dans l'hémisphère Nord : on constate que le pourtour du bassin méditerranéen s'assèche en toutes saisons et pour tous les modèles. La production hydroélectrique européenne va probablement diminuer.
Or l'hydroélectricité est la plus précieuse de toutes les formes de production électrique, car c'est la mieux modulable et la plus pilotable. La seule installation capable de délivrer 2 gigawatts dans un délai de trois minutes est un barrage. Aucune autre forme de production électrique n'en est capable ! La contrainte climatique ne sera donc pas sans incidences.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Comment voyez-vous cette évolution sur la carte ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Les zones colorées en rouge s'assèchent et les précipitations augmentent dans les zones en bleu.
M. Jean Desessard , rapporteur . - C'est une carte de la situation actuelle ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Non, elle présente l'évolution d'ici à la fin du siècle. En gros, l'Europe devrait avoir perdu de 20 % à 30 % de ses précipitations à cette échéance, mais de façon non continue. Il y aura des à-coups, comme en 2003 ou en 2010. Nous connaîtrons de plus en plus des situations de mise sous tension du système.
Les épisodes caniculaires importants ou de grande sécheresse présentent deux inconvénients importants : d'une part, les barrages se remplissent moins bien ; d'autre part, le refroidissement des centrales thermiques devient problématique. Or les centrales thermiques - nucléaire, gaz et charbon - représentent environ 75 % de la production d'électricité européenne.
En 2003, sur les treize dérogations demandées par EDF pour ses centrales thermiques, sept concernaient des centrales nucléaires, et six des centrales à charbon ou à pétrole. Comme nous avons l'association « Sortir du nucléaire », la presse a largement parlé des centrales nucléaires, et pas des centrales à charbon ou à gaz. Néanmoins, la problématique est identique pour toutes les centrales thermiques.
Le TGV qui se rend à Marseille passe à proximité de la centrale à charbon de Gardanne, qui est équipée de très beaux aéro-réfrigérants. Si l'on demande aux voyageurs de quoi il s'agit - je fais souvent ce test -, ils répondent que c'est une centrale nucléaire ! Dans la même situation, un Américain pensera à une centrale à charbon.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 24.)
Je terminerai mon exposé par les énergies renouvelables. Ce graphique retrace la contribution des énergies renouvelables au bilan énergétique mondial en 2010.
L'unité utilisée est le million de tonnes équivalent pétrole. La consommation mondiale équivaut à 14 000 millions de tonnes équivalent pétrole. La première énergie renouvelable est de très loin le bois, qui couvre environ 10 % de la consommation mondiale d'énergie. Vient ensuite l'hydroélectricité, qui, en équivalent primaire, représente environ 5 % de la consommation mondiale. Tout le reste tombe sous la barre de 1 % de celle-ci. J'ai fait figurer les équivalents primaires pour les énergies purement électriques.
Les agrocarburants, que j'appelle « agricarburants » car ils ne sont pas bio, représentent 0,5 % de l'énergie mondiale, soit 1,5 % du pétrole mondial. C'est ridicule. Néanmoins, afin de développer cette ressource, nous sommes déjà en train d'affamer une partie de la planète. (M. Claude Léonard s'étonne.)
En effet, il y a maintenant quinze ou vingt ans que les Américains ont affecté la totalité de la hausse de leur production de maïs à la fabrication d'éthanol. Le Mexique, pour le moment, peut encore payer des importations de maïs grâce à ses excédents pétroliers. Ces derniers disparaîtront dans quatre ou cinq ans, car la part mexicaine de la production du golfe du Mexique est en train de décliner. Que se passera-t-il alors au Mexique ? Je ne sais pas, mais cela risque d'être intéressant !
Aujourd'hui, une pression absolument évidente s'exerce sur les cultures vivrières en raison du développement des agrocarburants. Ce n'est pas la seule : une autre est due au climat.
Cela me permet de répondre en partie à l'une des questions que vous m'avez posées : est-il intéressant de fixer des tarifs de rachat exorbitants ? Ma réponse est non. C'est du gaspillage, à seule fin de se faire plaisir ! Dit autrement, tant qu'il y a de la croissance parce qu'il y a abondance de gaz, de charbon et de pétrole, une telle mesure sert uniquement à se donner bonne conscience en recyclant des surplus. Le jour où l'économie sera durement atteinte parce que l'approvisionnement français en pétrole, en gaz et en charbon commencera à décliner, on arrêtera de se livrer à ce genre de plaisanteries. C'est en 2004 que j'ai écrit pour la première fois que les subventions au photovoltaïque et à l'éolien s'arrêteraient lorsque surviendraient des récessions justement dues aux problèmes que l'on prétend ainsi éviter. Je crois que nous y sommes.
J'en ai fini avec cette présentation des quelques éléments de réflexion qui, selon moi, doivent encadrer toute analyse sur les tarifs de l'électricité en particulier, et de l'énergie en général.
M. Jean Desessard , rapporteur . - En ce qui concerne les énergies non renouvelables, le pétrole est-il la source d'énergie la plus utilisée ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Oui, dans le mix mondial, le pétrole fournit un tiers de l'énergie primaire. Il représente plus de 40 % de l'énergie finale, c'est-à-dire celle qui est mise à la disposition des consommateurs. Le pétrole domine donc très largement le mix énergétique mondial.
Par ailleurs, dans le système de transport qui, aujourd'hui, est le « sang » de l'économie mondiale, la part du pétrole atteint 98 %. C'est la raison pour laquelle, à l'heure actuelle, le pétrole pilote le PIB en volume. Si demain la France se trouvait privée de moyens de transport, Paris mourrait de faim, il y aurait des émeutes et le pays s'effondrerait !
M. Jean Desessard , rapporteur . - D'abord le pétrole, ensuite le gaz ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Non, le charbon !
Le pétrole représente un tiers de l'énergie primaire mondiale, le charbon 25 %, le gaz 20 %, la biomasse 10 %, le nucléaire et l'hydroélectricité 5 % chacun, et le reste de 1,5 % à 2 %.
Autre précision, le charbon sert essentiellement à produire de l'électricité, à hauteur des deux tiers des quantités extraites. Symétriquement, la première source de production électrique dans le monde est le charbon, qui fournit environ 40 % de l'électricité mondiale.
Toujours pour fixer des ordres de grandeur, j'indique que, entre 1945 et aujourd'hui, la production électrique mondiale est passée de 600 térawattheures, soit la production française actuelle, à 20 000 térawattheures. L'accès massif et démocratique à l'électricité n'est pas le fait de la révolution industrielle, c'est un acquis de la deuxième moitié du XX e siècle.
Par ailleurs, les deux tiers de l'électricité mondiale sont produits à partir de combustibles fossiles, la part du gaz étant de 25 %.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie, monsieur Jancovici.
Monsieur le rapporteur, j'imagine que vous aimeriez maintenant obtenir des réponses à vos questions liminaires ?
M. Jean Desessard , rapporteur . - M. Jancovici a abordé les questions que je lui ai posées sous un certain angle.
Puisque vous avez parlé des volumes, monsieur Jancovici, pourriez-vous maintenant évoquer les coûts ? J'imagine que votre conclusion est qu'ils seront déterminés par les volumes ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Pour partie !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Les volumes détermineront également les politiques énergétiques.
M. Jean-Marc Jancovici . - Pour répondre à la première question que vous m'avez posée au début de l'audition, monsieur le rapporteur, je n'ai pas lu en totalité le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de l'électricité nucléaire. J'en ai seulement lu la synthèse et j'ai eu plusieurs fois le plaisir de discuter avec Mme Pappalardo.
Selon moi, ce rapport est un exercice extrêmement salutaire, qui devrait être répété pour les autres formes d'énergie afin de définir les concepts et de bien préciser de quoi il est question !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Absolument !
M. Jean-Marc Jancovici . - L'électricité d'origine nucléaire va-t-elle demeurer compétitive d'un point de vue économique ? Ma réponse est oui, même en tenant compte du coût des accidents possibles. En effet, si l'on veut tenir compte des externalités pour le nucléaire, il faut également le faire pour toutes les autres énergies.
Par ailleurs, la production d'un mégawattheure d'électricité à partir du charbon entraînant l'émission d'une tonne de CO 2 , si l'on fixe à 100 euros le coût de cette dernière, le coût de production du mégawattheure d'électricité augmente de 100 euros, soit une hausse de 10 centimes par kilowattheure électrique pour le consommateur final.
Dans un marché européen dont la finalité est d'instaurer la concurrence partout et en permanence - ce qui à mes yeux est une ânerie sans nom pour l'électricité -, comme le système s'ajuste, par la magie de la circulation des électrons, qui ne se stockent pas, non sur le coût le plus bas du dispositif de production, mais sur le plus élevé,...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Eh oui !
M. Jean-Marc Jancovici . - ... si l'on augmente de 100 euros le coût de production du mégawattheure par les centrales à charbon, on augmente de 100 euros le coût de production du mégawattheure pour tout le monde !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Exact !
M. Jean-Marc Jancovici . - C'est toute la magie du marché libéralisé ! C'est donc une bêtise, non pas à cause de cette hausse du coût - je suis très favorable à des augmentations de prix de l'électricité pour engendrer des économies d'énergie -, mais parce qu'on crée une rente qui va là où elle ne devrait pas aller.
Le nucléaire restera donc économique. Qu'est-ce qui est important pour la France ? Premièrement, l'état de la balance du commerce extérieur ; deuxièmement, le taux de chômage ; troisièmement, l'état des comptes publics.
Je vais peut-être vous choquer, mais le pouvoir d'achat moyen des Français n'est pas mon premier sujet de préoccupation, car sa baisse est inévitable. Plus on s'arc-boute sur le pouvoir d'achat, plus on dégrade les trois autres indicateurs que je viens d'évoquer. La grande distribution a fait le bonheur du consommateur et le malheur de notre balance commerciale, ainsi que de l'emploi français ! Les subventions à l'énergie feront le bonheur de l'automobiliste pendant une courte période. À cause de l'effet récessif des différents chocs pétroliers, elles aggraveront le chômage et la situation des comptes publics.
Si l'on prend en considération les trois critères qui doivent importer, le nucléaire est la source d'électricité dont l'incidence sur la balance commerciale est le plus faible. Certes, nous dépendons des importations d'uranium, mais celles-ci ne représentent pas grand-chose dans le prix du kilowattheure final. Par ailleurs, on peut stocker l'uranium, ce qui laisse le temps de se retourner : si le Kazakhstan nous fait des misères, on s'adressera au Canada ; si le Canada nous fait des misères, on se tournera vers l'Australie ou le Niger !
En revanche, nous avons seulement trois mois de stock de pétrole, idem pour le gaz, et donc très peu de marge de manoeuvre, comme nous avons pu le constater l'hiver dernier, lors de la vague de froid qui a entraîné une tension sur le marché du gaz. Les Russes et les Norvégiens font de nous ce qu'ils veulent. Les Norvégiens sont accommodants ; les Russes, je ne sais pas ce que cela va donner dans le temps...
Quoi qu'il en soit, nous sommes pieds et poings liés en ce qui concerne les importations de gaz. Il en va de même pour l'Espagne, qui en raison de l'intermittence de la production, a dû doubler son parc éolien d'un parc de centrales à gaz à peu près de même puissance, et qui produit aujourd'hui 2 kilowattheures au gaz pour 1 kilowattheure d'éolien.
Le nucléaire représente donc un optimum pour la production d'électricité de masse. C'est même la seule solution accessible en France : il n'est plus possible de noyer beaucoup de vallées, l'éolien, à cause du caractère diffus et intermittent de sa production, ne tiendra qu'une place limitée, de même que la biomasse. Les calculs d'ordre de grandeur mettent en lumière que le potentiel de biomasse disponible pour fabriquer de l'électricité n'est pas très étendu, surtout si l'on doit vivre dans un monde où l'on utilisera moins d'engrais.
À mes yeux, le nucléaire est donc très compétitif, et ce pour de bonnes raisons.
Faut-il prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes ? Je serais content qu'une telle décision soit prise, mais ce n'est ni à moi ni à vous d'en juger : cette responsabilité incombe à l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, qui a été créée, justement, pour que les décisions relatives au nucléaire ne soient pas le fait du prince. Laissons l'ASN accomplir sa mission. C'est pour moi un point de principe : soit on considère que l'ASN est techniquement compétente pour se prononcer sur l'état des installations nucléaires ; soit on considère qu'elle ne l'est pas, mais alors on remplace les personnes qui se trouvent à sa tête. Si je n'ai pas confiance en l'un de mes collaborateurs, je ne passe pas derrière lui pour refaire son travail : je le vire !
Il revient à l'exploitant de tenir compte des recommandations de l'ASN. Pour la filière graphite-gaz, il faut savoir que l'autorité de sûreté de l'époque, qui était une direction du ministère, avait critiqué ce type de réacteurs et exigé d'EDF des aménagements. EDF, jugeant les coûts trop élevés, a alors décidé de renoncer à cette filière. Il doit en aller de même pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires : il incombe à l'exploitant de faire ses calculs et de mettre en oeuvre les recommandations de l'ASN ou de renoncer à cette prolongation.
En tant que citoyen, je considère que prolonger la durée de vie des centrales nucléaires serait une bonne chose sur le plan économique. Cela étant, si l'ASN estime préférable de ne pas le faire, mon sentiment est qu'il faut construire de nouvelles centrales.
À mes yeux, les sources d'énergie fossiles comportent globalement beaucoup plus de risques que le nucléaire. Jusqu'à présent, je n'ai pas évoqué les risques globaux, notamment le changement climatique. Les « printemps arabes » sont, selon moi, très largement une conséquence de la contrainte énergie-climat. Il est évident que des déstabilisations socioéconomiques massives vont apparaître dans un monde où l'énergie fossile se fait rare et où le climat se dérègle rapidement.
Je préfère, de très loin, vivre avec le risque réel mais maîtrisé lié à l'existence d'une centrale nucléaire qu'avec le risque totalement non maîtrisé que recèle un monde devenant violent et guerrier à cause du manque de pétrole et du dérèglement du climat. Pour avoir bien étudié la question depuis cinq ans, je pense que, malheureusement, cette éventualité est loin d'être une simple vue de l'esprit.
Les tarifs actuels de l'électricité me paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ? Si l'on inclut les externalités liées aux sources d'énergie fossiles, la réponse est non. Je vous ai dit tout à l'heure que si la tonne de CO 2 émise coûte 100 euros, le consommateur doit payer le kilowattheure 10 centimes plus cher.
Je persiste et signe : l'électricité ne vaut pas assez cher. Cela étant, la hausse de son prix doit profiter non pas aux gaziers et aux charbonniers, mais à l'État, via les taxes, qui assurent un recyclage national de l'argent. Les impôts sont nécessaires, toute la question est de bien les choisir.
Les taxes sur l'énergie, à mes yeux, sont de très bons impôts. Elles ne font pas obstacle, par ailleurs, à la promotion des modes de production électrique les plus favorables à la baisse du taux de chômage, à la balance commerciale et à l'équilibre des finances publiques.
Comment les tarifs devraient-ils évoluer selon moi ?
Je pense qu'il faut mettre en place un tarif progressif de l'électricité, et non pas dégressif. Plus on consomme d'électricité, plus on doit payer cher. Certes, une telle mesure est antinataliste, mais tous ceux qui s'intéressent de près à la fiscalité savent très bien qu'une bonne taxe exclut les niches. Les situations particulières doivent être prises en compte grâce à des mesures particulières. Une bonne taxe sur l'énergie a une assiette large, n'admet pas de dérogations et donne de la visibilité. Quand on commence à faire des cas particuliers, c'est le début de la fin. La situation des familles nombreuses qui ont des difficultés à payer leur facture d'électricité doit être réglée en tant que telle, par exemple en leur versant directement une allocation par enfant.
Par ailleurs, pour le gaz et le pétrole, il faut bien sûr également mettre en place une taxe carbone. Pour l'électricité, le problème est largement réglé par le système européen des quotas d'émission de CO 2 . Cependant, ce dernier devrait être complété de deux façons.
Tout d'abord, l'application de la directive devrait, d'entrée de jeu, être prolongée jusqu'à la fin de vie des centrales électriques, afin de donner de la visibilité aux acteurs économiques jusqu'en 2050. Voilà vingt-cinq ans qu'ils me font vivre, je les connais donc bien : sans visibilité, ils ne font rien. Le grand paradoxe est qu'un acteur économique ne sait pas payer de lui-même sa prime d'assurance : il ne calcule pas l'espérance mathématique de ses pertes pour déterminer son action, et par conséquent, en l'absence de visibilité sur le prix auquel il achètera ses quotas d'ici à 2050, il ne fera rien !
La décision de prolonger la directive jusqu'en 2050 ne dépend pas des Français, mais elle peut éventuellement résulter du lobbying que les Français seraient avisés d'exercer à Bruxelles pour que soit affiché dès à présent un prix croissant dans le temps pour les quotas mis aux enchères. Tant que l'on manquera de visibilité s'agissant de la contrainte à venir pour des infrastructures qui durent cinquante ans et qui, notamment pour le nucléaire, demandent des immobilisations de capitaux pendant huit ans avant que ne soit produit le premier kilowattheure, il n'y aura rien à espérer de ces acteurs financiarisés que sont la quasi-totalité des producteurs d'électricité du Vieux Continent. La financiarisation a beaucoup raccourci les échéances. Bruxelles fait fausse route en préconisant une telle libéralisation : le système se porte beaucoup plus mal.
Le seul moyen de corriger à peu près les choses est de mettre en place des quotas avec un prix minimum d'enchères annoncé à l'avance et quarante ans de préavis. Cela n'interdit pas, ensuite, de moduler à la baisse ou à la hausse le rythme de l'augmentation du prix, mais il faut donner de la visibilité : c'est le maître mot dans le monde économique. Si le cadre fiscal change tous les quatre matins, il est à peu près certain qu'il n'en sortira rien de sympathique.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Cela ne peut se faire qu'au niveau européen ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Oui, c'est pourquoi je recommande un lobbying actif de la France à Bruxelles.
L'Allemagne prétend vouloir à la fois lutter contre le changement climatique - elle s'est dotée d'un plan très ambitieux à cet égard - et sortir du nucléaire. Soit, mais il lui faut des quotas très élevés : si elle s'en sort, tant mieux !
J'ai déjà répondu à votre question sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Selon moi, ils sont gérés en dépit du bon sens. Il faudrait plutôt mettre en place un dispositif transversal. J'en ai justement présenté un devant la Cour des comptes il n'y a pas longtemps : le coût à la tonne de CO 2 évitée.
Supposons que l'on envisage de prendre une mesure dont l'effet escompté est d'éviter d'émettre du CO 2 et, très accessoirement, d'importer des combustibles fossiles. Par exemple, il peut s'agir d'instaurer une prime à la casse pour les voitures ou une prime à l'installation des éoliennes. Cette mesure va déformer notre avenir : en comparant ce que serait celui-ci avec ou sans mesure, à la fois sur le plan de l'équation économique d'ensemble et sur celui des émissions de CO 2 , on déduit le coût à la tonne de CO 2 évitée.
Ainsi, si l'on produit des panneaux photovoltaïques en France, le coût à la tonne de CO 2 évitée est de l'ordre de 10 000 euros : il faut dépenser 10 000 euros d'argent public pour éviter l'émission d'une tonne de CO 2 . Si l'on produit de tels matériels en Chine, le solde est négatif, le temps de retour sur carbone pour un panneau fabriqué en Chine grâce à de l'électricité produite à partir de charbon chinois étant de l'ordre de trente ans, ce qui est supérieur à la durée de vie du panneau. Autrement dit, subventionner la production de panneaux photovoltaïques en Chine revient à subventionner une augmentation des émissions de CO 2 .
M. Jean Desessard , rapporteur . - Pourriez-vous reprendre cette explication ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Le panneau photovoltaïque chinois est fabriqué avec de l'électricité dont la production entraîne l'émission de 800 à 900 grammes de CO 2 par kilowattheure, contre 130 ou 140 grammes de CO 2 par kilowattheure pour un panneau fabriqué en France. Pour un kilowattheure d'électricité chinoise consommée pour fabriquer le panneau, il faut en récupérer 6 à 8 - c'est plutôt 8 - une fois qu'il a été installé en France.
Il se trouve que la quantité de kilowattheures nécessaire pour fabriquer un panneau représente de l'ordre de trois ans de fonctionnement de ce dernier. Comme il faut récupérer huit fois plus d'électricité en France que ce qui a été consommé en Chine pour la fabrication, on en arrive à vingt-quatre années de fonctionnement, et à trente en prenant en compte les équipements annexes. Le panneau fabriqué en Chine doit donc fonctionner trente ans pour que les émissions de carbone liées à sa fabrication soient compensées.
Par conséquent, quand on a subventionné le développement du photovoltaïque en France, on a subventionné un déséquilibre commercial, une non-création d'emplois dans notre pays et une hausse des émissions de CO 2 !
M. Claude Léonard . - Tout à fait !
M. Jean-Marc Jancovici . - On a donc eu faux sur toute la ligne, sans même parler du déséquilibre des finances publiques ! Et je suis écologiste, c'est-à-dire soucieux de préserver un monde stable pour mes enfants, en termes aussi bien de climat que de ressources biologiques et énergétiques ! Le monde a toujours comporté des risques. L'idée d'un monde sans risques est une vue de l'esprit ; il faut simplement choisir les bons.
D'autres mesures que celle que je viens d'évoquer seraient efficaces, mais elles sont moins démagogiques.
Par exemple, augmenter le prix de l'essence est une mesure qui présente un coût à la tonne de CO 2 évitée extrêmement intéressant. Par ailleurs, cela permettrait d'alléger le déficit de la balance commerciale - il a été de 70 milliards d'euros l'an dernier -, de créer de l'emploi en France et d'équilibrer les finances publiques.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Je comprends qu'une augmentation du prix de l'essence puisse permettre d'améliorer les finances publiques, mais en quoi créerait-elle de l'emploi ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Parce qu'il faudra gérer un certain nombre de transitions, notamment en matière d'urbanisme.
L'urbanisme actuel ne résistera pas à une forte contrainte sur l'approvisionnement pétrolier, car une partie de la population vivant aujourd'hui dans les zones périurbaines sera mise hors du jeu économique, donc au chômage. Ce phénomène a déjà commencé : des poches de chômage apparaissent dans les zones périurbaines, par petites touches pour le moment, mais cette tendance va se renforcer.
Il faudra remplacer les voitures actuelles par des modèles de plus petite cylindrée. La mesure la plus efficace pour les trente prochaines années n'est pas de passer à la voiture électrique : c'est de remplacer des voitures qui consomment 6 litres de carburant aux 100 kilomètres par des 2 CV nouveau modèle, dont la vitesse plafonnera à 110 kilomètres à l'heure et la puissance moteur à 30 chevaux, qui pèseront 500 kilos et consommeront 1,5 litre aux 100 kilomètres. Nos ingénieurs sauront très bien concevoir de tels véhicules.
Si Renault et Peugeot se lancent dans la construction de ce genre de voitures, ce sera bénéfique pour l'emploi. Sans cela, ces sociétés feront faillite. Voyez General Motors, qui ne savait fabriquer que des voitures consommant 10 ou 15 litres aux 100 kilomètres au moment du choc pétrolier de 2008.
La TIPP a sauvé l'industrie automobile française, il faut le dire. En forçant pendant cinquante ans les constructeurs français à concevoir de petits moteurs et en amortissant les variations de prix du marché par des taxes qui dépendent des volumes et non des prix hors taxes, on a considérablement stabilisé le système.
Si je préconise une augmentation du prix de l'électricité, ce n'est pas pour faire de la peine au consommateur, c'est pour forcer le Français, qui n'en peut mais, à payer la prime d'assurance qui permettra de stabiliser le pays.
Nous serons certainement tous d'accord ici pour considérer qu'un pays qui n'est pas en paix est un pays dans lequel la prospérité est difficile à trouver. Il existe des situations qui sont des sources potentielles de conflits, y compris en France. Il peut s'agir aussi de guerres civiles larvées, d'émeutes, etc.
Le mécanisme de soutien aux différentes énergies renouvelables me paraît-il mal ciblé ? Oui. Il faudrait réaliser une étude préalable du coût à la tonne de CO 2 évitée lorsque l'on envisage de prendre la moindre mesure budgétaire destinée à faire baisser les émissions de CO 2 . Je ne dis pas qu'il ne faut pas prendre de telles mesures, je dis qu'il faut procéder à une analyse préalable.
Enfin, le prix de l'électricité en Europe devrait-il mieux refléter le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre ? J'ai déjà répondu par l'affirmative à cette question.
À mon avis, il faut lutter pour éviter les incohérences entre la liberté, pour les pays européens, de choisir leur politique d'investissements électriques et l'obligation, pour l'Union européenne, de répercuter les variations de coût résultant des différents choix nationaux sur l'ensemble de la plaque européenne. Autrement dit, si les Allemands prennent une décision qui entraîne une augmentation du prix de l'électricité chez eux, par le jeu du système qui a été mis en place, tous les États voisins en supportent les conséquences, ce qui n'est pas normal. Ou bien les pays européens définissent tous ensemble une politique commune et en partagent les coûts - cette option serait probablement mon premier choix -, ou bien chacun est libre de sa politique et en assume seul les coûts, sans que des interconnexions permettent par exemple aux Allemands d'importer de l'électricité quand ils décident de fermer leurs centrales nucléaires. C'est un principe de responsabilisation des États.
Si les États veulent conserver une marge de manoeuvre, ils doivent assumer la responsabilité correspondante. Sinon, il faut mutualiser et aller vers plus de fédéralisme, ce qui n'est probablement pas la plus mauvaise option.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous félicite, monsieur Jancovici, vous avez bien mené votre exposé. Très sincèrement, je ne savais pas très bien où vous alliez nous mener au début de cette audition ! ( Sourires .)
M. Jean-Marc Jancovici . - J'ajouterai une dernière précision : il ressort implicitement de tout ce que j'ai dit que l'accès au capital privé, dans un monde qui connaîtra une récession tous les trois ans, va devenir considérablement plus difficile. En creux, cela signifie qu'une forme de renationalisation des systèmes électriques ne serait probablement pas une mauvaise idée.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser des questions complémentaires ?
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Effectivement, monsieur Jancovici, votre discours s'écarte de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant. Je pense à votre préconisation d'augmenter le prix de l'électricité.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Elle ne me surprend pas !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous affirmez également qu'il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre si l'on veut éviter un changement climatique qui nous conduirait à une récession importante. Cela signifie qu'il faut réduire la dépendance au pétrole par des économies d'énergie, ...
M. Jean-Marc Jancovici . - Essentiellement dans un premier temps.
M. Jean Desessard , rapporteur . - ... puis renforcer l'efficacité énergétique ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Également. Il y a un bon mix des deux à trouver.
Je prendrai un exemple. Des calculs ont été réalisés pour le compte d'EDF, que je suis autorisé à vous communiquer. L'optimum économique, dans le bâtiment, n'est pas de ramener la consommation d'énergie primaire à 50 kilowattheures par mètre carré et par an ; il est plutôt de l'abaisser aux alentours de 100 kilowattheures et d'augmenter la part de l'électricité au détriment du chauffage au gaz et au fioul, en isolant, mais sans excès. Ramener la consommation à 80 ou à 100 kilowattheures par mètre carré et par an est déjà une jolie performance pour un certain nombre de bâtiments, notamment dans l'ancien. Par ailleurs, passer au chauffage électrique n'empêche pas de faire des choix intelligents : on peut très bien recourir à des pompes à chaleur.
Grâce à un ensemble de telles mesures, on divise par six à huit les émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment et on diminue les importations de produits pétroliers et gaziers. De surcroît, c'est excellent pour l'emploi puisque cela donne du travail aux maçons. Le véritable défi est de revaloriser le travail manuel aux yeux de nos enfants. C'est très cohérent avec ce que j'ai dit précédemment : dans un monde où l'énergie sera plus rare, tout le monde ne pourra pas travailler dans un bureau, de plus en plus de gens vont devoir se remettre à transpirer ! ( Sourires .)
Un mix entre les économies d'énergie, par l'isolation, et l'électrification, avec le recours à une électricité produite sans émissions de CO 2 , me paraît constituer le bon arbitrage.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous n'êtes pas opposé au nucléaire.
Mme Laurence Rossignol . - Non, vous y êtes même très favorable !
M. Jean-Marc Jancovici . - Tout à fait !
M. Jean Desessard , rapporteur . - En ce qui concerne les énergies renouvelables, en revanche, vous avez émis des réserves.
M. Jean-Marc Jancovici . - J'ai souligné que toutes les énergies renouvelables ne se valaient pas. Nous devons être sélectifs et employer un critère de bonne gestion. Si la contrainte doit nous mettre dans une situation financière difficile, il faut faire particulièrement attention à l'efficacité de la dépense budgétaire. Installer un poêle à bois dans une maison de campagne, après l'avoir isolée, ou un chauffe-eau solaire est une excellente idée, mais poser partout dans le pays des panneaux photovoltaïques est une idée saugrenue ! Il faut donc être sélectif et bien savoir pourquoi on prend telle décision plutôt que telle autre.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Êtes-vous favorable à un renouvelable de proximité ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Ça dépend. Pour l'électricité, ça n'a pas de sens, mais ça en a pour la chaleur.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Le chauffe-eau solaire est tout de même fabriqué en Chine !
M. Jean-Marc Jancovici . - Il peut très bien être fabriqué en France, à condition que l'on accepte de le payer plus cher. C'est une affaire de choix : le malheur du consommateur fait le bonheur du salarié, et inversement.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous avez très bien démontré tout à l'heure qu'en subventionnant le photovoltaïque, on favorisait le déficit commercial et l'emploi en Chine au détriment de l'emploi en France, ainsi que la production de CO 2 . Cette démonstration vaut également pour le chauffe-eau solaire !
M. Jean-Marc Jancovici . - Tout dépend du système d'incitation mis en place.
Même pour le photovoltaïque, le prix du système posé varie du simple au triple selon les pays. La France est un pays de profiteurs, les effets d'aubaine sont absolument monstrueux. Encore une fois, tout dépend de la manière d'organiser le système. Si l'on importe des chauffe-eau solaires de Chine pour un montant inférieur au coût du gaz nécessaire pour produire l'eau chaude sanitaire, c'est une bonne affaire. Je ne prétends pas être dès à présent capable d'établir une liste exhaustive et régionalisée des bonnes mesures. En revanche, je sais comment déterminer la bonne réponse en fonction de la zone géographique considérée et de ce que l'on veut faire.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Quoi qu'il en soit, j'ai apprécié votre démonstration. Ce n'était pas le sujet, mais je regrette que nous ne vous ayons pas questionné davantage sur le transport.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Il a parlé des petites voitures !
M. Jean-Marc Jancovici . - En ce qui concerne le transport, il faut augmenter le prix de l'essence et, dans le même temps, planter des « banderilles » dans le dos des constructeurs pour les inciter à réduire la consommation moyenne de leurs véhicules.
Je vais vous livrer un calcul d'ordres de grandeur qui vous intéressera peut-être. Le coût des investissements pour les infrastructures au titre du projet du Grand Paris sera à peu près de 60 milliards d'euros, avant que n'intervienne le fameux « facteur ð », entre le budget prévisionnel et le coût réel.
Par parenthèse, Mme Cécile Duflot, qui s'exprimait l'autre jour sur une chaîne de radio, a posé une question qui m'a fait sourire : qu'est-ce qui coûte finalement le double de ce qui était initialement prévu, à part l'EPR ? La réponse est simple : tout prototype industriel ! Cela est vrai aussi dans le domaine du développement des logiciels.
Pour en revenir au Grand Paris, cette dépense d'environ 60 milliards d'euros débouchera, selon nos calculs, sur un déplacement de l'ordre de 2 % à 3 % de la mobilité motorisée des Franciliens...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Explication ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Soit l'on implante des lignes de transport en commun dans des zones denses, où déjà très peu de gens utilisent leur voiture, et l'on obtient essentiellement un report modal pour des personnes qui ne se déplaçaient pas en voiture, ainsi que de l'induction de trafic : des gens profitent de l'existence d'un moyen de transport en commun en bas de chez eux pour aller se balader alors que sinon ils seraient restés à la maison ! Dans ce schéma, le vrai report modal au détriment de la voiture est marginal.
Soit l'on implante des moyens de transport en commun dans des zones peu denses - par exemple on construit une station de métro sur le plateau de Saclay, au milieu de la pampa -, et alors on n'attire personne, le rayon de la zone d'attraction d'une gare n'étant que de un à deux kilomètres. Les habitants d'une zone peu dense ont tous une voiture et la nouvelle offre de transports en commun ne les attirera guère.
Soit dit en passant, le projet de desserte par le métro du plateau de Saclay aura pour premier effet d'accroître les constructions à usage tertiaire dans cette zone. Le métro n'étant pas encore construit, les résidants se déplaceront en voiture. Le jour où la construction du métro sera achevée, ils ne déménageront pas pour aller s'installer ailleurs. Un tel projet était probablement une très bonne idée en 1930 ou en 1940, mais il est totalement anachronique aujourd'hui.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous parlez du projet du Grand Paris pour les transports ?
M. Jean-Marc Jancovici . - Les projets prévus pour la petite couronne sont intelligents, ceux qui concernent la grande couronne ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux. C'est donc du gaspillage d'argent public. Je le répète, pour un coût de 60 milliards d'euros, on obtiendra un déplacement de 2 % à 3 % de la mobilité motorisée.
Je reprends maintenant l'exemple des petites voitures à faible consommation. Si, après avoir poussé Renault et Peugeot à produire des 2 CV consommant 1,5 litre aux 100 kilomètres, on instaure une prime à la casse couvrant la totalité du prix d'achat d'un tel véhicule - 10 000 euros - au bénéfice de tous les ménages franciliens qui mettront à la casse leur voiture qui consomme 6 litres aux 100 kilomètres, la dépense totale sera de 60 milliards d'euros, puisque l'on compte 6 millions de voitures en Ile-de-France.
Pour la même somme, dans le premier cas, on change la vie de 3 % des utilisateurs de voiture ; dans le second, on change la vie de tous les automobilistes. Si l'on veut éviter que, dans le même temps, les recettes de la TIPP ne s'effondrent parce que la consommation de carburant aura été divisée par trois, il faut multiplier le prix de l'essence par trois. ( M. le président sourit .)
Avec une telle mesure, on résout le problème posé à urbanisme constant, car ce n'est pas en dix ans que l'on peut faire déménager des gens depuis des banlieues lointaines : il faut de cinquante à cent ans pour modifier la forme des villes.
Pour répondre à la contrainte pétrolière qui commence à s'exercer aujourd'hui et qui deviendra particulièrement prégnante dans les dix à quinze prochaines années, la seule possibilité est de diminuer très rapidement, à technologie constante, la consommation unitaire des véhicules.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Claude Léonard.
M. Claude Léonard . - Je vous ai trouvé très sévère à l'égard des éoliennes et du caractère intermittent de leur production électrique. Mon département en compte environ 200, et quelques installations vont encore être réalisées. Je le traverse trois ou quatre fois par semaine, grâce à une voiture qui ne consomme pas 1,5 litre aux 100 kilomètres, et je vois rarement ces éoliennes à l'arrêt. Se mettent-elles systématiquement en marche lorsqu'elles me voient arriver ? ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Il y a des chiffres officiels.
M. Jean-Marc Jancovici . - Comme vous le savez, monsieur le sénateur, la production électrique injectée sur le réseau est fonction du cube de la vitesse du vent. Si la vitesse de rotation des pales double, la puissance injectée sur le réseau est multipliée par huit. Or nous avons du mal à apprécier la vitesse de rotation avec nos sens.
M. Claude Léonard . - Effectivement, mais il faudrait le faire savoir au grand public, qui ignore ce fait et raisonne selon une logique du tout ou rien : soit les éoliennes tournent, soit elles ne tournent pas.
M. Jean-Marc Jancovici . - Voici un début de réponse à votre question.
(M. Jean-Marc Jancovici commente le document 25.)
Des physiciens, au terme d'un long travail de fourmis, de telles informations n'étant pas centralisées, ont récupéré auprès de RTE et de plusieurs autres transporteurs d'électricité européens la puissance injectée sur le réseau par l'ensemble des éoliennes d'Espagne, d'Allemagne, de France, de Grande Bretagne, et du Danemark, le pas de temps étant l'heure, si ma mémoire est bonne.
Soit une dépression est installée sur l'Atlantique et toutes les éoliennes produisent, qu'elles soient en Allemagne, en Espagne, en France, au Royaume-Uni, etc. ; soit un anticyclone est installé sur l'Atlantique, et il ne souffle qu'un peu de vent résiduel sur Gibraltar ou dans le couloir rhodanien. Ce graphique montre que, en moyenne, sur les six mois considérés, la puissance injectée ne dépasse jamais la moitié de la puissance installée, qui est de 65 000 mégawatts. Il montre également que la puissance garantie ne représente qu'un petit pourcentage de la puissance installée. L'intermittence induite, qui doit être compensée soit par des centrales hydrauliques, soit par des centrales à gaz, apparaît clairement.
Les Espagnols ont opté pour des centrales à gaz, ce qui leur coûte maintenant très cher en importations de gaz et en émissions de CO 2 . Ils publient de très beaux communiqués de presse quand c'est la production éolienne qui domine, mais la production des centrales à gaz est trois fois plus souvent dans ce cas !
Les Allemands ont choisi de compenser avec des centrales à charbon. Quant aux Danois, ils ont trouvé une solution géniale. Quand le vent souffle, comme le pays est trop petit pour absorber sa propre production éolienne, il l'exporte vers les pays avec lesquels il est interconnecté, c'est-à-dire l'Allemagne et la Norvège. Le Danemark devant absolument se débarrasser de cette électricité pour sauvegarder l'équilibre du réseau électrique, il est prêt à la vendre à n'importe quel prix. À quel prix croyez-vous que la Norvège est disposée à la payer ? À un prix qui reflète le coût de production marginal d'un barrage, soit le coût des trois minutes de travail nécessaires aux ouvriers norvégiens pour ouvrir et fermer le « robinet »... Les Danois ont donc subventionné une industrie qui vend à l'exportation à un coût marginal quasiment nul. En revanche, lorsque le vent ne souffle pas et qu'ils ont besoin d'électricité, ils en achètent au producteur norvégien, qui leur fait payer le prix fort puisqu'il s'agit d'électricité de pointe !
Voilà pourquoi les Danois ont finalement mis fin aux subventions à l'éolien, qui profitaient en réalité au producteur d'électricité hydraulique norvégien. Les Norvégiens, eux, sont ravis et tout à fait favorables à l'électricité d'origine éolienne, comme, du reste, les vendeurs de gaz ! J'ai assisté, en marge de la conférence de Copenhague sur le changement climatique en décembre 2009, au meeting de l' International Gas Union . J'étais certainement le seul Français présent dans la salle et je n'ai pas aperçu un seul journaliste. Je puis vous garantir que les gaziers, tous en coeur, ont plébiscité l'éolien ! ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Il nous reste à vous remercier et à vous féliciter de votre prestation, monsieur Jancovici.
Audition de M. Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)
( 21 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie beaucoup, monsieur Chabannes, d'avoir accepté notre invitation. Cela dit, vous n'aviez pas le choix ! Certes, je n'aurais pas demandé à deux gendarmes de vous amener de force, mais on ne peut pas refuser de venir à l'audition d'une commission d'enquête parlementaire. ( Sourires .)
Je vous indique que cette commission d'enquête a été créée, à l'initiative du groupe écologiste qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité.
Le rapporteur est membre du groupe écologiste et, pour respecter les usages de la Haute Assemblée en matière d'équilibre politique, le président de la commission est membre du groupe UMP.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et son compte rendu intégral sera publié.
Je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Laurent Chabannes prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - M. le rapporteur vous a envoyé un questionnaire, dont il va rappeler les termes. Je vous demanderai de bien vouloir y répondre dans un laps de temps convenable de manière à ce que nos collègues puissent s'exprimer.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Chabannes, permettez-moi de rappeler les quatre séries de questions que je vous ai adressées.
Première question : la fin du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché, le TaRTAM, a-t-elle posé des problèmes aux industries que vous représentez ? Le niveau auquel a été fixé l'ARENH - 42 euros - et ses perspectives d'évolution vous semblent-ils à même de maintenir la « compétitivité électrique » de la France ?
Deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - sont correctement imputés aux différents agents économiques ?
Troisième question : selon vous, quelles seraient les conséquences pour les industries électro-intensives d'un développement important des énergies renouvelables et quel jugement portez-vous sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE ?
Quatrième et dernière question : quels moyens vous semblent à même de réduire la demande de pointe ?
M. Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies . - Je vous remercie beaucoup, sinon de nous avoir « invités », d'avoir souhaité nous consulter. J'avais pris quelques précautions en demandant à mon avocat quels étaient mes devoirs et mes droits. J'étais donc prévenu de ce qu'il en était. ( Sourires .)
Tout d'abord, permettez-moi de vous faire une présentation rapide de l'UNIDEN, l'Union des industries utilisatrices d'énergie, avant d'évoquer la problématique des électro-intensifs.
L'UNIDEN représente les industries consommatrices d'énergie en France, pour lesquelles la maîtrise des coûts énergétiques constitue un facteur important, souvent essentiel, de compétitivité. Pour certaines de ces industries, l'électricité représente 20 %, 30 % dans le cas de l'aluminium, voire 70 % dans le cadre du chlore, du coût de revient. L'électricité est donc, pour elles, une véritable matière première stratégique. Avec de tels niveaux, l'efficacité énergétique est évidemment un objectif ancien et permanent de toutes nos industries, et nous n'avons jamais cessé de chercher à l'améliorer.
Les 41 membres que compte l'UNIDEN représentent environ 70 % de la consommation énergétique industrielle en France - si on l'évalue à 100 térawattheures, l'UNIDEN en représente 70 - et sont présents dans l'agro-alimentaire, l'automobile, la chimie, les ciments et chaux, l'électronique, les métaux, le papier, le verre... Il est à noter que tous les procédés électrochimiques et électrométallurgiques sont particulièrement électro-intensifs.
Je dirai un mot de ce qui s'est passé depuis plus de dix ans.
Historiquement, les membres de l'UNIDEN ont été les premiers à militer pour la libéralisation des marchés de l'énergie en Europe. Ils ont donc été les premiers à sortir des tarifs réglementés, dès 1999.
Ils ont également été les premiers à tirer la sonnette d'alarme sur les dysfonctionnements du marché de l'électricité, où l'électron est considéré comme une commodity , ces dysfonctionnements ayant eu des conséquences très graves pour nous : une spirale de hausse des prix déconnectée des réalités économiques de production ; un alignement par le haut des offres de fourniture électrique ; une impossibilité de contracter à long terme et, au final, une absence de réelle concurrence, le monopole sous le contrôle de l'État ayant été remplacé par un petit monopole incontrôlé.
Face à ces dysfonctionnements, le législateur français a réagi.
À cet égard, je rappellerai toutes les décisions importantes qui ont été prises.
Ainsi, a été mis en place le dispositif qui a donné naissance à Exeltium - loi de décembre 2005 et décret de mai 2006. Après deux années d'âpres débats avec la direction de la concurrence à Bruxelles, il a obtenu le feu vert de la Commission européenne en 2008.
Ensuite, en décembre 2006, a été instauré le TaRTAM, dont ont pu bénéficier les membres de l'UNIDEN au cours de ces dernières années et qui a été prorogé à plusieurs reprises.
Le TaRTAM ayant été remis en cause par la Commission européenne, qui y voyait une aide d'État potentielle - souvenons-nous de la menace extrêmement sérieuse qui pesait alors -, la France a adopté l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, qui permet aux concurrents d'EDF d'accéder au coût réel du parc nucléaire historique.
Les consommateurs français peuvent donc bénéficier, avec l'approbation de Bruxelles, de ce parc nucléaire historique, qui est aujourd'hui en très grande partie amorti. C'est un beau résultat, que l'UNIDEN salue.
Enfin, le profil de consommation de nos membres présente deux intérêts majeurs pour le système électrique français. La plupart du temps, ils sont réguliers et prévisibles : nous sommes donc les partenaires naturels d'une production en base, qu'elle soit d'origine nucléaire ou hydraulique. En outre, par l'effacement, les industriels consommateurs d'électricité peuvent réduire leur consommation d'électricité à la demande et soulager le réseau en période de pointe ; mais nous reviendrons ultérieurement sur cette question.
À l'instar de ce qui se pratique ailleurs dans le monde et parfois dans les pays voisins, les industriels électro-intensifs français ont besoin, pour survivre, que soient actionnés quatre leviers : l'accès durable au parc nucléaire historique aux conditions définies par la CRE, sur la base des recommandations du rapport Champsaur ; une rémunération compétitive de leurs capacités d'effacement, de modulation et d'interruptibilité ; la non-participation aux coûts de développement des énergies renouvelables et la mise à l'abri du risque carbone.
J'en viens maintenant aux questions qui m'ont été transmises.
La fin du TaRTAM a-t-elle posé des problèmes aux industries que vous représentez ? Le niveau auquel a été fixé l'ARENH - 42 euros - et ses perspectives d'évolution vous semblent-ils à même de maintenir la « compétitivité électrique » de la France ?
Tout d'abord, il convient de rappeler que le TaRTAM a été fixé en 2007 à un prix supérieur de 23 % à celui des tarifs réglementés. Dès 2007, l'industrie a payé son électricité à un prix qui était déjà plus élevé que celui que paient les particuliers.
Par ailleurs, il faut avoir à l'esprit - ce sujet est techniquement complexe - qu'il n'y a pas un TaRTAM, mais un prix TaRTAM spécifique à chaque site industriel, comme c'était le cas pour les tarifs réglementés.
Cela posé, concernant l'ARENH, l'article 1 er de la loi NOME dispose que « le prix est initialement fixé en cohérence » avec le TaRTAM. Cette cohérence théorique initiale avec le TaRTAM a duré au maximum six mois, jusqu'au passage à 42 euros par mégawattheure, en janvier 2012. La cohérence entre le TaRTAM autour de 40 euros par mégawattheure pour un site vert et l'ARENH de juillet 2011 est vraiment apparente et très brève.
Pour connaître l'impact réel du passage à l'ARENH, l'UNIDEN a mené auprès de ses membres une étude portant sur 47 sites industriels représentant une consommation annuelle totale de 12 térawattheures. Cette étude, qui a été finalisée au début de l'année 2012, a été réalisée avec beaucoup de sérieux et de manière détaillée. Nous avons comparé, d'une part, le niveau du TaRTAM entre juillet 2010 et juin 2011 et, d'autre part, le coût d'approvisionnement sous le régime de l'ARENH en 2012.
Sans entrer dans le détail des hypothèses de calcul, que nous tenons à la disposition de votre commission, je rappelle que le coût d'un « approvisionnement ARENH » intègre un certain nombre de frais : la marge commerciale du fournisseur, le coût de la garantie bancaire et des délais de paiement à EDF.
Je vais vous livrer les résultats, que nous avons d'ailleurs communiqués à la CRE, qui cherche à élargir cette analyse.
Sur les 47 sites, 13 sites sont gagnants et 34 sites sont perdants. Ce sont les sites les plus importants qui sont aussi le plus défavorablement impactés. La hausse a été très forte puisqu'elle a été de 6 % en six mois seulement.
Et si l'on intègre la part transport et les taxes, on dénombre 41 sites perdants, avec une hausse de 7 %.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Pour tout le monde ?
M. Laurent Chabannes . - Bien sûr !
Notre étude a en outre révélé l'élément suivant.
Alors que la construction tarifaire qui fondait encore le TaRTAM permettait aux sites importants qui consomment en base de bénéficier de prix plus compétitifs, donnant ainsi un signal favorable aux consommateurs en base que nous sommes, avec les vertus que cela implique et que j'ai rappelées, l'ARENH, même calculé sur la base de la consommation en heures creuses, ne permet pas de valoriser de la même façon ce type de profil. En conséquence, les sites qui bénéficiaient des TaRTAM les plus bas ont subi les hausses les plus fortes.
À cet égard, on ne peut pas dire que la « cohérence TaRTAM » ait été envisagée « du point de vue du consommateur final », comme le recommandait le rapport Champsaur.
J'en viens au niveau de l'ARENH et à l'évolution de son prix.
Tout le monde a juré de dire la vérité, mais j'entends beaucoup de chiffres circuler. Aussi, je me finis par me demander où se trouve la vérité...
Je considère que nous n'avons pas, à notre niveau, d'expertise particulière. Notre point de vue relève de la lecture de tout ce qui a été porté à notre connaissance, ainsi que de nos expériences contractuelles, acquises à la lumière de la vie quotidienne de nos industries.
J'observe que l'évolution du prix de l'ARENH doit toujours correspondre à sa définition, à savoir refléter « les coûts du parc électronucléaire historique ».
Pour ce faire, l'ARENH doit intégrer les dépenses courantes d'exploitation, d'entretien courant, ce qui a été décidé concernant la mise à niveau « post-Fukushima », c'est-à-dire les investissements qui s'avèrent nécessaires au vu de cette catastrophe, ainsi que le provisionnement du démantèlement et du retraitement des déchets.
Quant à la prolongation de la durée de vie, elle ne pourra intervenir que lorsqu'elle aura été décidée par l'Autorité de sûreté nucléaire et que les coûts auront été constatés par la CRE.
Par ailleurs, lorsque le remplacement du parc nucléaire existant interviendra - et s'il intervient comme nous l'espérons -, il ne doit pas être financé par l'ARENH, sauf à retirer le « H » à la fin de cet acronyme.
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est ce qui est prévu !
M. Laurent Chabannes . - En effet ! Mais les propos que j'entends ne respectent pas toujours exactement cette philosophie !
L'UNIDEN rejoint les analyses convergentes du rapport Champsaur de mars 2011 et de la CRE dans sa délibération du 5 mai 2011, à savoir un prix de l'ARENH compris entre 36 et 39 euros par mégawattheure.
Des chiffres circulent, qui ajoutent plutôt à la confusion. Or, nous, nous avons besoin de clarté et de prévisibilité.
Le coût de 49,5 euros par mégawattheure mentionné par la Cour des comptes sur la base des chiffres et de la méthode économique d'EDF ne nous semble pas pertinent pour parler de l'ARENH. Ce coût ne rejoint pas les objectifs sous-tendus par l'ARENH. La Cour des comptes reconnaît que le parc nucléaire est en grande partie amorti, expliquant que « l'essentiel de l'amortissement a été concentré sur les exercices de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix ». La Cour des comptes ajoute que, à partir des bilans d'EDF, elle évalue la valeur nette comptable du parc d'EDF à 17,9 milliards d'euros. Pour nous, il n'y a pas de débat sur ce point.
La méthode du coût courant économique citée - et non pas recommandée - par la Cour des comptes équivaut à appliquer à un parc qui est, comme on vient de le voir, en grande partie amorti, et sur lequel l'essentiel du capital a déjà été rémunéré, des coûts correspondant à la construction du même parc aujourd'hui. Or il ne s'agit pas de cela, pas plus qu'il ne s'agit d'intégrer le financement d'un futur parc. La question se posera quand l'échéance sera venue, en fonction de la durée de vie des centrales nucléaires existantes - cinquante ou soixante ans, selon nous - et de l'évolution de la consommation électrique de notre pays.
D'ailleurs, la CRE a montré l'inadaptation de cette méthode au calcul du prix de l'ARENH. « Se plaçant hors du débat tarifaire », la Cour des comptes n'a pas voulu trancher sur la pertinence du coût courant économique appliqué à l'ARENH.
L'UNIDEN demande que soit vraiment clarifiée la méthode utilisée pour faire évoluer le prix de l'ARENH. Vous imaginez bien les décisions que doivent prendre nos membres. Nous attendons le décret fondateur. Nous appelons de nos voeux le début des travaux menés sous l'égide de la CRE et nous affichons notre confiance dans la pertinence du modèle de calcul retenu par la CRE.
À ce stade, nous nous bornons à observer que le niveau de 36 euros est aussi légitime que celui de 39 euros. Je rappelle tout de même que c'est un choix comptable qui fait passer d'un niveau à l'autre.
Une autre variable est essentielle aux yeux des membres de l'UNIDEN, à savoir l'évolution des volumes disponibles pour les industriels via l'ARENH.
Au-delà de l'ARENH, permettre aux industriels d'accéder, via des engagements de long terme, à des moyens de production hydroélectrique ou nucléaire serait de nature à favoriser le maintien, voire le développement, d'activités électro-intensives en France.
Après tout ce que nous avons entendu récemment, nous souhaitons que soit examinée la possibilité pour les industriels de financer les investissements de prolongation, ou certains d'entre eux, à hauteur de leurs besoins, ce qui leur permettrait d'accéder durablement au coût du parc nucléaire historique.
Autrement dit, les industriels capteraient les droits d'usage sur une partie du parc nucléaire historique, à charge pour eux de financer les investissements de prolongation.
Ce pourrait être de la responsabilité des industriels, et non pas de celle des particuliers. ( M. le rapporteur fait une moue dubitative .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est un message du président de l'UNIDEN au président de la commission, qui est très favorable à cette proposition ! ( Sourires .)
M. Laurent Chabannes . - C'est vrai !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il me manquait un maillon pour comprendre...
M. Laurent Chabannes . - J'aborderai maintenant la question de la compétitivité électrique de la France.
Si l'on regarde avec un oeil acéré certaines régions du monde - les plus pertinentes à nos yeux sont celles où se situent souvent les centres de production des industries électro-intensives -, à savoir l'Amérique du Nord, la Chine, les pays du Golfe, l'Australie, force est de constater que des décisions politiques ont été prises dans toutes ces régions pour favoriser le développement et/ou le maintien d'industries électro-intensives. Ce sont des arbitrages politiques qui ont été retenus.
En Amérique du Nord, il y a des valeurs publiques. Ainsi, aux États-Unis et au Québec, il existe des tarifs ou des prix de gré à gré réservés aux industries visant à les faire bénéficier du patrimoine énergétique local quand elles sont très sensibles au prix de l'électricité. Il existe un tarif patrimonial au Québec. Je ne cite pas son prix, qui est basé sur l'hydroélectrique du Québec ; il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une décision politique tendant à favoriser le maintien ou le développement d'activités industrielles sur ce territoire.
Il en est de même en Chine, grâce à l'accès à un prix de charbon très compétitif, que j'appellerai aussi « patrimonial ». Mentionnons, au passage, que les consommateurs chinois ne paient pas de composante CO 2 . Toute la production de l'aluminium en Chine se développe pour l'essentiel avec des centrales au charbon.
C'est aussi le cas dans certains pays du Golfe, grâce à une production d'électricité à partir de gaz patrimonial. Le prix du gaz facturé aux industriels est de 1,5 dollar par million de Btu, alors que l'Europe achète son gaz entre 8 et 10 dollars par million de Btu. Les pays du Golfe ne paient pas de composante CO 2 . Il y a donc bien un arbitrage entre le fait de vendre du gaz sur les marchés des pays développés et celui de développer une industrie locale. Ils pourraient parfaitement vendre le gaz, le liquéfier, le transporter, le regazéifier et obtenir un prix du gaz supérieur à 1,5 dollar. Ils procèdent autrement, en développant une industrie locale.
Pour notre part, nous souhaitons pouvoir accéder durablement aux prix de l'ARENH, avec des perspectives qui soient clarifiées, même si ces prix sont supérieurs aux prix pratiqués dans les zones que je viens de mentionner.
En effet, en fonction de l'électro-intensivité de nos activités, le prix de la fourniture électrique n'est pas le seul critère pour un groupe industriel qui décide d'implanter une usine, d'investir dans des installations existantes, voire de suspendre ou de reprendre la production. Au-delà du prix, il existe d'autres critères tels que la non-sensibilité au risque carbone, la disponibilité d'une production électrique de base de forte puissance et la prévisibilité du tout. Ces critères ont aussi, à nos yeux, de la valeur.
La production d'électricité nucléaire française répond à chacune de ces exigences. C'est pourquoi nos industries, dont la consommation électrique est à la fois prévisible à moyen et long terme et souvent « plate », sans à-coup, constituent un partenaire économique et stratégique idéal pour le parc nucléaire en France, comme elles le sont de la production hydroélectrique à très grande échelle au Canada ou dans certains pays du nord de l'Europe, telles la Norvège et l'Islande.
La production électronucléaire est essentielle à la compétitivité électrique de la France. Le pire des signaux qui puisse être envoyé aux industriels est que la France envisage de réduire sa production nucléaire. Les dividendes du choix nucléaire sont encore devant nous. Ainsi, la Cour des comptes a conclu « que la durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure de la politique énergétique. Elle a un impact significatif sur le coût de la filière en permettant d'amortir les investissements sur un plus grand nombre d'années. D'autre part, elle repousse dans le temps les dépenses de démantèlement et le besoin d'investissement dans de nouvelles installations de production. »
Je ne vous surprendrai pas en disant que l'UNIDEN souhaite la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires de quarante à soixante ans. C'est la décision la plus rationnelle dans la situation énergétique et économique de notre pays.
Je pense avoir évoqué tous les points en réponse à la première question que vous m'avez posée, monsieur le rapporteur. Mais si vous voulez aborder d'autres points, j'essaierai de vous répondre.
J'en viens à votre deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les industriels électro-intensifs ?
Je répéterai un peu ce que j'ai déjà dit : la politique énergétique est une clé essentielle de la politique économique et industrielle d'un pays. Elle devrait donc être tournée vers la recherche de la meilleure combinaison entre compétitivité et risques du site France.
Il est très important que soient proposés aux différents acteurs des mécanismes adaptés à leur situation propre et aux objectifs industriels et écologiques du pays.
Les industriels électro-intensifs ont quatre particularités, que j'ai déjà mentionnées : le prix de l'électricité est une composante essentielle de leurs coûts ; ils ont un profil de consommation prévisible et régulier ; ils sont soumis à une concurrence mondiale et ils sont donc délocalisables.
Toute décision de politique énergétique et fiscale les concernant devrait tenir compte de ces particularités.
On cite souvent l'exemple allemand, en mettant en valeur sa réussite industrielle malgré un prix de l'électricité plus élevé qu'en France. À cet égard, je voudrais vous donner quelques informations parce que nous avons approfondi ce sujet pour qu'il ne donne pas lieu à des discours quelque peu évanescents et qu'on en parle au contraire en se fondant sur des faits précis.
Nous avons donc étudié la situation de nos homologues allemands, dont certaines usines appartiennent aux mêmes groupes que les nôtres. Il en ressort qu'une batterie de dispositifs permet d'amortir très largement la facture électrique des industries consommatrices allemandes.
S'agissant du coût du transport - part fixe et part variable, hors taxes et contribution -, les sites industriels allemands petits et moyens, c'est-à-dire de 5 à 20 mégawatts, paient en moyenne la moitié de ce que paient leurs homologues français.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Pour la part transport ?
M. Laurent Chabannes . - Oui.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est-à-dire combien ?
M. Laurent Chabannes . - 5 euros par mégawattheure en Allemagne, contre 10 euros en France.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est le prix du transport ?
M. Laurent Chabannes . - Oui !
Pour les sites industriels plus importants, de 40 mégawatts et au-delà, le niveau est, en théorie, à peu près équivalent entre les sites français et allemands. Toutefois, les gros sites industriels allemands bénéficient d'un taux d'exemption de ces frais de transport qui peut atteindre 80 %.
On est dans des zones de coûts de transport qui sont inférieurs à 5 euros par mégawattheure, mais il y a encore un bonus très important qui est accordé aux consommateurs allemands sur la part des frais de transport, laquelle est plus faible quand la puissance est élevée.
Considérons maintenant les taxes et contributions acquittées sur la facture du transport : contribution tarifaire d'acheminement et CSPE (contribution au service public de l'électricité) en France ; surcharges compensatoires des exemptions et EEG - c'est l'équivalent allemand de la CSPE - pour le financement des renouvelables en Allemagne.
L'EEG est limité à 0,5 euro par mégawattheure pour la plupart des industriels électro-intensifs, contre 35,92 euros par mégawattheure pour les consommateurs domestiques. En France, le niveau de la CSPE est le même pour les consommateurs domestiques et industriels, à savoir 10 euros par mégawattheure, mais les industriels bénéficient d'un plafond. Toutefois, à y regarder de près, ce plafond ne comble pas le différentiel favorable aux industries allemandes, même si c'est bien entendu fonction de la puissance. À titre d'exemple, un site français de 60 mégawatts consommant en continu, avec le plafond de 550 000 euros, paie encore 1 euro de CSPE par mégawattheure, soit deux fois plus qu'en Allemagne. Autrement dit, même un site qui bénéficie presque à plein du plafond paie plus cher qu'en Allemagne.
Quant à la contribution censée compenser les exemptions de frais de transport, de 1,61 euro par mégawattheure, elle est elle-même réduite à 0,5 euro par mégawattheure à partir de 100 mégawattheures de consommation annuelle - un niveau très vite atteint dans nos industries -, voire de 0,25 euro pour les industriels dont la facture électrique excède 4 % du chiffre d'affaires.
En conséquence, en Allemagne, les sites petits et moyens paient, sur le poste taxes et contributions, cinq à dix fois moins qu'en France ; les sites plus importants paient environ 50 % de moins en Allemagne.
Au total, si l'on considère la facture transport toutes taxes comprises, les sites petits et moyens paient trois à quatre fois moins en Allemagne ; pour les sites importants, le plafond de CSPE appliqué en France permet de réduire le déficit en défaveur de la France, mais la facture reste 20 % moins lourde en Allemagne qu'en France. Il ne faut donc jamais oublier que, au-delà de la façade, les Allemands agissent en prenant des mesures pour favoriser leur industrie.
Je ferai un dernier point de comparaison.
L'électricité allemande est beaucoup plus carbonée, si je puis dire, que l'électricité française. C'est un fait, mais cela ne se traduira pas pour autant par une perte de compétitivité pour l'Allemagne. En effet, la directive 2009/29/CE relative au système d'échange de quotas d'émissions de CO 2 reconnaît la menace de délocalisations industrielles de l'Europe vers les pays non soumis à un système comparable, ce qu'on appelle le risque de fuite de carbone. Elle autorise donc la compensation financière par les États, avec des effets directs sur l'industrie, liés à l'augmentation du coût de production dû à l'achat de quotas, mais aussi avec des effets indirects, liés à l'augmentation des prix de l'électricité, incorporant le coût des quotas achetés par les électriciens.
L'Allemagne prévoit ainsi d'ores et déjà une vaste redistribution aux industriels de la manne résultant de la mise aux enchères par l'État fédéral des quotas de CO 2 aux producteurs d'électricité. Tout impact négatif sera ainsi compensé.
On en arrive à la situation paradoxale où l'Allemagne sera autorisée à compenser les surcoûts liés à la teneur carbone de leur électricité, alors que la France, dont l'électricité est décarbonée, ne pourra y prétendre, et ce même si le prix de marché intègre une part carbone - c'est le cas actuellement.
Pour conclure sur ce sujet, je dirai que l'Allemagne a mis en place des mesures qui amortissent considérablement les conséquences du choix énergétique allemand pour ses industries, un choix d'ailleurs cohérent avec ses réserves de lignite - l'Allemagne possède, selon les estimations, 250 à 350 années de réserve -, des réserves dont la France ne dispose absolument pas.
Pour répondre à la question du signal-prix, le seul signal-prix à adresser aux industriels est celui de la compétitivité de leurs activités. Les efforts d'efficacité énergétique sont déjà anciens et restent permanents. En témoignent les efforts engagés dans l'industrie du verre ou dans l'industrie de l'aluminium. Si vous examinez la consommation spécifique par tonne produite - je pourrai vous donner ces informations précises -, vous constaterez que, depuis vingt ans, elle n'a cessé de décroître.
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'aimerais avoir des éléments d'information sur l'efficacité énergétique.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous acceptons très volontiers que vous nous fournissiez une comparaison précise entre entreprises allemandes et françaises de verre et d'aluminium, les deux secteurs dans lesquels l'électricité est la première matière première. Notre rapporteur en tirera profit.
M. Laurent Chabannes . - Nous vous les ferons parvenir.
Avant la libéralisation, on avait coutume de dire que les clients domestiques « subventionnaient » les consommateurs industriels alors même que l'égalité de traitement de la loi de 1946 s'appliquait rigoureusement dans le calcul des tarifs réglementés de vente.
Avec la sortie des tarifs, puis le TaRTAM, supérieur de 23 % au tarif réglementé, puis avec l'ARENH, dont le niveau dépasse de très loin le tarif bleu, ce sont bien les industriels qui subventionnent les domestiques. Cela ne nous semble pas aller dans le bon sens. Il ne s'agit pas d'un signal-prix très clair, adapté aux comportements de consommation.
À cet égard, je ferai un petit clin d'oeil. Si, comme le disait ici même le président d'EDF, les modes de production intermittents et aléatoires induisent un surcoût de 20 euros par mégawattheure, une consommation erratique devrait, elle aussi, être facturée plus cher qu'une consommation de base, ce qui n'est pas le cas.
De même, il nous semble intéressant de rappeler ici que les exportations d'électricité ne paient pas le transport : là encore, il n'est pas certain que le signal-prix soit le bon.
La répartition des coûts de l'électricité entre les différents acteurs constitue une décision politique, comme le montre l'exemple allemand, mais comme le montrent aussi la plupart des puissances industrielles dans le monde.
Voilà pour cette deuxième question.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Venons-en à la question des énergies renouvelables.
M. Laurent Chabannes . - J'ai omis de mentionner, monsieur le président, monsieur le rapporteur, que le rapport Énergies 2050 de MM. Mandil et Percebois retient deux catégories devant faire l'objet d'une attention particulière : les consommateurs précaires et les consommateurs industriels. Vous me direz qu'on va reporter tout l'effort sur ceux qui ne sont ni précaires ni industriels ! C'est un peu cela que nous sommes en train d'expliquer...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous auditionnerons prochainement ces deux personnes !
M. Laurent Chabannes . - J'en viens à la troisième question : quelles seraient les conséquences pour les industries électro-intensives, à court et à moyen terme, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE ?
Au travers des précédentes questions, ces points ont déjà été abordés.
Il n'appartient pas à l'UNIDEN de porter un jugement sur les objectifs de développement des énergies renouvelables qui ont été décidés à l'échelon européen et ont été traduits en objectifs nationaux. En revanche, nous pouvons préciser pourquoi leurs conséquences ne doivent pas affecter les industries électro-intensives.
Les conséquences peuvent être d'ordre technico-économique et d'ordre financier.
S'agissant des conséquences technico-économiques, un développement important des énergies renouvelables renforcera la nécessité de disposer d'outils de gestion des pointes de consommation mobilisables même lorsque ces énergies, qui sont par nature intermittentes, ne pourront pas être mobilisées. Dans ce contexte, les effacements industriels sur une base volontaire ont une importance accrue.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est plutôt bien !
M. Laurent Chabannes . - Certes, mais encore faut-il que l'on puisse traduire cela dans les textes et dans les faits. Vous avez peut-être déjà eu ces débats ici au Sénat.
S'agissant du financement des énergies renouvelables, y compris les investissements nécessaires dans les réseaux, il ne peut pas reposer sur les industriels consommateurs d'électricité.
D'une part, les industriels ont un profil de consommation plat, qui ne correspond pas au profil de production intermittent des énergies renouvelables.
D'autre part, ce n'est pas possible économiquement : aucune industrie consommatrice ne peut durablement supporter ces coûts, sauf à imaginer que l'on traite tout le monde de la même façon partout dans le monde.
D'ailleurs, les membres de l'UNIDEN, qui, je le rappelle, sont installés un peu partout dans le monde, constatent que, nulle part, on ne demande aux industriels consommateurs de financer le développement des énergies renouvelables.
À cet égard, permettez-moi de revenir sur l'Allemagne, ce pays ayant lancé une vigoureuse politique de développement des énergies renouvelables. Ainsi que je l'ai déjà signalé, l'EEG, équivalent allemand de notre CSPE, est limité à 0,5 euro par mégawattheure pour les industriels électro-intensifs, contre 35,92 euros pour les consommateurs domestiques. Je tiens à rappeler ce chiffre, car il montre bien que le choix énergétique allemand étant un choix politique, l'Allemagne assume de le faire financer, non par les industriels, mais par les électeurs.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Les électeurs ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous voulez dire les particuliers ?
M. Laurent Chabannes . - Oui, par les particuliers.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Par les consommateurs ! Ou plutôt par les contribuables !
M. Laurent Chabannes . - Par le contribuable-électeur !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous êtes allé directement au vif du sujet ! ( Sourires .)
M. Laurent Chabannes . - Tout à fait ! Vous avez raison, j'aurais dû franchir les étapes les unes après les autres.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Celui qui ne va pas au bureau de vote, il dit : « Moi, je ne paie pas ma part ! »
M. Ladislas Poniatowski , président . - La différence est payée par le consommateur ou le contribuable et par consommateur on entend le particulier ou l'industriel.
M. Laurent Chabannes . - Oui ! Nous sommes d'accord !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous avons bien compris !
M. Laurent Chabannes . - Il doit en être de même en France. Le plafonnement appliqué aux industries en France est une nécessité, même si je vous ai montré qu'il ne suffit pas à combler le différentiel défavorable avec l'Allemagne et même s'il ne protège pas, ou peu, les industriels électro-intensifs de petite et moyenne taille, contrairement au modèle allemand.
En effet, malgré l'existence d'un autre plafond à 0,5 % de la valeur ajoutée - ce plafond existe aussi - par entité légale, nombre d'industriels électro-intensifs de petite et moyenne taille paient une CSPE de plusieurs euros par mégawattheure, voire le taux nominal actuel de 9 euros par mégawattheure, à comparer au 0,5 euro payé outre-Rhin.
C'est pourquoi il ne saurait être question de réviser ces plafonnements à la hausse : c'est le moins que nous puissions demander ; tel est le message que nous vous adressons.
J'en viens à la quatrième et dernière question : quels moyens nous sembleraient à même de réduire la demande de pointe ? Quelles mesures pourraient favoriser le développement de l'effacement chez les électro-intensifs ?
Ce sujet est récurrent depuis de très nombreuses années.
L'UNIDEN observe que la forte augmentation de la demande de pointe en France s'explique par une anomalie, à savoir la part très élevée du chauffage électrique, mais aussi, relativement, par une baisse de la consommation de base par les industriels, du fait de la crise et des fermetures de sites. Je rappelle que 700 000 emplois industriels ont été détruits en France au cours de ces dix dernières années. C'est un élément que l'on retrouve dans la courbe de consommation des industries. Cela n'a pas rendu la courbe de consommation électrique de la France plus homogène avec son parc.
À titre d'exemple, le récent pic de consommation s'est traduit par une augmentation de la consommation globale de 18,7 % en février 2012 par rapport à février 2011, alors que, dans le même temps, la consommation industrielle a baissé de 3,8 %.
Réduire la part du chauffage électrique direct - les « grille-pain » - et développer des politiques d'efficacité énergétique sont les deux premières réponses évidentes, mais il ne nous appartient pas d'en décider.
En revanche, nous avons un rôle à jouer dans la gestion des épisodes de pointe. Ainsi, pratiqués par certains sites électro-intensifs depuis les années quatre-vingt, les effacements industriels ont été mobilisés lors de la vague de froid de février 2012, marquée par deux records de consommation.
Si le système électrique français a tenu bon ces jours-là, c'est grâce à la convergence de plusieurs facteurs : la disponibilité des centrales nucléaires, qui était en nette amélioration par rapport aux deux dernières années ; des stocks de gaz naturel élevés, compte tenu de la douceur qui avait prévalu jusqu'alors ; la mise à contribution des centrales thermiques au fioul ; le recours à des importations d'électricité proches de la limite des capacités de transport ; l'apport complémentaire d'énergie éolienne, cette vague de froid étant exceptionnellement accompagnée de vents soutenus ; et le recours aux capacités de cogénération et d'effacement de consommation des industriels.
Mais la convergence de tous ces éléments ne sera probablement pas toujours assurée. II faut donc donner toute sa place au potentiel d'effacement des industriels, il doit être beaucoup plus important que ce qui a été effectivement mobilisé. Il faut savoir qu'il n'a pas été mobilisé de façon si significative que cela. Et je rappelle qu'il s'agit aussi d'émissions de C02 évitées : lorsqu'un site industriel s'efface, il arrête sa production correspondante et celle-ci ne sera pas rattrapée par ailleurs ; il n'y a donc pas d'effet rebond, en quelque sorte.
Nous, nous notons qu'il existe des barrières absurdes.
À titre d'exemple, en février dernier, une usine de 40 mégawatts appartenant à l'un des membres de l'UNIDEN était à l'arrêt lorsqu'il lui a été demandé de s'effacer le lendemain, jour de pic.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Permettez-moi de vous interrompre quelques instants.
Vous dites que, lors des deux jours de pointe, les 7 et 8 février dernier, la consommation industrielle a diminué de l'ordre de 2 % à 3 % par rapport à il y a un an.
M. Laurent Chabannes . - Oui !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Il faut comparer ce qui est comparable : il n'y avait pas de pic de pointe en février 2011.
M. Laurent Chabannes . - Je voulais simplement illustrer que la consommation globale avait augmenté de 18,7 % entre février 2011 et février 2012.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Est-ce une étude que vous avez réalisée auprès de vos 41 adhérents ?
M. Laurent Chabannes . - Ce sont les chiffres de RTE.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je prends un autre exemple : une entreprise qui est fermée veut travailler le lendemain et on lui demande de s'effacer.
M. Laurent Chabannes . - Elle était à l'arrêt.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cette entreprise a déjà été citée lors de précédentes auditions.
M. Laurent Chabannes . - En fait, la raison pour laquelle cet industriel a redémarré le lendemain, c'est qu'il n'était pas rémunéré pour ne pas redémarrer.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cela nous a été relaté. On a proposé à RTE ou à EDF, je ne sais plus, de ne pas redémarrer. Vous me rémunérez combien ? La réponse a été : rien. Donc, dans ces conditions, l'industriel a dit qu'il redémarrait.
M. Laurent Chabannes . - C'est exactement ce qui s'est passé.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Que voudriez-vous qu'on fasse dans un tel cas ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - Que l'on rémunère celui qui ne redémarre pas !
M. Laurent Chabannes . - Oui, qu'il soit rémunéré.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si quelqu'un dit qu'il arrête toute l'année et, pendant les périodes de février, il est rémunéré...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Non, non !
M. Laurent Chabannes . - Il n'y a pas de danger ! Cela ne se passera pas comme cela !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Il ne s'agit pas de caricaturer, car c'est un vrai sujet.
Le message, on le connaît, on l'a bien compris. Votre souhait de mieux rémunérer l'effacement est un vrai problème. Par rapport à ce qui est fait dans d'autres pays, notamment dans les États américains, il y a une marge de manoeuvre importante en France.
M. Laurent Chabannes . - Oui !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je suis tout à fait d'accord avec vous.
M. Laurent Chabannes . - Il y a d'autres pays où il y a plus de flexibilité intellectuelle, dirons-nous, sur ce sujet.
M. Jean Desessard, rapporteur . - De la part de qui ?
M. Laurent Chabannes . - De la part des acteurs, c'est-à-dire des producteurs, des gestionnaires de réseaux, de l'administration.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Des gestionnaires de réseaux ?
M. Laurent Chabannes . - Je pense que cela concerne tout le monde.
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est un vrai enjeu technique et économique, on l'a bien compris.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je veux simplement entendre M. Chabannes me dire de qui il voudrait plus de flexibilité.
M. Laurent Chabannes . - Je pense que la flexibilité ne concerne pas seulement un acteur. Vous savez bien comment cela se passe en France.
M. Ladislas Poniatowski , président . - On est bien d'accord !
M. Laurent Chabannes . - Il faut quand même arriver à déplacer quelques barrières et ce n'est pas toujours très facile.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Notre système d'effacement peut être beaucoup plus performant.
M. Jean-Pierre Vial . - M. Chabannes est peut-être gêné d'employer le terme « autorité publique »...
M. Laurent Chabannes . - Non, si l'on parle des « autorités publiques », au pluriel.
M. Jean Desessard, rapporteur . - L'ensemble des opérateurs publics et privés.
M. Laurent Chabannes . - Nos préconisations pour favoriser l'effacement des industriels s'intègrent dans le contexte des travaux conduits actuellement par l'administration pour aboutir à la mise en place du mécanisme d'obligation de capacité prévu par la loi NOME. Nous avons beaucoup participé ou, en tout cas, donné notre avis. Un projet de décret a été soumis à la fin du mois de février aux acteurs. Nous avons dit qu'il ne nous semblait pas aller complètement dans la bonne direction. De notre point de vue, il manque certains points, sur lesquels on n'a pas pu obtenir satisfaction.
Sans entrer dans le détail de nos propositions, parce que le sujet est technique et aride...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Si elles concernent l'effacement, cela nous intéresse !
M. Laurent Chabannes . - Je puis vous donner une version écrite de nos propositions.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Volontiers !
Quoi ? Comment ? Combien ? Quel volume ? Quel prix vous semblerait justifié ? En particulier, si vous avez des éléments de comparaison sur la manière dont sont rémunérés les effacements à l'étranger, cela nous intéresse. Du reste, plusieurs de vos groupes industriels ont des unités de production en France et à l'étranger. Cela peut être très intéressant pour nous.
M. Laurent Chabannes . - Sans entrer dans le détail, je vais vous donner quelques pistes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous êtes frustré ! ( Sourires .)
M. Laurent Chabannes . - C'est juste que le détail de la note est très technique et je ne veux pas vous empoisonner avec cela. Moi-même, très franchement, je m'y perds parfois. C'est un sujet compliqué ; il faut donc veiller à dire des choses précises et claires.
La première piste que nous évoquons est la suivante : les effacements pris en compte ne doivent pas exclure la valeur d'un non-redémarrage à un moment où l'équilibre du réseau le rendrait nécessaire, comme je l'ai dit.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous venons d'en parler !
M. Laurent Chabannes . - Ces engagements de non-consommation doivent, eux aussi, être valorisés. L'industriel garantit que, si on le lui demande, sa consommation ne dépassera pas un certain niveau : il prend l'engagement, à la demande, de ne pas dépasser un certain niveau de puissance. C'est le cas de nombre de procédés industriels discontinus. C'est un véritable sujet et il n'est pas convenablement traité aujourd'hui.
Le potentiel d'effacement par engagement de non-consommation est une énorme ressource de capacité, notamment chez les industriels. Je rappelle que 3 000 mégawatts d'EJP, ou effacement jours de pointe, ont été perdus. Cela ne concerne pas seulement les industriels, mais c'est aussi un potentiel dans le secteur tertiaire et chez les consommateurs particuliers. Pour nous, industriels, c'est facile à mettre en oeuvre. Ce potentiel est important parce qu'il est facile de le mettre en oeuvre. C'est peut-être plus compliqué dans d'autres cas, mais, dans notre cas, c'est facile à mettre en oeuvre.
Deuxième piste : la valorisation des capacités de production de pointe doit se limiter explicitement aux seules capacités ne pouvant pas se rémunérer, à l'exclusion de toutes les autres. Autrement dit, il y a des capacités de production qui ne méritent pas d'être traitées comme des capacités de pointe. Sinon, il en résulterait un effet d'aubaine pour toutes les autres capacités.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Voilà !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Quel exemple pouvez-vous donner ?
M. Laurent Chabannes . - Les capacités de base, qui sont certes mobilisées en période de pointe, mais qui ne pâtissent d'aucun déficit de rémunération pour leur maintien en état, contrairement à celles qui ne sont mobilisées que quelques heures par an. Or on les traite de la même façon, ce qui est quelque peu paradoxal : les unes ne supportent pas les mêmes coûts que les autres.
Un mécanisme qui serait à l'avantage des seules capacités de production, surtout de base, serait d'autant plus incompréhensible que les producteurs d'électricité ne sont pas délocalisables, contrairement aux industries électro-intensives. Or l'effet d'aubaine potentiel est énorme. Il se chiffre en centaines de millions d'euros, pour ne pas dire plus.
M. Ladislas Poniatowski , président . - À quel secteur pensez-vous ? Concrètement, quel type d'activité bénéficie de ces effets d'aubaine ?
M. Laurent Chabannes . - Toute la production électrique de base.
Nous recommandons de ne pas traiter tout le monde de la même façon.
M. Ladislas Poniatowski , président . - J'ai bien compris. Vous voulez que celui qui s'efface soit plus rémunéré que celui qui ne le fait pas.
M. Laurent Chabannes . - Celui qui s'efface ou celui qui ne démarre pas sa capacité à ce moment-là.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Une activité saisonnière ! Ça deviendrait une activité en soi.
M. Laurent Chabannes . - Nous soulignons le fait que les industriels, du fait de leur profil de consommation, qui est généralement plat, ne sont pas les responsables de la problématique de la pointe de consommation française. Nous considérons que, si l'on mettait en place ce qui est aujourd'hui recommandé - c'est que nous disons à l'administration -, le mécanisme dégraderait fortement la compétitivité des sites industriels qui ne peuvent pas s'effacer et ne permettrait aux autres sites industriels, par la valorisation de l'effort d'effacement, que de limiter la hausse de leur facture.
Ce n'est pas du tout, nous semble-t-il, l'esprit du rapport Sido-Poignant de 2010, qui est à l'origine des dispositions de la loi NOME.
Ce sujet reste en pointillé. Les débats qui ont eu lieu hier au CSE montrent que la situation n'est pas en voie d'être clarifiée. Mais j'invite les uns et les autres à être extrêmement attentifs à ce point, car il y a des sujets très sensibles derrière. On a encore le temps de s'expliquer et de modifier ce qui peut l'être. Cela nous paraît très important.
Troisième piste : il est urgent de mettre en place un mécanisme transitoire permettant d'amorcer le marché de capacité avant sa mise en oeuvre prévue en 2015. En effet, la France accuse déjà un vrai retard en la matière, alors que ses besoins sont aigus.
À titre d'exemple, l'Espagne a depuis longtemps une politique volontariste de développement et de maintien de ses capacités d'effacement industriel, et dispose aujourd'hui d'un volume de 2 gigawatts, dont une grande partie provient d'engagement de non-consommation. Des interruptions de consommation sont régulièrement réalisées, généralement au niveau régional, toute la puissance offerte au système étant parfois appelée en même temps, ce qui assure au système une gestion optimisée de la demande dans un pays où les interconnexions avec les pays frontaliers sont encore aujourd'hui extrêmement limitées.
En conclusion, je veux insister sur deux points.
Premièrement, l'effacement est le seul moyen de gestion de la pointe extrême qui permette d'éviter l'utilisation de moyens de production émetteurs de C02 que sont les turbines à combustion ou les centrales fioul lourd.
Deuxièmement, la valorisation des effacements peut aussi être un outil de politique industrielle, en contribuant à rétablir une certaine compétitivité pour les électro-intensifs installés en France. L'interruptibilité presse-bouton est sensiblement mieux rémunérée dans certains pays qu'en France, et cela fait des différences substantielles.
Au-delà, je reviens à mon propos liminaire, ce sont des décisions de politique industrielle qui visent à favoriser le maintien ou le développement des industries sur le territoire ou l'inverse.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie d'avoir répondu de manière exhaustive aux questions que vous a posées M. le rapporteur, mais peut-être vos réponses ont-elles suscité de nouvelles questions.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie, monsieur Chabannes, d'avoir répondu de manière effectivement exhaustive à mes questions.
J'ai bien compris que vous souhaitiez, sur l'effacement, une politique un peu plus souple, mais organisée. C'est ce qui ressort de tout ce que vous avez dit : vous avez besoin de lisibilité, de règles du jeu connues, tenant compte de la souplesse des sites, de la souplesse de l'activité et de la souplesse de la production. J'ai bien compris tout cela.
Nous continuerons à travailler sur cette affaire d'effacement afin qu'il n'y ait pas d'effet d'aubaine pour certains qui, au bout d'un moment, verraient l'effacement constituer une part de leur rémunération.
J'aimerais vous poser une question complémentaire sur la comparaison entre la France et l'Allemagne concernant le coût pour les industriels. Vous avez dit que les électro-intensifs avaient beaucoup de qualités : la régularité et la prévisibilité dans la demande d'électricité. Vous dites aussi que, même si le prix de l'électricité en Allemagne est plus élevé, il y a des dispositifs qui font que, en fin de compte, l'industriel électro-intensif allemand paie l'électricité moins cher.
J'espère que nous pourrons disposer de cette étude comparative entre le coût en Allemagne et le coût en France.
Par ailleurs, qui paie ? Certes vous avez répondu à cette question, mais j'aimerais y revenir.
S'il y a un coût de l'électricité et qu'il y a des dispenses pour les industriels, qui paie ? J'ai bien compris tout ce que vous avez dit sur le fait que, comme vous avez une production régulière, vous ne voyez pas pourquoi vous iriez payer les aléas des énergies renouvelables. J'ai cru comprendre cela. Vous dites que ce ne sont pas les industriels qui les paient en Allemagne. Alors, qui paie ? Les particuliers ? Les contribuables ? En un mot, qui paie, en Allemagne, le fait que les industriels ne paient pas entièrement le prix de l'électricité ?
M. Jean-Pierre Vial . - J'aimerais vous poser trois questions.
Je ne vous interpellerai pas sur l'interruptabilité, que vous n'avez pas évoquée, afin de ne pas vous mettre dans l'embarras avec vos ressortissants. Sur l'effacement, étant dans un secteur très concerné par les électro-intensifs, je ne peux que souscrire à vos propos, y compris pour regretter que l'on ne mobilise pas : je crois qu'en période de pointe il y avait entre 5 et 7 gigawatts disponibles au niveau du parc industriel qui auraient pu être mobilisés.
J'ai bien retenu ce que vous évoquez quant au risque de parasitage avec l'effet d'aubaine. Vous avez évoqué les discussions qui sont en cours, notamment au sein du CSE. Pourrez-vous nous communiquer vos observations sur le décret qui a fait l'objet de vos interrogations. Il est vrai que l'on en est actuellement à la mise en place du dispositif.
Par ailleurs, pour ce qui concerne le transport, vous avez évoqué la différence avec l'Allemagne. Avez-vous pris en compte dans vos observations, des aides venant de l'État fédéral et celles venant du Land ? Dans le domaine de l'hydraulique, apparaissaient très clairement les aides qui pouvaient provenir directement du Land . Cela permettrait d'apprécier, dans l'aide dont bénéficient les industriels en Allemagne, ce qui vient de l'État et ce qui viendrait éventuellement du Land ?
Enfin, sur le prix pour les électro-intensifs, vous avez longuement évoqué l'ARENH, mais n'avez pas évoqué la situation d'Exeltium. Exeltium avait été créé pour donner de la visibilité, de la garantie au niveau de la rémunération. Est-ce que la mise en place de l'ARENH justifie aujourd'hui Exeltium et quelle est la différence entre les deux pour un industriel ?
M. Claude Léonard . - Le ministre de l'industrie a accordé, fin février début mars, l'exploitation de 16 sites de biomasse, me semble-t-il, sur des sites industriels qui se situent tous, à part un gros site à Aix-en-Provence ou Méreuil, entre 16 et 30 mégawatts de capacité de production électrique. Pensez-vous que c'est une tendance à la marge d'industriels qui veulent se libérer un peu de la tutelle des fournisseurs d'électricité ou bien, dans vos milieux, considère-t-on que cette situation peut s'étendre, notamment dans les industries qui sont fortes consommatrices de vapeur et qui sont en capacité de produire de l'électricité avec de la biomasse - en l'occurrence, c'est un bien grand mot, s'agissant de bois plaquettes - et dans les régions présentant une certaine densité forestière.
M. Laurent Chabannes . - Si vous le permettez, monsieur le rapporteur, je répondrai ultérieurement par écrit à votre question sur les coûts précis en Allemagne, incluant toutes les exonérations, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Je ne veux pas avancer un chiffre aujourd'hui, car je sais quelle vague cela risquerait de déchaîner. ( Sourires .)
Monsieur Léonard, je réfléchirai à votre question. Il y a un prix qui bénéficie de l'obligation d'achat ; cela diminue le coût de la vapeur : en général, c'est comme cela que les industriels se décident. C'était vrai pour la cogénération depuis des années ; je pense que cela reste vrai.
Pour ce qui concerne la question relative au financement de ce qui se passe en Allemagne, à notre connaissance tout vient de l'État fédéral. On ne sait pas bien ce qui se passe du côté des Länder . Cela dit nous allons examiner d'un peu plus près la question.
J'ajoute que nous avons un certain nombre de documents que nous pouvons vous laisser aujourd'hui et que nous compléterons en fonction des questions que vous nous avez posées.
Je dirai un mot d'Exeltium. Il se trouve que je suis président d'Exeltium, mais je ne peux pas, vous le comprenez bien, m'exprimer... Mais je peux quand même expliquer quelle est la philosophie d'Exeltium et quelle est la philosophie de l'ARENH.
La philosophie d'Exeltium n'est précisément pas celle de l'ARENH : ce n'est pas un accès au nucléaire historique. La philosophie d'Exeltium, c'est l'accès au parc nucléaire historique, mais à des conditions de prix aux termes desquelles les industriels participaient à l'effort de renouvellement du parc, c'est-à-dire de développement de nouvelles capacités. Philosophiquement, le prix d'Exeltium est basé sur ce qu'aurait coûté une petite série d'EPR. Les industriels avaient accepté de participer à cela, de financer en achetant des droits d'usage pendant un temps limité qui étaient « backés » par le parc nucléaire existant, afin de financer le développement de capacités nouvelles.
Évidemment, le prix qui en résulte - le contraire serait étonnant - est supérieur au prix du nucléaire historique. Si vous prenez les recommandations de la commission Champsaur et les calculs de la CRE, il s'agit bien du parc existant, avec les dépenses au centime près de l'année divisées par la production. Exeltium, c'est un investissement, un effort des industriels pour participer au développement futur, ce qui suppose de supporter un certain nombre de risques industriels matérialisés. Il s'agit vraiment d'un contrat de partenariat industriel. Exeltium a donné naissance à une première phase, qui a permis aux industriels d'activer la moitié de leurs droits, mais la seconde phase bute sur le contexte d'aujourd'hui : il y a l'accès régulé au nucléaire historique, sans engagement en capital, sans mise de fonds en capital, sans engagement à quinze ans - c'était quinze ans minimum dans le cas d'Exeltium. Les industriels qui participent y mettent du capital qu'ils ne revoient éventuellement qu'à la fin du projet. Tous ces risques sont évalués et, aujourd'hui, cela rend très difficile la concrétisation de la deuxième phase.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie de ces précisions.
Vous n'avez pas profité de la troisième question de notre rapporteur sur la CSPE pour défendre un peu la cogénération. N'était-ce pas quelque chose que demandaient certains de vos adhérents ? Il me semblait que c'était le cas. Mais vous êtes libre de répondre comme vous l'entendez. Cela étant, j'ai été surpris que vous n'en profitiez pas pour faire passer un petit message. Prenez cela en note et, si jamais vous avez des éléments d'information à nous donner, faites-le.
M. Laurent Chabannes . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski , président . - On sait très bien que, avec la cogénération, les aides diminuent, voire sont supprimées.
M. Laurent Chabannes . - Oui !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mais là aussi, ce qui est intéressant c'est de pouvoir comparer ce qui est fait en France par rapport à vos concurrents directs, pour vous gros consommateurs d'électricité. C'est un élément qui m'intéresse. Si vous avez des éléments d'information, ceux-ci pourraient être utiles à notre rapporteur.
M. Laurent Chabannes . - On en a. On a eu peut-être un prisme nucléaire ce matin, parce que ce sont les sujets actuels.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cette question ne demande pas de réponse aujourd'hui, mais nous serions ravis d'avoir des éclairages à partir de l'expérience de vos adhérents.
M. Laurent Chabannes . - À l'occasion de nos réflexions sur le marché de capacités, nous avons évidemment évoqué cette question.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bien sûr !
M. Laurent Chabannes . - Sur ce sujet également, nous pourrons vous faire parvenir de la documentation.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Chabannes, je vous remercie beaucoup de nous avoir éclairés. Ne soyez pas surpris si notre rapporteur vous pose éventuellement par écrit une ou deux questions. Je vous saurais gré de bien vouloir y répondre pour l'aider à compléter le rapport auquel il travaille.
M. Laurent Chabannes . - Bien sûr !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si vous voulez faire preuve d'une certaine souplesse dans vos réponses... ( Sourires .)
M. Laurent Chabannes . - Bien sûr ! ( Nouveaux sourires .)
Audition de Mme Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)
(21 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mesdames, messieurs, avant que nous reprenions nos travaux, je voudrais remercier Mme Michèle Bellon, président du directoire d'ERDF, d'avoir accepté notre invitation, même si, je le signale, c'est une obligation.
Je voudrais vous rappeler l'historique de cette commission d'enquête.
Chaque groupe politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage » pour créer une commission d'enquête ou une mission commune d'information. Le groupe écologiste en a fait usage pour créer cette commission d'enquête. Voilà pourquoi, madame la présidente, nous vous auditionnons aujourd'hui.
Je vais vous demander de respecter l'obligation qui vous incombe du fait de notre statut de commission d'enquête. Pour cela, vous devez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et dites : « Je le jure. »
( Mme Michèle Bellon prête serment .)
Je vous remercie.
M. le rapporteur vous a envoyé un questionnaire assez complet. Il va rappeler les questions afin qu'elles soient enregistrées dans les comptes rendus d'auditions. Je vous demanderai de bien vouloir ensuite y répondre dans l'ordre que vous voulez, en laissant tout de même un petit laps de temps aux membres de cette commission pour qu'ils puissent vous poser des questions complémentaires.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame la présidente, nous vous avons adressé cinq questions que je vais résumer.
Première question : le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien en ligne avec les investissements sur les réseaux de distribution d'électricité ?
Deuxième question : quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et des conséquences que cela aurait sur le TURPE, en particulier dans le cas d'un scénario de forte production d'électricité renouvelable ?
Troisième question : quel commentaire faîtes-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France, et sur sa « pointe » particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Quels leviers d'action préconisez-vous afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ? Nous pourrons évoquer les contrats d'effacement de certains clients, leurs modalités et leur mise en oeuvre.
Quatrième question : quel doit être le coût du déploiement du compteur dit « intelligent », Linky, chez l'ensemble des consommateurs ? À qui ce coût sera-t-il imputé ? Quels seront les bénéfices concrets de Linky pour les différents acteurs concernés ? Ses fonctionnalités sont-elles optimales ?
Dernière question : quel est le coût des pertes d'électricité en ligne sur les réseaux de distribution ? Y a-t-il des moyens de le réduire ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame la présidente, vous pouvez dépasser ou compléter le champ de ces questions ; une grande liberté vous est octroyée en la matière.
Vous avez la parole.
Mme Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF). - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur le service public de la distribution de l'électricité.
Avant d'aborder le coeur du sujet et de répondre précisément aux questions qui m'ont été posées, je vous propose de situer le distributeur au sein du système électrique.
Créée en 2008 lors de la filialisation des activités de distribution d'EDF, ERDF est une entreprise de service public chargée de la distribution publique d'électricité sur 95 % du territoire français.
Je dirai quelques mots pour caractériser ERDF : 1,3 million de kilomètres de réseau gérés, de basse et moyenne tension, ce qui en fait le plus grand réseau d'Europe ; 35 millions de clients desservis ; 11 millions d'interventions techniques réalisées chaque année ; plus de 1 000 implantations d'ERDF sur l'ensemble du territoire ; enfin, 35 000 salariés.
Dans le contexte français, avec un prix de l'électricité particulièrement attractif et identique sur tout le territoire national, il convient de juger de la qualité de la fourniture perçue par nos citoyens non pas sur le seul temps de coupure, le critère B, sur lequel je reviendrai, mais sur la qualité globale du service public.
Lorsque j'ai pris la responsabilité d'ERDF, voilà tout juste deux ans, ma feuille de route était claire : restaurer la qualité du service public, renouer le dialogue social, rétablir la rentabilité de l'entreprise.
En effet, 2009 avait été une année noire : une crise sociale majeure, un taux de satisfaction des clients en chute libre, des concédants critiques, des résultats négatifs. Aller sur le terrain à la rencontre des élus, des clients, des salariés, des organisations syndicales, des managers a été ma première priorité.
J'ai constaté que les procédures retenues à l'occasion de l'ouverture totale des marchés, en juillet 2007, par l'ensemble des parties prenantes, avaient désorganisé et « désoptimisé » la relation entre le distributeur et ses 35 millions de clients. La notion même de « client » s'était effacée au profit de celle de « point de livraison », ou PDL. Cela s'est traduit par une « désoptimisation » de l'ensemble des interventions, entraînant ainsi une totale incompréhension et un très fort mécontentement chez nos concitoyens comme chez les élus locaux.
Ces évolutions, accompagnées d'une compression des effectifs, ont conduit à une dégradation de la qualité de service public, à une sous-traitance non maîtrisée, y compris sur notre coeur de métier, à la fermeture de sites en zones rurales et à une démotivation profonde des salariés.
Nous avons un personnel dévoué, attaché au service public. Tous nos collaborateurs sont d'accord pour faire d'ERDF un distributeur de référence. Avec eux, j'ai donc lancé le projet industriel d'ERDF, centré tout d'abord sur le client, ensuite sur le renforcement et la modernisation du réseau, la proximité territoriale, avec une organisation adaptée aux attentes de nos concitoyens en matière de service public, enfin, sur un dialogue social permanent et de qualité.
En ce qui concerne les clients, la première étape a été de simplifier les procédures d'intervention ; quatorze mois de concertation ont été nécessaires pour obtenir le feu vert, mais c'est maintenant chose faite. Des agences de raccordement ont été créées, des interlocuteurs privilégiés ont été désignés pour l'ensemble des grands clients et pour les élus. Tous les chantiers sont engagés aujourd'hui pour « réhumaniser » et améliorer la relation avec l'ensemble des parties.
Nous devons être encore plus présents sur l'ensemble du territoire. Cela passe par davantage de dialogue avec l'ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux, davantage de présence, et par une application très en amont, dans les projets locaux d'aménagement du territoire, dans la préparation des schémas régionaux climat air énergie et des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables pour réussir l'insertion des énergies renouvelables, mais également dans les conférences départementales créées par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, la loi NOME, sous l'égide des préfets, avec les autorités concédantes. Là aussi, le mouvement est engagé.
Concernant le réseau, il s'agit à la fois d'améliorer la qualité de fourniture, de le développer et de le moderniser pour intégrer les énergies nouvelles et les nouveaux usages : le véhicule électrique et demain le stockage.
ERDF est une entreprise innovante qui prépare l'avenir des réseaux de distribution, et pas seulement avec Linky. Les réseaux de distribution sont déjà dotés de systèmes technologiques évolués et bien plus smart , si vous me permettez cette expression, que la plupart des réseaux de distribution européens : agences de conduite régionales, réseaux auto-cicatrisants, les exemples ne manquent pas. Avec les nombreux démonstrateurs de réseaux intelligents qu'ERDF pilote en France, ou le projet européen Grid4EU, le distributeur français investit déjà pour les réseaux du futur.
J'en viens plus précisément aux deux premières questions de M. le rapporteur, qui concernent à la fois les investissements et le TURPE.
Je dirai d'abord quelques mots sur le TURPE.
Le TURPE, c'est le tarif d'acheminement, qui constitue l'essentiel des recettes du distributeur et du transporteur. Il représente en moyenne, respectivement 28 % et 11 % de la facture du client particulier, soit, pour ce qui nous concerne, 34,5 euros par mégawattheure.
Le TURPE est défini par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, sur des périodes tarifaires de quatre ans - 2009-2013 pour le TURPE 3. Il est perçu par le distributeur, qui en fait plusieurs usages.
D'une part, il reverse sa quote-part au transporteur RTE, Réseau de transport d'électricité, pour environ 3 milliards d'euros, et finance l'achat des pertes pour 1,5 milliard d'euros. D'autre part, il finance ses investissements - 2,8 milliards d'euros en 2011 - et son exploitation - 4,9 milliards d'euros -, c'est-à-dire la maintenance, l'élagage, la conduite, les interventions, ainsi que les redevances et le Fonds d'amortissement des charges d'électricité, le FACÉ, qui sont versés aux autorités concédantes pour une somme de l'ordre de 700 millions d'euros.
Ce sont donc, au total, 7,7 milliards d'euros qui sont investis dans l'économie locale.
J'évoquerai maintenant les investissements.
Nous avons investi 2,3 milliards d'euros en 2009, 2,6 milliards d'euros en 2010 et 2,8 milliards d'euros en 2011, soit une croissance moyenne de 10 % par an. Cette croissance des investissements se poursuit au même rythme et atteindra 3 milliards d'euros en 2012. Ces montants correspondent à la trajectoire TURPE 3 définie pour la période tarifaire 2009-2013.
À ces investissements réalisés par ERDF, il faut bien évidemment ajouter les investissements opérés chaque année par les autorités concédantes, majoritairement en zones rurales, soit quelque 850 millions d'euros en 2011.
Les investissements d'ERDF sont classés en deux catégories que je détaillerai : les investissements indispensables à la poursuite de l'exploitation, d'une part, et les investissements qui concourent à la meilleure performance et la modernisation du réseau, d'autre part.
Pour la première catégorie, les investissements indispensables à la poursuite de l'exploitation, qui représentent environ les deux tiers des investissements, il s'agit essentiellement du développement du réseau, en particulier du raccordement des nouveaux clients et du raccordement des énergies renouvelables, mais également des déplacements d'ouvrages liés aux projets de voirie ou d'urbanisme, des grandes opérations d'aménagement comme la ligne à grande vitesse en Aquitaine, le Grand Paris, de tous les projets de transports en site propre, notamment les tramways, qui mobiliseront les moyens tant humains que financiers d'ERDF, enfin, du respect des obligations réglementaires en matière de sécurité et d'environnement.
En effet, le réseau de distribution d'électricité se développe, et, en 2011, ERDF a raccordé 450 000 nouveaux clients, soit près de 1,5 % de croissance, et mis en service 86 000 nouveaux sites de production d'énergie renouvelable. J'en profite pour signaler que, contrairement à certaines idées reçues, la quasi-totalité des installations de production d'énergie renouvelable est raccordée au réseau de distribution d'électricité.
À la fin de 2011, 95 % du parc éolien, pour un total de 6 063 mégawatts très exactement, et 99 % du parc photovoltaïque, pour un total de 2 321 mégawatts, sont raccordés au réseau de distribution. Sur la seule année 2011, plus de 2 200 mégawatts ont été raccordés sur le réseau géré par ERDF.
Pour ERDF, cet essor des énergies renouvelables implique d'importants investissements liés aux travaux de renforcement des réseaux, même si la loi NOME a mis fin à la réfaction sur le raccordement.
De surcroît, le distributeur finance les renforcements du réseau de transport, ce qu'on appelle la haute tension B, ou HTB, rendus nécessaires par l'insertion des énergies renouvelables sur les réseaux de distribution, et ce pour autant que ce soit techniquement et politiquement possible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le distributeur finance les travaux de fonctionnement du transporteur !
Mme Michèle Bellon . - C'est exact !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pour quel montant ?
Mme Michèle Bellon . - Pour 40 millions d'euros en 2011, qui devraient s'élever à 55 millions d'euros en 2012 : lorsqu'il faut créer un nouveau poste source - nous en avons créé quatre nouveaux uniquement pour les énergies renouvelables en 2011 -, il faut également y amener, soit du 63 kilovolts, soit du 90 kilovolts, qui relèvent donc de RTE. Ces renforcements du réseau de transport sont financés par ERDF.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il est normal que vous financiez le renforcement du réseau de distribution, mais dans quelle proportion ?
Mme Michèle Bellon . - Au début, il a fallu renforcer le réseau de distribution ; puis, lorsque l'interface avec RTE arrive à saturation, il devient nécessaire de renforcer le réseau RTE.
La seconde catégorie, celle qui concourt à la meilleure performance et à la modernisation du réseau, consiste, en fait, à améliorer le patrimoine, à rénover le réseau basse et moyenne tension, à enfouir les lignes là où cela se justifie, à remplacer les câbles souterrains vétustes, notamment en zones urbaines.
La baisse des investissements entre 1995 et 2005 a conduit à une lente dégradation de la qualité des réseaux. Elle a entraîné une augmentation du temps moyen annuel de coupure par client entre 2002 et 2009. Ce temps moyen, hors événements exceptionnels comme les tempêtes, est passé de 42 minutes en 2002 à 85 minutes en 2009. Rappelons que ce même indicateur, qui fait l'objet d'une normalisation, était de l'ordre de 400 minutes dans les années quatre-vingt, mais il est vrai que, à l'époque, la dépendance à l'électricité n'était pas la même. Cette diminution des investissements trouve son origine dans la baisse de plus de 25 % des tarifs en euros constants entre 1993 et 2005.
À partir de 2005, les investissements sont repartis à la hausse. En 2010, nous avons réussi à stabiliser le temps de coupure, et la tendance est aujourd'hui inversée. Je suis donc fière des résultats qu'ERDF a obtenus en 2011 ; le temps moyen de coupure, hors événements exceptionnels, s'est établi à moins de 71 minutes. Il est de 73 minutes, toutes causes confondues, en baisse de 39 % par rapport à 2010.
Avec ces résultats, nous sommes dans le peloton de tête en Europe, en ayant sans aucun doute le meilleur rapport qualité-prix. En effet, selon une étude Eurostat de 2009, et dans l'ordre décroissant des prix, le tarif d'acheminement français se classe en vingtième position sur vingt-sept. D'après cette même étude, le tarif d'acheminement moyen allemand est supérieur de 40 % à celui de la France.
Les résultats de 2011 sont la conséquence de plusieurs facteurs : une reprise significative des investissements ; une mobilisation extraordinaire de l'ensemble du personnel dans un climat social apaisé, je tenais à le souligner ; enfin, une optimisation des dépenses d'exploitation.
Les investissements ont doublé entre 2005 et 2012, passant de 1,5 milliard d'euros à 3 milliards d'euros en 2012, en euros courants, ce qu'a permis une hausse significative du tarif d'acheminement.
Par ailleurs, au-delà de ce temps moyen de coupure annuel, il est tout aussi important de réduire les disparités entre les zones rurales et les zones urbaines. Nous oeuvrons en ce sens et nous avons bien progressé en 2011, mais il reste encore beaucoup à faire.
En 2010, le temps de coupure, toutes causes confondues, avait été de plus de 700 minutes dans le Loir-et-Cher, largement touché par la tempête Xinthia et par les épisodes de neige collante de la fin de l'année 2010. En 2011, le département le plus touché a été le Morbihan, très atteint lors de la tempête Joachim, avec 193 minutes de temps de coupure.
Pour inscrire dans la durée cette amélioration de la qualité du service public qu'attendent nos concitoyens, il nous faut impérativement poursuivre sur cette voie, et surtout être constants dans nos efforts. Ce dont le réseau a le plus souffert, ces dernières années, c'est de la baisse des investissements. Il faut éviter, dans les dix prochaines années, l'effet yo-yo, l'approche court-termiste dans les décisions d'investissement et les fluctuations. La dimension industrielle des réseaux électriques impose stabilité et visibilité. Le maintien d'une politique d'investissements régulière, avec les moyens techniques et humains qui permettent sa mise en oeuvre, est indispensable pour améliorer le réseau, préparer l'avenir et tendre vers un temps de coupure raisonnable, de l'ordre de 60 minutes.
Pour donner une estimation de nos besoins dans les dix prochaines années, les incertitudes sont telles qu'il est nécessaire de prendre quelques précautions oratoires, tant l'exercice est difficile. Néanmoins, toutes les analyses s'accordent pour estimer que les évolutions des systèmes électriques générés par l'évolution des mix énergétiques vont nécessiter des investissements considérables dans les réseaux de distribution comme dans ceux du transport.
Nous estimons les besoins d'investissements sur le réseau de distribution entre 40 milliards et 45 milliards d'euros pour les dix années prochaines, hors Linky. Cette fourchette s'explique de la façon suivante : le montant de 40 milliards d'euros correspond à une hypothèse de développement des énergies renouvelables, les ENR, conforme à la programmation pluriannuelle des investissements, la PPI, et une hypothèse de flotte de 500 000 véhicules électriques à l'horizon de 2022 et à législation constante ; l'autre extrême - 45 millions - serait atteint si le véhicule électrique devait voir son développement confirmé par rapport à l'hypothèse du Livret vert du sénateur Louis Nègre, c'est-à-dire si le nombre de véhicules électriques atteignait 2 millions, ce qui représenterait pour nous 2 milliards d'euros d'investissements supplémentaires, c'est-à-dire, grosso modo , 1 000 euros par véhicule électrique.
M. Jean Desessard, rapporteur . - 1 000 euros par véhicule ?
Mme Michèle Bellon . - Oui.
Autre évolution possible : si, en matière d'énergies renouvelables, nous devions aller au-delà de la PPI ; aujourd'hui, notre pronostic est que, en ce qui concerne le photovoltaïque, nous sommes d'ores et déjà bien au-delà de la programmation pluriannuelle des investissements.
Concernant les évolutions réglementaires, je dirai que la multiplication des textes ces trois dernières années, concernant l'élagage ou les travaux sur l'espace public - le décret « DT DICT » -, pour légitime qu'elle soit, a conduit à une forte augmentation des coûts supportés par le distributeur pour répondre à ses nouvelles obligations. Elle va également conduire à une augmentation du temps de coupure pour travaux. Je plaiderai donc, si vous m'y autorisez, pour une meilleure prévisibilité du cadre réglementaire et une prise en compte de l'impact financier et technique sur le distributeur.
En ce qui concerne l'impact sur le niveau futur du TURPE - nous parlons de dix années, soit deux périodes et demie de TURPE -, d'une façon générale, ERDF ne souhaite pas s'écarter trop significativement de l'inflation, afin de ne pas alourdir exagérément la facture des consommateurs. L'écart souhaité ne peut pas aujourd'hui être estimé, puisque nous sommes au tout début des travaux du TURPE 4 et que cela dépendra à la fois de la structure du TURPE et du modèle tarifaire, ainsi que d'un certain nombre d'incertitudes qui restent à lever. Les travaux du TURPE 4 commencent, la Commission de régulation vient de lancer une consultation sur la structure, qui est la toute première étape de la détermination du TURPE.
Tout cela rend d'autant plus nécessaire de faire preuve de constance dans le niveau des investissements et des moyens alloués à ERDF, par une trajectoire tarifaire raisonnable pour les dix prochaines années. C'est indispensable pour maintenir sur l'ensemble du territoire le tissu industriel compétent et motivé que représentent nos nombreuses entreprises prestataires, entreprises créatrices d'emplois locaux. C'est également le cas pour renforcer la proximité des territoires.
En effet, pour la première fois depuis quinze ans, et après une baisse des effectifs de 30 % à périmètre constant depuis 2000, soit 14 000 suppressions d'emplois, ce qui a contribué à la dégradation du service public, ERDF est créateur net d'emplois en 2011, pour la première fois depuis quinze ans, avec plus de 1 700 embauches dans tous les métiers et dans tous les territoires. Parmi ces embauches, 460 sont issues de l'alternance.
Pour conclure, je dirai qu'il nous faut poursuivre et amplifier ce mouvement, tout en ayant à l'esprit que le prix de l'électricité en France constitue un facteur de compétitivité et d'indépendance nationale.
Je répondrai maintenant à votre deuxième question concernant la structure de la consommation et la « pointe ».
Tout d'abord, la notion de pointe nationale, je tiens à le souligner, est pertinente pour la gestion de l'équilibre entre l'offre et la demande à l'échelon national et pour le dimensionnement des parcs de production et du réseau de grand transport.
En ce qui concerne le réseau de distribution, globalement, les jours les plus chargés en consommation se trouvent en hiver, pour la majorité de nos 2 200 postes. Pour autant, les demandes de consommation et les productions sont réparties sur tout le territoire, ce qui conduit à chaque niveau du réseau, aussi bien pour les 2 200 postes sources qui sont les interfaces avec le réseau de transport que pour nos 750 000 postes de transformation moyenne et basse tension, à des pointes spécifiques et différenciées découlant de la diversité des usages des clients raccordés. Selon que vous vivez dans une région industrielle ou balnéaire, une station de sports d'hiver ou une zone très irriguée, les pointes ne sont pas concomitantes : la pointe nationale est la somme de toutes les courbes, ce qui signifie que nous n'avons pas une pointe nationale sur le réseau de distribution.
D'un point de vue statistique, je relève d'ailleurs que, sur les 22 jours de pointe nationale, seuls 12 jours coïncident avec des pointes constatées localement à partir des courbes de charge des postes sources, soit approximativement la moitié.
La notion de pointe a donc une réalité plus locale pour le réseau de distribution que pour le réseau de transport ou de production. Toute approche en la matière doit donc intégrer la complexité entre l'échelon national et l'échelon local.
Je souhaite par ailleurs attirer votre attention sur les conséquences possibles d'une vision purement nationale en la matière. Tout signal envoyé à l'échelle nationale à un nombre significatif de consommateurs peut engendrer des contraintes particulières sur le réseau de distribution.
En effet, dans les instants qui suivent le passage d'une plage durant laquelle le prix est élevé à une plage durant laquelle le prix est plus faible, le consommateur peut déclencher des usages flexibles qu'il peut décaler : chauffage, eau chaude sanitaire, machines à laver, véhicules électriques. Ce comportement peut être amorti sur un grand nombre de consommateurs à l'échelle nationale, ce qui permettra d'effacer la pointe nationale. Mais ce ne sera plus vrai à un niveau local, où la concentration des consommateurs asservis au signal pourrait être très dense sur une partie du réseau. C'est ce que nous appelons « l'effet rebond ».
Pour répondre à une problématique nationale, on peut alors avoir déplacé le problème à un échelon local, qui se traduira par des besoins de renforcement du réseau. Le niveau de cet effet rebond causé par le report de charge est, de plus, susceptible de s'intensifier à l'avenir avec le développement des usages intelligents asservis.
Que peut-on faire ?
Concernant les mécanismes d'effacement qui contribuent à l'ajustement - vous les abordez dans votre question, monsieur le rapporteur -, je suis favorable à leur développement, pour autant qu'ils prennent en compte la dimension locale des pointes.
Au-delà des mécanismes qui ont fait leurs preuves - heures pleines, heures creuses, par exemple -, qui permettent d'asservir un chauffe-eau ou un lave-linge et doivent être préservés, il est indispensable que les mécanismes futurs qui pourraient être envisagés impliquent bien les gestionnaires de réseaux de distribution.
À cet égard et dans le cadre du mécanisme de capacité qui doit être prochainement mis en place, ERDF a proposé des relations contractuelles tripartites entre, d'une part, RTE et ERDF qui déterminent les rôles de chacun, et, d'autre part, les fournisseurs de capacité : effacement ou production raccordée sur le réseau de distribution.
Enfin, je terminerai en rappelant que le déploiement du système Linky constitue un préalable indispensable au déploiement de masse des solutions évoquées, en donnant accès aux informations nécessaires à l'optimisation et en offrant les relais locaux pour d'éventuelles télécommandes.
Plus généralement, le développement de l'intelligence dans les réseaux, smart grids en anglais, devrait permettre de développer et de tester des systèmes évolués de pilotage de la charge, effacement en temps réel ou « horo-saisonnalité » avancée, afin de limiter les contributions aux pointes nationales et locales. C'est pourquoi ERDF participe à de nombreux démonstrateurs dans le cadre des appels à manifestations d'intérêt de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.
Je suis donc favorable au développement de nouveaux outils de flexibilité, mais il me semble important de souligner devant la commission d'enquête qu'il convient de s'assurer de leur compatibilité avec les spécificités locales des réseaux de distribution, et qu'ils doivent permettent à chacun de jouer son rôle dans l'optimisation globale du système.
Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, concerne les avantages concrets du système Linky.
Ce système est composé d'un système informatique, d'une infrastructure de communications et de compteurs communicants.
Les avantages sont multiples, à l'égard tant de l'ensemble des consommateurs que des autres acteurs du marché de l'électricité et de la collectivité : le client bénéficiera d'une facture calculée sur la base de la consommation réelle et non plus d'une estimation ; de nombreuses interventions seront réalisées à distance et ne nécessiteront plus la présence du client, par exemple la relève des compteurs, le changement de puissance, de fournisseurs ou la mise en service ; les délais d'intervention seront beaucoup plus courts, puisqu'ils seront ramenés de cinq jours actuellement à moins de vingt-quatre heures.
Le système Linky permettra également aux fournisseurs d'électricité de développer de nouvelles offres : grilles tarifaires modulant les journées, les semaines ou les saisons. En outre, Linky est un outil essentiel pour développer les outils de la maîtrise de la demande, la MDE. Il permettra aux clients de disposer d'une information de leur consommation, soit sur internet, soit par l'intermédiaire de leur fournisseur. Avec les compteurs actuels, 12 millions de ballons d'eau chaude sont pilotés à distance. Tout en maintenant cette possibilité, Linky permettra un pilotage différencié de nombreux autres équipements et usages - huit réseaux, huit circuits différents - et, bien entendu, du chauffage électrique en fonction des offres tarifaires et des services qui seront proposés.
Toutes ces nouveautés favorisent les économies d'énergie et l'effacement des pointes de consommation.
Linky permettra de mieux accueillir le développement des productions d'énergies renouvelables d'origine photovoltaïque ou éolienne et les nouveaux usages comme le véhicule électrique. Il sera ainsi un outil essentiel du pilotage des nouveaux équilibres, de la fiabilité et de la sécurité globale du réseau national de distribution d'électricité.
En effet, ces énergies renouvelables sont intermittentes, elles ont une grande variabilité, difficilement prévisionnelle, et le fait de disposer d'outils de mesure et de pilotage sera demain indispensable pour pouvoir piloter et assurer l'équilibre permanent entre l'offre et la demande.
Linky complètera les automatismes qui ont déjà été mis en place sur le réseau d'ERDF. Il facilitera le diagnostic à distance, l'optimisation des investissements et permettra des dépannages plus rapides.
Ces fonctionnalités sont-elles optimales ?
Je formulerai deux observations.
En premier lieu, les fonctionnalités ont été définies après plus de soixante réunions, la plupart organisées sous l'égide de la Commission de régulation de l'énergie. Toutes les parties prenantes ont été associées à cette concertation. Ces réunions ont permis de faire converger des visions et des intérêts parfois divergents des différents acteurs sur les fonctionnalités.
En second lieu, on peut toujours attendre la prochaine génération que le progrès pourrait nous apporter. Mais, technologiquement, non seulement Linky constitue un optimum, mais aujourd'hui il est conçu pour que ses logiciels internes, et donc ses fonctionnalités, puissent être mis à jour à distance. Si de nouvelles fonctions devaient être décidées par la suite, il ne serait pas nécessaire de remplacer les compteurs.
ERDF continue à travailler sur les solutions de demain, sur l'innovation, notamment sur les courants porteurs en ligne, mais les compteurs qui sont conçus aujourd'hui et seront déployés dans la première phase offriront l'ensemble des fonctionnalités. Seules les conditions de transmission, notamment la vitesse de transmission, seraient susceptibles d'évoluer.
Quel est le coût du système et quel est son financement ?
L'expérimentation sur 260 000 compteurs a permis de valider le budget nécessaire au déploiement complet du projet, soit environ 4,5 milliards d'euros sur la période de déploiement, c'est-à-dire sur six ans.
Un tel effort nécessite une sécurisation dans la durée. En tant que présidente d'ERDF, j'ai pris la responsabilité que cet investissement important ne se fasse pas au détriment de l'entreprise publique d'ERDF.
Le budget prévisionnel est équilibré sur vingt ans, c'est-à-dire que les gains, notamment sur les interventions, les déplacements, la relève, mais également sur les pertes, devraient couvrir, à terme, le coût de l'investissement.
Dès lors, deux dispositifs de financement sont en débat : le financement dans le cadre du TURPE, dont vous savez qu'il couvre des périodes de quatre ans, et un financement hors TURPE, c'est-à-dire un financement du surcoût Linky par ERDF.
Dans le second dispositif, ERDF finance ce surcoût et se rembourse ensuite par les gains générés par la mise en oeuvre du système. Dans ce cas, le compteur n'aurait alors rien à payer de plus.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce système a l'air satisfaisant !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Desessard, laissez Mme Bellon terminer sa démonstration !
Mme Michèle Bellon . - Cette solution devrait être sécurisée par la régulation.
Compte tenu de la nature de l'investissement et de son montant, des conditions sont toutefois requises - M. Poniatowski connaît le sujet - pour l'obtention du prêt nécessaire au financement.
Il s'agit en fait de garantir les flux financiers d'ERDF sur la durée d'amortissement du prêt, soit vingt ans, et/ou d'obtenir un droit réel sur les actifs ainsi financés, lesquels appartiennent aux collectivités.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Merci de le rappeler !
Mme Michèle Bellon . - Des discussions sont engagées avec l'ensemble des parties prenantes, les pouvoirs publics, la CRE, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et nous essayons d'avancer.
Il est enfin important de noter que Linky procurera un chiffre d'affaires important et des emplois aux fabricants de compteurs et installateurs implantés sur le territoire national - environ 10 000 emplois directs et indirects, dont 5 000 emplois locaux directs pour les seules opérations de pause -, permettant ainsi le développement d'une filière industrielle qui a vocation à exporter le savoir-faire français. Chaque semaine, nous accueillons des délégations étrangères en visite - nous sommes très observés - et, croyez-moi, notre système a les fonctionnalités et les performances qu'il faut.
Cinquième et dernière question : quel est le coût des pertes ?
De quoi s'agit-il ? Que sont les pertes réseaux ?
Il existe deux types de pertes.
Les réseaux sont constitués de matériaux métalliques conducteurs, en général du cuivre, mais pas seulement, qui génèrent des pertes techniques : ils s'échauffent en raison de l'effet joule ; c'est un phénomène physique. La première catégorie de pertes résulte donc de la circulation du courant dans les câbles, les lignes aériennes ou les transformateurs, qui crée un échauffement naturel. Ce sont des pertes techniques que l'on ne peut pas éviter.
Par ailleurs, tous les gestionnaires de réseaux doivent également faire face à ce que nous appelons des pertes commerciales : une énergie a bien été livrée mais non facturée, du fait de différentes raisons : des tricheries de consommateurs, des consommateurs sans fournisseur, des compteurs défaillants.
L'écart entre l'énergie injectée sur le réseau et celle qui est facturée traduit à la fois les pertes techniques et les pertes commerciales.
En France, c'est l'une de nos spécificités, il a été décidé par convention que ce solde revenait à la charge du gestionnaire de réseau de distribution, et qu'il était couvert par le tarif d'acheminement.
Qu'en est-il des chiffres ?
Le rendement du réseau de distribution est, au final, de 93,8 %, compte tenu des pertes qui s'établissent à 6,2 % ou 6,3 %. Donc, au total, cela représente annuellement entre 23 et 26 terawattheures, dont environ 60 % pour les pertes techniques. Il faut remarquer que ce taux est l'un des meilleurs en Europe. Le coût correspondant aux achats des pertes par ERDF sur le marché - nous achetons sur le marché avant de pouvoir, plus tard, acheter au prix de l'ARENH, l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique - s'établit, pour 2011, à 1,5 milliard d'euros. Ce sont donc des sommes considérables. Le régulateur est particulièrement attentif à cette charge financière ; il a d'ailleurs mis en place une mesure de contrôle de notre performance dans le TURPE 3 en matière d'achat de cette énergie sur les marchés.
Comment réduire ces pertes ?
Le volume des pertes techniques est sensible au volume d'énergie acheminée. Trois facteurs ont une influence prédominante : le climat, les échanges étant différents suivant la température ; la croissance de la consommation ; enfin, la hausse de la production décentralisée.
Le niveau des pertes techniques est comparable à celui que connaissent les autres distributeurs en Europe. Nos efforts porteront donc à l'avenir sur les pertes commerciales, notamment grâce à une meilleure efficacité de la relève permise par Linky.
D'ici à 2020, nous avons ainsi pour objectif d'améliorer de plus de 10 % notre performance dans ce domaine, puis, en régime pérenne, de doter ERDF des outils de diagnostic permettant d'agir sur les pertes commerciales. Cette économie significative repose en particulier sur le saut technologique apporté par le système Linky.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis maintenant à votre disposition pour toute question complémentaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame la présidente, je vous remercie d'avoir répondu avec beaucoup de précision aux cinq questions qui vous ont été posées.
Monsieur le rapporteur, avez-vous besoin d'un complément d'explication sur l'un ou l'autre des éléments de cet exposé ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Oui, monsieur le président. Je comprends votre souci : vous souhaitez que mes collègues puissent également interroger Mme Bellon. Par conséquent, je vais poser mes questions, mais, madame la présidente, vous n'êtes pas obligée d'y répondre immédiatement.
Première surprise : le reversement de 1 milliard d'euros, ou un peu plus, au transporteur. Mais j'ai cru comprendre que c'était pour payer...
Mme Michèle Bellon . - La quote-part d'acheminement.
C'est nous qui percevons,...
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est juste !
Mme Michèle Bellon . - ... ce que nous appelons en jargon anglais du pass route . Donc, sur notre chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros, nous reversons 3 milliards d'euros à RTE.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Comme portefeuille.
Mme Michèle Bellon . - C'est normal.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez parlé d'investissements considérables pour renforcer le réseau des énergies renouvelables.
J'aimerais qu'on me dise - soit directement, soit au travers d'un document -, en quoi l'installation d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques à l'échelon local nécessite-t-il un renforcement de réseau ? Sur combien de kilomètres ? Comment calculez-vous le coût moyen compte tenu de la diversité de situations ? Je voudrais avoir plus de précisions sur l'investissement « considérable » - je reprends votre terme - que nécessite un autre type de production que celui qui existe actuellement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Par comparaison, quels ont été les investissements réalisés sur le photovoltaïque dans les Landes et l'éolien dans le Pas-de-Calais, dont les situations sont totalement différentes ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Sur ces questions tout de même très techniques, soit vous pouvez apporter une réponse très précise dès maintenant, et tant mieux, soit vous pourrez nous la transmettre par écrit dans des documents de travail.
Je souhaiterais obtenir une précision, madame la présidente, sur les notions générales d'investissement et de maintenance.
Vous parlez d'un investissement du réseau. J'ai parfois l'impression - je le sais, ce n'est qu'un terme - qu'il s'agit de maintenance. Par exemple, dans quelle catégorie placez-vous le remplacement de câbles ? Est-ce de l'investissement ou de la maintenance ?
J'ai été surpris, je l'ai déjà dit, des 1 000 euros par véhicule électrique nouveau. Dès qu'un particulier prend un véhicule électrique, le coût d'installation est de 1 000 euros. Donc, si La Poste, par exemple, achète dix véhicules électriques, le coût d'installation pour vous sera de 10 000 euros. Je suis vraiment très étonné.
Enfin, qu'appelle-t-on un réseau cicatrisant ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame la présidente, M. le rapporteur vous laisse la liberté, pour certaines questions très techniques nécessitant des chiffres, de les lui communiquer plus tard.
Mme Michèle Bellon . - Si vous le voulez bien, je commencerai par la fin : le réseau cicatrisant.
Lors de la dernière mission que nous avons effectuée aux États-Unis sur les smart grids - nous faisons beaucoup de benchmarking pour savoir ce que font les autres -, nous pensions que les Américains étaient très en avance. Or, c'est avec amusement que nous avons constaté qu'ils voulaient nous vendre un logiciel auto-cicatrisant - ils sont très bons en marketing -, alors que nous en utilisons déjà depuis trois ans dans l'entreprise.
En fait, sur notre réseau à moyenne tension, nous avons mis en place des automates permettant d'isoler les tronçons du réseau. Quand, par hasard - cela arrive pratiquement toutes les nuits - un véhicule percute un pylône ou qu'un incident quelconque oblige à couper l'électricité sur une partie du tronçon, il y a quelques années, il fallait envoyer une équipe pour interrompre l'électricité. Puis, petit à petit, nous avons installé des automates qui étaient commandés depuis nos agences de conduite.
L'étape suivante a consisté à mettre en place des logiciels qui simulent la totalité de nos réseaux et calculent automatiquement quel est le réseau, l'itinéraire bis le moins chargé qui permettra de délester les clients et de faire en sorte que les clients en aval du point d'interruption soient réalimentés le plus vite possible.
Le logiciel utilisé fonctionne extrêmement bien et permet de minimiser le temps de coupure en cas d'incident sur le réseau. C'est ce que l'on appelle les réseaux auto-cicatrisants, puisque le logiciel calcule, « mouline » très vite pour trouver le réseau le moins chargé et qui, après transfert, pourra supporter la charge supplémentaire.
Je vais maintenant répondre aux autres questions en remontant.
Le prix de 1 000 euros par véhicule électrique résulte des calculs qui ont été faits par nos techniciens avec l'ensemble des parties prenantes, les fabricants de véhicules électriques, les équipes interministérielles concernées par cette question.
L'hypothèse de départ est que, lorsqu'on possède un véhicule électrique, même si 80 % de la population fait moins de 40 kilomètres par jour, notamment en ville, il faut avoir une borne chez soi et une au travail ou sur la voie publique. C'est une moyenne ; il ne faut pas systématiquement deux bornes, mais c'est l'ordre de grandeur.
Les coûts ont été établis en examinant de très près les modes de vie et d'usages, et en estimant le prix du raccordement au réseau des bornes : nous en sommes arrivés à ce chiffre de 1 000 euros par véhicule.
Notre approche a été validée, « challengée » : c'est le coût de raccordement au réseau ; pour installer des bornes dans Paris, Nice ou ailleurs, il faut creuser des tranchées, casser le béton. Les travaux à faire engendrent des frais.
La différence entre investissement et maintenance est délicate, car il est vrai que ce sont deux notions un peu complexes.
La maintenance peut être par exemple l'élagage : lorsque vous coupez des arbres, que vous les taillez, vous n'effectuez aucun investissement ; pourtant, vous engagez des dépenses. Dans le poste de maintenance, qui pèse 4,9 milliards d'euros, il y a toutes les commandes de prestation, par exemple la relève. La relève est une prestation et non de la maintenance, mais elle figure dans ce fameux poste exploitation comprenant de la maintenance, de la conduite, des commandes de prestations. Ce sont des charges d'exploitation comme il en existe dans les collectivités locales.
Il faut ajouter à cette liste la masse salariale, pour 1,9 milliard d'euros, l'immobilier et les véhicules, toute la logistique, les camions nacelles, les petites voitures bleues. Tout cela fait partie des charges d'exploitation.
La liste est un peu longue. C'est pourquoi nous l'avons résumée à maintenance, conduite et élagage.
S'agissant des investissements de renforcement du réseau, nous avons déjà une idée de ce que cela nous a coûté depuis 2005 : 650 millions d'euros.
De quoi s'agit-il ?
Le producteur finance aujourd'hui la totalité du raccordement au réseau, alors que ce n'était pas le cas avant dans la mesure où nous prenions une quote-part à notre charge. Il a en effet fallu la loi NOME pour que le taux de réfaction soit supprimé.
Le réseau doit être renforcé parce qu'il est dimensionné avec des marges et des capacités d'accueil plus ou moins importantes. Or, au fur et à mesure que les installations sont raccordées, les capacités d'accueil arrivent à saturation et il faut créer un nouvel ouvrage, un poste de transformation ou un poste source.
Je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons créé quatre nouveaux postes sources en 2011 uniquement pour des grands champs de photovoltaïque et d'éolien, et nous nous apprêtons à en créer entre six et dix cette année. Un poste source, suivant sa conception, sa localisation, coûte entre 2 millions et 4 millions d'euros.
Pour créer un poste source, qui est, en plus, un poste de transformation entre le réseau de transport et notre réseau, il faut amener l'électricité très haute tension sur ce poste source, et donc les renforcements qui vont avec, ce qui correspond aux 40 millions d'euros en 2011 et aux 55 millions d'euros en 2012 que je vous ai cités tout à l'heure.
Nous n'avons pas de réseaux à dimensionnement infini. Comme un tuyau d'eau, qui a un débit limité, le réseau électrique peut être saturé. Dès lors, vous êtes obligé d'installer un tuyau à côté.
Pour les années à venir, tout dépendra du volume de raccordement.
On estime entre 550 millions et 1,4 milliard d'euros le coût du renforcement du réseau, et non du raccordement au réseau, suivant les hypothèses de développement du photovoltaïque. Alors que la PPI était, je le rappelle, de 5 700 mégawatts de photovoltaïque, nous sommes plutôt aujourd'hui sur une trajectoire de 8 000 mégawatts. Mais nous n'excluons pas un engouement ou des mesures qui permettraient d'atteindre les 12 000 mégawatts.
En tout cas, aujourd'hui, compte tenu du volume de raccordement existant et de ce que nous avons dans les tuyaux, c'est-à-dire de toutes les demandes déjà instruites ou en cours d'instruction - nous avons 1 400 mégawatts en portefeuille aujourd'hui, en plus des 2 300 mégawatts -, à la fin de l'année, nous nous attendons à 3 200 mégawatts. Donc, si nous continuons à un rythme de 900 à 1 000 mégawatts par an, les 8 000 mégawatts sont pour nous une valeur basse.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le coût sera de 550 millions à 900 millions d'euros...
Mme Michèle Bellon . - De 550 millions à 1,4 milliard d'euros d'ici à dix ans.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Sur dix ans ?
Mme Michèle Bellon . - Comme toutes les autres questions portaient sur dix ans, j'ai raisonné sur dix ans.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pour les postes sources, y a-t-il du personnel ou est-ce simplement une interconnexion technique ?
Mme Michèle Bellon . - Il n'y a pas de personnel ; nous utilisons beaucoup de télécommandes à distance.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il y a l'auto-cicatrisant !
Mme Michèle Bellon . - L'auto-cicatrisation se fait dans les agences de conduite, où du personnel travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Ces agents supervisent à distance les 2 200 postes sources.
On crée aussi de nouveaux postes sources pour des usages consommateurs. Par exemple, en Ile-de-France, nous allons créer, dans les deux années qui viennent, un certain nombre de nouveaux postes sources, compte tenu du développement économique de Data Center.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Claude Léonard.
M. Claude Léonard . - Madame la présidente, si j'ai bien retenu tout ce que vous venez de dire, 8 00 sites de production d'énergie nouvelle seront raccordés en 2011. Il s'agit de toutes les ombrières, les petites toitures individuelles ou agricoles...
Mme Michèle Bellon . - Effectivement, il y aura 86 000 raccordements de producteurs photovoltaïques. Au total, cela fait 1 500 mégawatts. Il existe des installations de 3 kilowatts, et des installations de plusieurs mégawatts. En divisant les 1 500 mégawatts, on obtient en moyenne 15 kilowatts.
M. Claude Léonard . - C'est donc la conjonction de tous ces raccordements, vous venez de l'expliquer à l'instant, qui entraîne la saturation et vous oblige à recréer des postes sources ?
Mme Michèle Bellon . - J'ai dit aussi que nous souhaitions être impliqués très en amont dans les schémas régionaux climat air énergie, dont la mise en place a été prévue par la loi portant engagement national pour l'environnement et dans les schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que certains endroits sont saturés.
Par exemple, les lignes de la vallée du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes, où j'étais hier, sont saturées, y compris la ligne RTE de 150 000 volts. Nous devons donc créer une nouvelle ligne RTE.
Dans d'autres endroits, notamment le nord des Alpes-Maritimes, vers Saint-Auban, il va falloir créer de nouveaux postes sources.
Mais il existe aussi des lieux où des capacités d'accueil sont disponibles et où le raccordement est possible sans que cela nécessite des investissements considérables.
Par conséquent, le réseau n'est pas totalement saturé partout uniformément.
M. Claude Léonard . - Je suis quelque peu perplexe parce que, sur le solaire que je connais un peu, un moratoire dit que 500 mégawatts sont accordés par an sur les tarifs préférentiels. Y a-t-il d'autres personnes qui se branchent malgré le tarif non préférentiel ? C'est ma première question.
Seconde question : si je comprends bien, quand le coût est important pour les centrales solaires au sol, à savoir entre 5 millions et 7 millions d'euros pour une quinzaine de kilomètres permettant de regagner le poste source, finalement une négociation s'opère directement entre l'opérateur et RTE afin de trouver un moyen de se rebrancher sur une ligne qui est beaucoup moins loin, mais à condition de créer un poste source.
Mme Michèle Bellon . - Au vu du coût de raccordement, nous recherchons chaque fois les solutions optimisées. L'expérience montre que, aujourd'hui, 1 % du photovoltaïque est raccordé sur le réseau de transport. En réalité, assez peu de négociations ont abouti. Cela signifie aussi que l'on se raccorde à un niveau de tension supérieur, pour de grandes fermes photovoltaïques, et non pour de petites installations.
M. Claude Léonard . - Cela vous laisse de la marge sur les postes sources qui ne sont pas saturés et sur lesquels on envisagerait de se brancher.
Mme Michèle Bellon . - Quand cela arrive, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Claude Léonard . - C'est pourquoi vous souhaitez avoir une lisibilité en amont pour établir des plans...
Mme Michèle Bellon . - Indiquer les endroits où existent des capacités d'accueil sans surcoûts excessifs ; c'est cela qui serait raisonnable.
Je reviens sur votre question du moratoire.
Il y a eu effectivement un moratoire en décembre 2010. Ce moratoire a été débloqué par des textes qui sont sortis en mars 2011. Depuis, l'objectif, c'est 500 mégawatts par an, mais ce n'est ni une contrainte ni une clause couperet.
Actuellement, nous recevons, en nombre de demandes de raccordement - et nous avons l'obligation de raccorder - beaucoup plus que les 500 mégawatts par an. C'est pour cela que les pouvoirs publics ont mis en place un système de régulation selon lequel, pour essayer d'ajuster au mieux le tarif d'achat, on leur transmet tous les trois mois le volume de raccordement demandé et le prix de l'obligation d'achat, modifié en fonction du flux qui arrive.
D'ailleurs, il est amusant d'observer que, sur un trimestre, les courbes de demandes sont assez faibles les deux premiers mois parce que les producteurs font le pari de déposer leur demande le troisième mois en se demandant si l'évolution tarifaire du quatrième mois sera positive ou négative. En tout cas, depuis mars 2011, les deux premiers mois de chaque trimestre ont été faibles alors que le troisième mois enregistrait un pic avant de diminuer. Il y a ainsi un pic tous les trois mois.
M. Claude Léonard . - Vous dites, à propos des 500 mégawatts, que 4 000 mégawatts seraient en stock à la CRE ?
Mme Michèle Bellon . - C'est une autre question : c'est l'appel d'offres de la CRE.
Effectivement, la CRE a lancé un appel d'offres pour des installations de forte puissance. En l'occurrence, la puissance proposée est quatre fois supérieure à celle de l'appel d'offres. Il appartient à la CRE de choisir les projets qui se positionnent le mieux ; cela viendra en sus, pas toujours en sus d'ailleurs parce que certains ont fait des demandes préalables d'études. Donc, certains viendront en sus et d'autres viendront en substitution.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Qu'en est-il de l'exemple concret du producteur situé à 15 kilomètres du réseau ?
Mme Michèle Bellon . - Dans ce cas, il va bien falloir y aller. Or, au moment où ce producteur a fait son étude, il a bien dû voir s'il y avait ou non un réseau au près.
Il est arrivé que certains producteurs - les études et le processus de décision sont parfois longs - se mettent à un moment dans la file d'attente pour bénéficier d'une capacité d'accueil à proximité. Au bout d'un certain délai, ils perdent leur droit à raccordement s'ils ne nous donnent pas de nouvelles. En effet, un certain nombre de projets sont abandonnés en cours de route. Or, s'ils reviennent un an ou dix-huit mois après, il est possible qu'entre-temps les capacités aient été saturées et que le poste à proximité ne soit plus disponible. Il faut alors chercher plus loin le raccordement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier . - Je poserai deux questions rapides.
Premièrement, vous avez dit que le compteur Linky avait créé 10 000 emplois, dont 5 000 pour la fabrication - Le Lot est intéressé, puisque le groupe Core en fabrique -, et 5 000 pour la pose. Cela veut dire qu'ERDF ne poserait pas les compteurs ?
Deuxièmement, vous avez évoqué les courants porteurs en ligne. On en avait beaucoup parlé à un moment donné, et je croyais qu'ils avaient disparu. Pourriez-vous nous donner quelques explications sur ce point ?
Mme Michèle Bellon . - Concernant la pose des compteurs, nous avons prévu de conserver un certain pourcentage de pose par nos propres salariés, ne serait-ce que pour garder la main et notre savoir-faire.
De plus, dans certaines zones particulièrement isolées, il n'y a aucune raison de faire appel à une entreprise, parce qu'il n'y en a pas à proximité et que, de toute façon, nos salariés sont présents. Nous avons tout de même plus de 1 000 implantations sur le territoire, c'est-à-dire, grosso modo, un salarié pour 1 000 clients. Nous avons donc du monde partout sur le territoire.
Par conséquent, dans certains endroits, la pose sera réalisée par nos salariés : nous gardons 10 % à 15 % minimum de pose de compteurs par nos propres salariés. D'ailleurs, cela permettra de mieux accompagner les entreprises, de suivre les évolutions et, je le répète, de conserver notre savoir-faire.
La seconde question concerne les courants porteurs en ligne.
En fait, dans le système Linky, il y a des concentrateurs et des compteurs qui se trouvent chez l'habitant ; il y a aussi des concentrateurs qui regroupent, par grappe, les compteurs, qui sont en général situés dans des postes de transformation. Enfin, il y a un système informatique national.
Entre le compteur et le concentrateur, l'information transite par le câble, qui est aussi le câble d'alimentation en électricité. Cela s'appelle des courants porteurs en ligne, c'est-à-dire qu'on ne met pas un deuxième câble. L'information du compteur transite donc par le câble électrique.
M. Jean-Claude Requier . - À un moment, on a eu beaucoup d'espoir, car on a cru que, comme cela se faisait en Allemagne, nous pourrions passer au numérique, y compris pour le téléphone, par les courants porteurs en ligne. Puis on en a moins parlé. C'est pour cela que je suis heureux de vous entendre.
Mme Michèle Bellon . - Nous travaillons effectivement sur les courants porteurs en ligne, et nous avons pris l'option après l'avoir testée sur 260 000 compteurs. Le signal passe effectivement par les câbles.
En revanche, entre les concentrateurs et le système national, on aurait pu imaginer que l'information passe par GPRS, donc par voie téléphonique, mais il faut une puissance très importante des câbles et, techniquement, nous n'avons pas aujourd'hui la solution. Les États-Unis ont pris ce parti compte tenu des vastes étendues du territoire même s'ils n'ont pas beaucoup de compteurs aujourd'hui. Mais cela conduit à un très grand nombre de communications et à des dépenses d'exploitation importantes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
Mme Michèle Bellon . - Nous, nous avons à peu près un concentrateur pour 100 à 150 compteurs, tout dépend des zones. Donc, nous divisons par 50 ou 100 les communications téléphoniques pour transmettre l'information.
Il y a un arbitrage à faire entre coût d'investissement et coût d'exploitation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je souhaiterais poser deux questions.
Nous n'aborderons pas aujourd'hui la question de la concession et du rapport avec les collectivités locales. Il s'agit pourtant d'une question clé, mais nous ne pourrions pas la traiter en peu de temps. Mes deux questions seront donc plus précises et en lien avec les discussions précédentes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Peut-être Mme Bellon pourrait-elle faire une petite réponse rapide sur la concession.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mme Bellon en a beaucoup parlé ce matin lors de la réunion sur le coût de l'énergie.
M. Ronan Dantec . - Nous ferons des recoupements.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce problème est un peu hors sujet.
Mme Michèle Bellon . - Et les questions peuvent être multiples.
M. Ronan Dantec . - Plus ou moins !
J'en viens à la montée du tarif avec le TURPE 4. Nous avons bien compris qu'il sera plus élevé que le TURPE 3. Il en est de même pour le prix de l'ARENH ; nous avons entendu la CRE sur ce point.
Ne pensez-vous pas que, demain, des consommateurs vont se doter d'énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, mais aussi le petit éolien, qui progresse mais n'est pas encore parvenu à maturité ? Ces clients chercheront d'abord à pratiquer l'autoconsommation, dans la mesure où ils feront une économie sur le prix de vente de l'électricité tout compris, et chercheront ensuite à revendre, même à un petit prix - ce sera assez secondaire dans leur projet -, l'électricité supplémentaire au moment où ils n'en auront plus besoin.
Ma première question est la suivante : comment pourrez-vous gérer une multitude d'opérateurs de ce type avec des compteurs qui marchent une fois dans un sens et une fois dans l'autre, puisque c'est un modèle économique dont on entend énormément parler aujourd'hui.
Ma seconde question porte sur Linky.
Lors des auditions précédentes, un certain nombre d'intervenants nous ont dit que, puisqu'il fallait intervenir pour installer Linky, autant procéder comme pour le ballon d'eau chaude sur le chauffage électrique. Ainsi, pour effacer la pointe, on aurait quelque chose de massif et de très opérant. Mais comment ERDF pourra-t-il gérer si Linky est couplé non pas seulement sur le ballon d'eau chaude, mais aussi sur le chauffage électrique ?
Mme Michèle Bellon . - En ce qui concerne la montée du tarif - TURPE 3 et TURPE 4 -, j'ai tout de même été beaucoup plus réservée que cela. J'ai dit qu'il fallait que nous fassions des efforts constants et que nous évitions l'effet de yo-yo. À mon sens, l'augmentation du tarif d'acheminement ne doit pas être considérable. En revanche, il est vraiment important de maintenir l'effort dans la durée ; c'est du marathon.
M. Ronan Dantec . - Si vous passez de 3 milliards d'euros à 4,5 milliards d'euros d'investissements par an, il faudra quand même trouver la recette.
Mme Michèle Bellon . - C'est une augmentation très modeste par an. Actuellement, nous sommes à 3 milliards d'euros.
Quant à l'autoconsommation, qui est assez développée dans les pays nordiques, notamment en Allemagne, elle est peu pratiquée en France. Force est de constater que, vu le tarif d'achat, il n'est pas très séduisant de consommer une électricité qu'on peut vendre cinq fois plus cher, ou plus. Ce système ne s'est donc pas développé.
Au demeurant, même avec des panneaux photovoltaïques sur une toiture, on ne pourra pas se dispenser d'être raccordé au réseau, parce que, de toute façon, la nuit ou quand il n'y aura pas de soleil, il faudra bien avoir du réseau.
Ce qui me semble important dans les discussions actuelles sur la structure du tarif, c'est de savoir quelle doit être la partie fixe et la partie variable. Les coûts du réseau de distribution sont essentiellement fixes, même s'il y a une part variable avec les pertes.
M. Ronan Dantec . - D'accord.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je reviens sur la question de notre collègue d'une autre manière.
Parmi les 27 pays européens - tous ne sont pas concernés -, dans lesquels est-on obligé de se raccorder et de revendre au réseau, et dans lesquels peut-on être auto-producteur ?
Mme Michèle Bellon . - En France, vous pourriez être auto-producteur. Vous n'y avez pas intérêt, mais c'est possible.
En Allemagne, en Hollande et en Belgique, il existe des systèmes d'autoconsommation, assortis en général de formules d'incitation. De toute façon, cela soulève la question du comptage puisque celui-ci se fait à la sortie de la production et à l'entrée de la consommation : il faut donc plusieurs compteurs.
L'Allemagne, par exemple, a mis en place une forme d'incitation financière à l'autoconsommation : les kilowattheures produits et autoconsommés sont également subventionnés, même s'ils le sont beaucoup moins que ceux qui sont revendus au réseau.
En résumé, il existe des mécanismes assez astucieux.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Dans tous les Länder ou seulement dans certains d'entre eux ?
Mme Michèle Bellon . - Dans certains, parce que vous savez qu'en Allemagne les politiques sont très différentes suivant les Länder . D'ailleurs, même le tarif d'acheminement varie : entre 55 euros et plus de 70 euros par mégawattheure, alors que nous en sommes à 45 euros tout compris, transport et distribution.
M. Ronan Dantec . - Linky fonctionne-t-il dans les deux sens ?
Mme Michèle Bellon . - Oui, Linky est totalement bidirectionnel.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On va faire, comme en Allemagne, de l'autoconsommation : on passe par le compteur pour pouvoir bénéficier éventuellement d'une subvention sur l'autoproduction.
Mme Michèle Bellon . - Cela fait partie des fonctionnalités, c'est faisable.
M. Ronan Dantec . - Si le réseau français tel qu'il est connaissait un boom de l'autoconsommation, des ajustements seraient peut-être nécessaires. Mais, globalement, il tient le choc.
Mme Michèle Bellon . - Cela nécessiterait des investissements de la part de chaque client particulier, puisqu'il faut une boucle qui ramène l'électricité avec des modes de basculement de pilotage.
En revanche, il ne faut pas sous-estimer le fait que, de toute façon, le réseau est nécessaire en secours, comme s'il n'y avait pas de production.
M. Ronan Dantec . - La logique que nous suivons est donc de se connecter ! Et Linky ?
Mme Michèle Bellon . - Pour l'effacement il n'y a aucun problème, puisque Linky est l'outil rêvé pour le faire. C'est l'un des moyens qui va nous permettre d'accompagner toutes les solutions d'effacement de pointe.
Ce système ira beaucoup plus loin qu'Ecowatt, dans lequel nous sommes aujourd'hui engagés et qui fonctionne, d'ailleurs plutôt bien, sur la base du volontariat : on suscite un geste citoyen en envoyant un texto au consommateur pour qu'il s'efface.
Demain, les clients auront la possibilité de commander à distance leur installation en cas d'alerte ou de baisse de la consommation, voire d'effectuer des modifications de façon plus automatique ou de confier cette prestation à un tiers fournisseur ou à un prestataire de service. L'effacement est donc facilité par Linky.
M. Ronan Dantec . - Ma question était précise : comme nous l'ont dit d'autres acteurs que nous avons auditionnés, tant qu'à intervenir pour installer Linky, autant le connecter directement au chauffage électrique, puisque là, il faut faire fort sur l'effacement de pointe.
Mme Michèle Bellon . - Aujourd'hui, lorsqu'on installe Linky - c'est ce que l'on a fait en Indre-et-Loire et à Lyon -, on raccorde le ballon d'eau chaude, qui jusqu'alors avait un câble séparé et distinct, pour qu'il continue à recevoir son signal. D'ailleurs, l'essentiel des 0,7 % de réclamations est dû au fait que l'installateur avait oublié de raccorder le câble de ballon d'eau chaude !
Les compteurs bleus ne pouvaient malheureusement n'envoyer qu'un signal, mais Linky pourra en faire plus. Pour raccorder directement le réseau de chaleur, encore faut-il qu'il y en ait un au niveau du tableau électrique et qu'il soit bien différencié. C'est le cas dans les nouveaux logements, mais ce n'est pas ainsi partout.
Cette question a déjà été étudiée - je suis tout à fait ouverte à ce que nous la réexaminions - dans les groupes de travail pilotés par le régulateur. Certains voulaient un signal par radiofréquence, d'autres réclamaient qu'on mette un gadget directement dans le compteur Linky, par exemple en wifi. Différentes modalités sont possibles.
Il faudrait que les différents acteurs se mettent d'accord sur les modalités d'asservissement du chauffage. C'est possible par le câble, mais cela nécessite des travaux électriques intérieurs ; ce n'est pas gratuit. Les frais de déplacement pourront certes être évités, mais pas tous les travaux de modification du réseau électrique intérieur qui devront être effectués. D'autres opérateurs envisagent une communication par puce ou par ZigBee. Enfin, plusieurs systèmes permettent de communiquer entre le compteur et le radiateur.
Plusieurs solutions sont donc envisageables. Or le débat qui a eu lieu - je n'étais pas encore là - n'a pas été conclu par un arbitrage ou par un consensus sur la normalisation et une standardisation de la communication.
Linky permet tous les modes de communication, mais le choix d'une solution implantée au moment de l'installation n'est pas encore retenu. Nous sommes ouverts pour entamer un débat sur ce sujet.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier . - Madame la présidente, dans le calibrage des investissements que vous opérez sur les postes sources, comment intégrez-vous les schémas régionaux éoliens qui existent ou qui sont en cours de montage ? Je dis cela parce que je suis dans un secteur, le sud Aveyron, où un poste source prête à forte protestation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Toute revendication locale devra être formulée après la réunion ! ( Sourires .)
M. Alain Fauconnier . - Sans plus préciser je pose la question : intégrez-vous les schémas régionaux éoliens dans le renforcement des investissements ?
Mme Michèle Bellon . - Oui, mais cela va beaucoup plus loin. Nous voulons que nos investissements fassent l'objet d'une concertation avec les autorités concédantes, puisque nous ne sommes pas propriétaires des réseaux, contrairement à RTE. Donc, les arbitrages et les priorités sur les investissements réseaux doivent être discutés à la maille locale. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai renforcé mon organisation locale et la responsabilisation de mes équipes locales pour que, justement, les débats aient lieu au bon niveau avec les acteurs économiques et politiques locaux, et surtout avec les autorités concédantes.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Claude Léonard, pour une brève question.
M. Claude Léonard . - Madame la présidente, commencent à se généraliser à l'intérieur des appartements, des maisons, des systèmes porteurs, sur le 220 volts, de signal numérique pour la télévision, par Orange ou d'autres opérateurs. Cela entraînera-t-il une incompatibilité avec l'usage de Linky ? L'un va-t-il perturber l'autre ? Le fait d'installer le compteur intelligent Linky sera-t-il un frein à la multiplication de ces dispositifs qui permettent d'éviter des câblages ?
Mme Michèle Bellon . - Linky, comme je l'ai dit, peut communiquer dans différents modes avec les installations intérieures, y compris les box, c'est-à-dire par fil - c'est la communication filaire - en wifi, en Zigbee, par radio. Ces fonctionnalités qui permettent de couvrir tous les modes d'échanges ont été décidées avec l'ensemble des parties prenantes dont les acteurs des télécoms qui étaient associés. Ces systèmes sont compatibles. Linky va-t-il freiner les autres dispositifs ? Je n'en ai aucune idée. Là, c'est une démarche marketing.
M. Claude Léonard . - L'essentiel, c'est la compatibilité !
Mme Michèle Bellon . - C'est techniquement compatible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame la présidente, cette audition s'achève. Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu de manière très complète aux interrogations des uns et des autres. M. le rapporteur sera peut-être amené à vous interroger de nouveau, vous ou certains de vos collaborateurs, bien qu'il ait déjà obtenu de nombreuses réponses à ses questions, avant de rédiger son rapport final.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président, je remercie également Mme la présidente de la clarté et de la précision de ses réponses. J'attends effectivement des informations complémentaires sur les investissements importants en faveur de la production des énergies renouvelables et le renforcement des réseaux.
Audition de M. Luc Oursel, président du directoire d'Areva
(21 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Dans la suite de nos travaux, nous allons maintenant entendre M. Luc Oursel, président du directoire d'Areva.
Monsieur Oursel, je vous remercie d'avoir accepté - il est vrai que vous ne pouviez pas refuser ! - notre invitation. ( Sourires .)
Comme vous le savez, notre commission d'enquête porte sur un sujet pointu : le coût de l'énergie et le prix de l'électricité. Elle a été créée à l'initiative du groupe écologiste qui a fait application de son « droit de tirage annuel ».
Monsieur Oursel, avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais vous demander de prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Luc Oursel prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, je vous laisse résumer les questions que vous avez adressées à M. Oursel.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Oursel, dans votre réponse au rapport de la Cour des comptes, vous écrivez que le coût de production de l'EPR en série sera compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure. Sur quels éléments vous fondez-vous pour donner cette estimation ? Quel est le nombre d'EPR qu'il serait nécessaire de construire en France pour bénéficier de ce coût ?
Pouvezvous présenter le mécanisme en cours de discussion en Grande-Bretagne, qui pourrait avoir pour effet, si la décision de construire des EPR était prise, de garantir un prix d'achat minimum ? Pouvez-vous évaluer quel serait, dans les projets anglais auxquels Areva participe, le prix d'achat de l'électricité produite par EPR ?
Quels sont vos commentaires sur la présentation des coûts de démantèlement des centrales nucléaires faite par la Cour des comptes ? Quels enseignements tirez-vous des démantèlements en cours ?
Pouvez-vous indiquer le coût de production de l'électricité à partir de sources autres que nucléaire, compte tenu des activités d'Areva dans les énergies renouvelables, notamment dans l'éolien ?
Quelle est votre vision du stockage de l'énergie ?
Enfin, si la France décidait de renoncer aux réacteurs de quatrième génération, quel en serait l'impact sur les coûts de stockage des déchets nucléaires et sur la validité économique du choix fait par la France de retraiter les combustibles usés dans l'usine de La Hague ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Oursel.
M. Luc Oursel, président du directoire d'Areva . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de m'avoir invité dans le cadre de votre commission d'enquête et de me donner ainsi l'opportunité d'évoquer l'ensemble des sujets que vous venez d'évoquer.
Je le rappelle, notre champ de compétences est l'électricité nucléaire, ainsi qu'une partie des énergies renouvelables. Mes réponses ne pourront bien évidemment porter que sur les coûts de l'électricité, et non sur les prix.
En réponse à la première série de questions, je voudrais vous faire part du retour d'expérience d'Areva sur l'EPR.
Selon le récent rapport de la Cour des comptes, qui est très important et très complet, le coût complet de production du mégawattheure d'EDF à Flamanville serait compris entre 70 et 90 euros. Mais il faut rappeler - cela permettra d'expliquer notre présentation à la Cour des comptes - que l'EPR en construction à Flamanville est une tête de série. Aucun réacteur nucléaire n'a été construit en France depuis maintenant bien plus de dix ans ; la filière est donc logiquement confrontée à des coûts liés à l'apprentissage, ou plutôt au réapprentissage. Il n'est pas anormal que les coûts et délais des premiers chantiers soient légèrement plus élevés que, d'une part, les estimations initiales et, d'autre part, des chantiers suivants. Nous avons déjà eu cette expérience en Finlande avec notre client TVO.
Grâce à une organisation spécifique qui fonctionne maintenant depuis 2007, nous tirons les enseignements des différents chantiers qui sont en fonctionnement, c'est-à-dire Olkiluoto 3 et Flamanville. Ce retour d'expérience a d'ores et déjà permis d'apporter des améliorations très concrètes sur les chantiers chinois de Taishan 1 et Taishan 2.
Je vais vous donner quelques exemples.
Le nombre d'heures d'ingénierie qu'il a fallu dépenser sur la chaudière nucléaire, qui est le coeur de la machine, a diminué de près de 60 % entre Olkiluoto et Taishan.
La durée de fabrication des gros composants, ceux que nous fabriquons en Bourgogne, a, elle aussi, été réduite : la baisse a été de 40 % pour les générateurs de vapeur entre Olkiluoto 3 et le premier réacteur de Taishan et de 25 % pour les cuves de réacteurs.
Quant aux délais d'approvisionnement, puisque de très nombreux composants sont achetés auprès de fournisseurs, notamment français, ils ont été réduits de 65 % pour Taishan.
Ainsi le chantier de Taishan respecte-t-il les prévisions de coûts et de délais. Sa durée de construction devrait être inférieure de 40 % à celle d'Olkiluoto.
Voilà quelle est pour nous la traduction concrète du retour d'expériences, de l'apprentissage de tous les chantiers d'EPR, et pas seulement du projet français. D'ailleurs, plus de la moitié des équipes d'Areva affectées au projet Taishan avait déjà travaillé soit sur le projet finlandais, soit sur le chantier de Flamanville. Et cette proportion ne pourra aller qu'en augmentant avec les nouveaux projets.
Nous emmagasinons donc tout ce retour d'expérience, qui nous permet de prévoir des réductions de coûts et de délais pour l'EPR dans les prochaines années.
Nous participons à de nombreux appels d'offres, que ce soit en Europe ou ailleurs. Suivant les méthodes de calcul - on pourra revenir sur ce point -, les coûts de production d'un EPR en série seraient compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure pour les appels concernant l'Europe de l'Ouest. J'insiste, ce coût est estimé pour l'Europe de l'Ouest, car il est important de raisonner sur une zone relativement homogène en termes de coûts de production et de main-d'oeuvre.
Progressivement, l'effet tête de série se résorbe. Grâce aux efforts permanents qu'effectuent désormais de façon conjointe EDF et Areva, la durée de construction et les coûts se réduisent peu à peu.
L'estimation de 50 à 60 euros par mégawattheure repose sur un certain nombre d'hypothèses importantes.
D'abord, les EPR seront construits par paires, pour bénéficier d'une mutualisation entre les deux EPR construits. Cela répond à la plupart des appels d'offres en Europe.
Ensuite, le taux de disponibilité de la centrale est de 92 %, ce qui est très supérieur au taux actuel de disponibilité d'EDF. Cela est essentiellement dû à des questions de design : le réacteur est conçu pour que certaines opérations de maintenance puissent se faire en temps masqué pendant son fonctionnement. Ce concept est hérité des centrales allemandes, qui ont des taux de disponibilité supérieurs aux nôtres.
Par ailleurs, l'amortissement des coûts fixes d'exploitation est supérieur à celui de la génération précédente. En effet, la puissance de l'EPR est de 1 630 mégawatts, contre 1 500 mégawatts pour l'ancien N4.
En outre, en raison de sa conception, le réacteur EPR consomme 10 % de combustible en moins que la génération précédente. Ce point est insuffisamment connu.
Enfin, la durée de vie est de 60 ans alors que, pour le N4, le calcul se faisait avec une durée de vie de l'ordre de 40 ans.
Les coûts de production de l'EPR le rendent tout à fait compétitif par rapport non seulement aux filières classiques, que ce soit le gaz ou le charbon, sans même tenir compte des hausses des prix du gaz et du CO 2 , mais également aux filières renouvelables. Je reviendrai plus tard sur ce point.
Vous m'avez aussi interrogé sur la capacité du système français à assurer le déploiement d'EPR. Tout dépend des hypothèses que choisirait EDF pour assurer le remplacement du parc existant.
En tout état de cause, il faut prendre en compte les caractéristiques de l'EPR.
D'une part, sa puissance moyenne installée est de 1 600 mégawatts alors que celle des centrales varie aujourd'hui entre 900 et 1 300 mégawatts, soit 1 100 mégawatts en moyenne. D'autre part, le taux de disponibilité de l'EPR est supérieur de dix points à celui des anciens réacteurs. Il faut donc évidemment moins d'EPR que de réacteurs de la génération précédente. Pour remplacer la totalité du parc, un mégawatt pour un mégawatt, il faudrait une trentaine d'EPR. Vous devriez poser la question à EDF, qui réfléchit à des scénarios permettant de lisser le programme de reconstruction.
La construction des réacteurs actuellement en service a été faite avec, nous le savons, un pic très important de chantiers lancés simultanément. En 1986, il y a eu, me semble-t-il, jusqu'à huit démarrages de réacteurs en même temps. Aujourd'hui, EDF privilégie un lissage.
De notre côté, nous avons travaillé pour que la chaîne de sous-traitance, qu'elle soit en France, pour la fabrication des forgets au Creusot, ou au Japon, pour les pièces pour lesquelles nous n'avons pas encore développé de capacité de production, soit capable de fabriquer, produire et suivre en termes d'ingénierie, selon les maillons de la chaîne, de deux à cinq EPR par an.
Selon nous, il n'y a pas de problème de capacité industrielle. Certes, il faudrait probablement ajuster, recruter des personnels, mais nous avons les capacités industrielles pour mener un programme de remplacement significatif du parc français.
Vous m'avez interrogé sur le mécanisme en cours de discussion en Grande-Bretagne, qu'il est extrêmement intéressant à suivre. Il faut rappeler que la Grande-Bretagne est le premier pays qui, à la fin des années 1980, a dérégulé massivement le système de production électrique, ce qui a fini par poser des difficultés en termes de sécurité d'approvisionnement.
En effet, il est très difficile de construire des centrales à charbon en Grande-Bretagne ; les ressources de gaz, qui ont permis pendant un moment de couvrir les besoins en électricité, sont déclinantes en mer du Nord ; enfin, le parc nucléaire britannique, de par sa conception, n'a pas une capacité énorme d'extension de durée de vie.
Dès le premier semestre de 2011, le ministère de l'énergie britannique avait lancé un livre blanc reposant sur quatre mesures principales, qui sont intéressantes à connaître.
Premièrement, est appliqué le mécanisme dit « de capacités » : la capacité est rémunérée pour permettre le développement de centrales de production d'électricité de pointe.
Deuxièmement, on instaure des standards obligatoires de performance en matière d'émission de CO 2 . Ainsi, s'il n'y a pas d'installation de captage du CO 2 , il n'est pas possible de construire des installations au charbon.
Troisièmement, un prix plancher du CO 2 est mis en place, ce qui est très important au regard des fluctuations observées ces dernières années. Il permet de renforcer les technologies sobres en carbone, tout en étant neutre par rapport aux technologies utilisées : il n'avantage ni les énergies renouvelables, ni le nucléaire. Toute technologie sobre en émission de carbone bénéficie de ce mécanisme de prix plancher.
Quatrièmement, enfin, un système de tarifs de rachat est mis en place. Ces tarifs de rachat de long terme permettent à des investissements capitalistiques lourds, nécessaires aussi bien pour le nucléaire que pour les énergies renouvelables, d'être pris en compte.
Les objectifs sont clairs : mettre en place un nouveau système de production électrique et garantir la sécurité d'approvisionnement et l'indépendance énergétique, tout en assurant une très forte décarbonisation du secteur de l'électricité.
Les tarifs de rachat et le prix plancher du CO 2 sont les deux éléments principaux. Ils permettent d'apporter une certaine garantie, de diminuer les incertitudes sur les prix de vente du kilowattheure et ainsi de faciliter la décision et le financement d'investissements de production d'électricité qui sont, nous le savons, lourds pour des projets très longs.
Aujourd'hui, il est encore trop tôt pour savoir quel sera exactement le prix de l'électricité. Le gouvernement britannique devrait finaliser les tarifs de rachat vers la fin de l'année 2012 ou le début de l'année 2013, pour que des contrats puissent entrer en vigueur en 2014. Ces contrats concerneront en priorité des investissements à plus courte durée de réalisation, les toutes premières centrales nucléaires devant entrer en fonctionnement en Grande-Bretagne entre 2018 et 2020.
Aujourd'hui, deux acteurs développent de tels projets : EDF, qui a d'ores et déjà démarré, avec nous, des activités d'études et de réalisation de quelques composants sur le site de Hinkley Point, et un consortium rassemblant des électriciens allemands, Horizon, lequel devrait annoncer dans les prochaines semaines le choix de la technologie qu'il retiendra.
Nous ne participons évidemment pas aux négociations de tarifs avec le gouvernement britannique. Notre travail a consisté à fournir aux électriciens nos propositions de prix sur la base desquelles ils peuvent discuter avec le gouvernement britannique.
Cette réforme est extrêmement importante ; elle doit nous faire réfléchir à la possibilité de déployer de nouveaux mécanismes permettant simultanément une décarbonisation de la production d'électricité, le maintien d'une certaine compétition et la réalisation d'investissements lourds, à un moment où, nous le savons, l'Europe doit renouveler ses investissements et mettre en place des solutions décarbonisées.
Vous m'avez aussi posé une question sur le démantèlement, sur lequel je tiens à vous rappeler quelques points importants. Dans son rapport, la Cour des comptes a estimé qu'il n'y avait aucun coût caché dans la filière nucléaire, même s'il demeure un certain nombre d'incertitudes dans le démantèlement. Elle ne remet pas en cause l'estimation des opérateurs ; même s'il y avait un doublement des devis de démantèlement, la hausse du coût de production de l'électricité ne serait que de 5 %.
Pour Areva, le démantèlement correspond à deux choses différentes. C'est d'abord le démantèlement de ses propres installations en tant qu'exploitant d'activités industrielles du cycle de combustibles ; c'est ensuite celui des installations de ses clients pour lesquels elle est fournisseur de services, non seulement en France, mais également en Allemagne et aux États-Unis.
En ce qui concerne nos propres installations en France, la Cour des Comptes rappelle - tous les chiffres ont été publiés dans son rapport - que les charges de démantèlement sont de l'ordre de 7 milliards d'euros et qu'elles sont correctement provisionnées. Le démantèlement a d'ores et déjà commencé pour un certain nombre d'activités.
Par exemple, l'arrêt définitif de l'usine UP2 400 de La Hague, qui avait été mise en service en 1966 et a permis le traitement de 10 000 tonnes de combustibles, a été décrété en 2003. Aujourd'hui, compte tenu de l'état d'avancement, nous estimons que le devis de démantèlement est stabilisé ; il n'a d'ailleurs pas changé entre 2006 et 2010.
En revanche, le devis de démantèlement d'Eurodif, une installation d'enrichissement qui va bientôt être arrêtée, a crû pendant cette même période, mais cette hausse s'explique par un changement de périmètre, c'est-à-dire la volonté de procéder à un démantèlement plus important, et par une augmentation du volume de déchets et de contamination à traiter. Vous avez certainement vu que nous avons prévu, dans les comptes de l'entreprise en 2011, une provision récente pour faire face à cette augmentation.
Nos démantèlements sont des opérations très spécifiques pour lesquelles nous devons compter sur notre propre expertise pour assurer les devis. Il est en effet difficile de s'appuyer sur des expertises extérieures pour des opérations comparables.
Pour nos nouvelles installations, que ce soit George Besse II, UP2/800 et UP3 à La Hague, et Melox, le démantèlement a été intégré dès la phase de conception des installations afin de l'optimiser, ce qui n'était probablement pas le cas pour les générations précédentes d'équipements.
Nous procédons à une révision périodique des devis, triennale lorsque le démantèlement n'a pas encore commencé et annuelle lorsqu'il est en cours. Nous pouvons ainsi « recaler » les choses régulièrement.
Pour le démantèlement des installations de nos clients, je tiens d'abord à insister sur le fait que, pour nous, cette activité est non pas théorique, mais bien réelle. Près de 1 500 collaborateurs, représentant l'ensemble des métiers, travaillent sur ces chantiers, pour la préparation des projets, la gestion, l'assainissement, le démantèlement et le traitement des déchets. Nous travaillons pour La Hague, le CEA, Superphénix, mais également en Allemagne, où nous avons participé au démantèlement d'un réacteur, et aux États-Unis, auprès du Department of energy .
L'accumulation de toutes ces expériences permet de fiabiliser les devis que nous préparons pour le compte de nos clients et les engagements commerciaux que nous prenons. Il en va de même des études très approfondies que nous effectuons pour préparer les opérations de démantèlement.
Pour revenir à votre question, dans le cas particulier des réacteurs, le système en France est quelque peu différent : EDF assure la maîtrise d'ouvrage et une grande partie de la maîtrise d'oeuvre et ne nous confie qu'une partie des réalisations à faire. Nous n'avons donc pas de vision globale du devis de démantèlement d'un réacteur français ; nous ne connaissons que celui de la part qui nous est confiée.
Il n'est pas étonnant que les coûts de démantèlement soient assez variables, car, comme je l'ai indiqué précédemment, ces coûts varient en fonction des hypothèses retenues pour le projet, le type d'installation, l'âge et de l'intégration, ou non, dès le démarrage du projet de démantèlement. Le fonctionnement, la conception, le génie civil, tous ces éléments sont également importants.
Le coût varie également, et cela concerne particulièrement le parc français, en fonction de la courbe d'apprentissage, de l'effet d'expérience, des économies d'échelle engendrées par la construction de plusieurs réacteurs.
Enfin, il faut prendre en compte la stratégie de démantèlement retenue par l'opérateur : un démantèlement immédiat ou différé. Un certain nombre de coûts fixes du démantèlement découlent des coûts de surveillance du site : ils varient fortement selon que le site est encore en fonctionnement pour une partie des autres réacteurs ou qu'il est totalement abandonné.
J'en reste là sur la question du démantèlement, mais je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur ce point.
J'en viens au coût de production de l'électricité à partir d'autres sources que le nucléaire. Areva a souhaité, sous l'impulsion d'Anne Lauvergeon, et j'ai repris cette stratégie, s'engager dans le domaine des énergies renouvelables. Il s'agit d'une décision d'entreprise récente, datant d'il y a quelques années, qui s'est essentiellement traduite par des acquisitions. Nous intégrons ces activités, et nous les soutenons industriellement et commercialement pour qu'elles se développent.
Nous le faisons dans les domaines de l'éolien en mer ( offshore ), mais pas dans le terrestre ( onshore ), dans le domaine du solaire à concentration, mais pas dans le photovoltaïque, dans le domaine de la biomasse, mais aussi dans le stockage, qui est plus en phase de développement.
Je vais vous donner les coûts sur lesquels nous travaillons.
Pour l'éolien terrestre, nous observons que la moyenne de coûts est située entre 80 et 90 euros par mégawattheure, avec un investissement qui représente entre 80 % et 90 % du coût de production.
Pour l'éolien en mer, les coûts sont très variables en fonction de la distance à la terre, de la taille du champ, de la profondeur et de la qualité de la fondation, c'est-à-dire des sols marins. Vous le savez, l'appel d'offres en cours dans notre pays a retenu une fourchette de 115 à 200 euros par mégawattheure.
Les conditions de vent sont évidemment des facteurs très importants de différences. Par rapport à la France, le temps de vent efficace est en Allemagne supérieur de 30 % en moyenne. Pour des installations très capitalistiques, cet élément a un impact immédiat sur le coût du kilowattheure.
Nous participons à l'appel d'offres sur les cinq champs français et nous attendons avec impatience de connaître la décision. Nous sommes avec GDF-Suez sur certains champs et avec Iberdrola sur d'autres.
Pour les installations offshore , l'investissement représente 80 % du coût de production du mégawattheure, car il s'agit d'installations capitalistiques. La turbine compte pour une petite moitié de l'investissement. Quant aux coûts de maintenance et d'intervention, ils en représentent 20 % : pour l'éolien offshore , ils sont assez importants puisqu'il faut être prêt à réagir très rapidement en cas de panne. Tout kilowattheure perdu coûte très cher. Les conditions d'intervention rendent parfois nécessaire l'utilisation de moyens lourds, hélicoptères ou bateaux.
Nous comptons un technicien par turbine pour assurer la maintenance des champs : c'est une très bonne chose du point de vue de la création d'emplois, mais le coût à payer pour assurer une bonne réactivité des équipes est relativement significatif. Nous concevons des turbines optimisées en termes de durée de maintenance : tout est fait pour que la maintenance soit la plus limitée possible. Mais les interventions mobilisent des équipes importantes.
Sur le solaire photovoltaïque, un sujet largement débattu, nous retenons un coût de l'ordre de 250 euros par mégawattheure. Là aussi, les variations sont très importantes selon les pays. Vous le savez, les prix des panneaux ont baissé. La question qui se pose est de savoir quelle est dans cette baisse des prix la part qui résulte de l'évolution technologique, celle qui résulte de l'augmentation des séries de production et celles qui s'explique par les surcapacités de production existant aujourd'hui dans le monde - je pense en particulier à certains pays à l'est de la France qui ont tendance à casser quelque peu les prix du marché.
Pour le solaire thermique à concentration, qui est notre domaine d'activité, nous avons deux types d'application.
D'une part, nous proposons une centrale de production d'électricité : l'eau est chauffée et, à partir de miroirs, de la vapeur est produite qui fait tourner une turbine. Nous vendons souvent à l'Inde une centrale de 125 mégawatts. Vous le voyez, il s'agit d'installations de taille relativement importantes. Les prix sont, là aussi, extrêmement variables en fonction de la configuration choisie, de l'ensoleillement et du prix du terrain, ces installations prenant beaucoup de place.
Nous vendons aussi un produit très intéressant, les boosters. Cette technologie est utilisée pour réchauffer de la vapeur et augmenter la vapeur introduite, par exemple, dans des centrales à charbon. Nous avons une installation de ce type qui, couplée avec une centrale à charbon, améliore le rendement de cette dernière, tout en diminuant la consommation de charbon, et donc la production de CO 2 .
Vous m'avez interrogé sur les perspectives de réduction des coûts. Dans le domaine des énergies renouvelables, certaines technologies sont très mûres et d'autres ne font que démarrer. C'est enfoncer une porte ouverte que de dire que ces dernières ont évidemment un potentiel de réduction de coût plus important. Tel sera particulièrement le cas de l'éolien offshore et peut-être encore du solaire photovoltaïque. Mais il est clair qu'il va falloir faire des sauts.
Une partie des coûts de l'éolien offshore sont des coûts d'installation dérivés en fait des technologies de l'industrie pétrolière. À part un effet de série, il est difficile d'imaginer qu'on puisse faire, sur ce poste, des gains très significatifs, les technologies étant déjà disponibles.
Un des sauts importants à réaliser pour réduire le coût de l'éolien offshore sera l'augmentation de la taille de la turbine. Aujourd'hui, celle que nous commercialisons fait 5 mégawatts ; certains de nos concurrents annoncent des turbines de 6 ou 7 mégawatts. Mais un accroissement de la puissance se traduira forcément par une augmentation du poids ou par la mise ou point de matériaux plus légers, sans pour autant que cela nuise à la fiabilité. Encore une fois, il est absolument essentiel pour ces technologies offshore que la fiabilité des turbines soit parfaite afin de minimiser les temps d'intervention.
De ce point de vue, le soutien mis en place pour les énergies renouvelables est absolument nécessaire pour la réalisation de ces opérations qui vont permettre de tester de nouvelles technologies, de créer cet effet d'apprentissage que j'évoquais tout à l'heure pour le nucléaire et d'abaisser ainsi progressivement les coûts.
Vous m'avez aussi interrogé sur le stockage de l'énergie. Il s'agit d'une question-clé compte tenu de l'intermittence des ressources des énergies renouvelables. Je ne vais pas revenir sur les chiffres et sur les caractéristiques de ces énergies, mais il faut trouver des capacités pour le stockage de l'énergie.
Nous travaillons sur une solution par le biais d'Helion, qui correspond à la filière hydrogène. Nous participons ainsi à une opération concernant l'université de Corse, opération que je souhaite mettre en avant : il s'agit de la plateforme Myrte, cofinancée par Areva, l'État français, la collectivité territoriale de Corse et l'Union européenne. Ce projet avance conformément au calendrier prévu, ce qui est important pour un projet novateur. Il s'agit d'une centrale photovoltaïque couplée à une chaîne hydrogène : le stockage se fait pendant la journée et permet d'assurer l'approvisionnement électrique de l'université pendant la nuit.
C'est aujourd'hui une installation pilote : on est encore très loin d'un déploiement industriel. Je ne souhaite donc même pas parler des coûts correspondants... Toutefois, je pense que cette première opération montre l'intérêt de se mobiliser sur ce sujet et de lancer des programmes de recherche importants.
En ce qui nous concerne, c'est la filière que nous avons choisie. Il y en a sans doute d'autres, et la sagesse serait que différentes filières soient explorées en parallèle pour permettre évidemment à la meilleure technologie de se développer.
Il existe aussi probablement de grandes variations en fonction de la taille des installations. Selon moi, la formule du stockage n'est sûrement pas une réponse unique, mais c'est une réponse variée et variable en fonction de la taille des installations.
Pour laisser de la place à nos échanges, j'en viens à votre dernière question, relative à la quatrième génération.
Il est évident que nous continuons à travailler sur ce projet. Nous y travaillons dans le cadre du projet ASTRID, mené par le CEA. C'est un projet qui, lui aussi, nous paraît très important pour assurer le développement continu de notre industrie. Cela permettra d'optimiser à la fois la consommation d'uranium et la gestion des déchets.
D'après les calendriers du démonstrateur qui nous ont été annoncés, il est aujourd'hui plutôt question d'un démarrage de la construction en 2017. Mais tout cela est susceptible d'être redéfini. Il est certain qu'il reste, dans les prochaines années, à figer les grandes options technologiques et probablement aussi à dessiner ce que seront les partenariats internationaux à nouer pour ce type de filière. Aujourd'hui, les travaux en cours, qui mobilisent déjà plusieurs dizaines d'ingénieurs, sont essentiellement franco-français puisque réalisés conjointement par EDF, Areva et le CEA.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, compte tenu des précisions de Luc Oursel, avez-vous des questions subsidiaires à poser ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Oui, monsieur le président, mais je laisse d'abord la parole à mon collègue Ronan Dantec, qui ne pourra rester jusqu'au terme de l'audition. Or, vous le savez, il a une question urgente à poser.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En outre, je ne doute pas qu'il sera sobre, concret et rapide !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Précis et concis !
M. Ronan Dantec . - Mes questions ne portent que sur des points de détail.
Sur les coûts, je souhaite juste avoir une précision : quand vous évoquez des coûts compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure, à terme, pour l'EPR et entre 80 et 90 euros par mégawattheure pour l'éolien, vous parlez bien en coûts courants économiques ?
M. Luc Oursel . - Absolument.
M. Ronan Dantec . - C'était une précision importante.
Il ne s'agit pas ici d'avoir un débat technique : cela nous prendrait du temps et je sais bien que le président me rappellerait à l'ordre !
Toutefois, serait-il possible, pour ne pas rester dans la simple affirmation, que, sans contrevenir au secret-défense, vous nous adressiez un document à la fois détaillé et synthétique ?
Il pourrait s'agir d'un tableau en trois colonnes.
La première colonne porterait sur les coûts de l'EPR de Flamanville. Aujourd'hui, on parle d'à peu près 6 milliards d'euros. Ce montant comprend notamment le génie, la chaudière, les intérêts intercalaires - question extrêmement importante, que la Cour des comptes a soulevée -, etc. Il suffirait alors d'additionner l'ensemble des lignes de la colonne pour en connaître le coût global - soit, pour l'instant, probablement aux alentours de 7 milliards d'euros.
Une deuxième colonne concernerait l'EPR chinois, dont vous nous avez dit qu'il marchait « du tonnerre de Dieu » et qu'il allait donc coûter beaucoup moins cher.
Une troisième colonne porterait sur l'EPR de série. Vous pourriez ainsi nous expliquer, peut-être, que, sur un EPR de série, vous prévoyez 1 milliard d'euros de génie civil, et non pas 2 milliards d'euros comme à Flamanville. Je prends cet exemple uniquement pour vous expliquer l'esprit de ce que nous attendons.
Avec ce tableau, il s'agirait d'avoir quelque chose de suffisamment détaillé sur l'ensemble de ces coûts pour nous permettre d'avoir une idée plus précise de la manière dont vous concevez effectivement les économies de série. Si vos propos sont intéressants, le risque est que l'on reste un peu dans l'affirmation. Or on est quand même là au coeur de notre rapport sur le coût réel de l'électricité.
Si je peux me permettre, je vous ai trouvé un peu imprudent d'annoncer un prix de série compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce n'est pas imprudent : c'est affirmatif !
M. Ronan Dantec . - En ce cas, monsieur le président, vous ajoutez à l'imprudence !
En effet, je vous rappelle qu'EDF-Energy est en train de négocier avec les autorités britanniques, et cela m'étonnerait que la négociation se fasse aux alentours de 60 euros le mégawattheure... Pour ma part, j'avais cru comprendre que l'on était parti sur une négociation à un plus haut niveau. Il est donc un peu embêtant que l'on donne déjà ce genre de chiffre.
Au-delà de mon souhait de disposer de tableaux nous donnant une vision en coûts courants économiques beaucoup plus précise, j'ai une question - une vraie, cette fois - à vous poser avant de m'éclipser. Cette question est assez simple : elle porte sur le retraitement, dont on parle finalement assez peu et que tout le monde ne pratique pas. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de continuer à retraiter ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pour stocker au fond des océans ?
M. Ronan Dantec . - On peut essayer !
M. Luc Oursel . - Monsieur le sénateur, sur votre première question, j'ai probablement failli à ma tâche parce que j'avais justement essayé de prendre quelques exemples très concrets pour vous montrer comment l'effet de série se traduisait pratiquement, par exemple sur des durées de fabrication de gros composants ou sur les programmes d'ingénierie.
M. Ronan Dantec . - Il faut une synthèse de tout cela !
M. Luc Oursel . - Nous allons donc essayer de faire le tableau que vous nous demandez.
J'ai une petite difficulté pratique concernant l'EPR de Flamanville : c'est EDF qui le construit et donc qui connaît l'ensemble des éléments du devis. Les choses sont un peu différentes pour le cas finlandais, sur lequel nous avons une vision plus complète.
S'agissant de l'EPR chinois, je vous ai apporté plusieurs précisions.
J'ai d'abord dit que l'on bénéficiait effectivement aujourd'hui de tout le retour d'expérience de la Finlande et de Flamanville.
Je vous ai également indiqué que, sur le plan budgétaire, notre objectif était une valeur comprise entre 50 et 60 euros par mégawatheure.
M. Ronan Dantec . - En Chine, quel est le budget ?
M. Luc Oursel . - 50 à 60 euros par mégawatheure, cela correspond à des valeurs d'Europe occidentale, où les coûts des facteurs sont à peu près homogènes. Il est évident qu'en Chine, par exemple, les coûts de main-d'oeuvre sont différents.
Nous ne connaissons donc pas, là non plus, tous les coûts de l'EPR chinois puisque, si nous avons, sur ce dernier, une responsabilité particulière, cette dernière coïncide avec les objectifs qu'avait le gouvernement chinois.
M. Ronan Dantec . - Connaissez-vous le coût de l'EPR chinois ?
M. Luc Oursel . - Non.
M. Ronan Dantec . - Vous ne pouvez pas nous dire qu'il sera vraiment moins cher ?
M. Luc Oursel . - Non. Il sera bien sûr moins cher qu'un EPR en France, mais ce coût se décompose en fait en deux types de coûts. Vous aurez, pour des équipements, des coûts strictement identiques. Sur ce plan, vous observerez tout simplement l'effet d'expérience que je vous décrivais. Vous aurez ensuite des coûts particuliers aux marchés chinois, comme, par exemple, les coûts de construction, sur lesquels vous enregistrerez évidemment à la fois l'effet d'apprentissage et les coûts de main-d'oeuvre.
M. Ronan Dantec . - On est bien d'accord !
Vu ce que vous venez de dire, vous connaissez le prix de l'EPR chinois.
M. Luc Oursel . - Non ! Aujourd'hui, dans l'EPR chinois, nous ne fournissons pas tout. Ce que nous fournissons, c'est un contrat ingénierie et achat sur la partie îlot nucléaire. Par exemple, en Chine, nous ne sommes pas en charge du génie civil ; c'est le client chinois lui-même. Sur ce point, je ne dispose donc pas de la donnée pratique.
M. Ronan Dantec . - Vous savez que c'est moins cher, mais vous n'avez pas le coût.
M. Luc Oursel . - Voilà. Mais je sais que c'est moins cher compte tenu des conditions de réalisation du chantier, du nombre de personnes qui y travaillent, de sa durée, ainsi que d'un certain nombre d'améliorations que, je le répète, nous avons nous-mêmes introduites lors des chantiers précédents.
Nos comparaisons portent sur des équipements identiques. Telle vanne que nous avions achetée à un certain prix pour la Finlande nous sera vendue moins cher par le même fournisseur eu égard à l'effet d'expérience et à l'ingénierie.
S'agissant du retraitement, c'est un sujet qui mériterait un long débat ; je n'ose pas essayer de vous convaincre ce soir. Je peux toutefois vous dire que la France n'est pas la seule à avoir retenu cette option : nous avons retraité et nous continuons à retraiter pour un certain nombre d'autres pays, et pas nécessairement des pays qui ont systématiquement de grandes flottes. Je prends le cas particulier des Pays-Bas, qui exploitent une centrale et ont décidé d'y retraiter et d'y brûler du combustible MOX (mélange d'oxydes). Vous savez que le Japon a fait le choix du retraitement. Vous savez que la Chine est en passe de faire de même. Vous savez aussi que les États-Unis ont mis en place une nouvelle commission, la Blue Ribbon Commission , laquelle vient de rendre ses conclusions : si elle ne tranche pas clairement pour, elle ne tranche pas non plus contre, ce qui est inédit.
Je pense donc que la multiplicité de ces situations et le fait qu'un grand nombre de pays aient utilisé le retraitement, qu'un grand nombre de centrales, et pas seulement en France, aient brûlé du MOX constituent probablement la meilleure réponse à votre question sur la compétitivité économique et la pertinence de cette solution.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cher Ronan Dantec, avez-vous eu la réponse à votre question ?
M. Ronan Dantec . - Monsieur le président, je n'abuserai pas du temps qui nous est collectivement imparti !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Claude Léonard.
M. Claude Léonard . - Je reviens sur la question de M. Dantec.
Avez-vous déjà une idée du coût d'un EPR que la France déciderait d'installer, par rapport à ce qui est investi sur Flamanville ? Je n'ai pas soit tout entendu, soit tout compris de ce que vous avez répondu.
M. Luc Oursel . - Nous raisonnons en coûts de production par mégawattheure. Aujourd'hui, dans un système où les EPR seraient construits selon une certaine série, où le retour d'expérience serait cumulé, nous pensons que l'on peut viser un coût compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est la réponse que vous nous avez donnée sur la manière dont vous avez répondu à des appels d'offres.
M. Luc Oursel . - Absolument.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pouvez-vous répéter de quels appels d'offres et de quels pays il s'agissait ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il s'agissait notamment de la Grande-Bretagne !
M. Ladislas Poniatowski, président . - En outre, vous avez dit que, dans presque tous les projets, il s'agissait d'une construction par paire.
M. Luc Oursel . - Oui.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Or, à ma connaissance, tel n'est pas le cas en Pologne.
M. Luc Oursel . - Si ! Il s'agira aussi de paires en Pologne.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Des paires dans deux régions polonaises différentes ?
M. Luc Oursel . - Absolument. En République Tchèque, où il y a un appel d'offres en cours, c'est aussi une paire. Il en va de même en Grande-Bretagne. En Finlande, ce sont des unités seules.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous étiez prêts à vendre un deuxième EPR !
M. Luc Oursel . - Non, nous sommes consultés pour en proposer un deuxième ! Et l'appel d'offres, qui a commencé, n'émane pas du même client. Vous savez que la Finlande avait quatre réacteurs. Elle avait décidé la construction d'un cinquième réacteur - un « Finlande 5 » -, le fameux Olkiluoto 3, et elle a voté, il y a quelques années, la construction de deux réacteurs supplémentaires.
L'un sera construit par notre client actuel, TVO, et l'autre le sera par un autre client, qui s'appelle FVO. Ce client a d'ores et déjà lancé son appel d'offres. Nous sommes en concurrence avec Toshiba-Westinghouse : ce sera l'EPR contre un réacteur bouillant. Évidemment, nous avons, là, la possibilité de bénéficier du retour d'expérience du premier chantier.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pensez-vous que vous avez des chances, malgré ce qui s'est passé sur ce premier dossier en termes de durée et de surcoût ?
M. Luc Oursel . - D'abord, le fait que nous ayons été appelés montre bien l'intérêt qu'on nous porte.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Oui, c'est intéressant.
M. Luc Oursel . - En effet !
On voit bien aussi, pour les Finlandais, l'intérêt, en termes de commodité d'exploitation, d'avoir un parc relativement homogène. Autre intérêt pour le client finlandais : le fait que les leçons aient été tirées des difficultés du premier chantier : nous pouvons raisonnablement faire l'hypothèse que ces difficultés ne se reproduiront pas. C'est un élément de certitude que nous offrons à nos clients.
M. Claude Léonard . - Le coût que vous avancez est-il fonction des mégawattheures produits ?
M. Luc Oursel . - Oui. Nous donnons un coût en fonction du mégawattheure parce que nous voulons absolument illustrer, de cette façon, les caractéristiques particulières de disponibilité et de moindre consommation de combustibles de l'EPR par rapport à la génération précédente et par rapport à d'autres technologies. Raisonner seulement sur le coût en capital serait ne pas rendre compte de ces avantages.
M. Claude Léonard . - On est d'accord !
M. Ronan Dantec . - Mais, après, vous vendez bien une machine pour x milliards ?
M. Luc Oursel . - D'abord, suivant les appels d'offres, nous vendrons tout ou partie de cette machine, en fonction de l'organisation industrielle que voudra mettre en place le client.
Certains clients souhaiteront, par exemple, une solution packagée ou un consortium ; nous leur proposons alors d'assurer la totalité du chantier. D'autres voudront conserver un rôle de maîtrise d'oeuvre, et non pas seulement de maîtrise d'ouvrage. Dès lors, ils segmenteront la centrale en différents lots et assureront eux-mêmes la coordination. Toutes les configurations sont possibles et se pratiquent.
En outre, je vous rappelle que, lorsque nous proposons ces réacteurs, grâce au modèle intégré d'Areva, dans un certain nombre de cas liés à l'offre de l'EPR, nous avons également une offre de fourniture de combustible à long terme.
Peut-être vous souvenez-vous que, pour les deux EPR construits en Chine, le contrat comprenait non seulement la fourniture d'une partie de la tranche de l'EPR, mais aussi la fourniture du combustible pour une longue période puisque nous avions signé pour quinze ans. L'engagement ne porte donc pas simplement sur la partie construction.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Arrive-t-il que certains de ces appels d'offres européens demandent un exploitant ?
M. Luc Oursel . - Non. Il n'y a pas de demande pour qu'un exploitant se substituant stricto sensu à l'investisseur : cela n'existe pas en Europe.
En revanche, les appels d'offres européens prévoient souvent le soutien d'un exploitant pour les phases de démarrage de la centrale et de formation des opérateurs, ce qui est tout à fait normal.
Dans un certain nombre de cas - ce pourrait être le cas en Pologne, même si ce n'est pas très clair -, les appels d'offres prévoient qu'il y ait, aux côtés de l'électricien principal, un investisseur, lequel apporte une expérience d'opérateur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mais, en Pologne et en République Tchèque, qui répond à l'appel d'offres : vous ou EDF ?
M. Luc Oursel . - En Pologne, pour la partie portant véritablement sur la construction, sur la réalisation de la centrale, nous allons répondre avec EDF. Il est toutefois possible que l'électricien polonais demande à EDF - ou à un autre - d'investir dans la centrale et d'y apporter son expérience d'opérateur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il faut, dans certains cas de figure, utiliser les bonnes relations de l'électricien polonais avec l'électricien français.
M. Luc Oursel . - Exactement. C'est un point qui, vous vous le rappelez, avait suscité beaucoup de débats dans l'affaire des Émirats arabes unis. Nous avons aujourd'hui en la matière une réponse totalement pragmatique : nous étudions avec EDF les besoins du client et nous voyons quelle est la meilleure configuration.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Au Sénat, nous avons reçu, à deux reprises, des délégations de parlementaires polonais. Chaque fois, ils nous ont interrogés sur l'acceptabilité par l'opinion publique, sujet qui les préoccupait beaucoup. Mais la question des bonnes relations d'EDF avec l'électricien polonais était particulièrement importante à leurs yeux.
M. Jean-Pierre Vial . - Je n'envisageais pas de poser une question sur le nucléaire, mais je constate que, dans notre discussion, nous entrons énormément dans le détail des sites.
En Chine, à côté du site sur lequel l'EPR est en cours de construction, il y a déjà un « quasi-trou » pour l'EPR n° 2 et, un peu plus loin, un autre « quasi-trou » pour l'EPR n° 3.
Pouvez-vous nous communiquer les hypothèses d'application sur les EPR n° 2 et n° 3 ?
En ce qui concerne le solaire, vous nous avez donné le prix estimé du solaire photovoltaïque. Vous avez parlé du solaire par concentration, mais vous ne nous avez pas informés sur son prix, pas plus que sur celui du booster.
Enfin, en ce qui concerne le stockage, vous nous avez parlé de l'hydrogène, mais pas de la possibilité de la station de transfert d'énergie par pompage, alors que vous y avez eu recours dans le couplage nucléaire-hydraulique. Or on sait que l'Allemagne et l'Autriche se targuent de vouloir être demain les « batteries » de l'Europe, en stockant, justement, l'énergie fabriquée par les sources de production intermittentes, ce qui serait un comble.
Intégrez-vous ce stockage, notamment au niveau national ?
M. Luc Oursel . - S'agissant tout d'abord de la Chine, vous êtes probablement allés sur le site de Taishan.
Quelle est la situation aujourd'hui ?
Taishan n° 1 est en cours de construction et Taishan n° 2, son jumeau, le suit à douze mois. Des travaux préparatoires ont déjà été faits pour accueillir Taishan n° 3 et n° 4 et, un peu plus loin, le site présente, sans toutefois qu'aucuns travaux aient encore été faits, ce qui pourrait être Taishan n° 5 et n° 6.
Aujourd'hui, sur Taishan n° 3 et n° 4, nous avons remis une offre au partenaire chinois. Mais vous savez que, pour l'instant, la Chine a suspendu son processus d'autorisation de nouvelles constructions. Ce processus devrait reprendre dans les prochains mois. À ce moment, nous espérons, compte tenu du bon déroulement de Taishan n° 1 et n° 2, avoir quelques possibilités de réaliser Taishan n° 3 et n° 4. Ce serait évidemment une belle confirmation du potentiel de l'EPR.
Au regard de ce qui m'a été décrit lors de mon dernier voyage en Chine, je pense que cette reprise du processus d'autorisation de nouvelles constructions pourrait intervenir dans le second semestre de cette année, sachant que le gouvernement chinois veut tirer tous les enseignements de Fukushima.
De ce point de vue, l'EPR présente un avantage : son passage au crible, après Fukushima, par les autorités de sûreté française, britannique et finlandaise, n'a pas montré la nécessité de procéder à des modifications majeures. Nous en sommes fiers, et je le dis sans aucune arrogance. En effet, le processus de conception de l'EPR avait très clairement intégré un certain nombre de faiblesses de cet ordre. Je prends l'exemple des fameux moteurs diesels : vous savez qu'un EPR, c'est six diesels, localisés dans deux bâtiments séparés, étanches, résistant aux chutes d'avion, etc.
Sur le solaire par concentration, je n'ai effectivement pas donné de valeur parce que, encore une fois, il faut vraiment raisonner au cas par cas. Les éléments tels que la préparation du terrain ou le transfert sur le chantier sont très spécifiques. Il me paraît donc difficile de vous donner des valeurs qui soient très pertinentes.
Concernant les stations de pompage que vous évoquiez, j'ai quelques souvenirs de mon lointain passé de haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie et du climat. Ces constructions n'entrent pas aujourd'hui dans le portefeuille de compétences d'Areva ; c'est EDF qu'il faut essentiellement interroger sur ce point.
Il me semble toutefois que ces constructions présentent aujourd'hui non pas des problèmes techniques - tout est bien connu -, mais plutôt des problèmes d'acceptation et de sites disponibles, dans des environnements montagnards, lesquels sont ou protégés ou soumis à des contraintes très fortes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je souhaite poser une question concernant la durée de vie des centrales actuelles.
Vous savez que, dans quelques mois - ou, en tout cas, dans les prochaines années -, nous allons tous être confrontés à un grand débat. Quelle doit être la part du nucléaire dans l'électricité ? Quelle doit être celle du renouvelable ? Quelle politique faut-il avoir ? À cet égard, le coût est un paramètre parmi d'autres ; la sécurité et la sûreté des installations entrent également en ligne de compte.
Pouvez-vous donc nous donner votre appréciation sur la sûreté et sur la durée de vie des centrales actuelles ? Quel est le risque potentiel d'une prolongation de vingt ans ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Dix plus dix !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si vous préférez, monsieur le président !
Je vous pose d'autant plus facilement cette question que l'EPR se veut une installation plus sûre - en tout cas, c'est ce que vous dites -, notamment en termes de béton. Peut-être pouvez-vous nous parler aussi des cuves. Il y a une expérience sur les cuves : c'est en leur sein que se fait le grand chambardement. Quelle est la durée de vie d'une cuve ? Les fissures pourraient annoncer que les cuves ne peuvent aller au-delà de trente ou quarante ans.
Vous qui, justement, avez ce souci, quand vous vendez l'EPR, de le présenter comme étant plus sûr que d'autres installations, que pensez-vous de la prolongation des centrales actuelles ? Est-ce raisonnable ? Quel est le degré de sûreté ?
M. Luc Oursel . - Vous le savez, ce sujet de l'extension de la durée de vie des centrales devient d'une grande actualité en France, avec évidemment le premier cas de Fessenheim.
Ce sujet a déjà été traité dans d'autres pays, par exemple aux États-Unis, où le parc est plus ancien que le nôtre. Aujourd'hui, à la suite de contrôles menés par l'autorité de sûreté, la durée de vie d'un très grand nombre des centrales américaines a d'ores et déjà été étendue, jusqu'à soixante ans.
Il ne faut évidemment pas imaginer une situation statique, en cas d'extension de durée de vie. En France, c'est un processus qui fait l'objet d'examens décennaux, ainsi que, entre ces examens, d'inspections et de contrôles réguliers.
Pour étendre la durée de vie des centrales, il faut remplacer un certain nombre de composants. C'est ce qui s'est fait, par exemple, en France, avec les générateurs de vapeur, et c'est ce qui peut se faire avec un certain nombre d'autres composants.
Selon moi, il n'y a pas d'arbitrage à opérer entre durée de vie et sûreté. Je pense que l'extension de durée de vie ne peut se faire qu'à sûreté égale ou renforcée. Pour cela, toute une série de mesures, en particulier techniques, doivent être prises au niveau de l'exploitation, comme le remplacement de composants.
Areva a son rôle à jouer auprès d'EDF, qui a la responsabilité de gérer les procédures d'autorisation, les conditions d'exploitation et ces programmes de modernisation et de mise en conformité avec la sûreté. Pour ma part, je ne pense pas que la prolongation puisse se faire autrement qu'à sûreté égale ou supérieure, moyennant, donc, les travaux que j'évoquais.
Pourquoi l'EPR a-t-il une durée de vie de soixante ans ? Parce que, dans sa conception, nous avons tout simplement intégré des matériaux et le savoir-faire qui n'étaient pas nécessairement disponibles pour avoir, par exemple, des générateurs de vapeur fonctionnant soixante ans sans devoir être changés. La conception, l'expérience de la circulation des fluides à l'intérieur du générateur de vapeur font partie du retour d'expérience obtenu avec EDF sur l'ensemble du parc.
Les générateurs de vapeur ont donc été changés sur cette génération, comme cela a d'ailleurs été le cas dans le monde entier. Ainsi, dans le cas de l'extension de la durée de vie des centrales américaines, que je décrivais tout à l'heure, tous les générateurs de vapeur ont été changés. En France, les générateurs de vapeur de 900 mégawatts ont été changés. Le programme de changement des générateurs de 1 300 mégawatts va intervenir.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quid de la cuve ?
M. Luc Oursel . - La cuve pose un problème de contrôle. Dans les réacteurs existants, les pièces qu'il a fallu changer ont été, par exemple, les générateurs de vapeur et, parfois, les couvercles - non pas la cuve, mais son couvercle. Je parle ici pour le compte d'EDF.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Hier, la Cour des comptes nous a dit qu'EDF avait constaté avec surprise que l'usure d'un élément avait été plus importante que prévue dans les centrales actuelles. Était-ce la cuve ? Cet élément a-t-il été intégré dans le calcul ?
M. Luc Oursel . - N'ayant pas d'élément très précis en tête, je préfère rester prudent dans ma réponse. Je suis prêt toutefois, si l'élément nous est communiqué, à vous donner notre point de vue.
M. Claude Léonard . - Je voudrais revenir sur l' offshore . À moins de vouloir à tout prix se positionner à l'horizon de plusieurs décennies, je ne vois pas vraiment l'intérêt qu'il y a à être présent sur l'un des projets, sauf si vous espérez une vraie diminution des coûts, lesquels atteignent des sommets au niveau de la production. J'estime donc qu'il faut plutôt être présent dans une niche de recherche et développement.
M. Luc Oursel . - En fait, nous avons d'abord la conviction qu'un groupe comme Areva doit développer à la fois le nucléaire et les énergies renouvelables ; il s'agit donc véritablement d'un choix stratégique. Nous le faisons également en raison de l'intérêt qu'il y a pour nous à valoriser ainsi notre présence commerciale auprès d'un certain nombre d'électriciens.
Nous prenons également en considération la possibilité de valoriser les technologies et les compétences que nous avons accumulées dans le nucléaire. De ce point de vue, j'ai beaucoup insisté sur la disponibilité nécessaire pour les turbines offshore, lesquelles travaillent évidemment dans des environnements assez agités, assez exigeants. Sur ce plan, nous pensons qu'un groupe comme Areva peut, par le dessin des turbines, apporter une valeur ajoutée forte et contribuer ainsi à la conception de turbines particulièrement disponibles, adaptées à cet environnement et nécessitant des temps de maintenance réduits.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous pensons qu'il est souvent plus facile de développer une turbine offshore en partant d'un carton à dessin vide que de chercher à transposer une turbine onshore en augmentant sa puissance dans un environnement marin.
Nous pensons donc qu'il y a un marché, qu'Areva y a sa place et que les coûts vont baisser.
Le cas français de l'appel d'offres français est un peu particulier : sur les toutes premières réalisations, il faut amortir un certain nombre de nouvelles capacités, qu'il va falloir créer. Pour ce qui concerne l'appel d'offres français, je vous rappelle que, si nous disposons de deux champs, nous envisageons d'y construire deux usines de fabrication de pales, de turbines, etc. Il va bien falloir amortir ces capacités.
Pour ma part, je suis convaincu que nous n'en sommes là qu'au début.
S'agissant de la disponibilité des équipements, nous avons la chance d'avoir six turbines qui fonctionnent maintenant en mer du Nord, dans des conditions très exigeantes, et qui ont d'ores et déjà produit 15 % d'électricité de plus que ce que nous attendions.
M. Claude Léonard . - Voulez-vous dire que la production s'est accrue de 15 % ?
M. Luc Oursel . - Exactement.
Je pense également que les coûts vont évoluer, grâce, justement, à cette meilleure disponibilité, aux effets de série, à l'amortissement des infrastructures, etc.
Enfin, dans une perspective de long terme, une hausse des prix de l'électricité me paraît à peu près inéluctable.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Oursel, je vous remercie beaucoup de nous avoir répondu de manière très complète et précise.
Il n'est pas impossible que notre rapporteur vous demande de nouveaux renseignements. En effet, j'ai constaté qu'il vous écoutait avec beaucoup d'intérêt et qu'il a notamment été sensible au fait que vous êtes de ceux qui, dans le monde entier, ont le plus d'expérience en matière de démantèlement. Comme ce dernier est un élément important du coût, ne soyez pas surpris s'il revient vers vous ou vers vos services pour obtenir sur ce sujet des éléments complémentaires.
M. Luc Oursel . - Je reste bien sûr à votre disposition et vous remercie à mon tour.
Audition de M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir
(21 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de cet après-midi, nous allons maintenant entendre M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir.
Monsieur Bazot, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous n'aviez d'ailleurs pas le choix : vous êtes obligé de vous présenter devant une commission d'enquête... ( Sourires .)
Comme vous le savez, cette commission d'enquête a été créée notamment à la suite du rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait application de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Elle a désigné M. Jean Desessard rapporteur.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Bazot, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Alain Bazot prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Je donne maintenant la parole à M. le rapporteur pour qu'il rappelle les questions préliminaires qu'il vous a adressées. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus pertinent pour nous éclairer sur ce débat important.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Bazot, je rappelle les quatre questions que nous vous avons adressées.
Première question, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, selon lequel les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Le niveau auquel a été fixé l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, soit 42 euros, vous semble-t-il satisfaisant ?
Deuxième question, pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les consommateurs finaux ?
Troisième question, selon vous, quelles seraient les conséquences sur la facture d'électricité des consommateurs, à court et à moyen terme, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables : crédit d'impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro...
Quatrième et dernière question, l'évolution de la demande d'électricité en France ces dernières années s'est caractérisée par une augmentation importante - + 25 % - de la demande de pointe : quels moyens vous semblent à même de réduire cette demande de pointe ? Que pensez-vous d'une généralisation de la diversification des tarifs - y compris du tarif réglementé - selon l'heure et la période de l'année ? Quel jugement portez-vous sur le déploiement du « compteur intelligent » Linky, et ce dernier vous semble-t-il un moyen de réduire la demande de pointe ? La place qu'occupe dans notre pays le chauffage électrique vous paraît-elle excessive ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Bazot, vous avez la parole.
M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord d'auditionner une association de consommateurs, l'UFC-Que Choisir, sur un sujet aussi crucial que les coûts de l'électricité.
Au sondage que nous avons réalisé dans le cadre d'un pacte consumériste que nous voulions adresser aux candidats à l'élection présidentielle, nous avons recueilli 56 000 réponses. Il en ressort que, en matière d'énergie, 87 % des consommateurs ont pour principale préoccupation les tarifs, bien avant donc les problèmes liés à la qualité des services.
Depuis 2008 et le début de la crise, les consommateurs, en particulier les plus modestes d'entre eux, ont subi une augmentation généralisée des prix de l'énergie : + 44 % pour les carburants et + 25 % pour le gaz. C'est dire si l'annonce par le président de la CRE d'une hausse de 30 % du prix de l'électricité dans les années à venir a de quoi les inquiéter, car celle-ci s'inscrit dans un contexte non pas de stabilité, mais bien d'envolée considérable des prix depuis quelques années.
On ne peut pas traiter la question du prix de l'électricité sans se préoccuper des problèmes liés à la précarité énergétique. Les chiffres sont là : selon l'INSEE, plus de 3 800 000 ménages se trouvent en situation de précarité énergétique. Tout récemment, le médiateur national de l'énergie a estimé à au moins 500 000 le nombre de consommateurs visés par une réduction, voire une suspension de fourniture d'électricité en 2011. Il s'agit d'une situation inacceptable. C'est dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, l'enjeu du sujet que vous avez à traiter et pour lequel vous m'avez convoqué en tant que président d'UFC-Que Choisir.
L'augmentation d'environ 30 % d'ici à 2016 que prévoit M. de Ladoucette concerne non seulement les tarifs de fourniture, de transport et de distribution, mais également la contribution au service public de l'électricité, la CSPE. Dans ce contexte, au-delà des inquiétudes, cette annonce soulève un certain nombre de questions. Pour notre part, nous nous interrogeons notamment sur le cadre qui devrait entourer ces futures augmentations. Au-delà du niveau de ces augmentations, nous appelons à la plus grande vigilance en matière de lisibilité de cette future évolution.
Nous le savons, nous allons entrer dans un nouveau cycle d'investissement, où nous devrons faire face à la fois à des besoins en production, en transport, en distribution d'électricité, et à des moyens de production durables. Cela aura inévitablement pour conséquence dans le temps une augmentation significative des coûts, qui sera répercutée sur le consommateur.
Un principe figure dans la loi : le tarif réglementé doit couvrir les coûts réels supportés par les opérateurs. C'est une sorte de réalisme économique qui est ainsi posé.
Dans le même temps, le contrat de service public entre l'État et EDF qui n'a toujours pas été renégocié établit que, en tout état de cause, l'augmentation du prix ne doit pas dépasser l'inflation. La loi elle-même prévoit que le tarif doit être fixé dans le cadre de ce contrat. Néanmoins, dans la mesure où ce contrat reste par conséquent en vigueur et qu'il n'existe pas d'engagement pluriannuel de l'État avec EDF, on ne voit pas comment on pourrait mettre concrètement en oeuvre les perspectives de M. de Ladoucette.
Ces projections d'augmentation méritent d'être encadrées. Le consommateur a besoin de lisibilité et de visibilité en la matière. Si l'on veut de la prévisibilité, il est impératif de revoir le contrat de service public.
Examinons maintenant un peu plus précisément la facture d'électricité du consommateur. Elle est composée du tarif réglementé ou régulé, d'une part, de la contribution au service public de l'électricité, d'autre part.
Le tarif régulé a lui-même deux composantes : tout d'abord, ce qui est lié à la fourniture de l'énergie, de l'électricité - c'est la production - ; ensuite, ce qui est lié aux transports et à la distribution, à savoir le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE.
Le premier aspect du tarif régulé est la part liée à la fourniture. À partir de 2015, la contribution du prix de détail devra tenir compte du niveau de l'ARENH, qui a été fixé à 42 euros. Or le prix de référence historique d'approvisionnement en nucléaire s'élève à 35 euros. Ce passage de 35 euros à 42 euros entraînera une augmentation mécanique, inévitable même, de l'ordre de 11 %, uniquement pour cette part liée à la fourniture. C'est ce que le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et des réseaux de communication, le SIPPEREC, a calculé.
Je souhaite faire une remarque sur le niveau et l'évolution de l'ARENH. Son nouveau montant - 42 euros - est-il satisfaisant ou pas ?
Au regard des éléments disponibles, je dois dire que l'UFC-Que Choisir n'est pas capable de se prononcer sur le niveau de prix satisfaisant pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, tout simplement parce que ce sujet fait l'objet d'une opacité considérable. Pour tenter d'y voir plus clair, notre association a même organisé des auditions, notamment pour ses administrateurs, et sollicité des experts : M. Jean-Marc Jancovici, M. Vincent Maillard, ancien directeur des tarifs chez EDF, M. Benjamin Dessus. Pour autant, nous avons du mal à adopter une position au regard des prévisions des différents intervenants.
Après avoir annoncé une fourchette comprise entre 35 euros et 39 euros, la CRE a indiqué que le montant de l'ARENH s'élèverait à 42 euros. Au mois de janvier 2011, M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, a annoncé un tarif de 46 euros le mégawattheure. Un an après, les récents rapports de la Cour des comptes fixaient ce tarif à 49,50 euros. Pour être presque exhaustif, je rappelle que GDF-Suez, qui est l'exploitant de centrales nucléaires - vous avez reçu, je crois, l'un de ses représentants dans le cadre de cette commission d'enquête -, a avancé le chiffre de 31 euros.
Face à ces approches contradictoires des acteurs du secteur, il est très difficile pour nous, association de consommateurs, d'avoir une expertise qui permettrait de trancher sur le sujet.
Je tiens cependant à souligner, même si cela ne permet pas de répondre plus précisément à cette question, que, depuis le début, nous dénonçons ce qu'est devenu l'objectif réel de ce tarif. En réalité, ce dernier est d'abord destiné à créer artificiellement un marché et à permettre à des entrants de l'intégrer. On crée donc un tarif. Et même si l'on tentera ensuite d'en justifier le montant, il y a un vice fondamental, dans la mesure où l'intention est bien de mettre en place une concurrence qui, pour nous, est complètement artificielle.
Je ne peux pas m'empêcher de vous faire observer, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, que la libéralisation du marché de l'électricité en France, à la différence de la téléphonie mobile, n'a engendré ni une baisse des tarifs pour les consommateurs - au contraire, un mécanisme pervers a entraîné une hausse des prix - ni des bienfaits en matière d'innovation. Autant dire que le consommateur est perdant-perdant.
Le second aspect du tarif régulé tient à la part liée à l'acheminement, c'est-à-dire le TURPE, qui finance à la fois les réseaux de transport et les réseaux de distribution. Là aussi, de nombreuses incertitudes planent sur son évolution. La nouvelle structure du TURPE n'est pas encore arrêtée ; je crois qu'elle est encore en discussion. Néanmoins, nous éprouvons des inquiétudes quant à certains éléments qui peuvent accroître considérablement les coûts, en particulier le financement du compteur Linky.
Là aussi, aujourd'hui, une certaine cacophonie règne. Selon les estimations réalisées par Électricité réseau distribution France, ERDF, le niveau d'investissement nécessaire est d'environ 4 milliards d'euros, ce qui ramène le coût unitaire du compteur pour le consommateur aux alentours de 110 euros, sur une base de 35 millions de compteurs. Cela ne correspond pas du tout à la somme qui est avancée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, laquelle estime le coût de l'installation entre 8 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Évidemment, notre inquiétude est encore plus grande si l'on se réfère au coût unitaire annoncé par M. Proglio, président-directeur général d'EDF, aux alentours de 200 euros à 300 euros, soit un montant qui semble correspondre à la somme totale avancée de 8 milliards d'euros à 10 milliards d'euros.
Nous sommes très inquiets, car ces perspectives remettent totalement en cause les résultats positifs de l'étude socio-économique, étude qui était un préalable nécessaire à la généralisation de l'installation des compteurs Linky. La généralisation a donc été décidée sur la base d'une étude dont les résultats semblent, en fait, assez peu conformes à la réalité.
Cette différence entre 4 milliards d'euros et 10 milliards d'euros aura évidemment une incidence sur le TURPE. Sur ce sujet non plus, nous ne disposons pas d'une visibilité parfaite.
J'en viens maintenant à l'impact de la contribution au service public de l'électricité. La CSPE n'est pas intégrée au tarif réglementé, mais, vous le savez, elle est due par le consommateur, puisqu'elle figure sur sa facture. Elle s'est déjà envolée depuis 2004 : elle a doublé, passant de 4,5 euros à 9 euros par mégawattheure. La CRE estime à 4,3 milliards d'euros les charges prévisionnelles de service public de l'électricité au titre de 2012, dont 2,2 milliards d'euros de charges liées aux énergies renouvelables. Là encore, le président de la CRE a élaboré des hypothèses, fixant la CSPE aux alentours de 20 euros le mégawattheure.
Pour notre part, nous nous posons une question cruciale, celle du financement des énergies renouvelables. Les ménages vont subir une forte augmentation de la facture liée à la CSPE et nous devons nous interroger sur la contribution des ménages les plus modestes à cet investissement d'intérêt général. Je ne dis pas que l'on détient la réponse. Mais, finalement, sur la facture d'électricité, la CSPE apparaît comme une taxe : elle fait penser à la TVA dont on sait les effets pervers par rapport à la structure de consommation et l'inégalité et l'injustice qu'elle engendre lorsque cela prend des proportions importantes.
La deuxième question que vous m'avez adressée porte sur les différents coûts de l'électricité et sur l'imputation aux différents agents économiques. Il s'agit pour nous d'une question complexe à laquelle il nous est actuellement très difficile de répondre.
Vous le savez, la formation du tarif ressemble à un millefeuille assez inextricable, qu'il s'agisse de la construction du TURPE, de l'ARENH ou de la CSPE. Par ailleurs, les paramètres qui sont nécessaires à la fixation du tarif réglementé restent assez complexes et illisibles. À cet égard, je veux souligner le manque d'informations dont nous souffrons et les difficultés que nous avons à nous prononcer sur l'imputation des coûts ou sur l'existence ou la constitution d'une rente.
J'ouvre ici une parenthèse. Il est vrai que, dans certains secteurs d'activité économique, notre association a eu une capacité d'expertise et d'identification de rente. Ce fut par exemple le cas pour les carburants, pour lesquels la transparence est très grande : tous les chiffres sont sur la place, et, dans une telle situation - très rare ! -, il suffit que des spécialistes acceptent de se pencher sur les chiffres disponibles pour identifier l'existence éventuelle de rentes sur l'ensemble de la filière.
Pour l'électricité, cela n'a pas été possible. Je pense que les pouvoirs publics doivent pouvoir contribuer à assurer une meilleure transparence des coûts, qu'il s'agisse de la production, de l'acheminement ou du développement des énergies renouvelables. Monsieur le président, la commission d'enquête devrait beaucoup insister sur cet aspect.
Vous m'avez également interrogé sur les dispositifs fiscaux de soutien.
Les dispositifs fiscaux ou les crédits spécifiques qui permettent non seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi l'installation d'équipements offrant une meilleure maîtrise de la demande énergétique ne sont pour nous ni satisfaisants ni suffisants. Ils ne sont pas assez incitatifs et ne permettent pas de traiter correctement la problématique de la précarité énergétique. Pour aller à l'essentiel, nous considérons que, d'un point de vue économique, ces aides ne sont pas optimales, car elles permettent des effets d'aubaine.
Le premier effet d'aubaine bénéficie aux installateurs. Ces derniers profitent des aides pour gonfler leurs devis et, ainsi, capter une grande partie du crédit d'impôt accordé aux consommateurs.
Le second effet d'aubaine profite aux ménages eux-mêmes, plus précisément aux plus aisés d'entre eux, qui auraient entrepris ces travaux d'efficacité énergétique de toute façon, même sans aide fiscale ou crédit d'impôt. Pour ces ménages, les aides n'ont pas véritablement d'effet incitatif.
Au-delà de ces problématiques d'aide se pose un véritable problème d'égalité sociale. Il est vrai que, en droit, tous les mécanismes sont accessibles à tous dans les mêmes conditions. Pourtant, les faits montrent qu'ils sont majoritairement utilisés par les ménages les plus aisés. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène, notamment le coût élevé des travaux qui fait que, en tout état de cause, même avec ces aides fiscales, les ménages les plus modestes renoncent. Certes, les exceptions existent et il arrive que, en cumulant plusieurs aides, des consommateurs, même à revenus modestes, parviennent à entreprendre des travaux d'amélioration. Toutefois, cela reste très limité. Fondamentalement, ce que nous dénonçons, c'est que les aides ne permettent pas la transition énergétique pour tous.
Votre quatrième question porte sur l'évolution de la consommation d'électricité ces dernières années, caractérisée par une hausse importante, de l'ordre de 25 %, de la demande de pointe. Vous souhaitez connaître la position de l'UFC-Que Choisir sur les dispositifs permettant de réguler la demande pour répondre à ces nouvelles problématiques.
Trois facteurs essentiels permettent d'expliquer cette évolution rapide de la demande de pointe : l'augmentation du nombre des ménages, le développement d'usages nouveaux de l'électricité, tels que l'informatique, la télévision, les appareils avec accumulateurs, et la poursuite du développement du chauffage électrique.
Cette pointe peut être traitée de plusieurs manières. Dans l'idéal, il faut agir sur un ensemble de leviers que sont la tarification incitative et l'information des consommateurs. L'UFC-Que Choisir est convaincue que le signal-prix permet de responsabiliser le consommateur, mais à la condition expresse que la diversification des prix que cela suppose soit à la fois claire et lisible pour lui. En France, la question de l'horo-saisonnalité des tarifs n'est pas récente, puisque les contrats qui différencient les heures creuses des heures pleines ou les dispositifs d'effacement journalier de pointe existent depuis très longtemps et ont fait leurs preuves. C'est d'ailleurs pour cette raison précise que nous déplorons les modifications statutaires intervenues en 2009, qui ont réduit l'écart tarifaire entre les heures pleines et les heures creuses et ont donc diminué l'attrait de cette tarification incitative.
Si l'on doit aller vers une diversification des tarifs en fonction des heures de pointe, nous devons être attentifs à un risque : il faut éviter de tomber dans la jungle tarifaire, phénomène que nous avons trop bien connu dans le secteur de la téléphonie. Quand un secteur connaît un tel phénomène, on sait parfaitement que la concurrence ne s'exercera pas de façon réelle, le consommateur n'étant pas en situation de procéder à des arbitrages éclairés et rationnels. La modulation des tarifs nous paraît donc une solution intelligente et efficace ; en revanche, une myriade de tarifs complexes empêche le consommateur d'être le régulateur du marché, si tant est qu'il puisse l'être !
La question de l'utilisation de l'électricité comme mode de chauffage doit être posée. Aujourd'hui, le chauffage électrique équipe 30 % des logements - c'est le deuxième mode de chauffage après le gaz -, ce qui a une incidence importante sur le niveau de la consommation. J'attire votre attention sur le fait que l'usage du chauffage électrique entraîne des surcoûts non seulement pour le consommateur détenteur de ce chauffage, mais aussi pour l'ensemble des consommateurs.
En ce qui concerne le surcoût individuel, selon les études, le choix de l'électricité, par rapport à d'autres solutions énergétiques, peut provoquer un doublement de la facture pour les ménages, en particulier lorsque le logement est une véritable « passoire thermique », ce qui est souvent le cas !
Le surcoût collectif indirect est lié aux surcapacités de production et de transport de l'électricité rendues nécessaires par l'utilisation du chauffage électrique. Les surinvestissements sont répercutés par les opérateurs sur les factures de l'ensemble des consommateurs.
La réglementation thermique 2012 limite fortement l'utilisation du chauffage électrique dans les logements neufs ; l'essentiel du problème qui persiste est dû au parc existant, sauf à développer un plan ambitieux d'isolation - il faut toujours améliorer l'isolation, parce que le combat énergétique porte non pas uniquement sur les économies d'électricité, mais sur l'économie de toute forme d'énergie - et la conversion à une autre énergie que l'électricité.
Au vu de l'enjeu que représente la maîtrise de la consommation électrique, nous attendions beaucoup d'un compteur dit « intelligent » - avant d'être intelligent, il est d'abord communiquant. Le compteur Linky devait s'inscrire dans cette grande ambition de la maîtrise de leur consommation par les consommateurs. Or, dans sa version actuelle, les potentialités d'information précieuses de ce compteur risquent de ne profiter qu'à une petite catégorie de ménages, ceux qui pourront financer des services supplémentaires que vendra le fournisseur. Autrement dit, pour consommer moins, il faudra payer plus ! Il en résultera donc une rupture d'égalité dans le droit à l'information entre, d'une part, ceux qui pourront payer un service fournissant des informations sur leur consommation ainsi que les possibilités de consommer différemment et, d'autre part, ceux qui ne le pourront pas. Pour nous - et ce n'est pas la première fois que nous le disons -, l'affichage déporté reste la pierre d'achoppement dans la conception du compteur Linky. Je n'en démords pas, nous passons à côté d'un rendez-vous historique de maîtrise de la consommation par l'ensemble des ménages !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur souhaitez-vous obtenir un complément de précisions ou d'informations sur l'une ou l'autre des questions ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'ai bien compris que M. Bazot craignait une augmentation trop forte des tarifs et souhaitait que l'engagement, figurant dans le contrat de service public, de ne pas trop augmenter le prix de l'électricité soit respecté, d'autant plus que la précarité énergétique est importante.
Ensuite, sur les mesures à prendre pour améliorer l'efficacité énergétique et réduire les coûts, il a exprimé ses réticences à l'égard des méthodes adoptées, ces dernières ne semblant profiter qu'aux personnes les plus aisées.
Enfin, il a estimé que le déploiement du compteur Linky aurait pu être intéressant, mais que, dans sa configuration actuelle, ce compteur ne profitera également qu'aux personnes les plus aisées.
Deux outils existent, la maîtrise de la consommation, avec le compteur Linky, et l'amélioration de l'efficacité énergétique ; vous n'y êtes pas opposé, mais vous pensez qu'ils sont mal conçus. Que pourrions-nous faire pour rendre ces instruments vraiment utiles ? Quelle idée pouvez-vous nous suggérer ?
M. Alain Bazot . - Pour nous, ainsi que des études l'ont démontré aux États-Unis, la réelle maîtrise et la diminution de la consommation supposent que le consommateur soit en mesure d'obtenir une information sur place, en temps réel, ce que permettrait le compteur Linky. Il serait donc souhaitable que ce dernier puisse émettre une alerte en temps réel, afin de prévenir le consommateur qu'il est en situation de surconsommation, en affichant éventuellement le niveau du tarif effectivement payé. Il en résulterait alors une prise de conscience du consommateur qui serait ainsi à même de décider de différer certaines opérations. Cette « conscientisation » est importante, et ce n'est pas une consultation du niveau de la consommation sur Internet qui permettra le mieux d'y parvenir. Le consommateur doit pouvoir constater de manière instantanée qu'il consomme beaucoup...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Avec quel dispositif ? Faut-il qu'une grosse ampoule s'allume en période de surconsommation ?
M. Alain Bazot . - Le compteur Linky devrait au moins permettre un affichage sur le lieu d'habitation ; mais cette solution ne serait pas complètement satisfaisante puisque, dans la moitié des cas, le compteur sera placé à l'extérieur des bâtiments.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Lors d'une table ronde organisée au Sénat, un représentant de votre association nous avait expliqué que le consommateur français d'essence réagissait à la hausse ou à la baisse des prix de manière beaucoup plus consciente que le consommateur d'électricité, lequel n'était pas assez mature pour consommer moins quand les prix augmentent.
Cela dit, cet intervenant avait estimé qu'il faudrait apprendre à se servir du compteur Linky et que le consommateur d'électricité deviendrait peut-être aussi vigilant sur sa consommation d'électricité que sur sa consommation d'essence.
M. Alain Bazot . - Je pense que cette prise de conscience représente un enjeu majeur. Nous jouons notre rôle en essayant de faire prendre conscience aux consommateurs des conséquences de leurs choix de consommation. Nous sommes partisans d'une consommation responsable, qui prenne en compte les conséquences de la consommation sur l'environnement, l'emploi, etc., et nous cherchons à développer une prise de conscience de masse. Or, si cette prise de conscience passe par l'achat d'un service supplémentaire qui fournira l'information, les conditions ne sont alors pas remplies. Pour nous, l'information est un droit qui ne devrait pas être soumis au marché : dans le cas de l'électricité, nous pourrions faire en sorte que ce droit soit effectivement hors marché, puisque la technologie le permet et puisque le TURPE fait supporter au consommateur le financement du compteur Linky.
J'ajoute que ce compteur permet aussi, et nous nous en félicitons, une rationalisation de la gestion des opérateurs qui pourront réaliser des gains de productivité, de même qu'il présentera quelques avantages pour le consommateur qui n'aura plus besoin d'être présent pour le relevé du compteur, etc. Le compteur Linky offre toute une gamme de services aux professionnels, mais tout le monde en bénéficiera en définitive. Cependant, pourquoi l'information serait-elle accaparée par les fournisseurs ? Personne n'a jamais répondu à ma question sur le choix stratégique consistant à confisquer l'information pour ne la fournir que moyennant finances. Ce n'est pas un bon choix politique !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pour vous, il faudrait non seulement que le compteur soit intelligent, mais que l'on puisse le consulter immédiatement ?
M. Alain Bazot . - Il doit communiquer l'information au consommateur, et pas seulement au professionnel.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous aurez un rôle à jouer dans cette affaire, parce que vous êtes l'un des canaux d'information importants du consommateur en France. Je sais bien que le compteur Linky pourrait être encore plus intelligent, donc encore plus difficile à exploiter. Le déploiement de ce compteur représentera une amélioration certaine, et votre rôle d'information des consommateurs sera important.
J'ai bien entendu un autre message auquel je souscris d'ailleurs entièrement : il est dommage d'avoir réduit l'écart tarifaire entre les heures creuses et les heures pleines. Je suis prêt à mener ce combat à vos côtés, car il faut mener une politique incitative si l'on veut réduire la consommation de pointe à dix-neuf heures au mois de février.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Monsieur Bazot, vous avez beaucoup insisté sur la transparence : s'il y a un domaine où nous pouvons être entièrement d'accord avec vous, c'est bien celui-ci ! Cette commission d'enquête a précisément pour objet de faire la plus grande clarté possible. J'aimerais donc que vous nous précisiez les points sur lesquels vous auriez souhaité recueillir plus de précisions, notamment en ce qui concerne le nucléaire, afin que nous puissions obtenir également des réponses. Nous appelons en effet tous de nos voeux une plus grande transparence !
Ensuite, vous avez évoqué le chauffage électrique. Je ne reviendrai pas sur la question du surdimensionnement des installations qui en résulte, avec son coût induit pour la collectivité, mais je souhaite revenir sur celle du coût de ce mode de chauffage, notamment pour les ménages aux plus faibles revenus. J'ai entendu de nombreux débats sur ce thème qui se sont terminés de manière pudique. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que la réglementation thermique 2012 soit une traduction scientifique de la réalité du chauffage électrique. En effet, dans un logement bien isolé, le chauffage électrique est le mode de chauffage le plus économique. Je veux bien admettre que, dans un habitat mal isolé, le chauffage électrique pose un problème, mais il serait bon qu'un organisme comme le vôtre puisse mettre la question en perspective : le chauffage électrique peut être une source de problèmes dans un cas, mais pas dans d'autres, notamment pour les plus défavorisés.
Enfin, je souhaite revenir sur le compteur Linky et sur la question de savoir qui doit en supporter le coût. À partir du moment où une technologie nouvelle est mise en oeuvre, il faut bien que quelqu'un la paie ! Mais - et vous avez eu raison de le souligner - la vraie question est celle du service rendu.
Il faut bien recourir aujourd'hui à des moyens technologiques nouveaux pour apporter de nouveaux services. Hier, l'option « effacement des jours de pointes », ou EJP, a apporté un service : voilà une dizaine d'années, au moment où l'effacement jouait à plein, EDF économisait 6 gigawatts, voire un peu plus. Aujourd'hui, EDF « efface » un peu moins de la moitié. Or cette option EJP revenait à un compteur Linky « bête », puisqu'il suffisait de vérifier qu'un voyant était allumé.
On observe que, quand le prix de l'eau augmente dans une commune, les consommations individuelles diminuent : je ne vois pas pourquoi les consommateurs seraient intelligents pour gérer leur consommation d'eau et bêtes pour leur consommation d'électricité. Je suis donc convaincu que les consommateurs sont capables de maîtriser leur consommation quel que soit le service fourni. Malgré vos critiques, que je comprends en partie, le compteur Linky n'offre-t-il pas au consommateur un moyen d'obtenir une information qu'il ne détient pas aujourd'hui ?
M. Alain Bazot . - Précisément ! Nous estimons que le compteur Linky est pour le consommateur un instrument formidable de communication des éléments de consommation, et nous dénonçons le fait que les consommateurs ne puissent pas y avoir accès directement et soient obligés de payer pour les obtenir : ceux d'entre eux qui auraient le plus intérêt à mieux maîtriser leur consommation d'énergie n'auront pas les moyens de payer ce service supplémentaire qu'EDF leur proposera, puisqu'ils ont déjà du mal à régler leur facture. On ne peut pas demander au consommateur de payer plus pour obtenir des informations qui lui permettront de consommer moins !
Nous estimons que certaines informations du compteur devraient être communiquées directement aux consommateurs...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cela coûterait beaucoup plus cher ! J'ai pu le constater aux États-Unis, dans un État qui avait dix ans d'avance sur nous : au début, 17 % des consommateurs utilisaient vraiment le compteur intelligent et, en deux ans de temps, ils l'utilisaient de moins en moins. Nous avons d'ailleurs été très étonnés que nos interlocuteurs aient l'honnêteté de le reconnaître !
Je comprends vos arguments, mais ce qui me fait très peur, c'est que vous ne défendiez pas suffisamment un dispositif qui, certes, ne donnera pas toute l'information souhaitable, mais représente malgré tout un énorme progrès par rapport à la situation actuelle. Il est dommage que vous l'appréhendiez dès le départ de manière quasi hostile : entre rien et un outil plus cher, mais beaucoup plus performant, nous aurons Linky, et ce n'est déjà pas si mal !
Par ailleurs, l'appel d'offres qui va être lancé comporte plusieurs tranches : les premiers consommateurs équipés recevront un compteur de première génération, mais les suivants seront dotés de modèles améliorés. Si l'on n'engage pas le déploiement sous prétexte que l'information n'est pas très performante dès le départ, on peut attendre encore longtemps !
M. Alain Bazot . - En ce qui concerne le coût du compteur Linky, comme je vous l'ai dit, nous avons du mal à le connaître puisque les chiffres que l'on nous donne varient du simple au double, voire presque au triple. Les études économiques préalables ont dû être réalisées un peu rapidement !
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai noté que vous aviez effectivement des difficultés à obtenir des informations précises sur ce sujet.
M. Alain Bazot . - En ce qui concerne le chauffage électrique, je ne vais pas botter en touche, mais je vais vous faire une confidence : le dernier conseil d'administration de l'UFC-Que Choisir a décidé de faire de cette question un « chantier prioritaire ». Notre service des études a pour mission de réaliser une étude sur le chauffage électrique en France ; pour nous, votre commission d'enquête arrive un peu trop tôt, car nous n'aimons pas prendre position publiquement tant que nous n'avons pas au moins six mois d'expertise...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Comment travaillez-vous ?
M. Alain Bazot . - Nous procédons de différentes manières : soit nous recherchons les informations déjà disponibles, soit nous réalisons nous-mêmes des enquêtes. Nous nous appuyons sur notre réseau d'associations locales en fonction des sujets. Par exemple, lorsque nous enquêtons sur les tarifs bancaires, nous utilisons la capacité de notre réseau de proximité à nous faire remonter divers types de documents : des tarifs, des factures...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Des factures de travaux d'amélioration de l'isolation, par exemple ?
M. Alain Bazot . - Si nous travaillons sur ce sujet, un des axes de recherche peut effectivement consister à comparer des factures et des devis : c'est ce que nous avions fait pour les ascenseurs. Voilà un bon exemple de création artificielle d'un marché : il suffit de décréter la nécessité de changer tous les ascenseurs dans un délai donné pour créer un effet d'aubaine. La demande est artificiellement élevée et les prix explosent : nous avions donc dénoncé la formidable efficacité du lobby des ascensoristes. En effet, un examen approfondi de l'accidentologie avait révélé que les accidents recensés étaient en majorité des accidents du travail, n'impliquant pas d'usagers. En réunissant des devis partout en France, en étudiant l'état du marché au niveau national - il s'agissait d'un marché très concentré -, nous avons pu développer une réelle expertise.
Nous aurons donc plusieurs angles d'approche dans le dossier du chauffage électrique, mais, ne travaillant pas à la sauvette, nous ne produirons pas de chiffres avant d'avoir étudié la question pendant plusieurs mois. Le collaborateur en charge de cette enquête est d'ailleurs présent dans cette salle...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Malheureusement, il n'est pas autorisé à s'exprimer !
M. Jean Desessard, rapporteur . - De toute façon, l'enquête n'est pas terminée !
M. Alain Bazot . - Enfin, votre première question portait sur la transparence des coûts, monsieur le sénateur Vial. Nous ne disposons effectivement d'aucune visibilité. L'UFC-Que Choisir est pour la « vérité des prix » : nous ne menons pas de combat idéologique, en cherchant, par exemple, à cacher les coûts du nucléaire. On entend souvent dire que l'électricité nucléaire n'est pas chère parce que les investissements ont été financés par les contribuables ; or nous n'arrivons pas vraiment à savoir ce qu'il en est ! Nous déplorons un véritable manque de transparence sur les coûts de mise aux normes des centrales, de leur démantèlement, du traitement des déchets. Il est clair que tous ces éléments doivent être intégrés dans le prix de l'électricité nucléaire, car il ne s'agit pas de les faire supporter indirectement à la collectivité : c'est cela la vérité des prix !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Bazot, je vous remercie de nous avoir apporté ces précisions, et, surtout, de nous avoir exposé le point de vue des consommateurs.
M. le rapporteur sera peut-être amené à vous entendre à nouveau, s'il le souhaite. En ce qui me concerne, j'ai compris que je devrai absolument m'entretenir avec vous, non pas dans le cadre de cette commission d'enquête, mais dans celui du groupe d'études de l'énergie au Sénat, à propos du compteur Linky : je suis persuadé qu'il apporte une amélioration, et j'essaierai de vous en convaincre !
Je tiens à remercier nos collègues présents depuis ce matin de leur assiduité.
Audition de MM. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), et Pascal Sokoloff, directeur général des services
( 28 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, notre ordre du jour de ce matin appelle l'audition de M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et de M. Pascal Sokoloff, directeur général de cette même fédération.
Comme vous le savez, messieurs, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait ainsi application du « droit de tirage annuel » ouvert à chaque groupe politique du Sénat - afin de déterminer le coût réel de l'électricité.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à MM. Xavier Pintat et Pascal Sokoloff, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Pintat, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Xavier Pintat prête serment .)
Monsieur Sokoloff, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Pascal Sokoloff prête serment .)
Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment de quelles informations vous avez besoin pour votre enquête, sachant que MM. Pintat et Sokoloff auront ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, et l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourrez leur poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Messieurs, je vais donc rappeler la teneur des questions qui vous ont été adressées par nos soins.
Premièrement, quelles sont les dépenses liées aux réseaux de distribution d'électricité qui incombent, en droit et en pratique, aux collectivités locales ? Comment sont-elles financées ?
Deuxièmement, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien « en ligne » avec les investissements sur les réseaux de distribution d'électricité ?
Troisièmement, quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et des conséquences qui en résulteraient pour le TURPE, en fonction du niveau de qualité souhaité et du développement futur des sites de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables ?
Quatrièmement, quel doit être le coût du déploiement du compteur « intelligent » Linky chez l'ensemble des consommateurs ? À qui ce coût sera-t-il imputé ? Quels seront les bénéfices concrets de la mise en place de Linky pour les différents acteurs concernés ? Ses fonctionnalités sont-elles optimales ?
Cinquièmement, quelle contribution les collectivités peuvent-elles apporter en matière d'économies d'énergie, afin de réduire la facture électrique des collectivités, mais aussi celle des particuliers ? Quel jugement la FNCCR porte-t-elle sur le mécanisme des certificats d'économie d'énergie en termes de rapport entre le coût du dispositif et les économies d'énergie obtenues ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avant de vous donner la parole, messieurs, je tiens à vous rappeler que nous n'attendons pas de vous des explications techniques. Par exemple, nous connaissons tous le fonctionnement du compteur Linky et son coût. En revanche, la commission d'enquête souhaite prendre connaissance du point de vue de la FNCCR sur ces questions.
Monsieur Pintat, vous avez la parole.
M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies . - Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir tenu à auditionner des représentants de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Je rappelle que notre fédération regroupe les collectivités et les régies organisatrices des services publics de réseau. Bien sûr, notre coeur de métier à l'origine, au début du XX e siècle, était la distribution d'électricité, mais nos activités se sont étendues ensuite aux autres formes d'énergie, à l'eau, à l'assainissement et, plus récemment, à la fibre optique.
Je répondrai aux questions relatives aux grands enjeux et vous exposerai notre sentiment sur l'évolution du paysage énergétique. M. Pascal Sokoloff, notre directeur général, est un fin connaisseur des problèmes juridiques et techniques et pourra approfondir certains points, si vous le souhaitez.
Pour répondre à votre première question, monsieur le rapporteur, il convient tout d'abord de procéder à un rappel concernant les dépenses incombant aux collectivités locales et leur financement.
Une première catégorie de dépenses à la charge des collectivités concédantes, dont le montant s'élève grosso modo à 1 milliard d'euros par an, correspond, en règle générale, au raccordement au réseau et au renforcement du réseau en basse tension dans les zones rurales, sauf dans treize départements qui ont choisi de conserver le « régime urbain ». Il existe en effet deux régimes en France : le régime rural, où les autorités organisatrices de la distribution d'électricité, les AODE, sont maîtres d'ouvrage ; le régime urbain, où ERDF est maître d'ouvrage délégué pour le compte des communes. À ces dépenses s'ajoutent les travaux d'amélioration esthétique et de sécurisation, en zone rurale et parfois en zone urbaine, en vertu de l'article 8 des cahiers des charges de concessions. J'insiste sur le fait que les travaux de renforcement et d'amélioration réalisés par les collectivités concédantes évitent au distributeur ERDF de renouveler les ouvrages concernés. Les collectivités concédantes participent donc activement, dans une certaine mesure, au renouvellement des réseaux, y compris en régime urbain.
Une deuxième catégorie de dépenses est à la charge des collectivités responsables de l'urbanisme et/ou de la voirie. Il s'agit, d'une part, des contributions versées au maître d'ouvrage des travaux d'extension, adossées à la participation pour voirie et réseaux, la PVR, et, demain, à la taxe d'aménagement - elles peuvent également être prises en charge, si tel est le choix des collectivités concernées, par la fiscalité directe locale, en l'absence de taxe d'aménagement. D'autre part, les collectivités responsables de l'urbanisme doivent également s'acquitter de la participation aux travaux d'enfouissement.
En ce qui concerne la répartition des investissements de raccordement par maître d'ouvrage, les chiffres dont nous disposons sont des approximations, issues du croisement de diverses sources - notre fédération travaille activement à la mise en place d'un observatoire statistique national des autorités organisatrices de la distribution d'électricité, mais celui-ci n'est pas encore opérationnel. D'après ces chiffres, les AODE assument un peu moins d'un cinquième du volume financier de la maîtrise d'ouvrage de l'ensemble des travaux de raccordement. La répartition complète s'établit ainsi : 69 % pour les gestionnaires de réseau de distribution, 17 % pour les AODE et 14 % pour les aménageurs.
Il est important de se faire une idée précise de la répartition des flux financiers. Les autorités organisatrices de la distribution d'électricité bénéficient de deux types de ressources financières : d'une part, celles qui sont issues du TURPE, c'est-à-dire les subventions du Fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACÉ, les redevances de concession ou ce qui leur est assimilé - la contribution prévue à l'article 8 du cahier des charges des concessions, la part couverte par le tarif, ou PCT - et, d'autre part, celles qui sont essentiellement issues des taxes locales sur l'électricité et des recettes liées à l'extension des réseaux. Celle-ci peut en effet faire l'objet soit d'une participation directe des pétitionnaires au titre des équipements propres ou des équipements publics exceptionnels, soit d'une contribution des collectivités chargées de l'urbanisme, via la PVR si elles le souhaitent - c'est une question que connaît bien M. Jean-Claude Lenoir, en tant que président du Conseil supérieur de l'énergie.
Pour compléter cette présentation des financements, il est également intéressant d'identifier si ceux-ci proviennent de la péréquation nationale ou des ressources locales. En effet, plus la péréquation nationale est faible, plus il faut faire appel aux ressources locales. La péréquation nationale, en matière d'électricité, repose sur le TURPE, qui alimente le FACÉ et les redevances de concession perçues par les AODE. Les autres ressources sont locales : il s'agit de la taxe sur l'électricité, des contributions d'urbanisme et, en dernier recours, des impôts directs locaux, si aucun autre dispositif n'est prévu. Le débat sur le niveau du TURPE a donc des implications directes sur le degré de péréquation nationale du système électrique, car un niveau insuffisant risque de provoquer un transfert de charges vers les collectivités locales, qui se traduira par une hausse des contributions d'urbanisme - comme on l'a constaté dans les zones urbaines lorsque le dispositif a été mis en place - ou une augmentation du taux de la taxe sur l'électricité, si celui-ci n'a pas déjà été fixé au maximum.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous venez de nous indiquer qu'un coût n'est pas intégré aujourd'hui dans le prix de l'électricité, celui qui correspond au financement, par les collectivités locales, des réseaux de distribution. Si le TURPE baisse, les collectivités sont davantage mises à contribution. Estimez-vous, oui ou non, qu'il s'agit bien d'un élément du coût de l'électricité ?
M. Xavier Pintat . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est un élément qui n'est pas facturé au consommateur !
M. Xavier Pintat . - Non, mais il participe du coût de l'électricité, parce que les raccordements sont obligatoires ! Quand le financement de ces travaux n'est pas entièrement couvert par les tarifs de l'électricité, il faut trouver d'autres ressources : elles sont fournies soit par le pétitionnaire, soit par la collectivité chargée de l'urbanisme.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce coût n'est pas supporté directement par le consommateur, mais il incombe malgré tout à la collectivité ?
M. Xavier Pintat . - Il est un peu payé par le pétitionnaire si la PVR est perçue, mais M. Sokoloff pourra vous répondre plus précisément sur ce point.
M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies . - Il s'agit en effet d'un sujet important auquel nous souhaitons vous sensibiliser. Le système électrique a un coût global dont on n'appréhende souvent qu'une seule composante, le TURPE, en ignorant complètement que les collectivités organisatrices assument localement une part importante de son financement. Dans certains départements, le niveau d'investissement de la collectivité, assuré sur ses propres ressources, est supérieur à celui du concessionnaire ERDF. Il faut le savoir !
Il serait donc opportun de revenir à une vision globale du coût de fonctionnement et d'investissement du système, en tenant compte de la part qui échoit aux collectivités locales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Première observation, nous sommes au coeur du sujet. Deux notions doivent être prises en compte : le prix de l'électricité et son coût - d'où l'intitulé retenu pour cette commission d'enquête.
Seconde observation, nous sommes en train de démontrer que certains coûts ne sont pas pris en compte dans le prix de l'électricité. Or nous sommes sous la surveillance des autorités européennes, qui, au vu de certaines déclarations, n'hésiteront pas à souligner que le prix payé ne reflète pas pleinement une partie des coûts. Je me tourne donc vers ceux de nos collègues qui ont pris l'initiative de demander la constitution de cette commission d'enquête : cette démonstration va réjouir les autorités européennes, qui cherchent depuis longtemps à mettre en évidence ce qui n'est pas pris en compte dans la facture d'électricité, c'est-à-dire dans le prix.
Un certain nombre d'éléments, tel que celui que nous venons d'évoquer, font l'objet d'un débat. Reste à savoir ce qui doit relever du prix et ce qui doit relever du coût !
M. Xavier Pintat . - Vous avez anticipé sur notre propos, monsieur le sénateur. Nous n'aborderons cet aspect que dans le cadre de notre réponse à la deuxième question.
Lorsque nous évoquons la répartition approximative du financement des investissements dans les réseaux de distribution publics, nous nous fondons sur des sources remontant à 2009. Je le précise, parce que la situation a considérablement évolué depuis. Mais je laisse la parole à M. Sokoloff sur ce point.
M. Pascal Sokoloff . - Il me semble important d'attirer votre attention sur le fait que les chiffres que nous nous permettons de produire ont un caractère d'illustration et que nous ne pouvons pas en garantir l'exactitude statistique. Nous souffrons d'un véritable déficit d'informations consolidées au niveau national sur l'ensemble de ces flux. La FNCCR travaille par recoupements : elle essaie de mobiliser le maximum d'informations et de les mettre en cohérence.
En ce qui concerne les investissements dans le réseau de distribution, les chiffres dont nous disposons reflètent la situation en 2009. Or celle-ci a considérablement changé depuis cette date, comme l'a souligné M. Pintat, puisqu'un certain nombre de paramètres ont été modifiés, en particulier s'agissant du financement des raccordements : on a introduit la notion de réfaction tarifaire, les règles ayant été modifiées pour les producteurs. Les chiffres ont donc probablement substantiellement évolué.
M. Xavier Pintat . - J'ai évoqué tout à l'heure la mise en place d'un observatoire statistique, je n'y reviens pas. Par ailleurs, M. le président le sait bien, nous organisons actuellement des conférences départementales pour recenser les besoins d'investissement et obtenir ainsi une vision précise de ce qui se passe dans l'ensemble de notre pays.
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'Eure a été le premier département à organiser cette conférence !
M. Xavier Pintat . - Vous avez été exemplaires ! Maintenant, il faut que ces conférences aient lieu dans l'ensemble des départements. Votre commission d'enquête, mais aussi la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, pourront ainsi disposer d'une vision assez exacte de la situation sur le terrain.
Les chiffres que nous vous présentons ont le mérite d'illustrer les enjeux de la péréquation, en détaillant le mode de financement de l'ensemble des travaux sur les réseaux de distribution publique : les ressources locales, hors TURPE, finançaient en 2009 un peu moins du quart de ces travaux, et nous pensons que cette proportion est beaucoup plus importante aujourd'hui.
En ce qui concerne les investissements pour le raccordement, c'est-à-dire le branchement et les extensions, les ressources locales - fiscalité, contributions d'urbanisme, vente de parcelles - les financent à hauteur du tiers.
M. Pascal Sokoloff . - En 2012, nous pensons que la part des investissements financée par des ressources locales est substantiellement supérieure au tiers, parce que, depuis 2009, a été introduit le mécanisme dit de « réfaction tarifaire » : une partie du coût des raccordements est couverte par le tarif, dans une proportion fixée par voie réglementaire à 40 %. Pour le consommateur, 60 % des coûts de raccordement sont couverts non pas par le tarif, mais par des ressources locales. Nous avons beaucoup de mal à parvenir à un chiffre précis, parce que divers éléments rétroagissent. En particulier, un gros travail a été réalisé pour préciser dans quelle mesure le tarif couvrait ou non les renforcements associés aux raccordements - M. Lenoir connaît bien ce sujet -, mais nous ne disposons d'aucun élément de bilan : ces chiffres doivent donc être considérés avec beaucoup de précautions.
M. Xavier Pintat . - Par sa deuxième question, M. le rapporteur demande si le niveau actuel du TURPE est « en ligne » avec les investissements dans les réseaux de distribution.
Nous tenons à souligner l'existence de trois anomalies dans la gouvernance du système électrique.
En premier lieu, la CRE a prévu une remontée des investissements sur la période tarifaire - ce qui est une bonne chose ! -, mais la trajectoire d'investissement retenue au titre du TURPE 3 pour ERDF ne sera pas respectée sur cette période.
En deuxième lieu, en ce qui concerne les renouvellements, les cahiers des charges prévoient que les concessionnaires doivent constituer des provisions, mais la CRE ne les a jamais prises en compte dans les charges couvertes par le TURPE 3 : elles doivent donc être couvertes par la rémunération du concessionnaire - je rappelle que le taux de rémunération s'établit à 7,25 % des investissements.
En troisième lieu, le distributeur ERDF est contractuellement chargé des travaux de renouvellement, pour lesquels il est rémunéré, mais les AODE, par leurs travaux d'enfouissement et de sécurisation, participent elles aussi directement à la fonction de renouvellement. Dans ces conditions, l'investissement de l'autorité organisatrice devrait engendrer une couverture tarifaire équivalente à celle dont bénéficie ERDF, or tel n'est pas le cas : la couverture tarifaire des investissements réalisés par les AODE est moindre. M. Sokoloff va vous apporter des explications plus détaillées à cet égard.
M. Pascal Sokoloff . - Comme nous le faisait observer tout à l'heure M. Lenoir, cette question révèle l'existence de « coûts cachés », tout du moins de coûts que le régulateur national, la CRE, n'a pas pris en compte correctement dans la construction tarifaire du TURPE 3. Quelques précisions techniques vous permettront de mieux comprendre la logique de notre position.
Schématiquement, la construction tarifaire de la CRE est la suivante : quand un investissement est concédé, il produit une couverture tarifaire. Lorsqu'un équipement est mis en concession par ERDF, les dotations aux amortissements sur la durée du bien - quarante ans est la durée la plus souvent retenue - sont couvertes par le tarif ; en outre, ERDF perçoit une rémunération au taux de 7,25 % sur la valeur nette comptable du bien, cumulée sur l'ensemble de la période. En revanche, lorsque l'AODE, maître d'ouvrage, met celui-ci en concession, si le même mécanisme est appliqué, la CRE soustrait des charges en capital couvertes par le tarif la valeur de l'ouvrage remis par la collectivité.
Nous avons un peu de mal à comprendre le raisonnement de la CRE, mais je vais néanmoins essayer de vous l'expliquer. La CRE considère que lorsque ERDF est maître d'ouvrage, il expose des débours, en payant des entreprises, en contrepartie de sa rémunération. En revanche, lorsque l'autorité organisatrice remet un équipement à ERDF, il s'agit d'une remise gratuite et il faut retrouver l'équivalent des débours qu'aurait supportés ERDF s'il avait été maître d'ouvrage. Cet équivalent est obtenu par la soustraction de la valeur de l'ouvrage remis des charges en capital. Dans ce raisonnement, la CRE oublie que l'autorité organisatrice a elle-même supporté des débours, puisqu'elle a réalisé les travaux. Le compartiment du service public local, qui relève de la collectivité maître d'ouvrage, est actuellement ignoré par le régulateur national dans sa construction tarifaire.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est un peu complexe, mais nous commençons à y voir clair !
M. Xavier Pintat . - Nous en arrivons à la troisième question, portant sur les scénarios envisageables.
Il est important de rappeler, au préalable, qu'il existe une relation de causalité entre le bas niveau des investissements réalisés par EDF entre 2000 et 2004 et l'augmentation de la durée moyenne de coupure. Par ailleurs, les investissements délibérés de renouvellement et d'amélioration d'EDF, puis d'ERDF, ont été divisés par trois entre le début des années quatre-vingt-dix et 2003. Cette chute a été à peine freinée par le maintien des investissements obligatoires, c'est-à-dire les raccordements. La CRE a fini par se rendre compte de cette situation et a prévu, depuis 2009, début de l'application du TURPE 3, une remontée des investissements qui va dans le bon sens.
Il convient également de rappeler les conclusions du rapport Piketty, qui préconisait, au début des années 2000, un investissement de sécurisation de 395 millions d'euros par an pendant quinze ans. Dans la réalité, en matière de sécurisation, aucun investissement n'a été réalisé les premières années, puis on a investi moins de 200 millions d'euros par an entre 2005 et 2008, une remontée timide étant constatée à partir de 2009. Nous restons donc bien au-dessous de ce qui avait été préconisé au début des années 2000.
M. Ladislas Poniatowski, président . - À partir de ces chiffres, pouvez-vous distinguer les investissements dans la qualité de desserte des investissements de sécurisation ?
M. Xavier Pintat . - Les investissements de sécurisation du réseau portent sur l'éradication des fils nus et la sécurisation des ouvrages de moyenne tension.
M. Pascal Sokoloff . - Les investissements dans la qualité de desserte portent plutôt sur les renforcements, qui permettent de suivre l'évolution des besoins et de garantir la tenue de tension. Les investissements de sécurisation comprennent les mesures spécifiques qui ne seraient pas délibérément mises en oeuvre par ERDF s'il n'était pas incité à s'engager dans un programme de sécurisation tendant à répondre à la problématique de l'aggravation du risque climatique.
Le rapport Piketty fait directement suite aux tempêtes de 1999 et à la prise de conscience du fait que nous entrons dans un monde nouveau, marqué par un accroissement du risque climatique : il faut donc absolument remédier à la vulnérabilité des réseaux. Nous avons pris soin de vous indiquer ces chiffres parce que, dans la scénarisation des investissements à venir que nous proposerons tout à l'heure, les risques climatiques représentent un paramètre important à prendre en compte si l'on veut garantir la capacité des réseaux à assurer une fourniture de qualité.
M. Xavier Pintat . - En outre, on peut difficilement mettre en place des compteurs intelligents sur des réseaux vétustes, surtout lorsque ceux-ci représentent un sixième de l'ensemble du système !
Le rapport Piketty fixait différents objectifs intéressants : éradication de 6 000 kilomètres par an de fils nus en moyenne tension et de 8 000 pour le réseau en basse tension. Ces objectifs n'ont été atteints qu'à hauteur d'environ 50 %.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En ce qui concerne l'éradication des fils nus sur le réseau à basse tension, elle incombe aux AODE, et non pas à ERDF, car ce réseau relève de la responsabilité des autorités concédantes.
M. Pascal Sokoloff . - Compte tenu de l'inaction d'ERDF, les collectivités ont fini par investir dans ce domaine.
M. Xavier Pintat . - On trouve aussi des fils nus en zone urbaine. Grosso modo , dans notre pays, les fils mal isolés représentent 100 000 kilomètres sur un total de 600 000. Les conférences départementales permettront de fixer des objectifs, mais nous pouvons déjà dire qu'un sixième du réseau est concerné. En haute tension A, il reste environ 93 000 kilomètres de fils mal isolés, à enfouir ou en zone boisée.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Qu'appelez-vous exactement « fils nus » ?
M. Xavier Pintat . - Il s'agit de fils qui ne correspondent plus aux normes européennes, que nous sommes le seul pays à utiliser encore et qui ont en général plus de soixante-dix ans.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En basse tension, on les repère très facilement sur le terrain : ils comportent trois fils, alors que le fil renforcé ne compte qu'un seul brin, torsadé en général.
M. Philippe Kaltenbach . - Qu'entendez-vous par « haute tension A » ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il s'agit de la moyenne tension. Elle relève du réseau d'ERDF, et non de celui de RTE.
M. Xavier Pintat . - Les collectivités locales ne sont propriétaires que de réseaux en moyenne tension, inférieure à 50 000 volts, et en basse tension, inférieure à 1 000 volts.
Nous avons élaboré deux scénarios alternatifs, fondés l'un sur l'hypothèse d'un maintien de l'effort d'investissement actuel, l'autre sur celle d'une accélération du rythme d'investissement : il faut garder à l'esprit que, en 2017, le réseau de transport devra être définitivement sécurisé ; il serait logique que la sécurisation du réseau en moyenne et en basse tension soit elle aussi effective à cette échéance.
Le premier scénario traduit une inquiétude quant à la mise en place du compteur Linky : nous craignons que son financement ne soit prélevé sur les sommes destinées à l'entretien et à la sécurisation des réseaux. Dans ces conditions, un niveau acceptable de sécurité ne pourra pas être atteint avant 2030 : il nous semble donc souhaitable d'accélérer le rythme de la mise à niveau.
Le second scénario vise à établir une cohérence avec l'échéance fixée pour la sécurisation du réseau de transport. Sa mise en oeuvre suppose d'enfouir 93 000 kilomètres de lignes HTA d'ici à la fin de 2017, de réaliser les travaux annexes, notamment d'automatisation, et de sécuriser les 100 000 kilomètres de fils nus du réseau basse tension. Nous estimons le coût de ces opérations à 8 milliards d'euros...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Comment répartissez-vous cette somme entre les différentes opérations que vous avez mentionnées ?
M. Pascal Sokoloff . - Je ne dispose pas du détail, mais nous pourrons vous le communiquer ultérieurement.
M. Xavier Pintat . - Il s'agit d'une estimation globale qui remonte déjà à plusieurs années.
S'il était décidé d'accélérer les investissements pour terminer la sécurisation d'ici à 2017, nous estimons l'effort financier supplémentaire à fournir à 1 milliard d'euros par an sur huit ans, ou à 1,3 milliard d'euros par an sur cinq ans. Aujourd'hui, le TURPE correspond à un effort d'investissement réel de 2,8 milliards d'euros ; si on ajoute 1,3 milliard d'euros, il faudrait donc pouvoir disposer de 4,1 milliards d'euros pour les investissements. Ces chiffres ne prennent évidemment pas en compte le financement de la mise en place du compteur Linky.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est totalement hors de portée !
M. Xavier Pintat . - Oui, mais le TURPE est « surdimensionné » aujourd'hui par rapport à ce qui est réellement consommé. Il ne faudrait pas que les sommes disponibles soient utilisées à d'autres fins, notamment pour financer Linky.
Grosso modo , l'objectif de sécurisation correspond à l'enfouissement de 50 % des lignes en moyenne tension ; il peut être atteint en 2017, si notre proposition est retenue, ou en 2030, si l'on maintient simplement le rythme actuel. Il en va de même pour l'éradication des 100 000 kilomètres de fils nus.
La troisième question de M. le rapporteur portait également sur les investissements à effectuer dans les dix prochaines années et leurs conséquences sur le niveau de la production décentralisée d'électricité. Même si nous ne disposons que de peu de chiffres, ce sujet est important, en raison de la modification du sens des flux de circulation de l'énergie induite. Jusqu'à maintenant, nous étions habitués à ce que ces flux circulent du transport, c'est-à-dire de la haute tension, vers la basse tension en passant par la moyenne tension, mais aujourd'hui ils peuvent remonter vers la moyenne tension lorsque l'installation de production est raccordée au réseau en basse tension : les panneaux solaires placés sur les toits des maisons sont un exemple typique à cet égard. En conséquence de cette évolution, la chaîne de sécurisation ne peut plus être réduite à la seule sécurisation descendante. En outre, la production décentralisée d'électricité peut concourir à la sécurisation grâce à des procédures particulières d'îlotage à définir et à développer, mais qui nécessitent des réseaux en basse tension de bonne qualité. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'effort à réaliser dans ce domaine. Nous rencontrons des difficultés pour évaluer le coût des investissements spécifiques à prévoir à ce titre, parce qu'il s'agit d'un secteur nouveau, encore en expérimentation.
J'en viens à la quatrième question, portant sur le coût du déploiement de Linky.
Le coût initial admis, annoncé par le ministre, s'élève à 4,3 milliards d'euros, hors modernisation des réseaux. Pour mémoire, ERDF décompose comme suit cette enveloppe : 2 milliards d'euros environ pour la pose des compteurs et des concentrateurs, un peu moins de 2 milliards d'euros pour la fabrication du matériel et 100 millions d'euros pour les développements informatiques nécessaires. Je rappelle que l'on attend de la mise en oeuvre de ce dispositif la suppression de 5 460 postes, chiffre à rapprocher de celui de 5 900 départs à la retraite prévus.
Nous éprouvons malgré tout une légère inquiétude quant au coût réel de Linky, puisque M. Proglio a annoncé le 9 novembre dernier, dans Le Parisien, un coût unitaire de 200 à 300 euros. Dans ce cas de figure, le coût global devrait être estimé non plus à 4,3 milliards d'euros, mais entre 8 milliards et 10 milliards d'euros. Puisque les gains de productivité annoncés s'élèvent à 1,2 milliard ou 1,3 milliard d'euros, le besoin de financement devient très important.
Par ailleurs, les surcoûts de production potentiels en zone rurale nous semblent minorés. Le plan de développement validé par la CRE indique un temps de pose de 30 minutes, mais on constate, sur les territoires d'expérimentation, qu'il est en fait proche de 47 minutes en zone urbaine et de 60 minutes en zone rurale. Les techniciens responsables du projet nous disent qu'ils s'arrangeront pour que ce temps de pose soit bien de 30 minutes, même si cela ne correspond pas à la réalité du terrain !
Nous tenons à vous rappeler nos convictions quant au principe d'imputation des coûts afférents à Linky : il est très important de considérer Linky comme un « bien de retour » appartenant à l'autorité concédante, pour deux raisons...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous n'allons pas recommencer ce débat ! Permettez-moi de vous rassurer : Mme Michèle Bellon a bien réaffirmé devant nous que les compteurs seraient la propriété des collectivités locales...
M. Xavier Pintat . - Certes, mais ni la loi de 2004 ni le cahier des charges des concessions ne le prévoient : il faut donc modifier ces textes.
Grâce aux lois dont vous avez été le rapporteur, monsieur le président, nous avons pu maintenir un certain consensus, notamment sur le monopole de la distribution dans notre pays. Mais si l'on se met à « détricoter » la priorité dans ce rapport concédant-concessionnaire ainsi que le régime de propriété, la situation va devenir illisible pour les autorités européennes, qui reviendront à la charge afin d'imposer ce que nous souhaitons éviter, c'est-à-dire que la distribution soit soumise à la concurrence.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous souhaitez que les compteurs appartiennent à la collectivité locale ?
M. Xavier Pintat . - C'est ce qui a été décidé, M. le président vient de le rappeler.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Restons dans le sujet ! Je sais bien qu'il s'agit de l'un de vos chevaux de bataille, mais vous avez rempli votre rôle et obtenu satisfaction : les compteurs Linky resteront la propriété des collectivités territoriales.
M. Xavier Pintat . - Autre sujet de préoccupation, il nous semble souhaitable que le financement du déploiement de Linky soit assuré par l'emprunt, ce dernier pouvant être amorti de trois manières : grâce aux gains de productivité - mais on a vu qu'ils seront réduits par rapport à l'investissement -, par la majoration du TURPE si les gains de productivité sont insuffisants...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces questions ont été tranchées ! Avançons !
M. Xavier Pintat . - En ce qui concerne les bénéfices concrets attendus, Linky sera un outil de contrôle de la qualité de l'électricité, qui fournira une information détaillée aux usagers sur leur consommation, permettra l'intervention à distance des gestionnaires de réseau de distribution et l'adaptation de la production et de la consommation d'électricité dans une perspective d'équilibre et d'économie.
Pour sa part, la FNCCR regrette que l'on ne transmette pas aux AODE des informations sur la qualité de l'électricité et estime que le client devrait être destinataire d'un certain nombre d'informations sur sa consommation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est une demande des représentants des associations de consommateurs.
M. Jean-Claude Lenoir . - Et des deux co-présidents du comité de suivi du compteur Linky !
M. Xavier Pintat . - Enfin, il serait souhaitable qu'une analyse technico-économique soit réalisée de manière indépendante et transparente.
J'en arrive à la cinquième question, relative à la contribution des collectivités locales aux économies d'énergie des collectivités et des particuliers.
Nous sommes convaincus que les collectivités locales peuvent jouer un rôle d'entraînement formidable et que des économies importantes peuvent être réalisés dans trois domaines : les bâtiments, l'éclairage public et la consommation énergétique des flottes de véhicules.
Les AODE jouent leur rôle en diffusant des conseils très appréciés en matière d'audit énergétique ; la plupart des syndicats d'électricité développent une compétence dans ce domaine : ils font appel à un intervenant extérieur pour les audits les plus « pointus » et vont même jusqu'à mettre en place les programmes définis. Cette action permet de mutualiser les moyens, de réduire la consommation et les factures pour le patrimoine bâti - en synergie avec l'ADEME, en général -, de favoriser le bon usage de l'énergie, par la publication de guides et l'organisation de campagnes médiatiques communes. Nous menons également une action sociale de lutte contre la précarité énergétique, en préconisant des économies d'énergie adaptées à la précarité et en contrôlant l'application du tarif de première nécessité. Une dynamique est en train de se créer, il ne faut pas l'entraver.
Pour parvenir à une régulation globale, un certain nombre d'outils sont développés : les plans climat-énergie territoriaux, les schémas régionaux climat-énergie, les bilans d'émissions de gaz à effet de serre, les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme.
Je n'oublie pas non plus les certificats d'économie d'énergie, dispositif qui commence à prendre forme : certains départements ont bien mis au point la procédure. Il serait donc dommage de le modifier, d'autant qu'il est peu coûteux pour l'État, puisque sa gestion n'occupe qu'une quinzaine de collaborateurs au pôle national et que, le marché se constituant, une massification des dossiers est envisageable. Le dispositif actuel permet d'obtenir des certificats d'économie d'énergie à un moindre coût et fonctionne bien. Nous sommes donc favorables au maintien de l'éligibilité des collectivités locales à cette mesure qui nous paraît créer un bon effet d'entraînement, sans trop de coûts induits. Enfin, le dispositif pourrait être étendu à la part d'énergies renouvelables utilisée par les fournisseurs, en instaurant le même système de certificats négociables, en lieu et place de l'obligation d'achat. Cette idée nous paraît mériter d'être peaufinée et encouragée.
Nous en avons terminé avec les différents points sur lesquels vous souhaitiez connaître les positions de la FNCCR. Nous sommes prêts à répondre à vos éventuelles questions complémentaires.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous vous remercions de ces éclaircissements, monsieur le président.
Si je puis me permettre de tirer une conclusion de votre présentation, il me semble que, quel que soit le coût du réseau de distribution et le niveau d'investissement des collectivités locales, ce coût risque encore d'augmenter, puisque vous souhaitez que l'on engage davantage de moyens pour moderniser le réseau, avec toutes les conséquences que cela emporte sur le niveau des prix.
Avant de donner la parole à nos collègues, je souhaite vous poser une dernière question. Vous nous avez présenté une simulation prévoyant l'achèvement de la sécurisation du réseau en basse et en moyenne tension en 2017 : êtes-vous bien conscient qu'il n'est pas possible de faire disparaître à si brève échéance les fils nus ni d'enfouir les lignes en moyenne tension ? Vous vous êtes fondés sur cette date parce que RTE aura alors entièrement sécurisé son réseau de transport, mais cet objectif n'a jamais été annoncé ni fixé par qui que ce soit : personne n'a décidé qu'il faudrait relever le TURPE ou toute autre catégorie de recette pour permettre l'accélération de ces travaux de sécurisation. En revanche, il est intéressant de relever que vous avez indiqué que, à niveau d'investissement constant, cette sécurisation ne sera atteinte qu'en 2030. En évoquant l'échéance de 2017, vous avez donc simplement formulé un souhait ?
M. Xavier Pintat . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, si j'ai bien lu vos questions, vous nous avez demandé de proposer un scénario : nous en présentons donc un, qui est cohérent. Il est dommage que les efforts entrepris par RTE depuis plusieurs années pour rendre le réseau en haute tension particulièrement performant et sécurisé à l'échéance de 2017 ne coïncident pas avec la modernisation du réseau en moyenne tension. Ce décalage aura certainement des incidences sur la qualité du courant distribué.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Exactement !
M. Pascal Sokoloff . - Nous avons signalé que, par rapport à la trajectoire d'investissement assignée à ERDF par la CRE dans le cadre du TURPE 3, les objectifs ne sont pas atteints. J'ai calculé le total des écarts observés entre 2009 et 2012 : il s'élève à près de 500 millions d'euros. La construction tarifaire de la CRE aurait donc dû permettre à ERDF, depuis 2009, d'investir cette somme, ce qui n'a pas été fait.
Les objectifs que nous vous avons présentés sont certes ambitieux, mais nos deux scénarios ménagent des situations intermédiaires...
M. Xavier Pintat . - Une partie du coût de ces travaux est déjà incluse dans les tarifs !
M. Pascal Sokoloff . - Nous souhaitons insister sur deux points : premièrement, la CRE a intégré la nécessité d'accroître substantiellement les efforts d'investissement - 1 milliard d'euros supplémentaires chaque année à partir de 2012 ; deuxièmement, le concessionnaire, ERDF, ne s'acquitte pas de ses obligations d'investissement à la hauteur fixée par le régulateur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est mal parti ! L'enveloppe allouée par le FACÉ pour l'élimination des fils nus en basse tension n'a pas augmenté pour 2012 par rapport à l'année dernière. Je me permets de vous le dire, monsieur Pintat, puisque vous êtes également président du FACÉ.
M. Xavier Pintat . - L'enveloppe consacrée à la sécurisation est en légère augmentation...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Bien sûr, mais la part consacrée à l'éradication des fils nus est pratiquement constante.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Je souhaiterais soulever deux questions.
Messieurs, vous nous avez livré beaucoup de ratios fort intéressants, mais jamais de chiffres bruts, or il est important que nous puissions disposer d'ordres de grandeur. Pourriez-vous nous les fournir en complément des documents que vous nous avez présentés ?
Par ailleurs, je ne rouvrirai pas le débat sur Linky, mais vous nous avez parlé de simulations portant sur les usages : j'aimerais savoir où vous en êtes à cet égard. En effet, Linky fait l'objet d'une présentation très comptable, mais on attend aussi de ce compteur qu'il contribue à modifier les habitudes des consommateurs. Si Linky sert simplement à prendre connaissance du montant des factures, cela ne justifie pas un investissement de 4 milliards d'euros !
M. Pascal Sokoloff . - Je peux vous indiquer deux chiffres parmi bien d'autres : nous estimons que le volume global des investissements des collectivités concédantes s'élève à 1 milliard d'euros, montant à comparer aux investissements d'ERDF, qui sont de l'ordre de 2,5 milliards à 3 milliards d'euros. On peut donc retenir que les collectivités concédantes assument le quart de l'effort d'investissement sur les réseaux.
Autre chiffre intéressant, le produit global de la taxe locale sur l'électricité - le sujet est d'actualité, eu égard à la transposition en cours de directives européennes - s'élève à 1,4 milliard d'euros, et il est réparti comme suit : les départements perçoivent quelque 500 millions d'euros, les communes 600 millions d'euros et les syndicats d'électricité environ 300 millions d'euros. Il convient de rappeler que lorsque la taxe est perçue par les syndicats d'électricité, elle est affectée : en effet, le syndicat ne peut la percevoir que si on lui a attribué la compétence pour investir dans les réseaux. A contrario , la partie du produit de la taxe perçue par les départements et les communes n'est pas obligatoirement réinjectée dans l'amélioration du système électrique, mais peut financer des dépenses générales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie d'apporter cette dernière précision, monsieur Sokoloff, parce que vous adressez ainsi un message important aux parlementaires que nous sommes. Légalement, le produit de la taxe locale sur l'électricité peut être utilisé pour financer n'importe quel type de dépenses, il n'y a aucune obligation de l'affecter à des travaux de renforcement du réseau électrique. Il faut le savoir !
M. Jean-Pierre Vial. En ce qui concerne la sécurisation du réseau, j'ai fait un rapide calcul : la mise en oeuvre du scénario que vous nous avez présenté supposerait que l'on éradique 200 kilomètres de fils nus par an et par département, ce qui est matériellement irréaliste. Pourriez-vous nous indiquer des chiffres correspondant à ce que les départements peuvent véritablement réaliser chaque année ?
M. Pascal Sokoloff . - Une précision me paraît importante : les fils nus correspondent à des réseaux extrêmement anciens qui ont largement dépassé leur durée de vie théorique. EDF, puis ERDF, ont manqué à leurs obligations de renouvellement des réseaux et les ont laissés vieillir. Aujourd'hui, certains réseaux ont soixante-dix ans, voire quatre-vingts ans !
Pour accélérer l'élimination des fils nus, les collectivités locales ont commencé à prendre en charge des programmes de sécurisation, mais ERDF peut et doit continuer de prendre une part active à cet effort, au titre de sa mission de base de renouvellement des ouvrages. Le cahier des charges du concessionnaire prévoit une obligation de renouveler les ouvrages lorsqu'ils arrivent au terme de leur durée de vie : si ERDF l'assumait correctement, l'éradication des fils nus serait autant, sinon plus, le fait du concessionnaire que celui des collectivités locales. Dans le cadre du renouvellement du réseau, le rythme d'éradication des fils nus évoqué par M. Vial ne me paraît pas du tout irréaliste, à condition qu'ERDF fasse son travail !
M. Xavier Pintat . - Vous nous avez demandé des chiffres globaux, nous vous les avons fournis. Cependant, les conférences départementales devront établir l'inventaire des travaux déjà réalisés, coordonner les actions d'investissement et définir une stratégie comprenant un recensement des besoins, des objectifs communs et des délais, quitte à mobiliser d'autres acteurs, comme les conseils généraux. Ce travail doit être réalisé département par département, parce que les calculs de moyennes ne reflètent pas la réalité. C'est la raison pour laquelle nous organisons ces conférences départementales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Vous avez souligné que RTE serait en mesure, dans un avenir assez proche, d'offrir un réseau d'une qualité optimale. Je ne veux pas diminuer les mérites de RTE, mais sa mission consiste à mettre en oeuvre les directives de la CRE avec les moyens que celle-ci lui assigne. En clair, la CRE détermine le montant des investissements et affecte à RTE une ressource, financée par le TURPE, ce qui n'est pas le cas pour ERDF. Souhaitez-vous que, pour cet opérateur également, la loi donne à la CRE le pouvoir de déterminer le montant et la nature des investissements à réaliser ?
Je formulerai maintenant deux observations.
Premièrement, en ce qui concerne Linky, j'assume la paternité, avec Ladislas Poniatowski, d'un rapport favorable au déploiement de ce compteur. Réduire les fonctionnalités de Linky à l'indication en temps réel de leur consommation aux usagers, c'est ignorer les conclusions de ce rapport. Je suggère que la commission d'enquête nous auditionne, M. Poniatowski et moi, sur cette question... ( Sourires .)
Deuxièmement, je ne souscris pas aux observations du président de notre commission d'enquête relatives à la taxe locale sur l'électricité. En effet, en tant que maire d'une commune qui n'est pas membre d'un syndicat maître d'ouvrage, je veux bien que l'on rapporte la ressource que représente cette taxe au montant global des investissements réalisés, car je ne veux pas juger de ce que font les autres collectivités, mais je souhaiterais que les critiques sur l'utilisation du produit de la taxe soient plus modérées, parce qu'elles ne correspondent pas à la réalité vécue par de nombreuses communes.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach . - Je saisis cette occasion pour évoquer une difficulté que je rencontre en tant que maire. Depuis quelque temps, on demande aux villes de financer des renforcements de réseaux à la suite d'opérations de construction de logements, parfois modestes. Ces demandes me paraissent assez scandaleuses, et je souhaiterais connaître la position de la FNCCR sur cette question.
Nous rencontrons également des difficultés avec ERDF, en termes de délais pour le raccordement d'immeubles ou d'équipements. Ces délais occasionnent une perte pour les acteurs économiques concernés, car ceux-ci ont besoin que le raccordement soit effectué rapidement pour pouvoir mettre les logements qu'ils ont construits en location, par exemple.
Il est tout à fait louable de vouloir améliorer les réseaux, mais comment faire pour que l'opérateur soit plus réactif et que l'on cesse de solliciter les communes pour financer des renforcements ? La création de vingt ou trente appartements supplémentaires, en région parisienne, n'est pas à l'origine d'une saturation du réseau justifiant des investissements non négligeables, du moins si l'on en croit les montants facturés !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je tiens tout d'abord à remercier MM. Pintat et Sokoloff de la qualité de leur intervention.
Les travaux de renforcement et d'amélioration effectués par les collectivités concédantes évitent à ERDF de renouveler les ouvrages concernés, nous a-t-il été indiqué. Cet aspect me paraît important, parce que j'ai parfois l'impression que l'on compte deux fois les investissements réalisés.
Par ailleurs, j'observe que la pose de panneaux solaires sur le toit d'une maison n'exige pas un renforcement du réseau, car il n'est pas nécessaire de passer à la moyenne tension. À partir de quelle taille la mise en place d'un nouvel équipement impose-t-elle de passer à la moyenne tension ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat . - M. Jean-Claude Lenoir a évoqué deux sujets importants.
Nous pensons qu'une régulation nationale est nécessaire, mais il faut également une régulation locale, que seules les autorités organisatrices de la distribution d'électricité peuvent assurer. La CRE ne peut pas réguler le branchement du boulanger, d'un lotissement, etc. : cette régulation de proximité incombe au maire de la commune.
Dans le cadre de l'organisation actuelle, comment concilier régulation et efficacité, comme c'est le cas avec RTE ? La CRE peut difficilement être directive, car elle ne peut exercer de tutelle sur les collectivités concédantes. Cependant, la loi a prévu l'organisation de conférences départementales : si celles-ci fonctionnent bien, on saura vraiment ce que font le distributeur et les autorités concédantes. La loi devrait prévoir que les conclusions des conférences départementales soient communiquées à la CRE, qui n'aurait alors qu'à « ramasser les copies » et pourrait ainsi disposer d'une vision très exacte de la réalité lui permettant d'influer, par sa dotation, sur l'efficacité des investissements. Je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus, parce que l'on ne va pas démultiplier la CRE, comme cela avait été fait pour le Médiateur, en créant des délégués départementaux. La CRE doit rester une structure nationale et elle assure très bien la régulation du service public national ; pour le service public de proximité, qu'elle collecte les données, département par département, et tout sera transparent. Telle est notre position.
En ce qui concerne la taxe affectée, vous avez raison, monsieur Lenoir : il ne faut pas caricaturer la situation dans les communes. D'ailleurs, si les engagements sont respectés, notamment pour la mise aux normes de l'éclairage public, les besoins seront nettement supérieurs au produit de la taxe affectée !
En revanche, il faudrait que les départements réinjectent une partie du produit de la taxe locale sur l'électricité qu'ils perçoivent, dans la limite de 20 % ou de 30 %, dans le système électrique, peut-être selon des objectifs ciblés. La sécurisation des réseaux pourrait faire l'objet d'une contractualisation entre les départements, ERDF et les autorités concédantes.
Monsieur Kaltenbach, pour répondre à votre question, il convient de rappeler qu'un raccordement électrique comporte trois parties : le branchement, payé par le pétitionnaire ; l'extension du réseau et les travaux de génie civil, financés par la collectivité responsable de l'urbanisme, qui peut soit répercuter la dépense sur le pétitionnaire via la taxe d'aménagement, soit la prendre en charge ; enfin, le renforcement du réseau nécessaire pour garantir la qualité de la distribution du courant, qui relève, à mon sens, de la mission du service public de l'électricité - sur ce point, vous avez raison. Ce renforcement devrait donc être pris en charge au travers de la péréquation. Comme vous l'avez dit, le dernier abonné raccordé n'est pas nécessairement responsable de la perturbation d'un réseau : le renforcement est une véritable mission de service public.
M. Jean-Claude Lenoir . - Le groupe de travail que j'ai présidé a rendu des conclusions en ce sens. En principe, ce problème est réglé, et j'ai été surpris de cette question.
M. Xavier Pintat . - M. Kaltenbach a raison : sur le terrain, la situation n'est pas toujours conforme aux principes.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cette question est réglée juridiquement. La FNCCR remplit tout à fait son rôle : elle a engagé un dialogue avec le ministère parce que, dans certains départements, les directives nationales sont parfois interprétées de manière particulière.
M. Xavier Pintat . - Pour éviter qu'une collectivité chargée de l'urbanisme ne rencontre un problème dans l'instruction des dossiers de raccordement, il faudrait que nos syndicats créent, avec ERDF, un pôle commun d'instruction des dossiers. En zone rurale, par exemple, les communautés de communes et les syndicats de communes sont bien au fait des questions d'urbanisme, mais les agents d'ERDF connaissent parfois mal la réglementation des permis de construire. La mise en place d'un pôle commun d'instruction des dossiers permettrait de régler les cas particuliers et d'éviter des erreurs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je suis ravi que M. Kaltenbach ait posé cette question, parce que le problème n'est pas réglé. La FNCCR joue tout à fait son rôle en nous défendant.
Je crois qu'une question n'a pas encore reçu de réponse.
M. Pascal Sokoloff . - Reste en effet la question de M. le rapporteur sur l'incidence du développement de la production d'électricité photovoltaïque sur le renforcement des réseaux.
Tout d'abord, l'électricité produite par un panneau solaire installé sur le toit d'une habitation est certes revendue, mais elle est, en général, réinjectée dans la maison : il s'agit en fait, sur le plan technique, d'une autoconsommation. Dans ce cas de figure, il n'y a pas de charge supplémentaire pour le réseau.
La situation devient en revanche problématique, en raison du fort développement du photovoltaïque et de l'effet de masse qui en résulte, si, compte tenu du niveau d'ensoleillement, la production est forte et la consommation faible. Ces décalages posent un problème au gestionnaire du réseau, qui doit garantir en permanence un équilibre entre les injections et les soutirages.
Ces phénomènes ont une incidence sur le dimensionnement des réseaux, mais la véritable difficulté, de notre point de vue, est liée à l'évolution de la régulation du réseau de distribution. Au niveau des réseaux de transport d'électricité, des mécanismes extrêmement complexes existent : RTE a développé tout un arsenal d'outils, comme le mécanisme d'ajustement, les responsables d'équilibre, etc. Pour la FNCCR, la question qui se pose, et qui n'est pas encore réglée, est de savoir si les gestionnaires de réseaux de distribution disposeront également d'outils de contractualisation avec les producteurs et les consommateurs pour assurer, à leur niveau, cette mission d'équilibrage. Ce chantier est devant nous, et nous ne disposons pour l'heure que de peu d'éléments !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Messieurs, vous avez su être à la fois synthétiques et, quand il le fallait, plus techniques et précis : je vous en félicite !
Audition de M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de la statistique publique et de la commission sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH)
( 28 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de ce matin, nous allons maintenant entendre M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de la statistique publique et de la commission sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.
Monsieur Champsaur, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous n'aviez d'ailleurs pas le choix ( Sourires .), puisque toute personne sollicitée est obligée de se présenter devant une commission d'enquête parlementaire.
Votre audition est importante, parce que vos responsabilités vous placent au coeur du sujet qui nous occupe.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Champsaur, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Paul Champsaur prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie.
Pour entrer tout de suite dans le vif du sujet, M. le rapporteur, Jean Desessard, va rappeler les questions qu'il vous a adressées afin de vous permettre de préparer cette audition, de telle sorte que tous nos collègues en soient informés et que cela figure dans le compte rendu de nos auditions. Vous y répondrez dans l'ordre que vous souhaitez et pourrez apporter des éclaircissements complémentaires si cela vous semble utile. Par conséquent, je vous demanderai d'être relativement concis lors de votre exposé, afin que les membres de la commission d'enquête puissent ensuite vous interroger.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Champsaur, nous vous avons adressé cinq questions. Je les résume rapidement.
Première question : pouvez-vous présenter les principales raisons qui ont conduit la commission que vous avez présidée à proposer un prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, proche de 39 euros par mégawattheure ? Quelles en sont les conséquences sur le prix de l'électricité, notamment pour les tarifs réglementés à partir de 2015 ?
Deuxième question : que pensez-vous du choix du Gouvernement de fixer l'ARENH à 42 euros par mégawattheure et donc à évaluer à 3 euros les conséquences du renforcement de la sécurité des centrales ? Ne faudrait-il pas plutôt, comme l'a indiqué la Commission de régulation de l'énergie dans son avis relatif à la fixation de l'ARENH, prendre en compte les coûts de renforcement de la sécurité au moment où ils seront engagés ?
Troisième question : quelles sont les perspectives d'évolution du prix de l'ARENH dans les dix ans à venir, à législation constante ?
Quatrième question : la création de l'ARENH a-t-il de fait supprimé tout risque de « rente nucléaire » pour l'opérateur historique, en donnant un accès à l'électricité du parc nucléaire aux autres fournisseurs ?
Cinquième question : pouvez-vous commenter les déclarations du président d'EDF, selon lequel seule la méthode du « coût courant économique », qui donne un prix de l'électricité nucléaire de 49,5 euros par mégawattheure, répond aux impératifs de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, la loi NOME, pour la fixation de l'ARENH ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Champsaur, vous avez la parole.
M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de la statistique publique et de la commission sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré de votre invitation. Je vais essayer de répondre au mieux aux différentes questions posées, en m'appuyant sur le rapport de la commission sur les prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, que vous connaissez. Je ne m'écarterai pas des chiffres cités dans ce rapport, mais je tenterai d'expliquer d'où ils viennent.
J'apporterai d'abord quelques précisions.
Dans votre première question, monsieur le rapporteur, vous parlez de 39 euros par mégawattheure. En fait, ce chiffre de 39 euros figurant dans notre rapport, en réponse à la question posée, est un prix moyen sur l'ensemble de la période 2011-2025. Quand on voit dans le rapport 39 euros, il faut entendre 39 euros 2011. Comme il n'existe pas, à ma connaissance, de méthode permettant de définir des prix annuels, il faut un minimum de conventions.
Ces conventions, la loi nous les a données : démarrer en prenant comme référence le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TaRTAM, c'est-à-dire avoir un prix de l'ARENH en 2011 qui soit cohérent avec le niveau du TaRTAM. Ce niveau, je vous le rappelle, était nettement plus élevé - de 20 % ou 23 % au départ, puis un peu moins ensuite - que celui des prix régulés.
Cela signifie qu'un problème s'est posé au démarrage, puisqu'on voit bien que le marché ne peut fonctionner que s'il y a cohérence entre tous les prix. Ce problème de ciseaux tarifaires, c'est-à-dire de prix administrés trop bas par rapport au prix de gros, l'ARENH, auquel se fournissent les concurrents d'EDF, devait se résoudre progressivement dans les premières années et être résolu, comme le prévoyait la loi NOME, en 2015, au moment où la Commission de régulation de l'électricité, la CRE, fixera le tarif.
Par conséquent, le parcours a obéi au début à d'autres règles que celles qui permettent de raisonner correctement sur l'ensemble de la période.
Dernier point : si vous démarrez à 39 euros en 2011 et que vous visez 39 euros, valeur 2011, en moyenne sur l'ensemble de la période, cela veut dire que vous faites l'hypothèse que les prix de l'ARENH évolueront comme l'inflation, c'est-à-dire de 2 % par an, pour atteindre 42 euros, valeur 2015, en 2015, 45 ou 46 euros, valeur 2020, en 2020 et ainsi de suite. C'est important. Vous le voyez, je réponds déjà en partie à votre troisième question.
Nous n'avons pas répondu directement à cette question, car il faut ajouter des critères pour obtenir un prix de départ et une évolution. Mais avec une moyenne et un prix de départ, vous pouvez déterminer l'évolution.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
M. Paul Champsaur . - D'où vient ce chiffre de 39 euros, valeur 2011, en moyenne pour la période 2011-2025 ? C'est l'addition de trois éléments.
D'abord, les coûts d'exploitation. Il n'y a pas de désaccord sur ce point, puisque ceux-ci figurent dans les comptes d'EDF. Nous, nous partons de l'hypothèse qu'ils augmenteront un peu : comme ils s'élèvent à 23 ou 24 euros, nous les avons fixés à 25 euros 2011 en moyenne. Ce sont des coûts que nous constatons et que nous devrons continuer à constater dans les comptes d'EDF.
Ensuite, il y a les coûts du capital engagé par EDF et les coûts de provisionnement des charges de fin de vie des centrales.
Globalement, notre commission ne s'est pas écartée des comptes historiques d'EDF, de sa comptabilité, c'est-à-dire que nous n'avons pas refait l'histoire. Nous sommes donc partis de la valeur comptable des centrales après amortissement, en lui appliquant un taux réel de rentabilité assez élevé d'un peu plus de 8 %. Pour obtenir le taux nominal, il faut ajouter à peu près 2 %.
Nous avons calculé large pour les charges de fin de vie. Je crois que nous avons rajouté 7 milliards d'euros, alors que, sur la base des chiffres existants, il suffirait de 2,5 milliards - mais cela ne joue pas énormément. Mais voilà la grande différence entre notre analyse et celle d'EDF à l'époque. Je vous rappelle qu'EDF réclamait 42 euros par mégawattheure et que nous avons proposé au maximum 38 à 39 euros. EDF prenait un capital de départ beaucoup plus élevé que le nôtre, d'une trentaine de milliards d'euros. Pourquoi ? Parce qu'EDF a refait l'histoire, a repris une chronique d'amortissement, de distribution, de dividendes, etc., depuis le moment où les centrales ont été construites jusqu'à maintenant, histoire qui n'est pas celle qui a eu lieu, mais qui était plus intéressante pour EDF pour le futur.
Cette différence est d'ailleurs un peu expliquée dans le rapport. Je pourrais éventuellement apporter quelques détails, mais c'est assez inattaquable. À l'époque, je le précise, EDF ne demandait pas l'application de ce que son président appelle le « coût courant économique » - vous le citez dans votre cinquième question -, qui donne un résultat nettement plus élevé.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Oui !
M. Paul Champsaur . - Outre ces deux éléments, il convient de prendre en compte les investissements de maintenance qui ont été réalisés à hauteur de 1,5 milliard à 2 milliards d'euros ces dernières années. Ils sont appelés à augmenter. En les rajoutant - dans la comptabilité récente, on les compte -, on obtient un coût comptable de l'électricité de l'ordre de 33 ou 34 euros par mégawattheure, tout le monde est à peu près d'accord là-dessus.
Mais j'insiste sur le fait que, d'une part, derrière ce chiffre, il y a bien un coût du capital amorti, c'est-à-dire tel qu'il figure dans les comptes d'EDF, et que, d'autre part, nous avons prévu un peu large pour inclure - je ne suis pas spécialiste de ce sujet - les provisions qu'EDF doit continuer à accumuler pour couvrir les charges de démantèlement en fin de période.
Enfin, il nous était demandé par la loi d'ajouter un dernier élément lié au prolongement des réacteurs nucléaires actuels : ils ont été fabriqués pour trente ans, ont duré sans difficulté quarante ans et, comme vous le savez tous, dans les prochaines années, il faudra décider de passer ou non à cinquante, voire à soixante ans. Pour cela, l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, réalisera des audits, et des investissements supplémentaires devront être faits.
On nous a demandé explicitement de raisonner en admettant comme hypothèse le prolongement des réacteurs. Il est clair que, dans ce cas, aucune décision d'investissement n'aura à être prise, puisque nous sommes actuellement en surcapacité en France : dans la mesure où nous exportons de la base, nous n'aurons pas à prévoir d'investissements significatifs en base, visant à augmenter les capacités dans les quinze ans qui viennent.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Champsaur, pensez à bien calculer votre temps de parole restant pour chaque question !
M. Paul Champsaur . - En résumé, nous devrons faire des investissements supplémentaires, et nous les avons estimés. Je précise que tous nos chiffres concernant les investissements proviennent d'EDF. Ils ne sont certainement pas minorés.
Ces investissements correspondent à 5 ou 6 euros par mégawattheure, qui s'ajoutent aux 33 euros, ce qui fait, au total, 38 ou 39 euros.
Vous vous doutez bien que tout cela n'est pas d'une précision à la virgule près. Quand je vous dis 38 ou 39 euros, cela signifie que 39 euros, c'est large, mais que 38 euros, cela pourrait aller.
Par ailleurs, je le répète, ce sont des prix moyens sur l'ensemble de la période. Quelles en sont les conséquences sur le prix de l'électricité, notamment pour les tarifs réglementés à partir de 2015 ?
Les tarifs réglementés actuels sont basés sur un prix qui est le prix comptable d'EDF en gros, c'est-à-dire sur 33 ou 34 euros. Par conséquent, si l'on veut parvenir, comme le prévoit la loi NOME, à une cohérence entre les tarifs de gros et les tarifs de détail en 2015, il faut que les tarifs de détail augmentent si les tarifs de gros sont supérieurs à 34 euros.
Vous trouverez dans notre rapport un tableau permettant, à partir des hypothèses retenues et de calculs faciles à faire, d'obtenir le prix final de l'électricité, qui, je le rappelle, est la somme de nombreux éléments : le prix de la base, qui est le sujet aujourd'hui ; le prix du complément, notamment en pointe ; le prix du transport et de la distribution ; enfin, la contribution au service public de l'énergie qui augmente beaucoup.
Cela pose une réelle difficulté politique car, si le prix de départ de l'ARENH est de 36 euros par mégawattheure en 2011, compte tenu des hypothèses envisagées - vous avez écouté les propos de M. Maillard sur les prix de transport, etc. -, il faudrait que, d'ici à 2015, les prix administrés augmentent de l'inflation plus 1,5 % pour parvenir à une cohérence en 2015, et ainsi de suite : si le prix démarre à 39 euros, c'est l'inflation plus 2 %, s'il est fixé au départ à 42 euros, c'est l'inflation plus 2,5 %...
Vous voyez que c'était l'un des chiffres difficiles à avaler pour le Gouvernement.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Parlez-vous du dernier ou de tous les chiffres ?
M. Paul Champsaur . - Ces chiffres ! Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Je pense que j'ai répondu largement à votre première question, monsieur le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La deuxième question concerne le passage de 39 à 42 euros.
M. Paul Champsaur . - Ce chiffre de 42 euros a été avancé relativement tôt car, à l'époque, les conséquences de Fukushima n'étaient pas vraiment connues. Maintenant, elles le sont, puisque l'ASN a établi un rapport et que des estimations ont été données par la Cour des comptes. Pour ma part, je n'ai lu que cela ; d'ailleurs, je ne suis pas compétent sur les mesures de sécurité. Mais il se trouve qu'EDF et nous en avions déjà prévu : le rajout est donc d'un demi-euro par mégawattheure. Cela ne change pas vraiment l'estimation à 39 euros. Le problème est que l'on démarre haut...
Plus précisément, sur la base des chiffres disponibles, notamment des estimations de la Cour des comptes fondées sur les demandes de l'ASN, il faut ajouter à peu près 5 milliards d'euros au programme d'investissements déjà inclus, au titre du prolongement des réacteurs, etc., c'est-à-dire, pour vous donner un ordre de grandeur, un demi-euro par mégawatheure sur la période.
La période 2011-2015 s'annonce donc difficile à gérer. Il n'est pas certain que la CRE soit en mesure d'appliquer sans grosse difficulté la loi NOME en 2015.
J'en viens à la troisième question, qui porte sur les perspectives d'évolution du prix de l'ARENH dans les dix ans à venir, à législation constante.
J'en ai déjà un peu parlé, tout dépend du niveau de démarrage. Imaginons que l'on reste au chiffre de 42 euros - il faudrait le bloquer en nominal - en 2015, c'est à peu près le résultat voulu, et il faudrait qu'il baisse encore un peu après. Mais cela signifie des hausses importantes concernant les tarifs réglementés d'ici là. Je vous rappelle que la loi NOME prévoit la disparition de deux des trois tarifs réglementés, à savoir les tarifs jaune et vert. On ne conserve que le bleu.
Quatrième question : la création de l'ARENH a-t-elle de fait supprimé tout risque de « rente nucléaire » ? Le principe de l'ARENH est un peu indépendant de la notion de rente nucléaire, qui est la différence entre le prix auquel EDF vend son énergie nucléaire et ses coûts. L'ARENH est l'un de ces prix. Il s'agit donc, non pas du principe de l'ARENH, mais de son niveau.
M. Philippe Kaltenbach . - Bien sûr !
M. Paul Champsaur . - Cela signifie qu'aujourd'hui avec un ARENH à 42 euros on est en rente du côté du marché de gros, c'est-à-dire de l'électricité qu'EDF vendrait à ses concurrents, qui correspond à 10 % ou 15 % de sa production d'électricité nucléaire. Sur le reste, c'est l'inverse, les prix administrés sont bas.
La notion de rente nucléaire n'a de sens que dans un système de prix équilibrés, c'est-à-dire en cas de cohérence entre les prix administrés et le prix de l'ARENH. À ce moment-là, on peut calculer une rente ; l'ARENH permet de le faire. Sinon, on ne sait pas très bien de quoi on parle.
En outre, le problème de la rente nucléaire en France n'a rien à voir avec ce qui peut exister dans les pays où le nucléaire ne correspond qu'à un pourcentage minoritaire de la production d'électricité. Dans ces États, c'est le prix du marché qui s'applique, et la différence va dans la poche de l'opérateur qui possède les centrales nucléaires. En France, ce n'est pas du tout le cas, puisque nous sommes dans un système de prix administrés. Il faut faire attention à ne pas raisonner à partir du cas belge ou de l'ancien cas allemand, etc. Mais il est clair que la loi NOME avait bien pour objectif, entre autres, de faire disparaître la rente nucléaire d'ici à 2015.
Votre cinquième question portait sur les déclarations du président d'EDF.
D'abord, le concept de « coût courant économique » n'est pas défini dans la littérature de façon parfaitement claire, et il est possible, me semble-t-il, de l'interpréter de plusieurs façons.
Pour procéder à cette interprétation, EDF a repris le chiffre de la Cour des comptes, c'est-à-dire le coût de l'électricité si EDF, au long de la vie de ses centrales, récupérait in fine la valeur réévaluée de ces centrales.
Ce coût aurait un sens s'il y avait ouverture à la concurrence, si le nombre des centrales n'était pas trop important, c'est-à-dire s'il fallait en construire de nouvelles, et si les entreprises sur le marché de l'électricité pouvaient en construire. Dans ce cas, il serait normal qu'EDF leur vende l'électricité au coût où celles-ci le produiraient avec de nouvelles centrales.
Mais ce n'est absolument pas la situation française actuelle, qui est beaucoup plus proche de celle qui prévaut dans les télécoms. J'ai été régulateur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, qui faisait assez couramment référence au concept de « coût courant économique », par exemple pour les tarifs de dégroupage et, fondamentalement, pour essayer d'inciter les concurrents de France Télécom à choisir entre investir ou acheter. Mais ce n'est pas du tout la situation de l'électricité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pourquoi ?
M. Paul Champsaur . - Vous le savez beaucoup mieux que moi : pour l'instant, tout d'abord, nous avons suffisamment de capacité de production d'électricité nucléaire, donc le sujet de la construction de nouvelles centrales se posera au plus tôt dans quinze ans, et, ensuite, je ne pense pas qu'un accord ait été trouvé dans l'opinion publique ni au sein de la classe politique sur le point de savoir qui aurait le droit de construire et de gérer des centrales nucléaires. C'est un sujet que nous avons clairement écarté dans nos commissions. D'ailleurs, les représentants, aussi bien de l'Assemblée nationale que du Sénat, nous ont enjoint de ne pas y toucher. Par conséquent, pour l'instant, le nucléaire, c'est EDF.
Je ne crois absolument pas que le concept de « coût courant économique » soit actuellement adapté à la situation de l'électricité, puisque nous ne sommes pas capables de faire ce qu'il supposerait de faire.
En tout cas, je considère que le chiffre de 49,5 euros par mégawattheure est grossièrement surestimé.
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est une réponse précise et je vous en remercie.
Je donne maintenant la parole à M. le rapporteur, qui souhaiterait obtenir quelques précisions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je voudrais également vous remercier de vos réponses, monsieur Champsaur.
En définitive, vous écartez la proposition de la Cour des comptes de calculer le « coût courant économique ».
M. Paul Champsaur . - Ah non, ce n'est pas la proposition de la Cour des comptes !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Elle le reprend.
M. Paul Champsaur . - Elle l'a cité, en disant que le « coût courant économique » serait de 49,5 euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est cela. Mais vous dites que cela n'a pas beaucoup d'intérêt car, dans le système existant, les centrales sont là et peuvent produire ; selon vous, ce qu'il est intéressant de calculer, c'est la maintenance qui serait nécessaire pour que les centrales puissent continuer à produire...
M. Paul Champsaur . - La maintenance et les investissements de sécurité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - L'investissement, c'est-à-dire le changement d'un certain nombre de bâtiments. Cependant, le « coût courant économique » a l'avantage de permettre d'établir une comparaison avec les énergies renouvelables, ne pensez-vous pas ?
M. Paul Champsaur . - Je pense que le « coût courant économique » doit être utilisé pour certains travaux de comparaison, ...
M. Jean Desessard, rapporteur . - D'accord !
M. Paul Champsaur . - ... c'est-à-dire quand il s'agit d'investissements. Mais, actuellement, notre problème n'est pas d'investir dans le nucléaire.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie de cette précision.
Selon vous, puisque les investissements ne sont pas nécessaires aujourd'hui, il n'est pas utile de les faire apparaître ; cela risquerait de fausser les calculs.
M. Paul Champsaur . - En outre, nous n'avons pas réglé la question de savoir qui aurait droit de faire ces investissements. C'est très important, car la situation de monopole indéfini d'EDF est vouée à disparaître à l'avenir.
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'ai compris, mais vous dites que, si l'on se plaçait dans une hypothèse théorique d'investissements, la méthode de « coût courant économique » pourrait être plausible, surtout en comparaison des investissements dans les autres filières.
M. Paul Champsaur . - Le chiffre de 33 ou 39 euros, pour une comparaison avec les coûts de l'énergie renouvelable, est trop bas !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
M. Paul Champsaur . - Nous sommes d'accord.
Au demeurant, je ne suis pas sûr que le chiffre de 49,5 euros soit bon. Il est un peu compliqué de déterminer exactement ce coût.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez dit que plusieurs méthodes d'interprétation du « coût courant économique » coexistaient. Il faudrait tout de même approfondir la réflexion.
M. Paul Champsaur . - Admettons que ce soit bon. De toute façon, c'est nettement plus de 39 euros.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je ne sais pas comment je dois formuler ma question, car je suis très déstabilisé par vos conclusions.
Nous étions censés, avec l'ARENH, avoir la présentation la plus précise, la plus objective possible du prix d'une énergie que l'on maîtrisait par rapport à toutes les autres que nous avons beaucoup de difficultés à apprécier. Or vous nous présentez des chiffres qui, finalement, nous font passer de l'objectivité au virtuel en nous plaçant dans un schéma où nous excluons l'hypothèse que l'on puisse reconstruire des centrales nucléaires.
Ce soir, je vais prendre un avion : je ne sais pas si ce sera un Airbus ou un Boeing, s'il a quinze ans ou s'il est tout neuf, mais le prix de mon billet sera le même quel que soit cet avion.
M. Paul Champsaur . - Il y a concurrence entre Airbus et Boeing !
M. Jean-Pierre Vial . - Oui, mais le schéma dans lequel nous nous plaçons comporte tout de même des éléments qu'il nous faut apprécier par rapport à un marché qui est censé être concurrent. En effet, quand on essaie de se placer par rapport aux énergies renouvelables - je suis bien placé pour le savoir, car je suis partisan de l'une d'entre elles -, on nous ramène toujours au prix de référence, c'est-à-dire au prix qui est fixé pour le nucléaire d'aujourd'hui.
Ce matin, j'ai rencontré des Allemands. Eux, ils essaient d'évaluer le prix de l'énergie par rapport à un schéma qui n'est pas celui dans lequel se place la France, puisqu'il intègre beaucoup d'autoconsommation. À un moment donné, il faut bien essayer de simuler : même si la construction de centrales nucléaires n'est pas prévue demain, dès lors que l'on évalue des installations existantes, il faut bien être sur le marché du nucléaire et supposer qu'il soit reconduit demain, que l'on reconstruise ou non des centrales nucléaires.
Je crains que le chiffrage très précis que l'on tente de donner ne repose sur quelque chose de très virtuel, si l'on considère que le schéma du nucléaire actuel ne se prolongera pas.
M. Paul Champsaur . - Le chiffrage que j'ai proposé n'est pas très précis ; je l'ai dit dès le départ. De plus, la situation dans laquelle nous nous trouvons est transitoire. Il se trouve que nous avons peut-être un peu trop investi, que notre capacité nucléaire est supérieure à nos besoins, que nous avons un seul opérateur et que nous n'en voulons pas d'autres. Je pense que, d'ici à dix ou quinze ans, les choses évolueront, notamment en fonction de ce qui se passera autour de nous. Nous pourrons alors reposer le problème.
Par conséquent, la loi NOME est une loi d'attente, une loi transitoire. Le problème avec le nucléaire, c'est que la transition est longue. L'énergie, en particulier le nucléaire, s'inscrit dans des temps très longs, parfois même extrêmement longs, avec des centrales de quarante ou cinquante ans, voire soixante ans. Quelle est la durée de vie d'un avion ?
M. Jean-Pierre Vial . - Elle est de trente ans !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Celui que M. Vial va prendre ce soir a presque trente-deux ans ! ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur le rapporteur, ne coupez pas l'explication de M. Champsaur ! ( Sourires .)
M. Paul Champsaur . - Nous ne sommes pas en train de décrire le marché concurrentiel européen tel qu'il sera dans trente ou quarante ans. De plus, nous avons pris le parti en France, pour l'électricité de base, de ne pas suivre le reste de l'Europe.
Une autre solution aurait consisté à aligner les prix sur ceux du marché européen, et ensuite à récupérer la rente nucléaire - qui aurait d'ailleurs été importante - en taxant EDF. Mais je dois vous dire que cette solution, qui pose de nombreux problèmes, n'a pas soulevé d'enthousiasme. Je ne détaillerai pas ces problèmes, vous les connaissez mieux que moi.
Nous n'avons pas choisi cette option. Nous avons décidé de ne pas trop augmenter les prix de l'électricité, même s'il faut le faire. De plus, notre héritage nucléaire est très important ; nous sommes donc dans une situation qui n'a rien à voir avec celle de l'industrie aéronautique.
M. Jean-Pierre Vial . - Non, bien sûr !
M. Paul Champsaur . - Je vous rappelle que des avions, il s'en commande tous les jours, ce qui n'est pas le cas des centrales nucléaires, qui sont construites pour des raisons industrielles et non parce qu'on en a besoin.
M. Jean-Pierre Vial . - Dans trente ans, on produira toujours de l'électricité !
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je poserai deux questions.
La première concerne le coût du provisionnement. Sur quelles hypothèses êtes-vous partis ? Par exemple, entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et EDF, nous sommes aujourd'hui sur un facteur 2 concernant le stockage des déchets, soit entre 15 milliards et 35 milliards d'euros. Quant au démantèlement, les hypothèses fluctuent également beaucoup. Quels sont vos chiffres ?
M. Paul Champsaur . - Les chiffres sont contenus dans le rapport. Nous avons un peu dopé ceux qu'on nous a fournis ; nous avons rajouté un provisionnement qui continuerait à un assez bon rythme dans les prochaines années alors que, sur la base des montants prévus, nous n'en aurions pas besoin.
Cela étant dit, je ne vous garantis pas que ce soit suffisant. Mais, compte tenu de la longueur de la période, nos calculs montrent que, même si le coût augmentait sensiblement, les prix fixés ne changeraient pas énormément.
M. Ronan Dantec . - Quel est le coût du provisionnement dans votre calcul global ?
M. Paul Champsaur . - Nous avons rajouté 7 milliards d'euros au provisionnement actuel, qui doit être de l'ordre de 16 milliards d'euros, alors qu'il faudrait n'en rajouter que 2,5 milliards.
M. Ronan Dantec . - Donc, le coût d'exploitation est de 24 euros ; quel est le coût moyen du provisionnement ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cela mérite explication.
M. Paul Champsaur . - Actuellement, on ne sait pas ce que sera le coût final, alors que, dans deux ou trois ans, nous le saurons beaucoup mieux parce que des travaux, des études ou autres sont en cours. Il est vraisemblable que les chiffres actuels seront réévalués, mais cela interviendra loin dans le temps,...
M. Ronan Dantec . - Oui !
M. Paul Champsaur . - ... si les centrales sont prolongées. Donc, étalé sur des périodes relativement longues, le coût n'est pas faramineux.
M. Ronan Dantec . - D'accord.
M. Paul Champsaur . - C'est la raison pour laquelle ce paramètre n'intervient pas énormément dans notre résultat.
M. Ronan Dantec . - Ma vraie question visait en fait à obtenir des précisions.
M. Paul Champsaur . - Ce sujet est étudié par la Cour des comptes.
M. Ronan Dantec . - Nous reprendrons le rapport pour réexaminer cette question.
En fait, ma question est la suivante : que se passerait-il si le législateur, dans sa sagesse, décidait que la durée de vie des centrales nucléaires du parc existant ne devait pas dépasser les quarante ans ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - Ce n'est pas le Parlement qui décidera !
M. Jean-Claude Lenoir . - C'est l'Autorité de sûreté nucléaire !
M. Ronan Dantec . - Si la conclusion était de ne pas dépasser les quarante ans, quel serait, approximativement, le prix de l'ARENH pour 2011-2025 ?
M. Paul Champsaur . - Il n'y a plus d'ARENH ni de NOME !
M. Ladislas Poniatowski , président . - On a bien compris !
M. Paul Champsaur . - À ce moment-là, il faut faire de nouveaux investissements importants !
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est une explosion, nous sommes bien d'accord !
M. Paul Champsaur . - Il faudrait un prix de l'électricité beaucoup plus élevé, vraisemblablement proche du niveau européen. Or nous n'avons pas pris ce chemin ; c'est déjà bien tard...
M. Ronan Dantec . - Donc, le prix serait proche du niveau européen !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Notre commission d'enquête ne cherche pas à savoir quel sera le prix de l'électricité si on arrête le nucléaire demain ; elle porte sur le coût réel de l'énergie et le prix de l'électricité aujourd'hui. C'est un autre sujet.
M. Ronan Dantec . - Les deux sont liés !
M. Paul Champsaur . - Si l'on ne prolongeait pas au-delà de quarante ans, ces calculs n'auraient aucun sens, c'est évident, mais la loi NOME non plus.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Champsaur, je voudrais m'assurer que nous sommes bien d'accord sur la réponse à la première question, qui était très précise et portait sur la manière dont vous avez fixé les 39 euros : le prix de l'ARENH comprend le prix du démantèlement, auquel vous avez ajouté les provisions pour le démantèlement, données fournies par EDF.
M. Paul Champsaur . - En gonflant un peu !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Et en mettant un peu plus !
M. Paul Champsaur . - Oui ! Mais je ne suis pas sûr que ce soit suffisant.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous avons bien entendu vos précautions oratoires.
M. Paul Champsaur . - Cela ne devrait pas changer fondamentalement le débat.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pour la période au cours de laquelle il faut en tenir compte.
M. Ronan Dantec . - Parce que vous avez déjà intégré le prolongement !
M. Paul Champsaur . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski , président . - N'oublions pas que M. Champsaur a dû remplir deux missions : d'abord, celle de la commission Champsaur, c'est-à-dire formuler une proposition de mise à disposition de l'électricité nucléaire à d'éventuels concurrents ; ensuite, une petite mission très concrète et précise sur le prix à fixer au dernier moment. Ces missions n'ont jamais consisté à émettre un avis sur les choix.
M. Paul Champsaur . - Je serais d'ailleurs bien en peine d'en donner un !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous avons très bien compris la manière dont vous avez fonctionné.
La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Je suis assez déstabilisé par tout ce que j'ai entendu. Je voudrais revenir sur l'essentiel.
On parle de l'ARENH. Or ce sigle comprend un H qui signifie « historique » : il s'agit du nucléaire, non pas de demain mais d'aujourd'hui.
M. Paul Champsaur . - C'est le nucléaire actuel !
M. Jean-Claude Lenoir . - Avant Flamanville, c'est-à-dire avec les 58 réacteurs.
M. Paul Champsaur . - D'accord.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est cela !
M. Jean-Claude Lenoir . - Il s'agissait de déterminer quel était le coût avant d'éventuelles mesures de prolongation qui seraient prises, je le rappelle, non pas par le Parlement ni le pouvoir politique, mais uniquement par l'Autorité de sûreté nucléaire. Il me semblait important de le rappeler.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous avez raison !
M. Jean-Claude Lenoir . - Finalement, toutes les estimations qui devaient être faites aujourd'hui ne pouvaient qu'aboutir à la conclusion suivante : le nucléaire coûte moins cher que les autres sources d'énergie. C'est une évidence. D'ailleurs, je le note au passage, il était dit que, sans nucléaire, les prix français rejoindraient les prix européens...
M. Ronan Dantec . - Non !
M. Jean-Claude Lenoir . - J'ai entendu que, si nous renoncions au nucléaire, nos prix rejoindraient le niveau des prix européens.
M. Ronan Dantec . - Non !
M. Jean-Claude Lenoir . - Aujourd'hui, la loi NOME, comme l'a dit M. Champsaur, est une loi de transition.
M. Paul Champsaur . - Une transition longue !
M. Jean-Claude Lenoir . - Ladislas Poniatowski et moi, qui étions rapporteurs, avons travaillé sur ce texte de transition allant jusqu'en 2020-2025. Cette évolution devait nous permettre, tout simplement, d'entrer dans le dispositif européen de la libre circulation des produits et des services, et de la concurrence totale dans le domaine de l'énergie.
Pour autant, la loi NOME n'a jamais eu pour objectif de supprimer ce que j'appelle, non pas la rente nucléaire, mais l'avantage du nucléaire pour la France. Je veux dire par là que, si nous gardons un avantage, y compris en 2020-2025, pas seulement avec le parc existant, mais avec le parc qui devra de toute façon se développer - je ne suis pas du tout d'accord avec M. Champsaur en ce qui concerne les besoins en nucléaire -, demain, il faudra regarder non seulement l'offre, mais aussi la demande, qui ne peut qu'augmenter.
La croissance, entre 1,5 % et 1,7 % en moyenne sur les dix ans, entraînera une augmentation de la demande, quels que soient les efforts consentis pour économiser l'énergie, qui nous oblige à avoir de nouvelles sources de production d'énergie. Pour cela, nous devons évidemment nous tourner vers le parc existant, à renouveler ou à prolonger, et, conformément au Grenelle de l'environnement, vers d'autres sources d'énergie, mais avec la même préoccupation, que le prix de l'énergie vendue aux consommateurs soit aussi modéré que possible.
Par conséquent, les choix que nous avons à faire doivent être inspirés par cette volonté. En fait, je le note sans esprit de polémique, certaines personnes s'accommoderaient bien de ce que le prix de l'électricité française soit au niveau des prix européens.
M. Ronan Dantec . - C'est le débat !
M. Paul Champsaur . - Eh bien moi, je dis non, nous avons une histoire.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous signale, mes chers collègues, que vous êtes déjà entrés dans le débat que nous aurons ensemble à la fin de toutes nos auditions. ( Sourires .) Aujourd'hui, il s'agit d'une audition, qui est l'occasion de demander à ceux que nous écoutons un complément de renseignement pour nous aider à rédiger notre rapport.
Veuillez poser votre question, monsieur Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Je souhaitais avoir l'avis de M. Champsaur sur les observations que j'ai faites.
M. Paul Champsaur . - Il est possible que, dans dix ans, et non pas quinze, on s'aperçoive qu'il est nécessaire d'engager des investissements nouveaux. Mais nous disposerons alors de plus amples informations. Aujourd'hui, on ne sait pas ce que coûte le nucléaire nouveau.
M. Jean-Claude Lenoir . - Le nouveau, non !
M. Jean Desessard, rapporteur . - M. Champsaur a dit qu'il ne le savait même pas pour le traitement des déchets nouveaux.
M. Paul Champsaur . - Je le répète, on ne sait pas ce que coûte le nucléaire nouveau.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Dans le prix de l'ARENH, sont bien inclus un certain nombre de coûts, notamment celui du démantèlement et, éventuellement, de la prolongation de la durée de vie, de dix ou vingt ans, de nos centrales nucléaires. En revanche, vous avez été très clair sur ce point, tous les nouveaux investissements, notamment des centrales nucléaires, ne figurent pas dans le prix de l'ARENH.
M. Paul Champsaur . - Absolument ! L'ARENH, c'est le stock nucléaire historique.
M. Ronan Dantec . - Pour rester vraiment dans le débat technique, je dirai que l'EPR fait partie des coûts. Donc, nous sommes bien dans notre sujet.
M. Paul Champsaur . - Non, le coût de l'EPR n'est pas pris en compte dans les coûts ; et s'il y avait deux EPR, ce serait pareil !
M. Ronan Dantec . - Je souhaiterais faire une remarque pour la bonne compréhension de notre discussion. Demain, dans un marché de l'électricité européen en cours de libéralisation, la comptabilisation du coût de l'EPR entrerait probablement plus dans une logique de « coût courant économique » que dans celle de l'ARENH qui correspond au parc existant.
M. Paul Champsaur . - Monsieur le sénateur, il existe des lois en matière de comptabilité des entreprises. Pour l'instant, aucune de ces lois, dans aucun pays, n'est fondée sur le concept de « coût courant économique ».
M. Ronan Dantec . - Et Flamanville !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cela n'en fait pas partie.
M. Ronan Dantec . - Si, la Cour des comptes l'a intégré dans son rapport.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bien sûr que non !
Je ne voudrais pas que notre commission d'enquête s'engage sur une voie totalement fausse. Non, Flamanville n'est absolument pas pris en compte, pas plus dans la méthode exposée par M. Champsaur pour fixer l'ARENH que dans le rapport de la Cour des comptes. Flamanville n'est pris en compte ni dans les coûts, ni dans les dépenses, ni dans les prix !
Monsieur Champsaur, vous avez été très clair dans votre rapport, qui est très précis, ces investissements, auxquels vous venez d'ajouter d'autres investissements qu'il n'est pas possible de prévoir aujourd'hui, risquent demain de rentrer dans les coûts. On pourra alors les évaluer pour la période 2020-2025 ; mais aujourd'hui, on ne les comptabilise pas.
M. Paul Champsaur . - D'ailleurs, des rendez-vous sont prévus par la loi avec le Parlement, ce qui veut dire que la loi peut être modifiée, par exemple en 2020,...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bien sûr !
M. Paul Champsaur . - ... pour correspondre à la situation d'alors.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous êtes en train de nous dire que des lois NOME II, III ou IV seront peut-être élaborées, en fonction des choix éventuels de demain.
M. Paul Champsaur . - Je ne sais pas. S'il s'avère que nos capacités de production restent largement suffisantes et que les investissements à décider d'ici à 2025 sont marginaux, nous pourrons continuer à fonctionner avec la loi NOME telle qu'elle est. Mais de toute façon, il faudra une autre loi ultérieurement.
M. Jean-Claude Lenoir . - Bien sûr !
M. Paul Champsaur . - Vraisemblablement, sur la base de l'information dont nous disposons aujourd'hui, les prix de l'électricité nucléaire au-delà de 2025 seront plus élevés, mais nous ne pouvons pas fixer dès maintenant leur niveau exact. Quand un certain nombre d'EPR de série auront été installés dans le monde, on en reparlera !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je souhaiterais obtenir une précision sur la réponse que vous avez faite à la seconde question de M. le rapporteur, c'est-à-dire sur le passage de votre proposition de 39 euros au chiffre retenu de 42 euros, du fait de la prise en compte des travaux et des investissements qu'il faudra réaliser à la suite de l'enquête de l'ASN sur l'après-Fukushima.
Vous avez bien dit que, au moment où vous avez établi une estimation pour le chiffre global, vous ne disposiez pas des résultats de l'enquête de l'ASN. En revanche, vous avez dit que, maintenant, l'Autorité estimait les travaux à près de 10 milliards d'euros, et vous avez ajouté...
M. Paul Champsaur . - Qu'il y en avait déjà cinq !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Que, de toute façon, 5 milliards d'euros...
M. Paul Champsaur . - C'est le chiffre qu'on m'a communiqué !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous donnez les mêmes chiffres que d'autres personnes que nous avons entendues. Grosso modo , 5 milliards d'euros auraient, de toute façon, été dépensés en travaux de maintenance classique.
M. Paul Champsaur . - C'est ce qu'EDF nous avait donné comme information.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Donc, il faudrait ajouter 5 milliards de plus à la suite de cette enquête. Vous avez alors donné un chiffre qui m'a surpris en disant que cela aurait justifié un prix de l'ARENH de 39,5 euros, et non de 42 euros. Est-ce bien cela ?
M. Paul Champsaur . - Oui, ce qui correspond à un demi-euro de plus. Les 5 milliards d'euros seraient étalés dans le temps.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Oui, nous sommes bien d'accord.
M. Paul Champsaur . - Il faut diviser ce chiffre par le nombre de mégawattheures produits, etc. Ces estimations ne sont pas très précises.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Donc, vous estimez le coût à 5 milliards d'euros de plus...
M. Paul Champsaur . - Oui, mais 5 milliards d'euros de plus, ce n'est pas beaucoup.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Cela correspondrait à un prix de 39,5 euros et non de 42 euros.
M. Paul Champsaur . - C'est un maximum.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je souhaiterais poser deux questions complémentaires à M. Champsaur avant de terminer.
En premier lieu, on parle souvent d'un taux d'actualisation de 5 %.
M. Paul Champsaur . - Là, on a pris plus, on a pris le taux de marché.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous avez pris 8 %, avez-vous dit.
M. Paul Champsaur . - Un taux de 8,4 % en réel.
Mon expérience antérieure m'enseigne que, pour déterminer le taux d'actualisation d'une entreprise cotée en bourse, ce qui est le cas d'EDF, on se heurte à des difficultés épouvantables si l'on ne prend pas le taux du marché. Ce taux est un peu élevé - c'est ce que peuvent penser les politiques -, mais nous ne sommes pas capables de le fixer en dehors des marchés.
Donc, le taux d'actualisation est assez élevé et, de ce point de vue, EDF est correctement servi.
M. Ronan Dantec . - Avec un taux de 5 %, quelles auraient été les conséquences ?
M. Paul Champsaur . - Je ne suis pas capable de vous répondre.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Était-ce la précision que vous vouliez, monsieur le rapporteur ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Oui, je souhaitais savoir le taux exact d'actualisation que vous aviez pris. Cela signifie que, avec un taux de 8,4 %, ...
M. Paul Champsaur . - Au plus bas.
M. Jean Desessard, rapporteur . - ... les provisions sont moindres que s'il était de 5 %.
M. Paul Champsaur . - Oui, parce que cela s'applique à tout, y compris au provisionnement.
M. Ronan Dantec . - Si on pouvait avoir l'actualisation à 5 %, ce serait vraiment intéressant.
M. Paul Champsaur . - Donc, 5 % en réel au lieu de 8 % ? D'accord.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je comprends, monsieur Champsaur, que, lorsque mon collègue vous a interrogé sur le nucléaire potentiel à venir, vous ayez répondu que l'on ne pouvait pas savoir le coût exact des investissements, compte tenu du coût de construction d'un EPR aujourd'hui et de la variation de ce coût si on en produisait dix, avec les économies de série qui en résulteraient.
Malgré tout, mon collègue a voulu dire que, si l'on doit engager des investissements dans les années qui viennent - vous parlez de quinze ans -, il est important de connaître leur coût prévisionnel.
M. Paul Champsaur . - Vous avez raison !
M. Jean Desessard, rapporteur . - La question de mon collègue visait à obtenir des éléments, des méthodes d'évaluation du coût que cela représenterait, puisque l'inconnue est la même aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'énergie renouvelable photovoltaïque, de l'éolien offshore , ou du nucléaire comme l'EPR de Flamanville.
M. Paul Champsaur . - Les coûts de la construction d'un réacteur EPR sont élevés et, si l'on part de ce coût, il n'est pas certain qu'il faille continuer dans le nucléaire. En effet, les coûts sont proches de ceux auxquels on aboutit avec les autres techniques.
M. Ronan Dantec . - Absolument !
M. Paul Champsaur . - Cependant, on a toutes les raisons de penser que le coût actuel de l'EPR est largement surestimé. En tout cas, il faudrait qu'il baisse assez sensiblement.
Je me suis entretenu de ces sujets avec de bons économistes qui travaillaient à l'époque à EDF - ils sont en train de disparaître - et parmi lesquels j'ai gardé quelques relations. Le coût qu'ils ont en tête pour le futur - ce que je vais vous dire est extrêmement approximatif - est de l'ordre de 50 euros, soit un coût qui n'est pas très éloigné du « coût courant économique ». Je parle du nucléaire du futur, mais je ne devrais pas vous dire cela, parce que ce chiffre ne repose sur rien d'autre que des confessions de couloir.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je comprends vos précautions concernant cette évaluation, qui porte sur le nucléaire du futur. Les inconnues sont tout de même très nombreuses.
M. Paul Champsaur . - Oui, quand je parle de 50 euros, cela peut tout aussi bien être 55 euros.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Champsaur, je vous remercie. Peut-être M. le rapporteur sera-t-il amené à vous demander des précisions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Oui.
M. Paul Champsaur . - J'ai noté votre question concernant le taux de 5 %.
Monsieur le président, permettez-moi de vous poser une question peut-être indiscrète. Qu'allez-vous faire de ce rapport ? À quoi va-t-il servir ? ( Sourires .) Je pose la question naïvement, parce que j'ai cru comprendre que le sujet de l'électricité allait revenir à l'automne.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Tout ce travail va notamment nous permettre de savoir si le rapport présenté par la Cour des comptes, dans lequel sont annoncés un certain nombre de chiffres précis concernant une série de coûts, dont ceux que nous venons d'aborder, repose sur une base réaliste et actualisée. Nous essayons, nous aussi, d'y voir clair.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous allons compléter le rapport de la Cour des comptes. Nous essaierons à la fois de voir clair sur tous les chiffres qui ont été cités en examinant également ceux des autres filières, ce que n'a pas fait la Cour des comptes.
Nous voulons éventuellement établir des comparaisons avec des modes de calcul qui se ressembleraient ou seraient similaires et pourraient s'appliquer aux autres filières.
En outre, comme l'a dit M. le président, nous traiterons également, à côté du coût de la production, le coût du transport et de la distribution, que la Cour des comptes n'a pas envisagé.
Par conséquent, nous élargirons la réflexion aux autres filières, puisque la production du renouvelable, par exemple, pose aussi la question du renforcement du réseau.
Ce sont toutes ces questions qu'il convient d'examiner globalement.
M. Paul Champsaur . - Permettez-moi d'ajouter deux précisions, monsieur le président.
Les chiffres que je cite résultent de travaux techniques effectués au sein de l'administration, plus exactement de la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC. Je précise qu'ils coïncidaient d'ailleurs à l'époque avec les chiffres qui étaient disponibles à la CRE.
Le coût de l'électricité dont nous parlons ne représente qu'un gros 40 % du coût mis à la charge des particuliers.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous sommes d'accord.
M. Paul Champsaur . - De plus, il existe un problème de régulation des autres coûts.
M. Ladislas Poniatowski , président . - C'est la raison pour laquelle il faut être vigilant avec les nombreux acteurs concernés par les autres volets.
M. Paul Champsaur . - Nous ne sommes pas certains d'avoir mis en place la bonne régulation. Nous faisons du cost-plus .
M. Jean Desessard, rapporteur . - Que voulez-vous dire ?
M. Paul Champsaur . - Le cost-plus est utilisé dans le jargon des économistes.
M. Ronan Dantec . - C'est-à-dire ?
M. Paul Champsaur . - On prend les coûts et on rajoute des marges. Sur une longue période, ça dérive.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bien sûr ! Plus la période est longue, plus il est difficile d'être précis.
M. Paul Champsaur . - On fera donc beaucoup d'investissements de réseaux, et nous aurons de beaux réseaux. C'est peut-être ce que vous voulez ! ( Sourires .)
M. Jean Desessard, rapporteur . - Voulez-vous suggérer par là que, à partir du moment où l'on prend une méthode...
M. Paul Champsaur . - De cost-plus ...
M. Jean Desessard, rapporteur . - ... et qu'on rajoute des marges à partir d'un calcul sur les investissements, cela pousse à beaucoup investir.
M. Paul Champsaur . - Cela n'incite pas à minimiser les coûts... Si vous voulez, cela fonctionne bien pendant un certain temps, mais pas pendant cinquante ans.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On a intérêt à dire qu'il faut toujours renforcer le réseau...
M. Paul Champsaur . - Absolument !
M. Jean Desessard, rapporteur . - ... qu'il faut être en surproduction.
M. Paul Champsaur . - Ainsi, la population des Hautes-Alpes - je suis Haut-Alpin -,...
Mme Laurence Rossignol . - Comme votre nom l'indique.
M. Paul Champsaur . - ... voudra avoir de bons réseaux ; ce n'est pas elle qui les paiera.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On veut l' optimum partout !
M. Paul Champsaur . - Un optimum vraiment optimum . ( Sourires .) Ce n'est pas un sujet à traiter immédiatement, mais il faudra y revenir.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Champsaur, nous vous remercions.
Audition de M. François-Michel Gonnot, député, président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), et de Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'ANDRA
(28 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. François-Michel Gonnot, député, président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et de Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de cette même agence.
Comme vous le savez, madame, monsieur, chaque formation politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage annuel ». Usant de ce droit, le groupe écologiste a demandé, à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, que soit créée une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité. Le bureau du Sénat, après avoir examiné cette demande, a donné son accord. C'est donc dans ce cadre que nous vous auditionnons aujourd'hui.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il formule ses questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête :
Monsieur Gonnot, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. François-Michel Gonnot prête serment .)
Madame Dupuis, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( Mme Marie-Claude Dupuis prête serment .)
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler les questions qu'il vous a adressées à l'avance afin que vous puissiez préparer cette audition. Une fois que vous y aurez répondu, les membres de la commission d'enquête pourront être amenés à vous poser des questions complémentaires ou à vous demander des précisions.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur le président du conseil d'administration de l'ANDRA, madame la directrice générale, votre audition était très attendue !
Première question : pourriez-vous présenter les différents sites de stockage gérés par l'ANDRA ?
Deuxième question : pourriez-vous comparer le modèle français de traitement des déchets ultimes de la filière nucléaire avec les différentes expériences étrangères, et commenter la partie du récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire concernant la gestion des déchets radioactifs ?
Troisième question : pourriez-vous nous donner des éléments d'information sur le coût du retrait du combustible des réacteurs après leur cessation de fonctionnement, afin d'estimer ce que ce coût représente par rapport au coût total des opérations de démantèlement ?
Quatrième question : comment l'ANDRA est-elle assurée, et pour quel coût ? Quels sont précisément les risques garantis ?
Cinquième question : la poursuite du programme nucléaire national impliquerait-elle la construction de nouveaux sites de stockage ? Quels sont les terrains envisagés et quels seraient les coûts correspondants ?
Sixième question : pouvez-vous détailler les sommes consacrées par l'ANDRA à la recherche et les principaux programmes ainsi financés ?
Septième question : à qui sont imputés, in fine , les différents coûts relatifs au traitement et au stockage des déchets de la filière électronucléaire ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à Mme Marie-Claude Dupuis.
Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, par souci de cohérence, je répondrai aux questions dans l'ordre dans lequel elles nous ont été posées.
Il existe aujourd'hui trois centres de stockage en surface pour les déchets radioactifs.
Un centre de stockage « historique », aujourd'hui fermé et sous surveillance, est situé dans la Manche. Il accueille 500 000 mètres cubes de déchets à vie courte.
C'est le centre de stockage en surface de Soulaines, dans l'Aube, qui a pris le relais. Ce centre permet de stocker les déchets d'exploitation et de maintenance des centrales nucléaires. Il a été autorisé pour 1 million de mètres cubes de déchets et il est aujourd'hui rempli à hauteur de 26 % de ses capacités. Grâce aux efforts consentis par les producteurs d'électricité, il pourra répondre aux besoins de stockage pendant une soixantaine d'années d'exploitation du parc nucléaire. Nous avons donc du temps devant nous.
Le troisième centre de stockage en exploitation, lui aussi situé dans l'Aube, reçoit les déchets de très faible activité, issus surtout du démantèlement. Il est beaucoup plus récent, puisqu'il a été ouvert en 2003, tandis que le centre de Soulaines l'a été voilà vingt ans. D'une capacité de stockage autorisé de 650 000 mètres cubes, il est déjà rempli presque au tiers. En fait, son remplissage est beaucoup plus rapide que prévu, car les producteurs de déchets, le CEA, EDF et Areva, ont du mal à maîtriser le volume des aciers et des gravats issus du démantèlement. Par conséquent, ce centre devrait être saturé d'ici à 2025.
Ces trois centres de stockage sont bien acceptés par la population, comme en témoigne, outre notre expérience quotidienne sur le terrain, une étude d'opinion réalisée en 2011, selon laquelle 80 % des proches riverains des centres de stockage de l'Aube pensent que ceux-ci sont très bien ou assez bien gérés et font plutôt confiance à l'ANDRA. Le fait que nous soyons un établissement public indépendant des producteurs de déchets y est pour beaucoup : cela fait partie des éléments qui aident à bâtir la confiance.
J'en viens maintenant aux centres de stockage en projet.
Il y a d'abord un site de stockage en projet pour les déchets de faible activité à vie longue, qui sont constitués essentiellement de déchets issus de l'industrie des terres rares. Ainsi, des industriels comme Rhodia importaient des minerais naturellement radioactifs dont ils extrayaient les terres rares pour leurs besoins industriels. Les déchets produits sont faiblement radioactifs mais ne peuvent pas être insérés dans le circuit normal des décharges. Nous devons donc nous en occuper, ainsi que des déchets de graphite issus des coeurs des réacteurs de première génération, aujourd'hui en attente de démantèlement. Ces déchets « historiques », qui ne sont plus produits, constituent un stock d'environ 150 000 mètres cubes. Comme ils sont à vie longue, il n'est pas possible de les stocker en surface dans les centres de l'Aube.
Cela étant, les déchets stockés dans l'Aube devront tout de même être surveillés pendant 300 ans : c'est le temps nécessaire pour que la radioactivité décroisse suffisamment pour ne plus représenter un danger sur le plan sanitaire. Voilà ce que l'on entend par « déchets à vie courte ».
Pour les déchets à vie longue, il peut parfois s'agir de centaines de milliers d'années. De tels déchets ne peuvent pas être stockés en surface. Ceux que j'ai évoqués à l'instant étant de faible activité, compte tenu de la nécessité impérative d'économiser la ressource rare du stockage géologique et de la réserver aux déchets les plus dangereux, l'idée est de travailler sur le recours à un stockage intermédiaire à faible profondeur.
Pour l'heure, l'ANDRA doit remettre un rapport au Gouvernement d'ici à la fin de l'année 2012 visant à lui présenter des propositions en termes de projet industriel, afin de relancer la recherche d'un site d'implantation d'un centre de stockage de ces déchets de faible activité à vie longue. En effet, après avoir bien démarré, une tentative en ce sens lancée en 2008 a finalement débouché sur le retrait de deux communes qui s'étaient d'abord portées candidates, ce qui a conduit le Gouvernement à suspendre la procédure pour remettre les choses à plat.
Le dossier peut-être le plus emblématique pour l'ANDRA, celui dont on parle le plus, c'est le projet Cigéo - centre industriel de stockage géologique - de centre de stockage en couche géologique profonde. Ce projet est passé en phase d'industrialisation. Un tel centre a vocation à stocker en toute sûreté et pour une longue période les déchets dits de haute activité et de moyenne activité à vie longue du parc nucléaire français. En fait, il s'agit essentiellement des déchets issus du retraitement par Areva, sur son site de La Hague, des combustibles usés des centrales nucléaires. Ces déchets doivent d'abord être refroidis pendant quelques dizaines d'années avant d'être stockés en lieu sûr et confinés dans cette fameuse couche d'argile que nous étudions dans notre laboratoire souterrain situé dans l'est de la France.
Pour dimensionner le stockage, nous nous sommes fondés sur une hypothèse conventionnelle de durée de vie des centrales nucléaires de cinquante ans, sans préjuger des décisions à venir de l'Autorité de sûreté nucléaire. Avec une telle hypothèse, l'ensemble du parc nucléaire actuel engendrera, d'ici à sa fin de vie, 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité, dont 30 % ont déjà été produits et sont en attente de stockage, et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue, dont 60 % ont déjà été produits, car il s'agit, pour une bonne partie, de déchets « historiques » issus du site de Marcoule du Commissariat à l'énergie atomique. Ces derniers comprennent notamment des déchets bitumés qui doivent être reconditionnés ; ils ne sont pas les plus faciles à stocker en profondeur. À la limite, les déchets vitrifiés produits par Areva, sous assurance qualité, selon une technique bien maîtrisée et dans des matrices robustes, poseront moins de problèmes scientifiques, une fois entreposés à 500 mètres de profondeur dans l'argile, que ces vieux déchets bitumés.
C'est donc pour ces déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue que nous étudions le stockage à 500 mètres de profondeur dans l'argile. Le site prévu est situé dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne. Au terme de travaux scientifiques et d'un dialogue avec les élus locaux, nous avons pu faire valider par le Gouvernement une zone d'une trentaine de kilomètres carrés.
Même s'il ne s'agit encore que d'un projet, l'ANDRA emploie déjà sur place, dans son laboratoire souterrain, plus de trois cents personnes, ce qui en fait l'un des plus gros employeurs locaux. Selon l'enquête d'opinion que nous avons réalisée en 2011, 40 % des proches riverains du laboratoire souterrain affirment que ce projet ne les inquiète pas ; en revanche, 22 % d'entre eux expriment de fortes craintes. Il est important de noter qu'un tiers des riverains interrogés prévoient de participer aux réunions organisées dans le cadre du débat public sur ce projet, prévu pour 2013.
Parmi les enjeux liés à ce stockage, celui de la réversibilité est important. La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, qui fixe les missions et les priorités de l'ANDRA, dispose en effet qu'un tel stockage doit être réversible, tout en précisant que les conditions de réversibilité devront être définies par une future loi, qui pourrait intervenir vers 2016, sur la base de propositions de l'ANDRA.
L'ANDRA prévoit d'apporter à ce problème une réponse à la fois technique, quant à la possibilité de retirer les déchets, mais aussi politique, s'agissant du processus de décision : qui décidera de la fermeture progressive du centre de stockage, de celle du premier alvéole, de celle de la première galerie, puis de la fermeture définitive ? Quand et sous quelles conditions ? S'agira-t-il d'un décret, d'une loi, d'une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire ? À quelles consultations faudra-t-il procéder ? L'ANDRA a pour objectif de soumettre des propositions au débat public qui aura lieu l'an prochain.
En ce qui concerne la deuxième question, je peux d'emblée vous dire que les comparaisons internationales sont très difficiles à établir.
En tout état de cause, il existe un invariant à l'échelon international en matière de stockage géologique de déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue : on assure la sûreté à long terme en jouant sur les trois barrières que sont le colis de déchets, la formation géologique utilisée pour le stockage - argile, sel, granit - et les barrières ouvragées mises en place au sein de celle-ci pour stocker les déchets.
La France a opté pour le retraitement du combustible usé et le stockage dans l'argile. Notre pays est considéré comme un leader sur le plan international sur toutes les questions de stockage géologique, de même que la Finlande et la Suède, qui elles ont fait le choix du granit et ne retraitent pas le combustible usé, préférant le stocker directement. Cela dit, leur parc de réacteurs, et par conséquent leur inventaire de déchets, est beaucoup moins important que le nôtre : cet élément a pu peser dans leur choix.
Il est difficile d'établir des comparaisons en termes d'évaluation des coûts, ne serait-ce que parce que les projets n'en sont pas du tout au même stade. Stocker dans l'argile, dans le sel ou dans le granit, ce n'est pas la même chose, non plus que stocker des combustibles usés ou des déchets vitrifiés. En outre, pour évaluer les coûts, les différents pays ne prennent pas en compte les mêmes éléments : faut-il inclure les transports, la surveillance à long terme, les infrastructures, etc. ?
Des travaux sur l'évaluation des coûts viennent d'être engagés au sein de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE, ainsi que par l'association des organismes de gestion des déchets radioactifs, l'EDRAM. Dans tous les cas, l'objectif est plutôt de travailler sur la méthodologie d'évaluation des coûts, sur une comparaison des coûts unitaires ; il ne s'agit en aucun cas d'espérer parvenir à un résultat permettant d'affirmer que tel projet est trois fois moins cher ou trois fois plus cher que tel autre.
Du point de vue de l'ANDRA, le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, pour ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, reflète très bien la réalité ; surtout, il pose les vrais enjeux en la matière.
S'agissant du projet Cigéo, la Cour des comptes a bien retracé les termes du débat et des différends qui ont pu apparaître entre l'ANDRA et les producteurs de déchets sur l'évaluation des coûts et les choix de concepts. Elle explique aussi très bien pourquoi il existe une telle incertitude sur le chiffrage officiel - entre 13,5 milliards d'euros et 16,5 milliards d'euros de 2002 - qu'avait publié le ministère chargé de l'énergie en 2005, en se fondant sur un concept de stockage très en amont de la recherche et développement datant de 2002. Actuellement, c'est la seule référence disponible pour évaluer les provisions qui doivent être passées par les grandes entreprises.
Il avait été décidé de mettre ce chiffrage régulièrement à jour en fonction de l'avancée des recherches et des études. Ce processus, fixé très précisément par la loi du 28 juin 2006, a été engagé en 2009 : le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation des coûts sur la base d'une évaluation proposée par l'ANDRA et après avoir recueilli les observations des producteurs de déchets, ainsi que l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire. Tout commence donc avec un premier chiffrage avancé par l'ANDRA.
L'objectif du ministère est de disposer d'une nouvelle évaluation du coût du stockage avant l'ouverture du débat public sur Cigéo. Au terme d'un appel d'offres européen, nous avons retenu le groupement français Technip/Ingérop comme maître d'oeuvre. Il nous aidera à préciser la partie industrielle de ce projet en nous faisant bénéficier du retour d'expérience de tous les grands projets menés au niveau mondial. Sur cette base, et sur le fondement de nos propres études, nous pourrons établir un nouveau chiffrage avant la fin de l'année, qui devra être évalué par les producteurs et par l'Autorité de sûreté nucléaire.
C'est donc dans le cadre de ce processus que l'ANDRA avait avancé, en 2010, le chiffre, non actualisé, de 35 milliards d'euros, qui recouvre non seulement l'investissement initial avant la mise en service du centre de stockage, mais encore la construction et le remplissage de celui-ci sur plus de cent ans. On nous demande même de chiffrer les impôts et taxes liées à ce stockage : taxes foncières, taxe sur les installations nucléaires de base, taxe d'accompagnement économique. Ces taxes, sur lesquelles pèsent aujourd'hui de fortes incertitudes, représentent tout de même 20 % de l'évaluation des coûts.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Sur plus de cent ans ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Oui, car l'exploitation de ce futur centre de stockage durera au moins cent ans, d'une part pour couvrir la durée de vie autorisée des tranches nucléaires, d'autre part parce que les déchets vitrifiés doivent être refroidis à 90°C avant d'être stockés en profondeur, afin de ne pas abîmer la couche d'argile.
Comme l'a souligné la Cour des comptes, un tel chiffrage sur une échelle de temps aussi longue est une première mondiale, d'autant que nous devons prendre en compte des impôts dont les paramètres ne sont pas encore définis. Dans ces conditions, il n'est pas très étonnant que la fourchette soit comprise entre 15 milliards et 35 milliards d'euros !
La prochaine étape est d'établir le nouveau chiffrage avant le débat public, selon le processus fixé par la loi. La Cour des comptes souligne à juste titre que ce chiffrage aura une traduction concrète dans les comptes des grandes entreprises en termes de provisions et d'actifs dédiés. Elle relève dans son rapport que si EDF devait retenir un coût de 35 milliards d'euros tout compris, au lieu de 15 milliards d'euros, cela aurait une incidence de 4 milliards d'euros sur ses comptes. Ce n'est pas ce qu'on lui demande aujourd'hui, car l'exercice n'est pas achevé. Il faut attendre les résultats des études, mais l'enjeu est compris entre 1 % et 2 % du coût de production de l'électricité, ces 35 milliards d'euros étant étalés sur cent ans, soit 350 millions d'euros par an.
Au final, nous partageons tout à fait les observations de la Cour des comptes sur le projet Cigéo.
La Cour des comptes formule également des remarques importantes au sujet des matières radioactives. Elle souligne qu'EDF provisionne aussi dans ses comptes, à juste titre et de manière très prudente, le stockage du MOX ou de l'uranium enrichi qui ne seraient pas valorisés. Aujourd'hui, le MOX usagé est considéré comme une matière valorisable : il est prévu de le réutiliser dans les réacteurs de quatrième génération. Or, ce parc n'existant pas pour l'heure, il faut faire preuve de prudence en matière comptable, en ne tenant pas compte d'une telle valorisation. Dans cet esprit, EDF utilise un chiffrage ancien du coût du stockage du MOX, que l'ANDRA a étudié jusqu'en 2005 à toutes fins utiles. La Cour des comptes indique qu'il serait temps d'actualiser ce chiffrage, en fonction des nouvelles études. Depuis 2006, l'ANDRA ne travaille plus sur le stockage des combustibles usés et du MOX, puisque la loi de 2006 donne la priorité au traitement, mais il est possible d'utiliser les dernières études pour aider EDF à actualiser son chiffrage, suivant un processus qui devra être défini avec l'État.
Ce qu'il faut retenir, c'est que le stockage géologique du combustible usé et du MOX est possible. On est même capable de chiffrer son coût à long terme.
La Cour des comptes soulève aussi le problème de l'uranium appauvri, en soulignant qu'il existe aujourd'hui un stock important de 260 000 tonnes de matières valorisables, qui devrait atteindre 450 000 tonnes à l'horizon de 2030. L'ANDRA ne le prend pas en compte dans ses études. Cependant, la Cour des comptes estime que ce sont des matières valorisables, soit parce qu'elles peuvent être réenrichies pour être utilisées dans le parc actuel, soit parce qu'elles seront utilisées dans le parc futur si les réacteurs de quatrième génération voient le jour, soit parce qu'elles peuvent être vendues à l'étranger. Elle ajoute néanmoins que si aucun de ces scénarios ne se réalise, il faudra envisager une solution de stockage. L'État, dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, demande d'ailleurs à Areva, en l'occurrence, de réfléchir, à titre de précaution, au devenir de ces matières au cas où elles ne pourraient pas être valorisées comme prévu.
À la troisième question - pouvez-vous donner des éléments sur le coût que représente le retrait du combustible des centrales après leur cessation de fonctionnement afin d'estimer ce que ce coût représente par rapport au coût total des opérations de démantèlement ? -, la réponse est négative. En effet, jusqu'à présent, même si l'on peut peut-être s'en étonner, le Parlement n'a pas donné compétence à l'ANDRA pour formuler un avis sur les opérations et les stratégies de démantèlement. La loi de 2006 a élargi les missions de l'ANDRA en l'autorisant à donner un avis sur le conditionnement des déchets radioactifs : c'était une nouveauté. En 1991, quand l'ANDRA a été créée, sa mission était très clairement circonscrite : elle devait travailler sur le stockage géologique des déchets.
Nous pensons sincèrement que, grâce à une collaboration renforcée avec EDF, le CEA et Areva en amont des stratégies de démantèlement, toujours sous l'angle des déchets, il serait peut-être possible d'optimiser les choses et d'éviter l'engorgement de notre centre de stockage des déchets de très faible activité.
Quatrième question : comment l'ANDRA est-elle assurée, et pour quel coût ? Quels sont les risques garantis ?
Nous faisons comme tous les exploitants nucléaires. Par exemple, pour nos projets de construction, nous sommes amenés à contracter une assurance tous risques chantier ou tous risques montage et essais. Pour ses activités d'exploitation, l'ANDRA est couverte par une assurance multirisque industrielle. Enfin, en ce qui concerne les risques civils en cas d'accident nucléaire, nous procédons comme les grands exploitants d'installations nucléaires, mais le niveau de risque n'est pas du tout comparable : aujourd'hui, les activités de l'ANDRA consistent en l'exploitation de centres de stockage de déchets en surface, et il est peu probable qu'un incident quelconque ait un impact sur l'extérieur. Nous prenons donc des garanties, mais nous ne sommes pas confrontés aux mêmes risques que les exploitants nucléaires. Si nous sommes ultérieurement autorisés à exploiter un stockage géologique de déchets de haute activité, le niveau de risque sera un peu plus élevé.
Toujours est-il que l'ensemble des assurances contractées par l'ANDRA représente un coût d'environ 550 000 euros par an, soit 0,3 % du budget de l'agence.
Cinquième question : en fonction du niveau d'activité et de la durée de vie des déchets, la poursuite du programme nucléaire national impliquerait-elle la construction de nouveaux sites de stockage ? Quels sont les terrains envisagés ?
D'une manière générale, conformément à la loi, l'ANDRA réalise tous les trois ans un inventaire national des déchets. Nous ne nous contentons pas de prendre une « photo » du stock de déchets existant, nous nous projetons aussi dans le futur, selon différents scénarios : poursuite du nucléaire, non-renouvellement du parc nucléaire.
Tous ces travaux sont réalisés sous l'égide d'un comité de pilotage national qui réunit les producteurs de déchets, l'État, les experts et même quelques associations de protection de l'environnement, pour essayer de faire en sorte que les choses soient le plus clair possible.
S'agissant des déchets de démantèlement, comme je l'ai dit tout à l'heure, quel que soit le scénario considéré, nous serons amenés à examiner les possibilités d'extension du centre de stockage de déchets à très faible activité qui les recueille, voire à envisager la construction d'un nouveau site.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Quel est ce centre ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - C'est celui de Morvilliers.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Quand ce site atteindra-t-il sa capacité de stockage maximum ?
M. François-Michel Gonnot, député, président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs . - En 2025, dans le scénario actuel.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Avec les producteurs de déchets, nous menons actuellement des actions afin de réduire le volume de ceux-ci à la source. Nous avons même demandé des fonds, dans le cadre des investissements d'avenir, afin de mettre en place une filière de recyclage des déchets en acier très faiblement contaminés dans la filière nucléaire.
En France, il existe une règle très importante, qui n'est pas celle qu'ont retenue tous les pays européens : l'absence de seuil de libération. Quand un déchet sort d'une centrale nucléaire, même s'il n'est pas contaminé, il doit être dirigé vers une filière dédiée. C'est une question de clarté dans la gestion des déchets. C'est en raison de cette règle qu'a été créé le centre de Morvilliers.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous êtes missionnés pour trouver des Morvilliers II, III, IV...
Mme Marie-Claude Dupuis . - Pas encore ! L'ANDRA agit dans un cadre très formalisé, défini notamment par la loi, par le décret et par le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, élaboré par l'État en lien avec l'Autorité de sûreté nucléaire et mis à jour tous les trois ans. C'est dans ce cadre que s'inscrit notre action.
S'agissant maintenant des déchets d'exploitation et de maintenance, nous avons les moyens de faire face jusqu'en 2060 environ. En fait, le centre de Soulaines, d'une capacité de 1 million de mètres cubes, avait été dimensionné pour pouvoir accueillir les déchets provenant du parc nucléaire actuel, en se fondant sur l'hypothèse d'une durée de vie de quarante ans, ainsi que les déchets de démantèlement. En effet, les opérations de démantèlement produiront de nombreux déchets très faiblement actifs, mais aussi une petite part de déchets devant être traités. Une prolongation de la durée de vie des centrales jusqu'à cinquante ans ne poserait pas de problème majeur ; au-delà, il faudrait étendre la capacité de stockage.
S'agissant des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, on nous a demandé de concevoir leur stockage géologique selon une hypothèse conventionnelle de durée de vie du parc de cinquante ans et en considérant que le combustible usé sera retraité. Cela signifie que l'uranium et le plutonium qu'Areva extrait à La Hague sont considérés comme des matières ayant vocation à être recyclées dans le parc actuel ou dans le parc futur. Pour notre part, nous n'en tenons pas compte aujourd'hui.
Avec cette hypothèse d'une exploitation du parc pendant cinquante ans, l'emprise du stockage des déchets dans la couche d'argile serait de l'ordre de quinze kilomètres carrés, soit 1 500 hectares. Il se trouve que la zone de la couche d'argile que nous avons étudiée et qui a été validée par le Gouvernement après un processus de consultations scientifiques et politiques a une surface de 30 kilomètres carrés. Ainsi, on peut considérer que cette couche d'argile - ce bien précieux, très important au regard de la sûreté à long terme - pourrait permettre de couvrir deux fois nos besoins en matière de stockage.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Pour combien de temps ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Cette couche d'argile pourrait accueillir les déchets produits par l'ensemble du parc actuellement en service, dans l'hypothèse d'une durée de vie de cinquante ans.
M. Jean-Claude Lenoir . - Vous parlez des trois sites de stockage ?
M. François-Michel Gonnot . - Non, il est question ici des seuls déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Pour résumer, les déchets de démantèlement poseront problème à assez court terme, même sans allonger la durée de vie du parc.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Ce sont des déchets non radioactifs ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Ils ne le sont que très faiblement, mais il n'est pas possible de les laisser en pleine nature.
S'agissant des déchets d'exploitation et de maintenance des centrales, nous sommes tranquilles à concurrence d'une durée de vie du parc de cinquante ans.
M. Jean Desessard , rapporteur . - C'est le centre de Soulaines.
Mme Marie-Claude Dupuis . - En effet. Cigéo en est encore à l'état de projet, mais nous avons étudié complètement la couche d'argile de 30 kilomètres carrés indispensable à la sûreté à long terme. En retenant comme hypothèses une durée de vie du parc de cinquante ans et le retraitement du combustible usé, les besoins identifiés à ce jour correspondent à 15 kilomètres carrés. Nous avons donc un peu de marge sur le plan géologique.
Dans notre scénario, nous ne prenons pas en considération la production de déchets liée au déploiement d'un futur parc de réacteurs de quatrième génération. Toutefois, nous travaillons actuellement avec le CEA, qui développe le projet Astrid, prototype de réacteur de quatrième génération assorti d'options de séparation et transmutation, afin d'essayer d'estimer quelle serait sa production de déchets. En effet, il ne faudrait pas donner à penser qu'un parc de réacteurs de quatrième génération ne produira pas de déchets radioactifs : l'objectif est d'économiser la ressource en uranium ou de pouvoir réutiliser l'uranium appauvri, de limiter la production de plutonium, mais il s'agit d'une exploitation industrielle qui produira des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Tout l'enjeu de nos échanges avec le CEA, c'est de parvenir à une estimation du volume de ces déchets, mais dans la mesure où nous n'en sommes même pas à la phase du prototype, je ne peux pas vous donner de chiffres.
La sixième question portait sur les sommes que l'ANDRA consacre à la recherche.
La loi du 28 juin 2006 a rendu l'ANDRA un peu plus indépendante des producteurs en matière de recherche, par la création d'une taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base qui alimente directement un fonds dédié à la recherche au sein de l'agence. En moyenne, nous percevons à ce titre 100 millions d'euros par an. Cependant, à très court terme, des problèmes vont se poser puisque, après avoir été relevé temporairement à 118 millions d'euros jusqu'en 2012 par la loi de finances, le produit de cette taxe redescendra dès 2013 à 96,6 millions d'euros, par application d'un décret très récent dont l'objet est de modifier les coefficients de la taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base. Or nous sommes en pleine phase de développement du projet Cigéo et nous devons déposer une demande d'autorisation de création en 2015. Aussi allons-nous plaider auprès du Gouvernement pour un relèvement du produit de cette taxe.
Par ailleurs, nous sommes confrontés à une autre difficulté dans le financement de nos opérations. Lorsque le législateur a créé, en 2006, cette taxe dite « de recherche », il a voulu que son produit soit consacré uniquement à la partie études et recherches. Dans le même temps, il a créé un fonds destiné au financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage, alimenté, au travers de conventions, par des contributions des exploitants d'installations nucléaires de base. Ainsi, pour le financement de la construction et de l'exploitation, qui représente plusieurs milliards d'euros, l'ANDRA devra négocier avec EDF, le CEA et Areva.
Une première difficulté tient à la gestion de la transition entre ces deux fonds. Le Gouvernement considère qu'il ne sera pas possible de mettre en place le fonds dédié à la construction avant que l'autorisation n'ait été donnée, en 2019. En outre, il sera éventuellement nécessaire d'anticiper des travaux, par exemple la réalisation d'une station électrique de 400 000 volts. Cela ne relève pas de la recherche, mais ces travaux devront avoir été réalisés avant que l'autorisation de création du centre de stockage n'ait été accordée, de manière à anticiper la préparation du chantier pour pouvoir être au rendez-vous de 2025.
Pour résumer, il faut simplement retenir que la loi a créé un fonds « recherche » et un fonds « construction-exploitation », dont l'articulation n'est pas forcément très aisée.
L'ANDRA dispose depuis un an d'une source supplémentaire de financement à travers un fonds « investissements d'avenir ». Doté initialement de 100 millions d'euros, il ne compte plus maintenant que 75 millions d'euros, puisque nous avons contribué à la mise en place du programme de l'Agence nationale de la recherche à la suite de l'accident de Fukushima. Ces 75 millions d'euros permettent de cofinancer des projets relatifs au traitement des déchets en amont du stockage, ce qui nous tenait à coeur. L'optimisation de la gestion des déchets passe en effet par une action concertée entre EDF, le CEA, Areva et l'ANDRA en amont du stockage pour réduire les volumes et la toxicité. Il subsiste cependant une petite difficulté : ces fonds ne couvrent pas les heures de travail des équipes de l'ANDRA. Chaque fois que nous demandons à nos équipes de travailler sur ces sujets, nous puisons dans nos ressources propres, lesquelles restent très modestes. Si l'ANDRA a tout à fait les moyens de travailler, ces moyens sont très compartimentés : nous avons les contrats pour les activités industrielles, nous avons la taxe « recherche » pour le stockage géologique, mais nous ne dégageons pas suffisamment de marge pour financer des recherches sur nos fonds propres.
Aujourd'hui, l'utilisation du fonds dédié à la recherche est strictement limitée au stockage géologique en termes de recherche et développement. Il est fort probable qu'il faudra le pérenniser une fois que Cigéo sera en construction. En effet, ce centre de stockage devant être exploité pendant cent ans, il serait justifié de poursuivre les recherches en vue de son optimisation, par exemple grâce au recours à de nouveaux matériaux.
Par ailleurs, peut-être conviendrait-il d'élargir le champ de cette taxe « recherche » pour donner à l'ANDRA les moyens de mener des recherches sur d'autres thèmes que celui du stockage, mais aussi pour promouvoir les recherches sur les déchets.
Septième question : à qui sont imputés, in fine , les différents coûts relatifs au traitement et au stockage des déchets de la filière électronucléaire ?
Je ne peux que reprendre les éléments d'information contenus dans le rapport de la Cour des comptes, s'agissant notamment du financement du stockage géologique. La clé de répartition actuelle pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue est la suivante : 78 % pour EDF, 17 % pour le CEA et 5 % pour Areva.
M. François-Michel Gonnot . - Les coûts sont supportés par les producteurs de déchets, selon le principe pollueur-payeur, au prorata de la quantité de déchets produite.
M. Jean Desessard , rapporteur . - C'est calculé à la tonne, en fonction de la nature du déchet ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - En fait, la taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base est supportée par le CEA, EDF et Areva suivant cette clé de répartition.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Que finance cette taxe ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - La recherche sur le projet Cigéo, uniquement pour le stockage géologique. Cela représente 100 millions d'euros.
L'exploitation et la réception des déchets dans les centres de Soulaines et de Morvilliers sont financées par le biais de contrats industriels. L'ordre de grandeur est d'environ 60 millions d'euros.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Ces contrats sont eux aussi passés avec les producteurs de déchets ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Oui, mais outre les trois précédemment cités, de petits producteurs de déchets payent également leur part, même si elle est modeste.
M. Jean-Claude Lenoir . - Et pour les déchets d'origine médicale ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Je vais y venir. Au préalable, je voudrais préciser que pour EDF, le CEA et Areva, la clé de répartition pour les déchets de démantèlement et d'exploitation n'est pas la même que celle que j'ai déjà évoquée. Elle dépend de l'importance du colis livré. Ils se répartissent les financements en fonction du volume des déchets d'exploitation et de maintenance et de celui des déchets de démantèlement. Aujourd'hui, c'est le CEA qui livre le plus de déchets de démantèlement, en raison de la fermeture de ses anciennes unités. La clé de répartition que j'ai indiquée n'est valable que pour la recherche.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Et pour le reste ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Des contrats donnent lieu à une facturation permettant de couvrir les frais fixes et la prise en charge des colis au fur et à mesure de leur arrivée.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Le calcul se fait à la tonne, suivant la nature des déchets ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Voilà !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vais poser la question différemment : que retrouve-t-on sur la facture d'électricité du consommateur ? La prise en charge des déchets pharmaceutiques ou médicaux évoqués par M. Lenoir n'est pas répercutée.
Mme Marie-Claude Dupuis . - En fait, comme l'indique le rapport de la Cour des comptes, il existe une ligne dédiée à la gestion des déchets radioactifs dans les comptes tant d'EDF que d'Areva, intégrant l'ensemble des coûts. L'ANDRA établit le chiffrage, mais la répartition de la charge entre EDF, le CEA et Areva lui échappe. Je ne peux que vous rapporter les informations contenues dans le rapport de la Cour des comptes et celles que nous donne le ministère chargé de l'énergie. La répartition du financement entre ces trois acteurs ne relève ni de la vocation ni de la compétence de l'ANDRA. Ils se mettent d'accord entre eux sous le contrôle de l'État. Les discussions sont parfois compliquées !
M. François-Michel Gonnot . - Les 100 millions d'euros du fonds « recherche » sont apportés à hauteur de 78 % par EDF, de 17 % par le CEA et de 5 % par Areva, monsieur le président. Sur cette somme, 90 millions d'euros sont imputables à des opérateurs produisant de l'électricité ou contribuant au retraitement du combustible : voilà ce que l'on retrouve sur la facture d'électricité. Seule une fraction de la part du CEA correspondant aux déchets d'origine militaire n'est pas répercutée.
Ensuite, sur les 60 millions d'euros évoqués par Mme Dupuis, correspondant aux contrats industriels, si l'on retire les déchets émanant des hôpitaux ou des universités et les déchets grand public qui nous incombent, environ 50 millions d'euros restent imputables à EDF, au CEA et à Areva.
Mme Marie-Claude Dupuis . - La part des petits producteurs est très réduite. Le chiffre d'affaires afférent aux petits producteurs est de 3 millions d'euros par an.
M. François-Michel Gonnot . - Au total, environ 150 millions d'euros par an au maximum sont répercutés sur la facture d'électricité du consommateur. Le coût annualisé du projet Cigéo étant de l'ordre de 300 millions d'euros, alors que le fonds dédié à la recherche n'est doté que de 100 millions d'euros, la somme imputable sur la facture d'électricité pourrait donc éventuellement passer à 300 millions d'euros, dans le pire des scénarios, soit moins de 2 % du coût de production de l'électricité.
M. Claude Léonard . - La part du CEA concerne-t-elle à la fois les activités civiles et les activités militaires de cet organisme ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Oui, il s'agit de l'ensemble des déchets, d'origine tant civile que militaire. Le CEA est à la fois client civil et client militaire, pour le compte du ministère de la défense.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Madame la directrice générale, je vous remercie vivement de l'ensemble de ces explications très précises. Toutefois, M. le rapporteur a besoin de quelques éclaircissements supplémentaires sur certains points. ( Sourires .)
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Souvent, des réponses claires et précises appellent d'autres questions : c'est l'inconvénient de la clarté ! ( Nouveaux sourires .)
Trois barrières assurent donc la sûreté de l'enfouissement des déchets : l'enveloppe du colis de stockage, la nature du sol - sa stabilité, ses caractéristiques physiques - et les barrières ouvragées. Pourriez-vous nous préciser ce que recouvre ce dernier terme ?
Par ailleurs, vous nous avez expliqué qu'une couche d'argile d'une surface de 15 kilomètres carrés était nécessaire pour stocker cinquante ans de production de déchets par le parc actuel : comment parvenez-vous concrètement à une telle estimation ?
Enfin, comment la réversibilité du stockage est-elle garantie dans un tel système ? Si un colis se dégrade, comment peut-il être récupéré ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - La sûreté du stockage géologique repose en effet sur trois éléments.
Prenons l'exemple de ce que font les Suédois, qui n'ont d'autre choix que de stocker dans le granit. L'intérêt de cette roche, c'est qu'elle peut être très facilement creusée et que sa dureté permet de limiter le soutènement. En revanche, l'eau s'y infiltre facilement car elle est très fracturée. C'est la raison pour laquelle les Suédois jouent sur les deux autres barrières pour assurer la sûreté à long terme du stockage de leurs combustibles usés : d'une part, ceux-ci sont placés dans des colis de stockage en cuivre, ce qui est assez coûteux, l'enjeu pour les Suédois étant de démontrer que, sur la durée, ces colis resteront inaltérés ; d'autre part, ces colis sont enveloppés d'argile gonflante.
Par conséquent, alors que notre système de stockage est fondé avant tout sur une barrière naturelle, à savoir une couche d'argile de 130 mètres d'épaisseur formée voilà 150 millions d'années, celui des Suédois repose plutôt sur des barrières artificielles.
Nous étudions différentes méthodes de creusement. La difficulté est que, à 500 mètres de profondeur, la couche d'argile a tendance à se refermer.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Qu'entendez-vous par là ?
M. François-Michel Gonnot . - Elle « cicatrise » !
Mme Marie-Claude Dupuis . - Sous la pression exercée par les terrains, les galeries se referment petit à petit, centimètre par centimètre. Heureusement, une stabilisation intervient au bout de six mois. Vous vous rendrez mieux compte de ce phénomène lors de votre visite, prévue pour le 17 avril.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La couche d'argile conserve-t-elle ses qualités ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Nous avons une connaissance poussée de cette couche d'argile. Elle est très stable, mais nous allons la creuser, la fissurer pour y introduire du béton, de la ferraille, de la radioactivité, de la chaleur. Tout l'enjeu des recherches de l'ANDRA, c'est d'étudier les perturbations subies par l'argile, les interactions entre le verre, le fer et la roche, d'établir des modèles, de faire des calculs de sûreté et de convaincre les scientifiques et l'Autorité de sûreté nucléaire que nos travaux permettent de garantir l'absence de risque à long terme. Nous prenons même en compte la déformation en surface liée au changement climatique !
S'agissant de l'exigence de réversibilité, elle a des conséquences très concrètes sur le plan technique. Si je prends l'exemple des déchets vitrifiés, les radioéléments sont fondus dans une masse de verre avant d'être placés dans des colis en inox qui mesurent plus d'un mètre de hauteur. L'idée est de creuser dans l'argile des microtunnels de moins d'un mètre de diamètre et d'une profondeur comprise entre 80 et 100 mètres - plus ils sont longs, plus on réalise d'économies -, de les chemiser d'acier de manière à pouvoir faire glisser les colis les uns derrière les autres jusqu'au fond. L'intérêt est qu'ils pourront être retirés facilement.
Pour accueillir les déchets de moyenne activité à vie longue - il s'agit là de colis en béton -, on envisage des galeries plus grandes : huit mètres de diamètre, entre 200 et 400 mètres de profondeur, cela reste à préciser. L'épaisseur du béton doit être calculée de telle sorte que la réversibilité dure au moins cent ans.
Dans nos recherches, nous avons également eu recours aux sciences humaines et sociales. Pendant longtemps, on nous a objecté que la réversibilité avait un coût et que le stockage serait moins coûteux s'il n'était pas réversible. Or les sciences humaines et sociales nous apportent un autre regard : en réalité, la flexibilité que permet la réversibilité de notre stockage a aussi une valeur. En creusant progressivement, on apprend à chaque étape. Il existe des théories sur la valeur de la flexibilité et de l'apprentissage. Le fait de prévoir qu'on pourra un jour être contraint de retirer un colis peut s'avérer très bénéfique et permettre de faire des économies.
Dans le débat public, on nous oppose souvent le contre-exemple de l'Allemagne. Les Allemands ont mis en place un stockage géologique dans une ancienne mine de sel : aujourd'hui, ce stockage fuit de partout. Comme il n'avait pas été conçu pour être réversible, retirer les colis va leur coûter des milliards d'euros.
Face aux enjeux et aux échelles de temps considérés, intégrer la réversibilité, avancer de manière très progressive, ce qui nous permet d'apprendre, a aussi une valeur. Investir un peu plus aujourd'hui peut nous permettre de faire des économies demain.
Évaluer le coût de la réversibilité, exigence supplémentaire qui s'impose à notre stockage, est assez complexe. Nous y travaillons et nous essaierons d'apporter des éléments de réponse sur ce point en vue du débat public qui aura lieu en 2013.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Les Allemands traitent-ils leurs déchets avant de stocker ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Oui, d'où ces convois ferroviaires circulant entre La Hague et l'Allemagne.
J'en reviens aux déchets de moyenne activité à vie longue. Les colis de stockage en béton qui les renferment sont froids et on peut les empiler dans les grandes galeries que j'ai évoquées. En revanche, les déchets de haute activité vitrifiés sont très chauds. Comme je le disais tout à l'heure, on ne les descend pas dans les galeries avant que leur température ait été ramenée à 90° C. Malgré cela, nous sommes obligés de les espacer dans l'argile à 500 mètres de profondeur, car il faut qu'il y ait suffisamment d'argile entre les verres pour que celle-ci puisse absorber la chaleur dégagée. Sinon, l'argile cuirait et perdrait toutes ses propriétés. L'architecture du stockage est donc très importante : il faut prévoir suffisamment d'espace entre les différents microtunnels dans lesquels seront entreposés les déchets vitrifiés. Plus les verres sont refroidis en surface, plus le stockage peut être compact.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Ces explications techniques nous seront détaillées lors de notre visite sur place.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Absolument !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Ma première question portait sur la notion de barrières ouvragées.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Les Suédois enveloppent leurs colis en cuivre d'argile gonflante, qui se présente sous forme de briquettes : on injecte de l'eau de manière à en faire une sorte de joint gonflant, qui empêchera l'eau de s'infiltrer. C'est leur barrière ouvragée. La nôtre, qui sépare l'argile - la formation hôte - du colis, consiste en un chemisage en acier ou en un revêtement en béton des microgaleries. C'est aussi elle qui permet de faire les manutentions. J'ajoute que, en France, on nous demande également de travailler sur le scellement hermétique du lieu de stockage, une fois que son exploitation sera terminée.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Claude Léonard.
M. Claude Léonard . - J'ai une question d'ordre technique. La télévision a diffusé des images sur le stockage allemand et nous avons pu voir que des fûts étaient déversés dans d'anciennes galeries de mine de sel. Ces images sont-elles caricaturales ? Alors que l'on décrit volontiers les Allemands comme des gens très rigoureux, une telle méthode paraît très artisanale...
Mme Marie-Claude Dupuis . - C'est la réalité ! Il faut replacer les choses dans leur contexte, celui de la fin des années soixante. En France, on construisait alors le centre de La Hague, et les colis étaient stockés sans reposer sur du béton ! C'étaient les tout débuts, il n'y avait pas d'Autorité de sûreté nucléaire, pas de règles d'assurance qualité, pas de contrôles...
Cela étant dit, je considère que la mine d'Asse II est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. En réalité, les Allemands ont réutilisé une mine de sel, après l'avoir exploitée au maximum, pour y entreposer des déchets radioactifs. Au départ, cela devait d'ailleurs être une simple expérimentation. Le sel présente des caractéristiques intéressantes, car il est hydrophobe et permet un bon confinement, mais les Allemands ont négligé le fait que cette mine avait tellement été exploitée à fond que la paroi isolant les déchets radioactifs du reste de la couche, qui n'est pas du sel, était devenue si fine qu'il a suffi qu'un peu d'eau s'introduise par une fissure pour dissoudre le sel. Maintenant, les déchets radioactifs baignent dans l'eau...
En matière de stockage géologique de déchets, à l'inverse d'une mine, ce qui est important, ce n'est pas ce qu'on retire du fond, c'est ce qu'on y laisse. Notre argile est un bien précieux : nous veillons à en enlever le moins possible, à l'abîmer le moins possible, car, à terme, c'est elle qui assurera le confinement. Il ne faut donc surtout pas utiliser une ancienne mine pour faire du stockage géologique. Cela étant, il est plus facile de le dire maintenant, avec le recul de l'expérience.
Les Allemands ont un autre projet de stockage dans le sel, mais avec des galeries et une architecture conçues spécifiquement à cet effet. Toutefois, ce projet a été placé sous moratoire voilà dix ans, comme l'ensemble du parc nucléaire allemand. Angela Merkel a déclaré qu'il était urgent de reprendre ce sujet en main. Ce ne sera peut-être pas le site de Gorleben qui sera retenu, car bien qu'il soit pratiquement opérationnel, elle considère qu'il ne bénéficie pas d'une acceptation sociale suffisante. En tout cas, elle a demandé que soit recherché un autre site de stockage géologique en Allemagne, en même temps qu'elle annonçait l'arrêt du nucléaire en Allemagne, peu après la catastrophe de Fukushima. Cela montre bien que ces deux débats sont liés, même s'ils sont de nature différente. Quand bien même la France renoncerait aujourd'hui au nucléaire, il lui faudrait bien régler la question de la prise en charge des déchets, 60 % de ceux de moyenne activité à vie longue et 30 % de ceux de haute activité ayant déjà été produits.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Ces sites de stockage allemands sont donc d'anciennes mines de sel ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Celui d'Asse II, qui pose problème, est une ancienne mine de sel.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Reste-t-il suffisamment de sel pour assurer une bonne protection ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Non, contrairement à ce que pensaient les Allemands, et l'eau s'est donc infiltrée. En revanche, à Gorleben, la couche de sel est intacte et suffisamment importante pour que l'on puisse y stocker des déchets radioactifs. D'ailleurs, le seul site de stockage géologique qui existe actuellement dans le monde, le Waste Isolation Pilot Plant , le WIPP, dans l'État du Nouveau-Mexique, aux États-Unis, assure la conservation dans le sel, à 800 mètres de profondeur, de déchets d'origine militaire - ce ne sont pas des déchets de haute activité -, et il est très sûr. Ce qui est certain, c'est qu'il ne faut pas chercher à exploiter le sel avant de déposer des déchets radioactifs.
M. Ladislas Poniatowski , président . - À propos des États-Unis, le président Obama a annoncé très récemment qu'il allait relancer le programme de recherches sur l'enfouissement des déchets radioactifs. Pour l'heure, ils sont stockés pour l'essentiel dans des piscines. Sur quelles techniques travaillent les Américains ? Sur quoi portent leurs recherches ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - Ce programme n'a pas encore été relancé. En fait, les Américains repartent de zéro après avoir été des précurseurs au plan mondial, puisqu'ils avaient déposé une demande d'autorisation de création pour un projet de stockage géologique situé dans le Nevada, Yucca Mountain . Cette demande d'autorisation a été soumise à la Nuclear Regulatory Commission , la NRC, pour évaluation, mais un accord politique est intervenu entre le sénateur démocrate du Nevada et M. Obama pendant la campagne présidentielle, le premier s'engageant à soutenir le second si, une fois élu, il mettait un terme à ce projet. Il est vrai que le Nevada, seul contre tous les autres États, s'était déclaré opposé à la création d'un site de stockage géologique sur son sol.
Le projet étant porté par le département de l'énergie, et indirectement par l'administration américaine, il a été facile de tout stopper en coupant les crédits. Une commission d'experts, la Blue Ribbon Commission , a été constituée. Au terme de près de deux années de travaux, elle a remis au président Obama un rapport qui vient d'être rendu public. Il contient deux conclusions importantes : d'une part, le stockage géologique est la seule solution sûre à long terme et il faut donc créer un site, au Nevada ou ailleurs - pourquoi pas à côté du WIPP, comme le proposent certains élus du Nouveau-Mexique ; d'autre part, il faut confier cette mission à un organisme indépendant public, à l'image de l'ANDRA, par exemple !
Le Congrès et le département américain de l'énergie étudient actuellement ce rapport. Ils se sont donné six mois pour mûrir leur réflexion, mais ils sont en tout cas décidés à reprendre le dossier.
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Je voudrais faire remarquer que, aux États-Unis, les choses sont extrêmement complexes, du fait de l'organisation politique et institutionnelle du pays : la volonté du Président des États-Unis a peu de chances d'aboutir si l'État concerné s'y oppose. Cela est vrai aussi bien pour Yucca Mountain que pour l'implantation d'un EPR. Finalement, quel crédit peut-on accorder aux intentions manifestées ?
M. Ladislas Poniatowski , président . - Lorsque nous nous sommes rendus dans le Nevada, on nous a montré l'endroit où le projet devait se concrétiser. Ce qui est intéressant, c'est que le creusement dans la montagne s'effectuait non pas verticalement, mais horizontalement.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Tout à fait ! Les porteurs du projet Yucca Mountain ne désespèrent pas de le voir revivre, notamment en cas de changement de majorité. En même temps, les États-Unis n'excluent aucune voie aujourd'hui : ils ont de l'argile, ils ont du granit et le pays est tellement vaste qu'ils ont le choix.
M. François-Michel Gonnot . - Des engagements formels ont déjà été pris au cas où ils s'orienteraient vers un stockage dans l'argile. La France pourrait éventuellement les aider à gagner un peu de temps.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Le département de l'énergie américain souhaite signer un accord avec l'ANDRA dans ce nouveau contexte. Parallèlement, nous bénéficierons du retour d'expérience de l'exploitation du stockage de WIPP, qui dure depuis plus de dix ans. La coopération fonctionnera dans les deux sens.
M. Claude Léonard . - Vous voulez valoriser votre investissement intellectuel !
M. Ladislas Poniatowski , président . - Madame la directrice générale, bien que vous soyez très précise, M. le rapporteur souhaite encore obtenir des précisions complémentaires ! ( Sourires .)
M. Jean Desessard , rapporteur . - J'ai cru comprendre que les Américains, qui ne disposent pas de site de stockage, déposent les déchets à vie longue les plus dangereux dans des piscines situées juste à côté des lieux d'exploitation.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Je ne suis pas une spécialiste des modes d'entreposage du combustible usé, mais je sais qu'aux États-Unis il est entreposé à sec.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Ce mode de stockage provisoire n'est-il pas dangereux ?
S'agissant de l'Allemagne, vous nous avez expliqué que les infiltrations d'eau dans les anciennes mines de sel représentaient un danger. L'Allemagne est-elle engagée dans une démarche de réversibilité, visant à récupérer les déchets stockés dans ces anciennes mines pour les mettre en sûreté ?
Enfin, comment suivrez-vous l'évolution des déchets une fois qu'ils auront été entreposés au fond des galeries ? Comment pourra-t-on savoir s'il se passe quelque chose de grave ?
Mme Marie-Claude Dupuis . - L'objet de votre première question ne relève pas de la compétence de l'ANDRA, mais j'ai l'occasion de participer à de nombreuses réunions internationales consacrées à ce sujet. Effectivement, il existe une différence fondamentale entre la solution américaine d'entreposage à sec du combustible usé et celle de l'entreposage dans des piscines retenue par les Français. Il faudrait interroger EDF sur les motivations de ce choix, d'autant que l'accident de Fukushima a mis en exergue l'importance de la ressource en eau.
Je n'irai pas plus loin sur ce sujet qui fait débat, car il ne relève pas de la compétence de l'ANDRA et je ne le connais pas suffisamment pour vous donner ne serait-ce qu'un avis personnel.
S'agissant de la mine d'Asse II, le Gouvernement allemand a demandé à la Deutsche Gesellschaft zum Bau und Betrieb von Endlagern für Abfallstoffe mbH , la DBE, d'étudier le retrait des déchets radioactifs qui baignent dans l'eau. On sait d'ores et déjà que cette opération pourrait coûter des milliards d'euros. La décision n'a pas encore été prise. Nous n'en savons pas plus, mais c'est un vrai sujet. Cette installation n'a pas du tout été conçue comme réversible : les colis ont été simplement bennés à grande profondeur. Pour notre part, nous entreposons nos colis au moyen de robots, les uns par-dessus les autres, en prévoyant les espacements nécessaires de façon qu'ils puissent être retirés en actionnant un câble si besoin est.
La réversibilité correspond à une demande politique. Elle contribue à la confiance dans le projet. Du point de vue des ingénieurs de l'ANDRA, elle représente un plus en vue du démarrage d'un projet hors normes tel que celui sur lequel nous travaillons, car elle permet l'apprentissage. En même temps, nous tenons un langage clair aux Meusiens et aux Haut-Marnais : un site de stockage géologique est fait pour être fermé, et par conséquent il ne peut s'agir d'une réversibilité ad vitam aeternam . Elle permet cependant d'aborder prudemment les premières décennies d'exploitation, en étant prêts à retirer des colis si nécessaire. Même si tous les calculs scientifiques démontrent qu'aucun problème n'apparaîtra d'ici à un million d'années, il n'est pas mauvais de se donner le temps, au cours des premières années, de vérifier leur justesse.
Dans le cas du WIPP, la réversibilité n'était pas prévue, car l'entreposage dans le sel s'y prête plus difficilement. Lorsqu'un doute sur un colis est apparu à la suite d'un contrôle qualité, l'autorité de sûreté américaine a demandé qu'il soit retiré, ce qui a pu être fait au bout de trois mois. La réversibilité est plus ou moins facile à mettre en oeuvre.
M. François-Michel Gonnot . - On devrait plutôt parler de « récupérabilité ».
Mme Marie-Claude Dupuis . - En effet. La notion de réversibilité recouvre la récupérabilité technique et un processus de décision.
M. François-Michel Gonnot . - Dans les colloques internationaux, quand les Français disent « réversibilité », les étrangers entendent « récupérabilité ». La récupérabilité est une notion qui a une valeur à la fois juridique, scientifique et technique. La réversibilité, quant à elle, est une notion française : nous sommes les premiers à l'avoir inscrite dans une loi. Il convient maintenant de lui conférer une valeur juridique reconnue de façon consensuelle par la communauté scientifique et technique internationale. C'est ce à quoi s'est employée l'ANDRA, notamment dans le cadre de l'AEN. Au cours d'un colloque organisé par l'AEN qui s'est tenu à Reims sous la présidence de M. Claude Birraux, à l'époque président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un tel consensus a pu émerger au niveau international sur la notion de réversibilité.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Un guide vient d'ailleurs d'être publié à ce sujet.
M. François-Michel Gonnot . - La notion de réversibilité recouvre la récupérabilité des colis en cas de problème, ainsi que la réversibilité d'un processus politique de décision qui accompagne la vie de l'installation.
Certains pays se disent davantage intéressés par la récupérabilité que par la réversibilité. Au début, les stockages géologiques étaient conçus selon le principe suivant : « on stocke, on ferme et on oublie ». En France, notre démarche est totalement différente, puisque nous avons notamment introduit cette notion de réversibilité. Le consensus qui s'est établi autour de celle-ci à l'échelon international aidera l'ANDRA à bâtir son projet et apportera au Parlement français un certain nombre d'éléments admis par la communauté scientifique internationale, sur lesquels il pourra s'appuyer quand il élaborera le texte définissant les conditions de la réversibilité de Cigéo prévu par la loi de 2006.
La loi de 2006 dispose que Cigéo doit être réversible pendant au moins cent ans, mais la signification de ce terme n'est aujourd'hui nulle part définie. Aujourd'hui, certains demandent que la durée de la réversibilité soit portée à deux cents ou trois cents ans. D'où la remarque de Mme Dupuis : quand le législateur décidera la fermeture de Cigéo, il devra en même temps décider l'abandon de la réversibilité. En effet, laisser une telle installation ouverte serait très risqué sur le plan technique : sa sûreté serait compromise en raison de possibilités d'intrusion non seulement humaine, mais aussi physico-chimique.
Mme Marie-Claude Dupuis . - Une fois que l'installation aura été fermée, il sera toujours possible de retirer les déchets par des moyens robotisés, sur le modèle de ce que fait déjà Areva. Tant qu'on garde la mémoire de l'installation, on peut toujours envisager une telle intervention.
Pour répondre à votre troisième question, monsieur le rapporteur, qui portait sur la surveillance et l'observation, j'indique que nous avons lancé, en 2006-2007, un important programme de recherches sur l'observation du stockage à 500 mètres de profondeur et la surveillance de l'environnement en surface. Nous avons créé un groupement de laboratoires de recherche qui réunit les meilleures compétences françaises en matière de développement de capteurs innovants. Dans le domaine de l'observation au fond, nous devons en effet relever de nombreux défis. Il existe déjà des capteurs destinés à effectuer des relevés chimiques, mais ceux que nous emploierons devront résister à la radioactivité, à la chaleur, et nous devrons être en mesure de les alimenter en énergie pendant au moins cent ans. De surcroît, comme le confinement repose sur la fermeture des alvéoles de stockage des galeries par de l'argile hermétique, il faut aussi que ces capteurs puissent transmettre l'information à la surface !
Le groupement de laboratoires en question vient d'ailleurs de déposer un brevet. Toutes les technologies innovantes que nous serons amenés à développer en matière de stockage pourront être transposées à d'autres industries, par exemple pour la surveillance des bétons. Nous travaillons même avec le Laboratoire national de métrologie et d'essais sur les questions de fiabilité des mesures.
Le déploiement de ces moyens de surveillance contribuera grandement à renforcer la confiance en ce projet. Tous les alvéoles de stockage ne seront pas truffés de capteurs, mais en tout cas les premiers feront l'objet d'une surveillance particulièrement étroite.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur le président du conseil d'administration, madame la directrice générale, je vous remercie d'être venus répondre à nos questions. Ne soyez pas surpris si, dans les jours ou les semaines à venir, notre rapporteur se permet de solliciter, éventuellement par écrit, quelques compléments d'information.
Audition de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire
(3 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'ordre du jour cet après-midi appelle l'audition de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN.
Je vous remercie, monsieur Lacoste, d'avoir répondu à notre invitation. Cela étant dit, vous n'aviez pas le choix. Il est obligatoire de répondre aux invitations des commissions d'enquête parlementaires ! ( Sourires .)
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage annuel, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons notamment amenés à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire de vous auditionner, monsieur Lacoste, afin d'entendre le point de vue de l'ASN sur le sujet qui nous intéresse, notamment sur la question des coûts en matière de sécurité nucléaire et sur l'éventualité d'un prolongement de la durée de vie des centrales.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
La commission a souhaité que la présente audition soit publique. Un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à M. Lacoste conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, monsieur Lacoste, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. André-Claude Lacoste prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Pour faciliter votre audition et entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions afin que vous puissiez préparer vos réponses.
Notre commission d'enquête est bien évidemment intéressée par les conclusions que vous avez tirées de l'accident de Fukushima et par les travaux que vous estimez nécessaires de faire réaliser dans les cinquante-neuf centrales nucléaires françaises.
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler ses questions, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de votre audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre dans l'ordre, sauf si, pour nous éclairer, vous jugez plus intéressant de procéder différemment.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Lacoste, nous vous avons adressé cinq questions.
Premièrement, pouvez-vous faire un point sur le chantier de Flamanville, notamment sur ses conséquences financières pour la production d'électricité à partir de l'EPR ?
Deuxièmement, à quel montant peut-on évaluer le coût des travaux de sûreté post-Fukushima qui seront nécessaires pour se conformer aux demandes formulées par l'ASN à l'issue des évaluations complémentaires de sûreté, les ECS ?
À cet égard, pouvez-vous commenter le choix fait par le Gouvernement, qui s'est appuyé sur une estimation du coût des travaux d'amélioration de la sûreté, de surévaluer de 3 euros le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, estimé par la commission Champsaur ?
Troisièmement, pouvez-vous commenter les conclusions du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 concernant les charges futures - démantèlement, gestion des déchets -, y compris le mécanisme de couverture d'une partie de ces charges par des actifs dédiés ?
Les sites prévus ou en projet pour le stockage des déchets vous paraissent-ils suffisants en termes de dimensionnement, compte tenu du niveau d'activité et de la durée de vie de ces déchets ? Sinon, quel pourrait être le coût supplémentaire induit par une extension de ces sites ?
Quatrièmement, pouvez-vous commenter le régime actuel de responsabilité civile en cas d'accident nucléaire, ainsi que les dispositions contenues à cet égard dans le projet de loi n° 481 (2011-2012), déposé au Sénat le 21 mars 2012 ?
Les différents risques liés à l'exploitation de centrales nucléaires, y compris en cas d'accident majeur, peuvent-ils être couverts par un système de type assurantiel ?
Le CODIRPA, le Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire ou d'une situation d'urgence radiologique, créé en 2005 pour définir une gestion des conséquences d'un accident nucléaire, étudie-t-il la question du coût financier d'un tel accident ?
Cinquièmement, d'un point de vue stratégique, comment peut-on concilier la nécessité de planifier longtemps à l'avance le remplacement des centrales nucléaires avec les incertitudes sur leur durée de vie, celles-ci découlant aussi bien du principe des visites décennales, qui peut conduire l'ASN à interdire la poursuite de l'exploitation, que du manque d'expérience concrète sur le vieillissement des centrales nucléaires au-delà de l'âge de trente ans en France ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez la parole, monsieur Lacoste. Après votre exposé, nous conclurons votre audition par une série de questions-réponses.
M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire . - Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de m'avoir invité à intervenir devant vous aujourd'hui.
Il est très important pour une institution comme l'Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante qui ne rapporte pas devant le Gouvernement, de rapporter devant le Parlement et ses différentes commissions. Pour des raisons évidentes, nous avons des rapports privilégiés avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, devant lequel nous sommes très régulièrement amenés à intervenir. Nous considérons que c'est à la fois un honneur, un devoir et une pratique normale.
Avant de répondre aux différentes questions que vous m'avez posées, permettez-moi de vous rappeler quels sont les deux grands types d'activités de l'ASN.
En premier lieu, nous contrôlons la sûreté et les mesures de radioprotection de ce que nous appelons les « grosses bêtes » - elles sont au nombre de 150 -, dont les réacteurs d'EDF, les installations de La Hague et les réacteurs de recherche.
En second lieu, nous surveillons le nucléaire de proximité. Cette activité, qui n'entre pas dans le champ des travaux de votre commission d'enquête aujourd'hui, est fondamentale pour nous. Nous contrôlons l'utilisation des sources radioactives dans de nombreux domaines, essentiellement dans le secteur médical, mais aussi dans l'industrie et dans la recherche. Actuellement, nous nous occupons principalement de la radioprotection des patients, à la suite des accidents survenus à Épinal, ainsi que de la croissance des doses reçues par les patients en matière de radiographie. La surveillance des « grosses bêtes » n'est donc que l'un de nos deux axes de travail.
J'en viens aux cinq questions que vous m'avez posées. J'évoquerai tout d'abord l'EPR, puis je répondrai dans l'ordre aux questions suivantes.
L'EPR est le premier réacteur de puissance construit en France depuis longtemps. Il n'a pas été édifié de tel réacteur dans notre pays depuis ceux de Chooz et de Civeaux, soit une interruption de pratiquement vingt ans.
Nous surveillons de très près la construction de l'EPR. Ce contrôle a débuté avant même le démarrage du chantier. Il faut se souvenir que la conception de l'EPR, au début des années quatre-vingt-dix, est le résultat d'une prise de position de l'Autorité de sûreté nucléaire. À l'époque - en 1991 -, mon prédécesseur avait écrit à EDF, au CEA et à Framatome qu'il n'était plus question de construire en France des réacteurs de type N4, qu'il fallait tenir compte de l'accident de Tchernobyl et passer à une génération plus sûre. Cette prise de position a conduit à l'étude d'un nouveau type de réacteur.
Ce réacteur a d'abord été franco-français, puis franco-allemand. Dans les années quatre-vingt-dix, l'ensemble des acteurs français et allemands ont travaillé ensemble. Je me souviens en particulier que mon homologue allemand et moi-même avons pris des positions communes sur les options de sécurité de l'EPR. Nous connaissons donc l'EPR depuis longtemps. Il résulte d'un certain nombre de prescriptions de l'ASN.
Depuis le début, nous avons effectué plus d'une centaine d'inspections sur le chantier de l'EPR et une cinquantaine d'inspections dans les services centraux d'EDF, ainsi que chez les fournisseurs et chez les sous-traitants.
Depuis le début, nous nous attendions à rencontrer un certain nombre de difficultés, dues à la nécessité de réapprendre ce qu'est la construction de réacteurs de puissance. À cet égard, je me souviens avoir été invité, il y a quelques années, à participer à une réunion organisée par nos homologues américains, les commissaires de la Nuclear regulatory commission , avec les chefs des autorités de sûreté de la Finlande, du Japon et de Taïwan. Les Américains souhaitaient savoir si nous avions des conseils à leur donner en matière de surveillance, dans l'hypothèse où ils recommenceraient à construire des réacteurs de puissance aux États-Unis. Je leur avais alors dit qu'ils allaient se heurter au problème du relearning , c'est-à-dire qu'ils allaient devoir réapprendre à construire et à surveiller la construction d'un réacteur. Chacun dans notre domaine - c'est le cas de l'Autorité de sûreté, mais aussi d'EDF et de ses sous-traitants -, nous avons oublié ce que nous avions l'habitude de faire.
Aujourd'hui, nous sommes exactement dans cette situation. Ainsi, les difficultés de Bouygues avec le béton s'expliquent clairement par un manque d'habitude de la qualité nucléaire. Si nous avons arrêté la construction d'un pressuriseur fabriqué en Italie par une filiale de Krupp pour le compte d'Areva, c'est précisément parce que ce sous-traitant ne s'est pas donné les moyens de respecter les normes de qualité et de sûreté du nucléaire. L'épisode le plus récent intervenu sur le pont polaire s'explique lui aussi, de manière flagrante, par un manque de qualité.
Autrement dit, nous faisons face à un manque d'habitude en matière de construction. Il en résulte des difficultés qui, parfois, peuvent se résoudre facilement mais qui, d'autres fois, imposent un arrêt du chantier. Nous avons ainsi déjà interrompu deux fois le chantier à cause de problèmes de bétonnage. Il arrive que ces difficultés entraînent des retards lorsque c'est EDF elle-même qui constate les défauts. Ce processus de réapprentissage est très frappant, mais il n'est pas étonnant.
Chacun nourrit bien sûr l'espoir que ce réapprentissage servira si de nouveaux réacteurs EPR devaient être construits en France ou dans le monde, mais il est clair que ce processus est extrêmement prégnant et important.
Si vous me le permettez, je m'en tiendrai là, mais je répondrai bien volontiers aux questions que vous souhaiteriez me poser sur ce sujet.
Vous m'avez ensuite interrogé sur le montant des travaux de sûreté post-Fukushima. Clairement, Fukushima est un événement majeur, au même titre que Tchernobyl et Three Miles Island . Il y aura un post-Fukushima comme il y a eu un pré-Fukushima, et comme ce fut d'ailleurs le cas pour Tchernobyl et Three Miles Island . Il y a beaucoup de leçons à tirer de cet accident. Une difficulté, classique lorsque survient ce genre d'événement majeur, c'est que la compréhension complète du phénomène prendra du temps. J'ai le souvenir que, après l'accident de Three Miles Island , six ans avaient été nécessaires pour être sûr que le coeur du réacteur avait bien fondu. Or, pendant ce temps, des scientifiques continuaient d'affirmer que le coeur du réacteur n'était pas entré en fusion.
Selon nous, il faudra peut-être dix ans pour être totalement sûr d'avoir compris Fukushima. Si nous pouvons d'ores et déjà tirer un certain nombre de conséquences évidentes de cet accident, il n'est toutefois pas exclu que, au fil du temps, lorsque nous aurons une compréhension plus fine de ce qui s'est passé, nous soyons amenés à revenir sur certaines de nos prescriptions, car elles ne seront plus fondées. C'est très inconfortable d'un point de vue intellectuel, cela peut être très coûteux, mais il faut être clair : cela fait partie des possibilités.
Il est apparu rapidement que deux types de conséquences devaient être tirés de Fukushima : les stress tests , sur le plan européen et les évaluations complémentaires de sûreté, à l'échelon français. Le lancement des stress tests a été décidé lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. Quant aux évaluations complémentaires de sûreté, elles nous avaient été demandées par écrit quelques jours auparavant par le Premier ministre, François Fillon.
Un club de chefs d'autorités de sûreté, la WENRA - la Western European Nuclear Regulators' Association -, avait anticipé ces demandes. Nous avions donc commencé à rédiger un cahier des charges, lequel a été approuvé. Les stress tests et les évaluations complémentaires de sûreté ont donc été lancés. Sur le plan européen, ces tests concernent les seuls réacteurs de puissance. À l'échelon français, nous avons décidé de les étendre et de procéder à des évaluations complémentaires de sûreté à la fois sur les réacteurs de puissance et sur l'ensemble des installations concernées par Fukushima, en particulier celles qui comprennent des piscines avec du combustible usé. Les évaluations n'ont donc pas porté seulement sur les cinquante-neuf réacteurs de puissance - les cinquante-huit réacteurs en fonctionnement, ainsi que l'EPR de Flamanville -, mais sur quatre-vingts installations.
En outre, la France a décidé de porter une attention particulière aux facteurs sociaux, humains et organisationnels. Nous l'avons décidé parce que cela nous paraissait tout à fait fondé, mais également à la demande d'un certain nombre de parties prenantes, dont, très clairement, les syndicats. Nous n'avons pas encore traité ce sujet, mais il est clair pour nous que c'est un point très important.
Nous avons lancé le processus en France en demandant aux exploitants de nous remettre des rapports, conformément au cahier des charges élaboré à l'échelle européenne, ce qu'ils ont fait au mois de septembre. Ces rapports ont ensuite été analysés par notre expert technique, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et par le groupe permanent d'experts, lequel était très largement ouvert. Pendant trois jours, nous avons réuni plus de 200 personnes, des experts français et étrangers, des associations environnementales. À l'issue de cette réunion, nous avons pris des positions, que nous avons rendues publiques dans un rapport remis au Premier ministre le 3 janvier dernier et à l'occasion d'une conférence de presse ce même jour.
L'ASN a pris des positions de principe, qu'elle s'attache désormais à traduire en décisions juridiquement opposables.
Trois décisions ont été prises concernant les réacteurs de puissance.
Tout d'abord, nous avons décidé de mettre en place un noyau dur. Ce concept a été proposé par EDF et mis en forme par l'IRSN. Nous considérons en effet que les installations nucléaires, en particulier les centrales, doivent comprendre une partie plus résistante que les autres aux agressions externes. Il a donc été décidé de mettre en place dans ces installations un centre de gestion de crise et un diesel d'ultime secours bunkerisés.
Ensuite, EDF a proposé la mise en place d'une force d'intervention rapide, ce qui nous paraît être une bonne idée. Il s'agit de pouvoir envoyer sur le site d'un accident grave à la fois des personnes compétentes et du matériel supplémentaire.
Enfin, nous étudions la faisabilité de dispositifs supplémentaires de protection des eaux souterraines en cas d'accident grave. Ce sujet est techniquement plus délicat, mais il nous paraît s'imposer.
Telles sont les dispositions que nous avons prises à la suite de l'accident de Fukushima. Nous nous efforçons désormais de les traduire en décisions. À cet égard, nous avons déjà préparé des projets de décisions, mais la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire nous impose de consulter EDF au préalable. L'ASN a auditionné EDF sur ces sujets ce matin. Nous prendrons les décisions qui s'imposent d'ici au mois de juin prochain, en tenant compte des observations d'EDF.
Quant au coût des évaluations complémentaires de sûreté, il a été estimé de façon sommaire par EDF. Selon l'exploitant, le coût de l'ensemble des mesures que nous imposerons sans doute - encore une fois, les décisions ne sont pas prises, le détail n'est pas connu, il s'agit donc d'une évaluation très sommaire - pourrait être de l'ordre de 10 milliards d'euros. Nous n'avons pas d'éléments permettant de mettre en doute cette somme, laquelle nous paraît assez vraisemblable, compte tenu de ce que nous pensons savoir des différents éléments en cause.
Vous m'avez ensuite interrogé sur les conclusions du rapport que la Cour des comptes a rendu public en janvier 2012.
Pour commencer, je dois dire que nous avons travaillé en liaison très étroite avec la Cour des comptes, qui nous a auditionnés et à qui nous avons fourni un certain nombre d'éléments. Nous avons répondu à son projet d'observations, d'autant plus volontiers que nous avions le sentiment que le travail de fonds qu'elle effectuait était depuis longtemps nécessaire.
La filière électronucléaire en France supporte un certain nombre de charges et de coûts importants en matière de démantèlement, de gestion des déchets et de provisionnement. Or ces coûts n'ont selon nous fait l'objet que d'études imparfaites ou incertaines, pour ne pas dire grossières.
Nous avons l'impression que, sur un certain nombre de sujets, la Cour des comptes a effectué des investigations et des expertises sérieuses. Nous partageons très largement l'ensemble des conclusions auxquelles elle est arrivée, dont l'une des plus importantes, à savoir qu'il n'y a pas de coûts masqués. Comme elle, nous pensons qu'un certain nombre de coûts doivent être précisés, en particulier celui du stockage sur le futur site de Bure, s'il est autorisé, car il s'agit clairement d'une dépense massive. Le coût du démantèlement et un certain nombre d'éléments de cette nature doivent également être affinés. Il y a très sûrement là matière à investigations.
J'ajoute que la couverture financière des charges futures, point que nous avions déjà soulevé et sur lequel la Cour a insisté dans son rapport, est pour nous un sujet important. La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est tout à fait claire à cet égard. Elle prévoit que les provisions constituées pour faire face aux charges d'avenir doivent être gagées sur des actifs suffisamment sûrs et liquides. Nous considérons donc qu'il est anormal que l'État contourne régulièrement les dispositions de cette loi en autorisant que figurent dans ces provisions des actions de filiales, voire des engagements de l'État, dont on sait malheureusement ce qu'ils valent parfois. Je le répète : la loi prévoit très clairement que ces provisions doivent être constituées de véritables actifs, mobilisables et sûrs.
Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, portait sur les accidents nucléaires. Je commencerai par rappeler, comme l'affirme constamment l'ASN depuis sa création, que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France. On peut le dire sous une deuxième forme : un accident nucléaire en France ne peut jamais être exclu. On peut encore le dire sous une troisième forme : l'improbable est possible. Quelle que soit la façon dont on le dit, le fait est que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France, a fortiori en Europe. C'est une donnée dont il faut tenir compte.
Pour notre part, nous la prenons en compte de deux manières.
En premier lieu, nous multiplions les exercices de sûreté nucléaire. Nous en effectuons entre dix et douze par an, en essayant de mobiliser autant que possible l'ensemble des parties prenantes, et en y associant, lorsque c'est faisable, des exercices d'évacuation, même de portée limitée.
En second lieu, nous réfléchissons au post-accidentel. Dès 2005 - cela ne date pas d'hier ! -, nous avons demandé au Premier ministre de nous confier une mission de réflexion sur ce sujet. Il s'agit d'évaluer toutes les conséquences d'un accident et de prévoir la gestion des populations éventuellement évacuées, des territoires, des récoltes, du bâti et de l'eau.
Une telle réflexion est extrêmement difficile à mener. À ma connaissance, la France est le seul pays à l'avoir engagée. Nous avons tenu deux colloques internationaux sur ce sujet et nous allons prochainement publier un rapport dans lequel nous proposons au Gouvernement de prendre un certain nombre de mesures. Le fait que nous ayons lancé cette étude, de façon parfaitement publique, et à laquelle trois cents ou quatre cents personnes ont participé, montre bien que nous gardons présent à l'esprit la possibilité d'un accident nucléaire.
J'évoquerai maintenant le coût d'un accident nucléaire. Il est important de se faire une idée du coût possible d'un tel accident. Selon une étude de l'IRSN, le coût moyen d'un accident modéré s'élèverait à 70 milliards d'euros. En revanche, il n'est pas facile d'estimer le coût des accidents de Fukushima et de Tchernobyl, car cela implique de chiffrer des dommages causés à des populations, avec ou sans morts. Comment évaluer l'évacuation des habitants d'un territoire ? Le coût de ces accidents se situe probablement entre 600 milliards et 1 000 milliards d'euros. Afin de confirmer ces estimations, nous avons voulu passer commande d'une étude sur ce sujet au mois de novembre dernier, mais personne n'a soumissionné ! ( M. le rapporteur rit .) Cela montre que, dans un certain nombre de domaines, nous ne disposons pas du terreau de compétences, des laboratoires ou des centres d'études nécessaires.
L'IRSN a commencé à travailler sur ce sujet, mais il est important que d'autres études soient réalisées, si possible d'ailleurs des études contradictoires, indépendantes, afin de permettre que s'engage le début d'un débat. Comment calcule-t-on le coût d'un accident nucléaire ? Que signifie la responsabilité nucléaire civile ? Est-il possible d'imaginer couvrir un accident par l'assurance ? Cela a-t-il un sens compte tenu des sommes en jeu ?
Voilà dix jours, nous avons participé, à Washington, à un séminaire à l'université Georges Washington. À cette occasion, j'ai été frappé d'entendre un économiste fondamentalement libéral déclarer que, à partir d'un certain niveau de gravité, seul l'État, s'il est assez fort et puissant, peut in fine prendre en charge les coûts d'un accident nucléaire. Nous le savons, si un accident semblable à celui de Fukushima survenait en Slovénie, l'État slovène n'y résisterait pas.
Vous m'avez par ailleurs interrogé sur les montants des responsabilités nucléaires en matière civile. Ce problème est important, mais pas majeur. Certes, nous nous réjouissons que le Gouvernement ait déposé au Sénat un projet de loi prévoyant de porter de 91,5 millions d'euros à 700 millions d'euros le plafond de la responsabilité des exploitants nucléaires. Toutefois, vous le savez, cette somme ne couvre que la partie basse du champ.
En conclusion, sur ce sujet, comme en matière de démantèlement, il y a tout à fait matière à réaliser un certain nombre d'études. Elles seront d'abord, sans doute, peu cohérentes, puis, progressivement, le débat permettra que se dégagent des convergences.
Pour finir, vous m'avez interrogé sur la planification de la durée de fonctionnement des centrales et sur la politique énergétique.
Permettez-moi d'abord d'apporter une précision d'ordre sémantique, mais qui n'est pas innocente. Pour notre part, nous parlons non pas de durée de vie des centrales, mais de durée de fonctionnement, parce que, pour nous, la durée de vie d'une centrale comprend la durée de construction, le temps de fonctionnement et la durée de démantèlement.
Quelle est la règle en France ? Lorsqu'une autorisation est donnée, elle l'est sans limitation explicite dans le temps. Elle est valable tant que l'installation peut être considérée comme sûre. Afin de vérifier la sûreté des installations nucléaires, nous pratiquons mille inspections par an, dont plus de la moitié - 450 ou 500 - chez EDF.
Tout d'abord, nous pratiquons des inspections au jour le jour. Nous réagissons lorsqu'un incident ou un accident se produit. Nous faisons du retour d'expérience lorsque nous apprenons qu'un événement est survenu à l'étranger.
Par ailleurs, nous effectuons un réexamen de sûreté périodique tous les dix ans. C'est la visite décennale. Lors de cette inspection, plus solennelle, nous procédons à une double vérification.
Tout d'abord, nous contrôlons si l'installation est conforme à son référentiel, aux règles qui s'appliquent à elles, si tel ou tel composant a vieilli, si des défauts n'apparaissent pas dans le béton, etc. Il s'agit de vérifications de conformité.
Ensuite, nous procédons à une réévaluation de sûreté. Nous comparons l'installation inspectée à des structures moins anciennes et plus sûres. Nous demandons à l'exploitant d'essayer de faire progresser la sûreté de son exploitation au regard de références plus récentes. Nous demandons à l'exploitant d'un réacteur de 900 mégawatts quels sont les objectifs de sûreté du réacteur EPR qui peuvent raisonnablement être appliqués à son propre réacteur.
L'objectif de nous vérification est donc double : la conformité et la réévaluation de sûreté.
Concrètement, lors d'une visite décennale, nous pouvons être amenés à prendre la décision de fermer un réacteur ou, dans le cas où nous envisageons une durée de fonctionnement inférieure à cinq ans, à prévoir des visites au jour le jour.
L'une des caractéristiques du parc français est qu'il est extrêmement standardisé.
L'avantage est double : d'abord, il est économique - surtout en ce qui concerne EDF -, ensuite, toute amélioration, tout retour d'expérience est applicable à l'ensemble des réacteurs et accroît la sûreté du parc.
L'inconvénient de cette standardisation tient au fait qu'en cas d'incident ou de défaut grave, l'ensemble des réacteurs seraient affectés. La nation se trouverait alors dans une situation difficile. Concrètement, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire se verrait contraint de se tourner, selon « l'air du temps », vers le Président de la République ou vers le Premier ministre, à qui il appartiendrait de faire un choix, celui-ci ne relevant pas de l'ASN. Il s'agirait de décider si on coupe l'électricité ou si on accepte que les réacteurs fonctionnent dans un état de sûreté dégradé. Nous faisons bien sûr tout pour éviter qu'il en soit ainsi. Chaque fois qu'un défaut est trouvé, nous demandons s'il est générique. Nous essayons de faire de la prévention.
Toutefois, je le répète, il est possible que le fonctionnement des installations soit arrêté, de façon unitaire ou collective, à tout moment, en particulier à l'occasion des réexamens décennaux.
Tout cela n'a de sens que si notre politique énergétique est suffisante pour éviter un conflit entre sûreté nucléaire et sécurité énergétique, sujet de préoccupation pour nous. Nous avons en effet par moments l'impression que, faute d'investir dans de nouvelles capacités de production - peu nous importe qu'elles soient nucléaires ou autres -, notre pays risque de faire face à un conflit : le maintien en fonctionnement d'une partie de son parc nucléaire et l'approvisionnement français.
Nous craignons qu'un tel conflit ne survienne. La Cour des comptes, elle, va plus loin. Elle considère qu'une décision implicite de prolongation de la durée de fonctionnement du parc nucléaire a d'ores et déjà été prise, faute de capacités alternatives. C'est pour nous un souci important.
Le rendez-vous des dix ans est solennel, mais il est loin d'être la seule occasion pour l'ASN d'être amenée à déclarer que telle ou telle centrale a vocation à fermer.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, telles sont les premières réponses sommaires que je peux apporter à vos questions.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vos réponses ont peut-être été sommaires, monsieur Lacoste, mais elles ont été précises, et je vous en remercie.
Monsieur le rapporteur, avez-vous eu les informations que vous souhaitiez ou avez-vous besoin d'éclaircissements supplémentaires ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les deux, monsieur le président. ( Sourires .)
Monsieur Lacoste, à mon tour, je vous remercie de la précision et de la franchise de vos réponses.
Vous avez indiqué que vous étiez dans une situation « inconfortable d'un point de vue intellectuel ». Je retiens cette expression. À cet égard, j'ai trois précisions à vous demander.
Premièrement, j'ai vu un petit film qui montre des inspecteurs de l'ASN examiner les sacs de déchets de la centrale de Brénnilis et demander qu'ils soient refaits. J'ai trouvé cela très bien, mais de tels contrôles ne sont pas possibles dans les endroits sensibles, par exemple dans la cuve. Qui est le garant du matériel de contrôle utilisé pour inspecter les endroits sensibles ? Ces contrôles sont-ils effectués par EDF ? Quel est votre degré d'autonomie en matière de contrôle technique dans les endroits inaccessibles ?
Deuxièmement, vous avez déclaré que des enseignements pouvaient être tirés de Fukushima et que cinq ou six années seraient nécessaires pour bien comprendre cet accident. Ne vous paraît-il pas drôle - le mot n'est pas bien choisi, je l'admets - de vous rendre compte qu'il se passe des choses imprévues ? À l'avenir, comment envisagez-vous de faire face à de nouveaux imprévus ?
Troisièmement, vous avez indiqué qu'il pourrait y avoir un conflit entre la sécurité énergétique et la poursuite de l'exploitation des centrales. Je vous remercie de votre franchise, car, souvent, lorsqu'on demande à la population s'il faut ou non prolonger la durée de fonctionnement des centrales, elle se réfère à l'Autorité de sûreté nucléaire. Or vous nous dites aujourd'hui que l'on pourrait être amené à choisir entre la sécurité énergétique et une sécurité nucléaire de haut niveau, et qu'un tel choix ne relève pas de votre fonction.
Mes questions, vous l'aurez compris, visent à mieux définir l'inconfort intellectuel que vous avez évoqué.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Lacoste.
M. André-Claude Lacoste . - Vous souhaitez savoir, monsieur le rapporteur, comment on vérifie l'état du matériel de contrôle dans les endroits sensibles d'une installation ou d'une centrale.
Tout d'abord, je rappelle qu'en matière de sûreté nucléaire, il existe un principe fondamental, lequel figure et dans les Safety fondamentals de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, et dans la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : le premier responsable de la sûreté d'une centrale, c'est l'exploitant. Si celui-ci est globalement considéré comme non fiable, alors sa licence d'exploitation doit lui être retirée. C'est extrêmement clair. Il est tout à fait normal que ce soit EDF qui soit chargé en premier lieu de vérifier l'état de ses installations, de son matériel et de prendre l'ensemble des mesures nécessaires.
Pour sa part, l'ASN dispose de moyens de vérification, avec l'assistance technique de l'IRSN. Nous pouvons faire appel à des tierces parties.
À titre d'exemple, j'évoquerai le cas du bétonnage de Flamanville 3 : n'étant pas nous-mêmes directement experts en bétonnage, nous avons fait appel aux personnels compétents dans ce domaine de l'IRSN. Autre exemple : un certain nombre d'éléments font débat concernant la capacité de la cuve des réacteurs à aller au-delà de trente ans. L'une de nos divisions spécialisées, la division des équipements sous pression nucléaire, et un groupe d'experts français et étrangers travaillent sur ces questions. Nous ne sommes donc pas dépourvus d'expertise d'un point de vue technique.
Toutefois, je le répète, ce système ne fonctionne que si nous pouvons considérer, ce qui est le cas, que les exploitants sont dignes d'une certaine confiance. Si cette confiance disparaît, il ne reste qu'une solution : le retrait de la licence d'exploiter.
Vous me demandez également s'il ne me paraît pas « drôle » de constater que nous sommes amenés à découvrir un certain nombre d'éléments nouveaux après Fukushima ?
Lorsque survient un accident comme celui de Fukushima, il convient d'éviter tout réflexe d'orgueil. Il ne faut pas refuser de regarder la réalité, de reconnaître qu'il y a des éléments nouveaux. L'orgueil est extraordinairement mauvais conseiller dans ce genre de situation.
À cet égard, permettez-moi de vous raconter une anecdote. Récemment, un incident, que je considère grave, s'est produit en Corée du Sud. L'opérateur a masqué cet incident afin, semble-t-il, de préserver l'honneur national. Il est intéressant de voir ce à quoi peut conduire le concept dévié d'honneur national !
La catastrophe de Fukushima a eu lieu ; nous ne sommes pas sûrs d'avoir tout compris de cet accident ; nous prenons les mesures qui nous paraissent les plus nécessaires dans l'immédiat, sans faire preuve d'orgueil.
Au Japon, les évaluations complémentaires de sûreté portent sur trois sujets : les agressions naturelles - tsunamis, tremblements de terre, inondations, ... -, les pertes d'alimentation électrique et de refroidissement, ainsi que la gestion de crise.
Selon certains, l'hypothèse qu'un tsunami se produise en Europe n'est pas crédible. Dans un pays comme la France, l'équivalent d'un tsunami serait la rupture consécutive d'un certain nombre de barrages successifs sur un cours d'eau. Nous étudions donc cette hypothèse. Jusqu'à présent, on considérait qu'elle était tellement improbable qu'on ne la prenait pas en compte. Aujourd'hui, nous n'avons pas honte de dire qu'il faut l'étudier. Il ne faut pas faire preuve d'orgueil. Nous devons tirer les enseignements de Fukushima, en fonction des informations dont nous disposons.
Certaines situations peuvent être inconfortables d'un point de vue intellectuel. Ainsi, pour le moment, on considère que, à Fukushima, le tsunami a été bien plus dévastateur que le tremblement de terre. Au fil du temps, nous apprendrons peut-être qu'il n'en est pas ainsi.
Encore une fois, il nous appartient de tirer partie le plus possible des retours d'expérience, sans pudeur, sans honte. Nos collègues étrangers font la même chose.
J'en viens à la sécurité énergétique, objet de votre troisième question. Il s'agit en effet pour nous d'un sujet fondamental. Permettez-moi simplement de vous corriger sur un point : si un jour survenait un conflit patent entre le maintien en fonctionnement de réacteurs, lesquels ne seraient pas suffisamment sûrs à nos yeux, et l'approvisionnement en électricité de la France, il est tout à fait clair que ce n'est pas l'Autorité de sûreté nucléaire qui trancherait. Cette question est trop capitale. Il ne nous revient pas de prendre toutes les décisions pour le bonheur du monde. Nous ferions alors un rapport au Premier ministre ou au Président de la République. Sur un tel sujet, c'est soit au plus haut niveau de l'exécutif, soit au Parlement de prendre position. À l'évidence, nos responsabilités ont des limites.
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai quatre questions à vous poser, monsieur Lacoste.
J'ai bien écouté ce que vous avez dit concernant les contrôles inopinés que vous effectuez. Par ailleurs, nous le savons tous, des incidents surviennent régulièrement dans nos centrales.
Première question : comment l'ASN intervient-elle ? Les incidents sont notés de 1 à 7, me semble-t-il, le niveau 1 qualifiant l'incident le moins grave. L'ASN se déplace-t-elle même après les incidents de niveau 1, soit immédiatement, soit après un certain temps ?
Deuxième question, en ce qui concerne la constitution des actifs dédiés, vous avez déclaré que les actifs provisionnés par EDF, lesquels sont gagés sur des actions de RTE, n'étaient pas de véritables actifs. Pourriez-vous préciser votre pensée ?
Troisième question, vous avez estimé à 10 milliards d'euros le montant des travaux de sûreté nécessaires après Fukushima. J'ai beaucoup apprécié l'honnêteté dont vous avez fait preuve sur ce sujet. Vous avez indiqué qu'il s'agissait d'une estimation sommaire, et ce pour deux raisons. La première est qu'il n'est pas impossible que ce montant soit revu - à mon avis, il ne peut qu'augmenter - compte tenu des réponses que l'exploitant apportera à l'ensemble de vos observations. La seconde est qu'il faudra probablement non pas six ans, comme après Three Miles Island , mais dix ans pour tirer tous les enseignements de Fukushima. L'addition risque donc d'augmenter au fil du temps. Même s'il ne vous est pas possible de nous donner une estimation précise, j'aimerais avoir votre sentiment sur cette question.
Ma quatrième et dernière question porte sur l'Europe. J'aimerais connaître l'avis de l'Autorité que vous représentez, et pour laquelle j'ai beaucoup de respect, sur les contrôles post-Fukushima. À un moment, l'Europe a souhaité effectuer ces contrôles. La France - et le Gouvernement français n'est pas le seul - a alors réagi assez vivement. Considérant qu'elle savait prendre ses responsabilités, qu'elle avait une Autorité de sûreté qu'elle jugeait compétente et en laquelle elle avait toute confiance, elle a indiqué qu'elle allait procéder elle-même à ces évaluations.
J'aimerais connaître votre avis sur les avantages et sur les inconvénients de ces deux approches. Je partage l'avis du Gouvernement sur vos compétences, sur votre autorité et votre indépendance, mais un contrôle européen n'aurait-il pas été utile, en particulier dans certains pays dont les autorités de sûreté n'ont ni vos moyens ni vos compétences ?
M. André-Claude Lacoste . - En ce qui concerne votre première question, il faut savoir que les incidents qui surviennent dans les centrales sont cotés suivant une échelle graduée de zéro à huit. Pour les coter le plus rapidement possible, nous utilisons l'échelle INES, de l'anglais International Nuclear Event Scale , qui est une échelle de communication et non une échelle technique. Nous ne pouvons pas attendre trois mois pour classer ex-post un incident.
À Fukushima, par exemple, les Japonais ont systématiquement classé l'importance de l'événement avec retard, en le qualifiant d'abord de niveau 4, puis de niveau 6, pour finir au niveau 7, ce qui n'est pas justifié. L'ASN avait annoncé deux ou trois jours après l'accident qu'elle estimait son importance supérieure à celle de Three Mile Island et inférieure à celle de Tchernobyl et que, si l'accident se produisait en France, elle le classerait au niveau 6. Si vous déclarez d'emblée l'importance de l'événement, vous êtes plus à l'aise pour communiquer.
Les exploitants nous proposent un classement de l'incident, nous vérifions ce qu'il en est et arrêtons, in fine , son niveau.
Chaque année, en France, environ 140 incidents de niveau 1 affectent les installations nucléaires et quelques-uns les transports. Tout incident de niveau 1 fait l'objet d'une inspection de notre part. Sur les 1 000 inspections que j'évoquais, 20 à 25 % sont inopinées, d'autres sont thématiques, certaines sont réactives, consécutives à la survenue d'un incident, d'autres encore sont des inspections de revue, au cours desquelles une nuée d'inspecteurs est déployée sur un site pour l'étudier de fond en comble. Une inspection réactive peut nous amener à reclasser après coup un incident à un niveau supérieur. Je précise que la façon dont nous appliquons l'échelle INES, qui est à nos yeux fondée, est considérée à l'étranger comme « rude ».
S'agissant des provisions, nous avons été choqués par deux épisodes récents. D'une part, quand le Gouvernement a buté pour trouver des provisions conformes à la loi, il a publié un décret permettant de contourner l'esprit de la loi. C'est typiquement le cas des actions de RTE.
D'autre part, certaines situations me paraissent rigoureusement contraires à la loi : c'est ainsi qu'une partie des provisions pour le démantèlement du CEA s'est transformée en créances sur l'État. Nous sommes nombreux à ne pas avoir une très haute opinion de la valeur d'une créance sur l'État dans un tel domaine. Historiquement, le démantèlement d'une installation nucléaire s'est déjà trouvé en grand péril faute d'un financement qui devait être assuré directement par l'État.
C'est cet aspect de la question qui nous fait peur. Le démantèlement est un sujet important et de longue haleine. Lorsque débute un démantèlement, il faut être sûr de pouvoir le mener jusqu'à son terme. Si on l'émiette en épisodes correspondants aux financements, on se met dans une situation à la fois inefficace et pendable.
L'épisode concernant les actions de RTE me paraît moins grave que celui des créances sur l'État, mais tous deux sont une façon de contourner l'esprit de la loi.
M. le président. RTE est une valeur sûre !
M. André-Claude Lacoste . - Certes, mais ce n'est pas du tout l'esprit de la loi - j'ai participé à son élaboration en tant que fonctionnaire - qui prévoit des actifs dédiés. J'ajoute que les créances croisées entre exploitants nucléaires sont actuellement admises comme provisions, ce qui est également contraire à l'esprit de la loi.
En ce qui concerne l'évaluation préliminaire du coût des mesures que nous avons imposées à EDF, nous rendrons une décision d'ici au 30 juin. J'ai le sentiment - j'emploie à dessein un terme d'ordre qualitatif - qu'une évaluation de quelque 10 milliards d'euros est le bon ordre de grandeur. Je ne peux pas vous garantir qu'elle ne s'élèvera pas à 8 milliards d'euros ou à 12 milliards d'euros.
En ce qui concerne l'Europe, nous avons déjà eu cette discussion, monsieur le président, en une autre occasion. L'une des difficultés d'un contrôle européen en matière de sûreté nucléaire tient au fait que les installations nucléaires sont à la fois techniques et politiques. Certains pays, certains partis, sont contre le nucléaire. À ma connaissance, il n'existe pas de pays ou de parti contre l'industrie chimique ou métallurgique. Dans un certain nombre de cas, le nucléaire est donc considéré comme devant entraîner la nécessité d'une prise de position politique « pour » ou « contre ».
À ce titre, le nucléaire s'apparente aux organismes génétiquement modifiés. La comparaison est très frappante. En ce qui concerne les OGM, il a été pris le parti de donner à l'Union européenne le pouvoir d'autoriser les semences. Il est fascinant d'observer que, dès que la décision prise à Bruxelles ne convient pas à un pays, il s'attache à prendre des mesures réglementaires pour la contourner, voire la heurter, pour employer un terme plus « rude ».
S'agissant des installations nucléaires, nous pourrions nous trouver confrontés à des situations de ce genre, un pays considérant que faire tourner ou continuer à faire tourner une centrale nucléaire peut justifier de ne pas obéir à une injonction de Bruxelles. C'est le scénario que j'ai en tête. Il faut néanmoins favoriser autant que possible l'harmonisation et la cohérence à l'échelle européenne.
À la suite de la décision du Conseil européen, un cahier des charges unique a été approuvé par l'ENSREG, European Nuclear Safety Regulators Group , et par la Commission. Dix-sept rapports nationaux ont été élaborés, dans leur majorité de façon sérieuse - quinze pays de l'Union européenne, la Suisse et l'Ukraine -, et un processus de revue par les pairs, ou peer review , est en cours. Cette revue par les pairs, qui mobilise quelque 200 experts, est pilotée par l'un des commissaires de l'Autorité de sûreté nucléaire française, Philippe Jamet, qui fut directeur de la sûreté nucléaire à l'AIEA, et est donc féru de relations internationales.
Cette revue par les pairs analyse les rapports nationaux par sujet : les agressions naturelles, la perte de fonction de sûreté, la gestion de crise. Elle comporte une visite de centrale dans chaque pays et doit aboutir à un rapport sur les stress tests , présenté à l'ENSREG le 25 avril, qui doit servir de base au rapport que la Commission transmettra au Conseil européen.
Un processus d'harmonisation est donc en cours. Il a pour objectif de formuler quelques recommandations, quatre ou cinq idées que le Conseil européen recommanderait aux différents pays de creuser. Nous sommes très porteurs du concept de « noyau dur ». C'est typiquement un sujet qu'il serait intéressant que chaque pays essaie d'appliquer sur son territoire. Le processus d'harmonisation engagé n'est pas extrême, il avance au cas par cas, mais va, selon moi, dans le bon sens.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Qu'appelez-vous le concept de noyau dur ?
M. André-Claude Lacoste . - Le noyau dur est la partie de l'installation qui est davantage protégée contre les agressions, en particulier le centre de gestion de crise bunkerisé et le diesel d'ultime secours.
Mme Laurence Rossignol . - Monsieur Lacoste, je vous remercie de votre propos. Je vous poserai trois questions.
Premièrement, on nous a affirmé qu'un réacteur nucléaire n'avait a priori pas de durée de fonctionnement et que seul le contrôle décennal déterminait si le réacteur pouvait repartir pour dix ans, et ainsi de suite. Ce propos s'appuyait sur l'exemple américain, qui prévoit un prolongement assez long de la durée de fonctionnement des centrales. Partagez-vous cette analyse ?
Ma deuxième question a trait au rôle de votre institution. Vous paraît-il possible de garantir un nucléaire sûr en l'absence d'autorité de sûreté indépendante ? Dans les pays qui refusent l'existence d'une telle autorité, le nucléaire peut-il selon vous néanmoins être sûr ? Vous avez évoqué l'incident survenu en Corée du Sud. La question s'est posée à plusieurs reprises et j'aimerais connaître votre sentiment.
Ma troisième question porte sur l'étendue de vos contrôles. Évaluez-vous les compétences des personnels affectés au fonctionnement des réacteurs ? La sous-traitance entre-t-elle dans le champ de votre pouvoir de contrôle ?
Enfin, chaque année, l'ASN publie un rapport sur la base des déclarations de l'opérateur, ce qui suppose un fonctionnement de confiance.
M. André-Claude Lacoste . - En l'état actuel du droit français, l'autorisation accordée à une installation est sans limitation de durée ; celle-ci peut fonctionner aussi longtemps qu'elle est considérée comme sûre.
L'ASN vérifie qu'elle est sûre à la fois au jour le jour par des inspections - 1 000 par an -, dont des inspections réactives après un incident, et par un rendez-vous plus solennel tous les dix ans. C'est la façon de faire française et, généralement, européenne, mais pas américaine. Nous essayons de convertir les Américains à la révision périodique de sûreté, Periodic Safety Review en anglais, mais nous avons beaucoup de mal.
Je précise que le Japon ne pratiquait pas les révisions périodiques de sûreté tous les dix ans. Tout laisse penser que les réacteurs General Electric de Fukushima n'avaient guère évolué depuis l'origine. En France, ces réacteurs auraient été « mis au goût du jour » autant que possible, au moins tous les dix ans.
L'indépendance de l'autorité de sûreté se conquiert au fil du temps. Entre la création de l'autorité française, en 1973, et la loi TSN, votée par l'immense majorité des partis en 2006, trente-trois ans se sont écoulés. Notre indépendance a crû, d'abord de facto , puisque nous n'avons guère reçu d'ordres lorsque nous dépendions de ministres, ensuite de jure, par la loi du 3 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
L'indépendance se construit pas à pas. Certains pays sont dans un état intermédiaire : il y a ceux où l'autorité de sûreté peine à sortir d'un statut équivalant au CEA, ceux où l'autorité est davantage évoluée. D'autres pays me paraissent matures, comme les États-Unis et le Canada.
C'est le résultat d'un long processus qui n'est pas simple. Dans de nombreux pays, le pouvoir politique considère qu'il n'est pas normal de déléguer un pouvoir régalien de ce type à une autorité indépendante. En 1999, le Conseil d'État avait émis un avis défavorable sur la création d'une autorité administrative indépendante dans un domaine aussi fondamental que la sûreté nucléaire. Le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, avait jugé qu'il ne pouvait passer outre. La loi n'a donc été votée qu'en 2006.
Il s'agit par conséquent d'un sujet politiquement sensible. Nous observons une évolution en ce sens : la Corée du Sud vient de créer une autorité ayant vocation à être indépendante et le Japon va essayer d'améliorer la situation. C'est très difficile.
Sur le point de savoir si nous contrôlons les compétences de la sous-traitance, la réponse est « oui ». Nous sommes convaincus que la sûreté nucléaire dépend non pas uniquement, loin de là, de questions mécaniques - béton, construction - mais aussi, fondamentalement, de compétences humaines.
J'ai évoqué tout à l'heure les facteurs sociaux, organisationnels et humains. Ainsi, nous n'employons jamais l'expression « erreur humaine ». Bien souvent, lorsqu'une personne commet une erreur, c'est qu'elle est mal formée ou qu'elle est dans de mauvaises conditions de travail. C'est une notion fondamentale. Le fait de punir une personne lorsqu'une erreur a été commise n'est pas la chose à faire : il faut essayer de comprendre pourquoi cela s'est produit.
C'est l'un des sujets que nous aborderons au sein du groupe de travail sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains que nous convoquerons prochainement dans le cadre des suites de Fukushima.
Enfin, vous avez évoqué un rapport annuel sur base déclarative. Je n'ai pas bien compris votre propos, madame. Chaque année, en effet, nous publions un rapport annuel.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mme Rossignol soulignait, si j'ai bien compris, que les réponses de l'exploitant à vos questions sont déclaratives.
M. André-Claude Lacoste . - Nous considérons que l'exploitant a son rôle. Quand nous lui imposons quelque chose, il doit le faire. Quand nous lui posons des questions, il doit répondre. À l'évidence, c'est sa responsabilité. À nous de décider, ensuite, ce que nous faisons de sa réponse.
Nous réalisons, par exemple, 1 000 inspections par an. Nous publions les 1 000 lettres de suite sur notre site. Nous ne publions pas les réponses de l'exploitant sur notre site, parce que nous considérons qu'elles relèvent de sa responsabilité. Nous prenons ensuite les décisions qui nous paraissent adéquates.
M. Ronan Dantec . - Ma première question concerne la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales. J'ai bien noté le souci auquel nous serions confrontés si nous nous trouvions demain dans une situation de conflit entre sécurité dégradée et fourniture d'électricité. EDF nous annonce un investissement d'environ 50 milliards d'euros pour prolonger la durée de fonctionnement du parc actuel de quarante à soixante ans. L'ASN, nous l'avons bien compris, délivre, tous les dix ans, une autorisation décennale. Les investissements de sécurité nécessaires pour obtenir l'autorisation de prolonger de vingt ans la durée de fonctionnement des centrales font certainement l'objet d'échanges entre l'exploitant et l'ASN. Où en êtes-vous de ce dialogue ? De la même manière, EDF a dû vous fournir un document décrivant comment les 10 milliards d'euros consacrés à la sécurité seraient dispatchés. Notre commission d'enquête serait ravie de disposer de ce document.
Ma première question porte donc sur ces 50 milliards d'euros : nous n'imaginons pas que l'opérateur investisse une telle somme dans une centrale que vous lui imposiez finalement de fermer.
Deuxièmement, on dit que le MOX est potentiellement plus agressif pour la cuve et pourrait conduire à une réaction accélérée. Notre force d'action rapide mettant tout de même quelques heures à intervenir, le risque d'une perte de contrôle définitive serait accru. La filière MOX, en termes de sécurité, est-elle un choix raisonnable, notamment dans une logique de prolongation de la durée de fonctionnement des centrales actuelles ?
Troisièmement, les piscines contenant des combustibles usés ont été à l'origine de nombreux problèmes à Fukushima. Depuis, pourquoi ne proposez-vous pas leur confinement ? Avez-vous envisagé, par exemple, l'hypothèse d'un avion qui viendrait s'écraser sur l'une d'elles ?
Pour conclure, s'agissant de l'EPR, qu'en est-il des problèmes posés par les systèmes de contrôle-commande ? Plus généralement, le gros oeuvre a été source de difficultés. À votre avis, de nouvelles difficultés nous attendent-elles sur la gestion du coeur du système ?
M. André-Claude Lacoste . - Je ne sais pas ce que recouvrent les 50 milliards d'euros annoncés par EDF, destinés à prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs alternativement au-delà de trente ans, ou de quarante à soixante ans. Cette estimation relève de la responsabilité d'EDF.
Nous avons entamé un dialogue avec EDF sur la possibilité de prolonger la durée de fonctionnement de quarante à soixante ans. Dans ce cadre, nous avons indiqué à EDF qu'il faudrait vérifier la conformité des matériels, essentiellement les cuves et le confinement, et que nous l'interrogerions sur les progrès à réaliser pour rapprocher les objectifs de sûreté des réacteurs existants du réacteur EPR. Nous en sommes au début du dialogue. À ma connaissance, aucune évaluation, quelle qu'elle soit, n'a été produite.
Je n'ai pas du tout l'impression que l'utilisation du MOX ait la moindre conséquence sur les conditions d'intervention de la force d'action rapide.
M. Ronan Dantec . - L'emploi du MOX est-il sans conséquences sur la cuve ?
M. André-Claude Lacoste . - Absolument. Si une réaction se produit, elle relève vraiment du deuxième degré. Nous n'avons aucun état d'âme sur ce point.
Vous avez évoqué les piscines de combustibles usés lors de l'accident de Fukushima. En France, nous avons étendu le champ des stress tests à un certain nombre d'installations, dont celles qui sont dotées de piscines. Nous nous sommes demandé si la piste du confinement devait être privilégiée. Nous en avons débattu avec les opérateurs. En l'état, il nous paraît préférable de prévenir autant que possible les risques de perte d'eau. Nous pourrons revenir, si vous le souhaitez, sur la question du refroidissement. La position que nous prenons est conforme à celle de la plupart de nos homologues.
En ce qui concerne le contrôle-commande de l'EPR, les réserves que nous avons posées au mois d'octobre 2009 sont levées. Une lettre sera adressée à EDF dans quelques jours et une note d'information sera diffusée. J'ajoute que cette décision est consécutive à des contacts avec nos homologues chargés du contrôle de la construction d'EPR en Chine, en Finlande et potentiellement au Royaume-Uni.
M. Jean-Claude Lenoir . - Je voudrais d'abord souligner, monsieur Lacoste, que la façon dont l'ASN exerce son autorité est une véritable assurance apportée à ceux qui croient au nucléaire. Pas une autorité de sûreté nucléaire au monde n'a votre autorité. Je le dis, car c'est souvent une façon de répondre à ceux qui, très légitimement, s'interrogent sur la fiabilité de ce secteur. Une chose est sûre : le nucléaire n'est pas entre les mains des politiques, même si vous avez soulevé un problème qui n'est pas sans nous interroger. L'ASN s'est vraiment affirmée depuis 2006.
Revenons très rapidement sur des questions assez mineures : j'aurais voulu savoir comment sont déclenchés les contrôles en cas d'incident dans une centrale nucléaire. Est-ce la déclaration de l'opérateur qui entraîne votre intervention ? Si un opérateur annonce un incident de niveau 1 ou 2, l'avez-vous déjà vérifié ? Bref, comment cela se passe-t-il quand un incident se produit ?
Concernant les actifs de RTE, je suis troublé parce que vous semblez raisonner par rapport à la législation antérieure à 2006. Vous semblez ignorer que les réseaux, notamment de transport, sont devenus des filiales à 100 % d'EDF. Vos déclarations donnent le sentiment qu'il s'agit de planètes quelque peu éloignées d'EDF. Je souhaitais avoir quelques précisions sur ce point.
Avez-vous des contacts avec Olkiluoto en Finlande et Taishan en Chine, les deux autres EPR actuellement en construction ? Y a-t-il une coopération internationale en matière de construction des réacteurs de type EPR ? Comment établir des comparaisons dans les années qui viennent ?
La semaine dernière, M. Champsaur, qui a une certaine autorité en la matière, nous a affirmé que nous étions en situation de surcapacité nucléaire et que la question de l'augmentation des capacités d'ici à quinze ans ne se posait pas. Vous n'avez pas pour mission d'évaluer les besoins de la France en termes de capacité de production d'origine nucléaire. Néanmoins, on ne peut pas complètement déconnecter votre rôle de l'appréciation qui en est faite, puisque vous avez soulevé la question très pertinente du conflit entre un problème sur un réacteur et un problème d'approvisionnement. L'ASN ne saurait donc ignorer la question de la capacité de production et des besoins en électricité.
Enfin, quel est votre avis sur la centrale de Fessenheim ?
M. André-Claude Lacoste . - Je suis sensible aux louanges exprimées par M. Lenoir sur l'ASN. M. le rapporteur a relevé tout à l'heure mon inconfort sur un certain nombre de sujets, et je vous prie de croire que, compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres, nous ne sommes pas bardés de certitudes tranquilles. Une autorité de sûreté qui commence à croire qu'elle est bonne est sûrement en train de devenir mauvaise. Cela me paraît tout à fait fondamental. Avec nos homologues, nous échangeons plutôt des interrogations et nous accordons sur la nécessité de poursuivre la réflexion.
Les déclarations d'incident sont rendues obligatoires par la loi. Nous y veillons. Quand l'incident le mérite, nous réalisons une inspection. J'ajoute que nous n'hésitons pas à sanctionner. Pour prendre un exemple, le CEA a déclaré avec beaucoup de retard un incident sérieux dans l'atelier de traitement du plutonium, l'ATPU, à Cadarache. Nous avons dressé un procès-verbal et le CEA vient d'être condamné par le tribunal de Marseille. Nous ne plaisantons pas avec la nécessité de déclarer les incidents en temps utile. Elle est fondamentale et constitue la base du retour d'expérience, de l'amélioration, de la sûreté.
Les titres RTE, que vous avez évoqués, font partie des actifs relevés par l'ASN et par la Cour des comptes. Ce n'est certainement pas l'exemple le plus criant. Lorsque les charges futures du CEA sont couvertes par des titres d'Areva et des créances sur l'État, nous sommes aux antipodes de l'esprit de la loi. Je ne vais pas au-delà, cela ne relève pas de mon domaine strict de compétences. Néanmoins, nous nous soucions de ces questions, par peur de nous trouver dans l'incapacité, un jour, de financer l'ensemble des opérations de démantèlement et de traitement des déchets.
Vous m'avez interrogé sur les échanges internationaux en matière de sûreté du réacteur EPR. Le MDEP, ou Multinational Design Evaluation Program , fondé par les autorités de sûreté américaine et française, regroupe une dizaine d'autorités de sûreté. Il comprend des groupes de travail thématiques, par exemple sur le contrôle-commande ou l'inspection, et des groupes de travail par type de réacteur, en particulier sur l'EPR. C'est dans ce cadre que nous discutons avec nos collègues américains, chinois, britanniques, finlandais et canadiens. La question du contrôle-commande est débattue soit dans le groupe EPR, soit dans le groupe contrôle-commande. C'est là que nous avons abouti à la conclusion que j'indiquais en réponse à votre question. Les différentes autorités de sûreté apportent et prennent plus ou moins, mais ce programme fonctionne.
Vous m'avez interrogé sur le phénomène de surcapacité nucléaire. Nous ne sommes pas équipés pour porter un jugement sur la capacité nucléaire. J'ai simplement souligné qu'il fallait éviter de nous trouver dans une situation de sous-capacité ou de capacité limite qui entraînerait un conflit extrêmement difficile à traiter entre sécurité et approvisionnement.
Sur la centrale de Fessenheim, notre position n'a pas évolué ces dernières semaines. Nous avons pris position deux fois. Au terme de la troisième révision décennale, en juillet 2011, nous avons tout d'abord imposé une quarantaine de prescriptions, principalement l'épaississement du radier, qui était moins épais que celui des autres centrales pour des raisons historiques, et la mise en place d'une source alternative de refroidissement destinée à suppléer la source principale. Sur ces deux points, la centrale de Fessenheim devait nous présenter un dossier avant la fin de l'année. Nous sommes en train de l'examiner.
Nous avons ensuite contrôlé la centrale au titre de la procédure post-Fukushima. À ce titre, nous avons imposé un certain nombre de mesures nouvelles, comme un noyau dur de gestion de crise - diesel d'ultime secours, centre de gestion de crise bunkerisé, force d'action rapide. Celles-ci s'appliquent à toutes les centrales d'EDF, dont Fessenheim.
Mme Mireille Schurch . - Premièrement, lorsqu'un incident se produit, comme à Cadarache, ou que vous faites des préconisations, comme à Fessenheim, comment vous assurez-vous qu'elles sont suivies d'effet ? Des délais sont-ils prévus ?
Deuxièmement, ne serait-il pas temps d'apprendre à « déconstruire » une centrale nucléaire ? Je dis cela en dehors de toute polémique. Nombre de nos centrales parvenant bientôt au terme d'une durée de fonctionnement raisonnable, ne pensez-vous pas, afin que nous ne soyons pas pris de court, qu'une déconstruction tranquille, qui ferait école, serait utile pour la suite ?
Troisièmement, l'ASN estimait, dans un avis émis le 3 janvier 2012, que le facteur humain était l'un des piliers de la sûreté nucléaire. Or plus de 30 000 salariés interviennent au titre de la sous-traitance. Vous nous dites que vous surveillez leurs compétences. Ne serait-il pas temps de limiter la sous-traitance de façon drastique, en particulier au coeur du métier nucléaire ? Il semble que l'inflation de la sous-traitance puisse être dangereuse à terme, à la fois pour ces salariés et pour le fonctionnement des centrales.
Ma dernière question porte sur les composants. Je crois savoir que les composants de la turbine de l'EPR de Flamanville sont fabriqués dans onze pays différents. Ne serait-il pas opportun de faire en sorte que ces pièces soient fabriquées et assemblées en France, afin de mieux en contrôler la sûreté ?
M. André-Claude Lacoste . - Vous parlez de « préconisations », mais ce terme nous est inconnu : nous prenons des décisions, qui sont comminatoires. Nous vérifions ensuite leur application selon certains délais.
Pour reprendre l'exemple de Cadarache, lorsque nous avons appris la non-déclaration d'un incident, nous avons suspendu le démantèlement des différentes cellules de l'ATPU et soumis le redémarrage à notre autorisation. Nous avons surveillé la situation d'extrêmement près, vérifié que les installations étaient remises dans un état sûr et que le plutonium excédentaire était correctement traité.
Nous sommes une autorité : nous prenons des décisions ; nous ne faisons pas des préconisations. L'exploitant n'a pas le choix.
Vous m'avez interrogé sur la déconstruction. En France, nous n'avons pas démantelé de centrale nucléaire, mais nous avons l'expérience de la déconstruction d'autres installations nucléaires. Le centre du CEA de Fontenay-aux-Roses est en cours de démantèlement, celui de Grenoble est pratiquement achevé.
Nous souhaitons disposer d'exemples de déconstruction de centrale en vraie grandeur afin d'acquérir de l'expérience. C'est pourquoi nous avions poussé EDF à engager aussi vite que possible le chantier de démantèlement de la centrale de Brennilis, qui a connu un certain nombre d'aléas, en particulier juridiques. C'est également la raison pour laquelle nous souhaitons voir démanteler aussi vite que possible la centrale de Chooz A, ou encore les réacteurs de la filière UNGG - uranium naturel, graphite, gaz.
Ces expériences portent sur des types de réacteurs différents de la filière actuelle, mais elles permettent de rassembler de l'expérience et de la comparer avec celle des pays étrangers. Pour nous, il est tout à fait fondamental de sortir de l'évaluation théorique pour avoir des évaluations en vraie grandeur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Schurch, nous nous sommes rendus sur le chantier de déconstruction de Brennilis et, vendredi prochain, notre rapporteur visitera celui de Chooz A. Si votre emploi du temps vous le permet, je vous invite à l'accompagner, ces deux centrales étant déjà à un niveau de déconstruction de l'ordre de 50 %.
M. André-Claude Lacoste . - Les facteurs sociaux, organisationnels et humains nous semblent tout à fait fondamentaux. Une installation, au-delà de ses composants, est gérée par des personnes.
Actuellement, environ 20 000 salariés d'EDF et 20 000 sous-traitants travaillent dans les centrales. Les conditions de travail des sous-traitants sont l'un de nos soucis. Nous ouvrirons ce chantier d'ici à l'été avec l'ensemble des parties prenantes et les syndicats. D'ores et déjà, consécutivement à Fukushima, nous avons pris, le 9 février dernier, un arrêté sur les installations nucléaires de base obligeant EDF à assurer la surveillance directe des opérations sous-traitées lorsqu'elles touchent un élément important pour la sûreté. Ce n'est que le premier élément de ce que nous souhaitons mettre en place.
Vous avez évoqué la turbine de l'EPR. C'est un équipement classique qui peut faire intervenir une multitude de sous-traitants. Je puis en revanche vous garantir que nous étudions très attentivement les dossiers touchant au nucléaire. En cas de sous-traitance à l'étranger, en particulier, nous vérifions sur place ce qui se passe. Comme je l'indiquais précédemment, à la suite d'un contrôle des viroles d'un pressuriseur fournies par un sous-traitant italien de la firme allemande Krupp, nous avons arrêté la fabrication et obligé Areva à déclasser une partie des fournitures. Nous surveillons ces questions de très près.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je devrais le savoir : la turbine de l'EPR de Flamanville n'est-elle pas confiée à Alstom ?
M. André-Claude Lacoste . - Je devrais sans doute le savoir aussi, mais je l'ignore. ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le président, nous avons beaucoup apprécié la précision de vos réponses et nous vous en remercions. Je suis certain que votre audition fera autorité dans le futur rapport de M. le rapporteur.
M. André-Claude Lacoste . - Monsieur le président, je tiens à préciser que l'ASN est vraiment à la disposition du Parlement, quels que soient le sujet traité et la forme plus ou moins solennelle de l'investigation menée.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Lacoste, j'ai également beaucoup apprécié vos propos introductifs. En tant que président du groupe d'études sur l'énergie, j'abuserai peut-être de votre proposition à la prochaine rentrée parlementaire.
Audition de M. Franck Lacroix, président de Dalkia
( 3 avril 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - La suite de l'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Franck Lacroix, président de Dalkia.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel » afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire d'entendre M. Franck Lacroix, afin de se pencher sur la question des économies d'énergie.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Monsieur Lacroix, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, même si vous n'aviez guère le choix, se rendre à la convocation d'une commission d'enquête étant obligatoire...
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Franck Lacroix prête serment .)
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Franck Lacroix aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête, pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Tout d'abord, monsieur Lacroix, pouvez-vous nous décrire l'activité de Dalkia ? Qui sont ses clients ? Quelle est sa situation financière ? Quelle part de son activité concerne-t-elle l'électricité ? N'y a-t-il pas une contradiction à promouvoir les économies d'énergie en étant partiellement une filiale d'un producteur d'énergie ?
Ensuite, quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie, en particulier sur les certificats d'économie d'énergie ?
Par ailleurs, pourquoi Dalkia ne travaille-t-elle pas avec les particuliers ? De par votre expérience dans le domaine des économies d'énergie, voyez-vous des freins au développement de ce secteur chez les particuliers ?
Enfin, quel jugement portez-vous sur la « réglementation thermique 2012 » ? Estimez-vous qu'elle soit favorable au chauffage électrique ?
M. Franck Lacroix, président de Dalkia . - Monsieur le rapporteur, votre première question impose de présenter l'activité de Dalkia. Qui sont ses clients et quelle est sa situation financière ?
Dalkia est une filiale à 66 % de Veolia Environnement et à 34 % de EDF.
En tant que créateur d'économies d'énergie, notre métier est de nous positionner dans les territoires, afin de répondre aux enjeux cruciaux du XXI e siècle, à savoir le renchérissement des énergies fossiles, l'urbanisation et la lutte contre les gaz à effet de serre. Nous apportons notre savoir-faire, notre expérience et notre maîtrise technique dans quarante pays. Pour ce faire, notre groupe comprend 52 700 salariés collaborateurs.
Notre taille nous permet d'accéder dans les meilleures conditions à des technologies souvent coûteuses, à des ressources complexes à mobiliser, comme la biomasse, et de mener des efforts soutenus en matière de recherche et de développement.
L'efficacité énergétique est notre coeur de métier. Des chiffres clés de deux natures caractérisent notre action : en 2011, nous avons fait économiser à nos clients 14,7 térawattheures, tous domaines d'énergies confondus, bien que ce soit essentiellement en énergie thermique, et nous avons évité l'émission d'un peu plus de 6,6 millions de tonnes de CO 2 .
Cette activité est complémentaire de celle de producteur d'énergie, même si Dalkia n'est en ce secteur qu'un acteur sur le territoire.
J'en viens à la situation financière de Dalkia.
Grâce à notre profitabilité récurrente nette proche de 2 % de notre chiffre d'affaires, nous affichons une structure financière solide. Notre endettement financier net s'élève à 2,370 milliards d'euros ; il est un peu inférieur à nos fonds propres, qui s'établissent à 2,415 milliards d'euros ; il représente à peu près quatre fois notre capacité d'autofinancement.
Le fonds de roulement dont nous avons besoin est de 778 millions d'euros, ce qui correspond, pour nous, à quarante jours d'activité, laquelle a atteint 7,1 milliards d'euros l'année dernière.
Ces performances résultent de trois activités centrales complémentaires de notre groupe.
Nous gérons et développons des réseaux urbains, soit actuellement dans le monde 837 réseaux de chaleur et de froid. Nous sommes producteur et distributeur local d'énergie thermique dans les villes.
Nous gérons des utilités industrielles, nous faisons un peu la même chose pour des plaques ou des clients industriels. Nous desservons un peu plus de 4 600 sites de cette nature dans le monde. Notre vocation est de leur fournir la vapeur, l'air comprimé, notamment, dont ils ont besoin pour produire.
Une activité complémentaire s'ajoute aux deux que je viens de décrire : elle concerne l'efficacité énergétique du bâtiment. Sur un peu plus de 123 000 installations gérées à travers le monde, elle consiste à optimiser le fonctionnement des installations énergétiques qui consomment de l'énergie pour délivrer à nos clients les services dont ils ont besoin, par exemple de la chaleur. Elle vise essentiellement des logements, des bâtiments publics et du tertiaire.
Dès maintenant, nombre de solutions existent pour diminuer l'empreinte carbone des espaces urbanisés, notamment en s'attaquant aux différentes formes d'énergies, et pas seulement à l'électricité.
En France, l'activité liée aux transports étant mise de côté, 70 % de l'énergie finale consommée doit être transformée sous forme thermique pour être utile à nos clients.
Pour établir le lien entre la chaleur et l'électricité, il faut comprendre que nous sommes un acteur majeur de la cogénération. Celle-ci, développée en France comme à l'international, nous permet de produire de manière simultanée chaleur et électricité. L'intérêt de cette technologie tient à son efficacité énergétique.
Il existe deux moyens pour produire un mégawattheure d'électricité et de chaleur : ou bien le recours à deux installations séparées, indépendantes, ce qui induit un rendement global, ou bien l'utilisation d'un seul équipement. Dans ce dernier cas, par rapport à la situation de référence, en utilisant les best available technologies, on parvient à économiser au moins 10 % d'énergie primaire. C'est une façon de délivrer de l'électricité en profitant d'un puits de chaleur situé à proximité et d'optimiser l'efficacité énergétique. Cet avantage est considérable.
De surcroît, l'électricité est produite de manière locale. Une cogénération ne souffre pas d'une production centralisée qui devrait ensuite être diffusée par des réseaux de transport, car la chaleur ne se transporte pas aussi bien que l'électricité. De ce fait, en France, des centaines d'installations qui lui sont dédiées sont réparties sur le territoire. Ainsi sont évités les coûts liés aux contraintes de transport et aux déperditions au cours du transport.
En France, nous produisons à peu près 2 000 mégawatts électriques par le biais de la cogénération, soit presque l'équivalent de deux tranches nucléaires ou de 1 000 éoliennes. Dans notre pays, la puissance installée en cogénération est de l'ordre de plus de 4 500 mégawatts, soit 2,5 fois ce que gère Dalkia.
Bien sûr, les réseaux de chaleur dont je parlais bénéficient largement des cogénérations, puisqu'ils constituent un puits thermique privilégié.
La France, comme l'Europe en général, doit « assumer » l'intérêt de la cogénération et ne pas perdre les capacités de production électrique et thermique existantes, qui constituent des atouts, en mettant en place un dispositif qui lui permette de prolonger la vie des installations actuelles tout en combinant l'efficacité énergétique résultant de la cogénération et l'énergie renouvelable.
Que la cogénération fonctionne au gaz ou avec de l'énergie renouvelable, elle a un impact sur l'efficacité énergique, mais dans le deuxième cas de figure, elle a également des conséquences sur les émissions de CO 2 . Dalkia intervient dans ce domaine. Voilà quelques mois, dans le sud-ouest de la France, nous avons commencé l'installation de la plus grosse centrale de cogénération, de 60 mégawatts électriques, qui valorise chaque année un peu plus de 400 000 tonnes de biomasse. Voilà quelques semaines, nous avons démarré une cogénération destinée à alimenter le réseau de chaleur de la ville de Limoges et à valoriser également une quantité significative de biomasse. Nous sommes en train de faire de même à Orléans, Tours, Angers, notamment. Ainsi, nous produisons un peu plus de 5,5 térawattheures d'électricité. Le groupe dans son ensemble produit environ 14,2 térawattheures électriques.
La production électrique représente 20 % de l'activité de Dalkia en France, le reste concernant plutôt des activités multi-techniques ou encore centrées sur la chaleur. La production électrique avec cogénération correspond à 2 000 mégawatts. Il existe aussi des groupes de production de pointe, qui peuvent produire de l'électricité en cas de forte demande, des groupes de secours et des installations gérées chez nos clients. Il s'agit de faire face à une rupture d'alimentation pour assurer la continuité du service électrique chez ces derniers.
Monsieur le rapporteur, vous vous demandez s'il y a contradiction entre la recherche de l'efficacité énergétique et le statut de filiale d'un fournisseur d'énergie. Absolument pas !
On le constate dans le domaine de la chaleur. Nous sommes à la fois producteur local et leader en matière d'efficacité énergétique. Notre présence dans le domaine de l'efficacité énergétique nous permet à nous, fournisseur d'énergie, à la fois d'être le plus performant possible en matière de production d'énergie et d'optimiser la demande de nos clients finaux, notamment en réduisant la demande de pointe, qui est toujours la plus coûteuse à satisfaire. L'efficacité passe par la capacité à produire mieux, à jouer sur les profils de consommation pour produire plus intelligemment, à optimiser les investissements et les fonctionnements.
Nous pouvons aussi apporter une prestation à plus forte valeur ajoutée aux clients finaux, non pas simplement fournir de l'énergie, mais offrir une prestation plus complète de services énergétiques. La nuance est fondamentale.
Dans les années à venir, le Réseau de transport d'électricité prévoit à la fois un fort développement de l'efficacité énergétique et le maintien de la croissance de la consommation électrique, certes modérée, de 0,6 % par an. Cette consommation s'établissait à 480 térawattheures en 2009 et devrait atteindre 523 térawattheures en 2020 et 554 térawattheures en 2030. Telles sont les données qui résultent du bilan prévisionnel de l'équilibre entre l'offre et la demande de 2011.
Les analystes financiers valorisent le fait que, avec Dalkia, EDF dispose d'une filiale dédiée à l'efficacité énergétique. Ainsi, elle pourra adapter son outil de production à l'évolution de la donne énergétique qui se traduira irrémédiablement par une baisse de la consommation.
En pratique, je constate que la réponse à des appels d'offres en groupement, en quelque sorte, par exemple Dalkia et EDF, correspond à la volonté de réaliser des économies d'énergie. Tel est ainsi le cas du contrat de performance énergétique que nous avons signé avec le Conseil général de la Manche. Nous avons pris l'engagement de réduire les consommations énergétiques, toutes énergies confondues, d'une vingtaine de collèges et de trois musées et d'aboutir à 32 % d'économies d'énergie, pourcentage garanti par la mise en place d'un plan d'action et par l'exploitation des installations pendant quinze ans.
Nous gérons encore assez peu d'électricité dans les bâtiments dont nous assurons la gestion des services énergétiques. Cela étant, EDF ne voit aucune difficulté à ce que nous nous en saisissions plus souvent, de manière à proposer à nos clients une gestion intégrée de l'ensemble de leurs énergies. En effet, EDF est bien consciente de la forte valeur qui en résulterait pour nos clients.
Pour ce qui concerne notre actionnaire majoritaire, à savoir Veolia Environnement, d'une certaine manière, il a dans ses gènes la gestion économe des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau ou de matières premières, grâce au recyclage des déchets, ou de l'énergie avec Dalkia.
L'efficacité énergétique est bien au coeur de notre activité et ce, je crois pouvoir le dire, à la satisfaction pleine et entière de nos deux actionnaires.
À ce stade de mon propos, je voudrais insister sur la question centrale de la cogénération. C'est sur ce point que le lien évident entre notre activité et la production d'électricité apparaît.
Grâce à un dispositif qui, depuis 1997, a encouragé le développement de la cogénération en France, aujourd'hui, tous acteurs confondus, la production électrique sous forme de cogénération représente l'équivalent de trois EPR. Je vous rappelle les avantages de ce système : des économies d'énergie et une production décentralisée.
Depuis 2001, le développement du parc de cogénération a été arrêté, faute de cadre suffisamment incitatif.
Douze ans après - telle était la durée des contrats d'obligation d'achat -, la question en cause est la survie de ce parc.
Grâce aux cogénérations, on économise à peu près 1,7 million de tonnes d'équivalent pétrole par an et on évite l'émission de 9,3 millions de tonnes de CO 2 . La conservation d'une part significative de la capacité de production électrique issue des cogénérations est essentielle pour trois raisons.
La première de ces raisons tient à la sécurité de l'approvisionnement électrique. Je rappelle que la cogénération est un outil qui ne dépend ni du vent ni du soleil, pas plus que de quoi que ce soit d'autre. C'est une production de semi-base, qui démarre le 1 er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Pendant cette période, la disponibilité est quasiment de 100 %. Il s'agit donc d'une production continue, prévisible, fiable.
J'en viens à la deuxième raison que j'évoquais précédemment. Le prix de la vapeur provenant de la production combinée d'électricité et de chaleur est compétitif. C'est la vapeur qui bénéficie en particulier de l'économie d'énergie primaire. La technologie en cause permet aux industriels qui récupèrent la vapeur ou aux bâtiments collectifs qui sont raccordés sur les réseaux de chaleur qui en profitent d'obtenir un prix compétitif pour ce qui concerne la chaleur et la vapeur. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous fais incidemment remarquer que 250 sites industriels qui emploient 30 000 personnes bénéficient aujourd'hui de la vapeur issue de la cogénération.
Il faut bien garder en mémoire qu'il n'est pas prévu de substituer la cogénération biomasse, qui fait l'objet d'un programme dans le cadre du Grenelle de l'environnement, à la cogénération gaz. L'objectif fixé lors du Grenelle est de porter à 2 300 mégawatts l'énergie électrique produite à partir de la biomasse, chiffre bien inférieur à la puissance actuellement disponible par le biais de la cogénération gaz. Mais la frilosité dont fait actuellement preuve le monde industriel à l'égard d'investissements de longue durée est telle que l'objectif du Grenelle ne sera pas facile à atteindre.
La situation présente est compliquée ; elle comporte deux cas de figures différents.
En premier lieu, les grosses cogénérations, de plus de 12 mégawatts, essentiellement installées sur des sites industriels, arriveront à échéance au plus tard en 2014. Elles sont menacées parce qu'elles ne disposent plus du soutien existant jusqu'à présent. Leur contrat d'obligation d'achat arrivant à terme, elles ne trouvent pas sur le marché libre une rémunération suffisante.
Certes, le ministre chargé de l'énergie a reconnu publiquement l'importance du sujet pour la sécurité électrique du pays, mais la solution envisagée, à savoir un appel d'offres par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, relatif à des capacités de production électrique, nous paraît complexe. En fait, il ne s'agit d'aider ces cogénérations que pour une période de trois ans parce que ces grosses machines trouveront leur place dans le dispositif prévu par la loi NOME, en particulier dans le marché de capacité, qui ne sera cependant effectif qu'en 2015.
L'alternative serait un dispositif de soutien transitoire par la CSPE, la contribution au service public de l'électricité, dont le coût serait extrêmement limité - 50 millions d'euros par an -, sans aucune commune mesure avec le coût antérieur du financement des obligations d'achat des cogénérations qui s'élevait à 700 millions d'euros et avec le coût total de la CSPE qui devrait atteindre 5,5 milliards d'euros à l'horizon de 2015.
En second lieu, les petites cogénérations, de moins de 12 mégawatts, concernent plutôt les réseaux de chaleur. Elles peuvent être reconduites sur un contrat d'obligation d'achat. Mais en pratique ce renouvellement est très difficile. En effet, l'annonce régulière par le ministère de sa volonté de dégrader la rémunération électrique de ces installations décourage les investisseurs. Par ailleurs, l'énergie thermique récupérée sur ces cogénérations pourtant vertueuse n'est pas reconnue comme telle en France. Ainsi, la chaleur d'un réseau alimenté à plus de 50 % par des énergies renouvelables ou de récupération - par exemple, sur une usine d'incinération - bénéficie d'une TVA à 5,5 %. Mais tel n'est pas le cas si ce pourcentage est atteint avec une partie de la chaleur issue d'une cogénération gaz.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Lacroix, je comprends que vous profitiez de cette audition pour délivrer un message sur la cogénération - un certain nombre d'entre nous le connaissent d'ailleurs bien -, mais je souhaite que vous reveniez au sujet qui nous préoccupe.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Cela étant, monsieur Lacroix, rien ne vous empêche pas de nous faire parvenir un document nous précisant vos propositions pour les cinq ans à venir.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, je vous informe d'ores et déjà, vous qui êtes fidèle aux réunions du groupe d'études de l'énergie, que celui-ci organisera au printemps ou à l'automne une réunion avec le groupe Dalkia portant notamment sur le problème de la cogénération.
Veuillez poursuivre, monsieur Lacroix.
M. Franck Lacroix . - J'en viens à la deuxième question que m'a posée M. le rapporteur.
Selon moi, la meilleure incitation aux économies d'énergie est le signal-prix.
Encore faut-il que celui-ci soit suffisant. À titre d'exemple, en raison de l'absence de taxe sur les carburants aux États-Unis, le modèle américain consistant à acquérir des voitures fortement consommatrices a perduré. A contrario , en Europe, l'existence de taxes intérieures sur la consommation a incité au développement de modèles plus économes.
Encore faut-il également que ce signal-prix traduise les orientations de la politique énergétique du pays ou du continent, en l'occurrence la volonté de décarbonation. L'outil fiscal est là encore nécessaire pour répercuter une valeur économique du carbone.
Encore faut-il enfin que ce signal-prix soit uniforme, sans effet de bord. À partir de l'année prochaine, je vous signale qu'un réseau de chaleur collectif verra ses émissions de CO 2 devenir progressivement payantes, alors que la chaudière à gaz située, en quelque sorte, au pied de l'immeuble ne sera pas taxée... Une telle distorsion est difficile à expliquer. De surcroît, quand bien même ce réseau de chaleur se convertirait à la biomasse et deviendrait plus vertueux qu'une chaudière à gaz, ses émissions résiduelles, par exemple celles qui correspondent aux consommations de pointe qui restent assurées par le gaz, continueraient à être taxées.
Les certificats d'économie d'énergie sont-ils un bon système ? À défaut de taxes sur l'énergie et le carbone suffisantes, ce dispositif peut avoir une utilité. Son principe est compréhensible, à savoir imposer aux vendeurs d'énergie de générer des économies d'énergie en proportion de leurs ventes.
Cela étant, en fonction des modalités précises de sa mise en oeuvre, ce procédé peut être d'application difficile.
Sur cette question, je souhaite vous délivrer deux messages principaux, mesdames, messieurs les sénateurs.
Premièrement, la charge administrative relative à la constitution des dossiers s'est fortement alourdie depuis le début de la seconde période de ces certificats. Ce fait est notamment dû aux inquiétudes suscitées par une éventuelle double revendication de la même opération. Ainsi, un vendeur d'énergie et son client bailleur social pourraient tous deux revendiquer l'installation d'une chaudière performante dans un HLM. L'éligibilité des bailleurs sociaux, comme des collectivités locales, a été voulue par le législateur afin de garantir aux clients la possibilité d'avoir un retour des certificats d'économie d'énergie sur leur patrimoine. Or la réglementation exige d'ores et déjà que le client signe le dossier de demande de certificat d'économie d'énergie, ce qui devrait suffire à garantir un débat entre l'opérateur et son client. Je considère que l'on pourrait grandement simplifier ce dispositif et en réduire le coût.
Deuxièmement, le système européen fait l'objet de discussions dans le cadre du projet de directive relative à l'efficacité énergétique. Aux termes du texte actuellement étudié, la France ne pourra plus continuer à prendre en compte des opérations de passage aux énergies renouvelables. Les opérations de petite taille de ce type qui ne bénéficient pas du fonds chaleur ne seront plus réalisées sans les certificats d'économie d'énergie. Elles sont pourtant nécessaires là où des extensions de réseaux de chaleur ne sont pas prévues pour décarboner la production de chaleur. Il convient que la France se batte lors des négociations européennes pour pouvoir conserver son système.
Cela étant, je demeure persuadé qu'une taxe carbone-énergie européenne serait plus efficace que les certificats d'économie d'énergie. Son coût administratif serait bien moindre. Une ressource fiscale supplémentaire serait ainsi créée ; elle pourrait être affectée au financement du fonds chaleur de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, par exemple.
J'en viens à la question de l'exemplarité des bâtiments publics. Lorsque nous avons conclu l'un des premiers contrats de performance énergétique avec l'agglomération de Montluçon, nous nous sommes engagés à dégager non pas une économie d'énergie théorique, mais une économie garantie de 17 % mesurée chaque année. Nous avions lancé un important programme de communication auprès des usagers des bâtiments publics qui a créé un effet d'entraînement dans toute la ville. Ainsi, des copropriétés ont entrepris des démarches similaires. Pour reproduire ce phénomène, un engagement beaucoup plus massif et systématique sur les contrats de performance énergétique des bâtiments publics serait très efficace.
Monsieur le rapporteur, j'en viens à votre troisième question.
Nous ne démarchons pas les marchés de la maison individuelle et du chauffage individuel, tout simplement parce que nous n'avons pas développé de réseau commercial à cette fin.
En revanche, nous intervenons dans le domaine de l'habitat à travers des réseaux de chaleur et des installations énergétiques collectives et dans les habitations à loyer modéré et les copropriétés. En France, nous assurons la gestion énergétique d'un peu plus de 2,2 millions de logements ; 800 000 sont desservis par des réseaux de chaleur.
Pour ce qui concerne les copropriétés, la lourdeur traditionnelle de la prise de décision lors des assemblées de copropriétaires est un frein très important, d'autant plus que le temps de retour des investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie est long. De ce fait, les divergences d'intérêts entre les copropriétaires à court et long terme apparaissent encore plus.
En outre, en l'espèce, le dispositif de crédit d'impôt sur le revenu n'est pas un levier efficace, alors que tel est le cas pour les propriétaires d'une maison individuelle. Dès lors, un accompagnement particulier des copropriétés se justifie pour déclencher des opérations. De ce point de vue, l'initiative de la région d'Île-de-France, qui a décidé d'accompagner des audits énergétiques et des travaux destinés à réaliser des économies d'énergie dans des copropriétés, mérite d'être soulignée et reproduite. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de formation auprès des acteurs qui effectuent des travaux d'amélioration, d'isolation du bâti pour veiller à la fiabilité des travaux entrepris.
Un autre frein important au marché des particuliers résulte de la difficulté à laquelle est confronté un propriétaire bailleur pour amortir ses investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie. Vous le savez, le dispositif de partage des charges introduit par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion constitue une étape importante. Il permet aux propriétaires bailleurs qui ont effectué des travaux de demander au locataire une participation exceptionnelle au coût des travaux. Ainsi est instauré un juste partage des économies d'énergie entre le propriétaire et le locataire. Une évaluation du bon fonctionnement de ce dispositif, notamment de sa connaissance par les propriétaires et leurs conseils - je pense aux notaires, aux professionnels de l'immobilier -, serait sans doute utile.
J'en arrive à votre quatrième et dernière question, monsieur le rapporteur.
Nous ne pouvons qu'adhérer au principe du renforcement des exigences de la réglementation thermique afin de s'orienter progressivement vers des bâtiments très économes.
Je voudrais tout d'abord démentir l'idée fausse, souvent relayée, selon laquelle les exploitants des réseaux de chaleur seraient opposés à la baisse de la consommation. Je vous ai déjà fourni des indications sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
À l'échelle de la ville, il existe une réelle opportunité. À titre d'exemple, un quartier neuf n'est pas incompatible avec un réseau de chaleur. Nombre de personnes pensent que, dans un tel cas de figure, la consommation de chaleur sera moindre et qu'il n'est par conséquent pas nécessaire de réaliser d'importants investissements ; autant raccorder tout le monde au chauffage électrique. Mais nous démontrons quotidiennement le contraire. Ainsi, tout récemment, dans un quartier neuf, durable, à haute efficacité énergétique de 1 600 logements situé à Issy-les-Moulineaux, nous avons mis en place un réseau qui permettra d'alimenter en chauffage et en eau chaude sanitaire l'ensemble des bâtiments.
Pour ce qui concerne les réseaux existants, la plupart des collectivités ont aujourd'hui une double ambition : les verdir et les développer. Or moins les logements consomment, plus l'on pourra raccorder au réseau de nouveaux bâtiments avec la même production verte, donc les mêmes investissements.
Par ailleurs, les équipements de production verts ont la caractéristique d'être beaucoup plus capitalistiques que des moyens classiques. Une chaudière biomasse coûte, par exemple, à peu près cinq fois plus cher qu'une chaudière à gaz. Et plus de telles installations bénéficient à un nombre élevé de logements, plus on peut les amortir.
Les modalités de la réglementation thermique découragent le recours au chauffage électrique. Cette volonté claire est assumée par les pouvoirs publics.
Pour ma part, j'estime que certains points de la réglementation pourraient être améliorés. Le ministère souhaite remettre en cause le mode de calcul du contenu en carbone des réseaux de chaleur, qui résulte pourtant d'une autre direction du même ministère, et intégrer, par exemple, les émissions liées à la production du combustible biomasse. Ce raisonnement n'est valable que s'il est appliqué à toutes les sources d'énergie, notamment au gaz. Devraient être prises en compte les émissions de carbone liées au transport du gaz sur longue distance, les émissions relatives à la regazéification dans les terminaux méthaniers, aux phases de stockage souterrain, aux phases de compression. En fait, nous demandons un traitement équitable des énergies, qui favorise les énergies renouvelables et non l'inverse.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur Lacroix, vous nous avez montré les avantages de la cogénération. Vous nous avez proposé de nous fournir des documents précis relatifs à des mesures incitatives. Par ailleurs, selon vous, il serait intéressant de développer la taxe carbone. Vous estimez que si des mesures de taxation étaient prises, elles devraient concerner tous les modes énergétiques.
En cet instant, je souhaite obtenir une précision. Selon les chiffres dont nous disposons, le prix moyen du mégawattheure d'électricité produit dans les grandes installations de cogénération s'élèverait entre 90 euros et 150 euros et celui du mégawattheure fourni par les petites installations entre 130 euros et 200 euros. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres ?
M. Franck Lacroix . - Il existe deux grandes catégories de tarification : celle de la production d'électricité résultant de la cogénération au gaz et celle qui est issue de la biomasse.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Entendez-vous par biomasse le bois et l'ensemble du recyclage des déchets ménagers ?
M. Franck Lacroix . - La ressource biomasse est essentiellement constituée par du bois de recyclage, de la culture agricole de taillis à très courte rotation, des plaquettes forestières issues des parcelles forestières de la filière bien spécifique du bois-énergie. En France, deux cas de figure existent : soit de grosses installations, qui résultent essentiellement d'appels d'offres de la CRE, soit des installations plus réduites, qui bénéficient du tarif d'obligation d'achat de cogénération biomasse.
Le prix du mégawattheure se situe autour de 140 euros pour l'électricité produite par cogénération biomasse et de 110 euros pour l'électricité fournie par cogénération au gaz.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - J'avais cru comprendre que la cogénération était arrivée à maturité d'un point de vue économique. J'ai rapidement réalisé mon erreur, monsieur Lacroix, puisque vous avez indiqué que le moment économiquement intéressant était celui où vous arriviez à bénéficier de la production de pointe. Dans ce cas de figure, à quel prix êtes-vous rémunéré ?
Vous avez indiqué que vous aviez besoin d'une période de deux à trois ans pour faire le lien entre les actuels dispositifs et le marché capacitaire prévu par la loi NOME. Qu'attendez-vous de ce marché et à quel prix ?
Enfin, vous avez précisé que, en matière de cogénération, vous interveniez essentiellement dans le domaine de la production locale qui peut intégrer les énergies renouvelables. À cet égard, à quel point pouvez-vous associer l'énergie solaire ? Je formule cette question en référence au modèle allemand qui, à l'inverse du dispositif à la française, tend à « porter », en quelque sorte, le solaire sur l'autoconsommation. D'ailleurs, l'aide allemande est dédiée non pas à la vente de l'énergie sur le réseau, mais à l'autoconsommation. Monsieur Lacroix, dans quelle mesure envisagez-vous que le solaire vienne en appoint de l'énergie renouvelable ?
M. Franck Lacroix . - Tout d'abord, la cogénération et la production de pointe sont deux logiques tout à fait différentes. La cogénération s'accommode assez peu des périodes de pointe qui nécessitent une très grande réactivité. Le principe même de la cogénération est la production de semi-base, parce qu'il est nécessaire de combiner deux demandes, à savoir celles d'électricité et de chaleur.
La puissance installée en France comprend à peu près 2 000 mégawatts de cogénération semi-base, c'est-à-dire que la production commence le 1 er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Par ailleurs, quelques centaines de mégawatts sont plutôt une production de pointe ; ils sont fournis, par exemple, par des groupes fioul indépendants et mis à la disposition de la production nationale à travers, notamment, le Réseau de transport d'électricité, qui a fait un appel d'offres. Nous avons conclu un contrat avec ce dernier qui est rémunéré non pas au mégawattheure produit, mais à la puissance mise à disposition. L'acteur est rétribué afin de maintenir en veille des équipements de production et de démarrer la production lorsqu'on le lui demande.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Comme M. Vial, j'avais compris que le système de chaleur de la cogénération était utilisé pour pourvoir à une demande ponctuelle de chauffage et que lorsque celle-ci était moindre, on produisait plus d'électricité. En réalité, votre activité comporte la cogénération. À côté de cela, des usines au fioul sont utilisées en période de pointe. Votre rémunération est fonction non pas du prix de production, mais de la capacité de production.
M. Franck Lacroix. - Absolument, monsieur le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Est-ce vous qui avez remporté l'appel d'offres RTE breton ? Pourquoi vous êtes-vous porté candidat ? Ce n'est pas votre métier de base.
M. Franck Lacroix. - Nous disposons d'un patrimoine d'équipements technologiques qui était précédemment utilisé sous une autre forme. Celui-ci étant devenu disponible, il fallait le remettre sur le marché. De plus, notre savoir-faire en qualité de gestionnaire de cogénération nous amène à avoir des techniciens, des opérateurs, des dispositifs de maintenance préventifs qui nous permettent d'agir avec la meilleure efficacité.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous avez évoqué précédemment la vertu de l'efficacité énergétique et l'enjeu relatif au CO 2 . S'il est bien une négation de cela, ce sont les centrales thermiques, que vous venez de nous présenter.
M. Franck Lacroix . - Non ! L'optimisation d'une part, d'un mix énergétique et, d'autre part, des pointes pour recourir le moins possible à de telles installations est évidemment une nécessité. Or nombre de nos installations, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, sont dotées d'outils de pointe ou de secours dont les vertus environnementales sont forcément moindres, mais dont le bilan est très faible en fin d'exercice parce que le taux d'utilisation est très réduit. Prendre une option mono-énergétique sur une installation donnée est un luxe et probablement une erreur.
L'une des vertus des installations que nous développons, à un échelon industriel, est de permettre, au niveau d'une ville, de faire des arbitrages entre plusieurs énergies dans les meilleures conditions économiques et environnementales. La création d'infrastructures collectives qui bénéficient de la cogénération, d'installations de biomasse, éventuellement d'installations de secours au gaz, permet d'apporter à nos clients la nécessaire garantie de flexibilité, en particulier lorsque les prix des énergies fossiles sont particulièrement fluctuants.
Sur le marché de capacité, notre volonté est d'atteindre un niveau de valorisation compatible avec la situation économique des installations, soit entre 40 euros et 50 euros du kilowatt.
Quant à l'énergie solaire, Dalkia n'a pas du tout pris part à ce marché. En revanche, nous sommes en train d'étudier l'optimisation énergétique globale d'une collectivité pour pouvoir avancer sur la question des réseaux intelligents, non seulement électriques mais également énergétiques complets. Nous nous penchons notamment sur notre capacité à stocker de l'énergie produite par le solaire sous forme thermique pour la restituer au meilleur moment.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - Monsieur Lacroix, comment envisagez-vous l'avenir de la cogénération si celle-ci n'est plus soutenue ? Allez-vous néanmoins pouvoir continuer à produire ?
Par ailleurs, quel différentiel existe-t-il entre le prix de l'électricité classique et celui de l'électricité produite par cogénération ? In fine , le consommateur observe-t-il une différence ?
M. Franck Lacroix . - Pour ce qui concerne les cogénérations, le marché français est assez atypique, car nous développons dans les autres pays européens des cogénérations bénéficiant des dispositifs de soutien de différentes natures. La puissance que nous exploitons en la matière est bien supérieure à l'international qu'en France.
À défaut de dispositif de soutien à la cogénération, celle-ci va s'arrêter en France. C'est aussi simple que cela !
Aujourd'hui, y compris sur les sites industriels, nombre de grosses installations font l'objet de scénarios de démantèlement. Les équipements vont être réutilisés en Slovaquie ou en Pologne. Dans ce dernier pays, nous venons de prendre la responsabilité du réseau de chaleur de Varsovie, le plus grand de la Communauté européenne actuellement en service. Nous prévoyons d'installer de grosses unités de cogénération qui produiront une partie de la chaleur de Varsovie et alimenteront en électricité le réseau national à hauteur d'un peu plus de 150 mégawatts.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Y a-t-il un tarif d'obligation d'achat ?
M. Franck Lacroix . - Non, monsieur le président ! En revanche, il existe un dispositif incitatif - les certificats rouges -, qui consiste à donner un complément de revenu à celui qui produit de l'électricité issue de la cogénération. Le système est un peu comparable à celui de la CSPE : les producteurs d'électricité doivent disposer d'un certain nombre de certificats rouges qui sont produits par la cogénération.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Lacroix, je serais ravi d'avoir des informations sur le prix de rachat pratiqué en Pologne et en Hongrie.
M. Franck Lacroix . - Je vous les ferai parvenir, monsieur le président. Il existe toutefois une nuance : la Hongrie a récemment diminué de manière assez considérable son dispositif.
J'en reviens à la question de Mme Schurch. Le prix du mégawattheure d'électricité de la cogénération gaz s'élève à 110 euros.
Mme Mireille Schurch . - Et par rapport au prix pratiqué par un fournisseur classique d'électricité ?
M. Franck Lacroix . - Le prix de l'électricité produite par la cogénération est calé sur celui de l'électricité provenant d'un cycle combiné. Par rapport à la production d'une technologie au gaz comparable, le prix est le même. C'est d'ailleurs ainsi que la mécanique des contrats d'obligation d'achat a été élaborée.
L'économie liée aux économies d'énergie primaire concerne essentiellement la chaleur. Ceux qui bénéficient de la chaleur soit à travers le réseau, soit sur les sites industriels, profitent d'une économie de chaleur assez substantielle, qui peut aller de 10 % à 20 %.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Lacroix, je souhaite connaître votre avis sur ce qui s'est passé à Bruxelles à propos de la directive Efficacité énergétique, qui vous concerne totalement. Elle comporte deux volets importants. Le premier vise l'efficacité énergétique, notamment l'obligation de réaliser chaque année dans tous les bâtiments publics 3 % d'investissements en faveur des économies d'énergie. Le second volet a trait, si je puis dire, à la cogénération à l'envers. Il prévoit l'obligation pour tous les pays européens, à côté des centrales électriques, de produire de la chaleur.
Cette pauvre directive a été laminée en deux temps. D'une part, seuls les bâtiments d'État devaient réaliser 3 % d'investissements afin d'économiser de l'énergie. Pour ce qui concerne la cogénération, nombre de pays y sont réticents, à juste titre d'ailleurs. En effet, il s'agit des pays qui en ont le moins besoin. La France, l'Espagne et le Portugal, notamment, ont demandé que tous les pays ne soient pas traités de la même manière dans le chapitre de la directive relatif à la cogénération. Selon moi, c'est logique. Pourquoi exiger des pays méditerranéens, qui n'ont pas forcément besoin de chaleur, de disposer, en plus des centrales électriques, de cogénération chaleur ? À l'inverse, le demander aux pays d'Europe centrale, dans lesquels vous êtes particulièrement performants, n'est peut-être pas illogique.
M. Franck Lacroix . - Le projet de directive nous concerne directement parce qu'il vise les deux axes fondamentaux de nos activités.
Nous sommes très sensibles à la diversité des situations des pays dans lesquels nous nous développons. Je pense que vous avez parfaitement raison, monsieur le président. Il faut prendre en compte le mix énergétique du pays, regarder si des infrastructures collectives existent ou non. Comment comparer la France à un pays d'Europe centrale, par exemple ? Je vous l'ai indiqué, à Varsovie, pour le chauffage, 80 % des bâtiments sont connectés au réseau de chaleur, alors que, respectivement en France, en Allemagne et en République tchèque, 5 %, plus de 15 % et 30 % le sont.
M. Jean Desessard , rapporteur . - C'est le poids de l'histoire !
M. Franck Lacroix . - Vous avez tout à fait raison, monsieur le rapporteur !
Les efforts à réaliser et les politiques à développer doivent s'inspirer de la réalité opérationnelle.
Ce que nous faisons en France est ambitieux et bien orienté. Nous avons compris qu'il était nécessaire de créer des infrastructures collectives pour développer des schémas énergétiques cohérents dans nos villes ou nos sites industriels, que nous pourrions peut-être ainsi réconcilier. Nous pourrions faire en sorte que les villes se dotent d'infrastructures pour se chauffer, pour diffuser de la climatisation, compatibles avec les sites industriels qui se trouvent à proximité. Elles pourraient récupérer de l'énergie ou avoir un pilotage énergétique intelligent. Les objectifs que nous nous sommes fixés, notamment à propos des réseaux de chaleur, nous permettent d'avancer à pas cadencés.
Pour ce qui concerne la cogénération, la France est peut-être réticente à dépenser. En réalité, les cogénérateurs demandent que soit compris l'intérêt particulier de la cogénération et que soit maintenu un dispositif de soutien sans commune mesure avec celui qui existait par le passé. Antérieurement, les aides s'élevaient entre 700 millions et 900 millions d'euros par an. À l'horizon 2015, les cogénérateurs ciblent une charge annuelle de l'ordre de 200 millions à 250 millions d'euros. Cela prend bien en compte la réalité de notre pays.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Lacroix, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie
(3 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de cet après-midi, nous allons maintenant entendre Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.
Madame Schwarz, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous ne pouviez d'ailleurs pas refuser : vous êtes obligée de vous présenter devant une commission d'enquête...
Cette commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques a été demandée par le groupe écologiste et acceptée par le Sénat.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Madame Schwarz, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( Mme Virginie Schwarz prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Comme cette audition fait l'objet d'un enregistrement, je donne maintenant la parole à M. le rapporteur pour qu'il rappelle les questions qu'il vous a préalablement adressées de manière que vous puissiez préparer cette audition. Vous y répondrez aussi longtemps que vous voudrez. Toutefois, laissez-nous aussi le temps de vous poser des questions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame Schwarz, je rappelle les six questions que nous vous avons adressées.
Première question, quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie dans les entreprises et les collectivités, s'agissant en particulier des certificats d'économie d'énergie ?
Deuxième question, pensez-vous que les mécanismes actuels d'incitation aux économies d'énergie, chez les particuliers, sont efficaces ? Quel jugement portez-vous sur les différentes incitations fiscales ? On entend parfois dire que le bénéfice des économies d'énergie est capté par des intermédiaires, qui pratiqueraient des taux de marge très importants, au détriment des propriétaires : êtes-vous d'accord avec cette affirmation ? Quelle devrait être la répartition des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement ?
Troisième question, quel jugement portez-vous sur la réglementation thermique 2012 ? Estimez-vous qu'elle est favorable ou défavorable au chauffage électrique ? Pensez-vous que la part du chauffage électrique en France est excessive ? Comment gérer et mieux réguler le stock d'installations de chauffage électrique existant ? Avez-vous les chiffres de la répartition par type de chauffage de la population ? Et parmi les « précaires énergétiques » ?
Quatrième question, quel jugement portez-vous sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables : tarifs de rachat, incitations fiscales, etc. ? Pensez-vous que le soutien à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables devrait reposer sur l'ensemble de la filière énergétique, et pas seulement sur la filière électrique ?
Cinquième question, quels sont les principaux axes de recherche défendus par l'ADEME en ce qui concerne les énergies renouvelables ? Quel jugement portez-vous sur les techniques de stockage d'énergie, et en particulier sur la méthanation ?
Sixième et dernière question, les fonctionnalités du compteur Linky vous paraissent-elles optimales ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, certaines questions sont très précises et je ne doute pas que Mme Schwarz y réponde de façon détaillée. D'autres, en revanche, sont plus subjectives. Or, comme vous le savez, certains objectifs sont fixés par le Gouvernement et l'ADEME est une agence de l'État. Par conséquent, il ne sera pas toujours facile à Mme Schwarz, en tant que directrice exécutive des programmes, de répondre à l'ensemble de vos questions.
Madame Schwarz, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On vous excuse déjà, madame la directrice !
Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie . - Madame, messieurs les sénateurs, la première question que vous m'avez posée porte sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie dans les entreprises et les collectivités.
Le premier constat que je peux établir, c'est qu'il existe malheureusement peu de dispositifs incitatifs aux économies d'énergie pour cette cible-là.
Sur les certificats d'économie d'énergie, qui étaient également évoqués dans la question, l'ADEME porte une appréciation très positive ; je pourrai y revenir. Il me semble que ce dispositif a porté ses fruits sur la cible prioritaire qui lui avait été initialement attribuée, c'est-à-dire les particuliers. En revanche, il a eu un impact limité pour les entreprises et les collectivités. Lors de la première période, seulement 7,8 % des certificats d'économie d'énergie ont concerné l'industrie et 6,3 % le tertiaire. C'est le secteur résidentiel qui, avec presque 84 % des certificats d'économie d'énergie, a concentré l'ensemble des effets de ce mécanisme.
Il existe cependant quelques dispositifs, d'une ampleur limitée, soutenus par l'ADEME, par exemple l'aide aux audits énergétiques dans les entreprises, par le financement d'études d'aide à la décision devant permettre aux entreprises d'évaluer les bénéfices qu'elles pourraient tirer d'opérations d'investissements pour réduire leur consommation. Il s'agit d'un dispositif efficace, avec un taux de passage à l'acte - de l'aide à la décision jusqu'à la décision elle-même - qui se situe entre 70 % et 90 %, selon les années. Toutefois, cela ne concerne qu'un millier de projets chaque année, entre l'industrie et le tertiaire.
Ce dispositif des audits est reconnu dans de nombreux pays. Le projet de directive européenne sur les services d'efficacité énergétique, dite « ESD2 », propose de les rendre obligatoires. Cela me semble intéressant.
C'est l'absence, ou la quasi-absence, de dispositifs incitatifs à destination des entreprises qui a conduit l'ADEME, dans le cadre de la Table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, à proposer la mise en place d'un crédit d'impôt destiné aux PME pour les accompagner dans la réalisation d'actions d'économie d'énergie, avec un champ très large : actions sur le bâtiment, le process, le transport, etc.
Aujourd'hui, le contexte budgétaire n'est évidemment pas favorable aux actions de type crédit d'impôt. L'ADEME a proposé ce dispositif parce que des propositions de recettes existaient parallèlement permettant d'équilibrer l'ensemble. C'est l'une des mesures qui a reçu le soutien le plus marqué de la part des entreprises ayant participé à cette table ronde.
La deuxième question porte sur les dispositifs d'incitation aux économies d'énergie chez les particuliers. Ils sont beaucoup plus nombreux et d'une ampleur bien plus importante. Le premier d'entre eux est le crédit d'impôt développement durable, le CIDD.
Monsieur le président, vous avez eu la gentillesse de me mettre à l'aise en précisant que j'étais dans une position un peu difficile. Néanmoins, dans la mesure où les évaluations du crédit d'impôt développement durable que l'ADEME réalise sont menées avec le ministère de l'environnement et le ministère des finances, et pour le compte de ces ministères, je ne trahirai pas mon devoir de fonctionnaire en livrant ces chiffres. En outre, je comprends que c'est l'exercice qui est imposé par la commission d'enquête.
Nous avons estimé que le crédit d'impôt développement durable, s'il était maintenu jusqu'en 2020 aux conditions de 2012, permettrait d'atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'environ 4,5 % des émissions du secteur résidentiel, pour un coût annuel d'environ 950 millions d'euros. Ce dispositif a donc à lui seul un effet significatif.
Les dispositions du crédit d'impôt ont été sensiblement modifiées ces dernières années. À titre d'illustration, si elles avaient été maintenues jusqu'en 2020, les conditions applicables en 2009 auraient permis, une réduction de 7,5 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur résidentiel, pour un coût public annuel moyen de l'ordre de 1,6 milliard d'euros. Certes, ce sont des montants importants, mais il faut les mettre en regard avec une importante augmentation du chiffre d'affaires du secteur du bâtiment, de près de 4 milliards d'euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez fait l'évaluation ?
Mme Virginie Schwarz . - Oui, avec le modèle Menfis qui a été développé et fait l'objet de travaux communs entre le ministère de l'écologie, le ministère des finances et l'ADEME.
Le second dispositif qui est proposé aux ménages pour les inciter à réduire leur consommation d'énergie, c'est l'éco-prêt à taux zéro, l'éco-PTZ. Alors que le CIDD a été largement utilisé - presque trop même, puisque c'est ce qui a conduit à en revoir les conditions d'attribution -, l'éco-prêt à taux zéro a du mal à se développer : en 2010, environ 75 000 éco-PTZ ont été distribués, contre moins de 10 000 par trimestre en 2011 - l'ADEME ne dispose pas encore des chiffres du dernier trimestre 2011.
On observe que les banques, qui sont le canal de distribution de cet éco-prêt à taux zéro, le proposent peu à leurs clients. Elles avancent que c'est un produit complexe, pour lequel on leur a demandé de jouer non seulement leur rôle de banquier, mais aussi un rôle d'instruction,...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Un rôle d'information.
Mme Virginie Schwarz . - Oui.
... puisqu'elles sont chargées d'examiner l'éligibilité des dossiers. Selon elles, les coûts et la complexité de cette instruction ne sont pas couverts par les compensations versées par l'État.
Dans ce contexte, les propositions formulées par le « Plan bâtiment Grenelle » sur la révision des modalités d'attribution de l'éco-prêt à taux zéro nous paraissent particulièrement intéressantes. Il s'agit de libérer les banques de ces tâches d'instructions techniques pour lesquelles elles sont mal armées pour les confier soit à des tiers certificateurs, soit à des entreprises du secteur du bâtiment réalisant des travaux, pour autant que leurs qualifications et leurs compétences aient été validées par la mention « Reconnu Grenelle environnement », sur laquelle je reviendrai.
Le CIDD et l'éco-PTZ sont donc des dispositifs importants, mais qui connaissent des succès variables.
De manière générale, sur ces deux dispositifs, ce qui importe, c'est presque autant leur stabilité que leur niveau. Les évolutions successives du crédit d'impôt développement durable - celles qui concernent notamment le photovoltaïque ont fait beaucoup parler d'elles et ont paru très brutales au grand public - ont rendu les particuliers très hésitants. Nous savons par les contacts que nous pouvons avoir, notamment au travers des espaces info-énergie, que les particuliers hésitent aujourd'hui à recourir au crédit d'impôt, parce qu'ils n'en comprennent pas les règles et craignent qu'elles ne changent, alors qu'il était auparavant considéré comme un outil reconnu, fiable et pérenne sur lequel les professionnels s'appuyaient fortement pour promouvoir les économies d'énergie. La stabilité paraît l'un des critères de succès de ces dispositifs.
Il nous paraît également indispensable d'assurer la qualité des travaux aidés. Une polémique a pu naître sur l'idée que le crédit d'impôt avait pu inciter les particuliers à entreprendre des travaux qui finalement n'ont pas été réalisés dans de bonnes conditions. Le principe de conditionnalité des aides publiques à la qualification des entreprises, accepté par le Gouvernement l'année dernière, mais qui reste à traduire de manière opérationnelle, nous semble important.
C'est dans cet esprit que l'ADEME, avec le ministère de l'écologie, a mis en place l'année dernière la mention « Reconnu Grenelle environnement », qui permet de distinguer facilement les entreprises répondant à un certain nombre de critères de qualités : avoir suivi des formations, reçu une qualification par un organisme reconnu par le Comité français d'accréditation, le COFRAC, fait l'objet d'un contrôle sur site pour vérifier que les chantiers sont réalisés dans de bonnes conditions, etc. Tous ces critères nous paraissent importants pour l'image du crédit d'impôt.
Une question spécifique a été posée sur le captage du bénéfice des économies d'énergie par des intermédiaires. Nous ne pouvons que constater et regretter que, sur certaines filières - je pense en particulier au solaire thermique et aux pompes à chaleur -, alors que le marché s'est développé de façon très rapide, ce qui aurait dû entraîner une baisse des prix, la baisse dont les consommateurs finaux auraient dû bénéficier a profité à d'autres acteurs du dispositif. Cela a été particulièrement vrai à un moment pour les pompes à chaleur. L'interrogation demeure aujourd'hui sur le solaire thermique, ce qui nous amène à entreprendre un travail particulier sur cette filière en 2012.
Pour les particuliers, le système de certificat d'économie d'énergie nous semble un dispositif ayant fait ses preuves. La première période, entre 2006 et 2009, a permis de dépasser largement les objectifs qui avaient été fixés par les pouvoirs publics. On estime qu'aujourd'hui près de 70 % des objectifs de la seconde période qui va se terminer fin 2013 sont d'ores et déjà atteints. Les évaluations que nous avons pu réaliser sur la première période montrent un effet déclencheur important de ce dispositif, avec des coûts faibles.
En outre, un rapport vient d'être réalisé pour la direction générale énergie de la Commission européenne sur l'ensemble des dispositifs similaires en Europe. Il confirme que, dans tous les pays européens qui ont mis en place ce type de mesures, le bilan est positif. Les quantifications sont parfois très précises. Ainsi, dans le cas anglais, le système de certificats d'économie d'énergie mis en place a permis d'obtenir neuf fois plus de résultats que la simple augmentation des prix correspondante. Certes, le système a un coût faible, ce qui conduit à une augmentation faible des prix et si l'on avait simplement augmenté les prix, cela se serait aussi traduit par des économies d'énergie, mais le système de certificats d'économie d'énergie a un indéniable effet multiplicateur.
Dans aucun pays, les fournisseurs soumis au dispositif n'ont eu à payer de pénalités. C'est une réponse à la critique parfois avancée selon laquelle il s'agirait d'une taxe déguisée. Dans tous les pays, les fournisseurs ont pu atteindre leurs objectifs, au prix de transformations de leur modèle économique et de création de nouvelles activités de services et de conseils aux particuliers.
Une question spécifique a trait à la répartition des coûts et des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement. Sur ce sujet, l'ADEME a été associée par les ministères au travail qui a conduit à la mise en place de dispositions en vigueur depuis fin 2009 et qui, sur le principe, nous paraissent toujours pertinentes. Cependant, nous constatons qu'elles semblent avoir été peu utilisées et, pour notre part, nous ne disposons ni d'évaluation, ni d'un bilan réel de l'utilisation de ces dispositions, ni d'explications sur la faiblesse de leur utilisation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous parlez de l'utilisation par le propriétaire de ce dispositif et de sa répercussion sur le prix des loyers ?
Mme Virginie Schwarz . - Oui.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pourquoi cela ne marche-t-il pas très bien ? Que faudrait-il faire d'autre ?
Mme Virginie Schwarz . - Nous avons longtemps pensé que la question du partage des coûts entre le propriétaire et le locataire constituait l'un des freins majeurs à l'investissement dans les logements locatifs, et nous pensions l'avoir levée. Pourquoi cela n'a-t-il pas suffi à déclencher les travaux ? Les causes sont-elles encore ailleurs ? Sur ce sujet, nous ne disposons pas d'évaluation spécifique.
J'en viens à la réglementation thermique 2012, ou RT 2012. Je le dis de façon nette : toutes les études et concertations auxquelles nous avons participé, tous les travaux que nous avons reçus nous incitent à penser que la RT 2012 est équitable par rapport aux sources d'énergie, aussi équitable qu'une réglementation peut l'être. Un travail approfondi de quantifications et de scénarios a été mené pour vérifier que, sur chaque type de logements, une solution pouvait être trouvée avec chaque type d'énergie à un coût acceptable et qu'aucune énergie n'était systématiquement favorisée ou défavorisée. Des dérogations ont même été mises en place, lorsque des difficultés ont été constatées, par exemple sur les petits logements collectifs chauffés avec de l'eau chaude sanitaire électrique, pour lesquels il avait été constaté, lors des études, que les technologies étaient encore un peu chères. Une dérogation jusqu'à 2015 a été accordée de manière à rétablir l'équilibre entre les énergies. Il nous semble vraiment que le travail a été réalisé de façon équitable.
« Pensez-vous que la part du chauffage électrique en France est excessive ? » L'ADEME n'a aucune raison de le penser. Ses missions portent sur les économies d'énergie et les économies renouvelables dans le domaine de l'énergie. Aujourd'hui, avec cette réglementation thermique nouvelle, les exigences de performance énergétique qui sont imposées au chauffage électrique sont exactement identiques à celles des autres énergies. Dans la mesure où il s'agit d'une exigence en valeur absolue, on aboutit au même résultat.
Par conséquent, l'ADEME n'a aucune raison de préférer ou de moins aimer tel ou tel mode de chauffage, même si, bien sûr, elle comprend et entend les difficultés que peuvent rencontrer d'autres acteurs du système électrique sur l'impact sur les réseaux, sur la sensibilité thermique. Aujourd'hui, sur ce sujet, nous ne disposons pas d'éléments.
La seule raison qui pourrait conduire l'ADEME à s'interroger sur la place du chauffage électrique, c'est la question de la pointe. Aujourd'hui, aucune étude ne démontre très clairement que les émissions du chauffage électrique, en incluant ces questions de pointe, seraient très supérieures à celles du chauffage au gaz ; nous continuons à y travailler. À l'inverse, dans le cadre des travaux que nous menons sur les bilans de gaz à effet de serre, nous nous penchons sur le contenu carbone de l'électricité et le contenu par usage du chauffage électrique, différent du contenu moyen qui est calculé en tenant compte de la saisonnalité des usages. Le contenu carbone du chauffage électrique ne paraît pas très différent de celui du chauffage au gaz.
Nous disposons des chiffres de l'année 2010 sur la répartition des types de chauffage. Pour les résidences principales, la part du gaz est de 44 %, celle de l'électricité est de 33 %, celle du fioul est de 14,6 %, celle du chauffage urbain est de 4 %, celle du bois est de 3,6 %, celle du charbon est de 0,3 %. Ces études sont réalisées de manière régulière par le Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie, le CEREN, avec un financement de l'ADEME.
Nous suivons également de façon régulière l'évolution de la part des différentes solutions de chauffage dans le neuf. Le parc est une chose, mais le neuf en est une autre. On observe que, globalement, la part du chauffage électrique a eu tendance à décroître entre les années 1992-93 et 2003, atteignant à peu près 33 % dans les maisons, contre 44 % dans les appartements. Elle a fortement augmenté entre 2003 et 2007-2008, 73 % dans les maisons et 57 % dans les appartements. Depuis, elle a tendance à baisser légèrement. Ainsi, en 2010, elle est de 65 % dans les maisons neuves et de 49 % dans les appartements neufs. Dans les périodes les plus récentes, les pompes à chaleur représentent à peu près un tiers des installations dans les logements neufs.
En revanche, nous ne disposons pas de chiffres spécifiques sur les ménages précaires aujourd'hui. C'est l'un des objectifs assignés à l'Observatoire national de la précarité énergétique, qui a été mis en place l'année dernière avec les pouvoirs publics, les principales structures s'intéressant à la précarité et les énergéticiens : fournir davantage de données, rassembler celles qui existent et réaliser des enquêtes complémentaires pour nous transmettre des résultats.
Sur le chauffage électrique, je vais un petit peu plus loin que la question qui m'a été posée. Je vous ai communiqué les éléments dont nous disposions aujourd'hui. Sur la part du chauffage électrique, nous essayons aussi de savoir ce que pourrait être demain. Il nous semble qu'il existe quelques facteurs structurels qui font qu'à moyen et long termes le chauffage électrique, sous toutes ses formes, devrait conserver une place non négligeable. Cela est dû, bien sûr, à son coût d'investissement faible, mais aussi à sa capacité à offrir des solutions de très petite puissance.
Dans les logements dont les besoins de chauffage vont être très fortement réduits et dont la consommation va baisser, en particulier pour le neuf et pour l'ancien bien rénové, on cherchera des solutions offrant des très petites puissances ; par conséquent, les solutions qui présenteront des coûts d'investissement faibles seront privilégiées. Structurellement, cela peut militer en faveur du chauffage électrique.
Se pose également la question de la capacité à produire aussi du froid. On assiste à une demande croissante de climatisation, de solutions de rafraîchissement. La capacité de l'électricité à produire à la fois du chaud et du froid risque d'être un avantage compétitif dans les années à venir.
J'en viens maintenant aux énergies renouvelables. Parmi les principaux mécanismes de soutien, j'en citerai trois : l'obligation d'achat sous forme de tarif, les appels d'offres, le crédit d'impôt développement durable pour les particuliers.
De notre point de vue, en matière d'électricité, les tarifs d'achat restent la meilleure solution pour développer et diffuser une filière d'énergies renouvelables. Les expériences qui ont été menées en France comme ailleurs montrent que, pour créer une dynamique de développement, de croissance et de développement large d'une filière, le tarif d'achat semble la meilleure solution, pour ne pas dire la seule, en termes de volume comme de prix.
L'étude de la Commission européenne, réalisée en 2006, a notamment bien montré que, contrairement à ce que l'on peut parfois imaginer, les solutions d'appel d'offres ne conduisent pas à des coûts inférieurs aux solutions de tarif d'achat. Nous venons d'en avoir l'illustration en France : l'appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, sur le photovoltaïque, qui porte sur 120 mégawatts, vient d'être clos. Or l'offre ne permet d'en atteindre que la moitié. En outre, au regard des informations à notre disposition - il faudrait que la CRE le confirme -, le prix pour les lauréats serait de 229 euros le mégawattheure, alors que le tarif est à 213,7 euros le mégawattheure.
Cela étant, le tarif est un instrument de politique publique qui nécessite une régulation fine, des mécanismes d'ajustement des quantités, si l'on veut en contrôler les coûts. Ce fut le cas avec le photovoltaïque.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le « stop and go » !
Mme Virginie Schwarz . - Pour éviter les politiques de « stop and go », il faut pouvoir anticiper, définir des trajectoires et déterminer à l'avance des règles du jeu. Dans ce domaine aussi, la continuité des politiques et leur visibilité sont au moins aussi importantes que leur niveau.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Bien sûr !
Mme Virginie Schwarz . - Associées à la confiance que les tarifs d'achat permettent de donner aux investisseurs, elles sont l'une des clés du succès des tarifs d'achat. Des tarifs d'achat établis avec du « stop and go » finissent par ressembler à des appels d'offres, en tout cas par en avoir les défauts.
Je souhaite insister sur un point. Le tarif d'achat présente un double avantage. Il permet d'améliorer non seulement la rentabilité du projet, en lui apportant une aide financière, mais également l'accès au marché aux producteurs.
On le voit aujourd'hui avec le débat sur certaines productions amorties, par exemple l'hydraulique. Pour un producteur d'énergies renouvelables, il n'est pas nécessairement simple d'avoir accès au marché et de vendre son électricité, même si son coût de revient est compétitif : il est petit, son électricité est plus fluctuante que celle d'une importante centrale à gaz, il ne bénéficie pas forcément d'une image de professionnalisme auprès de certains clients. Par conséquent, même si son prix est intéressant, il aura du mal à trouver des clients. C'est là que le dispositif de tarif d'achat joue un double rôle : donner accès au marché et améliorer la rentabilité.
Il y a là matière à réflexion pour l'avenir. En effet, de plus en plus d'installations ne pourront légitimement plus bénéficier de subventions financières de l'État et il faudra trouver des solutions pour les aider à mettre leur électricité sur le marché. La directive européenne Énergies renouvelables a prévu un accès prioritaire au réseau des énergies renouvelables, sans que le sens donné à cette priorité soit toujours très clair. Il faudra peut-être y remédier.
Pour les énergies renouvelables, le crédit d'impôt a beaucoup été utilisé pour financer du photovoltaïque, avec un cumul avec le tarif d'achat qui, de notre point de vue, a parfois relevé de l'effet d'aubaine. L'ADEME l'a souvent souligné : cela s'est fait au détriment d'autres types d'installations d'énergies renouvelables, en particulier le bois ou le solaire thermique. Nous le regrettons, sachant que ces filières ne bénéficient pas, elles, de soutiens équivalents à ceux du tarif d'achat.
J'ajouterai un dernier mot sur la comparaison des différents dispositifs. Bien sûr, cette commission d'enquête s'intéresse à l'électricité et, sur les énergies renouvelables, les questions d'électricité et de chaleur sont toujours très liées. Par exemple, on s'interroge sur l'opportunité de faire reposer les coûts des énergies renouvelables électriques sur l'ensemble de la filière énergétique, mais on pourrait le faire aussi pour les énergies renouvelables thermiques qui bénéficient aujourd'hui du soutien du Fonds chaleur renouvelable grâce à un financement de l'État. Du coup, il a bien du mal à augmenter, ou même à ne pas baisser, et nous sommes loin des trajectoires qui avaient été imaginées par le Grenelle de l'environnement. Or, quand on compare le coût par tonne d'équivalent pétrole, ou TEP, renouvelable produite des deux dispositifs, on estime le coût à 20 euros par TEP sur les grands projets nationaux financés par le Fonds chaleur, contre 200 euros à 400 euros - dix à vingt fois plus - sur les appels d'offres biomasse de la CRE.
Sur la recherche et développement en matière d'énergies renouvelables, l'ADEME s'est fixé principalement trois axes de recherche : d'abord, la réduction des coûts et l'augmentation des rendements ; ensuite, tout ce qui favorise l'intégration dans le système électrique - prévisions, ressources, connaissance de la ressource, gestion de l'intermittence - ; enfin, la qualité environnementale des énergies renouvelables, par exemple le contenu carbone. Nous avons notamment montré l'écart entre le contenu carbone d'un panneau photovoltaïque produit en Chine et celui d'un panneau produit en France.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Et alors ?
Mme Virginie Schwarz . - On note un rapport de un à dix environ.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est-à-dire ?
Mme Virginie Schwarz . - Le panneau photovoltaïque produit en France a un contenu carbone sept à dix fois plus faible que celui qui est fabriqué en Chine, puisque l'électricité est très carbonée en Chine et qu'il faut beaucoup d'électricité pour produire un panneau photovoltaïque.
Voilà un de nos axes de recherche : essayer de baisser ces empreintes environnementales. Si les énergies renouvelables présentent beaucoup d'avantages, elles ne sont pas exemptes de défauts et nous essayons de les améliorer.
Le stockage et les smart grids sont également deux axes de recherche importants.
Pour l'ADEME, le stockage constitue un enjeu majeur en matière d'intégration des énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous explorons tous les types de solutions de stockage, mais aucune piste ne se dégage. Le coût reste une difficulté majeure pour envisager une intégration à grande échelle du stockage.
La question de la méthanation que vous avez soulevée, et qui est aujourd'hui mise en avant par Gaz de France, peut présenter un intérêt comme stockage d'électricité fatale. Cette question concerne davantage les Allemands, dont l'éolien produit parfois au-delà des besoins, que la France qui n'a pas pour l'instant énormément d'électricité fatale. Néanmoins, dans la mesure où la question pourrait se poser, nous examinons cette solution.
En matière de stockage, au-delà de la question de la recherche et des coûts, la question des tarifs d'utilisation des réseaux sera cruciale. Le tarif d'utilisation des réseaux de transport est aujourd'hui construit de telle manière que le recours à grande échelle au stockage devient quasiment impossible, puisque les coûts d'injection et de soutirage du réseau sont tout à fait insupportables dans un modèle économique de stockage. Sur ce point, nous sommes face à une véritable difficulté.
Je terminerai en évoquant le compteur Linky. L'ADEME n'a pas vocation à s'exprimer sur l'ensemble des fonctionnalités de ce compteur, qui apporte des services multiples au réseau électrique. Il devrait apporter certaines améliorations pour l'intégration des énergies renouvelables. En revanche, les fonctionnalités actuelles ne permettront pas, à elles seules, la réalisation d'économies d'énergie. Le dispositif compte, mais cela ne suffit pas. La question de l'information du consommateur et de l'interaction entre le compteur et le consommateur pour l'inciter à réduire sa consommation reste aujourd'hui ouverte.
L'ADEME continue de militer, puisque le sujet n'est pas clos, pour qu'à l'occasion du déploiement de Linky soit systématiquement et gratuitement proposée à chaque consommateur une solution d'information sur sa consommation en temps réel. Ce peut être recevoir un SMS, une information sur son téléviseur, avoir un afficheur déporté dans sa cuisine. Il existe aujourd'hui un éventail de solutions techniques et organisationnelles permettant de donner au consommateur cette information qui peut lui permettre d'agir pour réduire sa consommation d'énergie. Ce débat reste lancé dans d'autres pays et à l'échelon européen où la directive européenne « ESD » pourrait aller vers une exigence d'information du consommateur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie. Vous ne vous en êtes pas trop mal sortie : vous avez tout de même porté un jugement, répondant en cela à la demande du rapporteur, et ne vous êtes pas contentée de nous fournir des explications techniques.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions ou des informations complémentaires sur l'une des questions que vous avez posées ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pas pour l'instant, monsieur le président.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - J'ai deux questions.
Ma première question porte sur les déchets. On a construit beaucoup de panneaux photovoltaïques, on aura des éoliennes, etc. Comment réfléchissez-vous à cette problématique ? Comment peut-on en calculer l'impact dans la filière ?
Ma deuxième question concerne la fameuse filière photovoltaïque qui n'était pas construite en France. N'est-ce pas une leçon pour l'avenir ? Avant de lancer une filière et de la promouvoir, encore faut-il la construire. On l'a vu, et vous l'avez rappelé, les panneaux sont construits en Chine ou ailleurs et non en France. Pour les éoliennes, c'est un peu la même chose.
Mme Virginie Schwarz . - La question des déchets fait aujourd'hui l'objet d'un certain nombre de travaux, notamment sur le photovoltaïque, pour inciter les producteurs et les installateurs de panneaux à s'inscrire dans des démarches de recyclage. Une association européenne a été créée pour mettre en place la filière de récupération et de recyclage des panneaux photovoltaïques : il s'agit d'une filière facultative sur la base du volontariat. L'ADEME suggère la mise en place d'une filière obligatoire, qui viserait à élargir la responsabilité des producteurs et permettrait d'assurer un recyclage systématique.
Sur les éoliennes, certaines mesures se mettent en place. La quantité de terres rares dans les éoliennes fait qu'un certain nombre d'acteurs industriels voient un intérêt au recyclage des éoliennes et sont relativement actifs sur le sujet.
En matière de développement des énergies renouvelables, les pouvoirs publics poursuivent en général plusieurs objectifs à la fois : des objectifs environnementaux, notamment la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des objectifs d'indépendance énergétique et de sécurité d'approvisionnement et des objectifs de développement de l'emploi et d'activités économiques. Les deux premiers objectifs sont en général relativement indépendants de l'origine des matériels, sauf dans certains cas très particuliers comme les panneaux photovoltaïques chinois. Des mesures semblables à celles qu'ont mises en place les Italiens pour limiter leur soutien aux installations produites en Europe permettent d'éviter les impacts environnementaux les plus négatifs.
J'en viens à la question de l'emploi et de la valeur ajoutée. La construction des installations représente des parts de valeur ajoutée variables selon les filières, mais celles-ci sont en général loin d'être importantes.
Ainsi, dans le photovoltaïque, on estime que moins de la moitié de la valeur ajoutée est liée à la construction du panneau lui-même. En revanche, un certain nombre d'autres équipements techniques sont nécessaires, notamment des onduleurs, qui, pour une bonne part, sont produits en France. Il faut en outre tenir compte de l'activité d'installation et de maintenance des panneaux. Évidemment, nous préférerions que l'ensemble de la valeur ajoutée soit française, mais, malgré la part des importations dans la filière photovoltaïque ou dans la filière éolienne, les parts de valeur ajoutée en France sont importantes.
Pour les nouvelles filières, nous essayons de soutenir la création d'activités en France. Je pense en particulier aux énergies marines, qui font l'objet de soutiens importants dans le cadre des investissements d'avenir. Grâce au soutien des industriels français, on peut espérer créer de véritables filières nationales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la question des incitations financières et des captages des intermédiaires ? Vous avez pointé des abus sur les pompes à chaleur et peut-être encore aujourd'hui sur le solaire thermique. Que s'est-il passé ? Les installateurs ont-ils proposé des surcapacités par rapport aux besoins réels des particuliers ou y a-t-il eu de la triche dans les factures ?
Mme Virginie Schwarz . - Nous menons en 2012 une étude pour le savoir.
Nous constatons aujourd'hui que, à produit identique, le solaire thermique est quasiment deux fois plus cher en France qu'en Allemagne. Certes, il y a un effet de volume, mais cela n'explique pas tout.
Grâce aux mesures de crédit d'impôt, le marché des pompes à chaleur s'est beaucoup développé, passant de 20 000 machines à 170 000 machines. Or cela n'a quasiment eu aucun effet sur les prix. Quelquefois, cela peut s'expliquer par la hausse des matières premières. Mais, pour cette filière, rien ne justifie un tel constat.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous l'avez-vous-même rappelé, le succès des pompes à chaleur s'explique par la souplesse qu'elles offrent par rapport au chauffage électrique, puisqu'elles proposent à la fois du chaud et du froid.
Pourtant, on ne constate pas d'abus de la part des installateurs qui auraient proposé des pompes à chaleur trois fois plus puissantes que le besoin réel de la maison. En revanche, cela n'a pas eu d'effet économique, en entraînant une baisse de prix, c'est ce que vous reprochez.
Mme Virginie Schwarz . - En effet, il n'y a pas eu de baisse de prix, c'est le premier reproche que l'on peut formuler. Il est vrai que nous avons pu avoir connaissance de cas de surdimensionnements des installations, qu'il s'agisse des pompes à chaleur ou du solaire thermique, par rapport aux besoins. Pour l'instant, nous manquons d'éléments statistiques pour quantifier ces effets-là. J'espère que, d'ici à la fin de l'année, nous en aurons davantage.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je souhaite prolonger la question de M. le président sur le problème de la captation ou des prix. La non-répercussion de la baisse des coûts sur les prix concerne surtout la filière photovoltaïque. Sur le thermique, vous constatez une différence de prix. Est-ce parce que les fabricants français sont de moins en moins nombreux ou le même produit est-il vendu plus cher en France qu'en Allemagne ?
Mme Virginie Schwarz . - Nous nous fondons sur la moyenne des produits vendus en France par rapport à la moyenne des produits équivalents vendus en Allemagne. Certes, on compte assez peu de producteurs français. Pour autant, cette différence de prix ne nous semble pas pouvoir s'expliquer par le fait que les producteurs français seraient plus chers. C'est bien dans l'ensemble de la filière que l'on note des positionnements de prix différents.
Sur le photovoltaïque, on a constaté un déséquilibre entre les baisses des coûts de production et les prix qui sont restés soutenus par des tarifs d'achat élevés.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je souhaite obtenir une précision qui ne concerne pas directement les travaux que nous menons dans le cadre de cette commission d'enquête.
En matière de stockage d'énergie, vous avez affirmé que nos besoins étaient moins forts qu'en Allemagne. Ce pays, en particulier en raison de l'éolien, connaît des surproductions et il lui est donc utile de stocker l'énergie. Je comprends cet argument.
Vous avez également souligné que les réseaux de transport n'étaient pas adaptés au stockage d'énergie. Pouvez-vous nous apporter rapidement des explications sur le sujet ? Si c'est trop compliqué ou trop technique, peut-être y reviendrons-nous à un autre moment.
Mme Virginie Schwarz . - Je vais tenter d'être plus précise.
Ce que j'ai dit sur les Allemands portait spécifiquement sur la méthanation. Finalement, il s'agit d'une très bonne manière d'utiliser l'énergie fatale : au lieu de la stocker dans des batteries, on la transforme en métal. C'est un très bon mode de stockage quand on a de l'électricité fatale. Dans le cas contraire, c'est moins pertinent ; or, aujourd'hui, la France en a peu.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est donc moins utile.
Mme Virginie Schwarz . - Le stockage sera, en France comme en Allemagne, un enjeu important pour le développement des énergies renouvelables.
Aujourd'hui, le tarif d'utilisation des réseaux est conçu uniquement pour les producteurs ou les consommateurs : ils paient un tarif d'injection dans le réseau ou un tarif de soutirage. Par définition, celui qui gère une capacité de stockage passera son temps à injecter et à soutirer. Il paiera donc les deux composantes du tarif, ce qui fera peser sur lui une charge économique très importante par rapport aux autres utilisateurs du réseau.
Aujourd'hui, notre analyse est la suivante : avec ces caractéristiques du tarif d'achat, il est très difficile de trouver un modèle économique pour le stockage. La Commission de régulation de l'énergie en est bien consciente. Nous avons un débat avec elle sur ce sujet et il nous faut trouver des solutions, si l'on veut que le stockage puisse se développer.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie de cette précision.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pourriez-vous nous faire parvenir une information complémentaire concernant ces tarifs d'achat ? L'ADEME doit avoir un certain nombre d'éléments comparatifs sur les tarifs d'achat dans les autres pays européens. Pour nous, c'est intéressant, notamment pour comprendre l'évolution des tarifs.
Je m'explique. Nous souhaitons comprendre comment les pays qui ont aujourd'hui de l'avance sur nous en matière de solaire et d'éolien ont fait pour favoriser ces filières. Quels étaient les tarifs d'achat initiaux et au bout de combien de temps les efforts qu'ils ont déployés pour favoriser ces filières ont-ils diminué, puis cessé ? La même question se pose pour le photovoltaïque chez nos partenaires européens.
De telles informations seraient intéressantes pour nos travaux.
Mme Virginie Schwarz . - Je crains que nous n'ayons pas une vision complète de la question, mais nous vous ferons bien sûr parvenir les éléments dont nous disposons.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Schwarz, je vous remercie de nous avoir apporté ces précisions et d'avoir répondu à nos questions.
M. le rapporteur sera peut-être amené à vous entendre de nouveau, s'il souhaite obtenir quelques informations complémentaires. N'en soyez pas surprise.
Audition de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV)
( 4 avril 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - La suite de l'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie.
Comme vous le savez, notre commission a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons amenés à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire de vous auditionner, madame Mader, afin d'entendre le point de vue de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, la CLCV, sur le sujet qui nous intéresse.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à Mme Reine-Claude Mader, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Madame Mader, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( Mme Reine-Claude Mader prête serment .)
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler les questions qu'il vous a adressées à l'avance afin que vous puissiez préparer cette audition. Une fois que vous y aurez répondu, les membres de la commission d'enquête pourront être amenés à vous poser des questions complémentaires.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame Mader, voici quelles sont mes quatre questions.
Premièrement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, selon lequel les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Le niveau auquel a été fixé l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, soit 42 euros, vous semble-t-il satisfaisant ?
Deuxièmement, pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les consommateurs finaux ?
Troisièmement, selon vous, quelles seraient les conséquences sur la facture d'électricité des consommateurs, à court et moyen termes, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables - crédit d'impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro, etc. ?
Quatrièmement, l'évolution de la demande d'électricité en France ces dernières années s'est caractérisée par une augmentation importante - 25 % - de la demande de pointe. Quels moyens vous semblent à même de réduire cette demande de pointe ? Que pensez-vous d'une généralisation de la diversification des tarifs - y compris du tarif réglementé - selon l'heure et la période de l'année ? Quel jugement portez-vous sur le déploiement du « compteur intelligent » Linky et vous semble-t-il qu'il soit un moyen de réduire la demande de pointe ? La place qu'occupe dans notre pays le chauffage électrique vous semble-t-elle excessive ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à Mme Marie-Claude Mader.
Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie . - Pour dire si le tarif régulé de l'électricité est, ou non, satisfaisant, encore faut-il savoir comment il est calculé. En tant qu'association de consommateurs, nous travaillons beaucoup sur l'énergie, nous menons des recherches, mais il ne nous est pas nécessairement facile de connaître la manière dont sont effectués ces calculs. Ce qu'il faut savoir, c'est que l'évaluation de 42 euros a été faite à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes. Pour notre part, nous trouvons ce tarif élevé, mais, je le répète, nous n'avons pas vraiment la possibilité de procéder à notre propre calcul.
En revanche, nous trouvons beaucoup plus inquiétante l'annonce de M. de Ladoucette selon laquelle les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter de 30 % d'ici à 2016. Nous nous demandons sur quels éléments repose cette prévision. En particulier, s'agissant de l'électricité d'origine nucléaire, nous avons constaté, après étude, qu'un certain nombre de calculs avaient été établis sans que soient nécessairement prises en considération les conditions dans lesquelles l'industrie nucléaire s'est développée jusqu'à présent. Par conséquent, nous sommes très réservés à l'égard de cette prévision. Surtout, nous nous inquiétons fortement pour les consommateurs particuliers d'une telle perspective de hausse, car ceux-ci souffrent déjà beaucoup de l'augmentation des prix de l'énergie. C'est un véritable problème, car l'énergie est une dépense largement incompressible pour les ménages.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La deuxième question portait sur l'imputation aux agents économiques des différents coûts de l'électricité.
Mme Reine-Claude Mader . - Il faut distinguer les consommateurs industriels des consommateurs particuliers. Aux premiers, le kilowattheure est facturé 0,06 euro hors taxes ; aux seconds, il est facturé 0,1 euro hors taxes. Cette clé de répartition entre les consommateurs particuliers et les consommateurs industriels est sans doute discutable.
Pour l'instant, et j'insiste sur ce point, le consommateur particulier n'a absolument aucun pouvoir de négociation. Il subit les règles qui sont fixées au niveau politique par les producteurs et ne dispose que d'une faible marge de manoeuvre.
Quand il reçoit sa facture, le consommateur considère avant tout son montant global. Celui-ci englobe l'abonnement, dont le montant est fixe, mais dont personne ne sait vraiment ce qu'il recouvre, la consommation, dont la tarification donne lieu à différents modes de calcul, la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, ainsi que les autres taxes et contributions - taxes locales, TVA, contribution tarifaire d'acheminement.
En préparant cette audition, je discutais avec un certain nombre de représentants de notre association, lesquels avaient bien du mal à faire une distinction entre les contributions et les taxes. Pour eux, une contribution c'est une taxe, et vice-versa .
Véritablement, c'est ainsi que les consommateurs appréhendent le coût de l'électricité plutôt qu'à partir de son prix de production, de transport et de distribution. Ils ne disposent pas des éléments d'appréciation nécessaires.
Nous avons trouvé un certain nombre d'informations dans le rapport de la Cour des comptes, notamment, mais, pour tout vous dire, je me suis demandé ce que vous entendiez par « se voir adresser le bon signal-prix ». Est-ce tout simplement un signal-prix tel qu'il conduirait les consommateurs à réduire leur consommation ?
En réalité, les gens sont très attentifs à leur consommation énergétique et ont même réduit celle-ci beaucoup plus qu'on ne le croit, en raison des contraintes qui pèsent sur leur pouvoir d'achat. C'est ce qui apparaît en particulier lorsque l'on s'entretient avec des consommateurs qui se chauffent à l'électricité depuis un certain nombre d'années.
À plusieurs reprises, j'ai participé aux travaux du Grenelle de l'environnement et je suis toujours très surprise que l'on puisse considérer que c'est uniquement en jouant sur le prix qu'on va pouvoir influer sur le comportement des consommateurs. Certes, cela joue, mais il faut aussi tenir compte de tous les efforts qui ont été faits jusqu'à présent, surtout en faveur des consommateurs qui disposent de revenus faibles ou moyens.
Par ailleurs, quand les logements souffrent d'un défaut d'isolation, il n'est guère facile, d'un coup de baguette magique, de remédier à cette situation.
Nous pensons également que les consommateurs pourraient être beaucoup mieux informés qu'ils ne le sont actuellement. Cela leur permettrait parfois de ne pas porter des jugements à l'emporte-pièce.
S'agissant des économies d'énergie par rapport à un bon signal-prix, cette approche me paraît assez problématique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Si j'ai bien compris, pour la CLCV, il n'y a pas grand-chose à dire sur le fait que le consommateur paie la fourniture, le transport et la distribution de l'électricité. Tel qu'il a formulé sa question, M. le rapporteur voulait savoir, me semble-t-il, si votre association a un point de vue notamment sur la CSPE. Autrement dit, cet élément de la facture est-il, à vos yeux, trop important, normal, logique, illogique ? Monsieur le rapporteur, c'est ainsi que j'ai compris votre question.
M. Jean Desessard, rapporteur . - L'une de mes questions portait aussi sur les énergies renouvelables.
Mme Reine-Claude Mader . - La question des énergies renouvelables est très importante. Il n'est pas envisageable de penser que l'on pourra continuer à n'avoir qu'une seule source d'énergie principale, ce qui est le cas à l'heure actuelle. Par philosophie, la CLCV est favorable au développement des énergies renouvelables, mais elles sont incontestablement plus chères. En fait, il faudrait parvenir à un mix électrique permettant de satisfaire à l'obligation de diversification des sources d'énergie, mais à un coût supportable pour le consommateur.
Toute augmentation des prix de l'énergie est problématique pour les consommateurs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vos propos font la transition avec la question suivante.
Mme Reine-Claude Mader . - Comme je le disais à l'instant, la prévision qu'a faite M. de Ladoucette d'une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 ne manque pas de nous inquiéter. Cela nous a conduits à réfléchir. Les centrales nucléaires devront être remplacées ou bien voir leur sécurité améliorée, pour certaines d'entre elles. Je ne parle même pas de leur entretien courant. On sait déjà que ces opérations seront très coûteuses.
Par exemple, j'ai eu l'occasion d'étudier les contrats que passent les particuliers pour revendre le surplus de l'électricité photovoltaïque qu'ils produisent eux-mêmes. D'un côté, ils sont contents de pouvoir revendre celle-ci à un prix plus important que le prix du kilowattheure qu'ils achètent. Cela fait quand même réfléchir. D'un autre côté, cette contrainte de disposer de plusieurs sources de production donne le sentiment d'un cercle infernal dont on ne sait pas vraiment comment s'extraire.
Par ailleurs, toujours en préparant cette audition, je me suis penchée sur la question des concessions de centrales hydrauliques qui arrivent à terme et qui vont devoir être renouvelées. Dans quelles conditions vont-elles l'être ? Dans quel cadre ?
Tous ces bouleversements dans le domaine de l'énergie ne peuvent que susciter des inquiétudes ; on ne sait pas quelles seront les répercussions sur les tarifs, qui sont extrêmement bas.
En travaillant avec mes homologues des autres associations européennes, je me suis rendu compte que, nous autres Français, nous avons été gâtés jusqu'à présent. Quand j'observe le prix de l'électricité dans les autres pays, je me demande comment nous allons pouvoir continuer à pratiquer un tel prix chez nous. Personnellement, je suis très inquiète.
S'agissant des dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables - le crédit d'impôt développement durable, l'éco-prêt à taux zéro, etc. -, ils sont absolument indispensables si l'on veut progresser dans ce domaine. C'est tout à fait clair. En l'absence de tels dispositifs, certaines des personnes que nous rencontrons dans notre association ne se seraient pas lancées dans le photovoltaïque et un certain nombre de recherches portant sur les économies d'énergie n'auraient pas été engagées. Si l'on veut faire évoluer le mix électrique, il faut que les particuliers qui désirent diversifier l'origine de l'énergie qu'ils consomment soient aidés par la collectivité. À défaut, la situation sera totalement bloquée.
Très peu de gens, moins encore ceux qui ne disposent que de peu de moyens, peuvent sauter le pas et changer leur source d'énergie. C'est pourquoi, dans l'optique du Grenelle de l'environnement, les dispositifs fiscaux sont très importants.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La dernière question portait notamment sur la demande de pointe d'électricité. La CLCV a-t-elle pris position sur ce sujet ?
Mme Reine-Claude Mader . - Vous évoquez la possibilité, actuellement à l'étude, de fixer des tarifs différents selon l'heure et la période de l'année, y compris pour les tarifs réglementés - cette question rejoint celle du signal-prix. Dans cette hypothèse, comment procéder ? Les personnes qui se chauffent à l'électricité voient leurs factures d'électricité inégalement réparties au cours de l'année - la consommation est évidemment plus forte en hiver qu'en été. Aussi, si l'on devait diversifier les tarifs en fonction des heures et des périodes de l'année, il faudrait véritablement s'en donner les moyens.
À cet égard - et c'est votre deuxième question -, le compteur Linky est-il la solution ?
Nous portons un regard intéressé sur Linky, parce que nous pensons que les compteurs intelligents sont une nécessité. Néanmoins, Linky appartient à la première génération de ces compteurs, et il ne nous paraît pas opportun d'en équiper dès à présent l'ensemble des foyers. En fait, nous avons l'impression qu'il s'agit plus d'un choix industriel que d'un choix définitif. De fait, les industriels travaillent actuellement à l'élaboration de compteurs ou de systèmes de comptage beaucoup plus performants que Linky.
Cette comparaison va peut-être vous faire sourire, mais il ne faudrait pas que nous revivions l'épisode du Minitel, qui, s'il a été un très bon outil, a néanmoins bloqué pendant un certain temps l'arrivée de l'informatique dans les foyers. Aussi, ne serait-il pas préférable d'attendre l'arrivée de compteurs plus performants ?
Cela dit, le principe d'une diversification des tarifs ne nous choque pas a priori , à condition qu'elle soit menée intelligemment et qu'on se donne les moyens de la faire respecter.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Position très précise !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pouvez-vous nous dire un mot sur le chauffage électrique ?
Mme Reine-Claude Mader . - Au-delà du chauffage électrique, il faut considérer le chauffage en général.
Actuellement, certaines personnes s'interrogent sur le maintien du chauffage électrique dans leur habitation. Toutefois, les maisons ont été conçues pour être chauffées à l'électricité, non seulement en raison de leur mode d'isolation, mais encore parce qu'elles ont été équipées à cet effet de radiateurs ou d'autres appareils. Par conséquent, cette période au cours de laquelle on a vendu du chauffage électrique au consommateur est plus ou moins révolue ; désormais, les gens « se jettent » beaucoup moins sur le chauffage électrique. C'est une bonne chose, car il existe d'autres sources de chauffage.
Cela étant, la CLCV ne porte pas un jugement particulier sur la période au cours de laquelle on a « placé » du chauffage électrique. Maintenant, il faut tourner la page et tendre vers une diversification des sources de chauffage. Mais c'est très difficile. En effet, autant le chauffage électrique peut être déployé sur l'ensemble du territoire national, autant les autres solutions dépendent des lieux d'habitation.
Étant une association nationale, nous constatons que les personnes qui sont sensibilisées aux problèmes de développement durable ne choisissent pas les mêmes options selon l'endroit où elles vivent ; les solutions diffèrent avec la situation géographique. Ceux de nos membres qui résident dans une région forestière s'équiperont plutôt en chaudières à bois, tandis que d'autres opteront pour les pompes à chaleur.
À la CLCV, le débat est libre. Les tenants du chauffage électrique soulignent son côté extrêmement pratique et son installation peu onéreuse. C'est la raison pour laquelle ce mode de chauffage gardera toujours des partisans ; bien géré, il demeure très intéressant.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Merci, madame la présidente. Plusieurs de mes collègues souhaitent maintenant vous poser quelques questions ou vous demander des précisions.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - Madame la présidente, je voudrais vous poser trois questions au sujet des précaires énergétiques.
Premièrement, sachant que certaines personnes disposent de deux modes de chauffage ou sont équipées en réseaux de chaleur, serait-il pertinent, selon vous, de coupler les aides à l'énergie en ne dissociant plus l'énergie électrique de l'énergie au gaz ou au fioul - même si la prime à la cuve a disparu -, au profit d'une aide globale à l'énergie ?
Deuxièmement, vous semblerait-il pertinent, comme l'a proposé le Médiateur national de l'énergie, que cette aide prenne la forme d'un « chèque énergie » distribué par les caisses d'allocations familiales ?
Troisièmement, êtes-vous favorable à l'interdiction des coupures d'énergie sur la totalité de l'année et non pas seulement pendant la période hivernale ?
Mme Reine-Claude Mader . - La CLCV étant très implantée dans les quartiers d'habitat social, elle est souvent sollicitée par des consommateurs en difficulté. Ce sont donc des sujets sur lesquels, malheureusement, nous avons dû beaucoup travailler.
S'agissant des coupures, c'est simple, nous avons pris position récemment sur cette question : nous y sommes catégoriquement opposés. Nous ne voulons pas encourager les gens à se soustraire à leurs obligations, mais ces coupures ne nous paraissent pas justifiées. On n'imagine pas, aujourd'hui, qu'un foyer vive sans eau, sans électricité, voire sans téléphone, autant de services qui peuvent être considérés comme essentiels. Au-delà de notre propre association, cette position est également défendue, autant que je peux en juger, par l'ensemble des associations européennes de lutte contre la précarité.
En outre, il me paraît justifié de regrouper les aides à l'énergie en une seule aide. Cela relève du bon sens. Par exemple, un certain nombre de personnes vivant en milieu rural n'ont pas accès au gaz de ville et ne disposent pas de chauffage électrique. La seule solution, pour elles, c'est le gaz liquide, et, à ma connaissance, il n'existe aucune aide pour ce type d'énergie. De fait, on ne voit pas très bien pourquoi telle ou telle catégorie serait aidée plus que d'autres.
J'en viens maintenant à votre question sur le « chèque énergie ». En France, il existe énormément d'aides, dans tous les domaines. Alors que je travaillais sur le surendettement, je me rappelle m'être entendu dire un jour par un représentant du ministère des affaires sociales qu'il en existait 133 au total. Évidemment, personne n'est capable de toutes les citer !
Ces aides sont connues, mais elles ne sont pas demandées. Les initiatives visant à faire des caisses d'allocations familiales le référent unique nous paraissent bonnes. Ces caisses ont d'ailleurs fait beaucoup d'efforts, dans différents domaines, puisqu'elles contactent désormais un certain nombre de personnes éligibles à ces aides pour leur signifier leurs droits.
Le fait de centraliser en un lieu unique la distribution des aides auxquelles ont droit les personnes en situation de précarité est certainement une très bonne chose. Actuellement, certaines font valoir leurs droits, d'autres pas.
Que cette aide à l'énergie prenne la forme d'un « chèque énergie », pourquoi pas, mais, pour notre part, nous pensons qu'il est possible d'être plus ambitieux. Selon nous, il vaudrait mieux mettre sur pied un système privilégiant une politique plus globale à l'égard des personnes en situation de précarité plutôt que de multiplier les aides.
La CLCV a formulé un certain nombre de propositions dans ce sens. Par exemple, nous suggérons que les premières unités de consommation soient fixées à un prix très faible de manière que chacun puisse y accéder. Ensuite, le prix de ces unités augmenterait graduellement de manière à ce que les personnes qui le peuvent paient un prix normal.
Notre philosophie est la suivante : nous n'aimons pas beaucoup ce qui stigmatise les gens. C'est pourquoi placer les caisses d'allocations familiales au centre du dispositif nous paraît être une bonne chose dans la mesure où cela permet d'éviter aux personnes ayant droit à ces aides de venir les demander. Actuellement, la vie est très dure pour bien des personnes et un certain nombre d'entre elles passent beaucoup de temps pour faire respecter leurs droits, tout simplement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol . - Madame Mader, je vous poserai deux questions.
Tout d'abord, quelle est la position de votre association sur la tarification progressive ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Cette question a déjà été abordée.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Certes, mais Mme Rossignol a le droit de demander un complément d'information !
Mme Laurence Rossignol . - Ensuite, vous avez dit tout à l'heure que vous restiez dubitative quant à l'efficacité du signal-prix. Considérez-vous néanmoins que, si l'on met à part le cas des familles en situation de précarité énergétique, la consommation d'électricité, dans le reste de la population, est supérieure à ce que pourrait être une consommation rationnelle, raisonnable ? En d'autres termes, pensez-vous qu'il y a du gaspillage en matière d'électricité ? Quel moyen serait susceptible d'y remédier, si ce n'est le signal-prix ?
Mme Reine-Claude Mader . - J'ai évoqué très rapidement la tarification progressive tout à l'heure.
Comme je l'expliquais, nous proposons que les premières unités de consommation d'eau ou d'énergie, par exemple, soient facturées aux ménages à un prix très faible. Évidemment, il conviendra d'étudier les modalités de mise en oeuvre de cette proposition.
Nous proposons ensuite que, selon la composition du ménage, on évalue le nombre d'unités qui lui seraient facturées pratiquement à prix coûtant. Ensuite, ce prix unitaire augmenterait en fonction des capacités financières des personnes.
Pour prendre l'exemple de l'eau, celui qui remplit sa piscine peut a priori payer son eau beaucoup plus cher que celui qui ne s'en sert que pour sa consommation familiale et ménagère.
Un certain nombre de personnes travaillent sur la faisabilité de notre système.
Deux points demeurent en suspens : les taxes et les contributions diverses, d'une part, ce que recouvre l'abonnement, d'autre part.
L'abonnement est-il la contrepartie d'un droit de raccordement au réseau ? Couvre-t-il son entretien ? Selon la réponse qu'on apporte à ces questions, selon ce qu'on intègre dans ces coûts, la détermination du prix coûtant s'en trouvera modifiée. En effet, il faudra considérer non pas simplement le prix de l'électricité, mais également celui des tuyaux.
À ma connaissance, personne, à ce jour, n'a procédé à ce calcul. Notre association l'a fait, mais celui-ci est forcément aléatoire, car nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires.
J'en viens au signal-prix, auquel je suis extrêmement sensible. Bien évidemment, on consomme moins un produit cher. Cependant, certaines consommations sont obligatoires. Je prendrai l'essence à titre d'exemple. D'aucuns soutiennent que, avec le signal-prix, nos concitoyens consommeront moins d'essence. Or certaines personnes sont « coincées » : habitant en province et n'ayant pas la possibilité d'avoir recours au covoiturage, elles sont obligées d'avoir une ou deux voitures pour se rendre à leur travail.
Pour en revenir à l'électricité, qu'en est-il du signal-prix ? Quid de la personne qui habite une maison mal isolée et utilise beaucoup d'électricité pour la chauffer ? Certes, parallèlement, des mesures fiscales peuvent lui permettre d'entreprendre des travaux. Mais les sommes engagées ne seront amorties qu'au terme d'une longue période.
Le calcul a été effectué à propos d'une machine à laver. Il faut se servir d'une machine à laver haut de gamme, qui dispose d'un certain nombre de fonctions et consomme moins, pendant douze ans pour récupérer le prix d'achat. Par conséquent, à l'heure actuelle, malgré les aides offertes, les personnes à pouvoir d'achat contraint n'ont pas réellement les moyens de choisir.
La responsabilité des consommateurs est souvent évoquée. Étant présidente de l'une de leurs associations, je vais être franche avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Je ne nie pas leur responsabilité, mais n'oublions pas celle des personnes qui mettent sur le marché les produits. Si des recherches ne sont pas entreprises, si de nouvelles techniques ne sont pas développées, le comportement des consommateurs demeurera « irresponsable ».
On ne peut pas critiquer quelqu'un qui utilise une machine à laver qui coûte cher mais qui consommera moins, alors qu'il en existe sur le marché à 200 euros. On ne peut pas demander aux gens de se priver de chauffage ou d'énergie alors que leur maison est une « passoire énergétique ».
Un consensus doit se dégager afin de rechercher une diminution de la consommation des ménages. Un conseil tout bête est d'ores et déjà donné : ne pas laisser les appareils en veille. Mais encore faudrait-il que tous les produits disposent de la fonction adéquate !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je souhaite obtenir quelques précisions à propos du compteur intelligent Linky. Madame Mader, votre association a-t-elle été consultée en amont ? Avez-vous fait des propositions ? Si tel est le cas, quelles sont-elles ? Par ailleurs, de quelles informations dispose le consommateur ? On le sait également, il suffirait d'installations automatisées qui couperaient le courant en cas de non-utilisation. Or un tel dispositif n'est pas prévu en l'espèce.
Mme Reine-Claude Mader . - Les consultations des consommateurs interviennent toujours au dernier stade ; l'étape industrielle est déjà franchie ; l'appareil a été conçu par des techniciens compétents la plupart du temps. Or les associations de consommateurs sont souvent plus à même d'apprécier l'utilisation, le caractère pratique d'un produit.
Pour ce qui concerne le compteur Linky, nous avons été informés de son existence et de son installation à tel ou tel endroit dans le cadre d'expérimentations. Nous avons alors procédé à nos propres recherches afin de savoir si des matériels autres et plus pratiques d'utilisation existaient. Puis nous avons repris contact avec les décideurs en la matière et leur avons fait connaître notre point de vue. Mais notre rôle s'est limité à cela.
M. Ladislas Poniatowski, président . - À la suite de l'expérimentation réalisée à Lyon en milieu urbain et en Indre-et-Loire en milieu rural, la CLCV a été invitée à assister aux différentes réunions du comité de suivi de l'expérimentation du compteur Linky, tout comme les industriels, les fournisseurs et les autres associations de consommateurs.
Mme Reine-Claude Mader . - Tout à fait, monsieur le président. Mais nous aurions dû être consultés plus en amont.
Certes, les associations de consommateurs ne disposent pas forcément de la technologie ou de l'expertise nécessaires, mais leurs interrogations pratiques permettent souvent de soulever un certain nombre de questions.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il me semblait que les représentants de la CLCV étaient présents lors de l'expérimentation effectuée en Touraine.
Mme Reine-Claude Mader . - Je ne le nie absolument pas, monsieur le président.
À partir du moment où des expérimentations ont été réalisées, nous avons pu comprendre comment le système fonctionnait. Nous avons alors formulé un certain nombre d'observations. Or malgré cela, on nous a annoncé l'extension de l'installation du compteur Linky.
Les appareils de comptage de ce type nous paraissent intéressants. Mais, à l'échelon national, la CLCV a l'impression d'avoir assisté in situ à l'expérimentation d'un modèle industriel qui sera vendu à d'autres pays sans qu'il soit tenu compte, afin d'améliorer le matériel, de l'existence, dans les cartons, d'autres outils qui seront performants.
La question se pose de savoir s'il faut équiper les foyers du compteur Linky puis mettre à leur disposition ultérieurement un autre matériel. Au final, qui va payer ? Les consommateurs n'ont pas à financer les différents systèmes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Sauf erreur de ma part, ERDF nous a dit que le compteur ne serait pas à la charge des consommateurs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Selon le montage proposé, ERDF emprunte et garantit de trouver un accord dont il sera pris acte demain matin, lors du conseil d'administration de la FNCCR, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Ce seront les économies réalisées qui permettront de financer le dispositif.
Pour le moment, on commence avec le compteur Linky de première génération. Des travaux sont d'ores et déjà menés sur un compteur de deuxième génération. Alors que 17 millions de compteurs seront à terme installés, le premier appel d'offres va porter sur 5 ou 6 millions de compteurs. Lorsque la deuxième génération de compteurs sera plus performante et plus intéressante non seulement pour le fournisseur, mais aussi pour le consommateur, il est fort probable que les compteurs posés par la suite seront différents.
La décision a cependant été prise de mettre en place un compteur qui est performant, mais pas assez, je crois que vous avez raison, madame Mader.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le compteur est performant pour fournir des informations au producteur, notamment sur la pointe.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Les associations de consommateurs ont été, à juste titre, très exigeantes. Elles se sont demandé à quoi servait le dispositif si les consommateurs ne pouvaient pas disposer chez eux de plus d'informations.
Le premier compteur Linky est déjà une très bonne chose. Mais il est peut-être dommage de ne pas attendre d'avoir un compteur plus performant pour aller plus loin. Pour ma part, je vous l'avoue, j'étais partisan de lancer l'opération dès maintenant et de l'ajuster au fur et à mesure. Mais je le reconnais, ce point peut faire l'objet d'un vrai débat. Les associations de consommateurs, dont la CLCV, se sont prononcées pour la mise en oeuvre, mais dans l'attente de la deuxième génération de compteurs.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je comprends votre position, madame : s'il y a quelqu'un d'intelligent dans l'appartement, autant en profiter - je parlais du compteur, bien entendu. ( Sourires .)
S'agissant des investissements destinés à renforcer l'efficacité énergétique et à réduire les coûts de l'énergie, vous avez souligné que le signal-prix avait un effet parfois éloigné dans le temps - douze ans pour une machine à laver - et que de nombreux foyers ne pouvaient pas se permettre d'investir. Malgré tout, il faut bien réaliser des investissements. Dans ces conditions, que pensez-vous de la répartition entre propriétaires et locataires ? Le propriétaire doit-il répercuter sur le loyer des investissements faisant réaliser des économies au locataire ? Est-ce plutôt au locataire d'investir en bénéficiant d'une pause dans le paiement du loyer ? Quel modèle préconiseriez-vous en matière d'investissements pour la maîtrise de l'énergie et l'efficacité énergétique ?
Mme Reine-Claude Mader . - Comme vous le savez, un décret fixe les charges qui sont imputables au locataire et celles qui incombent au propriétaire. Les associations comme la mienne, qui couvrent tous les aspects de la vie quotidienne, sont extrêmement réticentes à toute modification de ce fameux décret. Elles craignent que, si nous ouvrons la boîte de Pandore, de nouveaux postes ne soient intégrés dans les charges.
Les propriétaires, ne l'oublions pas, valorisent leur bien. Je rappelle que 52 % des Français sont propriétaires de leur logement. Une juste répartition des charges entre les uns et les autres serait acceptable. Cela étant, les discussions sont toujours très difficiles.
Dans ce genre de situation, je suis personnellement très sensible à la présence de deux parties : la partie forte, le propriétaire en l'occurrence, et la partie plus faible, le locataire, qui subit. Quelles règles convient-il d'édicter pour parvenir à un juste équilibre, en sachant que certaines personnes sont dans des situations si difficiles qu'elles sont incapables de payer ? Si elles y sont obligées, elles contribueront, mais cela leur posera un véritable problème. Le décret « charges » opère bien la différence entre l'installation et les « fluides ». Si le locataire réalise des économies d'électricité, par exemple, une participation « honnête » ne me paraît pas devoir être bannie absolument.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quelle est votre position s'agissant de travaux d'isolation, par exemple, qui occasionnent une moindre consommation ?
Mme Reine-Claude Mader . - Les travaux d'isolation coûtent extrêmement cher. Jusqu'à présent, en particulier dans le parc social, ce sont les propriétaires qui assument les frais de rénovation. C'est également une question de prix du patrimoine : il ne faudrait pas non plus mettre à la charge des uns ce qui revient aux autres dans un second temps ; il faut être équitable.
La question qu'il faut vraiment prendre en considération est la suivante : à qui bénéficient réellement les investissements ? Certains investissements profitent très directement au locataire, d'autres tout autant, voire plus, au propriétaire. Il faut en tirer les conclusions.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, vos interrogations sont-elles satisfaites ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'ai la position de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la CLCV.
Mme Reine-Claude Mader . - C'est la position de notre organisation. J'ajoute que la CLCV travaille beaucoup sur la question de l'énergie, qui représente une part importante du budget des ménages.
Il faut trouver un consensus entre les locataires, les utilisateurs de matériels et ceux qui les mettent sur le marché. Nous soutenons particulièrement toutes les initiatives en matière de recherche et investissements. Nous considérons que la recherche nous permettra d'employer moins d'énergie dans les années qui viennent. Nous sommes très sensibles aux questions de développement durable et nous considérons que d'importants progrès sont encore possibles.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme
(4 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - La suite de notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme.
Je rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Monsieur Faraco, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Benoît Faraco prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Faraco, le rapporteur de notre commission, M. Jean Desessard, vous a adressé les questions qu'il souhaitait vous poser de manière à vous permettre d'entrer directement dans le vif du sujet ; il va les rappeler afin qu'elles figurent dans l'enregistrement de l'audition. Je vous demanderai, bien sûr, d'y répondre, en tenant cependant compte du fait qu'il nous faut garder un peu de temps pour les questions complémentaires tant de M. le rapporteur que de l'ensemble des membres de la commission.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Faraco, je vous ai adressé six questions.
Première question : de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France et quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?
Deuxième question : la France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes et/ou investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs, EPR et réacteurs de quatrième génération ?
Troisième question : quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Quatrième question : pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer et à combien chiffrez-vous - si vous êtes en mesure de le faire - cet investissement ?
Cinquième question : le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Sixième question : quelles actions convient-il prioritairement de mener selon vous, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Benoît Faraco.
M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme . - Je me propose de respecter l'ordre du questionnaire, même s'il m'aurait semblé intéressant - je le dis en préalable - d'inverser cet ordre. La position de la Fondation consiste en effet à considérer qu'avant de parler des éléments de production d'énergie, et notamment d'électricité, il est légitime de s'interroger sur nos besoins. Cette analyse conduirait à commencer par la sixième question, mais je vais jouer le jeu et donc répondre d'abord à la première.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Faites comme vous voulez !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Si vous estimez nécessaire pour votre démonstration d'inverser l'ordre, n'hésitez en effet pas à le faire.
M. Benoît Faraco . - Je vais profiter de cette possibilité pour dire que nous estimons - c'est notre point de départ - qu'en France, s'agissant des consommations d'électricité, les questions relatives à l'offre et à la demande sont analysées un peu trop séparément : en général, on suit une logique, que traduit notamment la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui amène à « décorréler » la réflexion sur l'offre de la réflexion sur la demande.
Pour la Fondation, qui se place dans la perspective de la lutte contre le changement climatique tout en prenant en compte la dimension sociale des enjeux tarifaires de l'énergie, en particulier de l'électricité, il est au contraire intéressant de commencer par une réflexion sur la demande et sur nos besoins.
J'entrerai par la suite dans le détail pour justifier les différents éléments de notre réflexion. Je souligne d'emblée que la philosophie qui est derrière celle-ci se fonde d'abord sur des raisons tenant aux contraintes climatiques : même si elle est faiblement carbonée en France, l'électricité contribue aux émissions de gaz à effet de serre, du fait notamment des centrales à gaz ou à charbon qui continuent à fonctionner, émissions particulièrement importantes au moment de la pointe électrique.
Elle est en outre liée, puisque nous sommes sur la plaque européenne, au contexte européen.
D'une part, les émissions de gaz à effet de serre sont problématiques en Europe, dans la mesure où la production d'électricité en représente, grosso modo, de 30 % à 40 %.
D'autre part, il est légitime de s'interroger, s'agissant notamment des moyens de production thermique à base de charbon et de gaz, sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans un contexte où les indicateurs à notre disposition témoignent d'un accroissement des importations aussi bien de gaz que de charbon en même temps que d'un plafonnement de la production européenne de gaz, la situation étant à peu près stable pour le charbon.
La dépendance énergétique aux importations s'accroît donc dans le temps. Pour la France, on atteint des taux de plus de 95 % pour le gaz et de pratiquement 100 % pour le charbon, puisque nous n'avons plus de mines.
Ce sont ces paramètres qui nous conduisent à considérer que la priorité absolue doit être accordée à la réduction des consommations : c'est à ce niveau qu'il faut se placer pour être ensuite capables de gérer l'offre énergétique à même de répondre à nos besoins.
Nous avons coutume de dire dans la sphère écologique que la meilleure énergie, à la fois la moins chère et la moins polluante, est celle qui n'est pas consommée, adage qui me paraît fondamental pour les politiques publiques, notamment lorsque l'on s'intéresse aux impacts socio-économiques d'une énergie dont on voit le coût croître au fil du temps.
Ce préalable, sur lequel je pourrai revenir lors des questions suivantes s'il s'agit d'un aspect qui vous intéresse, est à notre sens profondément structurant pour l'ensemble des politiques publiques dans un contexte où il y a, me semble-t-il, un consensus assez fort sur les perspectives d'évolution du prix de l'énergie, et notamment de l'électricité. En France, où l'on paie l'électricité de 30 % à 50 % moins cher que chez nos voisins européens, il y a en tout cas un constat partagé.
Cela me ramène à la première question que vous m'avez adressée, qui porte sur le prix pour les consommateurs et le coût de production de l'électricité, sujet qui appelle selon nous deux grandes interrogations.
En premier lieu, la pratique actuelle des tarifs réglementés pour les consommateurs, en tout cas pour les 80 % de clients particuliers à qui est encore appliquée une forme de tarif réglementé, ne nous semble pas permettre au régulateur, et donc à l'État, de répercuter la hausse des coûts.
On a aujourd'hui le sentiment que la question des tarifs appliqués aux consommateurs d'électricité est plus un sujet de débat politique qu'un sujet de débat économique. La préférence va à la satisfaction d'une demande sociale, par ailleurs complètement légitime au regard du nombre de ménages en situation de précarité énergétique. Il y a donc une tendance à la perpétuation des tarifs réglementés qui a pour effet de décorréler le prix final du coût global.
Or on sait que ce coût va augmenter, pour les raisons que je rappelais, notamment l'épuisement ou l'appauvrissement des ressources fossiles, du fait des tensions géopolitiques, mais aussi parce que de nouveaux investissements sont nécessaires, notre parc thermique classique, qu'il soit nucléaire ou fossile, étant en fin de vie.
Je rappelle à cet égard que, selon le rapport de RTE, entre 30 % et 50 % de nos centrales à charbon fonctionnent actuellement sous un régime dérogatoire par rapport aux normes relatives à la pollution atmosphérique fixées par l'Union européenne, régime que l'on a choisi de leur accorder tant pour des motifs économiques, d'investissement, qu'en raison de la présence physique des unités de production concernées sur notre territoire.
Le coût réel de production va donc sans doute augmenter trop vite pour que le politique et le régulateur puissent répercuter la hausse sur le grand public, voire sur les entreprises.
En second lieu, un autre facteur joue dans le sens de la « décorrélation » entre les coûts de production et les prix aux consommateurs, à savoir la prise en compte des externalités environnementales dans les coûts.
C'est problématique dans la mesure où la pratique des tarifs réglementés revient à fixer à l'avance des prix dans lesquels EDF ne peut pas répercuter certaines de ces externalités environnementales, notamment le coût de la tonne de CO 2 . Il s'agit en effet d'un coût variable, fixé dans le temps sur le marché européen en fonction des volumes disponibles, des quantités allouées et des perspectives de régulation climatique internationale.
Or il s'agit là d'une composante essentielle pour la Fondation, qui plaide à la fois pour le développement d'une fiscalité écologique et pour l'instauration d'un « signal-prix » aux consommateurs, car le fait que l'opérateur historique, qui contrôle une grosse partie du marché, ne soit pas en capacité de traduire un tel coût environnemental dans le prix final aux consommateurs a pour effet d'atténuer l'efficacité de la réglementation européenne sur les quotas d'émissions.
En résumé, les tarifs de l'électricité ne nous semblent pas refléter fidèlement son coût réel.
S'agissant de la seconde partie de la première question, à savoir ce que devrait être, à nos yeux, l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, je m'autoriserai à vous demander une précision. Souhaitez-vous plutôt une perspective ?...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous évoquiez à l'instant les coûts économiques réels ; en poursuivant votre raisonnement, vous devriez « rattraper » cette question.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pensez-vous, par exemple, que le prix de l'électricité va augmenter ?
M. Benoît Faraco . - Pour nous, il est évident que le prix de l'électricité va augmenter, et cela pour deux raisons principales que je rappelle : d'une part, l'épuisement des ressources finies, notamment le pétrole et le gaz, qui constituent une composante importante du coût de cette énergie ; d'autre part, le vieillissement du parc de production et donc les investissements nécessaires, que ce soit pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ou pour le recours aux énergies renouvelables, qui entraînent, par rapport à des sources plus conventionnelles, des surcoûts que l'on connaît aujourd'hui, notamment pour l'éolien offshore et le solaire photovoltaïque.
À l'échelle européenne, un troisième paramètre, à l'introduction duquel nous sommes totalement favorables, devrait tendre à faire augmenter le prix de l'énergie : les régulations environnementales.
Si l'Europe souhaite atteindre le fameux objectif de la limitation à 2 degrés du réchauffement qu'elle s'est fixé à Copenhague, elle devra s'attaquer à ce secteur important de la production d'émissions de gaz à effet de serre qu'est la production d'électricité et donc faire payer la tonne de CO 2 nettement plus cher.
Aujourd'hui, le prix de la tonne de CO 2 est environ de 8 euros sur le marché européen des quotas. Les économistes, notamment ceux qui travaillent pour la Commission européenne et pour le laboratoire de Patrick Criqui, à Grenoble, estiment que nous devrions nous situer sur une trajectoire nous amenant aux alentours de 100 euros par tonne de CO 2 à l'horizon 2020 pour être « dans les clous » et atteindre les objectifs, fixés à Kyoto puis réaffirmés à Copenhague, devant nous conduire au nouvel accord mondial sur le climat qui devrait être ratifié en 2015.
L'adoption d'une telle trajectoire aurait une incidence forte sur le prix de l'électricité à l'échelle européenne et, comme il y a clairement une volonté européenne d'harmoniser le marché de l'électricité et de l'ouvrir complètement, il n'y a pas de raison pour qu'il n'y ait pas de répercussions en France.
Même si, encore une fois, le kilowattheure français est nettement moins carboné que le kilowattheure européen, il y aura en effet un alignement et une évolution à la hausse du fait de l'ouverture du marché européen à la concurrence. Pour donner un ordre de grandeur - dans les exercices prospectifs, il n'est pas possible d'être plus précis -, je dirai que l'on s'attend à ce que l'alignement du prix français de l'électricité sur les prix européens conduise à un rattrapage, c'est-à-dire à une hausse, de l'ordre de 30 % à 50 % à l'horizon 2020-2030.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pouvez-vous redire ces chiffres ?
M. Benoît Faraco . - En ce qui nous concerne, nous tablons sur une hausse de 30 % des tarifs à l'horizon 2020 par simple rattrapage des prix de nos voisins européens.
Peut-être aurais-je dû le préciser, je parle ici principalement des tarifs pour les ménages. Je reviendrai tout à l'heure à la dimension « entreprises ». La décorrélation entre le coût de l'électricité pour les entreprises, notamment dans les activités électro-intensives, et pour les ménages est certes forte, mais c'est une situation que l'on retrouve dans l'ensemble des pays européens et qui implique d'autres arguments, notamment économiques.
Pour compléter ma réponse à la question de savoir ce que devrait être l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, j'ajouterai qu'il y a, pour la Fondation, deux éléments importants.
En premier lieu, l'impact d'une hausse, tant social qu'économique, c'est-à-dire non seulement sur le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi sur la compétitivité des entreprises, constitue une préoccupation qui doit être prise en considération. Nous risquons en effet d'être en situation de vulnérabilité à ce stade.
Or environ 3 millions de ménages, soit à peu près 8 millions de personnes, vivent d'ores et déjà en situation de précarité énergétique - ce qui signifie, grosso modo , car les définitions sont en cours d'élaboration, qu'ils dépensent plus de 10 % de leurs revenus annuels pour couvrir leurs besoins de chauffage et d'eau chaude - et que 300 000 personnes déclarent avoir froid chaque hiver dans leur logement simplement parce que, pour éviter d'avoir à payer une facture trop élevée, elles préfèrent couper le chauffage !
La préoccupation sociale est une question centrale pour nous, puisque nous estimons que la fourniture d'électricité fait partie des services de base indispensables aux ménages, au même titre que l'alimentation et que l'énergie associée à la mobilité.
En second lieu, l'évolution à la hausse des tarifs de l'électricité par un mécanisme d'élasticité-prix permettrait de réduire la consommation, et donc l'ensemble des externalités environnementales associées à la production, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre ou d'émissions de particules fines, voire, bien entendu, des quantités de déchets nucléaires qu'il sera nécessaire de stocker puisqu'une hausse des prix entraînera, a priori , une réduction de la consommation.
D'un point de vue strictement écologique, l'évolution des tarifs à la hausse est une voie qui nous intéresse, étant précisé que nous préférerions que cette évolution soit pilotée et contrôlée, plutôt que subie, comme c'est aujourd'hui le cas pour le pétrole.
S'agissant du pétrole, le manque d'anticipation des gouvernements précédents nous a mis dans une impasse, puisque nous sommes confrontés à sa rareté dans un contexte où il est très difficile de nous émanciper de cette ressource par le biais de solutions alternatives.
Au vu des conséquences non seulement sociales mais aussi économiques pour les secteurs fragiles ou particulièrement vulnérables face aux hausses des prix de l'énergie - pour le pétrole, je pense en particulier aux transports routiers -, nous devons donc nous interroger sur la manière dont peut être sereinement envisagée une transition énergétique.
Il n'est pas forcément mauvais que les prix évoluent à la hausse, sous réserve que l'on soit capable de gérer les impacts sociaux et économiques. À cette fin, nous envisageons un accompagnement des acteurs dans la réduction de leur consommation plutôt que des subventions à la consommation, comme c'est un peu trop la tendance aujourd'hui en France. Autrement dit, nous préférons accompagner les acteurs d'un secteur dans l'innovation technologique, en vue de la réduction de leur consommation en même temps que de l'amélioration de leur compétitivité, au lieu de les aider à payer la facture, ce qui n'est pas de nature à leur permettre de changer de « logiciel économique » et les place finalement en sursis en termes de vulnérabilité face au renchérissement de l'énergie.
J'en viens à la deuxième question, relative à l'avenir du parc électronucléaire et à l'investissement dans le développement de nouvelles centrales.
À ce sujet, je ferai une remarque préalable qui ramène à ce que je disais en introduction : s'il est intéressant de se poser la question de la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, il ne faut pas le faire uniquement d'un strict point de vue économique.
Tant du fait de notre préférence pour les investissements en faveur de l'efficacité énergétique et pour la réduction des consommations en amont que compte tenu des risques associés à la production d'électricité nucléaire comme aux autres modes de production électrique, nous estimons en effet qu'il faut s'émanciper du simple débat sur le tarif à court terme de l'électricité et avoir une vision un peu plus générale.
Comme l'écrit Nicholas Stern dans son rapport, il vaut mieux investir aujourd'hui dans la prévention, notamment face au changement climatique, plutôt que de payer demain les conséquences de risques qui seront devenus réalité.
Cette philosophie conduit à se positionner au regard non pas seulement du prix à court terme, mais aussi et surtout de l'ensemble des coûts à moyen et à long terme, y compris les coûts potentiels de gestion des risques. Qu'il s'agisse du risque climatique pour l'électricité d'origine fossile, du risque de prolifération ou encore des interrogations que l'on peut avoir sur le traitement des déchets, il est important de compléter l'analyse strictement économique par une réflexion sur l'ensemble des enjeux, notamment des enjeux environnementaux, qui ne peuvent pas tous être « monétisés » : il n'est pas évident de déterminer le coût réel d'un accident nucléaire dont on peut mesurer les impacts...
M. Jean Desessard, rapporteur . - En somme, vous voulez dire que vous ne vous posez pas la deuxième question.
M. Benoît Faraco . - Je peux y répondre...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si vous nous dites que vous ne voulez pas y réfléchir pour les raisons que vous venez d'exposer, vous n'êtes pas obligé d'y répondre.
M. Benoît Faraco . - Pour être franc, je veux répondre - c'est l'intérêt de notre participation à cette commission d'enquête -, mais en insistant avant tout sur le fait que l'on ne peut pas se satisfaire d'un raisonnement strictement économique pour aborder ces questions dont les impacts environnementaux sont extrêmement lourds.
Pour la Fondation, le débat sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes est à la fois politique et économique ; c'est un débat sur la gestion du risque, qui appartient - notamment - aux Français, lesquels doivent pouvoir être informés de l'ensemble des avantages et des inconvénients de la filière nucléaire afin d'être capables de se former un avis et en mesure de se prononcer.
C'est un premier élément de réponse.
Deuxième élément de réponse, si l'on examine cette question d'un point de vue strictement économique - ce n'est donc pas ce que je vous invite à faire ! - et si notre objectif est de conserver le prix du kilowattheure le moins cher et donc un tarif de l'électricité relativement bas, il est évident que la prolongation de la durée de vie des centrales est sans doute l'une des meilleures options, et cela même si, malgré les avancées dues au rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, il y a manifestement aujourd'hui une petite sous-estimation des coûts de cette filière.
Le troisième élément qui nous semble central dans ce débat est le respect dû à l'analyse et à la parole de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette analyse doit être décorrélée, là encore, du raisonnement strictement économique que le politique a un peu trop tendance à faire.
Se laisser le choix de demander à l'Autorité de sûreté nucléaire, dont on reconnaît la légitimité, de dire que la durée de vie de telle ou telle centrale peut ou ne peut pas être prolongée, ou peut l'être à condition que des investissements de tel ou tel montant soient réalisés, paraît être la meilleure réponse possible au problème posé. Il appartiendra ensuite aux opérateurs d'opter entre les différents moyens de production qui s'offrent à eux, en tenant compte, bien entendu, des contraintes environnementales, notamment de la contrainte climatique.
La position de la Fondation est donc à peu près celle-ci : ne pas entrer dans le débat sous le seul angle du coût ; s'assurer que l'Autorité de sûreté nucléaire peut se prononcer en toute indépendance s'agissant d'un sujet dont on sait à quel point il est sensible politiquement et dans l'opinion publique ; laisser aussi des arbitrages économiques en internalisant les externalités environnementales.
À la question relative à l'investissement dans de nouvelles générations de réacteurs, EPR et de quatrième génération, nous sommes tentés de répondre de la façon suivante : continuer la recherche, pourquoi pas ? mais il faut absolument éviter tout malentendu et surtout ne pas dire que ce type de centrales nucléaires pourra répondre aux interrogations et aux besoins énergétiques des Français à proche échéance.
Pour l'EPR, on constate que des retards sont pris sur les deux chantiers, en Finlande comme en France, et, si le projet ASTRID commence à avancer, il n'y a pas encore de réacteur de quatrième génération opérationnel. Nous ne nous situons donc pas là à des horizons de temps à la mesure des enjeux sociaux et climatiques qui sont les nôtres. Il nous faut faire évoluer à la baisse nos consommations d'énergie et nos émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible, c'est-à-dire commencer tout de suite, pour que des avancées significatives puissent avoir été accomplies d'ici à 2020. Or ces solutions technologiques ne seront pas opérationnelles dans ce délai.
La quatrième question porte sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables productrices d'électricité.
Je traiterai l'hydroélectricité à part, puisque cette filière est relativement aboutie ; elle peut, en améliorant son efficacité énergétique, notamment par le remplacement des turbines, produire un peu plus qu'elle ne produit aujourd'hui, mais nous considérons qu'elle n'a pas besoin de mécanismes de soutien, ce qui la sort du champ de la question.
Je vais, cette fois encore, faire une observation préalable.
Dans les principales filières électrogènes que l'on envisage de développer en France, à savoir l'éolien, onshore et offshore , et le solaire photovoltaïque, les coûts de production sont bien plus élevés que pour les moyens conventionnels de production thermique. Je souligne cependant qu'avec un CO 2 à 60 ou 70 euros la tonne, la production d'électricité à base d'éoliennes deviendrait compétitive par rapport au charbon, ce qui signifie que, si l'on prend en compte les enjeux climatiques, les coûts commencent à se rapprocher.
Les énergies renouvelables sont donc aujourd'hui des énergies un peu plus chères en termes de production, mais leurs prix suivent une tendance fortement orientée à la baisse, contrairement aux énergies fossiles et au nucléaire, dont les tendances de prix sont plutôt orientées à la hausse, pour les énergies fossiles, en raison de l'épuisement des ressources, et, pour le nucléaire, en raison, notamment, des investissements dans la sécurité en réaction à l'accident de Fukushima.
C'est ce constat qui fonde notre philosophie globale et justifie à nos yeux une bonne partie des investissements dans les énergies renouvelables.
Pour ce qui est des mécanismes de soutien à ces énergies, je me propose de passer en revue les différentes filières.
L'éolien onshore présente des coûts relativement comparables à ceux des filières conventionnelles ou qui commencent à se rapprocher de ceux-ci. On peut donc imaginer qu'à l'horizon 2020 cette filière n'aura plus besoin d'être soutenue.
Le recours à des mécanismes de soutien, notamment le tarif d'achat, paraît donc avoir produit ses effets pour l'éolien terrestre, à propos duquel nous ne sommes d'ailleurs presque plus dans un débat économique mais plutôt dans un débat de société portant sur l'acceptabilité de l'installation de nouvelles éoliennes en France.
De façon générale, les mécanismes de soutien nous semblent être totalement justifiés et appropriés en matière de politique énergétique : que ce soit pour le nucléaire ou pour les énergies renouvelables, une amorce par un financement public est souvent nécessaire pour développer des technologies dans lesquelles les opérateurs économiques ne trouveraient pas sinon de rentabilité.
Pour l'éolien offshore , il y a principalement deux mécanismes de soutien, à savoir un mécanisme d'appel d'offres couplé à un mécanisme de tarif d'achat.
Les volumes financiers correspondants devraient, certes, être significatifs - je fais un petit « détour » par la quatrième question -, mais compte tenu des enjeux et du potentiel important de cette filière, notamment en termes de leadership industriel pour la France, ces mécanismes nous semblent tout à fait justifiés. Des consortiums se sont montés pour répondre à l'appel d'offres éolien et, en contrepartie du tarif d'achat, il y a des bénéfices sociaux et économiques, notamment en termes d'emploi, d'innovation et de recherche.
Pour le solaire photovoltaïque, la logique est semblable, s'agissant en tout cas de l'intérêt du tarif d'achat, mais il y a peut-être plus d'interrogations.
D'abord, dans l'élan du Grenelle de l'environnement, un certain nombre de projets, parfois un peu farfelus, avaient été développés en vue de profiter d'une sorte d'effet d'aubaine, ce qui avait conduit à une croissance du coût de l'électricité pour les consommateurs et à un emballement du mécanisme, qui avait dû être freiné.
Ensuite, les retombées économiques pour la France qui permettraient de légitimer pleinement le tarif d'achat nous semblent, pour l'instant, un peu moindres que pour l'éolien au regard de perspectives à la baisse du solaire photovoltaïque mais aussi d'autres enjeux.
Je pense notamment aux émissions de gaz à effet de serre. Si le bilan du solaire photovoltaïque n'est qu'un tout petit peu plus élevé que celui de l'éolien, ce bilan se dégrade très fortement dès lors que les panneaux sont produits dans une zone où l'électricité est fortement carbonée. Bref, si on utilise des panneaux solaires produits en Chine pour faire de l'électricité en France, le gain en termes de CO 2 sera pratiquement nul.
Par conséquent, la justification du tarif d'achat par des motivations environnementales n'a plus lieu d'être.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez des chiffres ?
M. Benoît Faraco . - Oui, et je vous ai apporté un certain nombre de documents pour étayer mes propos.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On nous a dit que le temps de retour énergétique, la période pendant laquelle il faut tenir compte de l'impact énergétique des panneaux, était de quatre ans, et qu'on pouvait utiliser ces panneaux pendant vingt ans. Cela signifie qu'il y a seize ans de bonus.
M. Benoît Faraco . - Vous avez complètement raison concernant le temps de retour énergétique, mais mon exposé visait les émissions de gaz à effet de serre.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avez-vous des chiffres sur ce point ?
M. Benoît Faraco . - Oui, nous en avons : en plus des documents que je vous ai apportés, je vous ferai parvenir une étude que nous avons réalisée sur le solaire photovoltaïque.
Grosso modo, un panneau solaire fabriqué en Europe représente 47 à 55 grammes de CO 2 par kilowattheure produit. Dans le mix électrique français, on est autour de 100 à 110 grammes de CO 2 par kilowattheure - des débats existent, mais on est bien dans cet ordre de grandeur. Le niveau d'émission s'élève, en Allemagne, à 450 grammes de CO 2 par kilowattheure - ce pays utilise beaucoup de charbon - et, en Chine, de 800 à 900 grammes de CO 2 par kilowattheure.
Si on produit un panneau solaire en Chine, les émissions seront de 80 à 90 grammes par panneau, qu'il faut comparer aux 100 à 110 grammes français. Avec des panneaux chinois, le gain sera donc de 20 grammes de CO 2 par kilowattheure, tandis que, avec des panneaux produits en France ou en Europe, voire aux États-Unis, le gain sera plutôt de l'ordre de 50 à 70 grammes de CO 2 par panneau.
Cela nous amène à formuler une recommandation : prendre en compte le critère des émissions de gaz à effet de serre dans l'attribution de tarifs d'achat pour encourager la production de panneaux en Europe et en France, s'assurer de la vertu environnementale du dispositif et, dans une moindre mesure, inciter les pays producteurs, et notamment la Chine, à investir dans des technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre de leur mix électrique, ce qui aurait des conséquences bénéfiques pour l'ensemble du système climatique.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous calculez le coût en termes d'émissions de CO 2 de l'électricité nécessaire pour fabriquer les panneaux ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il en faut beaucoup !
M. Benoît Faraco . - Il existe aujourd'hui deux principales technologies sur le marché du solaire photovoltaïque.
La première, qui représente environ 85 % du marché, est l'utilisation du silicium. Celle-ci présente un énorme avantage : le silicium étant le deuxième élément le plus abondant sur la croûte terrestre, il n'y a aucun problème de ressources. En revanche, le procédé - il s'agit de faire fondre du sable pour dépasser la qualité du verre industriel - consomme énormément d'énergie. C'est pour cette raison que l'on impute aux panneaux solaires des émissions de gaz à effet de serre assez élevées.
La seconde est la technologie à couche mince. Son inconvénient est que les métaux utilisés - le cadmium, par exemple - sont dangereux pour la santé humaine et les écosystèmes lorsqu'ils sont dispersés dans l'environnement. Cependant, d'un point de vue industriel, leur installation sur les panneaux ne nécessite pratiquement pas de consommation d'énergie. En termes de quantité d'énergie utilisée, il y a un rapport de un à quatre entre les deux technologies.
Dans les pays où l'électricité est fortement carbonée, les panneaux sont largement émetteurs de gaz à effet de serre. À titre d'illustration, nous avons effectué un petit calcul : en Suède, où l'électricité hydraulique représente près de 90 % de l'électricité produite, passer au photovoltaïque entraînerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, ce qui irait à l'encontre des objectifs de la politique environnementale.
Cela ne veut pas dire, et cela m'amène à notre deuxième remarque sur la question des tarifs d'achat du solaire photovoltaïque, qu'il faut faire une croix sur cette une énergie qui a, selon nous, un potentiel important en France. Aujourd'hui, l'approche retenue par le Gouvernement, à la suite notamment du rapport Charpin-Trink de l'an dernier, consiste à plafonner par les volumes la quantité de panneaux solaires installés. L'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement était de 5,4 gigawatts de puissance installée d'ici à 2020 ; pour des raisons économiques - par crainte d'un emballement -, on a décidé de faire ce qu'il fallait pour l'atteindre mais de ne pas le dépasser.
Nous nous interrogeons quant à la rationalité économique de cette logique. En effet, il nous semblerait plus opportun de fixer un volume financier maximal attribué au développement de cette énergie, et de laisser les acteurs de la filière nous fournir les panneaux les plus performants, en prenant évidemment en compte un certain nombre de paramètres environnementaux, afin de s'assurer qu'aucun produit toxique n'est dispersé dans l'environnement et qu'il y a bien un gain en termes de CO 2 .
Mme Laurence Rossignol . - Je n'ai pas compris votre raisonnement.
M. Benoît Faraco . - Aujourd'hui, le Gouvernement semble vouloir s'en tenir à l'objectif de 5,4 gigawatts installés fixé dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'éviter l'emballement économique. Par ailleurs, il existe des objectifs européens de développement des énergies renouvelables, sur lesquels je reviendrai.
Telle est la logique qui semble prévaloir aujourd'hui.
Nous sommes favorables à une autre logique, consistant à fixer le montant que l'État est prêt à investir ou la charge que le consommateur est prêt à supporter pour développer les panneaux solaires, puis à demander aux acteurs économiques de nous proposer les panneaux les moins chers et les plus performants. Plus il y en aura, mieux ce sera ! Si les industriels peuvent arriver à 10 gigawatts installés avec les deux milliards d'euros prévus, qu'ils le fassent ! Nous sommes favorables à un pilotage économique de la filière plutôt qu'à la fixation d'un plafond quantitatif qu'il ne faut surtout pas dépasser.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce n'est pas ce qui s'est passé. Nous avons fixé une quantité et une date d'échéance, avec des tarifs tellement rentables - vous avez parlé à juste titre d'effet d'aubaine - que tout le monde s'est rué dessus. De ce fait, le nombre de projets déposés en un an et demi à peine représentait la totalité des tarifs d'achat que la France est capable de garantir sur dix ans. Voilà le problème ! Cela a entraîné un effet de stop and go malheureux, puisque les acteurs - nous avons bien compris ce que nous ont dit ceux que nous avons auditionnés - ont besoin de visibilité à plus long terme.
Cependant, indépendamment du système retenu - je suis assez sensible aux avantages de celui que vous proposez -, l'erreur a plutôt été de ne pas fixer des quotas annuels. Il aurait fallu, dès le début, fixer la capacité économique annuelle du pays, peut-être en intégrant votre suggestion, qui me paraît bonne.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Peut-être auriez-vous dû apporter une précision à l'attention de Mme Rossignol, monsieur Faraco. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il fallait construire davantage de panneaux solaires en France. Cela me semble contradictoire avec la logique que vous proposez, puisque celle-ci pourrait conduire à fabriquer des panneaux en Chine dans la mesure où cela coûte aujourd'hui moins cher. Telle était l'interrogation de Mme Rossignol. ( Mme Laurence Rossignol acquiesce. )
M. Benoît Faraco . - Je n'ai sans doute pas été assez précis. Les deux paramètres sont importants.
Pour ne pas tomber dans une discussion un peu stérile sur la question de la protection aux frontières pour motifs environnementaux, dont on sait qu'elle fait fortement débat au sein tant de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, que de l'Union européenne, nous proposons de mettre en place un double système : d'une part, un plafonnement par les prix et la capacité financière de la France afin d'inciter les acteurs à optimiser leurs méthodes de production ; d'autre part, une contrainte environnementale conduisant à privilégier les panneaux les plus performants de ce point de vue, soit en interdisant les panneaux entraînant des émissions de plus de 80 ou 90 grammes de CO 2 , soit en établissant un cahier des charges technique permettant de sélectionner les panneaux les plus respectueux de l'environnement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous reviendrons sur la question des panneaux chinois, mais allez d'abord au bout de votre démonstration, sans quoi vous ne pourrez pas répondre aux six questions que nous vous avons adressées.
M. Benoît Faraco . - J'en viens donc à la quatrième question, à laquelle je répondrai plus rapidement.
On peut poser le problème de deux manières. Tout d'abord, on peut l'appréhender du point de vue de l'offre énergétique, en restant dans une perspective d'augmentation de la consommation d'électricité, et alors nous ferons face à une vraie difficulté.
En matière d'énergies renouvelables, l'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement est une proportion de 23 % dans la consommation d'énergie finale en 2020, ce qui est légèrement plus ambitieux que l'objectif de 20 % adopté par l'Union européenne. Au niveau européen, il existe un autre objectif, qui ne nous semble pertinent ni sur le plan économique ni sur le plan écologique, en matière d'agrocarburants. Je laisse toutefois cette question de côté, puisque votre commission d'enquête ne traite que de l'électricité.
Concernant l'objectif européen d'augmentation de la part des énergies renouvelables, il y a, je le répète, deux manières d'aborder le problème.
Soit on part du principe que la consommation d'énergie va continuer à augmenter en France, et alors il faut augmenter la production d'énergies renouvelables au prorata de la quantité d'énergie consommée : puisqu'il s'agit d'une fraction, il faut augmenter le numérateur si le dénominateur augmente.
Soit on considère que, pour atteindre l'objectif européen, on peut diminuer la consommation d'énergie : les investissements à consentir en matière d'énergies renouvelables sont dès lors moins importants. Ces énergies représentent déjà 12 à 13 %, ou peut-être même 14 % de la production d'électricité ; si nous réduisons notre consommation, nous aurons besoin de moins de nouvelles éoliennes et de nouveaux panneaux solaires pour atteindre nos objectifs, et nous pourrons même être plus ambitieux. Ce point nous semble fondamental, mais il a été un peu oublié par l'administration dans ses scénarios, notamment dans ceux qui ont servi de support à la politique pluriannuelle d'investissement.
La fondation Nicolas Hulot - il ne s'agit pas de faire notre publicité, mais nous pourrons vous communiquer ces éléments - a lancé hier une campagne intitulée « L'énergie, c'est mon choix », qui permet aux citoyens de se projeter en 2030 grâce à des scénarios énergétiques intégrant plusieurs indicateurs et notamment la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité. Nos modélisations, qui s'appuient sur un travail effectué avec le cabinet d'étude Carbone 4, montrent que, sans réduction de la consommation d'énergie, il sera difficile non seulement d'atteindre les objectifs européens à l'horizon 2020, mais aussi de faire croître la part des énergies renouvelables au-dessus de 30 % d'ici à 2030.
Si nous ne changeons pas nos habitudes, si notre consommation d'énergie continue à augmenter, nous ne pourrons pas atteindre des objectifs suffisamment ambitieux exprimés en pourcentage.
Notre conclusion est donc que, si nous voulons atteindre les objectifs du Grenelle de l'environnement, la première des priorités est de réduire notre consommation d'énergie. Cela nous permettra, d'une part, d'éviter des investissements dans de nouvelles infrastructures de production, et, d'autre part, de limiter l'impact économique sur les ménages et les entreprises des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Si vous le souhaitez, je peux vous donner un exemple, en comparant les conséquences de deux scénarios pour un ménage.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il faut vous arranger pour achever votre propos à seize heures quarante-cinq, afin qu'il nous reste un quart d'heure pour les questions complémentaires.
M. Benoît Faraco . - Dans ce cas, je passe tout de suite à la cinquième question : « Le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ? »
C'est sans doute le cas, jusqu'à un certain point. Selon nous, l'objectif de 100 % d'électricité à partir d'énergies renouvelables est un mythe, il ne nous semble pas possible de l'atteindre d'ici à 2030 ni même d'ici à 2050, non parce que ce ne serait pas souhaitable politiquement, mais pour des raisons techniques et technologiques.
Nous sommes assez en phase avec les conclusions du rapport sur les énergies renouvelables du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, selon lequel, si l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables n'est pas atteignable, les travaux de prospective et l'état de la recherche scientifique sur les sources de production d'électricité et les réseaux intelligents nous permettent cependant d'espérer atteindre, à l'horizon 2050, une proportion de 80 à 90 % d'énergies renouvelables, en associant des énergies variables et intermittentes à la production hydraulique. On pourrait ainsi arriver à des taux de pénétration très importants mais à des horizons de temps éloignés et donc de manière assez peu corrélée aux préoccupations du jour.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous abordez un problème important : les énergies renouvelables sont souvent décriées au motif qu'il faudrait les compenser par le thermique. Ainsi, ce que l'on gagne en recourant aux énergies propres, on le perdrait en utilisant le thermique. Or vous nous dites que, grâce à des systèmes intelligents - je suppose qu'ils le seront -, la compensation thermique ne sera pas nécessaire : on arrivera à un petit écart de 20 % par rapport à l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables, écart qui sera facilement comblé par la production hydraulique.
Pourriez-vous nous décrire ces systèmes intelligents, sachant que nous ne sommes pas habitués à une telle complexité technologique ?
M. Benoît Faraco . - Compte tenu du temps qui m'est imparti, il me sera difficile d'entrer dans le détail.
D'après nos échanges avec les différents opérateurs de distribution, notamment RTE et ERDF, un certain nombre de paramètres nous permettront d'améliorer le système de prévision météorologique indispensable pour l'éolien et le solaire. En effet, il est essentiel de connaître quarante-huit à soixante-douze heures à l'avance les conditions potentielles d'ensoleillement et de vent, afin d'obtenir une vision assez fine de la production et d'être ainsi en mesure d'installer des unités de production de manière suffisamment dispersée sur le territoire pour que la production soit relativement constante.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le premier paramètre, c'est donc une meilleure prévision.
M. Benoît Faraco . - C'est bien cela.
En outre, le développement de réseaux intelligents nous permettra de passer d'un réseau relativement centralisé, en toile d'araignée - un point central, l'unité de production, diffuse l'énergie vers les différents lieux de consommation -, à un maillage plus fin, avec des réseaux capables d'échanger le courant dans les deux sens, de manière plus adaptée et plus rapide, voire de s'auto-réparer en cas de problème de tension posé par les énergies renouvelables - par exemple, si toutes les éoliennes fonctionnent en même temps. La continuité de l'approvisionnement sera ainsi garantie.
Dès aujourd'hui, grâce à ces réseaux en évolution, il est possible de transporter du nord au sud de l'Allemagne une bonne partie de la production des éoliennes, puisque l'on observe une décorrélation entre les lieux de production et les lieux de consommation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le deuxième paramètre, c'est donc une production plus décentralisée.
M. Benoît Faraco . - En effet.
On peut comprendre cette décentralisation de deux manières.
La première, un peu autarcique, consiste à produire sur un territoire l'électricité qui y est consommée ; cette approche ne nous semble pas la plus pertinente d'un point de vue économique, puisqu'elle impliquerait la création d'un grand nombre de réseaux locaux et que cela ne constitue pas la meilleure manière de garantir la sécurité d'approvisionnement des territoires.
La seconde est de construire un super-réseau intelligent au niveau européen ; cela passe par des investissements dans de nouvelles lignes, notamment à moyenne et haute tension - pas forcément à très haute tension -, même si l'on peut étudier ce qui se passe du côté de Desertec.
Une troisième amélioration pourrait être obtenue par un ensemble d'investissements dans des appareils techniques tant pour la transformation que le pilotage global des réseaux.
Je pense que nous pourrions ainsi atteindre un taux de pénétration des énergies renouvelables dans les réseaux compris entre 30 et 50 %. Par exemple, au Danemark, à certains moments, plus de 50 % de la production d'électricité est d'origine renouvelable.
L'état de la recherche, notamment le fameux rapport du GIEC, qui a le mérite d'avoir fait une revue assez exhaustive de la littérature sur le sujet, laisse envisager des taux élevés de pénétration des énergies renouvelables.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Dans combien de temps ? On ne peut pas parler de taux de pénétration de 30 à 50 % sur le réseau sans préciser le temps nécessaire pour y parvenir. Le Danemark a atteint de tels taux, mais c'est la conséquence d'une évolution entamée il y a trente ans ; tous les réseaux danois ont été équipés dès cette époque pour accueillir l'éolien. Vous dites que cela ne posera pas de problèmes de faire de même en France, mais à quelle échéance ?
M. Benoît Faraco . - Nos analyses prennent comme base l'horizon 2030, mais les résultats dépendront évidemment de certains paramètres, notamment économiques, comme la capacité d'investissement dans les réseaux. Les spécialistes affirment que nous disposons de marges de manoeuvre - nous pouvons aller plus vite sans mettre à mal la résilience de nos réseaux -, mais il va de soi que, pour atteindre des taux de pénétration de 30 à 50 % d'ici à 2020 ou 2030, il faudra réaliser des investissements assez importants dans les réseaux.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous laisse répondre à la dernière question, qui concerne également le domaine que vous venez d'aborder. Notre rapporteur s'est concentré sur la question des énergies renouvelables.
M. Benoît Faraco . - Si vous le permettez, je ferai d'abord un petit retour en arrière sur la question des tarifs d'achat. En effet, j'ai omis d'évoquer un point qui nous semble essentiel : l'information et la transparence vis-à-vis du public concernant les mécanismes de financement.
Il nous paraît absolument fondamental, pour apaiser le débat sur les tarifs d'achat, d'informer le grand public, notamment sur l'utilisation de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, via par exemple l'obligation pour les différents fournisseurs d'électricité de préciser le pourcentage du montant de la facture consacré à l'énergie solaire, à l'éolien ou à la cogénération de gaz.
Aujourd'hui, d'après ce que nous disent les sympathisants de la communauté de la fondation Nicolas Hulot, l'opacité des tarifs suscite de grandes interrogations. Concernant le coût des énergies renouvelables ou le rôle de la péréquation tarifaire, voire des soutiens à la cogénération de gaz, les ressentis sont assez déconnectés des réalités. C'est pourquoi, je le répète, il nous semble vraiment essentiel, si on veut améliorer l'acceptabilité sociale de ces mécanismes, d'informer en toute transparence celui qui paie, c'est-à-dire le consommateur, sur l'utilisation de la CSPE, sur la part de sa facture annuelle qui sert au développement de l'éolien et du solaire, ou à la solidarité, à la péréquation tarifaire avec les départements, régions et collectivités d'outre-mer.
Après cette parenthèse, j'en viens à la sixième question, qui porte sur les actions qu'il convient de mener prioritairement afin de réduire la consommation d'électricité en France.
Le constat qui justifie que nos recommandations soient principalement centrées sur les ménages, c'est que la consommation d'électricité dans le secteur industriel est à peu près constante depuis une trentaine d'années, notamment à cause de la désindustrialisation de la France. En effet, de nombreuses activités électro-intensives, comme la scierie, ont été délocalisées, ailleurs en Europe, à la périphérie de l'Europe ou dans les pays émergents. Dans le même temps, des gains ont été réalisés en matière d'efficacité énergétique.
En revanche, ce qui est préoccupant, c'est la forte croissance du chauffage électrique et de l'électricité spécifique, tant dans les bâtiments résidentiels que dans les bâtiments tertiaires. Au total, la consommation d'électricité des ménages augmente de 3 % par an, d'une manière assez régulière depuis une dizaine d'années. Ni la hausse du prix de l'électricité ni la crise économique n'ont entraîné de véritable ralentissement.
Je distinguerai deux types de mesures prioritaires : des mesures structurantes et des mesures spécifiques liées à la pointe électrique, qui constitue un sujet important.
S'agissant de la pointe électrique, il y a deux sujets principaux.
Le premier est le chauffage, puisque chacun allume le sien à dix-neuf heures, en rentrant du travail, ce qui nous permet de battre chaque année un bien triste record : celui de l'appel de puissance. Nous sommes favorables à des mesures fortes d'isolation des bâtiments, voire d'interdiction du développement du chauffage électrique dans les logements mal isolés. En effet, le chauffage électrique est sans doute pertinent pour des logements performants d'un point de vue thermique, mais, compte tenu des perspectives d'évolution à la hausse du coût de l'électricité, des enjeux sociaux et de l'efficacité relativement modeste de l'électricité en termes de service rendu et de confort dans les logements mal isolés, il nous semble important que les pouvoirs publics agissent prioritairement sur ce point.
Le deuxième sujet principal est l'éclairage. Nous avons progressé grâce à l'interdiction des ampoules à incandescence, mais d'autres questions ont été laissées de côté. Depuis les tables rondes sur l'efficacité énergétique, on commence à aborder certaines d'entre elles ; je pense notamment à l'interdiction des enseignes lumineuses, même si ce n'est qu'une petite mesure.
Toutefois, il nous paraît important d'engager une réflexion plus globale sur l'éclairage, et notamment sur la question des halogènes. En effet, pour un service rendu d'éclairage quasi identique, la consommation peut être multipliée par dix par rapport à une ampoule à incandescence. Or, malheureusement, l'éclairage halogène est en constant développement, puisque, même si on en a fini avec l'halogène à 100 ou 200 watts, on installe partout, chez les ménages mais aussi parfois dans les commerces, de petites rampes de cinq ou six halogènes à 10 watts, qui utilisent dix fois plus d'électricité que les ampoules basse consommation, pour un service rendu à peu près équivalent. Il y a donc vraiment des actions à mener dans ce domaine.
J'en viens aux mesures structurelles. Nous avons besoin de travailler fortement sur les compteurs intelligents. Il nous paraît important, en termes de pédagogie et d'information du public, de rendre visibles les consommations d'électricité. Peut-être cela vous fera-t-il sourire, car cela peut sembler anecdotique, mais le fait de donner un peu de visibilité aux compteurs dans la maison, en mettant un voyant rouge ou vert, par exemple, d'utiliser des éléments de communication et de pédagogie vis-à-vis des consommateurs d'électricité, est fondamental à nos yeux.
Il nous paraît également important de renforcer les normes, notamment pour l'ensemble des appareils électroménagers, hi-fi et autres. On a parlé d'un système de bonus-malus pour les téléviseurs et les ordinateurs. Là aussi, on peut avoir l'impression que c'est anecdotique, mais nos analyses de la consommation électrique des Français montrent que c'est l'accumulation de ces nouveaux usages de l'électricité qui contribue à l'augmentation de la consommation.
Je prendrai un exemple : la consommation annuelle d'une « box » donnant accès au wifi et à la télévision - presque chacun d'entre nous en possède une aujourd'hui - représente la moitié de celle d'un réfrigérateur. Par conséquent, la multiplication de ces petits appareils - on pourrait aussi mentionner les recharges de téléphone - soulève un certain nombre d'interrogations. Or, pour l'instant, ni l'État ni l'Union européenne ne se sont vraiment intéressés aux moyens de réglementer ce secteur afin d'harmoniser les consommations.
Il en va de même du parc de téléviseurs : pour un même service rendu - regarder un match de football -, certains modèles neufs consomment dix fois plus que d'autres dont le prix est équivalent. Il y a donc, je le répète, un besoin de contrôle, voire de normes dans ce domaine.
Je vais m'arrêter là, sauf si vous me laissez l'opportunité de développer une proposition d'évolution des tarifs de l'électricité présentée par la fondation Nicolas Hulot. Cette proposition me semble particulièrement pertinente compte tenu de l'objet de votre commission d'enquête. Dois-je la développer maintenant ou vous la laisser par écrit ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Peut-être pouvez-vous simplement la commenter, car votre note est dans le dossier que vous nous avez remis.
M. Benoît Faraco . - Comme je vous le disais en introduction, deux paramètres sont importants à nos yeux : premièrement, le système des tarifs réglementés ne permet pas de refléter la prise en compte des externalités environnementales - notamment les émissions de CO 2 - dans le prix de l'électricité ; deuxièmement, nous avons perdu la dimension incitative du tarif de l'électricité. ( M. Benoît Faraco fait circuler plusieurs photocopies d'un document .) Sans pilotage du prix par la puissance publique, il sera délicat d'obtenir des réductions de la consommation.
Notre proposition repose sur un double système : d'une part, un forfait de kilowattheures à un tarif proche du tarif actuel pour les consommations correspondant à des besoins essentiels, de base - la production de chauffage et d'eau chaude ainsi qu'un petit complément pour l'éclairage et la cuisson -, et, d'autre part, un tarif multiplié par deux pour l'ensemble des consommations dites de confort, afin d'inciter à la réduction des consommations.
Nous proposons également de coupler ce système à un mécanisme social permettant aux ménages en situation de précarité énergétique de bénéficier gratuitement des 3 000 à 5 000 premiers kilowattheures, ce qui serait bien plus efficace que les mécanismes actuels de tarifs sociaux de l'électricité, qui ne sont pas calibrés pour répondre aux besoins de ces personnes.
Nous préconisons aussi un mécanisme proche de l'option « effacement des jours de pointe » qu'avait proposée EDF à une époque, et qui permettait aux ménages de limiter eux-mêmes leur consommation d'électricité aux périodes où il y avait le plus de tension sur le réseau. Concrètement, nous proposons la création d'un tarif d'ultra-pointe, qui fixerait à un niveau très élevé le prix du kilowattheure aux moments où toutes les consommations sont maximisées, notamment lors de la pointe de dix-neuf heures en hiver, pour inciter fortement les consommateurs à modérer leurs usages de l'électricité.
Des améliorations technologiques contribueront également à cette réduction de la consommation. Par exemple, les compteurs intelligents et les dispositifs d'effacement vous permettront un jour d'éteindre automatiquement votre réfrigérateur entre dix-neuf heures et dix-neuf heures trente, sans aucun impact sur la qualité des aliments. Il faut continuer à avancer dans cette voie, en complément des efforts qui peuvent être demandés aux ménages en matière tarifaire, et qui permettraient de rationaliser les comportements de consommation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je crois que notre rapporteur ne souhaite pas vous poser de questions complémentaires ; peut-être vous interrogera-t-il plus tard, à titre personnel. ( M. Jean Desessard acquiesce.)
Pour ma part, j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des énergies renouvelables et notamment du prix de rachat de certaines d'entre elles. Vous vous êtes « mouillé », puisque vous avez déclaré qu'il ne fallait pas hésiter à mettre en place un tarif de rachat évolutif en fonction de l'origine des panneaux photovoltaïques.
C'est alors que Laurence Rossignol est intervenue, à juste titre.
Je vous signale que, bientôt, nos panneaux seront presque exclusivement d'origine chinoise. Il n'y avait pas de panneaux français, nous utilisions des panneaux allemands ; or la plus grosse société allemande de production de panneaux photovoltaïques a été mise en liquidation judiciaire il y a deux jours ; elle a licencié neuf cents personnes, soit le tiers de ses effectifs, et annoncé qu'elle ne pouvait pas tenir face à la concurrence chinoise. Par conséquent, notre principal fournisseur non chinois est menacé de disparition, sa situation juridique étant gravissime.
Je souhaiterais donc que vous approfondissiez votre idée d'un tarif évolutif sur ces panneaux. Comment cela fonctionnera-t-il ? Quel mécanisme proposez-vous ?
M. Benoît Faraco . - Il y a deux manières de faire : soit on fixe un seuil d'émissions de gaz à effet de serre...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Seuls, sans nos voisins européens ?
M. Benoît Faraco . - On pourrait fixer ce seuil au niveau communautaire.
Vous avez cependant raison de m'interroger sur la faisabilité de notre proposition. De fait, il s'agit de remettre en cause un certain nombre de règles, notamment les règles de libre-échange sur le marché européen, mais aussi, plus généralement, dans le cadre de l'OMC. Il existe donc un vrai doute quant à la faisabilité juridique de ce type de mécanisme.
Toutefois, cela ne nous empêche pas de proposer la mise en place d'un système un peu volontariste. Une des astuces que l'on pourrait utiliser consisterait à bonifier ou à dégrader le tarif pour les panneaux ne respectant pas certaines normes. Cela aurait un effet incitatif, certes amoindri mais qui pourrait tout de même constituer un système de soutien, pour des raisons environnementales, à des filières plus propres. Un tel système nous paraît intéressant.
Le second mécanisme consisterait en l'établissement d'un cahier des charges environnemental. L'Union européenne l'a déjà fait pour les véhicules, avec les normes Euro 4 et Euro 5 ; cela n'a posé aucun problème aux compétiteurs chinois, qui se sont rapidement alignés sur ces normes sans provoquer de conflit commercial. Nous disposons donc de certaines marges de manoeuvre.
Plus généralement, ces sujets nous renvoient au débat sur la taxe d'ajustement aux frontières ou le mécanisme d'inclusion carbone, c'est-à-dire à la question de la compétitivité de l'industrie européenne. On sait que l'on ne résoudra pas tous les problèmes par des mesures françaises, voire européennes. C'est pourquoi nous plaidons également pour la mise en place, au niveau international, d'une organisation mondiale de l'environnement, qui pourrait contrebalancer fortement la dimension libre-échangiste de l'OMC quand elle ne prend pas en compte la dimension environnementale.
Il nous semble vraiment légitime, à condition qu'il ne s'agisse pas de protectionnisme pur et simple et que les motivations soient bien d'ordre environnemental, d'instaurer une véritable réglementation environnementale, d'abord au niveau communautaire puis au niveau international.
Il y a vingt-cinq ou trente ans, la France exerçait un vrai leadership technologique dans le domaine du solaire photovoltaïque. Nous avons perdu cet avantage par manque de visibilité et de stabilité. Je sais qu'il est facile de donner des leçons a posteriori , mais on voit bien que les pratiques actuelles de stop and go ralentissent certains investisseurs. On peut regretter l'effondrement des fournisseurs allemands et le développement des panneaux solaires chinois, mais il ne faut pas oublier que, derrière la question des coûts de production de ces panneaux, se pose celle du coût de la main-d'oeuvre en Chine et des conditions de travail des salariés chinois. Cette situation appelle des régulations plus globales, qui dépassent le seul sujet des panneaux solaires et des émissions de gaz à effet de serre.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez raison !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Hier, nous nous sommes demandé à qui a profité le crime d'enrichissement, si je puis dire.
Notre président vient d'évoquer la situation de Q-Cells. Je rappelle que, il y a un an et demi ou deux ans, la Chancelière Merkel s'était étonnée que les prix du photovoltaïque ne diminuent pas, alors que l'augmentation de la productivité entraînait une baisse du coût. Les industriels n'ont pas diminué les prix, alors que les évolutions technologiques le leur permettaient. Aujourd'hui, Q-Cells paie cash le fait de n'avoir pas pris les mesures qui auraient répondu aux voeux de Mme Merkel.
Monsieur Faraco, vous avez rappelé qu'une entreprise française avait été sauvée il y a quelque temps par un opérateur historique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous pouvez dire qu'il s'agit de Photowatt, qui a été repris par EDF.
M. Jean-Pierre Vial . - Il y a quinze ans, cette entreprise était la troisième mondiale dans son secteur et maîtrisait une technologie. Je partage donc votre point de vue, monsieur Faraco : un accompagnement adapté nous permettrait de reconquérir cette maîtrise technologique, qui est actuellement à la portée des industriels français.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Benoît Faraco.
M. Benoît Faraco . - Je souhaite revenir sur la question des effets d'aubaine. De fait, le gros problème d'un certain nombre de mécanismes incitatifs, notamment de nature fiscale, est que l'on a du mal à optimiser l'utilisation de l'argent public, car l'État n'a pas forcément les moyens de s'assurer que les industriels ne profitent pas d'un effet d'aubaine.
À mon sens, cette difficulté appelle un pilotage extrêmement fin et régulier. Les Allemands ont réussi à baisser le tarif d'achat sans effet de stop and go ; c'est de ce côté que nous devons chercher des solutions. Il ne s'agit pas d'offrir une « aubaine verte » à certains acteurs. Le tarif d'achat - nous en sommes bien conscients - doit être envisagé de manière provisoire, temporaire et décroissante à mesure que la rentabilité s'améliore ; cette condition nous semble essentielle.
En parallèle, nous devons examiner attentivement les subventions et autres soutiens accordés à la production d'énergie conventionnelle.
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai beaucoup aimé la logique de votre démonstration. J'ai notamment apprécié la partie relative aux préoccupations sociales, avec votre proposition d'accompagnement des personnes les plus précaires : c'est une idée très originale.
Il était également important de dire, comme vous venez de le faire, que, qu'on le veuille ou non, la France a subventionné la production de panneaux chinois, c'est-à-dire une activité qui, sur le plan social, laisse quelque peu à désirer...
M. Benoît Faraco . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions de manière aussi complète et précise. Ne soyez pas surpris cependant si notre rapporteur les prolonge de questions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous interrogerai notamment sur les réseaux intelligents et les mécanismes de compensation, monsieur Faraco.
M. Benoît Faraco . - La commission d'enquête est-elle habilitée à recevoir des contributions écrites ? Peut-on verser des documents au dossier ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Tout à fait ! Nous sommes mêmes demandeurs.
Je vous remercie, monsieur Faraco.
Audition de M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 »
( 4 avril 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l'audition de M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 ».
Monsieur Percebois, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, qui n'en est d'ailleurs pas une, puisqu'on ne peut pas refuser de venir devant une commission d'enquête. ( Sourires. )
Notre commission d'enquête a été créée à l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel ».
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il rappelle les questions qu'il vous a adressées par écrit, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Jacques Percebois prête serment. )
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Percebois, nous vous avons transmis sept questions - c'est pour l'instant le record ! -, que je vais donc résumer.
Première question : pouvez-vous présenter les principales conclusions du rapport « Énergies 2050 » ? En particulier, êtes-vous en mesure de préciser l'impact des grandes options que vous avez étudiées en termes de prix de l'électricité ?
Deuxième question : quelle est la sensibilité de vos conclusions, d'une part, au choix d'un taux d'actualisation pour les charges futures, d'autre part, aux prix du CO 2 ? Avez-vous pris en compte, et sous quelle forme, des externalités qui ne seraient pas déjà incluses dans les tarifs : emploi, balance commerciale, impact sur l'environnement... ?
Troisième question : le rapport « Énergies 2050 » suggère, dans sa synthèse générale, la construction d'un petit nombre d'EPR ; quels éléments vous conduisent-ils à penser que le coût de l'électricité produite par EPR sera compétitif au point de justifier un engagement sur le long terme tel que la construction de réacteurs nucléaires nouveaux ?
Quatrième question : le marché de l'électricité est-il ou risque-t-il d'être dans les vingt prochaines années, compte tenu du développement de certains moyens de production, en situation de surcapacité ? Qu'en est-il du parc de centrales nucléaires ?
Cinquième question : en tant qu'économiste, considérez-vous que les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent actuellement les « coûts réels » complets de production, transport, distribution et fourniture ?
Quelle est votre point de vue sur les déclarations du président de la Commission de régulation de l'énergie, qui annonce une augmentation de 30 % des prix de l'électricité d'ici à 2016 ?
Sixième question : estimez-vous que le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, a été fixé au niveau approprié ?
Septième question : quel jugement portez-vous, d'une manière générale, sur les mécanismes actuels de soutien aux différentes énergies renouvelables, à la cogénération et aux économies d'énergie ? S'agit-il de systèmes économiques optimaux pour promouvoir ces nouveaux moyens de production ?
M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 » . -Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette « invitation ». C'est bien volontiers que je vais rendre compte des principales conclusions de la commission « Énergies 2050 ».
Permettez-moi tout d'abord de rappeler que c'est à la demande de M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, que j'ai été nommé président de la commission « Énergies 2050 » en octobre 2011, le vice-président étant Claude Mandil.
Cette commission a été chargée de faire des projections à l'horizon 2030-2050 au regard des principaux enjeux énergétiques, notamment électriques, pour la France dans le cadre de la préparation à la programmation pluriannuelle des investissements, puisqu'en 2013 le Parlement aura à se prononcer sur la PPI.
Dans la lettre de mission qui m'a été adressée par le ministre, il était question de l'énergie en général pour la France, mais plus spécifiquement de la place du nucléaire. En particulier, il nous était demandé d'examiner de près quatre scénarios nucléaires, sur lesquels je vais revenir.
Cette commission comprenait une cinquantaine de personnes. Outre le président et le vice-président, elle comptait dix rapporteurs, dont deux rapporteurs généraux. Ces rapporteurs étaient issus de la direction générale de l'énergie et du climat, de la direction générale du Trésor, du Centre d'analyse stratégique, le CAS, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. Six personnalités qualifiées siégeaient également au sein de cette commission, ainsi que des représentants des entreprises énergétiques, des organisations syndicales, des associations de consommateurs, et de diverses organisations, notamment écologistes ; l'une d'entre elles, qui a participé au scénario négaWatt, a ainsi été auditionnée deux fois.
Cette commission a siégé durant quatre mois de façon intensive : nous avons auditionné quatre-vingts personnes ou organismes. Les rapporteurs ont accompli un travail important, comme en témoigne le rapport, qui comporte un peu plus de cinq cents pages.
À ce document sont annexées les propositions des différents membres de la commission. Seuls le président et le vice-président sont signataires du rapport et ce sont eux qui donnent un avis au ministre chargé de l'industrie, mais les membres de la commission ont pu s'exprimer à titre personnel ou au nom de leur organisation afin de faire part de leurs observations.
L'objectif était d'étudier l'équilibre entre l'offre et la demande d'énergie à l'horizon 2030-2050.
La première observation que je ferai, qui apparaît bien dans le rapport, c'est que, s'il est possible de faire des projections pour 2030, il est bien plus difficile d'être précis pour 2050 : pensez aux scénarios énergétiques que nous aurions pu envisager en 1973, au moment du premier choc pétrolier, pour 2012 ! Il faut donc être extrêmement modeste et prudent dans ses prévisions.
On peut penser que, d'ici à 2030, il n'y aura pas de grandes mutations technologiques. En revanche, au-delà de 2030 de telles mutations sont possibles. Parmi celles qui nous paraissent susceptibles de changer complètement la donne figure le stockage à grande échelle dans des conditions économiques de l'électricité. Cela changerait totalement les choses, notamment pour la promotion des énergies renouvelables.
Un autre élément important est le captage et le stockage du CO 2 . On sait qu'on pourra le faire, mais on ne sait pas précisément à quelle échéance.
Un certain nombre de mutations techniques peuvent donc apparaître après 2030. Nous avons examiné huit scénarios élaborés par différents organismes, notamment RTE, le CEA, Areva, le ministère... Ces scénarios, en général, s'arrêtent à 2030 ; seuls deux d'entre eux vont au-delà, jusqu'en 2050. Bien sûr, nous avons aussi examiné les prévisions pour 2050 de la roadmap de la Commission européenne, mais il s'agit de considérations assez générales.
Les incertitudes concernent d'abord la demande d'énergie. Il est certain, pour le dire de façon simple, qu'à l'échelle mondiale la demande d'énergie va croître, notamment en Asie, et que c'est cette demande asiatique qui va largement tirer les prix de l'énergie vers le haut.
Notre hypothèse, c'est que le prix du pétrole ne devrait pas chuter. Par conséquent, il devrait rester élevé au moins jusqu'en 2030. Le prix actuel du baril étant de 120 à 125 dollars le baril, nous avons envisagé qu'en monnaie constante, à l'horizon 2050, ce prix devrait être d'au moins 150 dollars, ce qui ne paraît pas excessif.
Nous avons également fait l'hypothèse que le prix du CO 2 , qui est très bas aujourd'hui, ne s'écroulerait pas. Sans nous fonder sur des prix très élevés, nous avons pensé que la contrainte environnementale demeurerait forte.
La part des énergies fossiles restera importante. Aujourd'hui, à l'échelle mondiale, elles représentent 80 % du bilan primaire ; en France, elles représentent 53 % du bilan primaire et 70 % de l'énergie finale. Nous faisons l'hypothèse qu'à l'horizon 2030 la part des énergies fossiles, c'est-à-dire le pétrole, le gaz et le charbon, devrait baisser un peu, sans toutefois diminuer substantiellement, car des inerties très fortes existent dans le secteur énergétique. Et puis parce que de larges ressources en pétrole, en gaz et en charbon subsistent, surtout si l'on fait l'hypothèse qu'il existe des sources importantes de gaz non conventionnel à l'échelle mondiale. Il suffit à cet égard de se référer à la situation américaine. En tout état de cause, nous nous sommes fondés sur l'idée qu'aucune mutation à l'horizon 2030 n'affecterait la part des énergies fossiles.
Un point sur lequel tout le monde s'accorde est la nécessité de l'efficacité énergétique. Il existe en France un potentiel énorme d'économies d'énergie, en particulier dans deux domaines : le bâtiment et les transports.
Toutefois, pour les bâtiments existants, nous sommes quelque peu démunis. Si, sur les nouveaux bâtiments, les contraintes vont pouvoir s'appliquer - on peut même faire des constructions à énergie positive -, en revanche, sur l'existant, les économies à opérer sont coûteuses, à peu près tout le monde est prêt à en convenir. Ainsi, l'isolation thermique des bâtiments existants coûte cher. Il faut donc trouver le moyen d'inciter les ménages à réaliser ces économies d'énergie. J'ajoute qu'il revient généralement aux propriétaires d'effectuer ce type de travaux, dont profitent le plus souvent les locataires. Le potentiel d'économies existe mais le système est compliqué à mettre en oeuvre.
Nous avons examiné avec beaucoup d'attention et d'intérêt des scénarios très ambitieux, très volontaristes. Ainsi, selon le scénario négaWatt, en faisant appel à des technologies très performantes, on pourrait quasiment diviser par deux la consommation d'énergie en France à l'horizon 2030-2050. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue et nous sommes un certain nombre à ne pas y souscrire ; c'est en tout cas le sentiment qui transparaît à la lecture de notre rapport. Il est en effet difficile de faire évoluer les comportements, qui demeurent assez rigides. Même si les technologies permettant de réaliser d'importantes économies seront disponibles, on ne peut pas escompter contraindre trop fortement les consommateurs, leur demander, par exemple, de ne pas recourir à des technologies nouvelles qui seraient consommatrices d'énergie.
En ce sens, on peut tout à fait concevoir un scénario selon lequel la consommation totale d'énergie baisserait tandis que la consommation d'électricité augmenterait. En effet, il peut y avoir davantage d'usages électriques dans le futur.
L'accent est donc largement mis sur l'efficacité énergétique, même si, nous le savons, la mise en oeuvre de cette efficacité n'est pas toujours facile, car, lorsque les technologies existent, elles sont coûteuses.
Concernant les énergies renouvelables, nous estimons qu'il existe un potentiel important. Il ne faut donc pas opposer, en matière d'électricité par exemple, le nucléaire et les renouvelables. Il y a un potentiel, des engagements ont d'ailleurs été pris, des efforts sont consentis, j'aurai l'occasion d'y revenir en réponse à la dernière question posée. Cela étant, un problème se pose, qu'il ne faut pas sous-estimer, celui des installations de back up , c'est-à-dire la nécessité de compenser l'intermittence.
Les énergies renouvelables, qu'il s'agisse du solaire ou de l'éolien, ne sont pas disponibles en permanence. Quand il n'y a pas de soleil ou de vent, il faut que des centrales en stand-by permettent de faire face à l'intermittence.
Ce n'est pas un élément négligeable. Nous avons ainsi étudié la disponibilité du vent en Europe, en nous fondant sur l'hypothèse selon laquelle cette disponibilité à l'horizon 2030 serait à peu près du même ordre que durant ces dernières années : nous nous sommes aperçus que l'éolien était disponible en moyenne 21 % du temps, ce taux pouvant monter à 60 % à certains moments, ce qui est important, mais également baisser à 5 %, voire en deçà, à d'autres moments.
Un des enseignements intéressants de nos débats a été que le foisonnement sur lequel beaucoup insistent ne semble pas exister. On a tendance à penser que, lorsqu'il n'y a pas de vent dans le sud de l'Europe, il y en a dans le nord. Mais, à regarder les choses de près, on se rend compte que ce n'est pas tout à fait vrai. Au vu des statistiques disponibles, il nous est apparu que, lorsqu'il n'y avait pas de vent dans une zone de l'Europe en raison d'un anticyclone, notamment en période de froid, il n'y en avait nulle part. Le problème de l'intermittence se pose donc avec acuité.
À partir de là, quelles sont les perspectives pour le parc électrique français ?
Nous avions à examiner, conformément à la lettre de mission adressée par le ministre, quatre scénarios.
Le premier scénario consistait en la prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, donc du parc des 58 réacteurs de deuxième génération. Ce parc a aujourd'hui une trentaine d'années ; il est programmé pour durer quarante ans - les coûts ont été calculés sur cette durée -, soit jusque vers 2020, 2025. Ce premier scénario revenait à se demander si l'on pouvait prolonger la durée de vie des réacteurs pendant encore vingt ans, en sachant - il faut être prudent - que, de toute façon, la prolongation ne peut se faire que sur autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire. L'hypothèse fonctionne sous réserve que l'ASN donne son accord pour chacun des réacteurs, pour dix ans, et renouvelle son accord au bout de dix ans.
Nous avons ensuite étudié, sur le plan strictement économique, car nous ne sommes pas compétents pour porter un jugement sur les aspects techniques ou de sûreté, quelles seraient les conséquences d'une prolongation de vingt ans des réacteurs actuels.
Un deuxième scénario reposait sur l'accélération du passage à la troisième, voire à la quatrième génération. La troisième génération est celle de l'EPR ; un EPR est en construction, un autre est programmé. La question posée est la suivante : quand les réacteurs actuels atteignent environ trente ou quarante ans, faut-il passer aux générateurs de troisième génération et, éventuellement, vers 2040, accélérer le passage vers la quatrième génération ? C'est le prototype ASTRID.
Un troisième scénario envisageait une baisse de la part du nucléaire. Lorsque les réacteurs atteignent quarante ans, un sur deux est remplacé, soit par des renouvelables, soit par des fossiles, c'est-à-dire de l'électricité produite essentiellement à partir du gaz, ou parfois aussi du charbon. Un réacteur sur deux continue à être du nucléaire, l'autre étant remplacé par un mix de renouvelables ou de fossiles.
Le quatrième scénario consisterait en l'arrêt du nucléaire. Quand les réacteurs atteignent quarante ans, ils sont systématiquement arrêtés et remplacés par un mix de fossiles ou de fossiles et de renouvelables.
Nous avons étudié en détail sur le plan économique ces différents scénarios, en nous appuyant sur les chiffres à notre disposition, notamment ceux de la Cour des comptes. Claude Mandil et moi-même faisions également partie du groupe d'experts auxquels la Cour des comptes a fait appel pour l'élaboration de son rapport. Nous ne pouvions pas officiellement faire état de ces chiffres tant que nous n'avions pas auditionné Mme Pappalardo, ce qui a été fait en cours de route. Il y a une cohérence entre les chiffres du nucléaire donnés par la Cour des comptes et les chiffres sur lesquels nous nous sommes appuyés.
Pour résumer les conclusions de notre rapport, le scénario qui, dans l'état actuel des informations et compte tenu des hypothèses que j'ai rappelées tout à l'heure, permet de minimiser le coût de l'électricité ou d'éviter une trop forte augmentation des tarifs - dans tous les cas de figure, en effet, le prix de l'électricité peut monter, j'aurai l'occasion d'y revenir - est celui qui consiste à prolonger la durée de vie des réacteurs actuels.
Ce scénario, qui est le plus intéressant sur le plan économique, suppose deux conditions fondamentales : premièrement, que l'ASN donne son accord, et nous faisons l'hypothèse que cela est de sa compétence ; deuxièmement, que les investissements de jouvence et de sûreté qui sont programmés soient réalisés. Leur montant n'est pas négligeable, puisqu'ils représentent 55 milliards d'euros, soit environ 45 milliards d'euros en termes de jouvence et 10 milliards d'euros supplémentaires pour la sûreté.
Les scénarios alternatifs sont plus coûteux. De toute façon, quoi qu'on fasse, en 2050, le parc actuel sera renouvelé. La différence, c'est que, dans un cas, il faut se préoccuper de remplacer les réacteurs dès 2025, alors que, dans les autres cas, on peut attendre 2030, 2035, voire 2040. Dès lors que sont consentis des investissements importants pour changer les réacteurs, le coût est évidemment plus élevé.
Nous avons également étudié les conséquences de ces scénarios en termes d'externalité : sur la balance commerciale, sur l'emploi, sur l'indépendance énergétique de la France. Quel que soit le scénario envisagé, les conclusions étaient les mêmes : l'intérêt économique de la France, c'est d'allonger la durée de vie des réacteurs actuels. Cela nous permettra en outre le moment venu, c'est-à-dire d'ici à quinze ans, d'y voir plus clair en matière de solutions alternatives.
C'est au fond une stratégie de moindre regret, au sens mathématique du terme, non au sens trivial : on minimise les inconvénients et l'on y verra plus clair dans quinze ans, notamment si interviennent des mutations technologiques et si le coût des renouvelables s'est fortement amenuisé. On pourra, à ce moment-là, prendre les bonnes décisions, réduire un peu la part du nucléaire pour passer à plus de renouvelables ou, au contraire, envisager d'autres solutions.
Le scénario d'accélération de l'EPR nous est apparu plus coûteux, car l'EPR, il est vrai, coûte plus cher. À cela s'ajoute une contrainte en termes de potentiel de l'industrie française : il n'est pas du tout certain que celle-ci puisse faire face à la construction de deux réacteurs par an, à intervalles réguliers.
Cet élément industriel est important ; comme nous l'avons souligné dans nos conclusions, nous considérons que c'est pour la France une chance d'avoir une industrie nucléaire performante, à tous points de vue. Notre pays est compétent dans plusieurs domaines sur le plan industriel, notamment l'aéronautique et le nucléaire. Donc, à la fois en termes d'emplois qualifiés, de potentiel industriel, voire d'exportations, il faut absolument maintenir cette compétence.
Je rappelle que notre balance commerciale présente un déficit de 70 milliards d'euros, sur lesquels 60 milliards d'euros sont dus à l'énergie. Le nucléaire contribue, certes modestement, à soulager ce déficit avec 2,3 ou 2,5 milliards d'euros d'exportations. Les calculs sont faciles à faire : si l'on ne faisait pas de nucléaire, il faudrait logiquement construire des centrales à gaz et importer pour 20 milliards d'euros supplémentaires.
Nous sommes prudents mais, durant ces quatre mois où nous avons étudié tous les scénarios, notamment ceux proposés par les autres institutions, auditionné un grand nombre de personnalités, ce scénario de la prolongation du parc nucléaire actuel nous est apparu collectivement comme le meilleur.
M. Jean Desessard, rapporteur . -Quand vous dites que notre industrie n'a pas la capacité de construire deux EPR par an, faites-vous allusion aux entreprises de travaux publics ?
M. Jacques Percebois . - En effet. Construire un deuxième EPR au bout de deux ou trois ans, c'est possible, faire deux EPR par an est plus problématique. Si l'on retient l'hypothèse d'une accélération, cela veut dire que l'on devra, à un moment donné, commencer par faire deux EPR, ce qui risque d'être difficile.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il s'agit de remplacer les 58 réacteurs à mesure qu'ils atteignent la fin de leur durée de vie, sans la prolongation des vingt ans, par des EPR ?...
M. Jacques Percebois . - Absolument. C'est du systématique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce scénario paraît un peu caricatural.
M. Jacques Percebois . - C'est vrai. L'EPR est un réacteur plus sûr que les réacteurs actuels, mais le coût en est plus élevé. Nous aurons l'occasion d'y revenir puisqu'une question m'a été posée au sujet de l'EPR.
Cela étant, notre commission a recommandé de faire un peu d'EPR, de lisser un peu le remplacement, c'est-à-dire de ne pas perdre de vue que l'EPR est un excellent réacteur et qu'il est bon, ne serait-ce que pour maintenir la compétence technologique française, notamment celle des ingénieurs, de faire des EPR, mais pas systématiquement tous les ans.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie de cette précision, car, compte tenu de la façon dont le rapporteur a formulé sa question, on pouvait comprendre qu'il fallait s'arrêter après le premier EPR. Or, ce que l'industrie ne peut pas assumer, ce sont deux EPR par an.
M. Jacques Percebois . - Absolument, monsieur le président.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Et c'est bien ce que le rapporteur a compris !
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'ai compris ce qu'a dit M. Percebois. ( Sourires .)
M. Jacques Percebois . - J'en arrive à la deuxième question, la sensibilité au prix du CO 2 .
Si l'on avait choisi un prix du CO 2 très élevé, on aurait en quelque sorte pénalisé les fossiles. Nous avons donc été raisonnables et retenu un prix de 50 euros par tonne de CO 2 . C'est nettement plus qu'aujourd'hui, mais c'est loin du prix de 100 ou 150 euros retenu par certains. Le taux d'actualisation intervient, ce qui peut modifier ce prix à la marge. Mais on a choisi un taux qui n'est pas négligeable, qui est de 8 %, avec des simulations à 5 %, comme l'a fait la Cour des comptes, ou à 10 %.
Il est vrai que, plus on choisit un taux élevé, plus on « écrase » le futur. Il est certain que, si le remplacement du nucléaire se fait tard, cela favorise une solution nucléaire de prolongement. En même temps, si l'on choisit un taux très bas, si l'on fait des investissements rapides en matière d'énergies renouvelables, cela peut pénaliser ces dernières, puisque le coût sera relativement élevé.
Cela modifie à la marge les résultats relatifs, mais cela ne modifie pas la hiérarchie économique, ce que l'on appelle la règle du merit order . Le nucléaire reste la moins chère des énergies. Le kilowattheure produit à partir des renouvelables ou des fossiles est plus coûteux.
Pour les renouvelables, au vu des chiffres actuellement disponibles, nous avons avancé l'hypothèse qu'il y aurait un effet d'apprentissage et que le coût des renouvelables baisserait. Comme cela apparaît bien dans l'ensemble des tableaux, nous avons fait l'hypothèse qu'il y aurait des gains d'efficacité, des économies d'échelle, mais que les renouvelables resteraient relativement coûteuses.
Une autre hypothèse, c'est que le prix du gaz resterait corrélé au prix du pétrole, sans être toutefois systématiquement indexé sur ce dernier, comme c'est le cas aujourd'hui. Un scénario pourrait changer la donne : imaginons qu'il y ait en France la même situation qu'aux États-Unis, c'est-à-dire un gaz de schiste à 2 dollars le million de BTU ( British thermal unit ).
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce n'est pas une bonne idée !
M. Jacques Percebois . - C'est une hypothèse académique ! ( Sourires .)
La question est importante parce qu'aux États-Unis, aujourd'hui, le prix du gaz a modifié la donne : 50 % de la production américaine d'électricité provient des centrales à charbon et, à l'heure actuelle, celles-ci ne sont plus compétitives, contrairement aux centrales à gaz.
C'est le seul scénario qui changerait la donne, mais nous ne l'avons pas explicité dans le rapport.
La question des externalités - j'ai évoqué la balance commerciale - est importante.
Sur l'emploi, nous avons conscience que les énergies renouvelables créent aussi des emplois. Schématiquement, le nucléaire représente environ 400 000 emplois, dont 200 000 emplois directs et 200 000 emplois indirects. Après avoir examiné les choses de façon générale, sans trop entrer dans le détail, nous avons néanmoins remarqué que la nature des emplois n'était pas la même. Il importe, en effet, de différencier les types d'emplois et de compétences. L'installateur de chauffe-eau solaire n'est pas l'ingénieur nucléaire. La compétence industrielle joue aussi. Le nombre d'emplois est un argument, mais il ne faut pas se limiter à ce seul critère.
En revanche, ce qui nous est apparu important, en faisant fonctionner le modèle NEMESIS de la Commission européenne, c'est que le nucléaire représente un avantage s'agissant des emplois induits. Ces emplois sont liés au fait que, grâce au nucléaire, le prix de l'électricité reste bas, ce qui, pour l'industrie ou pour les services en France, est un avantage dans la compétition. Une augmentation du prix de l'électricité entraînerait sûrement des délocalisations ou des suppressions d'emplois. Suivant les scénarios, nous étions à 100 000, voire 200 000 emplois.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Un prix moindre de l'électricité favoriserait la création d'emplois induits ?
M. Jacques Percebois . - Tout à fait.
Il faut différencier les emplois directs, c'est-à-dire directement liés au nucléaire, les emplois indirects, qui concernent ceux qui travaillent indirectement pour le nucléaire et les emplois induits, qui concernent ceux qui profitent d'un prix de l'électricité relativement bas.
Il est certain qu'une augmentation du prix de l'électricité aurait des conséquences pour certains secteurs industriels. On peut notamment penser à l'aluminium et à certaines industries électro-intensives.
Le faible prix des hydrocarbures aux États-Unis entraîne un repositionnement de certaines industries grosses consommatrices de pétrole et de gaz dans ce pays. Le maintien à un prix assez bas de l'électricité en France nous permettra de maintenir des industries électro-intensives, voire d'en accueillir de nouvelles.
S'agissant de l'environnement, je souligne que la France émet très peu de CO 2 par habitant grâce au nucléaire. Si l'on arrêtait le nucléaire, ou si l'on en diminuait la part, pour le remplacer par des renouvelables, cela n'aurait pas d'impact direct sur le CO 2 . En revanche, si l'on passait à l'électricité d'origine fossile, même partiellement, même s'il s'agit du gaz, cela entraînerait une augmentation des émissions de CO 2 .
J'en viens à la question de savoir si le coût de l'EPR peut baisser. Je reviendrai tout à l'heure sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes, parce qu'il faut faire le lien entre le coût donné par la Cour des comptes et le prix de l'ARENH.
La Cour des comptes évalue à 49,50 euros le coût moyen d'un mégawattheure ; avec l'EPR, on est plus proche de 75 euros, mais c'est un prototype. Nous avons fait l'hypothèse que, si l'on passait à l'EPR, le prix ne serait pas nécessairement de 75 euros, qu'il serait un peu plus bas, tout en étant supérieur à 50 euros. Suivant les scénarios, on est plutôt aux alentours de 60 euros. Un effet d'échelle peut jouer faisant ainsi baisser le coût. C'est un pari qu'on peut faire, car l'expérience montre que, en général, si l'on fait plusieurs EPR, on peut gagner en termes de coût ; mais on n'en a pas la preuve. Évidemment, un coût de 75 euros renforce la conclusion que je vous ai tout à l'heure exposée : il ne faut surtout pas faire deux EPR par an. À 60 euros, il faut en faire un peu.
Dans le domaine électrique, sommes-nous en sous-capacité ou en surcapacité ? Ne perdons pas de vue que, l'électricité ne se stockant pas, il faut en permanence que la demande soit satisfaite par une offre suffisante. Par conséquent, il vaut mieux être en surcapacité qu'en sous-capacité.
On observe aujourd'hui que l'on est parfois, en Europe - pas seulement en France -, en surcapacité à certaines heures et en sous-capacité aux heures de pointe. En Europe, le gros problème qui va se poser, c'est la pointe. Il se pose déjà en France. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs la loi NOME prévoit qu'il faut mettre en place un marché de capacité. Ce problème se posera avec plus d'acuité encore à l'avenir parce que, pour l'instant, les équipements de pointe ne sont pas très rentables.
Pendant un certain nombre d'années, nous avons été en surcapacité nucléaire, ce qui nous a permis d'exporter de l'électricité en base.
Pour notre part, nous nous fondons sur l'hypothèse selon laquelle la demande d'électricité en France restera stable ou connaîtra une légère croissance ; nous n'imaginons pas une chute de la demande. Certains militaient pour une hypothèse de forte augmentation, arguant que des usages électriques vont apparaître. Si l'on retient l'hypothèse d'une demande stable ou en légère augmentation, nous ne serons pas en surcapacité en France.
En revanche, en Europe, on le voit bien, puisque nous sommes interconnectés, il peut y avoir à certaines heures une surcapacité, notamment en éolien. C'est l'un des problèmes auxquels sont confrontés les Allemands à l'heure actuelle. Lorsqu'il y a beaucoup de vent en mer du Nord et que la demande d'électricité est faible, par exemple la nuit, ils ont trop d'électricité. La logique devrait alors commander d'arrêter des centrales thermiques, puisque l'éolien est prioritaire sur le réseau. Néanmoins, dans la mesure où il est coûteux d'arrêter de telles installations pendant trois ou quatre heures pour les remettre ensuite en marche, il faut trouver quelqu'un qui accepte de prendre cette électricité en trop et de payer ce quelqu'un, si bien que l'on aboutit à des prix négatifs. Cela s'est produit plusieurs fois en Allemagne.
Ce n'est évidemment pas le consommateur final qui achète sur le marché de l'électricité à un prix négatif. Ce sont essentiellement les Suisses qui le font. Avec cette électricité, ils montent de l'eau au sommet de leurs montagnes, où ils possèdent des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, c'est-à-dire des installations pour stocker de l'eau. Ils « returbinent » aux heures de pointe pour revendre aux Italiens de l'électricité à prix élevé. Par conséquent, ils gagnent deux fois, quand ils prennent et quand ils revendent. C'est un effet pervers du système : à ce moment-là, il serait logique d'arrêter soit l'éolien, soit les centrales thermiques.
En France, ce phénomène ne s'est pour l'instant produit qu'une seule fois : le 2 janvier 2012, à quatre heures du matin, le mégawattheure a coûté, je crois, moins 5 euros ; mais c'est anecdotique.
Je ne pense pas que nous soyons en surcapacité. Il faut plutôt se préoccuper de la sous-capacité aux heures de pointe, car c'est un des gros problèmes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Indépendamment de l'aspect commercial et financier de l'exemple que vous venez de décrire, le fait que les Suisses remontent l'eau, la stockent et produisent ensuite de l'électricité en période de pointe peut être intéressant pour faire face aux pointes.
M. Jacques Percebois . - Oui.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je me trompe peut-être, mais ce n'est pas la seule utilisation de la surcapacité. Certaines entreprises profitent de cette « électricité négative » pour fabriquer des produits dont elles n'ont pas un besoin immédiat, mais qu'elles ont la capacité de stocker.
M. Jacques Percebois . - Oui. Les entreprises allemandes ont préempté beaucoup de STEP dans les pays nordiques : elles savent qu'elles auront des problèmes et elles veulent donc pouvoir stocker indirectement. À défaut de stocker l'électricité, elles stockent l'eau. C'est ainsi qu'elles procèdent.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous semblez avoir beaucoup approfondi ce point.
Vous êtes-vous penché sur l'action des pays voisins - Allemagne, Autriche, Espagne -, qui semblent développer des capacités STEP pour répondre à ce besoin de l'énergie à bas coût ?
M. Jacques Percebois . - Non, nous savons que le problème existe. Nous ne nous en sommes pas préoccupés et nous n'avons pas étudié ces questions.
Nous avons cependant examiné de près la situation de deux pays, puisque nous avons auditionné des représentants du ministère de l'énergie britannique et du ministère de l'énergie allemand. Il s'agit de deux cas un peu antinomiques puisque, dans un pays, on veut refaire du nucléaire et, dans l'autre, on veut en sortir.
Avec les spécialistes de RTE, nous avons examiné les effets induits, par exemple en Pologne ou en République tchèque. En effet, quand il y a trop d'électricité dans le nord de l'Allemagne, comme il n'y a pas assez de lignes pour la transporter du nord vers le sud, les Allemands sont obligés de passer par la Pologne, par l'Autriche, puis ils remontent vers le sud de l'Allemagne. Cela peut poser des problèmes aux pays limitrophes de l'Allemagne, donc, demain, également à la France. Pour faire simple, les Allemands ont intérêt à avoir des interconnexions de plus en plus fortes, mais je ne suis pas absolument certain que ce soit l'intérêt de tous les pays limitrophes.
J'en viens au prix de l'électricité. Je rappelle que, dans le rapport que nous avons rédigé, nous nous sommes avant tout préoccupés du coût « sortie centrale », c'est-à-dire du coût complet du kilowattheure. Je rappelle, car c'est important et nous y insistons beaucoup dans le rapport, que, le prix de l'électricité qu'acquitte le consommateur final domestique correspond, pour 40 % au coût du kilowattheure, pour 35 % aux péages d'accès aux réseaux - distribution, 25 %, et transport, 10 %. Les 25 % restants correspondent à des taxes et à la CSPE. Notre mission consistait avant tout à regarder le coût du kilowattheure « sortie centrale ». Pour les réseaux, on part de l'hypothèse que c'est la CRE qui fixe les tarifs : en fait, elle donne son avis et c'est le ministre qui décide. Pour la CSPE, c'est la même chose ; j'aurai l'occasion d'y revenir à propos des énergies renouvelables.
Bien sûr, pour le prix de l'électricité, nous avons conscience que les péages d'accès aux réseaux risquent d'augmenter si l'on fait plus de réseaux, surtout si l'on enfouit les réseaux de distribution, car il s'agit d'une opération coûteuse. La France a un effort à accomplir dans ce domaine-là : il faut moderniser les réseaux. Par conséquent, on ne s'attend pas à une chute des péages d'accès aux réseaux, d'autant que la CRE est assez vigilante sur ce sujet : elle fixe des péages qui couvrent les coûts, notamment ceux des investissements nouveaux.
J'en viens aux taxes. La CSPE pose évidemment problème. Presque la moitié de cette contribution est destinée à couvrir les surcoûts liés à l'aide aux énergies renouvelables ; une partie sert à la péréquation spatiale des tarifs avec les départements d'outre-mer, une autre, plus petite, concerne la cogénération.
Le tarif de première nécessité pour les ménages en situation de précarité représente seulement 2 % de la CSPE. C'est vraiment très modeste. Ce sont donc bien les surcoûts qui posent difficulté et non ces aides.
Pour les énergies renouvelables, le surcoût est relativement élevé et il a eu tendance à s'accroître. Fort heureusement, les aides qui ont été attribuées ont été revues à la baisse, car cela a entraîné des effets d'aubaine assez importants.
Le surcoût est difficile à déterminer ex ante , car il dépend du prix du marché. Je viens d'expliquer que le coût du kilowattheure représentait 40 %, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est constitué du kilowattheure français - c'est la base - et de ce que l'on appelle le « complément marché », c'est-à-dire le kilowattheure qu'il faut acheter aux heures de pointe sur le marché. En général, il s'agit du marché européen : c'est du kilowattheure thermique provenant d'Allemagne ou d'ailleurs. Il dépend du thermique, c'est-à-dire du prix du pétrole et du prix du gaz.
On ne sait pas très bien comment évoluera ce coût ; on fait l'hypothèse qu'il va plutôt augmenter. Le surcoût des énergies renouvelables, c'est la différence entre ce prix du marché et le prix auquel on rachète. Évidemment, cela peut fluctuer.
Ces derniers temps, le surcoût a fortement augmenté, puisque la CSPE est passée de 4 euros à 9 euros. À partir du mois de juin prochain, elle passera à 10 euros ou à 10,50 euros. La CRE estime même qu'elle devrait être aux alentours de 13 euros. EDF se plaint qu'une partie du surcoût reste à sa charge, même si, quand elle vend du renouvelable, elle profite du système.
Il est certain qu'il faut plutôt s'attendre à une hausse. Même si cette question n'entrait pas directement dans notre champ de compétences, nous avons néanmoins fait observer qu'aider les énergies renouvelables était une bonne mesure. Toutes les énergies ont été aidées. Cependant, si les énergies renouvelables le sont durablement, cela peut poser problème. La question qui se pose est la suivante : faut-il maintenir le système actuel ou envisager d'autres systèmes ? J'aurai peut-être l'occasion d'y revenir.
Concernant le coût de l'électricité elle-même, nous avons fait l'hypothèse que le complément marché allait augmenter un peu. L'avantage du nucléaire, c'est que cela permet une relative stabilité du coût « sortie centrale ». C'est un élément fort, qui explique le différentiel de prix entre la France et l'Allemagne, par exemple, ou même la moyenne européenne.
Est-ce que les prix reflètent les coûts ? À cette question, j'aurais tendance à répondre : à peu près.
En France, depuis qu'EDF a mis en place le système de la tarification coût marginal pour les industriels, en 1956, puis pour les particuliers, en 1965, les prix de l'électricité reflètent à peu près les coûts. On ne peut pas dire que ce soit en permanence le cas : la CRE formule de temps en temps des observations, notamment lorsque le ministère n'autorise pas l'augmentation qui aurait été souhaitable, pour des raisons qui tiennent par exemple à la lutte contre l'inflation.
Il n'en reste pas moins que, globalement, en France, les tarifs de l'électricité reflètent assez bien les coûts, avec une nuance sur la CSPE, qui n'est peut-être pas totalement intégrée dans le tarif. Pour ma part, je considère que la politique tarifaire est bonne de ce point de vue. D'ailleurs, la politique de tarification fondée sur les coûts marginaux est, à mes yeux, un très bon système.
Cela m'amène à l'ARENH, qui constitue un sujet important. Pour avoir eu l'honneur de participer aux commissions Champsaur, je ne peux pas ne pas répondre que l'ARENH est un bon système ou que le montant de 39 euros est pertinent !
Après la publication du rapport de la Cour des comptes, certains ont fait observer que les chiffres de la Cour des comptes ne coïncidaient pas avec l'ARENH. C'est logique, car il s'agit de deux choses différentes. La Cour des comptes a examiné les chiffres que lui a transmis EDF. Elle a donc d'abord observé qu'il n'existait pas de coûts cachés, même s'il restait des incertitudes sur certains coûts, notamment les coûts de démantèlement. C'est normal puisque ce sont des coûts à venir que l'on ne connaît pas bien ; je pense, par exemple, aux coûts de gestion des déchets. En revanche, sur les coûts passés, on arrive à peu près à reconstituer ce que l'on a dépensé.
La Cour des comptes estime que 49,5 euros le mégawattheure correspond à une bonne estimation de ce qu'a coûté le programme nucléaire actuel, c'est-à-dire le parc nucléaire actuel.
J'insiste bien sur le fait qu'il s'agit aujourd'hui du coût du passé. Si, demain, la France veut réinvestir, il faudra que le prix de l'électricité anticipe les investissements nouveaux. La politique menée dans le passé par EDF est d'ailleurs bonne : elle a consisté à établir la tarification sur la base de ce que l'on appelle le « coût en développement ». Cela revient à anticiper les investissements nécessaires et à répercuter par avance une partie des coûts dans les tarifs. En effet, il ne faut pas faire payer à la génération actuelle tous les coûts futurs, mais il ne faut pas non plus laisser à la génération future tous les coûts. C'est donc un bon système.
Pour l'instant, la question ne se pose pas puisqu'il ne faut pas renouveler les réacteurs. Elle se posera lorsqu'il faudra le faire. Dès lors, le prix de l'électricité devra augmenter. Mais ce ne sera que dans dix, quinze ou vingt ans, selon les choix qui seront faits par le politique.
Le coût actuel - 49,50 euros - est donc un coût moyen qui reflète assez bien ce qu'a coûté le programme nucléaire.
Pour l'ARENH, c'est complètement différent. Cela répond à une logique qui consiste à calculer le coût du parc actuel, par mégawattheure, pour EDF, en sachant qu'une partie importante des investissements a déjà été récupérée. Il ne faut pas que le consommateur français paie deux fois.
Lorsque la commission Champsaur 2 a calculé l'ARENH, elle a examiné, sur la base de la comptabilité - c'est un coût comptable -, ce qui avait été amorti et ce qui restait. Elle a donc procédé à un calcul prospectif sur la partie résiduelle, c'est-à-dire les quinze ans restants sur les quarante ans, puisque les calculs se fondent sur cette durée, en tenant compte de ce qui a déjà été payé. Elle est parvenue à 33 euros le mégawattheure. Elle y a ajouté le montant des « investissements de jouvence », de l'ordre de 5 euros à 6 euros, puisqu'il va falloir prolonger le parc et l'anticiper dès maintenant, et a abouti à 39 euros.
En fait, la commission Champsaur a proposé au ministre entre 38 euros et 40 euros, parce que l'on ne pouvait pas dire que l'on était à 39 euros exactement. Le rapport a été remis au moment de Fukushima et le ministre a estimé que, dans la mesure où des dépenses supplémentaires devraient probablement être engagées à cause de la sûreté, il valait mieux prévoir 40 euros en 2011 et même 42 euros en 2012. C'est une décision politique. On n'est pas très loin du chiffre proposé. D'ailleurs, le ministre l'a dit : le Gouvernement s'appuie sur le rapport Champsaur 2 pour fixer le tarif.
Il est impossible de comparer les 39 euros ou les 42 euros de l'ARENH aux 49,50 euros de la Cour des comptes. On ne parle pas de la même chose ! Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui, dans les tarifs régulés de vente, le TRV, de prendre 49,50 euros pour fixer le tarif.
N'oublions pas que le fameux tarif de 42 euros a pour but de permettre aux concurrents d'EDF de jouer à armes égales. On peut évidemment discuter de la logique de la loi NOME, mais elle répondait bien à cet objectif. Du fait des prix internationaux et des prix européens plus élevés, les concurrents d'EDF, qui n'ont pas la chance d'avoir un programme nucléaire, se trouvent dans une situation plus difficile, car leur prix de revient est plus élevé.
Il y a deux solutions : soit on considère qu'il existe une rente de rareté du nucléaire, dont profite EDF, et l'État peut éventuellement prélever la rente et, éventuellement, la redistribuer aux consommateurs ; soit on autorise les concurrents à se « sourcer » pour partie, à condition que ce soit pour alimenter les consommateurs français, sur la base du nucléaire français, à concurrence de 25 %, mais aux conditions auxquelles cela revient à EDF. Bien sûr, pour le consommateur, le coût s'établit à 49 euros le mégawattheure, mais EDF a déjà récupéré une partie de la mise.
Il est donc logique de prendre 42 euros pour fixer le tarif. Pour EDF, ce n'est pas une mauvaise affaire, parce qu'il y a une rentabilité du capital. Le rapport Champsaur précise clairement que la décomposition des différents éléments montre qu'est pris en compte ce qui a été amorti et qu'est introduite une rentabilité du capital, ce qui est tout à fait légitime pour un investisseur. On aboutit alors à un montant de 40 euros à 42 euros le mégawattheure.
Le montant actuel de l'ARENH - 42 euros - doit-il augmenter ? Le système est en principe prévu jusqu'en 2025. Ce tarif comprend une partie des dépenses d'exploitation, les OPEX, c'est-à-dire une partie des coûts de fonctionnement. Par conséquent, on peut supposer qu'il y aura de l'inflation. La seule chose que l'on pourrait considérer, c'est que, sur les 42 euros, à peu près 25 euros ou 26 euros correspondent à des coûts de fonctionnement. C'est peut-être sur ces coûts particuliers qu'il faudrait, chaque année, tenir compte de l'inflation, aux alentours de 1,5 % ou de 2 %.
Pour autant, rien ne justifie de porter l'ARENH à 49,50 euros. Cela répond à deux visions tout à fait différentes ; il n'y a donc pas de contradiction. D'ailleurs, la Cour des comptes le dit très bien : dans un cas, il s'agit du coût pour le consommateur à l'instant t ; dans l'autre, du coût pour EDF aujourd'hui, sachant qu'une partie a déjà été récupérée.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il y a deux jours, la CGPME et, par son intermédiaire, toute une série de petites et moyennes entreprises ont tiré le signal d'alarme, disant qu'à ce prix-là elles n'y arriveraient pas.
M. Jacques Percebois . - Je rappelle qu'EDF demandait au départ 46 euros, voire plus. Certains parlaient de 33 euros. Le rapport Champsaur 2 a conclu à 39 euros, précisant qu'EDF n'y perdait pas. L'objectif était bien de permettre à l'opérateur historique de récupérer sa mise, ce qui est tout à fait légitime. La question se pose en effet : est-il légitime de demander à celui qui a fait un effort d'investissement - les centrales nucléaires appartiennent à EDF - de vendre une partie de son électricité à ses concurrents ?
C'est le débat sur le TARTAM, c'est la logique de l'Europe. Il y avait des menaces crédibles : « Si vous ne faites pas ça, on va interdire à l'opérateur historique d'avoir plus de x % de parts de marché ! »
Si l'on considère qu'il faut demander à l'opérateur historique de se sacrifier un peu pour vendre une partie de son électricité, les producteurs alternatifs deviennent des revendeurs de l'électricité nucléaire d'EDF, ce qui ne leur donne pas totalement satisfaction.
Pour nous, un ARENH à 39 euros, c'était un tarif qui paraissait raisonnable et qui, en tout cas, ne pénalisait pas EDF. Certains ont considéré que c'était insuffisant, en arguant que la Cour des comptes avait dit que le bon niveau, c'était 49 euros. Le pouvoir politique a décidé que ce serait 42 euros, eu égard aux coûts supplémentaires de sûreté. Nous, nous n'avions pas d'avis à donner sur ce point.
Certains industriels peuvent considérer qu'ils auront du mal, mais on peut leur répondre qu'il vaut mieux se « sourcer » en France sur l'ARENH à 42 euros que sur le marché européen à 50, 55 ou 60 euros. De ce point de vue, leur situation ne me semble pas si délicate.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je voudrais être sûr de bien comprendre la différence entre 39 euros et 49 euros ou 42 euros.
Pour vous, 33 euros correspondent au coût calculé en fonction de l'investissement qui reste à amortir pour les centrales actuelles. Vous y ajoutez 6 euros au titre de la nécessaire modernisation. Cela donne un total de 39 euros, auxquels le Gouvernement ajoute 3 euros pour améliorer la sécurité, à la lumière de l'accident survenu au Japon.
M. Jacques Percebois . - C'est cela.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Mais comment est calculé le coût de 49 euros ? Si je vous ai bien compris, dans l'hypothèse où nous devrions reconstruire notre parc aujourd'hui, il faudrait payer le mégawattheure 49 euros pour financer sa construction ?
M. Jacques Percebois . - Absolument ! Si nous devions reconstruire notre parc de centrales nucléaires dans la nuit - ce que l'on appelle le coût overnight -, en tenant compte de tout, le prix du mégawattheure devrait être fixé à 49,50 euros. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment le coût overnight , car il y a une partie de ce montant qui tient aux intérêts intercalaires. Cela signifie donc que le prix de revient des 58 réacteurs, pour le consommateur français, s'élève à 49,50 euros par mégawattheure. C'est le bon chiffre. Mais le consommateur a déjà payé une partie de ce prix...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les investissements ont été remboursés par avance, si j'ose dire...
M. Jacques Percebois . - Oui ! En 2010, l'investissement était amorti à hauteur de 75 % : EDF a donc récupéré une partie de sa mise.
D'ailleurs, si l'on observe la courbe des investissements d'EDF, elle monte entre 1973 et 1985, et celle des tarifs a suivi. Les industriels français ont payé 25 % de plus, en monnaie constante, entre 1973 et 1985. Ensuite, les tarifs d'EDF ont pu baisser régulièrement parce que l'on n'investissait plus ; aujourd'hui, ils remontent parce qu'il faut réinvestir : c'est tout à fait logique !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Que pouvez-vous nous dire sur les énergies renouvelables ?
M. Jacques Percebois . - Plusieurs systèmes sont envisageables.
Le système des prix garantis est séduisant et a prouvé ses vertus. En effet, dans les pays où les prix garantis sont très élevés, notamment en Allemagne et en Espagne, d'importants moyens de production d'énergies renouvelables ont été mis en place. Ce système a un inconvénient : comme l'État ne sait pas bien quel sera le coût de cette production, il fixe un prix garanti et attend de connaître les quantités produites. Il peut en résulter un effet pervers : la quantité produite peut être plus ou moins importante suivant les coûts. Il y a eu des effets d'aubaine...
Pour l'éolien onshore , les tarifs ne sont pas excessifs : ils se situent à 82 ou 83 euros par mégawattheure ; c'est correct. D'ailleurs, l'éolien approche du seuil de compétitivité du marché suivant les heures - avec une nuance que j'évoquais tout à l'heure, à savoir le problème du back up . D'ailleurs, s'il y a une recommandation à faire, c'est que la Cour des comptes fasse pour les renouvelables ce qu'elle a fait pour le nucléaire, qu'elle établisse un bilan de ce que cela a coûté, des avantages et des inconvénients de chaque système.
Avec l'éolien, on a un système qui n'a pas trop mal fonctionné, même si, en Allemagne, cela l'a un peu boosté, mais, après tout, c'est plutôt bon et c'est surtout légitime : en effet, toutes les énergies, à un moment de leur histoire, ont été aidées d'une façon ou d'une autre - la plus aidée étant le charbon, y compris en France -, par la fiscalité, par des aides publiques ou par la recherche publique, notamment dans le cas du nucléaire.
En ce qui concerne l'électricité photovoltaïque, il faut bien reconnaître que les prix garantis étaient très élevés. Quand le mégawattheure était racheté 600 euros, c'était excessif. Je connais une collectivité locale qui a fait une bonne affaire en installant des panneaux solaires sur sa mairie et en signant un contrat de fourniture d'une durée de vingt ans avec un prix du mégawattheure à 600 euros. Ils sont très contents ! Ce n'est pas cela qui peut plomber le système français, mais cela montre bien qu'il y a eu des effets d'aubaine importants.
L'État a compris que c'était trop et on a réduit les aides, ce qui est une bonne chose.
La solution alternative, c'est celle qui vient d'être adoptée pour l'éolien offshore et qui consiste à recourir aux appels d'offres. C'est un bon système ! « J'ai besoin de 3 000 mégawatts installés d'éolien offshore ... Qui est candidat et à quel prix ? » On va voir quels prix vont être proposés. Nous pensions que ce serait entre 150 euros et 200 euros par mégawattheure, ce qui est tout à fait raisonnable, puisque la production offshore coûte plus cher.
Il faut aider les énergies renouvelables de manière transitoire, mais on ne peut pas adopter un système où elles sont aidées durablement. Il faut surtout analyser les conséquences de ces aides, afin de savoir qui en profite vraiment. Aujourd'hui, l'installation de panneaux photovoltaïques en Europe profite principalement aux entreprises chinoises. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous soutenons l'emploi en Chine, ce serait caricaturer, mais les retombées en termes d'emplois ici ne sont pas à la hauteur des espérances.
Notre rapport rappelle qu'il est important que la France développe aussi, à côté d'une industrie nucléaire performante à l'échelle internationale, une industrie du solaire qui pourrait aussi être une industrie d'exportation : n'oublions pas que, dans le passé, notre pays a été en pointe dans ce domaine. Pour différentes raisons, ce n'est plus le cas. Des marchés importants existent dans des pays très ensoleillés, comme la Californie : pourquoi l'industrie française ne serait-elle pas compétitive dans ce domaine ? Il n'y a aucune raison valable de restreindre la recherche et l'industrie françaises au nucléaire.
Il faut cependant raison garder : les consommateurs n'ont pas toujours conscience du fait que ce sont eux qui paient ces aides aux énergies renouvelables, puisqu'elles sont répercutées dans la CSPE.
Il ne faut pas s'attendre à voir le prix de l'électricité baisser parce qu'il faudra investir dans les réseaux, aider les renouvelables, faire des efforts, y compris dans le nucléaire - et si l'on en sort, il faudra consentir des investissements encore plus importants ! Il faut donc expliquer au consommateur que nous conserverons un avantage relatif, dans la mesure où les prix français resteront très en deçà des prix européens, mais il faut qu'il soit conscient de la nécessité de réaliser des économies d'énergie, et donc des investissements dans l'efficacité énergétique, même s'ils sont relativement coûteux. La vérité des prix oblige à dire qu'il ne faut pas s'attendre à ce que les prix baissent, même s'ils augmenteront moins vite en France qu'ailleurs, grâce au nucléaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez raison de souligner que le système des appels d'offres est beaucoup plus juste que le système du prix de rachat. Pour la CSPE, quelle serait la solution la plus juste ?
M. Jacques Percebois . - Certains souhaiteraient en élargir la base : on pourrait concevoir qu'elle soit payée par le contribuable, mais, a priori , ce n'est pas logique. En effet, c'est le consommateur d'électricité qui profite in fine de l'électricité : il est donc logique que ce soit lui supporte la charge de cette taxe.
D'autres avancent que l'électricité ne devrait pas être seule visée et suggèrent que cette contribution frappe la consommation d'énergie : il faudrait alors élargir la base de la CSPE au pétrole et au gaz. Mais il faudrait également trouver à cela une justification économique. On veut aider les énergies électriques : si l'on instaure un système de subventions croisées, en faisant payer le nucléaire pour le pétrole, puis le pétrole pour l'électricité, il deviendra très rapidement complètement opaque.
Selon moi, la logique exige que ce soit le consommateur d'électricité qui subventionne les énergies renouvelables. Simplement, il faut baisser le prix de rachat garanti, comme cela a déjà été fait, et peut-être, dans certains cas, changer le fusil d'épaule en passant au système des appels d'offres, comme on le voit pour l'éolien offshore . Au départ, la Commission européenne n'était pas favorable au système des prix garantis, qui a pourtant fonctionné au-delà des espérances en Allemagne et en Espagne ; d'ailleurs, l'Espagne connaît une situation un peu difficile, avec des prix de rachat relativement élevés. Je pense donc que l'on a bien fait d'aider.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les prix de rachat viennent de baisser en Espagne !
M. Jacques Percebois . - Oui, et très fortement ! En fait, c'est le photovoltaïque qui est dans le collimateur, pas l'éolien.
Pour ce qui est de l'éolien, on est à peu près maintenant sur un rythme de croisière. Mais le photovoltaïque a bénéficié d'un effet d'aubaine trop important : le prix de rachat de l'électricité produite par les panneaux installés sur les toits des maisons était destiné aux particuliers, pas aux agriculteurs qui ont décidé de couvrir leurs hangars de panneaux solaires pour que l'électricité ainsi produite leur soit rachetée au même tarif. On peut considérer qu'il appartenait à la politique énergétique de compenser les déficiences de la politique agricole commune, mais je ne suis pas sûr que cette solution soit satisfaisante...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Percebois, je vous remercie de vos réponses exhaustives. Malgré tout, je suis sûr que notre rapporteur attend des explications complémentaires...
M. Jean Desessard, rapporteur . - En ce qui concerne les emplois créés par l'électricité photovoltaïque, vous avez dit que nous contribuions surtout à développer les emplois en Chine, mais vous ne tenez pas compte du fait que les entreprises qui les installent chez nous sont françaises - même si je n'exclus pas que des entreprises chinoises puissent venir le faire également. Or la fabrication des panneaux représente un quart de l'emploi total dans ce secteur...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Plutôt la moitié ! La moitié du prix payé va aux installateurs, l'autre aux fabricants.
M. Jacques Percebois . - C'est à peu près cela.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous vérifierons ces hypothèses ! En tout cas, la totalité de l'investissement ne sert pas à financer les constructeurs.
M. Jacques Percebois . - Ma présentation était un peu caricaturale, monsieur le rapporteur ! ( Sourires .)
M. Jean Desessard, rapporteur . - Est-il possible de réaliser des STEP en France ? Vous nous avez expliqué qu'en cas de surproduction d'électricité, il était rentable d'acheter de l'électricité à un prix négatif, de faire remonter l'eau dans les barrages et de la turbiner lorsque la demande d'électricité devenait importante. Vous avez mentionné les pays nordiques et la Suisse, mais ce système existe-t-il en France, ou bien nos barrages sont-ils trop vieux ?
M. Jacques Percebois . - Je précise tout d'abord que la probabilité pour que les prix d'électricité soient négatifs en France est très faible pour l'instant. La situation observée régulièrement en Allemagne n'a été observée qu'une seule fois en France, pour l'instant. Je ne veux pas laisser entendre que l'on pourrait acheter de l'électricité à un prix négatif en France...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Mais on pourrait en racheter à l'Allemagne !
M. Jacques Percebois . - Ce serait concevable !
Ce sujet mérite d'être exploré. On entend souvent dire que le potentiel de production d'électricité hydraulique est saturé en France, notamment pour la mini-hydraulique. J'ai eu, par ailleurs, l'occasion d'examiner cette question et il me semble qu'il y aurait peut-être un potentiel en matière de mini-hydraulique, voire de micro-hydraulique, qui pourrait être intéressant dans un contexte où l'on pourrait valoriser le stockage. Ma réaction, a priori , c'est de dire qu'il n'y a tout de même pas un potentiel énorme en France : on doit pouvoir, de façon marginale, trouver des opportunités, mais on n'a pas l'équivalent du système suisse. Cela étant, la mini-hydraulique, c'est quelque chose qui mérite d'être considéré. On a peut-être considéré un peu trop rapidement qu'on avait fait le tour du potentiel. On entend dire que, dans le sud de la France, en particulier, il y aurait un potentiel qui serait loin d'être négligeable. Mais je ne suis pas en mesure de vous fournir des chiffres.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quand les tarifs vert et jaune auront disparu, dans quatre ans, comment pourra-t-on être sûr que les prix de l'électricité acquittés par les industriels français seront moins chers ? Vous nous avez dit que le nucléaire garantissait un niveau de prix inférieur, mais comment garantir que ces prix resteront bas, puisqu'il y aura des interconnexions ?
M. Jacques Percebois . - EDF vendra toujours son électricité nucléaire relativement bon marché et ses compétiteurs, les alternatifs, auront toujours accès à l'ARENH, qui durera jusqu'en 2025. À partir du moment où ces producteurs alternatifs disposeront d'un potentiel ARENH proportionnel à leur portefeuille de clients, la logique voudrait que, s'ils achètent l'électricité au prix de l'ARENH, ils en fassent profiter leurs consommateurs. On peut concevoir que certains fournisseurs en profitent pour se « sourcer » sur l'ARENH et revendre au prix du marché européen : mais la logique du marché fait que les clients retourneront se fournir auprès d'EDF. Si ces fournisseurs veulent conserver leurs clients français, ils doivent les faire profiter de l'ARENH.
M. Jean-Pierre Vial . - Aujourd'hui, l'ARENH est calé jusqu'en 2025. Vous nous avez indiqué que, le jour où l'on voudrait relancer le parc nucléaire, il faudrait, par anticipation, majorer les prix. Si une telle décision est prise avant 2025, il faudra donc réviser le niveau de l'ARENH, au vu du calcul que vous nous avez présenté tout à l'heure ?
M. Jacques Percebois . - Le prix de l'électricité devrait être revu, mais pas celui de l'ARENH puisque celui-ci se fonde le passé. L'ARENH peut être défini comme un droit de tirage sur du nucléaire déjà très largement amorti. Demain, le prix de l'électricité comprendra plusieurs « tranches » : la première sera constituée par l'ARENH ; la deuxième, par le « complément marché » ; la troisième correspondra à l'investissement dans les nouveaux réacteurs nucléaires. Le prix de l'électricité devra augmenter, mais pas celui de l'ARENH ; théoriquement, ce dernier ne devrait pas varier d'ici à 2025, à l'exception de la prise en compte de l'effet de l'inflation sur les dépenses de fonctionnement.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous dites que l'ARENH n'a pas de raison d'augmenter. C'est vrai si l'on considère que l'investissement dans la construction et la recherche est amorti - étant entendu que les coûts de fonctionnement peuvent évoluer en fonction de l'inflation, ainsi que vous venez de le dire -, mais c'est à condition que le coût du démantèlement et du traitement des déchets ne nous réserve pas de mauvaises surprises !
M. Jacques Percebois . - En principe, EDF a commencé à provisionner pour faire face au coût du démantèlement, mais la Cour des comptes a soulevé deux points.
Tout d'abord, on ne connaît pas très bien ce coût et, si l'on fait du benchmarking , si l'on observe les pratiques des autres opérateurs, on s'aperçoit qu'EDF se situe plutôt dans le bas de la fourchette. Il faut donc peut-être examiner cette question de plus près. La Cour des comptes a donc eu raison de souligner qu'EDF avait peut-être été un peu trop optimiste dans ce domaine.
Et il en va de même en ce qui concerne le coût de la gestion des déchets. En tant que membre de la Commission nationale d'évaluation, j'ai eu à me pencher sur le coût de gestion du laboratoire de Bure : nous attendons de connaître la décision de l'État, mais nous savons déjà que le coût sera supérieur aux prévisions initiales.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On ne connaît donc pas encore de manière sûre le coût du démantèlement et du traitement des déchets ?
M. Jacques Percebois . - Il n'y a pas de coûts cachés, mais certains peuvent être sous-estimés.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Percebois, je vous remercie de cet exposé très complet et très clair.
Audition de M. Pierre Bivas, président de Voltalis
( 10 avril 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Pierre Bivas, président de Voltalis.
Monsieur Bivas, je tiens tout d'abord à vous préciser que vos propos seront enregistrés. Vous pourrez éventuellement nous communiquer des informations complémentaires par écrit, mais vous seul allez prêter serment et parler devant notre commission d'enquête.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application du « droit de tirage annuel » dont dispose chacun des groupes politiques du Sénat sur des sujets forcément d'actualité. Le Bureau a accepté cette demande, raison pour laquelle vous êtes aujourd'hui entendu devant notre commission d'enquête dont l'objet est le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Je vous demande donc de prêter serment, monsieur Bivas, de dire toute la vérité, rien que la vérité, et de lever la main droite et dire : « Je le jure. »
( M. Pierre Bivas prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Pour entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions. Il va maintenant vous les rappeler, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de votre audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre, soit dans l'ordre, soit dans le désordre, en fonction des nécessités de votre démonstration, nous vous en laissons la liberté.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Bivas, cette audition aura trait principalement à l'effacement, dont vous êtes un spécialiste.
Je rappelle les cinq questions que nous vous avons adressées.
Première question, de quelle manière concrète l'effacement est-il réalisé chez les particuliers et les professionnels, par exemple l'arrêt temporaire de certains équipements sur demande à distance ?
Quel est, selon vous, le potentiel que pourrait représenter l'effacement - la puissance totale en mégawattheure - chez les industriels - les gros effacements - ou les « petits consommateurs », professionnels ou particuliers - les effacements diffus ? À quelles conditions ? Par exemple, la mobilisation des acteurs, les évolutions réglementaires ou tarifaires...
Deuxième question, quels avantages ou inconvénients peut-on attendre, pour le consommateur et pour la collectivité, de la réalisation de ce potentiel d'effacement et, plus généralement, de la construction de « réseaux intelligents », ou smart grids ?
Vous voudrez bien préciser cet impact en regard notamment du montant des factures d'électricité pour le consommateur, de l'intégration des énergies renouvelables dans les réseaux et de la réduction des besoins en moyens de production de pointe ?
Troisième question, le modèle tarifaire classique étant conçu pour rémunérer une production et non un effacement, qui constitue une « non-consommation », quels sont les mécanismes envisageables, et souhaitables, pour rémunérer ceux qui contribuent à cet effacement, aussi bien le consommateur que l'opérateur qui agrège les effacements ?
Quatrième question, quel rôle le mécanisme de capacités, issu de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, ou loi NOME, pourra-t-il jouer pour promouvoir l'effacement ? Quel regard portez-vous sur le projet présenté à la fin de l'année 2011 par RTE, en cours de finalisation par l'administration ?
Cinquième et dernière question, quel sera selon vous l'impact du compteur Linky sur la réalisation du potentiel d'effacement ? Faudrait-il, par exemple, proposer aux clients, lors de l'installation du compteur, d'équiper leurs équipements fortement consommateurs - par exemple, le chauffage électrique - avec un système d'effacement à la demande ?
Monsieur le président, le mot « effacement » revient, me semble-t-il, souvent dans les questions.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cela me semble assez normal.
Monsieur Bivas, avant d'avoir le plaisir de répondre à la dernière des questions, il vous faudra prendre le temps de répondre aux quatre précédentes ! ( Sourires .)
Vous avez la parole.
M. Pierre Bivas, président de Voltalis . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, mon propos portera plus particulièrement sur la production d'effacements diffus, qui concerne l'ensemble des petits consommateurs, résidentiels et professionnels. Votre première question me permettra de distinguer l'effacement diffus de l'effacement chez les industriels, sur lequel je ne m'attarderai pas, mais dont je dirai quelques mots à titre de comparaison.
Pour ce qui est des installations chez les petits consommateurs, dans les habitations, les bureaux et les petites surfaces commerciales, nous installons deux types de boîtiers ( M. Bivas montre un boîtier blanc et un boîtier gris ) : d'une part, un boîtier de communication nous permettant d'assurer un suivi en temps réel de ce qui se passe sur le site et, d'autre part, un boîtier électrique - le plus important -, qui s'installe sur le tableau à côté des disjoncteurs et autres dispositifs de sécurisation de l'installation électrique du local. Ce boîtier électrique, vous l'aurez compris tout de suite, se trouve donc en aval du compteur - pour l'amont, ce sera le sujet de votre cinquième question -, dans le domaine privé du particulier, dans le logement que nous équipons.
Un boîtier sert à communiquer, l'autre à mesurer et à agir. Le boîtier le plus important est équipé de plusieurs trous permettant de relier des câbles aux différents radiateurs et chauffe-eau du logement, de manière à mesurer distinctement la consommation de chaque appareil. En effet, chacun des départs de ce boîtier comporte un compteur permettant de mesurer la consommation. L'information relative à la mesure est envoyée à ce boîtier, puis est renvoyée en temps réel sur nos serveurs, ce qui nous permet aujourd'hui de suivre en temps réel la consommation de près de un million de radiateurs électriques raccordés et peut-être un jour de dix millions, j'y reviendrai.
L'effacement constitue la seconde fonction de ce boîtier, qui nous permet d'envoyer un ordre, d'ouvrir un relais situé à l'intérieur, c'est-à-dire d'interrompre l'alimentation d'un radiateur ou d'un chauffe-eau pendant dix minutes ou un quart d'heure. Cette opération est insensible pour le consommateur, mais très efficace en termes de régulation électrique, nous y reviendrons ultérieurement. L'arrêt d'un radiateur d'un kilowatt pendant cinq minutes dans un logement est imperceptible pour les habitants, mais si l'on efface simultanément 100 000 appareils, cela représente 100 000 fois un kilowatt, c'est-à-dire 100 mégawatts de puissance que le réseau n'a pas besoin de délivrer et qu'il n'est donc nécessaire ni de produire, ni de transporter.
Vous m'avez demandé de décrire concrètement la façon dont l'effacement est réalisé sur le site. La première phase de notre intervention consiste à installer ce boîtier, par exemple chez les particuliers.
Monsieur le président, puisque vous me permettez de répondre aux questions dans le désordre, je répondrai maintenant pour partie à votre cinquième question.
Notre boîtier, vous l'avez compris, est distinct et complémentaire d'un compteur, quel qu'il soit. Il est donc aussi distinct et complémentaire du compteur Linky, entre autres.
Le compteur se situe, bien sûr, à l'entrée du site, à l'endroit où arrive le câble unique qui alimente l'ensemble du site. Notre boîtier se trouve en aval du compteur, sur le tableau où l'on va au contraire distinguer les différents départs. Ils ne peuvent donc pas se substituer l'un à l'autre, puisqu'il faut avoir cette information détaillée.
Vous l'avez compris, nous effaçons de façon ciblée certains usages. Nous arrêtons le radiateur de la chambre pendant cinq minutes et non pas toute l'électricité du logement. Par exemple, nous n'arrêtons pas la télévision ou l'ordinateur, qui sont si utiles pour suivre notre débat... ( Sourires .)
Nous procédons à un effacement ponctuel, très ciblé à la fois dans le temps et sur les appareils les plus gros consommateurs d'électricité que l'on peut arrêter sans gêner les personnes.
Cela nous amène à une autre conséquence, qui est déjà implicite dans l'une de vos questions : nos dispositifs intéressent les foyers chauffés à l'électricité équipés d'appareils qui consomment beaucoup tels que les radiateurs et les chauffe-eau et non pas ceux qui n'ont, par exemple, que l'éclairage et la télévision, sur lesquels il n'y a pas de possibilités d'effacement. Mais leur facture d'électricité est bien moindre et il y a beaucoup moins d'économies à réaliser.
Nous parlons donc des locaux chauffés à l'électricité, soit, en France, 7 millions de logements. Dans le tertiaire, puisque nos boîtiers peuvent aussi équiper des locaux tertiaires - par exemple, des immeubles -, cela représente 40 % du chauffage dans les logements. Par conséquent, chaque fois que j'évoque les logements, vous pouvez multiplier par 1,4 si vous voulez obtenir le potentiel en termes de logement et tertiaire.
Si j'évoque le tertiaire, c'est parce qu'il peut y avoir un chauffage électrique dans un bureau de 100 mètres carrés, et l'on peut de la même façon arrêter le radiateur pendant dix minutes ou un quart d'heure. Ce n'est pas perceptible et cela procure une capacité d'effacement.
J'aborderai maintenant l'effacement dans l'industrie, car il faut bien faire la distinction.
On parle historiquement depuis longtemps d'effacement industriel en France, ce n'est pas un concept nouveau, car le fait d'arrêter une usine consommant plusieurs mégawatts par un simple coup de téléphone à l'opérateur, qui va interrompre le processus, libérera plusieurs mégawatts d'un seul coup. C'est ainsi que, depuis très longtemps, EDF - à l'époque, l'opérateur unique - demandait des effacements à des clients industriels, en particulier dans des périodes de forte tension, parce que 10 mégawatts, 20 mégawatts voire 30 mégawatts captés par-ci par-là sont très utiles pour la sécurité du système.
Ce fonctionnement a un avantage : il suffit d'un coup de téléphone pour arrêter plusieurs mégawatts, alors que, pour l'effacement diffus, il faut envoyer des instructions à des milliers de radiateurs pour qu'ils produisent tous ensemble cet effet.
L'inconvénient de l'effacement industriel est qu'il interrompt le processus industriel, car c'est ce qui consomme beaucoup d'électricité et va donc en libérer beaucoup. L'ennui, c'est qu'arrêter un procédé industriel a un coût considérable, puisque cela perturbe le fonctionnement de l'industrie considérée. Cela peut avoir un sens certains jours où la situation électrique est extrêmement tendue, cela peut même avoir un sens économique pour la collectivité. On demande à l'industriel de décaler sa production, mais il faut bien le dédommager, car tout décalage de production a un coût.
Cet exemple illustre le fait que, globalement, l'effacement industriel apportera peut-être de la valeur au système électrique, mais détruira à l'évidence de la valeur dans l'usine que l'on arrête.
Au contraire, dans le cas de l'effacement diffus, nous arrêtons des radiateurs : c'est insensible, cela produit quelques économies d'énergie chez chacun des consommateurs participant à cette opération, mais cela ne détruit pas de la valeur. C'est donc économiquement et techniquement très différent.
S'agissant des industriels, nous leur demandons s'ils veulent bien interrompre leur process , puisque cela entraînera des perturbations.
Quant aux particuliers, ils sont volontaires pour adhérer chez nous, pour se faire équiper, et ils vont nous laisser gérer sans les déranger ; c'est l'objectif. Nous allons produire des petites économies par-ci par-là en effaçant au moment où cela sert le système électrique.
Votre troisième question porte sur l'agrégateur d'effacement. Il convient, me semble-t-il, de distinguer trois catégories d'acteurs, sachant que nous appartenons à la troisième.
La première catégorie, c'est l'industriel qui s'efface. Il lui suffit d'un coup de téléphone à son fournisseur d'électricité et, moyennant un paiement, il va arrêter son process .
La deuxième catégorie, c'est l'agrégateur d'effacement qui intervient en fait comme un courtier entre des industriels qui acceptent d'arrêter leur processus industriel et le système électrique. Un courtier va passer, par exemple, trente coups de téléphone à trente industriels pour obtenir l'arrêt de la consommation ; il servira d'intermédiaire entre le marché électrique et ces industriels.
Nous appartenons à la troisième catégorie d'acteurs : nous sommes producteurs d'effacement diffus, au sens où nous effectuons les effacements après avoir réalisé les investissements qui consistent à équiper tous ces sites à nos frais et, ensuite, nous pilotons cet ensemble de sites mis en réseau de manière à produire les mégawatts d'effacement diffus.
C'est donc un modèle à la fois technique et économique différent, un modèle de création de valeur pour la société, puisque notre métier repose sur la production d'économies d'énergie. Il est plus sophistiqué de parler de « production d'effacement diffus », mais cette sophistication revient à masquer le premier effet qui est de produire des économies d'énergie et à le compléter par le fait que nous produisons ces économies d'énergie au moment où cela intéresse le réseau, bien sûr, car c'est une alternative à la production d'électricité et à son acheminement sur le réseau.
Votre première question porte sur le potentiel de l'effacement.
Je commencerai par l'historique : l'effacement industriel.
L'effacement industriel a été instauré dans le cadre des tarifs EJP, ou effacement jour de pointe, pour déranger le moins possible les industriels, et seulement sur quelques jours très tendus. Les chiffres enregistrés sont publics : 6 gigawatts de potentiel d'effacement en France tant chez les industriels que chez les particuliers. Ce potentiel s'est considérablement réduit, puisqu'il atteint aujourd'hui moins de 3 gigawatts pour les industriels : lorsque l'on déclenche le signal « jour de pointe », si vous consommez, cela vous coûte très cher : c'est le coup de massue ; et si vous vous effacez, ce que font les industriels, vous évitez ce tarif élevé, mais vous perturbez votre processus industriel.
L'ensemble des industriels qui pratiquent cet effacement permettent d'économiser aujourd'hui 3 gigawatts. C'est une mesure du potentiel de l'effacement industriel.
Une autre mesure peut être donnée par un dispositif plus récent engagé par RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, à la demande des industriels qui ont fait valoir qu'ils disposaient d'un potentiel d'effacement important, qu'ils pourraient apporter au réseau, demandant à RTE de s'y intéresser. Vous le savez, RTE a déjà lancé trois années de suite un appel d'offres pour des capacités d'effacement d'industriels mobilisables en fonction des besoins du réseau, et les capacités obtenues ont été, selon les années, de 200 mégawatts ou 300 mégawatts.
L'ordre de grandeur du potentiel d'effacement industriel est donc certainement de 200 mégawatts ou 300 mégawatts à 2 gigawatts ou 3 gigawatts, à condition de n'utiliser cet effacement que très rarement pour ne pas perturber l'industrie, l'industriel n'ayant pas pour métier de s'arrêter de consommer.
En comparaison, le potentiel de l'effacement diffus peut s'apprécier simplement par rapport au chiffre de 7 millions de logements français chauffés à l'électricité. Si on multiplie ce chiffre par la consommation d'un foyer en hiver les jours de pointe, c'est-à-dire 3 kilowatts, cela fait 21 gigawatts, ou 28 gigawatts si vous multipliez 7 millions par 4 kilowatts.
Prenons le chiffre de 25 gigawatts, qui se situe entre les deux : si vous y ajoutez les 40 % de locaux tertiaires évoqués précédemment, vous dépasserez les 30 gigawatts.
Ce chiffre est certainement ambitieux : il s'agit du potentiel maximal. Retenons que le potentiel atteignable doit être entre 10 gigawatts et 20 gigawatts ; c'est le chiffre qui figure dans le rapport Poignant-Sido sur la maîtrise de la pointe électrique, présenté en avril 2010.
Ces 10 gigawatts à 20 gigawatts sont à comparer aux 200 mégawatts de l'effacement industriel. Ce n'est pas le même ordre de grandeur, l'enjeu est considérable, mais cela nécessite des technologies radicalement nouvelles pour pouvoir piloter simultanément des millions de sites. C'est cela que nous avons l'immodestie de considérer avoir apporté en France avec une technologie française, qui pourrait servir pour le consommateur français et aussi à l'international.
Votre première question porte sur les conditions de succès de l'effacement diffus. Comment mobiliser ce potentiel ?
La première condition est celle de la mobilisation locale et du volontariat de nos adhérents. Tous sont volontaires et sont équipés gratuitement ; c'est nous qui portons l'investissement et ils réalisent des économies d'énergie. On comprend qu'ils soient nombreux, mais il est très important pour nous que ce soient des volontaires qui participent à cette action, au service du système électrique, pour réaliser des économies d'énergie et réduire les factures.
S'agissant de la mobilisation locale, le Pacte électrique breton en est une magnifique illustration : l'État, la région, RTE et d'autres acteurs se sont mobilisés pour organiser une meilleure sécurisation de cette péninsule électrique qu'est la Bretagne. L'une des actions mises en place immédiatement, le jour même de la signature du Pacte électrique breton, a été une convention avec Voltalis pour déployer le plus rapidement possible l'effacement diffus.
L'organisation d'une telle mobilisation est très simple : la collectivité informe le public de l'existence de ce service et nous répondons à la demande. Nous constatons que les collectivités qui l'ont fait suscitent une demande considérable. Nous essayons de nous organiser pour y répondre, en Bretagne et dans d'autres territoires.
Quel est le sens de notre métier ?
Notre but initial était d'apporter une optimisation de la consommation d'électricité pour aider les foyers à réduire leur facture, en particulier les foyers modestes. Je réponds ici à votre deuxième question, sur le bénéfice pour le consommateur.
Le premier bénéfice immédiat de l'adhésion à l'effacement diffus, c'est la diminution de la facture. C'est très simple dans un contexte où, d'une part, il y a nombre de raisons pour lesquelles il faut absolument augmenter les tarifs de l'électricité et où, d'autre part, le pouvoir d'achat de nombreux ménages modestes est sous grande pression. Enfin, ce n'est pas l'État ou les collectivités qui vont combler le hiatus avec de la dépense publique. Proposer un système qui permet aux personnes de réaliser des économies d'électricité et de réduire leur facture nous paraissait intéressant pour la collectivité.
Pour donner un ordre de grandeur, nos boîtiers permettent aux consommateurs d'économiser de 10 % à 15 % de leur consommation, ce qui représente, pour un foyer chauffé à l'électricité, qui a une facture relativement élevée - par opposition à celui qui se chauffe à une autre énergie -, environ 1 500 euros à 2 500 euros par an. Si vous économisez 10 %, cela fait 200 euros d'économies par an, ce qui est déjà significatif pour les foyers modestes que nous équipons gratuitement. Cette économie d'électricité est donc accessible à tous les foyers.
On comprend donc la mobilisation des collectivités pour diffuser cette information et susciter des adhésions. Je voudrais à cette occasion remercier les collectivités avec lesquelles nous travaillons, certaines d'entre elles étant représentées au sein de votre commission. Nous travaillons avec des syndicats départementaux d'électricité, j'ai évoqué une région ; je pourrais également évoquer des villes.
Je prendrai l'exemple de ce que peut représenter l'effacement diffus pour une ville ou un département dont la population s'élèverait, raisonnons en chiffres ronds, à un million d'habitants et qui compterait 300 000 logements. Sur ces 300 000 logements, 100 000 sont chauffés à l'électricité. Imaginons que nous en équipions la moitié, c'est-à-dire 50 000, comme nous l'avons déjà fait. Cela fera d'abord 50 000 installations à réaliser dans ce territoire, soit 50 000 interventions d'électriciens que nous prendrons à notre charge, que nous paierons pour installer ces boîtiers chez les adhérents. Cela représente environ 5 millions d'euros de chiffre d'affaires pour ces électriciens, et c'est de l'emploi local.
En outre, chacun de ces 50 000 foyers économisera 200 euros par an. Au total, cela représente 10 millions d'euros d'économies par an dans ce territoire : c'est beaucoup d'argent !
Enfin, l'équipement de ces 50 000 logements nous permettra de constituer une capacité d'environ 200 mégawatts ; c'est l'équivalent d'une petite centrale, et cela revêt donc un certain intérêt pour le système électrique.
Je décrirai maintenant de manière plus détaillée l'utilisation de notre technique par le système électrique, afin d'essayer de caractériser son impact pour la collectivité.
À titre de transition, je rebondirai sur l'expression smart grids , que vous avez employée tout à l'heure, monsieur le rapporteur. Nous n'avons pas la prétention de créer des smart grids ; peut-être est-ce la préoccupation des opérateurs de réseau ou des sociétés de services en ingénierie informatique, les SSII, qui ont l'intention de développer leur facturation auprès de ces opérateurs de réseau. Notre but est de fabriquer des produits smart for the grids : nous essayons de rendre des services aux réseaux, en agissant sur la partie la plus susceptible d'optimisation, à savoir la consommation. Nos techniques d'optimisation bénéficient donc directement aux consommateurs.
Lorsque l'on efface 200 mégawatts - reprenons ce chiffre -, cela évite de les produire et de les transporter. Cela paraît tout simple, mais c'est ce qui donne toute sa valeur à notre production.
Vous avez soulevé la question du prix de la production à la pointe. De fait, les 200 mégawatts produits à la pointe sont particulièrement importants, car c'est la pointe qui dimensionne l'ensemble de l'infrastructure : c'est en fonction de cette pointe qu'on détermine le nombre de centrales et de réseaux à construire.
Comme vous le savez, en France, la pointe est extrêmement pointue, si je puis dire : 20 gigawatts de puissance appelée pendant seulement 3 % du temps. Cela signifie que l'on consomme les douze derniers gigawatts en treize jours. Ce sont les chiffres de l'année qui vient de s'écouler, au cours de laquelle il a fait très froid, notamment pendant ces quinze jours du mois de février dont tout le monde se souvient. Je dirais même que les sept derniers gigawatts ne sont utilisés que durant sept jours, de manière très ponctuelle, donc. En réalité, seules quelques heures de chacun de ces sept ou treize jours sont concernées : trois ou quatre le matin, une ou deux le soir.
En somme, on construit des centrales ayant la capacité de produire des dizaines de gigawatts - dans mon exemple, 7, 12 ou 20 selon le seuil choisi - et des réseaux permettant de les transporter, alors que ces infrastructures ne sont utilisées complètement qu'une très petite partie du temps.
La solution retenue pour financer ces investissements a été d'en faire supporter le coût aux consommateurs le reste de l'année, d'autant que, dans un environnement de monopole, cela ne se voit pas trop... Pour autant, cela ne signifie pas que cela ne coûte pas très cher ! Construire des centrales de 20 gigawatts pour alimenter la pointe, cela coûte environ 20 milliards d'euros. Peu importe, me direz-vous, puisque ces centrales de pointe ont déjà été construites. Toutefois, ce raisonnement ne vaudrait que si la pointe n'augmentait pas. Or, comme vous le savez, notre pointe est de plus en plus pointue : elle augmente de manière très soutenue, bien plus rapidement que la consommation, puisqu'elle croît d'un peu plus de 3 % par an en rythme moyen sur cinq ans ; cela représente plus de 3 gigawatts d'augmentation par an.
Si nous répondons à ce besoin par la construction de nouvelles centrales et de nouveaux réseaux, il faudra dépenser 5 à 6 milliards d'euros par an, pour des investissements qui ne serviront que quelques heures...
Nous économiserions donc beaucoup d'argent en évitant ces investissements.
Comparons cette solution classique et la solution de l'effacement diffus, afin d'apprécier les bénéfices qu'apporte cette dernière.
La solution classique consiste à augmenter la puissance totale que peuvent produire les centrales disponibles et qui peut être transportée par le réseau de distribution et de transport, afin de disposer de 3 ou 4 gigawatts de plus chaque année ; cela nous coûtera 5 ou 6 milliards d'euros par an, sans aucune rentabilité, puisque les investissements consentis ne servent presque jamais.
La solution alternative consiste à développer notre capacité d'effacement diffus. Pour obtenir 3 gigawatts de plus chaque année, il faudrait équiper un million de foyers tous les ans, ce qui représenterait 400 millions d'euros d'investissements au lieu des 5 ou 6 milliards d'euros que je viens d'évoquer. Le coût pour la collectivité est donc nettement inférieur, et cela constitue un moyen de faire des économies sur les dépenses des opérateurs électriques, qui seront un jour ou l'autre payées par les consommateurs.
Je vous indiquais tout à l'heure que le potentiel était peut-être de 25 ou 30 gigawatts d'effacement diffus en France ; je vous suggérais de diviser ce potentiel maximum par deux, et de ne retenir que 10 ou 15 gigawatts. En s'en tenant là, on peut absorber plusieurs années de croissance de la pointe française. Il y a donc là pour la collectivité une décision d'investissement rationnelle à prendre dès aujourd'hui et pour les prochaines années.
Si vous me permettez d'intervertir à nouveau l'ordre de vos questions, je passerai à la quatrième. Celle-ci porte sur le mécanisme de capacité mis en place par la loi NOME, et les préconisations de RTE et de l'administration dans ce domaine.
Nous considérons qu'il s'agit d'une manière intéressante de traiter la question de la pointe, sujet sur lequel la France est d'ailleurs en avance par rapport à d'autres pays. Le Royaume-Uni nous court derrière, d'une certaine façon, et nos voisins européens font face, eux aussi, à des enjeux de capacité. La France développe un système qui me semble plutôt bien conçu. Nous avons été en avance dans différents domaines du système électrique ; nous pouvons l'être sur le marché de la capacité ; nous pourrions l'être également - j'y reviendrai tout à l'heure - sur celui de l'effacement diffus.
Je voudrais apporter deux réflexions complémentaires concernant le mécanisme de capacité.
Premièrement, la dimension « réseau » n'a pas été vraiment prise en compte dans ce mécanisme. Pour l'instant, on ne s'est intéressé qu'à une obligation de capacité de production. Or, comme je vous l'ai indiqué, il faut aussi dimensionner les réseaux en fonction de la pointe. De ce point de vue, notre capacité d'effacement permet d'éviter à la fois de produire et de transporter, et donc d'économiser des coûts d'investissement en centrales mais aussi en réseaux. Dans le système actuel, cette valeur n'est pas reconnue ; c'est le premier point que je voulais souligner.
Deuxièmement, compte tenu des aspects économiques, sociaux, écologiques et techniques que je viens de mentionner, il y aurait du sens à ce que, à conditions techniques et économiques équivalentes, l'effacement diffus soit systématiquement utilisé, pour la bonne raison qu'il est moins cher et plus propre, sans compter qu'il évite des dépenses aux consommateurs. Je dis bien « à conditions équivalentes », ce qui signifie qu'il ne s'agit que de traiter le besoin de pointe ; nous ne proposons pas d'assurer la base de la production des centrales nucléaires par l'effacement diffus : cela n'aurait aucun sens. Mais, pour ce qui est du besoin de pointe, très ponctuel - quelques jours par an, justement lorsqu'il y a de la réserve d'effacement diffus, puisque la consommation, notamment thermique, est très importante -, il me semble qu'il est dans l'intérêt de la collectivité de mobiliser autant que possible l'effacement diffus, et que ce constat devrait être traduit dans les mécanismes en cours de constitution sous l'égide de la loi NOME.
J'en viens maintenant à votre troisième question, qui porte sur la manière de réguler...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il faut prévoir du temps pour les questions complémentaires ; mais poursuivez, je vous en prie.
M. Pierre Bivas . - Me laissez-vous encore cinq à sept minutes ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est très bien !
M. Pierre Bivas . - Je vous remercie.
Quel est le contexte économique et régulatoire de l'effacement diffus ? Votre question porte d'abord sur les modèles tarifaires classiques. Cela me fait tout de suite penser aux consommateurs. Je souligne que, dans tous les modèles tarifaires, le consommateur participant à l'effacement diffus bénéficie de l'économie d'énergie : moins de kilowattheures consommés, cela signifie moins d'euros à payer, indépendamment du caractère réglementé ou non du tarif.
La question qui se pose est celle de la reconnaissance et de l'intégration de notre production dans l'ensemble du système électrique, puisque c'est là que celle-ci trouve sa rémunération. Deux questions majeures ont déjà leur réponse, mais une interrogation demeure en suspens. Les deux questions majeures ont trait à la façon dont nos mégawatts, nos capacités sont reconnus sur les marchés de l'énergie et de la capacité.
Je commencerai par la capacité, puisque nous venons d'en parler. La loi NOME que vous avez votée prévoit une symétrie entre l'effacement et la production classique, ce qui signifie très logiquement qu'un mégawatt effacé constitue une alternative à un mégawatt de capacité de production. Cela revient, je le répète, à oublier que le mégawatt effacé ne nécessite aucun réseau, mais c'est tout de même une première reconnaissance, au moins en tant que capacité de production : l'effacement diffus est une capacité de production comme une autre.
La reconnaissance de cette capacité de production par la loi NOME est très importante ; on peut la saluer, d'autant que ce n'est pas le cas dans tous les pays.
Le deuxième point, c'est le fait que notre production soit déjà reconnue. Nous valorisons déjà nos mégawattheures d'effacement, puisque nous participons continûment, régulièrement, au mécanisme d'ajustement qui permet à RTE d'acheter des mégawattheures, c'est-à-dire des mégawatts effacés ou produits pendant une heure, en mettant en concurrence les mégawattheures de production classique et les mégawattheures d'effacement.
Les deux aspects essentiels de notre activité s'inscrivent donc déjà dans le cadre législatif et réglementaire français ; par conséquent, il n'existe pas d'aspect législatif à traiter particulièrement. Je reviendrai tout à l'heure sur ce qu'il y aurait à faire - ce sera la dernière partie de mon exposé -, mais, auparavant, je voudrais évoquer le point d'interrogation que j'ai mentionné.
Il ne vous a pas échappé que, lorsque nous baissons la consommation d'un consommateur, il consomme moins... Ce faisant, il réalise des économies, ce qui est très bon pour lui, mais c'est autant d'argent qu'il ne verse pas à son fournisseur d'électricité.
Plaçons-nous du point de vue du fournisseur : soit il achète un mégawattheure de production à une centrale allemande pour alimenter la consommation de ses clients, qui la lui paient, soit il achète, pour le même prix, un mégawattheure d'effacement de Voltalis, mais la conséquence est que les consommateurs ne consomment pas... C'est embêtant, non pas pour les consommateurs, certes, mais pour le fournisseur !
J'ai choisi de me placer du point de vue des fournisseurs pour vous montrer que nous comprenons tout à fait leur position. Il est exact que, lorsque les gens ne consomment pas, le chiffre d'affaires des fournisseurs diminue. Certains en ont conclu que cette perte de chiffre d'affaires devait être compensée, par le consommateur ou par Voltalis, ce qui revient à peu près au même, puisque nous agissons par délégation, par mandat du consommateur, en regroupant tous ses effacements.
Si nous comprenons le point de vue des fournisseurs, nous ne pensons pas que cette compensation soit conforme à l'intérêt général. Nous tenons à souligner que cela détruirait l'effacement diffus et annihilerait tout potentiel en France.
Je constate d'ailleurs que ce débat a également eu lieu aux États-Unis, ce qui est bien normal, puisque les enjeux ne dépendent pas d'un cadre réglementaire ou législatif particulier, mais sont d'une nature tout à fait concrète. Après une analyse économique détaillée, le régulateur américain a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'apporter de compensation au fournisseur : le recours à l'effacement diffus permet d'économiser tellement d'argent, puisque moins d'investissements sont nécessaires, que ce n'est pas grave si le fournisseur y perd un peu ; j'y reviendrai.
En France, sur un plan purement juridique, le Conseil d'État a fait la même analyse, concluant qu'il n'existait aucune base pour une éventuelle compensation. Nous avons alors vu resurgir, y compris dans ces murs, des propositions audacieuses de changement de la loi pour donner raison aux fournisseurs, ce qui nous laisse extrêmement perplexes.
Revenons à l'analyse économique. Il faut reprendre les chiffres que je vous ai présentés : si on construit 1 gigawatt de capacité d'effacement diffus, cela coûtera 100 millions d'euros d'investissement, contre 1 à 2 milliards d'euros pour la même capacité obtenue par la construction de centrales et de réseaux. L'économie est donc d'emblée considérable pour la collectivité.
Il est vrai que, du point de vue du fournisseur, il y aura un manque à gagner de 20 ou 30 millions d'euros du fait de la moindre consommation de ses clients. Les consommateurs s'en réjouiront, mais le fournisseur demandera que cela soit pris en compte. Toutefois, si le fournisseur - EDF, par exemple, pour prendre un acteur sérieux - voulait répondre au besoin de consommation en construisant des centrales supplémentaires plutôt qu'en ayant recours à des centrales d'effacement, cela lui coûterait 1 ou 2 milliards d'euros d'investissement, et les frais financiers sur cette somme - 50 millions d'euros par an pour un emprunt à 5 % - seraient largement supérieurs aux 20 ou 30 millions d'euros d'économies d'énergie que les consommateurs pourront réaliser. Par conséquent, il y a un intérêt même pour EDF, l'opérateur le plus sérieux de notre pays.
Je signale également une différence entre les deux schémas : dans un cas, l'opérateur électrique paie 50 millions d'euros à des banquiers, tandis que, dans l'autre cas, ce sont 20 ou 30 millions d'euros que ne paient pas les consommateurs. Si je me réfère à l'objet même de votre commission d'enquête, la différence est assez sensible...
En résumé, il me semble que le principal enjeu n'est pas de modifier les textes mais d'arriver à une véritable coopération entre les acteurs sérieux, qui permette une réelle exploitation du potentiel de ce métier. Quand je parle d'opérateurs d'électricité sérieux, je pense à EDF, RTE et ERDF, qui ont tous à y gagner, ou encore à GDF-Suez, qui participe à la production. Je distingue ces opérateurs - vous l'avez compris - des fournisseurs alternatifs dont le métier n'est pas d'investir mais uniquement de produire des factures et peut-être, de temps en temps, des plus-values pour les actionnaires qui aiment bien jouer à ce jeu...
Nous aimerions nous placer dans une logique de coopération avec les producteurs sérieux, afin de développer le maximum du potentiel de l'effacement diffus au bénéfice de la collectivité, des consommateurs français et du système électrique. Il y a - je crois vous l'avoir décrit - plusieurs milliards d'euros par an d'investissements à éviter ; cela représente autant de ressources financières que les opérateurs, notamment EDF, pourront consacrer à des priorités plus importantes, comme la sûreté du système électrique, et en particulier des centrales nucléaires, plutôt que de les gâcher pour construire des centrales de pointe que l'on peut remplacer par un mécanisme bien moins onéreux, quitte, je le reconnais, à faire faire quelques économies d'énergie à des consommateurs, en particulier modestes.
Je pense qu'il est assez satisfaisant de mettre en place un système permettant à des consommateurs modestes de réaliser des économies, dans un contexte où il sera indispensable, pour l'équilibre du système électrique à moyen terme, d'augmenter les prix de l'électricité.
Telle est la contribution que nous espérons pouvoir apporter au système électrique et aux travaux de votre commission d'enquête.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie, monsieur Bivas.
Je déduis de vos propos la réponse à notre cinquième question, qui pourrait être résumée en une phrase : il serait très intéressant que le boîtier Voltalis soit installé en complément de tous les compteurs Linky !
Avant que je donne la parole à mes collègues, j'aimerais que vous nous éclairiez sur deux points précis.
Premièrement, combien avez-vous de clients aujourd'hui, et qui sont-ils ? Sont-ils répartis de manière diffuse ou concentrés dans certains lieux ? Vous avez pris l'exemple d'une ville dans laquelle 50 000 foyers seraient équipés de votre système, mais vous n'avez installé 50 000 boîtiers dans aucune ville.
Deuxièmement, il me paraît important, afin que nous comprenions bien l'intérêt du boîtier Voltalis, que vous nous indiquiez comment votre entreprise est rémunérée.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En effet, cela nous intéresse !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez décrit de manière très claire le litige avec non pas les fournisseurs d'électricité mais le principal fournisseur français - je connais bien ce débat -, mais expliquez-nous comment vous vous faites rémunérer, puisque vous installez gratuitement vos boîtiers, et comment vous avez réussi, malgré les difficultés que vous avez rencontrées dans vos discussions avec EDF, à trouver tout de même un certain équilibre.
Votre démonstration correspond à une situation idéale, dans laquelle il y aurait des boîtiers Voltalis partout. Mais, concrètement, où en êtes-vous aujourd'hui ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Par ailleurs, j'aimerais savoir si vous n'êtes payés qu'en février...
M. Ladislas Poniatowski, président . - M. Bivas a fait la démonstration de l'intérêt de l'effacement diffus en période de pointe, mais j'estime que les compteurs Voltalis peuvent être intéressants en permanence.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'était bien ma question.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez la parole, monsieur Bivas.
M. Pierre Bivas . - Ce sont effectivement des questions clés. Je répondrai d'abord à votre boutade sur la cinquième question. On pourrait en effet installer un boîtier Voltalis en aval de chaque compteur, Linky ou autre, et, plus précisément, dans chaque local chauffé à l'électricité, soit dans un petit tiers des logements. La manière d'organiser cette installation du point de vue juridique et technique, par rapport au plan de déploiement des compteurs Linky, soulève de nombreuses questions, mais il n'y a aucun doute quant à l'opportunité de s'organiser pour équiper plusieurs millions de foyers en France dans les années à venir.
Vous m'avez également demandé où nous en étions aujourd'hui. Nous avons raccordé un petit million de radiateurs, c'est-à-dire, pour simplifier, 1 gigawatt de capacité installée, compte tenu du foisonnement, cela nous permet d'avoir jusqu'à 300 mégawatts de capacité à offrir au système électrique. Cela représente un peu moins de 100 000 logements ou équivalents équipés.
Bien entendu, vous pourriez sourire devant mon optimisme et considérer qu'il ne s'agit encore que d'une petite chose. De fait, nous sommes une petite entreprise de deux cents personnes, et le nombre de nos installations est encore bien loin des millions dont je vous ai parlé ; votre question est donc tout à fait légitime, monsieur le président. Si nous voulons que la collectivité française bénéficie de notre système, la réflexion doit largement déborder les murs de Voltalis : il faut que des acteurs beaucoup plus importants se mobilisent afin que les effets se déploient à très grande échelle.
Vous avez mentionné notre litige avec le principal fournisseur français d'électricité. Je voudrais apporter un codicille très important à nos yeux. Nous avons eu un litige avec des fournisseurs alternatifs - avec presque un seul d'entre eux, maintenant -, qui considéraient que moins nous existions, mieux cela était. Ce n'était pas le cas d'EDF : même aux périodes les plus tendues de notre dialogue, nous avons toujours été animés, de part et d'autre, par le souci de l'intérêt général, des moyens de faire évoluer cette technologie nouvelle afin de la déployer au mieux des intérêts la collectivité ainsi que - cela ne me semble pas contradictoire - de ceux de nos deux entreprises.
J'estime qu'il s'agit d'une attitude sérieuse, raisonnable, réaliste. Je comprends très bien que, à une époque, EDF ait pu considérer que nos mille adhérents n'étaient pas très significatifs, que l'effacement diffus n'avait aucun rapport avec les problèmes de sécurité du pays. Peut-être que, aujourd'hui, compte tenu des chiffres que j'ai annoncés, la question de l'intérêt de notre système pour la collectivité - pour des millions et non plus des milliers ou des centaines de milliers de foyers - peut être posée ; je vous remercie d'ailleurs de m'avoir invité à en parler.
J'en viens à la question de notre rémunération. Ne sommes-nous payés qu'en février, notre système ne présente-t-il un intérêt qu'en période de pointe ? Vous avez déclaré, monsieur le président, que notre système vous paraissait intéressant en permanence. Je commencerai donc par répondre sur ce point, que je n'avais pas assez développé.
Effectivement, nous réalisons en permanence des économies d'énergie chez nos adhérents ; c'est ce qui distingue notre offre d'un simple dispositif de pointe. Nous aidons les gens à faire des économies toute l'année, et plus particulièrement au cours de la saison de chauffe ; nous y parvenons de deux façons.
Premièrement, lorsque nous arrêtons un radiateur pendant cinq à dix minutes, cela diminue la consommation. Vous avez sans doute entendu parler de la problématique du rebond, que Michèle Bellon, notamment, a évoquée. Nous constatons que, s'agissant du chauffage électrique de nos adhérents, l'essentiel de la consommation que nous effaçons - cinq à dix minutes multipliées par un kilowatt - est définitivement économisée. Nous sommes d'ailleurs en train de réaliser une étude très détaillée de cette question avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, et le Centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB, afin de pouvoir vous présenter des chiffres incontestables illustrant ce potentiel d'économies d'énergie.
Pour citer à nouveau un chiffre très grossier, ces économies d'énergie atteignent plus de 10 % chez nos adhérents.
Deuxièmement, nous fournissons gratuitement à nos adhérents une information détaillée sur leur consommation d'électricité. Je vous ai indiqué que notre boîtier contenait cinq compteurs qui mesurent de manière spécifique la consommation de chaque type d'usage de l'électricité dans le foyer. Cette information est ensuite envoyée sur nos serveurs et mise à la disposition de nos adhérents en temps réel et, je le répète, gratuitement : il leur suffit de se connecter sur Internet pour obtenir en temps réel le détail de leur consommation et son historique en kilowattheures, en euros, etc., ce qui leur permet de comprendre où part leur argent et donc de prendre des décisions plus éclairées en matière d'économies d'énergie.
Par exemple, nos adhérents peuvent savoir combien ils économiseraient en mettant un pull au lieu d'augmenter la température de deux degrés, ou en chauffant moins lorsqu'ils sont absents, ou encore, le cas échéant, en réparant la fuite qui oblige leur chauffe-eau à redémarrer en permanence pour chauffer l'eau. Notre boîtier fournit gratuitement ce type d'informations pragmatiques, toutes bêtes. Or plusieurs études internationales, recensées par l'ADEME, montrent qu'une telle information en temps réel aide les usagers à économiser jusqu'à 12 % de leur consommation d'énergie ; ce sont non pas nos chiffres, mais des chiffres internationaux.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si j'ai bien compris, votre boîtier comporte cinq compteurs ; chaque adhérent peut se connecter sur Internet pour consulter sa consommation ; il peut aussi savoir s'il existe une fuite dans son ballon d'eau chaude.
M. Pierre Bivas . - La fuite ne passe pas à travers l'ordinateur, et heureusement, car ce serait gênant pour ce dernier... Mais l'adhérent peut voir sur l'ordinateur la courbe de consommation de son chauffe-eau, et ainsi se rendre compte que celui-ci se remet à chauffer plusieurs fois pendant la nuit, ce qui ne peut s'expliquer que par une fuite.
M. Jean Desessard, rapporteur . - L'adhérent peut donc consulter sa consommation des dernières vingt-quatre heures.
M. Pierre Bivas . - Oui, et il a également accès à un historique de plusieurs semaines.
Je précise que les différents compteurs mesurent l'un le chauffage du salon, un autre celui d'une chambre, un autre encore la consommation du chauffe-eau, ce qui permet de distinguer les différents usages de l'électricité. Le reste de la consommation est mesuré par le compteur du gestionnaire de réseau de distribution, ERDF en général ; si le compteur est électronique, nous relevons cette information et la mettons en temps réel à la disposition de nos adhérents.
Voici les deux petits trous ( M. Pierre Bivas désigne deux orifices dans le boîtier ) qui nous permettent de relier par un fil le compteur électronique à notre boîtier afin d'effectuer une relève en temps réel - toutes les cinq minutes - de la consommation. Ce système fonctionne avec le compteur bleu électronique actuel, dont est équipée une petite moitié des foyers, et fonctionnera également avec le compteur Linky. Il permet, je le répète, d'avoir un relevé de consommation non pas hebdomadaire mais en temps réel, et avec le détail des différents usages de l'électricité.
M. Ladislas Poniatowski, président . - D'où provient votre rémunération ?
M. Pierre Bivas . - J'ai décrit les bénéfices que le consommateur tirait de notre système.
S'agissant maintenant de notre rémunération par le système électrique, notre capacité d'effacement est d'abord, je vous l'ai dit, une alternative à une capacité de production ; elle est reconnue comme telle dans le cadre de l'obligation de capacité. De ce fait, si nous avons des mégawatts d'effacement disponibles à la pointe, nous recevons, comme n'importe quel producteur d'électricité, un certificat délivré par RTE et indiquant la quantité d'électricité que nous avançons avec notre centrale d'effacement. Ce certificat nous procurera le revenu que le mécanisme de capacité est censé apporter.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est un certificat d'engagement ?
M. Pierre Bivas . - C'est un certificat de disponibilité de mégawatts à la pointe. Si vous possédez une centrale à gaz, vous pouvez indiquer que vous pourrez la faire fonctionner à la pointe ; comme il est peu probable qu'elle soit alors en panne, on comptera 95 % de sa puissance nominale dans le certificat de disponibilité de mégawatts à la pointe. Le système est le même pour nous : nous précisons la quantité de mégawatts dont nous disposerons à la pointe, et nous obtenons un certificat que nous pourrons vendre comme les autres producteurs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est donc de la revente de certificats d'économies d'énergie que provient votre rémunération ?
M. Pierre Bivas . - Il s'agit de certificats de capacité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - 2015 !
M. Pierre Bivas . - Excellente remarque ; je vous en remercie.
Cela nous a amenés à nous intéresser aussi, en premier lieu, à la rémunération de notre production. Un mégawatt effacé pendant une heure, c'est un mégawattheure en moins à produire. Ce mégawattheure est acheté par RTE dans le cadre du mécanisme d'ajustement. Vous connaissez ce système, qui permet à RTE d'équilibrer au dernier moment la production et la consommation. Lorsque la consommation dépasse la production, RTE peut acheter soit un peu plus de production, soit un peu de notre effacement ; dans les deux cas, l'équilibre est rétabli.
Vous me direz que l'équilibre ne se réalise pas exactement au même niveau, entre la diminution de la consommation et l'augmentation de la production. Certains en déduiront qu'il vaut beaucoup mieux baisser la consommation, d'autres qu'il est préférable que la consommation soit la plus élevée possible afin de vendre le plus possible d'électricité aux consommateurs. Je ne veux pas départager ces points de vue. Je comprends celui d'EDF, qui fait remarquer que, quand RTE achète davantage de production, ses consommateurs consomment plus, tandis que, quand RTE achète de l'effacement à Voltalis, ses consommateurs consomment moins. Faut-il pour autant compenser le manque à gagner pour le fournisseur d'électricité ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous avons compris.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Revenez plutôt sur votre rémunération.
M. Pierre Bivas . - J'y viens.
Notre centrale à effacement diffus est rémunérée comme une centrale de production, aussi bien pour le mécanisme de capacité que pour la vente d'énergie. Ce que je vous ai décrit en ce qui concerne le mécanisme d'ajustement est en discussion pour être étendu à tous les marchés de l'énergie. Nous pouvons espérer que tel sera bien le cas, car, au fond, ne pas consommer un mégawattheure est bien une alternative à la production et à la consommation d'un mégawattheure.
Pour ce qui est de nos revenus, il n'y a jamais eu de discussion ; cela a été reconnu d'emblée, y compris pour ce nouveau mécanisme de capacité.
Deux questions restent en revanche en suspens. Premièrement, devons-nous compenser le fournisseur ? Deuxièmement, la part « réseaux » peut-elle être également reconnue ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous avons bien compris vos explications sur ces points, monsieur Bivas.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En effet, nous avons compris que vous contribuiez à réduire la production, particulièrement à la pointe, et que vous étiez un facteur d'économies. À cet égard, nous avons parfaitement assimilé tout le bien-fondé de Voltalis.
Nous avons aussi compris que vous étiez aussi sur la capacité : vous ne produisez pas, mais vous permettez d'économiser.
Nous avons bien compris également votre interrogation sur une éventuelle compensation par le fournisseur. En effet, les économies que vous faites réaliser correspondent aussi pour le fournisseur à de l'électricité qu'il ne vend pas. Vous précisez que les États-Unis ont choisi de ne pas apporter de compensation au fournisseur, et que le Conseil d'État français a fait la même analyse. Mais vous dites aussi qu'il existe dans notre pays des demandes pour changer de cadre législatif, ce que vous ne souhaitez pas, et vous vous en êtes expliqué.
Enfin, vous avez bien souligné que vous permettiez non seulement d'éviter les pointes, mais aussi les investissements « réseaux », et vous voudriez que ce rôle soit mieux reconnu.
En revanche, nous n'avons pas très bien compris à quel moment vous étiez rémunéré. Certes, nous avons compris que, le 8 février dernier, à dix-huit heures, lorsque l'on a fait appel à vous pour baisser le chauffage dans 100 000 logements pendant dix minutes, vous faisiez bénéficier d'une baisse de pointe, et que cette économie vous était directement réglée par RTE, me semble-t-il.
En revanche, quand il fait beau, quand l'éolien produit beaucoup, quand il n'y a pas de pointe, quand les centrales tournent à plein régime, comment êtes-vous rémunéré ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous serais reconnaissant, monsieur Bivas, d'être plus bref dans votre réponse que M. le rapporteur dans sa question... ( Sourires .)
M. Pierre Bivas . - La nuit passée, nous avons produit des effacements, disons de 20 mégawatts - je ne me souviens pas du chiffre exact - pendant une demi-heure, soit 10 mégawattheures, que nous avons vendus à RTE pour contribuer à l'équilibre offre-demande. Ainsi, à tout instant, et pas seulement en pointe, il y a besoin d'équilibrer la production et la consommation, et à tout instant le fait de réduire la consommation représente une alternative à la production.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vois : vous participez à la régulation du réseau.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Est-ce que, à tout instant, RTE vous paye ?
M. Pierre Bivas . - Oui, RTE nous rémunère pour ces effacements.
Bien sûr, s'il s'agit d'effacer du chauffage électrique, ce sera essentiellement en hiver, là où se concentre l'essentiel de la demande. Durant tout l'hiver, nous avons donc cette capacité de production.
Je comprends votre question insistante, mais nous travaillons exactement comme un producteur. Lorsque nous produisons un mégawatt pendant une heure, nous nous faisons payer ce mégawattheure.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je voudrais faire une observation et, dans le prolongement, vous poser une question, monsieur Bivas.
Tout à l'heure, vous avez opposé l'effacement diffus à l'effacement industriel. La description que vous faites de l'effacement industriel n'engage que vous...
M. Ladislas Poniatowski, président . - On ne parle pas ici d'effacement industriel.
M. Jean-Pierre Vial . - M. Bivas l'a lui-même évoqué tout à l'heure, en précisant que ses propos n'engageaient que lui.
En ce qui concerne l'effacement diffus, vous parlez à la fois d'effacement de pointe et d'économie.
Je reviens donc au problème de la rémunération : soit vous faites faire une économie permanente, qui peut constituer la vertu du compteur, et il s'agit alors d'une rémunération par une « moindre consommation », soit vous mettez à disposition des mégawatts en période de pointe, et il s'agit alors, pour faire court, d'une rémunération sur le marché capacitaire. Mais on ne peut pas faire les deux à la fois avec la même énergie.
Comment se répartit l'énergie économisée « sur le ruban », si je puis dire, et la rémunération en période de pointe ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez la parole, monsieur Bivas.
M. Pierre Bivas . - Permettez-moi tout d'abord de lever une ambiguïté : je trouve l'effacement industriel très utile ; simplement, ce n'est pas mon métier.
Vous me posez ensuite la question des ordres de grandeur, monsieur le sénateur. Comme je vous le disais précédemment, nous effaçons y compris à des moments qui ne correspondent pas à une pointe. Nous effaçons tout le temps, ce qui permet de réaliser des économies d'énergie et de réduire de 10 % la facture annuelle du consommateur.
Au-delà, vous me demandez si, en plus de vendre cette économie d'énergie - ou plutôt ces mégawatts effacés, d'ailleurs -, je me fais également payer pour ma capacité disponible à la pointe.
Je vous réponds que le mécanisme que vous avez mis en place dans la loi NOME prévoit de distinguer deux paiements.
D'une part, il existe un marché de l'énergie sur lequel se négocient les mégawattheures produits. Ainsi, à chaque fois que l'on efface un mégawattheure, on se fait payer comme une centrale lorsqu'elle produit un mégawattheure. Nous représentons une alternative, mais nous vendons pour l'instant notre production au même prix, en concurrence exacte, même si nous estimons que notre mégawattheure est plus propre, plus social que celui de la centrale, et qu'il contribue de surcroît à éviter les pertes sur le réseau.
D'autre part, vous avez créé un mécanisme de capacité qui porte sur les mégawatts disponibles à la pointe, ces derniers étant rémunérés par un certificat.
Toute centrale se fait rémunérer pour les deux ; nous aussi !
Il me semble toutefois que votre question a un second sens, plus profond. Vous vous demandez finalement quels sont les bénéfices respectifs. Je vous répondrai que le consommateur bénéficie du fait que l'on efface tout le temps et que le système électrique bénéficie surtout du fait que l'on efface à la pointe. En effet, dans ce cas, non seulement on économise le gaz qu'il faut brûler dans la centrale, mais on évite même de construire la centrale. Le bénéfice est alors énorme pour la collectivité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On pourrait toutefois craindre que vous ne poussiez à la consommation à certaines périodes, puisque vous contrôlez tout, le chauffage, les compteurs. Vous pourriez être tenté d'augmenter un peu la puissance utilisée dans les appartements par le chauffage pour pouvoir ensuite plus facilement la réduire lors des pointes. Si l'on était un peu pervers, on pourrait vous soupçonner de participer à la création d'une consommation importante pour mieux conserver votre capacité de réduction à la pointe.
M. Pierre Bivas . - Votre idée, loin d'être perverse, est très intelligente, mais trop pour nous ! Notez que, depuis longtemps déjà, la différenciation des tarifs entre les heures pleines et les heures creuses incite les gens à consommer en dehors des périodes de forte consommation.
De notre côté, nous ne faisons rien de tel ; nous nous contentons d'arrêter. Nous n'avons pas techniquement organisé notre système pour permettre de forcer les chauffages, mais seulement pour permettre de réduire, d'effacer. C'est la seule chose que nous faisons. Cela étant, je ne dis pas qu'il ne faudra pas un jour aller plus loin, et piloter les installations de façon intelligente. Ces réflexions intéressent notamment EDF, le principal fournisseur, et nous rejoignons ici la question des smart grids .
Notre technique est très simple, un peu rustique, un peu bête : nous faisons de l'effacement, de la réduction de consommation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous êtes une entreprise privée ; vous avez trouvé un boîtier intelligent et vous développez des arguments pour inciter le plus de monde possible à s'en équiper.
Toutefois, et même si cela fait partie des arguments que vous employez, vous n'avez pas une mission de service public ; ce n'est pas votre vocation.
M. Pierre Bivas . - Vous avez posé la question juste, qui pourrait fournir une conclusion. Ce que nous apportons, c'est bien un service au public, et je suis quelquefois assez perplexe quand je me demande comment nous pourrions en faire un véritable service public, un service au public à grande échelle. Je comprends bien que cet enjeu dépasse largement la société Voltalis et les deux cents personnes qu'elle emploie aujourd'hui.
Toutefois, vous connaissez mon parcours, monsieur le président : chez moi, comme d'ailleurs chez les autres fondateurs de cette société, il y a cette fibre du service public qui vibre. Je ne m'en cache pas. Dès lors, nous nous demandons aussi ce que nous pourrions apporter à la collectivité, en France comme au-delà de nos frontières. Si jamais une véritable filière industrielle de l'effacement diffus se développait largement, cela bénéficierait à de nombreux pays, à commencer par le Japon, où nous avons déjà des discussions, bien entendu.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Dans le prolongement de la question précédente, n'avez-vous pas le sentiment d'un système finalement assez aberrant ? Le métier que vous faites est plutôt un métier de service public, puisqu'il est effectivement dans l'intérêt général de réduire la consommation.
Pourtant, c'est bien un deuxième compteur entièrement privé que vous installez derrière le premier. Et vous gérez l'ensemble de vos compteurs de manière privée.
La logique ne voudrait-elle pas que, demain, RTE - probablement - reprenne tout cela en main, équipe tout le monde et gère sa pointe ?
Vous avez effectivement un rôle pionnier, mais la logique ne commanderait-elle pas que vous soyez réintégré au sein d'un système plus large porté par la puissance publique ?
M. Pierre Bivas . - En conclusion, il faudrait nationaliser Voltalis... ( Sourires .)
À titre personnel, et compte tenu de ce que j'ai dit précédemment, je pense en effet qu'il est plus important d'équiper 5 millions de foyers dans les cinq ans qui viennent que de se demander ce qu'il adviendra de Pierre Bivas... De surcroît, le problème dépasse largement les frontières françaises.
Il y a toutefois quelques petites limites juridiques à ce schéma, qui n'est pas vraiment à la mode. Par définition, vous êtes plus juristes que moi, messieurs les sénateurs, mais il me semble qu'il faudrait trouver un système compatible avec les directives européennes et des principes de concordance, même si, en pratique, c'est bien de « service public » qu'il s'agit. L'expression n'étant pas très « bruxelloise »... Comment faire pour articuler tout cela ?
Ce n'est donc pas un hasard si je tends la main à ces différents acteurs que sont EDF, RTE et ERDF que j'ai cités. Au-delà des contingences juridiques, nous pouvons essayer de travailler dans cet esprit de service d'intérêt général et, au fond, de service public.
Comme je l'ai déjà indiqué, nous travaillons localement avec les maires et les bailleurs sociaux, nous équipons les bâtiments des collectivités locales et les HLM. Au fond, nous offrons un service public d'économies d'énergie. Et, puisque les mots « service public » ou « nationalisation » ne sont pas à la mode, trouvons donc un autre schéma coopératif qui permettrait au service public, dans le sens noble que nous lui attribuons en France, d'intégrer cette petite solution nouvelle qu'est l'effacement diffus.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avec combien de syndicats départementaux d'électricité travaillez-vous ?
M. Pierre Bivas . - Environ une douzaine.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces syndicats ont en effet comme particularité d'essayer d'aider les communes à réaliser des économies d'énergie, notamment dans leurs bâtiments. Ils ont essentiellement une mission de conseil, et votre société fournit en effet un instrument potentiel d'économies d'énergie.
M. Pierre Bivas . - Absolument !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il me reste à vous remercier, monsieur Bivas. Vous avez expliqué avec précision vos positions, en même temps que vous nous avez aidés à avancer dans nos travaux. Plusieurs des personnes et organismes auditionnés ont contribué à nous éclairer sur le volet « économies d'énergie », et l'instrument que vous proposez en la matière est très intéressant.
Comptez-vous nous laisser une trace écrite de votre audition ?
M. Pierre Bivas . - Je pourrai sans problème vous transmettre un document.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Volontiers.
Dernière question : combien votre société compte-t-elle d'employés ?
M. Pierre Bivas . - Nous employons près de deux cents personnes et nous avons déjà formé trois cents électriciens à l'extérieur de la société. De plus en plus, ce sont des électriciens locaux qui réalisent nos installations.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si je comprends bien, les salariés de votre entreprise prennent principalement leurs vacances pendant la période d'été ! ( Sourires .)
M. Pierre Bivas . - S'il est vrai qu'il y a des fourmis et des cigales et que, l'été venu, les unes chantent quand les autres triment, croyez-moi, chez Voltalis, nous travaillons l'été, et nous faisons un véritable travail de fourmi !
Audition de M. Benjamin Dessus, président de Global Chance
(10 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames, messieurs, la suite de notre ordre du jour appelle cet après-midi l'audition de M. Benjamin Dessus, président de Global Chance.
Monsieur Dessus, je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, monsieur Dessus, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Benjamin Dessus prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Pour faciliter votre audition et entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions afin que vous puissiez préparer vos réponses.
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler lesdites questions, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de votre audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre dans l'ordre, sauf si, pour nous éclairer, vous jugez plus intéressant de procéder différemment.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Benjamin Dessus, nous vous avons adressé six questions.
Première question, de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France ? Quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?
Deuxième question, la France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes - une question qui est revenue fréquemment dans nos auditions - et/ou investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs et/ou encourager une sortie progressive du nucléaire en investissant massivement dans les énergies renouvelables ?
Troisième question, quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Quatrième question, pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer ? À combien chiffrez-vous cet investissement ?
Cinquième question, le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas dans un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Enfin, sixième question, quelles actions convient-il prioritairement de mener selon vous, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Dessus, vous avez la parole.
M. Benjamin Dessus, président de Global Chance . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur-maire de Meudon - je suis l'un de vos administrés et vous me faites l'honneur de venir m'écouter cet après-midi ! -, je vous précise d'emblée que je ne répondrai probablement pas à toutes les questions que vous m'avez adressées. Si certaines sont vraiment de ma compétence, je ne me sens pas particulièrement compétent pour répondre à d'autres. Je sais bien que nombre de gens s'expriment sur des sujets qu'ils ne connaissent pas, mais, pour ma part, je préfère ne pas le faire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est votre droit le plus strict !
M. Benjamin Dessus . - Je vous préciserai bien entendu de quelles questions il s'agit.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Veuillez-nous excuser, monsieur Dessus, mais nous rencontrons actuellement un petit problème technique qui nous empêche de visionner votre présentation.
Souhaitez-vous commencer dès à présent votre exposé ou attendre que le problème soit résolu ?
M. Benjamin Dessus . - Ce serait plus commode pour moi d'avoir le document sous les yeux.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous propose dès lors de suspendre l'audition pour quelques minutes.
M. Benjamin Dessus . - Très bien.
Accessoirement, je précise également que j'ai fait parvenir ce matin à votre administrateur une note qui reprend certains éléments de ma présentation. Elle pourra vous servir de référence.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous l'avons bien reçue et nous vous en remercions.
( L'audition est suspendue pour quelques instants .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le problème technique étant à présent résolu, nous allons pouvoir vous écouter, monsieur Dessus.
M. Benjamin Dessus . - Monsieur le rapporteur, j'apporterai d'abord des éléments de réponse à vos deux premières questions, à savoir sur les tarifs, les coûts et les questions de stratégie à moyen terme.
Il me semble que les coûts de production vont augmenter inéluctablement, quelles que soient les stratégies à moyen terme que l'on développe ; je vais m'en expliquer.
Je pense qu'il en ira de même pour les coûts de transport et de distribution et que, par conséquent, les factures pour les usagers ou pour les industriels vont augmenter significativement, sauf si un programme important d'économies d'électricité est engagé, qui viendrait réduire d'autant les besoins en kilowattheures des usagers divers.
Pourquoi les coûts de production vont-ils augmenter ?
Le coût de production de l'électricité pris en compte aujourd'hui est largement issu du passé.
Premièrement, vous savez que l'on a en France un très gros programme nucléaire - assurant 75 % de la production d'électricité. Vous savez que nos barrages correspondent à des investissements anciens, réalisés durant les cinquante dernières années, donc largement amortis. Cela explique pourquoi, malgré les frais d'exploitation qui augmentent, comme c'est par exemple le cas pour le nucléaire, l'électricité actuelle est relativement bon marché.
Certes, on sait que cette situation ne durera pas cinquante ans parce que, même si on essaie de prolonger le parc actuel et les barrages, arrivera bien un moment où il faudra les changer.
Deuxièmement, la solution trouvée par la commission « Énergies 2050 », consistant à prolonger le parc actuel, entraînera de toute façon un certain nombre de frais complémentaires, dont certains sont relativement bien déterminés - de l'ordre de 40 ou 50 milliards d'euros de frais de jouvence -, mais avec une indétermination assez considérable pour ce qui concerne le post-Fukushima, dont on sait mal apprécier les dépenses correspondantes puisque toutes les conséquences n'ont pas encore eu lieu - une dizaine de milliards d'euros en première approximation.
Troisièmement, et ce point me paraît important, le risque économique d'une prolongation est sérieux.
En effet, l'Autorité de sûreté nucléaire, que vous avez entendue, ne dira s'il est possible de continuer à exploiter telle ou telle centrale qu'une fois qu'un certain nombre d'investissements de jouvence et de mise à niveau post-Fukushima seront réalisés. Le risque qu'une centrale ne soit pas remise en route à l'issue d'investissements relativement importants n'est donc pas négligeable.
Quatrièmement, enfin, je vais vous montrer que le coût des nouvelles filières se situe dans une fourchette comprise entre 65 et 100 euros le mégawattheure, voire plus pour certaines d'entre elles.
Tel est l'objet de mes démonstrations principales.
En ce qui concerne les frais complémentaires au parc existant, je parlerai essentiellement du parc nucléaire, qui constitue le gros morceau.
Je me suis amusé, si je puis dire, à comparer l'étude sur le parc existant que j'avais faite, en 2000, avec le commissaire au Plan Jean-Michel Charpin et le haut-commissaire à l'énergie atomique René Pellat, à celle que la Cour des comptes, procédant à la même analyse, a réalisée en 2010.
Si l'évolution de la situation entre ces deux dates est intéressante, celle de la pensée l'est également.
S'agissant des coûts de construction, les montants que nous avons trouvés sont à peu près équivalents. Ce n'est pas étonnant : c'est une question d'inflation.
Les coûts d'exploitation ont, pour leur part, augmenté de 50 %. Plus grave, la direction générale de l'énergie et des matières premières, la DGEMP, et Électricité de France, EDF, prédisaient, en 2000 - nous l'avions noté -, que ces coûts diminueraient assez fondamentalement en 2010 - en gros, de 70 %. Or ces coûts d'exploitation ont augmenté, je le disais, de 50 % ; ils sont donc en train de dériver de manière considérable ; je pourrais vous en expliquer les raisons.
Le coût des combustibles n'a quant à lui pas beaucoup changé.
Si le coût du démantèlement et celui de la gestion des stockages ont augmenté dans des proportions importantes, vous connaissez l'indétermination qu'il y a autour de ces problèmes. Au demeurant, ces postes comptent peu dans le coût du kilowattheure : l'actualisation de frais qui ne seront effectifs que dans plusieurs dizaines d'années ne change pas fondamentalement l'idée du coût que l'on se fait aujourd'hui.
Un autre poste a complètement dérapé, je veux parler des frais de jouvence, c'est-à-dire ce à quoi l'on procède à la suite de chaque visite décennale pour remettre les centrales à niveau : les coûts correspondants ont augmenté de 150 % par rapport à l'idée que l'on s'en faisait en 2000.
En résumé, s'il n'y a grosso modo pas eu d'erreur sur la construction, ce qui est normal, on relève un certain nombre de dérapages importants, à la fois sur l'exploitation et sur la jouvence.
En ce qui concerne le risque économique d'une prolongation, vous savez que les opérations post-Fukushima et les investissements de jouvence envisagés - de l'ordre de 50 gigaeuros - ne garantissent pas la prolongation des centrales.
En effet, si l'ASN ne donne pas son autorisation, il faudra arrêter certains réacteurs. Le risque économique n'est pas négligeable, puisque l'on aura alors un coût échoué. Il faudra, en outre, trouver très rapidement d'autres moyens de remplacer l'électricité manquante.
Si l'on peut essayer d'estimer le coût d'un éventuel arrêt, on ne saurait évaluer le risque correspondant. Combien de centrales ne redémarreront pas ? On est bien incapables de le dire.
Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, la commission « Énergies 2050 » a procédé à un calcul, certes un peu contestable, mais qui a au moins le mérite d'exister. Sur cette base, elle considère que la non-prolongation de vingt ans et donc l'arrêt du réacteur coûterait à peu près 3 gigaeuros, sans compter les 0,8 ou 1 milliard d'euros qu'il faudra investir pour mettre à niveau la centrale en question.
Or ce risque de voir une ou plusieurs centrales ne pas redémarrer n'est pas pris en compte dans les coûts économiques actuels. Vous voyez pourtant que le problème n'est quand même pas négligeable ! Si l'on prenait le parti de ne pas remplacer les réacteurs arrêtés, les coûts futurs du nucléaire existant risquent d'augmenter.
J'en viens maintenant au coût des nouvelles filières.
D'après mon analyse, le coût des plus importantes d'entre elles se situera entre 65 euros et une centaine d'euros par mégawattheure.
À cet égard, l'examen de la récente étude économique de la Cour des comptes est intéressant. La Cour a travaillé sur le « coût courant économique », le CCE, concept un peu nouveau par rapport à ceux qu'utilisait habituellement l'État, lequel se fondait sur les coûts de référence de l'électricité. Cette méthode du CCE semble faire à peu près consensus et aboutit, sans tenir compte des risques futurs, à un coût de l'ordre de 54 euros par mégawattheure pour le parc actuel, et à un coût affiché de 70 à 90 euros par mégawattheure pour l'EPR de Flamanville - sans qu'il y ait d'ailleurs, dans le rapport de la Cour des comptes, le détail de la façon dont on arrive à ce coût. J'ignore si vous avez auditionné Mme Pappalardo et, le cas échéant, si vous avez pu en savoir davantage sur ce point.
Dans le coût de 54 euros par mégawattheure ne figurent pas les investissements de recherche publique. Si on les y intégrait, le coût serait plutôt de 69 ou 70 euros le mégawattheure. Faut-il ou non prendre en compte ces investissements dans le coût ? C'est un débat en soi, que je vous laisse arbitrer.
En tout état de cause, les frais de recherche publique s'élèvent à 38 milliards d'euros cumulés depuis l'origine du nucléaire et, si on les répercutait sur le niveau actuel de la production annuelle d'électricité d'origine nucléaire, soit 410 térawattheures, le loyer économique augmenterait de 19 euros.
En fait, Michèle Pappalardo, à qui j'en ai parlé, m'a dit qu'elle n'avait pas pris en compte ces frais parce qu'elle n'était pas capable de chiffrer d'autres dépenses - celles de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et celles de l'ASN - sur une longue période et, par conséquent, de faire un « paquet » de ces investissements annexes passés. Elle a donc préféré ne pas les intégrer. Mais il faut reconnaître que les frais engagés par l'ASN et l'IRSN sont beaucoup moins élevés que ceux de la recherche, ce qui permet quand même de se faire une idée.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Michèle Pappalardo nous a bien expliqué ce qu'elle prenait en compte pour établir le coût.
M. Benjamin Dessus . - Il faut simplement savoir que les investissements de recherche publique n'y figurent pas.
Je vous rappelle au passage que le coût courant économique de la Cour des comptes, qui, je le répète, est une façon relativement nouvelle pour l'État de mesurer les choses, est un coût global au mégawattheure sur toute la durée de fonctionnement d'une installation quelconque. Il comprend évidemment les frais concernant le capital et les frais d'exploitation.
Les frais de capital sont mesurés par un loyer économique lequel ressemble « comme deux gouttes d'eau » à ce que vous payez quand vous empruntez à la BNP ou au Crédit foncier pour acheter votre maison : à la fin du prêt, on reconstitue la valeur complète du capital, on y ajoute les intérêts que touche la banque ou le Crédit foncier et on paie un loyer constant. C'est ce que vous avez tous fait si vous avez emprunté de l'argent pour acheter votre maison ou votre appartement.
Cette méthode consiste donc à regrouper en annuités constantes des frais de capital, compte tenu évidemment des intérêts que vous versez à la personne qui vous prête.
Autrement dit, quand vous arrivez au terme du prêt, vous avez reconstitué un capital qui vous permet de renouveler l'opération - de construire, selon les cas, une nouvelle éolienne ou un nouvel EPR.
Pour l'exploitation, le calcul est relativement classique : les frais correspondent aux charges annuelles d'opération, d'entretien, de maintenance, de combustibles.
Pour calculer son coût courant économique, la Cour des comptes a pris un taux de rémunération du capital de 7,8 % - ce taux est évidemment contestable, mais il faut en prendre un -, un taux d'actualisation de 5 % - pourquoi pas ? - et un taux d'intérêt intercalaire de 4,5 %.
Pourquoi ces deux derniers taux d'intérêt ? Parce que l'on considère que l'on reconstitue le capital le jour où la centrale que l'on met en route commence à fonctionner.
D'une part, les investissements que l'on a réalisés dans l'intervalle sont soumis à des intérêts intercalaires. Ce point est important quand on parle du nucléaire parce la construction d'une centrale peut s'étaler sur cinq ou dix ans. Il est évidemment beaucoup moins important pour une pompe à chaleur...
D'autre part, les coûts finaux - correspondant au démantèlement d'une éolienne ou d'un parc nucléaire, au stockage des déchets... - sont actualisés sur la base de ce taux de 5 %, c'est-à-dire qu'un investissement de 1 milliard d'euros qui sera réalisé dans soixante ans - par exemple - aura aujourd'hui une valeur beaucoup plus faible, puisqu'il sera déflaté de 1/1,05 à la puissance 60.
Je pense qu'une telle méthode est intéressante. Elle a pour principal intérêt de rendre possible la comparaison de projets dont les durées de vie sont très différentes : des lampes économes, dont la durée de vie est de quelques années ; une centrale nucléaire, dont la durée de vie est de soixante ans ; un barrage, qui peut avoir une durée de vie de cent cinquante ans.
La Cour des comptes ne m'ayant pas communiqué le détail de ses chiffres, j'ai reconstitué le coût courant économique en euros par mégawattheure pour l'EPR de Flamanville, en me fondant sur les hypothèses, notamment de taux, qu'elle avait retenues. J'ai pris en considération des durées de fonctionnement annuelles d'au moins 75 % - soit la durée de fonctionnement annuelle actuelle du parc nucléaire - et des frais d'exploitation plus ou moins importants, et je suis effectivement arrivé à un coût compris entre 70 et 90 euros par mégawattheure, ce qui colle à peu près avec celui trouvé par la Cour.
Dans cette mesure, il m'a semblé intéressant d'examiner les autres filières avec le même procédé.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pouvez-vous expliquer en deux mots l'histogramme relatif au coût courant économique de l'EPR de Flamanville ?
M. Benjamin Dessus . - Les deux barres de gauche correspondent à un EPR qui fonctionne 6 700 heures par an, soit un facteur de charge de 76 % : c'est ce que l'on obtiendrait si l'EPR était aujourd'hui intégré dans le parc nucléaire et s'il fonctionnait comme le reste du parc - soit, en 2011, 76 % du temps. On peut toutefois espérer un meilleur facteur de charge.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si je comprends bien votre graphique, les deux barres de droite correspondent à un EPR fonctionnant 86 % du temps ?
M. Benjamin Dessus . - En effet. Dans le second cas, l'EPR fonctionne 7 500 heures, ce qui correspond à 86 % du temps, soit un bon taux d'utilisation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - L'ordonnée nous renseigne donc sur le coût correspondant à ces différents taux d'utilisation ?
M. Benjamin Dessus . - Tout à fait : elle nous donne le coût en euros par mégawattheure.
Vous voyez que ce coût se situe, au plus bas, aux environs de 72 ou 73 euros par mégawattheure et, au plus haut, aux alentours de 86 ou 87 euros par mégawattheure.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ces chiffres correspondent-ils à ceux de la Cour des comptes ?
M. Benjamin Dessus . - Oui. Les ordres de grandeur sont cohérents.
Je ne vais pas entrer dans le détail ; on peut regarder les hypothèses plus précisément. Pour ma part, je voulais simplement vérifier qu'en faisant mon propre calcul j'aboutissais à un résultat cohérent avec celui de la Cour des comptes, ce qui est le cas.
J'ai eu la curiosité de regarder l'évolution de ce coût par rapport aux estimations contenues dans le rapport sur la durée de vie des centrales nucléaires et des nouveaux types de réacteurs, rédigé, en 2003, par MM. Christian Bataille et Claude Birraux, au nom de l'OPECST, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
À gauche de ce nouvel histogramme que vous avez sous les yeux, vous retrouvez le coût du mégawattheure produit par un EPR fonctionnant à un taux d'utilisation de 86 %. ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Un rappel : le coût du mégawattheure EPR en 2003 vu par l'office parlementaire et en 2012 » .) La barre de droite correspond au coût estimé en 2003. Comme vous pouvez le constater, il y a eu, entre 2003 et aujourd'hui, une dérive d'un bon facteur deux entre l'idée que l'on se faisait alors du coût d'un mégawatt produit par l'EPR et celle que l'on s'en fait aujourd'hui !
Certes, on n'atteindra peut-être pas un tel niveau de coût, mais, en la matière, on ne peut se fonder que sur des idées, étant donné que l'EPR n'existe toujours pas.
Ce graphique permet tout de même de vous donner des ordres de grandeur : vous le voyez, la fluctuation est tout à fait considérable.
D'ailleurs, l'histoire nous a pour le moment toujours montré que le coût d'investissement du nucléaire augmentait de manière quasi linéaire à chaque étape. Il s'agit donc d'un problème important : on a du mal à imaginer un coût de l'énergie nucléaire que l'apprentissage industriel ferait décroître. En tout cas, le passé démontre plutôt le contraire.
Vous verrez, dans la note que je vous ai fait passer, que j'ai reconstitué le coût d'investissement du nucléaire français depuis l'origine : ce coût prend vraiment la forme d'une droite en progression linéaire.
S'agissant maintenant du coût courant économique d'une éolienne terrestre, j'ai là aussi pris comme hypothèses des coûts réels observés cette année et des coûts dont on peut imaginer qu'ils connaissent une diminution de l'ordre de 10 %. Dans ces conditions, le coût le plus élevé s'élèverait également à environ 85 ou 86 euros par mégawattheure, quand le coût le plus bas - si on est vraiment dans des bons sites, dans des conditions de vent excellentes - serait lui aussi de l'ordre de 70 à 72 euros par mégawattheure.
On est donc grosso modo dans les mêmes ordres de grandeur que pour l'EPR de Flamanville.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cela est très visible sur l'un des graphiques que vous allez commenter ensuite.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Peut-être pourrions-nous l'examiner tout de suite ?
M. Benjamin Dessus . - J'ai d'abord à vous faire une remarque qui me paraît tout à fait importante, même si elle n'est pas complètement corrélée avec les préoccupations que vous exprimez dans l'immédiat.
La part des dépenses de démantèlement dans ce coût économique est complètement négligeable. Ces dépenses figurent en noir sur le graphique que vous avez sous les yeux. Figurées en noir, on ne les voit pas : elles tiennent dans l'épaisseur d'un cheveu. Leur coût est de l'ordre de 0,15 euro par mégawattheure pour l'EPR ; on verra qu'il est de 0,5 à 1 euro par mégawattheure pour les éoliennes.
C'est la vertu du coût d'actualisation. Si l'on admet, comme la Cour des comptes, que le démantèlement se fait neuf ans après la fermeture de la centrale, une centrale nucléaire de type EPR construite aujourd'hui sera démantelée dans soixante-neuf ans. Mais, en raison du taux d'actualisation de 5 %, le coût de ce démantèlement nous apparaît aujourd'hui bien évidemment moins important.
Or il faut bien comprendre, et c'est un oubli que l'on commet souvent, que la contrepartie de ce « cheveu » consiste à mettre de côté les sommes correspondantes et à les faire fructifier au même taux de 5 %, pendant vingt et un ans quand il s'agit d'une éolienne et pendant soixante-neuf ans pour l'EPR.
Toutefois, des problèmes considérables surgissent dès lors que l'on se pose certaines questions : par exemple, EDF, qui est censé assurer le démantèlement de l'EPR ou des barrages, existera-t-il toujours dans soixante-neuf ans ? Sinon, existera-t-il encore une structure équivalente ? N'y aura-t-il pas eu entre-temps plusieurs crises économiques ?
Vous le voyez : en contrepartie du cheveu que représente l'aval du cycle nucléaire - c'est d'ailleurs vrai pour d'autres sources d'énergie -, il faut constituer une réserve et l'assurer à un taux fixé au même niveau que le taux d'actualisation, lequel vous fait aujourd'hui apparaître le coût en question comme tout à fait négligeable. Cette réserve n'est que la réciproque de la vertu du taux d'actualisation.
Après l'avoir fait pour l'EPR - à gauche du nouvel histogramme que vous avez sous les yeux -, et pour les éoliennes terrestres - représentées par les barres du milieu -, j'ai regardé ce qui se passait pour les turbines à gaz. ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Coût courant économique - Cycle combiné à gaz, EPR, éolienne terrestre » .)
Je ne parle pas ici des turbines que l'on vient de monter à Martigues et qui coûtent moins cher, mais de celles qui existent actuellement sur le marché international : l'utilisation de gaz à 7 euros le million de BTU - soit la moyenne des coûts spot sur le marché de Londres en 2011 - donne un coût plutôt moins élevé, y compris avec des taxes sur le CO 2 de l'ordre de 10 euros par tonne - ce qui est supérieur au coût d'aujourd'hui -, voire de 20 euros par tonne. Vous le voyez sur la droite du graphique.
La dernière barre - la plus à droite -, correspond à une hypothèse où le coût du gaz s'élèverait à environ 10 ou 11 euros le million de BTU et celui de la taxe sur le CO 2 , à 10 euros par tonne.
Vous voyez donc que le gaz tient aujourd'hui assez bien la route par rapport aux deux autres filières que sont l'EPR de Flamanville et l'éolienne terrestre classique, y compris avec une augmentation potentielle de 35 à 40 % et avec une taxe sur le CO 2 d'un niveau non négligeable.
Bien évidemment, si l'on regarde l'éolien offshore et le photovoltaïque décentralisé, on sort du terrain de football, si je puis dire !
S'agissant de l'éolien offshore - représenté à gauche de la diapositive ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Coût courant économique : éolien offshore, photovoltaïque décentralisé » .) -, j'ai considéré des coûts d'investissement de 3 000 euros et 4 000 euros par mégawatt. Je vous rappelle, en effet, que l'appel d'offres qui vient d'être lancé finit sur un coût d'à peu près 3 500 euros par mégawatt, du moins si j'interprète bien les propos du ministre Éric Besson, qui a déclaré que l'on allait installer 2 000 mégawatts pour 7 milliards d'euros.
Les coûts courants économiques que j'ai ainsi obtenus s'établissent entre 100 euros par mégawattheure et 150 ou 160 euros par mégawattheure, selon la quantité de vent et les différents sites.
Pour ce qui concerne le photovoltaïque, je me suis également fondé sur les coûts réels qui se pratiquent aujourd'hui et que j'ai pu vérifier. J'ai fait varier deux critères : d'une part, j'ai pris du photovoltaïque soit de très petite taille - produit sur une maison -, soit de 100 kilowatts - ce qui peut encore être produit sur un toit, mais sur un gros toit. D'autre part, j'ai considéré un photovoltaïque décentralisé soit à Toulon, soit à Dunkerque. Vous voyez qu'une installation photovoltaïque de 100 kilowatts située à Toulon fait tomber le coût à environ 160 euros par mégawattheure, tandis qu'avec une installation inférieure à 5 kilowatts et située à Dunkerque, le coût est alors 2,5 fois plus élevé que le coût actuel.
Cette démonstration n'a qu'un intérêt : vous montrer que le photovoltaïque décentralisé est beaucoup trop cher. Toutefois, sur la partie de droite de la diapositive, on voit bien aussi que, quand le coût s'approche de 150 ou 160 euros par mégawattheure, on n'est plus très loin de la parité avec le coût de l'électricité distribuée en France.
Vous savez que ce dernier s'élève à environ 130 euros par mégawattheure. On nous dit, avec raison me semble-t-il, que ce coût passera probablement à 160 ou 170 euros par mégawattheure. On est à peu près dans le même ordre de coûts. On peut donc imaginer que l'effet combiné de la décroissance de ces coûts et de la croissance parallèle du coût de l'électricité permettra à relativement court terme d'arriver à la parité de réseaux.
En revanche, du moins pour le photovoltaïque relativement décentralisé, on est très loin d'être à la parité du point de vue de la production. Si l'on peut très bien imaginer que la situation sera très différente dans dix ans, tel n'est pas le cas aujourd'hui et tel n'est pas non plus le cas pour l'éolien offshore .
J'en viens aux coûts de transport et de distribution.
Le réseau de transport à haute tension est relativement moderne parce que l'investissement réalisé était essentiellement dû au programme nucléaire, lequel a moins de trente ans.
C'est beaucoup moins vrai pour le réseau à moyenne et basse tension, qui représente plus des deux tiers de l'investissement total, ce dont personne n'a conscience. En effet, tout le monde pense au réseau à haute tension, aux lignes à 300 000 volts, mais la vraie difficulté réside dans la vétusté du réseau à moyenne tension et, surtout, à basse tension.
Ce réseau est en outre aujourd'hui mal adapté à des productions locales d'électricité, ce qui pose problème pour les énergies renouvelables locales et le développement du chauffage électrique. On le sait bien puisque, chaque hiver, EDF attire l'attention sur les problèmes susceptibles de se poser en Provence-Alpes-Côte d'Azur ou en Bretagne, deux régions en bout de ligne et, chaque hiver, des problèmes se posent.
Quant à la masse des investissements, elle dépendra bien évidemment, dans une mesure importante, de la nature des moyens de production que l'on mettra en place. Toutefois, il faut bien avoir conscience qu'elle dépendra aussi de la nature des usages.
Poursuit-on la politique de recours au chauffage électrique ? L'amplifie-t-on ? Essaie-t-on au contraire de l'infléchir ? En fonction des réponses que l'on apportera à ces questions, la situation variera considérablement.
Autrement dit, il ne faut pas concevoir le réseau uniquement du point de vue de la production ; il faut aussi s'interroger sur la nature de la demande et sur son orientation.
Ce propos m'amène à redéfinir le champ de votre mission, pour me faire plaisir un instant...
Évidemment, il est bien normal que vous vous intéressiez au prix du kilowattheure pour l'usager, puisque votre mission consiste à déterminer s'il a un rapport avec les coûts de production.
Mais, et je pense que vous en êtes tout à fait conscients, après avoir procédé à plusieurs auditions, la véritable question est celle de la facture pour l'usager et pour la collectivité nationale. En effet, il est indifférent pour l'usager que le prix du kilowattheure augmente de 40 % si ses besoins en électricité diminuent de 40 % : le montant de sa facture sera inchangé.
C'est la raison pour laquelle il me paraît important de considérer, en même temps que la production d'électricité et avec les mêmes outils, les mesures d'économies, leur coût et la manière de les mettre en oeuvre.
C'est tout l'intérêt du coût courant économique que de permettre cette comparaison. Je l'ai appliqué à quelques exemples, en essayant d'abord de répondre à une question toujours oubliée en France : comment l'électricité est-elle consommée ?
Vous avez sous les yeux trois graphiques. Le premier représente les consommations sectorielles d'électricité en 2010. ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Consommations sectorielles d'électricité en 2010 » .)
Vous constatez que la plus grande partie de l'électricité est consommée non pas dans l'industrie, comme beaucoup le pensent, mais dans l'habitat tertiaire. En comparaison, la part des autres secteurs est assez négligeable : l'industrie représente 27 % de la consommation totale, les transports 3 %. Notez que la consommation de l'agriculture est comprise dans celle de l'industrie ; du reste, elle est très faible.
Le deuxième graphique représente la manière dont l'électricité est consommée au sein du résidentiel tertiaire. ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « L'électricité dans le résidentiel tertiaire » .)
Vous observez que le chauffage électrique représente à peine 24 % de la consommation, soit une part relativement faible. Au contraire, les applications de l'électricité considérées comme spécifiques, par exemple l'éclairage, la production de froid, les moteurs, les appareils domestiques, les équipements audiovisuels, la télévision ou l'ADSL, représentent 61 % de la consommation. C'est donc là que se situe le problème.
Si j'insiste sur ce point, c'est parce que j'ai entendu ce que vous a raconté M. Percebois, l'autre jour, lorsqu'il vous a parlé de la commission « Énergies 2050 »...
À propos du mix électrique, après avoir souligné l'importance de réaliser des économies d'électricité, il a dérivé tout de suite en expliquant que, pour cela, il fallait isoler les bâtiments. Cela est vrai, mais pour 24 % du problème !
En effet, les applications thermiques, c'est-à-dire le chauffage et l'eau chaude, représentent au total à peine 40 % de la consommation d'électricité. Les applications spécifiques, qui en représentent 61 %, concentrent donc l'essentiel des gisements d'économies.
Pour le prouver, j'ai étudié l'évolution de la consommation d'électricité par habitant dans l'habitat tertiaire, en Allemagne et en France, pendant dix ans.
Au début de la période, les Allemands et les Français consommaient exactement la même quantité d'électricité par habitant pour les usages domestiques. Notez que je parle de l'électricité spécifique, sans tenir compte du chauffage : en effet, les Allemands ne se chauffant pas à l'électricité, la comparaison n'aurait eu aucun intérêt.
Dix ans plus tard, en 2009, les Français avaient une consommation d'électricité spécifique par habitant supérieure de 28 % à celle des Allemands...
Autrement dit, que l'on l'apprécie ou non, la politique allemande - électricité chère, politique industrielle - a eu des effets considérables en dix ans. Les Allemands ont commencé d'exploiter le gisement d'économies dans les applications spécifiques, alors qu'en France on a complètement dérivé.
Le troisième graphique représente la manière dont l'électricité est consommée dans l'industrie. ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Consommation d'électricité de l'industrie » .) Contrairement à ce qu'on imagine, ce n'est pas tellement dans les procédés, par exemple les plasmas. En effet, 70 % de l'électricité est consommée par les moteurs. Or, en matière de moteurs, on sait que d'énormes progrès sont possibles.
Cet ensemble de graphiques permet de comprendre où l'électricité est consommée et où sont les principaux gisements d'économies.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Dans cette présentation, comment les collectivités locales sont-elles prises en compte ?
M. Benjamin Dessus . - Les bâtiments des collectivités locales sont compris dans l'habitat tertiaire.
Songez, par exemple, que la généralisation des ampoules économes permettrait de diviser par quatre la consommation pour l'éclairage dans l'habitat tertiaire. En cinq ans, la consommation passerait de presque 40 térawattheures à 10 térawattheures, ce qui n'est pas rien !
Sans compter que, si vous voulez mon avis, il est plus facile et moins cher de généraliser les ampoules économes que d'installer 30 térawattheures d'énergie photovoltaïque...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les bâtiments des collectivités locales sont donc compris dans l'habitat tertiaire ?
M. Benjamin Dessus . - Oui, l'habitat tertiaire englobe l'ensemble du bâtiment.
J'ai fait le calcul du coût courant économique, exprimé en euros par mégawattheure, pour l'éclairage, la production de froid et les pompes à chaleur. Les résultats figurent sur le graphique que vous avez sous les yeux. ( M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Coût courant économique des économies d'électricité : éclairage, froid, pompe à chaleur » .)
S'agissant de l'éclairage, vous constatez que le coût courant économique du mégawattheure pour une ampoule fluorescente a la taille d'un cheveu : on ne le voit pas.
Si l'on considère tout l'éclairage économe d'une maison, en la supposant équipée de quinze lampes, il est évident que l'investissement est moins bien amorti puisque les lampes ne fonctionnent pas toutes en même temps. Le coût courant économique du mégawattheure économisé reste pourtant de l'ordre de 12 à 13 euros, ce qui est tout à fait ridicule.
Pour un réfrigérateur de classe A++, c'est-à-dire l'un des plus récents et des plus économes, l'ordre de grandeur change : le coût courant économique atteint une centaine d'euros par mégawattheure.
Toutefois, ce chiffre ne doit pas être comparé avec le coût de production de l'électricité, mais avec le prix payé par l'usager, qui est de l'ordre de 130 euros par mégawattheure.
Il en résulte que l'éclairage économe et la réfrigération de très bonne qualité ont une rentabilité naturelle en termes de CCE. Ces deux applications devraient donc se financer toutes seules.
S'agissant des pompes à chaleur, j'ai fait deux hypothèses pour le coût du kilowatt et deux hypothèses pour la manière dont la pompe à chaleur est bien ou mal utilisée et dimensionnée par rapport aux besoins de la maison.
Sans entrer davantage dans les détails, on constate que l'intérêt de cette application est variable puisque, selon les cas, le coût courant économique du mégawattheure économisé est supérieur ou inférieur au prix du mégawattheure acheté.
Pour les pompes à chaleur, il est donc difficile de conclure de manière définitive : l'intérêt dépend beaucoup des hypothèses dans lesquelles on se place.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Sur le graphique, plus les barres sont hautes, plus l'intérêt est grand pour l'usager ?
M. Benjamin Dessus . - J'ai dû mal m'exprimer, monsieur le rapporteur, car c'est le contraire.
Vous distinguez deux droites. La première correspond à 130 euros par mégawattheure, qui est le prix d'achat actuel de l'électricité pour l'usager. Si le coût courant économique du mégawattheure économisé, représenté par les barres, est inférieur à ce montant, l'usager gagne de l'argent ; s'il est supérieur, l'usager perd de l'argent.
Vous constatez que, pour les ampoules et les réfrigérateurs économes, le coût courant économique est inférieur à 130 euros par mégawattheure ; si le prix de l'électricité augmente jusqu'à 160 euros par mégawattheure, c'est-à-dire au niveau de la seconde droite, l'usager gagnera même encore plus d'argent.
Quant à la pompe à chaleur, si elle est utilisée suffisamment longtemps et sans être trop sollicitée, le coût courant économique est intéressant ; mais si la pompe à chaleur est surdimensionnée, qu'elle est utilisée seule et qu'en plus elle a coûté très cher, l'intérêt est moindre.
Dans mon exposé, je n'ai pas voulu être trop long. Mais la manière d'interpréter ce graphique est expliquée plus précisément dans la note que je vous ai adressée.
Ce qui est intéressant, au-delà des chiffres, c'est la méthode consistant à soumettre au même traitement la production d'électricité et son usage.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si je comprends bien, vous cherchez à mesurer l'investissement en économies d'énergie ?
M. Benjamin Dessus . - Il s'agit de comparer l'investissement nécessaire pour produire une quantité d'électricité et l'investissement nécessaire pour l'économiser, de façon à pouvoir faire des comparaisons stratégiques à peu près valables.
Ici prend fin la première partie de mon exposé. J'ai voulu vous expliquer qu'à mon sens le coût du kilowattheure d'électricité allait augmenter dans tous les cas.
Certes, en prolongeant le parc nucléaire, on pourrait avoir l'impression de ne pas devoir beaucoup dépenser. Mais, en ne faisant rien, on repousserait à 2030 la résolution des problèmes. Évidemment, ne pas investir peut paraître moins cher. Mais ce sont nos enfants ou nos petits-enfants qui devront faire le travail - à moins qu'entre-temps nous investissions dans d'autres directions, ce qui n'est pas certain.
En outre, prolonger le parc nucléaire nous ferait prendre des risques. En plus des risques accrus d'accident qui sont évidents - j'imagine que des centrales vieillissantes sont plus risquées que des EPR ou d'autres types de réacteurs -, le risque existe que le successeur de M. Lacoste à la tête de l'Autorité de sûreté nucléaire n'autorise pas le redémarrage des centrales une fois qu'EDF aura dépensé 50 milliards d'euros, ce qui serait épouvantable sur le plan économique.
Le coût de l'électricité augmentera d'autant plus que des investissements de réseau importants seront nécessaires, quels que soient les choix stratégiques qui seront faits en matière de production.
Disant cela, j'ai déjà entamé ma réponse à la deuxième série de questions de M. le rapporteur. Il s'agit de savoir s'il faut prolonger le parc nucléaire, opter pour l'EPR, la quatrième génération, dite G IV, ou privilégier les énergies renouvelables.
Prolonger le parc actuel est évidemment la solution la moins chère ; mais, à mon sens, c'est aussi la plus risquée - du point de vue de la sûreté comme du point de vue économique, pour la raison que je viens d'expliquer.
Sur le plan de la sûreté, on entend dire que, comme les check-up sont de plus en plus fréquents, les centrales nucléaires sont de plus en plus sûres. Ce discours me fait doucement rigoler ! Je me fais faire un check-up assez régulièrement et, ayant soixante-douze ans, je suis moins en forme qu'à vingt ans, et je pense que vous serez d'accord avec moi... ( Sourires .)
Quoi qu'on dise, c'est un fait qu'il y a un problème de vieillissement des cuves. Au bout d'un moment - je ne sais pas lequel -, il est inévitable qu'elles seront moins sûres que des cuves toutes neuves. Il en va des centrales comme des voitures : on a beau changer l'embrayage ou telle autre pièce, il arrive bien un moment où on se résout à changer la voiture.
Après quelle durée d'utilisation des problèmes de sûreté se posent-ils ? Je ne veux pas en parler, car ce n'est pas notre sujet. Reste qu'à prolonger les centrales, il y a manifestement un risque de sûreté, doublé d'un risque économique.
La prolongation du parc actuel présenterait un autre inconvénient majeur : celui de reporter les problèmes et les investissements de vingt ans. Évidemment, pour cette raison, ce choix peut sembler très bon marché, d'autant qu'on oublie les coûts de démantèlement lorsqu'on les considère aujourd'hui, puisque l'actualisation correspond à une division par un facteur 1,05 à la puissance vingt.
Toujours est-il qu'il faudra bien les financer et que ce sont nos petits-enfants qui feront face aux problèmes. Sans compter que s'il se produit une difficulté entre-temps, nous risquons de nous retrouver tout nus...
À propos de l'EPR, on constate que les coûts de la centrale de Flamanville sont de l'ordre d'au moins 70 à 90 euros par mégawattheure. De plus, le risque d'accident nucléaire n'est pas éliminé, même si l'on espère qu'un accident serait moins méchant que le précédent. Et les problèmes de prolifération demeurent, ainsi que les problèmes de déchets.
Or ces paramètres sont des critères de choix. À ce sujet, pour donner en quelque sorte le coup de pied de l'âne à mon camarade Percebois, je trouve surprenante la méthode adoptée dans le rapport « Énergies 2050 » : la sûreté, présentée comme incontournable au début du document, n'est plus tenue ensuite pour un critère de choix, de sorte que seuls sont considérés les aspects économiques des stratégies comparées...
Au contraire, je considère qu'après les calculs économiques des choix restent à faire, qui sont notamment de nature éthique. Il s'agit, par exemple, de décider si l'on veut ou non prendre un certain risque. On ne peut donc pas échapper au débat sur la sûreté. L'EPR et la G IV n'y échappent pas.
La commission « Énergies 2050 » les a présentés comme complètement liés, ne serait-ce que parce que les problèmes de plutonium et de déchets résultant du fonctionnement de l'EPR rendent nécessaire la construction d'une quatrième génération.
Or cette G IV est un pari complet sur les plans scientifique et industriel, puisqu'aujourd'hui les réacteurs n'existent pas. En outre, elle implique une civilisation du plutonium dont on peut avoir envie ou non pour des raisons de prolifération.
Mais il y a un autre problème qui m'inquiète beaucoup. Alors qu'à son origine le Forum international Génération IV posait comme exigence première l'impossibilité intrinsèque pour les réacteurs de diverger, cette exigence est aujourd'hui totalement oubliée : on annonce qu'on essaiera de concevoir des réacteurs aussi sûrs qu'un EPR - lequel peut connaître des accidents majeurs. Le risque d'un accident majeur ne peut donc pas être écarté pour la G IV.
Le coût de l'EPR futur constitue également un pari. En effet, il n'est pas du tout évident que le deuxième EPR coûtera moins cher que le premier puisqu'après Fukushima les exigences continuent d'augmenter. Quant aux coûts d'exploitation et aux coûts de jouvence, on voit bien qu'ils ont tendance à exploser d'une manière assez inquiétante.
Avec les énergies renouvelables, il y a moins de surprises à redouter. On sait que les éoliennes et le photovoltaïque ont un coût élevé, mais il n'y a pas lieu de craindre qu'il augmente beaucoup. Au contraire, on s'attend plutôt à le voir diminuer.
Par exemple, on peut assez raisonnablement imaginer que les coûts d'investissement vont baisser de 10, voire de 20 %. On voit mal pourquoi l'apprentissage industriel, qui a bien fonctionné historiquement, ne continuerait pas de bien fonctionner dans l'avenir.
Le fait est que le choix des énergies renouvelables coûte cher. Aussi n'aurait-il de sens, selon moi, qu'accompagné d'un programme très important d'efficacité électrique. En effet, si je devais choisir un scénario, ma priorité serait l'efficacité électrique, dont je vous ai montré qu'elle est très rentable.
Cet effort devrait être assorti d'investissements dans les énergies renouvelables. Sûrement pas, en tout cas, dans le parc nucléaire actuel, probablement pas non plus dans l'EPR et la G IV car ce serait, d'une certaine façon, contradictoire avec une politique d'efficacité électrique - c'est un point dont je reparlerai.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous tâcherez, s'il vous plaît, de laisser à mes collègues le temps de vous poser quelques questions.
M. Benjamin Dessus . - J'y veillerai, monsieur le président, d'autant que je ne me sens pas très compétent pour répondre aux autres questions de M. le rapporteur, en particulier celle qui porte sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables.
Je vais encore répondre à la question qui porte sur la variabilité. Je pense que ce problème doit être replacé dans un contexte beaucoup plus large que l'analyse de la seule production. En effet, les éléments de mérite des différentes filières doivent être appréciés aussi bien du point de vue de la demande que du point de vue de l'offre.
Du côté de l'offre, les vrais problèmes sont la garantie de disponibilité, la capacité de modulation immédiate en fonction des besoins, la proximité plus ou moins grande des lieux de production par rapport aux lieux de consommation - est-il nécessaire de transporter l'électricité sur des milliers de kilomètres ? - et la complémentarité avec d'autres sources. Je vais vous donner quelques exemples, au demeurant sûrement contestables.
L'hydraulique de barrage semble avoir toutes les vertus : on peut le démarrer quand on veut et il ne coûte pas cher.
La turbine à gaz et l'électricité biomasse présentent aussi certains avantages : la disponibilité est garantie, la capacité de modulation assez importante.
Quant au nucléaire, sa disponibilité est garantie, mais il n'est absolument pas modulable en fonction des besoins : globalement, il ne peut fonctionner qu'en continu, à la fois pour des raisons techniques et pour des raisons économiques.
Enfin, l'éolien, le photovoltaïque et l'hydraulique fluvial ne sont pas garantis, puisqu'ils dépendent du vent, du soleil et de l'eau.
On peut ainsi classer, par ordre décroissant de mérites, les filières de production d'électricité. Évidemment, la donne serait différente si l'électricité pouvait être stockée en grande quantité et à faible coût - mais ce n'est pas demain la veille...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pourtant, nous avons visité une station de transfert d'énergie par pompage, une STEP...
M. Benjamin Dessus . - Sans doute, on peut toujours imaginer qu'on va trouver une technique formidable pour stocker l'électricité à moindre coût. Mais, pardonnez-moi, le fait est que, jusqu'à présent, nous ne l'avons pas découverte ! Nous ne savons pas faire !
Du côté de la demande, on peut classer les applications des plus simples aux plus exigeantes.
Certains besoins sont effaçables ou modulables hors pointe : si vous décidez, plutôt que de faire fonctionner votre machine à laver à huit heures du soir, de la faire fonctionner à trois heures du matin ou lorsque vous produisez de l'énergie photovoltaïque, vous diminuerez votre consommation à une heure de pointe et tout le monde s'en trouvera très bien.
Certains besoins industriels sont continus parce qu'ils sont liés à un process qu'il ne faut pas arrêter.
Enfin, certains besoins de pointe saisonnière ou journalière ne sont ni modulables ni effaçables. En particulier, l'éclairage et le chauffage électrique sont les applications les plus redoutables : tout le monde veut se chauffer, s'éclairer et regarder le même match de football au même moment...
J'en conclus que c'est en fonction du système dans son ensemble, en tenant compte de la production mais aussi de la demande, qu'il faut aborder la question du mix optimal et le problème de la variabilité.
Vous constatez que mon propos est constant : considérer l'offre sans considérer la demande est une hérésie totale, en particulier s'agissant du système électrique.
Par exemple, le nucléaire et le photovoltaïque sont très inadaptés aux besoins de pointe saisonnière entraînés par le chauffage électrique. Il suffit de se rappeler ce qui s'est produit le 8 février dernier : alors qu'on associe toujours au photovoltaïque l'inconvénient de devoir être doublé par autre chose, c'est le nucléaire qui a été sauvé par l'hydraulique française et le charbon allemand... Le problème est donc le même pour le nucléaire : on ne peut pas compter uniquement sur lui.
Les turbines à gaz, au contraire, sont bien adaptées aux besoins de pointe saisonnière. Le photovoltaïque, de son côté, est bien adapté aux besoins liés à la climatisation, puisque c'est quand il y a du soleil qu'on a besoin de se rafraîchir. L'éolien est parfaitement adapté un jour de mistral, en hiver, à Aix-en-Provence.
Quant au nucléaire, il est bien adapté aux besoins des usines fonctionnant en continu.
Je le répète : pour optimiser le système électrique comme pour examiner les problèmes de variabilité, il faut considérer à la fois la demande et l'offre.
Il y a encore une question de M. le rapporteur à laquelle je souhaite répondre : la sixième, qui porte sur la politique d'économie d'électricité.
Pour réaliser des économies d'électricité, dont j'ai tenté de vous montrer qu'elles sont très importantes, on peut utiliser plusieurs outils.
D'abord, on peut agir sur la réglementation et les normes de consommation électrique des appareils comme les lampes, les veilles, les circulateurs ou les livebox . Cela dépend vraiment de paramètres de l'ordre du régulatoire.
Par exemple, grâce à une directive européenne qui a imposé les lampes économes, la consommation pour l'éclairage va baisser de 38 à 10 térawattheures, ce qui est considérable. Sans compter que le changement est rentable pour le consommateur, à condition qu'il n'y ait pas seulement des lampes chinoises qui cessent de fonctionner au bout de trois mois, alors qu'elles sont vendues pour durer dix ans... Mais cela est affaire de norme.
Ensuite, je pense qu'il faut mettre en place pour les appareils électriques un bonus-malus en fonction de la consommation, comme il en existe désormais pour les 4x4.
Aujourd'hui, en effet, l'acquéreur d'un home cinéma avec un écran de 1 m 2 est totalement inconscient du fait qu'il consommera, à technologie constante, à peu près dix fois plus que le propriétaire d'une télévision de 30 par 30 centimètres - tout simplement parce que la surface de son écran est dix fois plus grande. Et comme, en plus, il choisira probablement un écran plasma plutôt qu'un écran à cristaux liquides, moins performants en grande taille, sa consommation sera encore multipliée d'un facteur 10 !
Il faut donc lui envoyer un signal, lui faire comprendre que, s'il choisit cet équipement, il devra payer une forte taxe à l'achat parce qu'il est un homme de luxe.
En outre, il faut bâtir une politique industrielle vis-à-vis des constructeurs pour qu'ils mettent sur le marché des appareils plus efficaces.
C'est la stratégie que les Allemands ont adoptée en même temps qu'ils ont augmenté le coût de leur électricité. Vis-à-vis des constructeurs d'appareils électroménagers, ils ont mis en oeuvre une politique industrielle extrêmement volontariste qui a eu deux conséquences : sur le marché français, tous les appareils fabriqués par Siemens ou Bosch sont de bien meilleure qualité que les autres et, en France, il n'y a quasiment plus de constructeurs d'appareils électroménagers.
Les Allemands ont joué la carte de la qualité en mettant en place des normes très strictes. Aujourd'hui, ils inondent le marché international de réfrigérateurs de classe A+++. Allez chez Darty : vous verrez les appareils fabriqués par Bosch ou Siemens, qui ont tous la note A+++. Et si l'on veut un appareil de bonne qualité, on achète du Bosch ou du Siemens. C'est ainsi !
Cette situation est le fruit d'une politique industrielle qui, de surcroît, a été perçue par les Allemands non comme une contrainte, rendue nécessaire par le besoin d'économiser l'électricité, mais comme une stratégie positive destinée à vendre davantage et à créer des emplois. Résultat : aujourd'hui, les Allemands consomment 28 % d'électricité spécifique de moins que les Français, ce qui n'est pas rien.
Quatrièmement, je pense qu'il faut faire une tarification non linéaire de l'électricité spécifique, ainsi que l'envisager pour le chauffage. Les premiers kilowattheures ne seraient pas chers, les dix suivants le seraient beaucoup plus, et les dix derniers le seraient horriblement ! Cette solution est rendue possible par la mise en place actuelle des compteurs intelligents, comme le Linky, par exemple. S'ils sont vraiment intelligents, ils doivent pouvoir reconnaître les applications. J'ai cependant cru comprendre qu'ils étaient tellement intelligents qu'ils n'incluaient pas le chauffage électrique, de sorte que l'on ne pourra pas reprocher au compteur Linky d'empêcher les pauvres gens de se chauffer !
J'en viens aux moyens financiers à mettre en place pour mener une politique d'économies d'électricité.
Pour économiser 30 % d'électricité d'ici à 2030, avec des gisements dont la plupart sont rentables économiquement, il faut investir une centaine de milliards d'euros sur la même période. Quels que soient les scénarios retenus, que l'on fasse de l'énergie nucléaire, du renouvelable ou autre, l'investissement total, pour l'ensemble du système, se montera de 400 milliards d'euros à 450 milliards d'euros. L'investissement en matière d'économies d'électricité équivaudra à une centaine de milliards d'euros, pour économiser 150 térawattheures ou 160 térawattheures.
Une grande partie de ces économies sont rentables pour l'individu, l'usager, ou l'industriel. Cette solution pose néanmoins le problème de l'investissement : même si elle est rentable sur la durée de vie de l'appareil, qui met l'argent au départ ? Il faut donc trouver des outils d'ingénierie financière pour faire fonctionner le système. Il faut quelqu'un pour prêter l'argent, échafauder des systèmes de tiers payants, entre autres choses. L'ingénierie financière reste à inventer.
Mais, à mon sens, en France, cela ne suffira pas. Je suis convaincu qu'il faut imposer aux producteurs-distributeurs de quotas d'économies d'énergie actuels des quotas sur leur propre produit, l'électricité. Dans le système actuel, les quotas que les producteurs d'électricité doivent respecter, en faisant des économies d'électricité, sont réalisés sur le vecteur du voisin. Concrètement, EDF peut aujourd'hui récupérer des quotas d'économies d'énergie en faisant des économies de gaz. Cela l'arrange bien, parce qu'il peut, en même temps, vendre de l'électricité. Il faudrait donc que les producteurs fassent des économies sur leur propre produit.
En outre, il serait assez logique d'affecter une part de la CSPE aux économies d'électricité, au besoin pour rémunérer les producteurs d'économies d'électricité et alimenter la politique industrielle d'efficacité électrique, comme on le fait pour les énergies renouvelables. Étant donné l'importance qu'ont les économies d'électricité dans toute politique d'avenir, il me semblerait intéressant de répartir la CSPE non seulement sur la production mais aussi sur les économies.
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'ai bien compris votre point sur la tarification linéaire, mais je souhaiterais revenir sur les quotas d'énergie imposés aux producteurs-distributeurs sur leur produit.
M. Benjamin Dessus . - Vous savez qu'existent des quotas d'économies d'énergie, appelés « certificats d'économies d'énergie », que doivent respecter un certain nombre d'entreprises, en particulier énergétiques. L'entreprise doit annoncer combien de térawattheures elle compte économiser par rapport à l'année précédente, et l'appliquer à ses clients. Mais personne ne précise que ces térawattheures doivent être économisés sur le produit vendu par le distributeur ou le producteur d'électricité.
Si l'on regarde ce qui a été fait depuis deux ou trois ans dans le domaine des économies d'énergie dans le secteur électrique, on constate que, en réalité, EDF et les distributeurs d'électricité ont vendu des économies d'énergie en réalisant des investissements d'économies d'énergie en matière d'isolation de logements, par exemple, et sur des appareils qui fonctionnaient au gaz. On achète donc moins de gaz, mais on n'a pas touché à l'électricité ! Des économies d'énergie, et non pas d'électricité, ont été réalisées. Bien entendu, le distributeur d'électricité a tout intérêt à vendre de l'électricité, et il est très content que l'on vende moins de gaz.
Il faut donc cibler les quotas d'économies sur le produit que propose le vendeur d'électricité ou de gaz, faute de quoi on réalise, certes, des économies d'énergie, mais pas des économies d'électricité.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pouvez-vous revenir sur le graphique intitulé « Un rappel : comment l'électricité est consommée en France » ? Cela nous permettra de vous poser quelques questions.
Merci beaucoup pour votre exposé, monsieur Dessus. Vous n'avez pas forcément répondu à toutes les questions, mais cela n'a aucune importance,...
M. Benjamin Dessus . - Je ne suis pas compétent sur les tarifs de l'électricité.
M. Ladislas Poniatowski, président . - ... j'ai très bien compris votre démarche et votre message en matière d'économies d'électricité.
Je vous ai demandé de revenir sur ce graphique car, en réalité, vous avez surtout fait porter votre message sur les 61 % d'électricité spécifique dans le résidentiel tertiaire.
M. Benjamin Dessus . - Mon message porte aussi sur les 24 % de chauffage !
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est intéressant, car beaucoup des personnes auditionnées nous ont affirmé que l'anomalie en France, à leur sens, était le chauffage électrique. C'est vrai, il y a certainement des efforts à faire dans ce domaine. Cela dit, vous nous montrez bien que le chauffage ne représente que 24 % de la consommation, contre 61 %, donc la part la plus importante, pour l'électricité spécifique !
M. Benjamin Dessus . - C'est une évidence, il faut, à mon sens, éradiquer le chauffage électrique le plus tôt possible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Bien sûr !
M. Benjamin Dessus . - Mais cela, tout le monde le dit ! ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - En effet !
M. Benjamin Dessus . - Mais cela n'est pas le plus gros morceau, voilà tout !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Votre message est différent, en effet, et c'est pour cela que votre démonstration, vos pistes, et vos trois à quatre pages de conclusion, sont tout à fait intéressantes.
M. Benjamin Dessus . - L'éclairage représente 38 térawattheures, le froid 20 térawattheures, l'électricité des pompes à chaleur 60 térawattheures - c'est important ! -, les réfrigérateurs 20 térawattheures. Vous le voyez, ce sont des gros morceaux. Trois ou quatre applications suffisent presque à arriver à 61 %.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Tout à fait. C'est pour cela que je voulais que vous reveniez sur ce graphique, qui est intéressant car il montre bien que l'électricité spécifique représente la plus grosse part de l'électricité consommée dans le résidentiel tertiaire, qui représente lui-même un gros morceau de la consommation d'électricité en France. C'est là votre angle d'attaque.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Ce graphique est intéressant, même s'il fausse un peu les données. En effet, si les consommations d'énergie autres que le chauffage se répartissent à peu près équitablement tout au long de l'année, les 24 % consacrés au chauffage représentent, eux, quatre mois de consommation. Il faudrait dessiner le même graphique en période d'hiver, où la part dédiée au chauffage serait trois fois plus importante.
M. Benjamin Dessus . - Il faut éradiquer le chauffage électrique, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que cela consomme 60 térawattheures. Or, si nous voulons sortir du nucléaire, nous aurons des difficultés pour produire de l'électricité. Nul besoin, donc, de se chauffer à l'électrique ! Ensuite, le chauffage électrique est le contributeur essentiel à la pointe de consommation. Il représente une vingtaine de gigawattheures le 8 février, ce que l'on ne saurait pas faire, sauf à faire marcher le nucléaire pendant une journée, ce qui est complètement ridicule et coûterait une fortune. Par conséquent, il faudrait même importer de l'électricité d'Allemagne, produite à partir de charbon !
Il y a donc des tas de bonnes raisons d'éradiquer le chauffage électrique. Je ne vous en ai pas parlé, parce que j'étais convaincu que la plupart des opposants au système actuel avaient déjà abordé la question...
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est exact !
M. Benjamin Dessus . - ... avec, j'imagine, de bonnes raisons !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, avez-vous des précisions à demander à M. Benjamin Dessus ? Je crois que cela n'a aucune importance que M. Dessus n'ait pas répondu à toutes vos questions, car nous devons nous attacher à travailler sur sa démonstration.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument, monsieur le président. Il est surtout intéressant de comprendre l'idée principale de la personne auditionnée.
Pour ma part, je n'ai toujours pas compris comment un producteur d'électricité doit faire des économies sur sa production. Est-ce imposé ?
M. Benjamin Dessus . - Non, ce n'est pas imposé.
M. Jean Desessard, rapporteur . - J'aimerais aussi faire un dernier point sur la question du chauffage. Plusieurs personnes auditionnées ont tout de même affirmé que, avec un bâtiment bien isolé, le chauffage électrique peut être intéressant. Qu'en pensez-vous ? Quel système de chauffage prônez-vous, dans l'état actuel de notre production potentielle, à horizon des dix ou quinze prochaines années ?
M. Benjamin Dessus . - Pour répondre à votre première question, une directive européenne impose aujourd'hui aux industriels de réaliser des économies sur leur consommation d'énergie. Concrètement, il est demandé aux producteurs d'énergie ayant distribué 500 térawattheures sur une année d'économiser 10 térawattheures l'année suivante. Ce sont des chiffres que je prends au hasard. Mais ensuite, qu'ils se débrouillent ! Ils doivent mener des actions auprès de leurs clients pour que ces 10 térawattheures soient économisés. Or ils sont définis comme des térawattheures d'énergie, non comme des térawattheures électriques. Donc, un producteur quelconque peut décider de réaliser ces économies dans une entreprise ou chez un particulier en faisant de l'isolation, alors que le consommateur a un chauffage au gaz et que le producteur vend de l'électricité.
Le producteur aura donc fait des économies d'énergie et aura rempli son devoir, mais il n'aura réalisé aucune économie d'électricité ! Or, quand vous êtes vendeur d'électricité, vous avez tout intérêt à faire des économies sur le produit du voisin. Ainsi, vous lui faites concurrence tout en continuant à vendre votre camelote !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Comment demander à un producteur d'électricité de moins vendre ?
M. Benjamin Dessus . - Avec des quotas, comme le système des quotas sur le CO 2 ! Selon ce modèle, l'industriel doit produire en 10 % de moins de CO 2 , par exemple, que lors de l'année précédente. Ce système existe déjà, mais il repose sur l'ensemble des énergies et non sur l'énergie qui est vendue par l'industriel en question. Cela mérite donc d'être regardé de très près.
Concernant maintenant le chauffage électrique, effectivement, il est toujours possible de soutenir que, quand une maison est parfaitement isolée, le fait que la production de calories vienne d'une bougie, d'un chauffage électrique ou d'autre chose n'a plus beaucoup d'importance, puisque la maison ne consomme rien. Vous avez donc raison, quand l'isolation est parfaite, ou presque, quand la maison a vocation à être énergétiquement positive, la quantité d'énergie que l'on y consomme n'a pas beaucoup d'importance.
Il n'en reste pas moins que le cumul de toutes ces consommations, même faibles, le même jour, déclenchera une pointe. C'est la limite du système !
Mais il est évidemment moins grave d'avoir un chauffage électrique dans votre logement si vous consommez 15 kilowattheures par mètre carré que si vous en consommez 250. On ne peut être que d'accord sur ce point, même si cela revient un peu à enfoncer une porte ouverte. Une consommation journalière de 15 kilowattheures en gaz naturel n'aura pas non plus beaucoup d'impact sur l'effet de serre...
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Pourrions-nous avoir le détail des 61 % figurant sur ce graphique ? Il s'agit tout de même d'une masse énorme ! Provient-elle de la télévision, des ampoules ? Il faudrait que nous en ayons une idée un peu plus précise, y compris sous la forme d'un document complémentaire.
Je voulais surtout revenir sur l'éventualité de la mise en place de quotas d'électricité, sur le modèle des quotas de CO 2 . Quel est votre sentiment sur l'organisation de la régulation du secteur de l'électricité en France ? Votre proposition impliquerait-elle la mise en place d'une véritable autorité organisatrice de l'électricité en France ? N'est-ce pas l'un des points sur lesquels on rencontre aujourd'hui une vraie difficulté ?
M. Benjamin Dessus . - Je ne suis pas sûr d'être tout à fait compétent pour vous répondre sur cette dernière question. Je peux toutefois vous donner quelques indications sur la répartition des 61 % d'électricité spécifique. Je vous ferai parvenir un document dans lesquels figurent toutes les informations. Nous avons consacré un numéro de Global Chance à la question. En 200 pages, nous traitons de tout cela dans le détail et vous y trouverez même une comparaison avec l'Allemagne.
Globalement, en 2008 ou 2009, la consommation de l'habitat tertiaire en électricité représentait 280 térawattheures, dont 60 térawattheures de chauffage, une vingtaine de térawattheures d'eau chaude solaire, et 200 térawattheures d'électricité spécifique. Dans ces 200 térawattheures, l'éclairage représentait une quarantaine de térawattheures, et le froid une bonne vingtaine de térawattheures. La part de l'audiovisuel et de l'informatique progresse à toute allure : elle est en train de passer à 50 térawattheures, voire à 60 térawattheures. La consommation augmente de 10 térawattheures par an. C'est l'horreur ! C'est vraiment ce qui dérape.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je voudrais poser une question certes subsidiaire, mais qui reste dans la même logique.
Sur la diapositive intitulée « Politique d'économie d'électricité », vous proposez, au point numéro 2, la mise en place d'un bonus-malus sur les appareils électriques. Vous qui avez travaillé sur le sujet, pouvez-vous nous dire quels sont les appareils gros consommateurs ? Je sais, par exemple, qu'un écran plat de télévision consomme sept fois plus que les anciennes télévisions.
Dans ces fameux 61 %, qui sont les « gros méchants » et qui sont les autres ? J'ai, à ce propos, bien entendu votre message, quand vous insistez sur les efforts réalisés par l'Allemagne en la matière, par exemple sur les frigidaires.
M. Benjamin Dessus . - Il faut s'intéresser à deux choses. Qui sont les méchants, et, surtout, quelle est leur évolution ?
Il y a des méchants, comme les réfrigérateurs de mauvaise qualité. Cela dit, vous pouvez difficilement avoir trois réfrigérateurs chez vous. En revanche, les gens peuvent ne pas remplacer leur réfrigérateur par un bon réfrigérateur. Par ailleurs, comme les bons réfrigérateurs consomment moins d'électricité, ces personnes peuvent avoir tendance à acheter un réfrigérateur deux fois plus gros. Les 20 térawattheures deviennent donc 21, 22 ou 23 térawattheures, même si des réfrigérateurs de bonne qualité remplacent les anciens. On peut imaginer que l'appareil ancien est remisé dans la cave pour garder les bouteilles au frais et que l'on achète pour le remplacer un réfrigérateur américain de 500 litres et non plus de 200 litres. Évidemment, tout cela consomme plus !
Voilà les méchants d'aujourd'hui, et le bonus-malus dont nous proposons l'instauration aurait notamment pour but d'éviter qu'ils ne deviennent de plus en plus méchants. Si le propriétaire d'un réfrigérateur de 200 litres, consommant, par exemple, 300 kilowattheures, décide d'acheter un réfrigérateur, certes plus efficace, de 600 litres, à la consommation de 500 ou 600 kilowattheures, il sera terriblement taxé. S'il veut acheter un réfrigérateur de 600 litres au lieu de 200 litres, alors qu'il n'en a pas vraiment besoin, il sera lourdement taxé. C'est un choix de société, probablement efficace ! Cela relève toutefois d'une discussion politique.
Cependant, ce sont l'informatique, la télévision et l'audiovisuel qui dérivent complètement, et à toute allure. Vous ne trouverez pas, chez Apple, d'ordinateur de bureau avec un écran plus petit que cela ( M. Benjamin Dessus écarte les bras .). Cela n'existe plus, vous ne pouvez pas en acheter. Il faut donc s'arranger pour que les ordinateurs de bureau trop grands soient taxés au regard de la consommation d'un portable. En effet, un portable consomme entre trois et quatre fois moins d'électricité qu'un ordinateur de bureau car, pour que vous puissiez vous en servir dans le TGV, il doit disposer de trois heures d'autonomie ; il ne faut donc pas qu'il consomme trop. Ainsi, Apple ou IBM ont fabriqué des portables qui ne consomment pas trop. L'ordinateur de bureau, lui, ne pose aucun problème d'autonomie, et on en voit les conséquences.
La mise en place du bonus-malus permettrait d'éviter ces dérapages, qui s'accélèrent de façon extraordinaire. C'est la brutale multiplication par dix de la consommation, et non la technologie, qui est en cause. Le home cinéma consomme de sept à dix fois plus !
Une autre question relève beaucoup plus de la réglementation : comment arrêter les appareils dont on ne se sert pas ? Je pense aux veilles, entre autres. Il me semble que la durée d'utilisation moyenne des ordinateurs de bureau est de l'ordre de 3 000 heures à 3 500 heures annuelles, alors que nous travaillons 1 600 heures par an. Il y a un problème ! Cela doit pouvoir être régulé, à l'aide de systèmes automatiques, des lumières à éteindre, que sais-je encore. Cela me paraît à la portée de chacun, sans qu'il soit nécessaire d'appliquer une pression fantastique sur la société.
Les nouvelles applications, comme l'audiovisuel, dérapent complètement. Cela va à toute allure. Les écrans et les veilles sont partout. Il faudra réguler cela à tout prix. Je n'ai pas compté dans ces applications les serveurs d'ADSL, qui consomment aussi énormément d'énergie, mais ailleurs.
C'est probablement là que se situe le plus gros problème.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Qu'appelez les « circulateurs » sur cette diapositive ?
M. Benjamin Dessus . - Ce sont les circulateurs de chauffage. Il s'agit de systèmes pour lesquels il n'y a, pour l'instant, aucune réglementation, et qui consomment à peu près dix fois plus d'énergie que nécessaire. Il suffit de s'en occuper. De plus, ils fonctionnent tout le temps, du moins pendant les cinq mois de chauffage.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Ma deuxième question portait sur la régulation induite par ce que vous venez de présenter. Cela peut-il fonctionner dans le cadre de l'organisation actuelle du système électrique français, avec la Commission de régulation de l'énergie, et les deux filiales d'EDF que sont RTE et ERDF ?
M. Benjamin Dessus . - Je n'ai pas réfléchi à l'organisation qu'il faudrait mettre en place, mais cela ne me paraît pas impossible, à condition que la CRE porte le même regard sur la demande et sur l'offre, et qu'elle soit chargée de l'ensemble du système. Voilà la réforme essentielle. Il faut un régulateur qui ait la même vision sur ces deux aspects.
Dans un système énergétique, la demande a autant d'importance que l'offre. L'enjeu de la maîtrise de l'énergie réside dans la régulation de l'ensemble, de façon que cela soit le moins cher pour les utilisateurs, le plus sûr et le plus à même d'être régulé sur le long terme. À mon sens, il faut donc accorder ce pouvoir à la CRE ou à quelque organisme régulateur que ce soit. Peut-être vouliez-vous que je réponde qu'il faut re-nationaliser EDF ? Je ne suis pas sûr que cela soit la bonne solution ! ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je ne crois pas que cela ait été l'intention !
M. Benjamin Dessus . - Je viens de chez EDF, je pourrais vous le dire ! Mais je n'en suis pas convaincu.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je tenais à vous remercier, monsieur Dessus, de l'ensemble de cet exposé. Votre audition, ainsi que celle de l'intervenant précédent, tend à montrer que notre système de production doit tenir compte du manque, des effacements, de ce qui n'est pas consommé, grâce à un système de smart grids , de systèmes intelligents, qui permettent de partir de la demande plutôt que de l'offre, de la consommation nécessaire plutôt que de la production. La non-consommation à un certain moment doit être valorisée, c'était le propos de l'audition du président de Voltalis.
Vous, monsieur, généralisez ce raisonnement à toute la société, en préconisant de comptabiliser, au même titre que la production, tout ce qui n'est pas consommé. Je retiens cela de notre discussion. Je retiens également que, dans le cadre de notre politique de maîtrise et d'économies de l'énergie, nous devons trouver un système d'évaluation qui permette de déterminer la rentabilité d'un investissement.
M. Benjamin Dessus . - Je désire faire une dernière remarque, si vous me le permettez. Réfléchissez bien au fait que, culturellement, les économies d'énergie sont bien passées dans l'opinion française. En tant qu'homme politique, vous pouvez parler d'économies d'énergie dans vos discours, tout le monde le comprendra. Certains hommes politiques, des maires, par exemple, agissent déjà dans ce domaine. Il est possible de parler d'économies d'énergie en France, et un certain nombre d'actions ont déjà été enclenchées dans ce domaine, même si le mouvement n'est pas assez rapide.
Mais il est encore culturellement impossible de parler d'économies d'électricité. On vous répond toujours que ce n'est pas possible parce que cela coûte trop cher, que c'est trop difficile, sociologiquement inacceptable, et j'en passe. J'ignore pourquoi ce sujet fait l'objet d'une résistance culturelle, alors qu'il devrait être traité comme celui des économies des autres énergies, ni plus ni moins.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Dessus, au nom de tous mes collègues, je vous remercie de votre analyse.
Audition de M. Christian Bataille, député, membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
(11 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames, messieurs, l'ordre du jour cet après-midi appelle l'audition de M. Christian Bataille, député, membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST.
Je vous remercie, monsieur Bataille, d'avoir répondu à notre invitation.
Voilà peu, dans cette même salle, en compagnie du président de l'OPECST et de votre co-rapporteur, Bruno Sido, vous présentiez un remarquable rapport sur la sûreté de nos centrales nucléaires, à l'issue d'un énorme travail.
Le cadre est quelque peu différent aujourd'hui. Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage annuel, pour déterminer le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques. Le Bureau l'a accepté.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, monsieur Bataille, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, monsieur Bataille, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure .»
(M. Christian Bataille prête serment.)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Pour faciliter votre audition et entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions afin que vous puissiez préparer vos réponses.
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler lesdites questions, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de cette audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre dans l'ordre, sauf si, pour nous éclairer, vous jugez plus intéressant de procéder différemment. La souplesse est tout à fait autorisée.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur Bataille, nous vous avons adressé cinq questions, que je me permettrai ici de synthétiser, pour gagner du temps.
Première question, compte tenu des scénarios que vous avez proposés avec M. Bruno Sido en conclusion du rapport du 15 décembre 2011 sur la filière nucléaire, pouvez-vous présenter votre vision de l'évolution à moyen terme du parc de production électrique, dans une perspective consistant à concilier l'objectif d'une moins grande dépendance au nucléaire avec celui du maintien du prix de l'électricité à un niveau acceptable ?
Deuxième question, les coûts futurs du nucléaire, qu'ils soient inévitables, comme le stockage des déchets et le démantèlement des centrales, ou incertains, comme ceux d'un éventuel accident nucléaire, vous paraissent-ils correctement pris en compte à l'heure actuelle ?
Troisième question, le président de la Commission de régulation de l'énergie a annoncé une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016. Un tel accroissement vous paraît-il inéluctable ?
Quatrième question, quelles vous paraissent être les perspectives les plus prometteuses pour permettre l'intégration des énergies renouvelables intermittentes dans les réseaux électriques, concernant notamment le stockage d'électricité - STEP, méthanation, hydrogène, etc. - ?
Cinquième et dernière question, quelles sont les perspectives ouvertes par la réduction de la consommation grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, sujet sur lequel vous avez également été co-rapporteur, avec M. Claude Birraux, pour le compte de l'OPECST, en 2009 ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Bataille, vous avez la parole.
M. Christian Bataille, député, membre de l'OPECST . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'interroger, en tant que rapporteur de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir et, plus généralement, en tant que membre de l'Office parlementaire, sur plusieurs de ces questions.
Comme vous le savez, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été saisi, depuis sa création voilà près de trente ans, en 1983, d'une grande variété de sujets. Toutefois, l'énergie constitue, avec la santé, l'un des principaux thèmes traités par les députés et sénateurs qui en sont membres, puisque, sur plus de 150 rapports publiés à ce jour, près d'une trentaine concernent les problèmes énergétiques.
Du premier rapport traitant d'énergie, publié en décembre 1987 sur les conséquences de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à celui du 15 décembre 2011 relatif à l'avenir de la filière nucléaire, que j'ai présenté conjointement avec Bruno Sido, les parlementaires membres de l'OPECST ont, bien entendu, travaillé sur la sécurité et la sûreté des installations nucléaires.
Ils se sont aussi penchés sur la gestion des déchets radioactifs, et les recommandations issues de leurs études ont été reprises dans la loi du 30 décembre 1991, qui, encore aujourd'hui, régit l'avenir des déchets nucléaires.
L'Office assure aussi un suivi de la recherche en matière d'énergie. J'ai moi-même publié le premier rapport de l'Office sur ce sujet, avec Robert Galley, en juin 1998, et le tout dernier, en mars 2009, concernant l'évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d'énergie.
J'ai également cosigné avec Claude Birraux, en 2010, un rapport sur la performance énergétique des bâtiments.
J'ajouterai que, avec Robert Galley, en février 1999, nous avons publié, dans le cadre de notre étude sur l'aval du cycle nucléaire, un rapport consacré aux coûts de production de l'électricité, dont une partie des conclusions ont été reprises par la Cour des comptes dans son récent rapport. En revanche, depuis lors, l'Office n'a pas eu l'occasion de se pencher sur cette question bien spécifique et très complexe.
Votre première question, monsieur le rapporteur, porte sur notre vision de l'évolution à moyen terme du parc de production électrique. Je vais m'efforcer d'y répondre.
Il est très difficile pour les parlementaires, et pour les gouvernements, d'appréhender la durée nucléaire.
Le temps nucléaire équivaut à cinquante ans, ce qui correspond à la durée de vie maximale d'une centrale, ou encore à une période comprenant la durée de construction et de déconstruction de la centrale, et s'étendant même au-delà.
Le temps politique équivaut, pour nous, à une unité de cinq ans - six ans pour les sénateurs. C'est peu, en comparaison de la durée nucléaire. On sait combien il est difficile pour un Président de la République ou un candidat à la présidence de la République de se projeter au-delà du deuxième mandat qui suit le sien. Or le temps nucléaire correspond à dix fois un mandat présidentiel !
Dans notre rapport, nous proposons d'inscrire la filière nucléaire dans une « trajectoire raisonnée » jusqu'à la fin du XXI e siècle - cela peut sembler présomptueux, mais nous y serons vite ! -, selon un scénario énergétique alternatif, d'une part à une sortie rapide de l'énergie nucléaire que réclament certains, d'autre part à son strict maintien au niveau actuel, que d'autres souhaitent.
Cette approche conduit à envisager, à l'avenir, un ajustement du parc nucléaire lorsque les réacteurs arriveront en fin de vie ou, en d'autres termes, à acter la réduction de la part de l'énergie nucléaire, actuellement de 75 %, d'une manière progressive.
Aujourd'hui, notre perspective est une durée de vie des réacteurs de quarante ans, l'Autorité de sûreté nucléaire ayant autorisé la prolongation d'activité des réacteurs datant de trente ans. On peut même présumer que la durée de vie de ces réacteurs sera d'une cinquantaine d'années, mais ce sera à l'Autorité de sûreté nucléaire de se prononcer. Dans tous les cas, les politiques devraient prendre l'habitude de s'incliner devant le verdict technique de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Parmi les propositions que nous avons avancées avec Bruno Sido figure celle qui consiste à remplacer deux réacteurs arrêtés par un réacteur nouveau.
Cette proposition vise à répondre à une objection que l'on entend fréquemment ces temps-ci, et que l'on peut comprendre, les stratégies envisagées dans le domaine nucléaire étant critiquées surtout pour être des stratégies du « fil de l'eau » : l'on sait que la durée de vie des réacteurs actuellement en service est limitée, mais l'on n'envisage pas leur renouvellement.
Nous proposons une réduction progressive du parc des réacteurs pour permettre l'émergence d'une recherche d'énergies alternatives, qu'il s'agisse d'énergies de substitution ou d'énergies renouvelables. Mais cela prendra du temps et ne se fera pas d'un claquement de doigts.
Il me semble très important de ne pas remettre en cause la prééminence des avis de l'ASN. De son côté, l'autorité politique doit conserver la prééminence pour les autorisations de démarrage de nouvelles centrales. Enfin, il revient à l'exploitant de décider s'il souhaite engager les investissements nécessaires à la prolongation d'un réacteur ou s'il préfère remplacer celui-ci. Toutefois, au fur et à mesure de l'accroissement de l'exigence de sûreté, la seconde option deviendra, de fait, de plus en plus incontournable.
En résumé : on évite la politique du fil de l'eau et on organise une stratégie de renouvellement à 50 % en puissance des réacteurs arrêtés, ces derniers étant remplacés, non pas par des réacteurs moins chers et obsolètes en termes de sécurité, comme d'aucuns l'ont affirmé, mais par des réacteurs plus sûrs et plus chers - selon la volonté de l'exploitant, il pourra s'agir des EPR, de leurs jumeaux moins puissants du type ATMEA, ou de leurs équivalents, notamment américains ou japonais, sur les marchés internationaux.
En suivant cette stratégie, la part d'électricité d'origine nucléaire se trouverait ainsi abaissée de manière non brutale aux environs de 60 % vers 2035, au lieu de 75 % actuellement, puis de 50 % vers 2050, pour finalement aboutir à un socle, que nous proposons de ne plus réduire, de 30 % vers 2100, sachant que l'on peut compter sur l'émergence probable, vers 2045, de surgénérateurs ou réacteurs de quatrième génération.
À titre de comparaison, ce socle de 30 % correspond aux réserves allemandes de lignite. Lors de notre visite des installations énergétiques outre-Rhin, j'ai été très frappé de la manière dont les autorités allemandes ont insisté sur leurs 350 ans de réserves de lignite. Je n'imagine pas l'Allemagne se défaire de cette richesse. Pour notre part, nous ne disposons pas de telles réserves. En conséquence, même si l'on réduit la part du nucléaire, ce que les générations futures pourront décider de faire, nous devrons, me semble-t-il, conserver un socle national de réserve d'énergie.
Sur ce point, je me permets de vous renvoyer à la fin de notre rapport sur l'avenir de la filière nucléaire : le modèle énergétique allemand ne nous semble pas transposable en France, car les situations ne sont pas comparables : les Allemands peuvent se permettre d'arrêter leurs centrales nucléaires - même si l'on constate en ce moment qu'ils le font avec prudence -, parce qu'ils disposent d'un socle de lignite et d'une industrie gazière extrêmement performante - Siemens est en train de développer des centrales au gaz d'une puissance et d'une efficacité impressionnantes -, ce qui n'est pas notre cas. En revanche, nous pouvons nous inspirer de la stratégie des Allemands en matière d'économies d'énergie dans les bâtiments et les logements.
Je reviens à la trajectoire que nous avons proposée et je réponds à votre question, monsieur le rapporteur : la progressivité de la démarche, qui s'étalerait sur tout le siècle, laisserait le temps nécessaire à la maturation industrielle des solutions massives de stockage de l'énergie. Nous sommes en effet arrivés à la conclusion qu'il s'agissait de l'un des plus gros problèmes et que le pays qui deviendra leader en la matière décrochera le jackpot et détiendra assez largement les clefs de l'avenir.
Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, ce cadencement est le fruit du compromis que Bruno Sido, rapporteur pour le Sénat et élu de l'UMP, et moi-même, rapporteur pour l'Assemblée nationale et élu du PS, avons trouvé. Il ne figure dans aucun programme politique, pas plus dans celui du PS que dans celui de l'UMP.
Je rappelle que, depuis des décennies, il existe en France un consensus sur deux grands sujets : la défense et l'énergie. Il me semble que, pour l'avenir aussi, nous devons essayer de trouver des solutions consensuelles, ce que nous avons recherché avec Bruno Sido.
Votre deuxième question, monsieur le rapporteur, porte sur les coûts futurs du nucléaire, notamment les charges futures de démantèlement des centrales et la gestion des déchets.
Je ne reviens pas sur le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012, que vous connaissez par ailleurs : il fournit une analyse complète de ce volet des dépenses futures de la filière nucléaire et j'en partage très largement les conclusions.
La Cour des comptes commence par mettre en évidence la difficulté de l'exercice d'évaluation de ces charges. Ainsi, dans le cas d'EDF, les démantèlements ont à ce jour essentiellement porté sur des réacteurs de première génération de la filière graphite-gaz, aux caractéristiques peu comparables à ce qui nous attend. Quant à Areva et au CEA, l'unicité ou l'hétérogénéité de leurs installations respectives ne facilitent pas non plus l'exercice de prévision.
Le risque de sous-évaluation des coûts de démantèlement n'est donc pas négligeable.
S'agissant des charges de gestion des déchets, j'ai été confronté à la polémique sur le coût du futur centre de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, qui doit être implanté près de Bure, dans la Meuse, à l'occasion de l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, à propos duquel nous avons, Claude Birraux et moi-même, cosigné deux rapports.
À l'occasion des auditions que nous avons menées avec Claude Birraux, nous avons constaté l'existence d'un conflit entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les producteurs de déchets à ce sujet. Si les producteurs - EDF en premier lieu, mais aussi Areva et le CEA, sans oublier les petits producteurs comme les hôpitaux - ont, incontestablement, leur mot à dire s'agissant de la gestion de leurs déchets, c'est à l'ANDRA, organisme public investi par la loi de cette mission, de prendre, au final, les décisions sur les modalités de mise en oeuvre, dans le respect des exigences de sûreté fixées par l'ASN.
Je n'hésite pas à dire aux sénatrices et sénateurs ici présents que le Parlement, toutes tendances confondues, doit soutenir l'ANDRA, organisme public créé par la loi qui doit prendre ses responsabilités. Nous ne devons pas laisser cet organisme de taille modeste se faire dévorer par les mastodontes que sont EDF, le CEA et, dans une moindre mesure, Areva. Nous devons appuyer et conforter l'Agence. À cet égard, je suis un peu inquiet de constater que, aujourd'hui, l'ANDRA procède à des appels d'offres et délègue ses pouvoirs à des entreprises privées comme Bouygues pour la construction du centre de stockage.
Dans son récent rapport, la Cour des comptes rappelle aussi, fort opportunément, le caractère incontournable de cet organisme. À juste titre, elle considère que ce débat sur le coût du futur centre de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue doit être relativisé, compte tenu de la durée d'exploitation prévue, qui est de 100 ans au moins. Il est en effet très probable que certaines des évolutions de nature technique ou réglementaire qui interviendront nécessairement sur une période aussi longue auront un impact sur le centre de stockage.
Toutefois, si la Cour des comptes relève les difficultés d'évaluation des charges futures de la filière nucléaire, elle souligne aussi l'impact faible, de l'ordre de quelques pour cent, de ces incertitudes sur le coût final de production de l'électricité d'origine nucléaire.
Le discours selon lequel le coût final de l'électricité augmentera fortement en raison du coût de la gestion des déchets ou du coût du démantèlement semble quelque peu biaisé. Il y aura certes une hausse, annoncée, du coût de l'électricité, mais la facture du démantèlement n'intervient que pour une part très minoritaire dans cette augmentation.
Pour les réacteurs comme pour les déchets, j'insiste sur le fait que la sûreté n'a pas de prix - je dis cela pour contredire les industriels qui voudraient réduire ces dépenses.
Pour autant, il est évidemment souhaitable de mettre en oeuvre tous les moyens possibles, de manière à encadrer au mieux l'évaluation de ces charges et les provisions afférentes, que les industriels doivent constituer sous forme d'actifs dédiés, conformément aux dispositions de la loi du 28 juin 2006.
Aussi, le 7 avril 2011, j'ai été amené à interroger en séance publique Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, sur les raisons pour lesquelles, cinq ans après le vote de la loi du 28 juin 2006 qui prévoit sa création, la Commission nationale d'évaluation des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, dite CNEF, n'avait toujours pas été mise en place. Mme Kosciuscko-Morizet n'a pas répondu immédiatement à ma question, mais j'ai eu la satisfaction de constater que, à peine deux mois plus tard, cette commission s'est enfin réunie pour la première fois.
Dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, nous avons d'ailleurs entendu le président de cette commission, M. Jean-Luc Lépine, le 27 septembre dernier. Il nous a indiqué que la commission remettrait son premier rapport au mois de juin prochain. Six ans après le vote de la loi ! Mais ce sera de toute façon une nouvelle étape importante dans la clarification de cette question.
Je vais à présent rapidement évoquer le problème de la prise en compte d'un éventuel accident nucléaire dans le coût du kilowattheure. Il apparaît clairement que cette hypothèse n'est pas prise en compte actuellement. D'ailleurs, à titre de comparaison, il n'existe pas de secteur d'activité qui prenne en compte, par exemple en l'assurant, les conséquences d'un accident majeur, considéré comme hautement improbable.
Le premier exemple qui me vient à l'esprit est celui du secteur financier aux États-Unis : non seulement il n'a pas pris en charge les conséquences sur la vie de millions, voire de milliards d'individus, de la crise mondiale qu'il a provoquée par son imprudence, mais il a de surcroît été renfloué par l'État américain, c'est-à-dire par les contribuables qu'il a appauvris !
Un autre exemple intéressant est celui de la marée noire causée en 2010 par la plate-forme pétrolière de British Petroleum Deepwater Horizon. La société BP n'était pas assurée contre les conséquences d'un tel sinistre, mais elle a été contrainte de céder des actifs pour prendre en charge les effets écologiques et sanitaires de cette catastrophe.
Dans le cas du Japon, il semble que TEPCO ne sera pas en capacité d'assumer l'intégralité des coûts directs de la catastrophe de Fukushima. En ce cas, l'État devra prendre en charge une partie de ces coûts, probablement après avoir nationalisé l'entreprise.
Les experts estiment les provisions nécessaires pour faire face aux conséquences d'un accident nucléaire majeur à une somme comprise entre 100 et 200 millions d'euros par réacteur. Un tel montant ne bouleverserait pas la compétitivité du kilowattheure nucléaire par rapport aux autres énergies. Mais il me semble que de telles sommes doivent être mobilisées en priorité pour renforcer la sécurité des installations nucléaires face aux événements extrêmes. En effet, mieux vaut prévenir que guérir. Il est d'ailleurs à noter que, dans notre pays, le coût des améliorations de sûreté envisagées après Fukushima est du même ordre de grandeur par réacteur, c'est-à-dire entre 100 et 200 millions d'euros.
Votre troisième question, monsieur le rapporteur, porte sur l'annonce d'une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 par le président de la Commission de régulation de l'énergie.
Comme nous l'avons indiqué dans le rapport sur la sécurité nucléaire paru au mois de juin dernier, l'industrie nucléaire doit tirer toutes les conséquences de la catastrophe de Fukushima en élevant d'un cran supplémentaire la sûreté de ses installations.
Il est certain que ce renforcement aura un impact sur le coût de production de l'électricité d'origine nucléaire, mais qui ne devrait pas excéder quelques euros - moins de quatre euros, disent les experts. Nos centrales resteront donc très largement compétitives, malgré cette augmentation. En tout état de cause, cet accroissement marginal ne peut servir d'argument pour justifier la totalité des 30 % d'augmentation du prix de l'électricité annoncés par le président de la CRE.
Quant au soutien aux énergies renouvelables, il représente un coût important, qui est directement assumé par les consommateurs. Qui plus est, les engagements de rachat de l'électricité produite par ces énergies sont pris sur le long terme, avec un effet cumulatif. C'est ce qui explique pour une large part que le consommateur allemand paye aujourd'hui son électricité bien plus cher que le consommateur français.
Il n'est donc pas surprenant que nos voisins se trouvent dans une position peu enviable en Europe sur le plan de la précarité énergétique. C'est un autre sujet de réflexion, mais la précarité énergétique cause de véritables dégâts sociaux en Allemagne.
Je constate que, même en Allemagne, les conséquences lourdes de ce soutien aux énergies renouvelables posent question depuis quelques mois et donnent lieu à des conflits internes au gouvernement. Cette prise de conscience intervient au moment où les entreprises phare du secteur photovoltaïque d'outre-Rhin se trouvent dans une position extrêmement difficile. Ainsi, Q-Cells vient d'annoncer, quelques mois après Photowatt, son dépôt de bilan.
L'Espagne, qui s'était aussi engagée depuis plusieurs années dans une politique volontariste à l'égard des énergies renouvelables, a, pour sa part, purement et simplement mis fin à ses subventions, ce qui est compréhensible compte tenu de la crise que traverse ce pays.
Je pense que nous devons tirer les enseignements de ces évolutions dans les pays voisins. Devons-nous continuer à mobiliser, dans cette période de crise, des sommes conséquentes dans des subventions à la production, au risque d'aider surtout la création d'emplois en Chine et de renforcer la précarité énergétique dans notre pays ? Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées dans la recherche sur les énergies renouvelables et le stockage de l'électricité ?
Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, porte précisément sur les perspectives les plus prometteuses pour permettre l'intégration des énergies renouvelables intermittentes dans les réseaux électriques.
Comme l'ont souligné plusieurs des intervenants qui se sont exprimés à l'occasion des auditions sur l'intégration des énergies renouvelables que nous avons organisées dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, un déploiement massif des énergies renouvelables se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par des obstacles technologiques en raison de leurs degrés de maturité divers. Même si certaines technologies progressent et que leur coût décroît très rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles, ce qui vient conforter le scénario de l'évolution progressive que nous avons proposé pour notre énergie électrique.
À cela, il faut ajouter d'autres contraintes potentielles : l'approvisionnement en métaux rares, l'acceptabilité sociale des infrastructures et, surtout, l'intermittence et la déconnexion entre lieux de production et de consommation.
La déconnexion entre production et consommation implique un fort investissement dans les réseaux, parallèlement au développement des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Or les délais de construction de lignes à très haute tension, d'environ dix ans, sont très supérieurs aux délais de mise en route des infrastructures de production, qui sont de trois à quatre ans.
Lors des entretiens que j'ai eus en Allemagne, notamment au Bade-Wurtemberg - avec la Bavière, l'un des deux Länder les plus développés d'Allemagne, et donc un gros consommateur d'électricité -, j'ai pu constater qu'il s'agissait d'un souci majeur pour nos voisins, puisqu'ils ne sont pas parvenus, et de loin, à atteindre les objectifs qu'ils s'étaient fixés en ce domaine ces dernières années. Des mesures ont certes été prises pour pallier ces difficultés, avec notamment une centralisation des décisions en ce domaine, mais elles n'ont pas encore produit leurs effets.
Surtout, l'intermittence des énergies éolienne et solaire entraîne une production fluctuante, ce qui suppose l'existence de relais rapidement mobilisables. Les centrales à énergies fossiles étant les mieux à même de monter rapidement en charge, elles sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables - nous avons ainsi visité, près de Cologne en Rhénanie, des installations très au point utilisant le lignite.
J'ai pu également constater en Allemagne un effort d'investissement considérable de Siemens dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, qui se caractérisent par un fort rendement et une grande flexibilité. Nous avons visité de nouvelles centrales au gaz qui sont impressionnantes en termes de taux de combustion, et je suis pour ma part persuadé qu'il s'agit de l'alternative la plus naturelle dans notre pays pour pallier un déficit lié aux arrêts intempestifs de centrales nucléaires.
Dans un pays comme la France, qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, le développement à grande échelle d'énergies renouvelables intermittentes sans percées technologiques sur les moyens de stockage d'électricité impliquerait automatiquement une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique.
C'est pourquoi il convient, par ailleurs, de développer les technologies de gestion de l'intermittence, mais c'est un vaste problème.
Tout d'abord, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux « intelligents » peuvent contribuer à compenser les fluctuations dans la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, dont le Gouvernement a d'ores et déjà décidé la généralisation. Il ne faut toutefois pas attendre de miracles de ces réseaux, qui ne font qu'accroître la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée.
Au-delà, il faut développer les technologies de stockage d'énergie. Les auditions réalisées ont permis de faire le point sur deux pistes, encore expérimentales, mais qui paraissent bien adaptées pour répondre à des besoins de stockage massif de l'énergie.
Il s'agit, en premier lieu, des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, qui peuvent fonctionner en période de surproduction d'énergies renouvelables, et qui permettent de retenir l'eau dans des réservoirs pour ensuite la déverser, le moment voulu, sur les turbines.
Il s'agit, en second lieu, du stockage d'électricité dans des hydrocarbures de synthèse par fixation de l'hydrogène obtenu par électrolyse, ce qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie.
Nous avons déjà essayé de faire passer ce message, le 1 er décembre dernier, à l'ANCRE, l'Alliance des organismes de recherche dans le domaine de l'énergie. Tous les efforts pour mettre au point des dispositifs de stockage d'énergie de grande capacité doivent être accrus - ils existent d'ores et déjà en France, mais ils sont insuffisants. En outre, il faut développer des partenariats avec les acteurs allemands les plus avancés, notamment sur le stockage chimique par conversion du CO 2 .
J'abrège ma démonstration, mesdames, messieurs les sénateurs, mais vous aurez compris que la recherche doit tenir une grande place, notamment dans les technologies de stockage, lesquelles sont complémentaires du développement des énergies renouvelables. En effet, les énergies renouvelables actuellement connues ne peuvent être développées que si nous progressons dans les méthodes de stockage.
Pour avoir moi-même auditionné les défenseurs de plusieurs méthodes de stockage, je pense à titre personnel que les STEP constituent vraiment un espoir et une technologie à développer. Si nous faisons les efforts nécessaires, nous pouvons prendre une place éminente dans la recherche mondiale en ce domaine.
Votre dernière question, monsieur le rapporteur, portait sur les perspectives ouvertes par la réduction de la consommation par l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments. Comme je l'ai déjà indiqué, si le modèle énergétique allemand n'est pas transposable en France, nous devons en revanche nous inspirer de leurs succès dans ce domaine.
La performance énergétique des bâtiments met en effet en jeu 43 % de notre consommation d'énergie primaire. J'observe d'ailleurs que ce chiffre considérable donne à la question de l'énergie dans les bâtiments une place d'importance comparable à celle de l'énergie nucléaire dans notre politique énergétique : 112 millions de tonnes équivalent pétrole, ou Mtep, de production pour l'énergie nucléaire, contre 68 Mtep de consommation finale pour le secteur « résidentiel tertiaire », sachant qu'une part des 35 Mtep consommées d'un autre côté par l'industrie concerne aussi des bâtiments, car les ateliers doivent être optimisés du point de vue des flux de chaleur et de ventilation, même si l'industrie a déjà fait beaucoup d'efforts dans ce domaine.
Claude Birraux et moi-même avons eu l'occasion de nous pencher de très près sur cette question, puisque nous avons publié en décembre 2009 une étude sur la performance énergétique des bâtiments, en application d'une disposition législative introduite dans la loi Grenelle 1 à l'initiative de Bruno Sido.
Nous avons manifesté notre inquiétude quant à la manière dont était conçue la nouvelle réglementation thermique, la RT 2012, applicable depuis octobre 2011 dans les bureaux et dans les logements situés en zone de rénovation urbaine, puis à partir du 1 er janvier 2013 dans toutes les habitations.
Deux aspects nous ont préoccupés.
D'abord, les normes édictées sont calculées a priori , et non pas mesurées a posteriori. Cela fait la part belle aux bureaux d'études, mais, in fine , la performance annoncée à grand renfort de colloques va s'appliquer à un parc de bâtiments virtuels. Or, si le calcul est certes utile au stade de la conception, la mesure in situ est le seul moyen de confirmer le résultat obtenu.
Ensuite, les conditions de prise en compte des progrès technologiques ne sont pas transparentes, et nous avons eu de nombreux échos sur des difficultés pour des PME à faire certifier leurs innovations, ou sur des freins à l'utilisation en France des produits couramment utilisés par des pays plus avancés dans l'efficacité énergétique des bâtiments comme la Suisse ou l'Allemagne.
Nous avons préconisé d'introduire une norme d'émission maximale de CO 2 , en complément de la norme de consommation maximale d'énergie primaire, afin d'assurer un traitement équilibré de l'électricité et du gaz et, par là, une incitation homogène à l'innovation technologique.
L'audition que nous avons organisée le 3 novembre dernier, et que j'ai présidée avec Bruno Sido, était spécialement configurée pour faire le point sur ces deux aspects qui nous préoccupent : la mesure de la performance réelle, celle que constateront les utilisateurs, et la prise en compte des innovations technologiques.
Le président de l'Office parlementaire avait spécialement adressé à Mme la ministre de l'écologie un courrier lui demandant un exposé sur les procédures suivies pour l'intégration des nouvelles solutions technologiques au dispositif réglementaire, document publié en annexe du rapport sur l'avenir de la filière nucléaire. Les fonctionnaires délégués par le ministère nous ont gratifiés, à la place, d'une très longue présentation de la RT 2012, sur le mode : « Circulez, il n'y a rien à voir ! »
Cela montre que la structure administrative chargée du pilotage de la réglementation thermique fait pour le moins preuve d'une certaine fermeture. La réforme est pilotée sans règles claires quant à la prise en compte des innovations technologiques, alors qu'au regard des objectifs très ambitieux affichés par le Grenelle, aussi bien pour la construction que pour la rénovation, il faudra mobiliser toutes les énergies et toutes les initiatives pour réussir.
De surcroît, à la clef de ce dynamisme technologique que l'on souhaite, et qu'une régulation administrative trop opaque risque d'entraver, il y a la constitution de nouvelles filières industrielles, c'est-à-dire des investissements et des emplois dans un secteur où les perspectives de marché sont importantes, à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale.
La dimension stratégique de l'effort à conduire sur l'efficacité énergétique des bâtiments, qui met en jeu 43 % de la consommation d'énergie primaire de notre pays, justifie qu'il soit piloté par une institution bénéficiant d'un statut lui assurant une compétence et une transparence incontestables.
Il me semble que cet effort pourrait constituer un beau projet pour la période qui s'ouvre, car la révolution de la performance énergétique des bâtiments est un véritable enjeu d'intérêt général.
L'autorité que nous appelons de nos voeux pourrait prendre le nom d'« agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments » ; elle serait soumise à un cadre procédural garantissant la pleine transparence de son action de régulation ; comme l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, elle devrait notamment rendre public chaque année son rapport d'activité, et l'on pourrait même demander que ce rapport soit présenté à l'occasion d'une audition devant les commissions du Parlement, ou devant l'OPECST, sur le modèle de la présentation du rapport annuel de l'Autorité de sûreté nucléaire.
En effet, comme le démontre l'annexe de notre dernier rapport, et comme je l'ai déjà souligné, si l'Allemagne ne nous paraît pas être, de manière globale, un exemple à suivre, nous devons en revanche ambitionner de faire aussi bien qu'elle en matière d'économies d'énergie dans les bâtiments.
Je vous remercie de votre attention et suis maintenant prêt à répondre à des questions complémentaires, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie de cette très intéressante synthèse, monsieur le député.
Il me semble que Mireille Schurch souhaitait vous poser quelques questions.
Mme Mireille Schurch . - Je vous remercie de votre exposé, monsieur le député.
J'ai noté que vous étiez favorable à la règle du « un sur deux » dans le domaine nucléaire - j'enlève deux réacteurs et j'en reconstruis un.
Comme vous l'avez noté dans votre rapport, L'avenir de la filière nucléaire en France, « la multiplicité des formes d'énergies renouvelables masque le fait que l'exploitation d'une grande partie d'entre elles dépend par nature d'une localisation bien précise ».
Notre commission d'enquête porte sur le coût de l'électricité, et la production d'électricité par des moyens alternatifs impose en effet une nouvelle géographie des réseaux pour relier les sites de ces productions, qui sont différents de ceux que nous connaissons, jusqu'aux sites de consommation, via des lignes à très haute tension.
Dès lors, faut-il anticiper et créer d'ores et déjà ces nouveaux réseaux ? Si oui, qui doit supporter le coût de ces investissements nécessaires au transport des énergies renouvelables, et à quelle hauteur ?
M. Christian Bataille . - Je suis incapable de vous répondre sur l'ampleur des dépenses qu'il faudrait engager.
Nous avons pris conscience de ce problème d'acheminement lors de notre déplacement en Allemagne. Les réserves d'énergies renouvelables, notamment l'énergie éolienne, se trouvent dans le nord de l'Allemagne, tandis que le coeur de l'industrie allemande est localisé dans le Bade-Wurtemberg et en Bavière. Les Allemands sont confrontés à un problème de transport massif des énergies renouvelables vers leurs sites industriels, problème qu'ils n'ont pas résolu à ce jour.
La France est moins avancée en matière d'énergies renouvelables, mais doit réfléchir à la localisation de ses sites au plus près des lieux de consommation, de façon à éviter des dépenses exponentielles et des nuisances pour l'environnement et le paysage.
Mme Mireille Schurch . - On connaît le fonctionnement de RTE et ses difficultés financières. Faut-il anticiper ? Avec quels moyens financiers ? Peut-on déjà prévoir une organisation territoriale ? Des discussions sont-elles d'ores et déjà engagées ?
M. Christian Bataille . - La décision devra, me semble-t-il, être prise par les autorités politiques, et peut-être aussi par les exploitants, à travers une organisation plus régionalisée.
Nous devons gérer l'héritage d'installations qui suscitent des problèmes de transport, et la question ne se pose d'ailleurs pas seulement pour les énergies renouvelables.
Le transport de l'électricité produite en quantité importante à Flamanville se pose aussi, car ce lieu de production reste quand même relativement éloigné des centres industriels. Le choix de Penly aurait sans doute permis de rapprocher davantage la production d'électricité des centres industriels.
Je ne peux pas m'avancer sur les énergies renouvelables, mais je pense que nous devrons nous orienter vers des énergies de proximité, si l'on développe par exemple des STEP ou bien encore des fermes éoliennes côtières. Encore faudra-t-il réfléchir à leur consommation : certains sites peuvent en effet être séduisants pour la production d'énergie électrique, mais les consommateurs ne pas se trouver à proximité. Il convient donc de bien coordonner les deux démarches.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Ma question prolonge vos développements sur la problématique « réseaux ». Je ne reviendrai pas sur le stockage, à propos duquel vous avez été très clair. Vous avez bien montré les difficultés que rencontrent les Allemands pour transporter l'énergie entre les lieux de production et de consommation.
De manière à vous permettre d'affiner votre analyse, je souhaiterais donc vous interroger sur le principe de l'autoconsommation, qui consiste à ramener la production au plus près du terrain, puisqu'il s'agit de produire au lieu même de la consommation, ce qui n'est pas sans intérêt au regard du coût que représente la modernisation des réseaux, notamment des réseaux moyenne tension.
Avezvous approfondi cette question, qui correspond aujourd'hui au choix politique effectué par les Allemands, puisqu'ils ne paient plus la mise sur le réseau, mais la consommation sur place ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous aurez noté, monsieur Bataille, que la question était posée par un sénateur savoyard, très concerné par le problème de la proximité d'entreprises hautes consommatrices d'électricité avec les centrales de production.
M. Christian Bataille . - Par votre raisonnement, vous allez finalement à l'encontre des délocalisations sauvages que nous avons constatées ces derniers temps. Cela suppose de la part de l'État et du Gouvernement une volonté d'organisation du territoire. Il s'agirait, au fond, d'encourager l'implantation des industries consommatrices à proximité des lieux de production d'électricité.
Nous n'allons pas dans cette direction aujourd'hui, mais, après tout, quel que soit le gouvernement en place, l'État peut prendre conscience de l'avantage qu'il y aurait à lutter de cette manière contre les gaspillages énergétiques.
Il y a des contre-exemples, mais, de manière générale, en France, les installations nucléaires ont été implantées à proximité des sites de consommation. Par exemple, dans ma région, la sidérurgie était aux portes de la centrale de Gravelines. Malheureusement, ces industries consommatrices ont depuis disparu, et Pechiney n'est plus ce qu'elle était depuis son rachat par Alcan.
L'on voit donc qu'il existe aussi ce risque d'implanter des centrales pour l'éternité, alors que les industries sont mobiles. Mais l'on ne peut pas non plus tout verrouiller dans le domaine énergétique et industriel. Il faut donc essayer de choisir les implantations avec intelligence. Il me semble que les installations nucléaires de la vallée du Rhône sont intelligemment implantées. Quant à la Savoie et la Haute-Savoie, elles bénéficient de la proximité des grands centres de production d'hydroélectricité.
M. Jean-Pierre Vial . - En parlant d'autoconsommation, je voulais aussi évoquer le cas des particuliers, les Allemands ayant recours aux énergies renouvelables, notamment au photovoltaïque.
M. Christian Bataille . - J'enregistre votre remarque, monsieur le sénateur, mais seule l'autorité politique peut répondre à cette question. Je ne puis le faire en qualité de rapporteur de la mission parlementaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avant de donner la parole à M. le rapporteur, je voudrais vous demander une précision technique sur la réponse que vous avez faite à sa deuxième question, relative à la prise en compte d'un éventuel accident. Car il s'agit bien, au final, d'un élément du coût de l'électricité, intégré à la facture.
Si j'ai bien compris, vous préférez, dans votre rapport, que l'exploitant provisionne ces sommes plutôt qu'il paye une prime d'assurance. Vous avez parlé d'une provision de 100 à 200 millions d'euros par réacteur, en précisant qu'il s'agissait d'une estimation d'experts. Je n'ai pas très bien compris de quels experts il s'agissait, mais, quoi qu'il en soit, c'est un choix différent de celui qui consiste tout simplement à permettre aux exploitants de souscrire une assurance auprès d'une ou de plusieurs compagnies d'assurance. Pourquoi ce choix ?
M. Christian Bataille . - Il s'agit d'une hypothèse. En contrepoint, nous disons aussi que nous pouvons, avec les mêmes sommes, choisir de renforcer la sécurité des centrales et de suivre les préconisations de l'Autorité de sûreté nucléaire. En réalité, nous tirons en quelque sorte les leçons de Fukushima : le coût est si important que TEPCO, qui n'est pourtant pas une entreprise pauvre, ne peut y faire face.
M. Jean Desessard , rapporteur . - L'estimation est comprise entre 600 et 900 milliards d'euros !
M. Christian Bataille . - En effet. Cela prouve que le provisionnement que nous envisageons ne sera de toute façon pas suffisant en cas de désastre majeur et qu'il faudra à ce moment-là se tourner vers l'État.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Je souhaite tout d'abord vous poser une question technique, monsieur Bataille. Vous avez préconisé la création d'une autorité, une agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments, pour impulser une nouvelle dynamique en matière d'efficacité énergétique.
À ma grande surprise, vous avez parlé de blocages administratifs, en affirmant que les entrepreneurs, les PME et les PMI rencontraient beaucoup de problèmes pour mettre en oeuvre des économies d'énergies dans la construction des bâtiments, l'isolation, notamment.
M. Christian Bataille . - Dans notre rapport, nous établissons un parallèle entre l'évolution de l'Autorité de régulation des télécommunications, devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, en 2005, et qui a contribué à faire de la France, en quelques années, l'un des pays du monde disposant de la meilleure offre en services numériques, du point de vue tant de la couverture et de la qualité que du prix.
L'ART puis l'ARCEP ont su canaliser les initiatives des acteurs des communications électroniques, en utilisant leur pouvoir de régulation dans des conditions de parfaite transparence.
Il s'agirait aujourd'hui de transposer ce modèle pour réussir la révolution de la performance énergétique dans les bâtiments, en fusionnant, à budget constant, les structures chargées des missions de régulation du secteur du bâtiment au sein de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et de la construction, du Centre scientifique et technique du bâtiment et de l'Agence de la maîtrise de l'énergie, en une autorité administrative indépendante, dirigée par un collège d'au moins cinq membres nommés par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, pour un mandat non renouvelable de six années, sur le modèle de l'ARCEP en matière de communications électroniques.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Bien que les deux domaines ne soient pas tout à fait comparables, cette suggestion est très intéressante.
Avez-vous une seconde question, monsieur le rapporteur ?
M. Jean Desessard , rapporteur . - Oui, et elle rejoint celle que vous avez posée sur la sûreté nucléaire, monsieur le président.
En raison de l'ampleur et de l'incertitude des sommes en jeu - si nous étions sûrs qu'il faille 500 milliards d'euros tous les vingt ans, nous ferions des provisions, mais personne ne peut prévoir la gravité et encore moins la date d'un éventuel accident -, vous proposez, plutôt que de faire des provisions ou d'assurer les conséquences d'un éventuel accident nucléaire, de « mettre le paquet » sur la sûreté.
Lorsque nous avons auditionné les responsables de l'Autorité de sûreté nucléaire, ils ont rappelé qu'il y avait essentiellement deux facteurs de sécurité.
Le premier, que vous avez développé récemment dans une émission de télévision, monsieur Bataille,...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Une émission diffusée hier soir et que j'ai regardée dans son intégralité !
M. Jean Desessard , rapporteur . - ... est celui de la sûreté humaine - process , procédures, formation, organisation humaine, tout cela est fondamental.
Vous posiez le problème de la sous-traitance, qui pourrait peut-être entraîner des risques de défaillances dans la chaîne.
Le second facteur de sécurité dont nous a parlé l'ASN, c'est le noyau dur, c'est-à-dire un certain nombre de préconisations qu'elle a faites à la suite de la catastrophe de Fukushima, notamment la présence d'un poste de commandement « bunkerisé » se trouvant à proximité du réacteur pour pouvoir intervenir en cas d'accident.
Avez-vous étudié, dans votre rapport, l'ensemble de ces procédures ? Quelles évolutions de matériel technique faut-il prévoir pour assurer la prévention d'un incident ou accident nucléaire ?
M. Christian Bataille . - J'ai fait allusion aujourd'hui à la deuxième partie de notre rapport. La première partie, quant à elle, portait sur la sécurité et la sûreté.
M. le président s'en souvient fort bien, puisqu'il était membre de la mission dont j'étais co-rapporteur avec Bruno Sido. Une mission commune à l'Office et aux commissions permanentes du Sénat et de l'Assemblée nationale avait en effet été constituée.
Nous avons constaté, avec Bruno Sido, l'excès des chaînes de sous-traitance. Il semble d'ailleurs qu'EDF en ait conscience, puisque les responsables auditionnés nous ont déclaré qu'ils étaient en train de réintégrer certaines fonctions dans l'entreprise, notamment tout ce qui concerne la plomberie, les tuyaux. Ces fonctions ne sont plus soumises à appel d'offres mais sont réintégrées en interne.
Nous avons mesuré également le problème social posé par la sous-traitance. L'énergie nucléaire est une énergie d'élite. Pour autant, ses travailleurs doivent être traités avec davantage de dignité, ce qui n'est souvent pas le cas des sous-traitants - pour certains, qui viennent de l'autre bout de l'Europe et qui travaillent dans des conditions peu compatibles avec l'image de modernité qu'offre le nucléaire, et plus proches d'une version moderne de l'esclavage.
Maintenant, en ce qui concerne l'augmentation des coûts du fait des préconisations de l'ASN, nous avons mené nos travaux presque parallèlement aux leurs. Nous n'avons pas voulu empiéter sur leurs champs de compétence et nous prenons pour argent comptant les préconisations de l'ASN.
Toutefois, il est certain que la sûreté va coûter très cher. Je ne sais pas à combien s'élèvera la facture. EDF est en train de se mettre au niveau progressivement. Quand on pose le problème de l'arrêt de certaines centrales, c'est aussi à travers ce prisme qu'il faut l'apprécier : c'est EDF qui décidera de moderniser ou pas Fessenheim. Je pense qu'EDF va choisir de moderniser cette centrale, notamment d'effectuer les travaux préconisés pour le radier, mais ces travaux seront très coûteux.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il me semble que l'on peut distinguer deux types de maintenance. Ce sujet avait d'ailleurs été largement abordé lors de notre déplacement à Gravelines, dans votre région, monsieur Bataille. Nous avions rencontré des sous-traitants de tout genre. Car il existe une sous-traitance de tâches simples, d'entretien - cette qualification n'est nullement péjorative - et une sous-traitance de très haute technologie. Le problème n'est pas le même, me semble-t-il. Quand vous dites qu'EDF doit changer de comportement et réintégrer une partie de la maintenance dans son activité principale, à quel type de sous-traitance faites-vous allusion ?
M. Christian Bataille. - À la sous-traitance de haute technologie !
Les organisations syndicales elles-mêmes admettent le recours aux « nomades du nucléaire ». Ils ont sans doute un métier difficile, puisqu'ils passent d'une centrale à l'autre, mais il faut bien des équipes itinérantes pour accomplir des tâches d'entretien au moment des arrêts de tranches.
Vous avez donc raison, monsieur le président, de dire qu'il y a deux types de tâches, celles de routine et celles de plus haute technologie. C'est surtout ce dernier domaine que je visais, celui des tuyauteries, car j'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un travail très pointu, qui nécessite un haut niveau de formation que l'on ne trouve pas très facilement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il me reste à vous remercier, monsieur le député, au nom de tous mes collègues. C'est toujours un plaisir de vous entendre sur ce sujet que vous connaissez par coeur, et sur lequel vous « planchez » depuis des années. Vous parlez avec conviction, et j'apprécie la manière dont vous exprimez vos idées.
M. Christian Bataille . -Je vous remercie, monsieur le président.
Audition de Mme Sophia Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France
(11 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Sophia Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France.
Madame Majnoni d'Intignano, je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à notre invitation. Il est vrai que vous n'aviez pas le choix, puisqu'il est obligatoire de répondre à l'invitation d'une commission d'enquête...
Comme cela vous a été indiqué, je vous demande, pour respecter la procédure, de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( Mme Sophia Majnoni d'Intignano prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - M. Jean Desessard, rapporteur de notre commission d'enquête, va vous rappeler les questions qu'il vous a adressées. Nous vous demandons d'y répondre de préférence dans l'ordre. Toutefois, si vous souhaitez, par commodité, modifier cet ordre, sachez que nous sommes assez souples sur ce plan.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président, j'ai adressé à Mme Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France, six groupes de questions.
Premièrement, de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France ? Quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?
Deuxièmement, la France devrait-elle, selon vous, prolonger la durée de vie des centrales existantes, investir dans le développement des nouvelles générations de réacteurs, c'est-à-dire du réacteur pressurisé européen, l'EPR, et de ce qu'on appelle la quatrième génération, ou encourager une sortie progressive du nucléaire en investissant massivement dans les énergies renouvelables ? Je précise que, selon vos réponses, ces possibilités peuvent être alternatives ou cumulatives.
Troisièmement, quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Quatrièmement, pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer ? À combien pouvez-vous chiffrer cet investissement ?
Cinquièmement, le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Sixièmement, quelles actions convient-il de mener prioritairement, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Majnoni d'Intignano, vous avez la parole. Tâchez, s'il vous plaît, de nous laisser un peu de temps pour vous poser quelques questions complémentaires.
Mme Sophia Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France . - J'y veillerai, monsieur le président.
Pour ce qui concerne la troisième et la quatrième questions de M. le rapporteur, qui portent sur les mécanismes de soutien filière par filière et les objectifs du Grenelle, je considère qu'étant chargée spécifiquement des questions nucléaires, je n'ai pas la compétence nécessaire pour y répondre.
Sur ces questions, Greenpeace collabore avec le comité de liaison Énergies renouvelables, le CLER, dont je sais que le directeur, M. Raphaël Claustre, a déjà été entendu par votre rapporteur en audition restreinte.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En effet. M. Claustre nous a d'ailleurs apporté des réponses nombreuses.
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Je m'associe aux réponses qu'il vous a faites.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous lui sous-traitez donc, pour ainsi dire, la troisième et la quatrième question...
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - C'est cela ! Pour ma part, je parlerai plutôt des questions nucléaires.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Très bien !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Pour nous, il est clair que les tarifs actuels de l'électricité ne reflètent pas la réalité des coûts de production, en raison notamment de la prédominance dans notre mix électrique du nucléaire, dont vous savez qu'il en représente 75 %.
En effet, trois types de coûts liés au nucléaire sont non pas cachés, comme on le dit parfois, mais sous-évalués ou mal pris en compte.
Dans un premier ensemble, figurent les coûts de long terme liés à deux charges futures : le démantèlement des centrales et la gestion des déchets.
Un autre ensemble comprend les coûts liés à la couverture du risque nucléaire, c'est-à-dire à l'assurance en cas d'accident nucléaire majeur.
La question des coûts liés au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets a déjà été largement traitée par la Cour des comptes. Dans son rapport de janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire, elle a mis en évidence l'existence de lacunes et d'incertitudes. Elle estime, dans sa terminologie, que ces coûts semblent avoir été sous évalués.
Le fait est que si l'on procède à une comparaison internationale, on constate que le montant provisionné par EDF est inférieur au minimum international correspondant à cinquante-huit réacteurs : je crois que ce minimum est de 20 milliards d'euros et qu'EDF a provisionné seulement 18 milliards d'euros.
La sous-évaluation des charges de démantèlement étant assez nette, le risque existe que, dans les prochaines années, il soit fait obligation à EDF de réviser ses modèles d'évaluation et d'augmenter ses provisions.
Certes, comme le souligne la Cour des comptes, les conséquences de cette mesure sur le prix final du kilowattheure ne seraient pas forcément significatives, puisqu'elles seraient réparties sur une très longue période. Reste que plus on repousse la réévaluation, plus ses conséquences sur le prix de l'électricité seront importantes.
Il faut donc prendre en compte cette réalité : le jour où la réévaluation interviendra, il sera nécessaire d'augmenter les provisions en vue du démantèlement. Et plus la réévaluation sera retardée, plus ses conséquences seront douloureuses pour les consommateurs.
Les coûts liés à la gestion des déchets font l'objet d'incertitudes à peu près identiques.
En France, en effet, un choix très particulier a été fait pour la gestion des déchets : les combustibles usagés sont retraités à la sortie du réacteur et les déchets les plus dangereux sont enfouis en stockage géologique à grande profondeur.
Pour l'instant, cette dernière technique est au stade de l'expérimentation. Le coût final des recherches menées au laboratoire de Bure puis de la construction d'un centre de stockage n'est pas connu. Il a été estimé à 15 milliards d'euros ; aujourd'hui, on l'évalue entre 28 et 35 milliards d'euros. Si vous interrogez l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, ses dirigeants vous répondront qu'eux-mêmes n'ont pas la réponse.
Le coût à long terme de la gestion des déchets n'étant pas entièrement connu, le risque existe que, pour ces charges aussi, il faille augmenter les provisions. Dès lors, le même problème se pose à nouveau : plus on retardera la réévaluation, plus ses conséquences seront significatives.
Greenpeace n'est pas d'accord avec la Cour des comptes lorsqu'elle estime que les coûts de démantèlement auront des conséquences très faibles sur le prix du kilowattheure - de l'ordre de 2,5 à 5 % si les provisions sont multipliées par deux.
En effet, l'hypothèse d'un doublement des charges nous paraît relativement optimiste. Songez que le démantèlement du réacteur de Brennilis, l'un des plus avancés en France, a déjà coûté plus de 400 millions d'euros - encore s'agit-il d'un réacteur de toute petite puissance : 70 mégawatts, contre 1 000 mégawatts en moyenne pour les réacteurs français.
Le montant de 300 millions d'euros par réacteur, avancé aujourd'hui par EDF, étant déjà dépassé pour un réacteur de toute petite puissance, on peut imaginer que les provisions liées au démantèlement ne feront pas que doubler, comme le suppose la Cour des comptes. Et si les provisions sont multipliées par quatre, le prix de l'électricité augmentera de 20 %, ce qui est une conséquence d'une autre ampleur.
La question des coûts liés à l'assurance du risque nucléaire sera certainement débattue dans les mois qui viennent, l'accident nucléaire de Fukushima lui ayant donné une nouvelle actualité.
La France est soumise à un régime européen et international fixé par des conventions. Un protocole additionnel a relevé à 700 millions d'euros le minimum d'assurance pour les exploitants. Toutefois, n'ayant pas été ratifié par l'ensemble des pays, il n'est pas encore appliqué.
En France, le montant d'assurance pour les exploitants est aujourd'hui fixé à 91 millions d'euros par réacteur nucléaire. Voilà quelques jours, un projet de loi a été présenté en Conseil des ministres qui vise à relever ce seuil de 91 à 700 millions d'euros. Peut-être sera-t-il adopté par le nouveau Parlement après les élections présidentielles et législatives. Toujours est-il que, pour l'instant, le montant applicable est de 91 millions d'euros par réacteur.
D'ailleurs, quand bien même le seuil serait porté à 700 millions d'euros, il se situerait dans une fourchette très basse.
En Allemagne, par comparaison, il existe un système de responsabilité illimitée. Autrement dit, en cas d'accident nucléaire, l'exploitant est redevable jusqu'au dernier centime des sommes dépensées pour gérer la catastrophe.
Comme les assurances ne peuvent pas couvrir une telle responsabilité, un montant est fixé - 2,5 milliards d'euros - pour lequel les exploitants sont obligés de s'assurer, sachant qu'en cas d'accident, il leur faudra sans doute vendre les bijoux de famille...
Le seuil prévu en France est plutôt très bas par rapport aux montants fixés dans les autres pays européens. À supposer même qu'il soit relevé à 700 millions d'euros par réacteur, il resterait à un niveau très bas.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, dont vous avez certainement prévu d'auditionner un représentant, cherche actuellement à évaluer ce que coûterait un accident nucléaire en France.
Quelques chiffres ont circulé dans la presse et ont été mentionnés par la Cour des comptes : il est question de 70 milliards d'euros pour un petit accident - avec néanmoins des rejets extérieurs -, le coût d'un accident grave pouvant atteindre 600 milliards d'euros. Vous constatez que le montant dû par l'exploitant, même porté à 700 millions d'euros, est assez faible par rapport au coût d'un accident seulement mineur.
Il est bien évident qu'en cas d'accident nucléaire, on ne se contentera pas de ne pas indemniser les victimes ! Il faudra donc bien trouver l'argent quelque part. Aujourd'hui, il semble que ce serait à l'État d'assumer cette responsabilité financière.
Évidemment, comme EDF est une entreprise publique à 85 %, vous me direz que, dans tous les cas, c'est l'État qui devrait payer... Reste que si la France adoptait un système de responsabilité illimitée assorti d'une obligation d'assurance de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, elle se rapprocherait des standards européens et internationaux, ce qui serait aussi beaucoup plus sécurisant pour la population.
Tous ces problèmes vont être débattus dans les mois qui viennent. Ils sont susceptibles d'avoir des conséquences sur le prix de l'électricité. Si l'exploitant doit s'assurer pour un montant six fois supérieur au montant actuel, ses comptes en seront nécessairement affectés.
Pour me résumer, monsieur le rapporteur, je réponds par la négative à votre première question : selon nous, le prix de l'électricité ne reflète pas la totalité des coûts, car certaines externalités, qui sont aujourd'hui pas, peu ou mal prises en compte, vont certainement voir leur coût augmenter dans les mois et les années à venir.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous dites que certaines externalités ne sont pas prises en compte : le démantèlement, la gestion des déchets et l'assurance. Mais si Greenpeace devait calculer leur coût, comment vous y prendriez-vous ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Il est possible de faire ce calcul. Pour le démantèlement et la gestion des déchets, EDF le fait. Nous considérons que son estimation est basse et qu'il convient de la revoir à la hausse. La Cour des comptes va plutôt dans notre sens.
Greenpeace, en tant qu'ONG indépendante, peut fournir des contre expertises techniques permettant de contester les chiffres d'EDF : par exemple, nous pouvons avancer le chiffre de 70 milliards d'euros, plutôt que celui de 18 milliards d'euros, pour les coûts de démantèlement.
Mais, au bout du compte, c'est au pouvoir politique de trancher sur le fondement des données techniques.
Ce qui importe, c'est que, dans vingt-cinq ans, nous ne retrouvions pas dans une situation où des provisions insuffisantes devraient être augmentées, avec des conséquences brutales sur le prix de l'électricité. C'est le risque sur lequel nous appelons à la vigilance.
Le problème du coût de l'assurance est complètement différent. Nous défendons un régime de responsabilité illimitée qui est davantage dans l'intérêt du citoyen, moins dans celui de l'industriel puisque ce dernier peut devoir payer beaucoup.
Dans ce système, on sait que le risque ne peut pas être assuré en totalité. Mais certains niveaux d'assurance sont peut-être plus acceptables que d'autres pour la société. C'est au pouvoir politique qu'il appartient de les déterminer.
Une ONG comme Greenpeace peut fournir des expertises extérieures et indépendantes pour évaluer des montants. Elle peut éventuellement élaborer des propositions législatives, mais pas beaucoup plus...
J'aborde maintenant la deuxième question de M. le rapporteur, qui porte sur la prolongation de la durée de vie des centrales et ses alternatives.
La France se trouve dans une situation très particulière compte tenu de la part de 75 % que le nucléaire représente dans son mix électrique.
Sa situation est particulière aussi parce que les réacteurs français ont été construits dans un laps de temps très court : 80 % du parc nucléaire a été construit entre 1977 et 1987. Autrement dit, 80 % des réacteurs arriveront en même temps à l'âge de quarante ans.
Sans doute, on peut débattre de la durée de vie initiale d'un réacteur : est-ce trente, quarante ou cinquante ans ? Les études techniques montrent que lorsqu'ils ont été construits, on hésitait entre trente et quarante ans, l'âge de quarante ans étant considéré comme un maximum pour des raisons techniques.
En effet, si certaines pièces d'un réacteur peuvent être remplacées, comme le générateur de vapeur, deux pièces assez décisives pour la sûreté ne peuvent pas être changées : la cuve et l'enceinte de confinement. Vous verrez que cette donnée sera déterminante pour les choix économiques à propos du remplacement du parc nucléaire.
D'ici à 2027, nous serons confrontés à l'obligation de prolonger 80 % de nos réacteurs, de les remplacer ou de leur substituer des alternatives.
Le remplacement se ferait dans une proportion de 1 pour 0,6 ou 0,7, puisqu'un EPR est beaucoup plus puissant qu'un réacteur actuel. Cependant, le coût de production du mégawattheure nucléaire par un EPR, tel qu'on l'évalue aujourd'hui, est beaucoup plus élevé que le coût de production actuel de notre électricité nucléaire : la Cour des comptes le situe entre 70 et 90 euros par mégawattheure.
À Flamanville et en Finlande, si l'EPR n'est pas à proprement parler un prototype, c'est en tout cas une tête de série. Aussi la Cour des comptes ne s'aventure-t-elle pas à prévoir le coût de production de l'électricité par un EPR dans quinze ans.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, ce coût est compris entre 70 et 90 euros par mégawattheure. Il est donc très élevé, supérieur, par exemple, au coût de production de l'électricité dans l'éolien terrestre - par différence avec l'éolien offshore .
De surcroît, le risque existe que ce coût continue d'augmenter en raison des nouvelles normes de sûreté liées à la prise en compte de l'accident de Fukushima.
Au total, pour nous, il n'est pas crédible de prétendre remplacer les réacteurs nucléaires par des EPR. Sur le plan économique, ce n'est pas une solution acceptable. Compte tenu du coût actuel de la technologie, elle entraînerait inévitablement des augmentations du prix de l'électricité.
Pour bien comprendre, il faut considérer l'histoire de l'évolution des coûts. Le nucléaire est une technologie dont on dit qu'elle a une courbe d'apprentissage négative. Autrement dit, tout au long de l'histoire du nucléaire, les technologies n'ont eu de cesse de coûter plus cher que prévu.
Leurs coûts n'ont cessé d'augmenter pour une raison facile à comprendre et que certains trouveront peut-être souhaitable : la prise en compte de la sûreté et des enseignements tirés des différents accidents.
Dans les années 1970, le coût de la troisième génération du nucléaire était évalué à 1 000 dollars par kilowatt. Aujourd'hui, les études conduites sur le sujet, notamment par l'Agence pour l'énergie nucléaire, l'AEN, font état d'un montant maximal de 6 000 dollars par kilowatt.
Il se produit donc des hausses de coût très importantes. Elles resteront très importantes après Fukushima, car, même si l'EPR prend déjà en compte un certain nombre d'enseignements tirés de Tchernobyl, Fukushima a mis en évidence un nouveau type de risques, auquel l'EPR n'a pas du tout été conçu pour faire face : le cumul d'accidents survenant au même moment.
Pour nous, le remplacement des réacteurs actuels par des EPR n'est ni crédible ni souhaitable sur le plan économique.
Deux options restent donc : la substitution et l'extension de la durée de fonctionnement.
Vous aurez compris, je pense, que la deuxième solution est privilégiée par EDF et, de manière générale, par les industriels nucléaires du monde entier.
La raison en est simple : une centrale nucléaire étant amortie au bout de vingt à trente ans, on gagne beaucoup d'argent en la faisant fonctionner plus longtemps. C'est un objectif tout à fait honorable pour une entreprise privée mais vous imaginez bien que, pour notre part, nous avons des doutes sur l'opportunité de choisir cette option.
En ce qui concerne d'abord la sûreté et la sécurité, les phénomènes de vieillissement, qui se manifestent à partir d'environ vingt ans, augmentent significativement le risque que se produise un jour un accident nucléaire majeur. À nos yeux, cette première raison suffit à justifier notre opposition à l'extension de la durée de fonctionnement des centrales.
Mais il y a, en outre, le fait qu'un aléa économique pèse sur cette option je le mentionne quoique ce soit un aspect plus éloigné de notre coeur de métier.
En effet, nous n'avons absolument aucune idée de ce que seront les coûts de maintenance du parc nucléaire dans les années à venir.
Aujourd'hui, EDF annonce un plan de 50 milliards d'euros, auxquels il faudrait ajouter 5 milliards d'euros pour la mise à niveau post-Fukushima.
Mais ce chiffre n'est pas le premier qu'EDF ait avancé. En 2008, comme la Cour des comptes l'explique très bien dans son rapport sur les coûts de la filière électronucléaire, EDF évaluait les coûts à 400 millions d'euros par réacteur pour une extension de la durée de fonctionnement au-delà de quarante ans. Ce montant est passé à 600 millions d'euros en 2010, puis à 900 millions d'euros en 2011, avant l'accident de Fukushima.
Par conséquent, lorsqu'EDF présente, après l'accident, un plan d'investissement de 50 milliards d'euros destiné notamment à faire face aux obligations de sûreté post-Fukushima, il ne s'agit pas d'une somme nouvelle : elle avait déjà été annoncée avant la catastrophe.
En plus de ce montant, EDF annonce 10 milliards d'euros pour le renforcement de la sûreté post-Fukushima, dont 5 milliards d'euros seraient déjà prévus dans le plan de 50 milliards d'euros. Mais l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, n'ayant pas encore défini ses prescriptions, il est impossible de prévoir le coût des aménagements de sûreté postérieurs à la catastrophe de Fukushima.
Vous voyez qu'un aléa économique très important pèse sur les coûts de maintenance à supporter pour obtenir le prolongement de la durée de fonctionnement du parc au-delà de quarante ans.
Ce premier aléa est aggravé par l'aléa pesant sur la durée de fonctionnement elle même. En effet, il ne suffira pas d'investir 55 milliards d'euros pour que l'ASN autorise une prolongation de la durée de fonctionnement des centrales jusqu'à soixante ans. En France, ce n'est pas ainsi que les choses se passent.
Je sais que vous avez le pouvoir de changer la loi mais, dans son état actuel, celle ci prévoit des visites décennales et un réexamen du niveau de sûreté des réacteurs tous les dix ans au moins.
C'est en fonction de cet examen que l'ASN décidera si les réacteurs sont en état de continuer à fonctionner pendant un an, deux ans, trois ans ou davantage. Ayant indiqué très clairement qu'elle n'avait pas l'intention de changer ce système, elle ne donnera pas à EDF un blanc seing pour vingt ans.
Aujourd'hui, l'ASN est incapable de prévoir si l'état des cuves permettra la poursuite du fonctionnement des installations après quarante ans. Personne ne peut le dire.
Le moment venu, si l'ASN constate que l'état de certaines cuves ne permet pas la poursuite du fonctionnement, elle n'hésitera pas à demander l'arrêt des réacteurs concernés.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Son président nous l'a confirmé.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En effet !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Autrement dit, il faudrait investir au moins 55 milliards d'euros et peut-être davantage pour une durée de fonctionnement impossible à prévoir...
Je souhaite attirer votre attention sur un phénomène assez étrange : dans certains cas, parce qu'elle est une entreprise publique, EDF pourrait avoir tendance à réaliser des investissements financièrement plus risqués que ceux auxquels consentiraient des entreprises privées.
Pour vous le faire comprendre, je vais prendre l'exemple des projets nucléaires au Royaume-Uni.
Aujourd'hui, tout le monde sait que le nucléaire, comme Citigroup l'a montré dans son rapport « New Nuclear - The Economics Say No », est l'énergie la plus capitalistique, c'est-à-dire celle qui demande, à l'origine, les investissements en capital les plus importants. Le nucléaire, très cher à la construction, est moins cher au fonctionnement : c'est ainsi que les industriels s'y retrouvent.
Les coûts des dernières générations augmentant, il devient nécessaire de trouver des incitations fortes, notamment réglementaires, pour rendre financièrement intéressants les investissements dans la construction de centrales nucléaires.
Dans son rapport, Citigroup a établi qu'en l'absence de sécurisation des tarifs d'achat ou d'incitations passant, par exemple, par des mécanismes d'achat de la tonne de CO 2 , il est financièrement trop dangereux pour une entreprise privée d'investir dans la construction d'une nouvelle centrale nucléaire. Il faut donc, pour qu'une entreprise se lance dans un tel projet, qu'elle bénéficie du soutien très fort d'un État.
Il y a une semaine, RWE et E.ON se sont retirés des projets nucléaires au Royaume-Uni. Évidemment, il serait trop simpliste de prétendre qu'il y a une seule raison à ce choix. J'imagine bien que la réorientation stratégique de l'Allemagne à incité ces entreprises à prendre cette décision.
Toujours est-il que lorsque leurs présidents-directeurs généraux déclarent qu'il est aujourd'hui plus intéressant, du point de vue du retour sur investissement, d'investir dans les énergies renouvelables plutôt que de le faire dans le nucléaire, ils envoient aux marchés un signal relativement négatif au sujet de la construction de nouvelles centrales.
On peut donc se demander comment EDF, entreprise publique, se retrouve seule à investir sur un marché dont les entreprises privées se retirent.
De là vient notre interrogation sur le rôle d'EDF : est-elle toujours une entreprise de service public, dont la mission est d'investir dans la sécurisation du système électrique français pour les vingt, trente ou quarante prochaines années, ou bien réalise-t-elle des investissements risqués sur des marchés étrangers ? Pour l'instant, on a plutôt l'impression qu'elle réalise des investissements risqués sur des marchés étrangers...
La question de l'extension de la durée de fonctionnement se pose dans les mêmes termes, puisqu'il est très risqué d'investir 55 milliards d'euros dans une technologie dont on ne sait ni ce qu'elle coûtera en définitive ni même combien de temps elle pourra fonctionner.
Si EDF, entreprise publique, ne pouvait pas compter sur le soutien de l'État, je ne suis pas sûre qu'elle se lancerait dans un tel investissement. Demandez donc à des banquiers s'ils seraient prêts à le financer !
Monsieur le rapporteur, je réponds à votre deuxième question que nous sommes en faveur d'une sortie progressive du nucléaire, assortie d'investissements massifs dans les énergies de substitution, c'est-à-dire les énergies renouvelables.
Je vous conseille d'utiliser le fabuleux outil conçu par Bloomberg. Il permet de connaître la date à laquelle l'énergie solaire atteindra la grid parity , la parité avec le réseau, en fonction du pays et du retour sur investissement attendu : en France, ce sera entre 2014 et 2016.
Plus le temps passera, plus les énergies renouvelables seront compétitives et moins le nucléaire le sera. Maintenir le nucléaire est donc un choix purement politique.
Dans votre deuxième groupe de questions, monsieur le rapporteur, vous m'interrogiez aussi sur la quatrième génération, c'est-à-dire, en France, les réacteurs au sodium.
Sans être spécialiste de cette question, je peux vous répondre que le projet Astrid, mené par le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, sur le site de Marcoule, et qui a reçu 1 milliard d'euros dans le cadre du grand emprunt, n'est pas le premier projet de recherche sur les réacteurs au sodium.
Superphénix, en effet, était déjà un réacteur au sodium. Je crois que le Sénat a publié de très bons rapports sur son fonctionnement et sur son arrêt.
On a polémiqué en prétendant que Superphénix aurait été arrêté par un gouvernement de gauche pour des raisons politiques, sous la pression des écologistes. Mais si l'on considère la manière dont ce réacteur a fonctionné, on s'aperçoit qu'il était techniquement très difficile de le rendre rentable. Ce n'est donc pas seulement en raison de l'opposition des écologistes que Superphénix a été arrêté.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Le CEA a souhaité continuer d'investir dans cette filière dans le cadre du projet Astrid. Mais, aujourd'hui, rien ne permet d'affirmer que le réacteur Astrid fonctionnerait mieux que Superphénix.
De plus, vous n'ignorez pas que le sodium présente de graves inconvénients techniques et économiques, puisqu'il a besoin d'être maintenu en permanence dans un état liquide, de sorte que, quinze ans après l'arrêt de Superphénix, il faut encore refroidir sans interruption les cuves de sodium pour éviter un accident industriel.
Selon nous, il n'est pas souhaitable d'investir 1 milliard d'euros, et certainement davantage, dans une technologie particulièrement risquée qui, pour l'instant, ne fonctionne pas bien.
En outre, l'horizon temporel de ce projet est très lointain, puisque nous n'avons aucune certitude qu'il sera développé avant 2030 ou 2040. Or nous avons besoin d'investir bien avant, puisqu'à ces dates 80 % de notre parc nucléaire aura déjà atteint quarante ans de fonctionnement.
Pour nous, investir dans le projet Astrid est une perte de temps et d'argent. Sans parler des problèmes de prolifération puisque l'objectif de ce réacteur, comme EDF et Areva vous l'ont sans doute expliqué, est de fonctionner à la fois avec de l'uranium appauvri et du plutonium. Ce qui implique de nouveaux transports de plutonium et des risques accrus liés à l'utilisation de cet élément dans un réacteur.
Ni sur le plan économique ni sur le plan de la sûreté Astrid ne constitue, selon nous, un choix souhaitable.
Pour vos troisième et quatrième questions, monsieur le rapporteur, je vous répète que je m'en remets aux réponses que le CLER vous a apportées.
Dans votre cinquième question, vous liez l'intermittence au rôle d'énergie d'appoint. Mais en Allemagne, par exemple, les énergies renouvelables fournissent un peu plus de 20 % de l'électricité, le nucléaire un peu moins de 20 %. Je ne suis pas sûre qu'on puisse parler d'appoint à propos d'énergies qui représentent 20 % du mix électrique...
Reste que le problème d'intermittence est tout à fait réel.
Depuis 2006, Greenpeace publie tous les deux ans un scénario de transition énergétique appelé « Révolution énergétique ». Il n'existe pas à l'échelle française, mais on le trouve à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale.
Dans ces scénarios, nous réduisons significativement ce qu'on appelle la base - laquelle, dans le mix électrique français, est entièrement nucléaire - et nous développons massivement les réseaux intelligents de distribution, les smart grids . C'est notamment grâce à eux que nous résolvons le problème de l'intermittence.
De son côté, l'association négaWatt, dont vous auditionnerez peut-être un représentant, prévoit le développement du stockage de l'électricité par méthanation.
L'électricité peut aussi être stockée par d'autres méthodes. En Espagne et en Suisse, par exemple, on utilise un système combiné consistant à se servir de l'électricité d'origine éolienne pour remonter l'eau des barrages.
Il est sûr que des avancées technologiques sont encore nécessaires, en matière tant de réseaux que de stockage de l'électricité. Mais elles ne se produiront certainement pas tant que les dépenses publiques de recherche et de développement dans le domaine de l'énergie seront allouées pour 60 % au nucléaire et pour seulement 20 % aux énergies renouvelables...
Qu'il reste des défis à relever, nous ne le nions pas. Mais nous réclamons que les investissements soient orientés de manière à préparer les ruptures technologiques.
Du reste, en matière de stockage comme de smart grids , nous avons un peu de temps devant nous pour trouver des solutions. En effet, les énergies renouvelables représentent seulement 12 % de notre production électrique - encore la très grande majorité de cette production provient-elle de la filière hydroélectrique.
Votre sixième question, monsieur le rapporteur, porte sur la consommation d'électricité.
À nos yeux, il s'agit d'un problème fondamental. On se sert beaucoup, comme d'un argument, de la comparaison entre le prix de l'électricité en France et son prix dans d'autres pays.
Mais la différence entre le prix du kilowattheure en Allemagne et en France, selon les informations dont je dispose, ne résulte pas d'un écart dans les coûts de production. Elle est liée aux taxes et aux coûts de transport de l'électricité. En Allemagne, en effet, les taxes sont trois fois plus élevées qu'en France : elles représentent 12 % du prix final de l'électricité, contre 4 % en France.
Il faut donc prêter attention au fait que les différences de prix ne résultent pas forcément des choix de production. Elles peuvent dépendre de choix politiques, notamment du niveau des taxes.
Par ailleurs, que le prix du kilowattheure en France soit peu élevé ne signifie pas que le consommateur paie une facture elle aussi peu élevée. En effet, nous consommons beaucoup plus d'électricité que nos voisins.
Je ne vous apprendrai pas que nous avons développé un parc électronucléaire de très grande dimension, que certains disent être surdimensionné. Il a fallu inciter à la consommation d'électricité pour rentabiliser cet investissement.
C'est la raison pour laquelle on a développé le chauffage électrique, qui est aujourd'hui présent dans 30 % des logements français et 60 % des logements neufs.
Selon nous, c'est une catastrophe, puisqu'en période de pointe, le chauffage électrique peut représenter jusqu'à 30 % de la consommation, ce qui est considérable.
Vous m'avez demandé quelles actions devraient être menées pour réduire la consommation d'électricité. Le bâtiment et l'habitat représentant une très grande partie de la consommation, les priorités sont l'isolation et le remplacement du chauffage électrique.
Dans les logements neufs, où sa présence est aberrante, le chauffage électrique doit être banni. Il sera beaucoup plus difficile de le bannir des logements anciens, mais on pourrait étudier la mise en place d'incitations tarifaires.
Aujourd'hui, tous les usagers paient le kilowattheure au même prix, y compris en période de pointe, alors que la pointe résulte pour 30 % du chauffage électrique en période hivernale.
Il ne serait pas inenvisageable de faire payer plus cher les consommateurs qui disposent d'un chauffage électrique. De cette façon, on inciterait non seulement au remplacement des convecteurs électriques par de nouveaux convecteurs plus performants, s'il n'y a pas d'autre solution, mais aussi au développement de solutions collectives de chauffage alternatives à l'électricité.
Pour nous, donc, il est clair que l'effort doit porter prioritairement sur l'habitat.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Faire payer l'électricité plus cher, c'est une solution politique radicale...
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - L'énergie est un choix politique !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mais, avec cette suggestion, vous abandonnez une longue tradition de péréquation qui permet à tout le monde de payer l'électricité au même prix. C'est quasi révolutionnaire !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - C'est vrai et cette question est d'autant plus importante qu'à mon avis - mais je n'ai pas une connaissance approfondie du problème -, le chauffage électrique étant le moins cher à l'achat, le logement social doit en être massivement équipé.
Par conséquent, le chauffage électrique sanctionne malheureusement les plus pauvres, dont les factures d'électricité sont très importantes. Si vous en avez chez vous, vous savez que le chauffage électrique coûte très cher - à moins que le logement ne soit très bien isolé.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Majnoni d'Intignano, nous vous remercions beaucoup. Les positions de Greenpeace, que vous venez de nous présenter, sont très claires sur toute une série de questions.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous des informations complémentaires ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président, bien que Mme Majnojni d'Intignano nous ait apporté des réponses toujours précises, claires et argumentées, je souhaite en effet lui poser plusieurs questions complémentaires.
Premièrement, certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont indiqué que des centrales américaines avaient fonctionné pendant soixante ans. Quel est votre avis sur ce point ?
Deuxièmement, vous avez insisté sur la nécessité d'investir dans le développement de l'éolien terrestre, c'est-à-dire celui dont le coût actuel, compris entre 60 et 80 euros par mégawattheure, est compétitif par rapport au coût du nucléaire. Mais quelle est la position de Greenpeace au sujet de l'éolien offshore , dont les coûts sont plus élevés et qui réclame de grandes installations ?
Troisièmement, on nous a dit que les panneaux photovoltaïques n'étaient plus fabriqués en Europe, que leur fabrication entraînait des rejets importants de CO 2 et qu'elle portait atteinte à des filières industrielles. Avez-vous réfléchi à cette question ?
Quatrièmement, certaines personnes auditionnées ont fait valoir que le chauffage électrique pouvait être intéressant, à condition que l'isolation des bâtiments soit de bonne qualité. Autrement dit, une isolation thermique réussie pourrait autoriser ce type de chauffage. Qu'en pensez-vous ?
Cinquièmement, à quels organismes de réflexion dans le domaine de la politique énergétique Greenpeace, association de défense de l'environnement au sens large, est elle associée ? Participez-vous, avec les producteurs d'électricité, à des comités nationaux de réflexion sur la stratégie énergétique ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - À propos des centrales américaines, je pense que vos interlocuteurs ont voulu parler de l'obtention d'une extension des licences d'exploitation.
Aujourd'hui, aucun réacteur, d'aucun modèle, n'a jamais fonctionné plus de quarante sept ans. Environ cent trente-trois réacteurs ont été fermés dans le monde : leur moyenne d'âge est de vingt-deux ans. Les réacteurs américains n'ont jamais fonctionné pendant soixante ans.
Il est vrai, en revanche, que l'autorité de sûreté américaine ne suit pas la même méthode que l'ASN. Elle a d'ores et déjà accordé des licences d'exploitation pour vingt années supplémentaires, au-delà de la durée de quarante ans prévue par la licence initiale.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Et tout le parc nucléaire américain a obtenu cette autorisation ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Une grande partie du parc a obtenu l'autorisation de fonctionner pendant vingt nouvelles années. Aux États-Unis, à la différence de la France, il n'y a pas d'examen de sûreté décennal. Cette politique peut être jugée contestable, dans la mesure où on ne sait pas ce qui peut se passer pendant vingt ans.
Aux États-Unis, en outre, la charge de la preuve est inversée par rapport à la France : c'est à l'autorité de sûreté d'apporter la preuve d'une défaillance, ce qui est surprenant en matière de sûreté.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En effet !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Pour ce qui concerne l'éolien offshore , Greenpeace y est plutôt favorable. En effet, nous aurons besoin des différentes énergies renouvelables.
En revanche, nous trouvons que la politique énergétique actuelle n'est pas suffisamment décentralisée. Aujourd'hui, on construit de grosses unités de production centralisée, ce qui nécessite parfois l'installation de nouvelles lignes à très haute tension et des investissements dans les réseaux.
Ce système n'est pas du tout celui que nous défendons. Nous prônons un modèle très décentralisé, dans lequel l'usager devient producteur d'une partie de sa consommation.
Évidemment, nous aurons toujours besoin d'unités d'appoint centralisées, qui pourront être de l'éolien offshore ou de la biomasse - laquelle n'est pas intermittente.
Nous étudions ces questions dans le cadre de la préparation du scénario énergétique pour la France que nous publierons au mois de septembre. Greenpeace y indiquera ses préférences entre les différentes énergies renouvelables.
Il est clair que nous ne sommes pas opposés à l'éolien offshore . Mais nous regrettons que l'on réfléchisse en permanence à la création de nouveaux moyens de production centralisés. Ce qu'il faut, à nos yeux, c'est un changement de paradigme énergétique.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Avec les smart grids ...
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Exactement.
S'agissant des panneaux solaires, quand bien même ils sont fabriqués en Chine, il faut considérer que leur bilan CO 2 reste inférieur à celui des combustibles fossiles. Je vous rappelle que l'uranium est extrait un peu partout dans le monde, mais certainement pas en France...
Établir un bilan CO 2 consiste à calculer les émissions sur la totalité d'un cycle de vie. Ni le nucléaire ni les énergies renouvelables n'ont un bilan nul, tout simplement parce que l'extraction et le transport des matières premières nécessitent de l'énergie.
Par ailleurs, les énergies renouvelables créent davantage d'emplois que le nucléaire. En Allemagne, par exemple, 382 000 emplois directs - sans parler des autres - leur sont liés.
Dans la filière électronucléaire française, même si j'ai l'impression que les chiffres ne sont plus très clairs ces derniers mois, une étude de PricewaterhouseCoopers fait état de 125 000 emplois directs, sans compter les emplois indirects et les emplois induits.
L'ordre de grandeur est donc bien inférieur. Au total, on emploie huit fois moins de personnes en France dans le nucléaire qu'en Allemagne dans les énergies renouvelables.
Je ne suis pas capable de vous dire si nous avons perdu entièrement la filière industrielle du panneau solaire. Je sais qu'il reste quelques producteurs français, même si la Chine est aujourd'hui un producteur important. Mais à supposer même que tous les panneaux solaires soient fabriqués à l'étranger, les besoins liés à l'installation, qui ne sont pas délocalisables, sont ceux qui réclament la plus grande qualité de main-d'oeuvre.
De toute façon, le secteur des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique - si tant est qu'on puisse parler d'un seul secteur - crée aujourd'hui davantage d'emplois que le nucléaire pour un kilowattheure produit.
Quant au chauffage électrique, il provoque dans tous les cas une augmentation de la pointe.
Évidemment, la priorité est d'isoler correctement l'habitat : c'est la façon la plus efficace de lutter contre le gaspillage d'électricité. Mais l'installation de chauffages électriques, notamment dans 60 % des bâtiments neufs, est une catastrophe parce que ces chauffages augmentent la pointe.
Le parc nucléaire français est dimensionné pour faire face à la pointe maximale sur dix ans. Autrement dit, on produit trop d'électricité pendant toute l'année, sauf peut-être le 10 février dernier, où la production n'a pas été suffisante.
Ce système s'autodétruit : alors que nous exportons en permanence une électricité dont l'Europe a peu besoin, nous aurons toujours besoin d'importer parce que l'installation de nouveaux chauffages électriques augmente sans cesse la pointe. Or, tout ce qui augmente la pointe est dommageable pour le prix de l'électricité comme pour la sûreté.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé à quels organismes nous sommes associés.
Aujourd'hui, à ma connaissance, la seule structure institutionnelle dont Greenpeace soit membre dans le domaine de l'énergie est le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, le HCTISN, dont les attributions concernent davantage la sûreté que la politique de l'énergie de façon générale.
Dans le cadre de ce Haut comité, nous préparons un rapport sur la participation du public aux processus de décision en matière nucléaire. Nous constatons notamment un manque de participation du public à l'échelle sectorielle, c'est-à-dire au-dessus du projet. Autrement dit, si la participation du public est plutôt satisfaisante au niveau du projet, elle est très faible au niveau de la mise en place de la réglementation.
Par exemple, le comité chargé de la programmation pluriannuelle des investissements, la PPI, est composé seulement d'industriels et de quelques associations, dont Greenpeace ne fait pas partie. Dans notre rapport, nous demandons que les comités de ce type soient plus largement ouverts aux associations.
Nous voulons aussi qu'on y fasse entrer d'autres experts que des techniciens, comme des sociologues, des politologues ou des économistes. En matière nucléaire, en effet, les enjeux ne sont pas seulement techniques. La question se pose aussi de l'acceptation du risque. Il est donc important que des sociologues, par exemple, puissent aussi être consultés.
Comme vous pouvez le constater, Greenpeace est assez peu associée à ce type de réflexions.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ne siégez-vous pas, en outre, au sein des commissions locales d'information, les CLI, de certaines centrales nucléaires ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - En effet, nous faisons partie de plusieurs CLI.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pourquoi pas de toutes ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Parce que nous sommes seulement deux, ce qui ne nous permet pas de siéger dans toutes les CLI !
De plus, pour entrer dans une CLI, il faut disposer d'un ancrage local. Nous avons eu des discussions avec plusieurs d'entre elles sur ce point, car nous estimons que, même sans disposer toujours d'un tel ancrage, nous pouvons utilement contribuer au débat. La discussion a notamment eu lieu avec la CLI de Tricastin, au sein de laquelle nous n'avons pas pu entrer.
Dans la mesure où il réside dans la Manche, mon collègue a un intérêt direct à siéger dans les CLI de ce département : nous faisons donc partie des CLI de la Hague et de Flamanville, ainsi que de celle du centre de stockage de la Manche.
Par ailleurs, nous essayons d'intégrer la CLI du Blayais, ainsi, je crois, que celle de Bugey. Mais les membres des groupes locaux par l'intermédiaire desquels nous agissons sur le terrain sont des bénévoles : ils n'ont pas toujours le temps ni les connaissances nécessaires pour siéger au sein des CLI.
Au bout du compte, les structures dont nous faisons partie sont compétentes davantage en matière de sûreté et de sécurité qu'en matière d'énergie.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Madame Majnoni d'Intignano, je souhaite vous faire part d'une observation et vous poser une question.
D'abord, j'ai observé que vous avez parlé du nucléaire comme d'une énergie de pointe, ce qui m'a un peu surpris... Le nucléaire, en effet, est plutôt une énergie de base !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Vous avez raison. Le nucléaire est une énergie de base et, si j'ai parlé d'énergie de pointe, c'était par erreur. J'ai simplement voulu souligner que l'utilisation du chauffage électrique augmentait la pointe.
M. Jean-Pierre Vial . - Entendu.
En présentant vos orientations sur un certain nombre de choix politiques, vous avez notamment insisté sur les smart grids . J'aimerais connaître votre position sur l'autoconsommation, en espérant être mieux compris que tout à l'heure, lorsque l'interlocuteur à qui je posais la même question a cru que je voulais parler de l'autoconsommation industrielle, alors que je pensais à celle des particuliers.
En matière de production d'électricité photovoltaïque, les Allemands ont abandonné la rémunération à la mise sur réseau pour privilégier un modèle de consommation sur place, dans lequel le producteur utilise lui-même son énergie.
Madame Majnoni d'Intignano, que pensez-vous de ces nouvelles visions liées aux smart grids ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - J'insiste sur le fait que je n'ai pas une connaissance pointue de cette question.
Toutefois, je sais que les acteurs avec lesquels nous travaillons, comme le CLER, soutiennent plutôt le modèle allemand, dans lequel ceux qui produisent de d'électricité peuvent la consommer directement. En France, au contraire, on est obligé de revendre l'électricité pour la racheter.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Personne ne s'en plaint ! Vendre puis racheter, c'est financièrement très intéressant...
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - J'imagine que cela dépend de la fluctuation des prix.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Non. En France, il est très intéressant de vendre l'électricité d'origine photovoltaïque que l'on produit pour racheter son électricité au prix payé par tous les Français.
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Aujourd'hui, en France, c'est effectivement intéressant, en raison des tarifs régulés et des tarifs d'achat.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est véritablement une activité très intéressante sur le plan financier.
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Je vous répète que je ne suis pas du tout spécialiste de cette question. Je vous conseille donc de demander son point de vue à Raphaël Claustre.
M. Jean Desessard, rapporteur . - De toute manière, nous allons entendre à nouveau les représentants EDF pour leur demander des précisions, en particulier sur les coûts liés au démantèlement et à la gestion des déchets.
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Je ne suis pas sûre qu'ils vous donneront beaucoup plus d'informations qu'à la Cour des comptes...
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Requier.
Permettez-moi de vous rappeler, mon cher collègue, que Mme Majnoni d'Intignano nous a prévenus qu'elle ne répondrait pas à la troisième et à la quatrième question, comme elle en a tout à fait le droit, car elles ne font pas partie de son domaine de compétence.
M. Jean-Claude Requier . - Madame Majnoni d'Intignano, vous avez annoncé la publication prochaine par Greenpeace d'un scénario sur l'avenir énergétique de la France. Les hypothèses que vous allez présenter seront-elles chiffrées ? Je suis frappé par le fait que, dans votre propos, vous avez donné assez peu de chiffres...
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Il est difficile de chiffrer !
M. Jean-Claude Requier . - Vous dites que l'État soutient EDF. C'est vrai, mais il a aussi soutenu les chemins de fer, Concorde, Airbus !
Vous soutenez que les énergies renouvelables créent de nombreux emplois. C'est vrai, mais, en qualité de conseiller général, je sais que l'aide sociale crée aussi des emplois dans les départements... Le problème est de savoir qui les paie. C'est pourquoi j'insiste sur les aspects financiers.
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Entendons-nous bien. Nous ne remettons pas en cause le modèle public d'EDF, dont l'État est actionnaire à 85 %. Au contraire, nous nous demandons si EDF est véritablement encore une entreprise française de service public.
Sur le plan financier, je sais que les concepteurs du scénario négaWatt travaillent actuellement sur un chiffrage, mais un chiffrage se fait par étapes.
Pour ce qui nous concerne, comme c'est la première fois que nous allons publier un scénario énergétique pour la France, nous commencerons par présenter les choix technologiques et les options que nous privilégions. Toutefois, nous présenterons quelques ordres de grandeur portant sur des investissements.
De même qu'il est difficile pour EDF de chiffrer ses coûts de maintenance pour les vingt prochaines années, de même il est difficile de déterminer le montant des investissements qui seront nécessaires, surtout pour des énergies dont les coûts diminuent en permanence et à un rythme très rapide.
Des chiffres, nous vous en présenterons. Je ne sais pas s'ils répondront à vos attentes.
Que l'on prolonge la durée de vie du parc nucléaire, que l'on construise de nouvelles centrales ou que l'on privilégie d'autres sources d'énergie, le fait est que des investissements seront nécessaires. Mais vous avez raison de souligner que, selon l'option choisie, les montants ne seront pas forcément les mêmes.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, voulez-vous poser une autre question à Mme Majnoni d'Intignano ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président, je souhaite que, pour conclure, Mme Majnoni d'Intignano donne son sentiment sur notre commission d'enquête et les thèmes que nous avons abordés... ( Sourires .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, nos auditions n'étant pas terminées, il est un peu tôt pour conclure ! ( Nouveaux sourires .)
Madame Majnoni d'Intignano, M. le rapporteur vous a tendu une perche... Voulez-vous la saisir ?
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Nous n'avons pas du tout abordé la question du prix de l'électricité qui, selon la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, va augmenter de 30 % d'ici à 2016. Beaucoup pensent que le prix actuel de l'électricité ne reflète pas la réalité de son coût. Il risque donc de continuer d'augmenter.
Il est très clair que, dans les dix ans qui viennent, des décisions devront êtres prises. Mais si tout le monde perçoit cette nécessité comme une terrible chape de plomb, Greenpeace considère au contraire qu'il s'agit d'une véritable opportunité économique.
En effet, nous pouvons développer des filières industrielles performantes et de nouveaux secteurs de pointe, à l'image de ce que le nucléaire a été pendant plus de trente ans. En amorçant la transition énergétique, nous avons une vraie opportunité de créer de la richesse et des emplois.
Nous ne voyons pas là une perspective horrible, qui va multiplier le prix de l'électricité par douze et nous faire sombrer dans une terrible crise ! Je crois qu'il y a beaucoup d'hypocrisie sur ce sujet.
Nous ne prônons pas la sortie du nucléaire en un an, par la substitution de pétrole et de gaz aux centrales. Mais le Japon n'a pas eu le choix. En un an, il a dû sortir du nucléaire. Aujourd'hui, un seul réacteur fonctionne encore.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Deux réacteurs : une centrale, mais deux réacteurs !
Mme Sophia Majnoni d'Intignano . - Je vous crois, monsieur le président. Le fait est que ce n'est plus beaucoup.
Avant l'hiver, tous les industriels ont crié au loup en annonçant des coupures d'électricité et des black-out inévitables. Rien de cela ne s'est produit. La réalité est donc parfois éloignée de l'image que l'on s'en fait...
En conclusion, au lieu de considérer la transition énergétique comme un poids, il serait peut-être temps d'en faire une véritable opportunité économique !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Majnoni d'Intignano, je vous rassure : M. le rapporteur pose régulièrement la question du prix de l'électricité et de la prévision d'augmentation faite par la CRE. Mais il est libre de la poser à qui il veut. Toutefois, bien qu'il n'ait pas souhaité vous la poser, vous aviez tout à fait le droit de nous donner votre avis !
Nous vous remercions beaucoup d'avoir répondu à toutes nos questions avec conviction...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Et clarté !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Greenpeace est une association très efficace sur le plan de la communication et nombre des positions que vous avez exposées devant nous étaient déjà parvenues à notre connaissance à l'occasion de diverses déclarations plus ou moins anciennes.
Quoi qu'il en soit, nous vous remercions beaucoup de vous être prêtée à cet exercice et de nous avoir répondu avec précision.
Audition de M. Denis Baupin, adjoint au maire de Paris, chargé du développement durable, de l'environnement et du plan climat
(9 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'ordre du jour de ce matin appelle l'audition de M. Denis Baupin, adjoint au maire de Paris, chargé du développement durable, de l'environnement et du plan climat.
Comme vous le savez, monsieur Baupin, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
À cette fin, notre commission d'enquête a jugé utile de vous entendre, afin que vous nous fassiez partager votre expérience locale.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Pour ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais vous demander de prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »
( M. Denis Baupin prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski , président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Baupin, pouvez-vous présenter la politique menée à Paris en termes de consommation d'électricité et de gestion des réseaux, notamment dans le cadre du plan climat ?
Quelles sont les perspectives quant au développement des réseaux d'électricité et à leur coût pour une métropole telle que Paris ?
Quel est votre regard sur les mécanismes de lutte contre la précarité énergétique et les différentes mesures proposées, outre le tarif de première nécessité : chèque énergie ou chèque chauffage, tarif progressif ? Comment encourager les rénovations thermiques sans que les coûts soient insupportables pour les ménages à faibles ressources ?
Quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie visant les collectivités, en particulier sur les certificats d'économie d'énergie ? Ceux-ci sont-ils compris de la population ?
Pensez-vous que les mécanismes destinés aux particuliers, notamment les incitations fiscales, soient efficaces ? Quelle devrait être, par exemple, la répartition des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement ?
D'une manière générale, quel rôle les collectivités doivent-elles jouer dans les domaines de l'information, de l'incitation, de la subvention pour promouvoir les efforts d'économie d'énergie auprès des particuliers et des entreprises ?
Par ailleurs, quel jugement portez-vous sur la réglementation thermique 2012 ? Estimez-vous qu'elle est favorable ou défavorable au chauffage électrique ? Comment gérer et mieux réguler le stock d'installations de chauffage électrique existant ?
Enfin, selon vous, quel est l'intérêt du compteur Linky et des réseaux intelligents ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Denis Baupin.
M. Denis Baupin, adjoint au maire de Paris, chargé du développement durable, de l'environnement et du plan climat . - Selon moi, il est très pertinent de mener aujourd'hui un débat sur les politiques énergétiques, plus particulièrement sur leur coût. Je note que, au cours de la campagne électorale qui vient de se dérouler, pour une fois, cette question a été évoquée.
Lors de l'exposé que je vais faire, j'essaierai de répondre aux questions posées par M. le rapporteur et d'expliquer la réflexion que nous conduisons sur la place que doivent avoir les collectivités locales dans les politiques énergétiques. Cette réflexion rejoint celle de nombreuses autres de personnes.
Tout d'abord, force est de remarquer que nous sommes confrontés à une crise énergétique. La production d'énergies fossiles étant inférieure à la consommation, il existe donc une tendance très forte à l'explosion des prix. Quelle réponse pouvons-nous y apporter en termes de sobriété et d'efficacité énergétiques ?
Par ailleurs, la question de la relocalisation de la production nous paraît importante. Au cours de la campagne électorale, la question du « produire français » a été évoquée à plusieurs reprises. Or on ne peut que constater le fait que la balance des paiements de la France est « plombée » par les dépenses engagées en matière d'achat d'énergie à l'étranger. Par conséquent, produire localement de l'énergie permettrait de faire en sorte que l'argent de l'économie française ne serve pas à financer des pétromonarchies ou d'autres régimes étrangers, mais soit réinvesti localement. Cette question nous paraît essentielle au niveau non seulement national, mais également local.
Les élus parisiens, qui réfléchissent avec leurs collègues des communes voisines, souhaitent que leur ville soit de moins en moins dépendante du pétrole, tout en assurant un faible impact environnemental et social de cette nécessaire transition. Comme dans toutes les villes, ils doivent agir sur un territoire existant. Mais le territoire parisien est petit et totalement enclavé. Les espaces disponibles sont peu nombreux pour réellement permettre d'imaginer une nouvelle urbanisation. À l'heure actuelle, à l'échelon métropolitain, il n'existe aucun outil en matière de gouvernance.
Il convient non pas simplement d'agir, au niveau de la municipalité, du haut vers la base, mais aussi d'essayer de mobiliser les acteurs du territoire - les acteurs économiques ou même l'ensemble de nos concitoyens - et de les inciter à réfléchir à la façon dont ils consomment.
Par ailleurs, une question majeure se pose de plus en plus : celle de la précarité énergétique. En raison de l'augmentation très importante du coût de l'énergie et des problèmes de pouvoir d'achat que rencontrent nos concitoyens, à l'échelon national, le nombre de précaires énergétiques s'élève entre 8 et 10 millions de personnes. Bien évidemment, Paris n'est pas épargné par cette précarité.
L'action que nous essayons de mener, et qui vise à répondre aux questions énergétiques, a des développements intéressants pour une collectivité. Il s'agit, d'une part, de la réduction de la précarité énergétique, qui permet aux collectivités de réduire le coût des politiques sociales qu'elles conduisent, et, d'autre part, de la création d'emplois non délocalisables, qui a donc un impact économique positif. En effet, le fait de produire localement au lieu de recourir à des importations concourt à la dynamisation du tissu économique local et à une réduction de la vulnérabilité et de la dépendance de nos territoires.
Les élus - je suis particulièrement concerné, moi qui suis porteur du plan climat de la Ville de Paris, lequel vise à diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 -, doivent non seulement faire en sorte de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi s'interroger sur les facteurs de vulnérabilité de leur propre territoire. Selon moi, ceux-ci sont très largement sous-estimés, même pour des éléments aussi basiques que l'énergie, l'eau ou l'alimentation.
Je vous donne un simple exemple, même s'il est un peu hors contexte. Aujourd'hui, seulement 1 % de la consommation alimentaire des 11 millions à 12 millions d'habitants d'Île-de-France, région pourtant agricole, est produit localement ; 99 % des denrées venant de l'extérieur, leur transport consomme de l'énergie. Il s'agit donc d'un facteur de vulnérabilité important que nous devons prendre en compte. Il en est de même pour l'énergie et pour l'eau.
J'en viens à la question de la réduction des risques majeurs. Nos convictions ont été renforcées à la suite de la catastrophe de Fukushima. Certaines technologies comportent des risques. Ce fait a d'ailleurs été confirmé par l'Autorité de sûreté nucléaire, qui considère qu'une catastrophe majeure n'est pas impossible. Paris étant située à une centaine de kilomètres de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, si ses élus réussissent à mener une politique permettant de ne pas recourir aux technologies les plus dangereuses, l'incidence sur la réduction des risques majeurs ne sera pas négligeable.
Selon cette philosophie, nous jugeons pertinent d'aller dans le sens d'une affirmation d'autorités locales de l'énergie. C'est ainsi que nous souhaitons faire évoluer notre plan climat.
Ce plan a été adopté à l'unanimité du Conseil de Paris, toutes tendances politiques confondues, en 2007, juste avant les élections municipales, autrement dit à une époque qui n'était pas forcément propice à ce que se dégage une unanimité. Dans ce document, sont fixés des objectifs légèrement supérieurs aux objectifs 3x20 du paquet énergie-climat européen, soit atteindre 20 % de réduction des gaz à effet de serre, 20 % d'énergie renouvelable et 20 % d'efficacité énergétique. En effet, ont été retenues pour le territoire parisien les fourchettes de 3x25 et de 3x30 pour tout ce qui concerne le bâti municipal, les déplacements municipaux, l'éclairage public.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez retenu 3x25 pour aboutir à 75 % ?
M. Denis Baupin . - En fait, nous avons retenu l'objectif de 75 % à l'horizon 2050. Il ne s'agit pas d'une multiplication des réductions ! Il s'agit d'atteindre 25 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre du territoire, 25 % de réduction des consommations énergétiques et 25 % de consommation énergétique du territoire provenant des énergies renouvelables.
Une révision du plan climat ayant été prévue tous les cinq ans, nous sommes aujourd'hui dans cette phase de révision. C'est d'autant plus nécessaire que, au regard des lois Grenelle, chaque collectivité territoriale doit adopter un plan climat-énergie territorial. Cette obligation est une bonne occasion pour la Ville de Paris de mettre à jour, en fonction des résultats déjà obtenus, ses politiques et la façon de réaliser ses ambitions.
J'en viens au bilan énergétique de Paris. Sur son territoire, les consommations d'énergie les plus importantes concernent le secteur du bâti, qu'il s'agisse du bâti résidentiel ou du bâti tertiaire. À cet égard, je vais donner un ordre de grandeur qui frappe toujours les esprits : la consommation énergétique des bâtiments parisiens correspond à l'équivalent de la production de quatre réacteurs nucléaires... On le constate, la consommation énergétique, notamment électrique, du territoire parisien, de petite taille mais extrêmement dense, est très élevée. Par conséquent, les économies potentielles sont loin d'être négligeables.
En matière énergétique, le plan climat de la Ville de Paris nous a amenés à agir sur de très nombreux leviers.
Aujourd'hui, je n'évoquerai pas la politique de mobilité, dont j'étais en charge entre 2001 et 2008, et qui a visé à réduire de façon très significative la circulation automobile au profit des transports collectifs et d'autres moyens alternatifs. De ce fait, notre dépendance au pétrole a été diminuée. Certes, tel n'est pas le sujet qui nous occupe ce matin, mais les déplacements contribuent aussi à la consommation énergétique d'un territoire. De surcroît, eu égard aux enjeux énergétiques auxquels nous sommes confrontés, qu'ils concernent le pétrole, le dérèglement climatique ou la réduction des risques de catastrophes majeures, le facteur de la mobilité doit être pris en compte.
Par ailleurs, voilà quelques mois, la Ville de Paris a adopté un nouveau contrat de partenariat de performance énergétique de grande ampleur qui permettra, dans dix ans, de réduire de 30 % la consommation d'électricité due à l'éclairage public, à la signalisation lumineuse et aux illuminations des bâtiments parisiens. Sur dix ans, sont en jeu 800 millions d'euros. C'est le plus gros marché passé par la Ville de Paris au cours de la présente mandature. Il vise non seulement la réduction de la consommation électrique, mais aussi l'entretien du patrimoine en matière d'éclairage. Si la Ville Lumière doit, évidemment, rester bien éclairée, grâce aux nouvelles technologies, sa consommation doit être abaissée.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Par quels moyens ?
M. Denis Baupin . - Il s'agit d'utiliser des ampoules basse consommation, d'éclairer non plus le ciel mais les endroits adéquats. Tout n'est pas fixé dans le marché. Autrement dit, en fonction de l'évolution des technologies, on laisse la possibilité au prestataire de s'adapter. Ainsi, dans certains lieux ne nécessitant pas un éclairage continuel la nuit, on peut envisager d'installer des détecteurs de présence permettant de renforcer l'éclairage en tant que de besoin. De telles pistes sont expérimentées dans un certain nombre de collectivités. Elles peuvent rendre possible la réalisation d'économies d'énergie.
J'en viens au bâti, qui est de différents types, tant du point de vue de l'architecture et de la période de construction que d'un point de vue juridique. On ne peut pas agir de la même façon sur des bâtiments appartenant à la Ville, sur des logements sociaux, des logements privés ou encore sur des locaux relevant du tertiaire.
D'un point de vue juridique, les bâtiments appartenant à la Ville sont les plus simples à gérer. Nous avons conclu le plus important contrat de partenariat de performance énergétique jamais signé en France portant sur les 600 écoles situées à Paris. Par lots de 100 écoles - un premier a d'ores et déjà été défini -, nous allons lancer la rénovation thermique de ces établissements pour réduire leur consommation énergétique de 30 %, en agissant à la fois sur le bâti, sur le système de chauffage et sur les comportements tant des enfants, des personnels de l'éducation nationale ou de la Ville, voire des parents, même si leur présence est moindre dans les écoles. Tout un travail de sensibilisation doit être mené. À la suite d'un dialogue, un groupement a été retenu. Ainsi pourra être expérimentée la mise en place du système.
Pour ce contrat de partenariat de performance énergétique, un groupement a été retenu après un « dialogue compétitif ». Cela nous permettra d'expérimenter la mise ne place du dispositif. Son gros avantage, c'est que, sur les vingt ans de durée du contrat, le prestataire doit assurer les performances, faute de quoi il ne percevra pas le loyer prévu pour la fourniture de sa prestation. Je parle de « loyer » parce que les économies d'énergie qui résulteront de l'isolation thermique effectuée, qui ont donc vocation à rapporter de l'argent, ne suffiront pas à financer les travaux sur vingt ans. Les simulations que nous avons effectuées au terme d'une pré-étude portant sur cinq écoles représentatives du bâti parisien ont montré que, si l'on se « contentait » d'une réduction de 20 % de la consommation énergétique de ces établissements, les investissements seraient financés par les économies d'énergie, car les investissements lourds à réaliser sont finalement assez limités. Mais nous sommes allés plus loin puisque l'objectif fixé est d'atteindre une réduction de la consommation de 30 %. La Ville contribuera à hauteur de 50 millions d'euros environ sur cette période de vingt ans aux travaux qui seront réalisés dans les cent premières écoles. Le même dispositif sera mis en oeuvre afin que les 600 écoles parisiennes soient rénovées à l'horizon 2020.
Nous travaillons également à la rénovation des chaufferies de la Ville de Paris. Je n'insisterai pas sur ce point, qui ne concerne pas directement l'électricité.
J'en viens aux 220 000 logements sociaux parisiens. L'objectif retenu dans le plan climat est d'en rénover thermiquement un quart d'ici à 2020, soit 55 000. Chaque année, seront traités 4 500 logements sociaux grâce à des aides de l'État, de la région, de la Ville de Paris, une contribution propre des bailleurs sociaux.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Est-ce que cela concerne aussi bien l'isolation que les chaufferies ?
M. Denis Baupin . - Bien entendu, nous agissons sur tous les facteurs qui permettent d'atteindre les objectifs de réduction fixés.
La principale difficulté concerne le parc du logement privé, avec cette spécificité parisienne qui fait qu'il est quasi exclusivement constitué de copropriétés. Or les dispositifs légaux mis en place visent principalement des pavillons ; là, l'éco-PTZ est particulièrement adapté pour agir. Nous devons continuer à faire progresser ce chantier majeur, sur lequel je reviendrai dans quelques instants.
Les bureaux posent encore plus de problèmes. J'ai eu l'occasion d'en discuter à plusieurs reprises avec l'équipe Bâtiment du Grenelle de l'environnement, qui essaie d'élaborer des outils concernant le tertiaire. Aujourd'hui, il y a la spécificité des consommations électriques de ces bâtiments, qui sont parfois plus importantes que celles relatives au chauffage : informatique, data centers , éclairage, climatisation... Il faut donc intervenir à la fois sur le bâti et sur cette consommation électrique spécifique. Or, sur ce point, nous sommes, si je puis dire, en demande d'outils. Je profite de mon audition par une commission parlementaire pour souligner que les collectivités ont besoin d'être aidées par la loi et le Gouvernement afin d'agir plus efficacement.
Pour ce qui concerne l'application du plan climat, nous agissons bien évidemment sur toutes les zones d'aménagement qui restent sur le territoire parisien et qui relèvent du grand projet de renouvellement urbain. Notons quelques opérations d'urbanisme emblématiques réalisées sur les secteurs Paris Nord-Est, Clichy-Batignolles, où se situera le futur palais de justice, Bercy-Charenton. Je le dis avec modestie, car ce n'est pas dans la culture des collectivités locales ; il s'agit par conséquent de mener un travail de sensibilisation des élus, des services, de l'ensemble des acteurs du territoire. En l'espèce, au moment des travaux préparatoires relatifs à ces chantiers, nous essayons d'élaborer une stratégie énergétique. Autrement dit, on ne se pose pas simplement la question de savoir quels équipements publics seront mis en place à tel ou tel endroit, combien de bureaux ou de logements sociaux seront installés ; on se demande également quels services énergétiques seront apportés. Une spécificité parisienne, qui constitue un énorme avantage, doit être soulignée : le réseau de chauffage urbain de la Ville de Paris, aujourd'hui délégué à la CPCU, est le troisième au monde après ceux de Moscou et de New York. Tout comme moi avant que je sois adjoint chargé du plan climat, nombre de Parisiens, y compris des élus, l'ignorent. Cet atout de la collectivité est peu valorisé et peu pris en compte.
Si l'on se penche sur les questions énergétiques, on se rend compte que, voilà quelques décennies, nos prédécesseurs - pas forcément les élus locaux, mais en tout cas l'État - avaient des idées plus avancées que nous sur ce qu'il convenait de faire sur le territoire parisien. Et certains outils ont été laissés en déshérence : les acteurs économiques, les énergéticiens n'ont pas toujours agi en ayant en tête une stratégie. Aujourd'hui, à l'occasion de la révision du plan climat, nous avons la volonté d'affirmer plus fortement notre vision en matière de politique énergétique, notamment pour ce qui concerne les zones d'aménagement.
Par ailleurs, nous nous sommes dotés d'un outil de sensibilisation de l'ensemble des acteurs du territoire, à savoir l'Agence parisienne du climat, qui est chargée de l'information des usagers. Elle compte une trentaine de personnes, principalement des conseillers info-énergie-climat. L'ADEME est associée au financement.
J'en reviens au bâti et à la question des copropriétés. Plusieurs outils existent.
Le plan « copropriétés : objectif climat » a été lancé voilà quatre ans. Il permet d'aller, par l'intermédiaire des conseillers info-énergie-climat, à la rencontre des 40 000 copropriétés parisiennes. Cela vous laisse imaginer l'ampleur de la tâche ! Nous finançons à 75 % les diagnostics énergétiques des bâtiments. Nous octroyons ensuite des aides, qui complètent celles qui sont accordées par l'ANAH, lorsque les travaux sont engagés.
Le processus est très long. Entre le moment où l'on commence à sensibiliser les copropriétaires et celui où une copropriété réunit la majorité nécessaire pour engager les travaux, plusieurs années peuvent s'écouler. Aujourd'hui, à peu près 1 % des logements parisiens privés se sont engagés dans ce dispositif. Toutefois, tous n'ont pas encore entrepris des travaux.
Cela nous a conduits à développer, depuis deux ans, un outil complémentaire plus spécifique : les opérations programmées d'amélioration thermique des bâtiments. L'une concerne 330 tours ou grands immeubles du XIII e arrondissement. De ce fait, chiffre significatif, 2 % de la population parisienne est concernée. La démarche entreprise va plus loin que la précédente : des équipes vont rencontrer les copropriétés, les syndics ; un diagnostic thermique pris en charge financièrement par la ville est effectué ; à cette occasion, tous les bouquets de travaux possibles sont étudiés afin de permettre aux copropriétaires de prendre ou non la décision d'agir sur leur bâtiment. Mais une fois que la copropriété dispose de tous ces éléments, que démonstration de la pertinence économique des travaux lui a été faite, décidera-telle d'engager des travaux ? En l'espèce, la Ville de Paris essaie d'aller le plus loin possible du point de vue réglementaire.
D'ores et déjà, nous réfléchissons à la manière de développer le même dispositif sur d'autres secteurs du territoire parisien : autour de la place de la République, où le bâti, plus ancien, est très différent de celui du XIII e arrondissement, ou encore dans le XIX e arrondissement, deux secteurs dans lesquels la précarité énergétique est grande. Il faut noter un lien avec le plan bâtiment Grenelle, dont les acteurs, qui sont à la recherche d'outils pour ce qui concerne les copropriétés, s'appuient beaucoup sur ce qui est fait à Paris.
À cet égard, je salue la décision qui a été prise de permettre l'octroi de prêts à taux zéro directement à la copropriété, et non plus à chaque propriétaire. Nous avons contribué à l'élaboration de cet outil. Il reste à vérifier que celui-ci va bien fonctionner. Une telle affectation d'un prêt de cette nature facilite grandement les démarches et donne un argument à ceux qui essaient d'agir à l'échelon de la copropriété.
Pour autant, aujourd'hui, la seule incitation ne suffira pas pour atteindre les objectifs que se sont fixés la France et l'Europe dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique. À un moment, il faut oser passer à la réglementation. Certes, il ne s'agit pas de « taper » sur tous les copropriétaires et de les sanctionner s'ils ne rénovent pas leur bâtiment d'ici à trois ans.
La directive sur l'efficacité énergétique est en cours de discussion entre les différentes institutions européennes. En la matière, la France peut évidemment jouer un rôle lors du Conseil européen. Il faut tout mettre en oeuvre pour que l'on puisse passer de la simple incitation à l'adoption de mesures réglementaires permettant d'agir de façon plus efficace, que ce soit en termes de réglementation, mais aussi d'outils financiers, afin de favoriser la prise de décision par une copropriété.
Par ailleurs, une copropriété regroupant une multitude d'acteurs, il en résulte une complexité supplémentaire. N'oublions pas non plus la différence de revenu qui peut exister entre les différentes personnes concernées. De surcroît, il y a des propriétaires bailleurs, des propriétaires occupants, des locataires et leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Par conséquent, il convient de trouver, en quelque sorte, une juste répartition des droits et des devoirs.
Le Grenelle de l'environnement prévoit de créer une ligne supplémentaire sur la quittance permettant de faire contribuer le locataire au titre des travaux de rénovation thermique à hauteur de 50 % du montant des économies de charge réalisées. Cette mesure me semble équilibrée. Certes, en fonction de la situation de précarité dans laquelle se trouve tel ou tel, on peut faire varier le système. Mais l'idée de partager la charge entre propriétaire et locataire paraît juste. En effet, si le propriétaire paie l'investissement alors que le locataire bénéficie des économies d'énergie réalisées, le système se bloquera forcément : le propriétaire ne sera pas incité à entreprendre des travaux. À un moment donné, tous les acteurs doivent bien avoir un intérêt à agir. Il convient de partager de façon équitable les économies d'énergie réalisées.
J'en viens aux actions possibles. Pour notre part, nous pensons nécessaire d'instaurer à un moment quelconque une obligation de diagnostic thermique sur tous les bâtiments afin de connaître véritablement l'état du bâti.
La Ville de Paris a commencé à agir de façon « macro » sur son territoire. Elle a réalisé une thermographie aérienne qui a consisté à photographier les toitures. Mais, comme le bâti parisien est élevé du fait de la densité de population, nous disposons de peu d'éléments relatifs aux étages inférieurs. C'est pourquoi une thermographie de façade a été effectuée sur 500 bâtiments représentatifs des différents bâtis parisiens. Ainsi nous avons aujourd'hui une base de données assez importante sur les économies d'énergie potentielles.
Désormais, un Parisien, en tapant son adresse sur un site Internet, peut obtenir directement la thermographie de son bâtiment, si toutefois celui-ci a été photographié. Et si tel n'est pas le cas, il pourra se référer à un bâtiment de même style, construit à la même période, ce qui lui permettra de se faire une idée des endroits où se situent les principales déperditions énergétiques. Cette pratique, qui n'est cependant qu'un outil de sensibilisation et d'orientation générale, permet d'inciter à réaliser le diagnostic.
En tout cas, si l'on veut réussir à mener un jour une action concrète, il faudra, selon un échéancier donné, obliger les propriétaires qui veulent mettre soit en vente, soit en location leur bien, à réaliser préalablement les travaux de rénovation thermique nécessaires. On pourrait, par exemple, prévoir que, d'ici à 2017, tous les bâtiments de classe G devront être rénovés puis qu'il en sera de même d'ici à 2019 pour tous ceux de classe F. Certes, les modalités du dispositif peuvent faire l'objet de discussions.
Un tel dispositif doit être accompagné de mesures de financement. En effet, si l'on n'apporte aucune aide financière, nombre de propriétaires ne seront pas capables d'entreprendre les travaux. L'étude de différentes copropriétés nous a permis d'établir un constat. Le plus souvent, la pertinence d'agir sur un bâtiment peut être démontrée. Ainsi, il peut être fort probable que les travaux de rénovation thermique d'un bâtiment donné seront amortis sur les cinquante prochaines années par les économies d'énergie réalisées et par la valorisation du patrimoine. Mais, même si, sur la table, l'équation paraît pertinente et si le propriétaire en convient, lorsque celui-ci s'est lourdement endetté pour acquérir son appartement, il rétorquera qu'il ne pourra pas réaliser les travaux. La question est donc de savoir comment externaliser l'endettement.
L'idée de mettre en place des dispositifs de tiers investisseur est donc apparue. Cette pratique développée à l'étranger - avec les Energy saving companies - est rentable, mais peu répandue en France. On peut se demander pour quelles raisons on a toujours pensé dans notre pays que l'énergie n'était pas chère et qu'il n'était donc pas nécessaire de l'économiser !
Quoi qu'il en soit, un grand nombre de collectivités de l'Île-de-France se sont déclarées favorables à un tel dispositif, sous le pilotage du conseil régional. Afin de l'expérimenter, elles sont en train de mettre en place une société d'économie mixte de tiers investissement, dénommée Énergies Posit'if. L'idée consiste à prendre en charge le bâtiment considéré pendant une période donnée, à réaliser les travaux d'économie d'énergie adéquats et à se rémunérer sur ces économies ; une fois les investissements compensés, le reste des économies d'énergie est affecté à la copropriété. Le système doit être neutre pour les propriétaires.
Ce type de simulation se heurte à une difficulté : il faut essayer d'anticiper le prix qu'atteindra l'énergie dans dix, quinze ou vingt ans. Pour l'instant, personne ne le sait autour de cette table.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous le saurons lorsque sera publié le rapport de la commission d'enquête, monsieur Baupin. (Sourires.)
M. Denis Baupin . - Monsieur le rapporteur, je suis heureux d'avoir obtenu ce matin cette information, que tous les marchés vont acheter extrêmement cher ! Ils sauront ainsi où investir !
À supposer que des sociétés de tiers investissement soient mises en place un peu partout sur le territoire, peut-être faudra-t-il prévoir des mécanismes de péréquation en fonction de l'évolution des prix de l'énergie pour assurer l'équilibre.
Pour inciter à la rénovation thermique et pour l'aider, nous pensons qu'il faudra instaurer un dispositif généralisant le système du bonus-malus et qui pourrait être inventé lors de l'élaboration de la directive sur l'efficacité énergétique. C'est indispensable si nous voulons que nos concitoyens comprennent ce que nous voulons faire. Il faut favoriser, d'un point de vue économique, les comportements vertueux et sanctionner les comportements les plus polluants. À défaut de ces deux leviers, le système est souvent incompréhensible politiquement.
Quant au mécanisme des certificats d'économie d'énergie, qui a le mérite d'inciter à des économies de cette nature, nous le considérons comme positif et pensons qu'il doit être développé. Certes, il est peut-être possible de trouver mieux. Il faut aller plus loin et multiplier par trois les obligations d'économies d'énergie. Il faut obliger les énergéticiens à faire en sorte que la moitié au moins des certificats provienne de leurs clients. Qu'ils puissent acquérir des certificats sur le marché, soit, mais ils doivent aussi être incités à agir. Il est par ailleurs souhaitable que les budgets dégagés soient affectés à la lutte contre la précarité énergétique.
La réglementation thermique 2012 est évidemment une bonne chose - tout ce qui va dans le sens d'une réglementation est positif -, même si elle concerne uniquement des bâtiments neufs. Tout à l'heure, j'ai évoqué le bâtiment existant. Or, comme vous l'imaginez, à Paris, le neuf représente 1 % et l'existant, 99 % ; c'est donc ce dernier qui nous importe le plus. Nous sommes d'accord sur le fait que le calcul en énergie primaire est la bonne façon de calculer pour inciter à la bonne chaîne de production d'énergie. À Paris, nous essayons d'ores et déjà d'être en avance sur la réglementation thermique 2012 puisque, dans le plan climat que nous avons adopté voilà cinq ans, nous fixions déjà comme objectif de consommation énergétique 50 kilowattheures par mètre carré, notamment dans tous les bâtiments que nous construisons.
M. Jean Desessard, rapporteur . - 50 kilowattheures par mètre carré ?
M. Denis Baupin . - Oui, 50 kilowattheures par mètre carré et par an. C'était dans le plan climat. À l'époque, cela faisait hurler : l'objectif paraissait trop ambitieux. Certes, il l'est plus que celui qui est prévu dans la réglementation thermique 2012 puisque, si l'on applique les coefficients géographiques, on devrait être plutôt à 60 kilowattheures ou 65 kilowattheures. Aujourd'hui, pour tous les bâtiments construits par la Ville de Paris, notamment tous les logements sociaux, on vise 50 kilowattheures par mètre carré.
J'ai déjà abordé la question de la précarité énergétique. Tout ce qui peut aider à payer les factures des ménages en situation de précarité énergétique va dans le bon sens. Avec l'Agence parisienne du climat, nous sommes en train de développer des programmes pour aller à la rencontre de ces ménages. L'une des difficultés, c'est que nous les connaissons peu. Nous avons lancé, voilà un an, une opération pour les aider à remplacer leurs ampoules à incandescence par des ampoules basse consommation. Pour la première fois, on a acheté 100 000 ampoules, si ma mémoire est bonne, et, à chaque ménage qui nous apportait une ampoule à incandescence, on donnait trois ampoules basse consommation. On a écrit à tous les bénéficiaires du TPN, le tarif de première nécessité, en leur proposant de se rendre dans leur mairie pendant quinze jours pour réaliser cet échange. Seulement 40 % d'entre eux se sont déplacés.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce n'est pas mal !
M. Denis Baupin . - Oui, c'est ce que beaucoup nous disent. Malgré tout, cela signifie que 60 % de ceux qui avaient droit à quelque chose de gratuit - il suffisait de se déplacer - n'en ont pas profité.
On est face à un public que l'on connaît mal. Certes, les différents services sociaux de l'État ou de la Ville ont des éléments d'information. Comme une partie de ces ménages n'ose pas se déclarer en situation de précarité énergétique, il n'est pas facile de les identifier. Par le biais de l'Agence parisienne du climat, on essaie d'organiser des rendez-vous particuliers avec ceux que l'on a pu identifier, pour discuter avec eux et leur donner des conseils. On a maintenant développé une mallette de petits outils afin de leur apporter des éléments de réponse : ampoules, économiseurs d'eau, etc. En effet, la question de la consommation de l'eau est souvent conjointe de celle de la consommation énergétique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous avez eu accès à la liste des ménages concernés ?
M. Denis Baupin . - Non, nous n'y avons pas eu accès : c'est EDF qui a envoyé le courrier.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ah...
M. Denis Baupin . - Oui, il était notre partenaire. Nous n'avions pas, nous, le fichier. Nous avons travaillé en partenariat.
Cette opération les intéressait parce qu'il y avait des certificats d'économie d'énergie à la clef. Nous avions donc des intérêts conjoints.
Puisque cela intéresse tout le monde, faisons-le ! Cela prouve d'ailleurs bien l'intérêt des certificats d'économie d'énergie : sans eux, peut-être qu'EDF n'aurait pas été intéressé par l'idée de remplacer des ampoules très consommatrices par des ampoules qui le sont moins.
Ce que nous pensons, puisque la question est posée, c'est qu'il faut aller vers une tarification progressive des énergies. Je crois que le Président de la République qui vient d'être élu s'y est engagé ; cela devrait, comme je l'espère, voir le jour à un moment ou à un autre. Vous serez alors appelés, en tant que parlementaires, à voter sur ces questions. Faire en sorte que celui qui consomme peu ait droit à un tarif de base et que ce soient les gaspillages qui soient plus facturés paraît une mesure de bon sens en matière d'efficacité énergétique.
Cependant, et c'est ma conclusion sur cette question, pour notre part, nous préférerions largement prévenir la précarité énergétique par des mesures d'isolation thermique des bâtiments et de moindre consommation qu'apporter des aides sociales pour contribuer au paiement des factures. Il est plus pertinent de fermer le robinet lorsque la baignoire fuit que de passer son temps à éponger sans fermer le robinet...
J'en viens au chauffage électrique. Cela ne vous surprendra pas, nous y sommes très peu favorables. D'un point de vue thermodynamique, c'est une aberration qui conduit aujourd'hui la France à être très largement importatrice d'électricité en hiver, en période de pointe de consommation, alors que, pendant des années, paraît-il, nous devions être indépendants d'un point de vue non pas énergétique - je ne crois pas que quiconque y ait jamais cru -, mais au moins électrique.
Dans les périodes de grand froid, la généralisation du chauffage électrique conduit la France à être responsable de la moitié de la pointe de consommation électrique et à acheter de l'électricité quand elle est à la fois la plus chère et la plus carbonée. D'une certaine façon, heureusement que l'Allemagne compte beaucoup d'éoliennes : cela permet de décarboner l'électricité française en période de pic de consommation. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la logique qui a été jusqu'à présent développée à l'échelon national, celle qui consiste à dire qu'on a de l'électricité décarbonée, et cela grâce aux éoliennes de nos voisins !
Bien sûr, c'est une petite pique un peu ironique, mais la situation est assez aberrante, d'autant que le chauffage électrique contribue beaucoup à la précarité énergétique.
Que faire face à un bâti dans lequel sont largement installés des chauffages électriques ? À cette question très pertinente posée par le rapporteur, je dois avouer que je ne suis pas en mesure de répondre complètement.
Évidemment, dans les constructions neuves, il faut arrêter d'installer des chauffages électriques et, chaque fois que l'opportunité de rénover un bâtiment se présente, il faut les remplacer. Certes, passer d'un système de chauffage à un autre peut impliquer des travaux relativement lourds, ce n'est pas simple, mais la rénovation thermique d'un bâtiment doit à chaque fois être l'occasion de procéder à ce changement.
On peut malgré tout d'ores et déjà agir pour installer des systèmes de chauffage électrique plus performants que ceux qui existent dans de nombreux bâtiments, par exemple en installant des thermostats. En d'autres termes, il est possible de faire beaucoup mieux que les grille-pain qui ont été posés dans beaucoup de logements et à cause desquels nous sommes aujourd'hui confrontés à ce problème de précarité énergétique !
J'en viens à la question de la production. On a beau être sur un territoire exigu avec une énorme consommation par habitant, nous voulons affirmer la potentialité de production d'énergie locale. Nous avons réalisé des simulations. Certes, elles valent ce qu'elles valent, car elles ont été menées sur ce qu'on pouvait imaginer de ce qu'on sait aujourd'hui des potentialités du territoire parisien.
Ces études nous permettent de penser que, même sur un territoire comme le nôtre, à l'horizon 2020, si l'on développait l'ensemble des potentialités d'énergies renouvelables que l'on a identifiées, 5 % de la consommation énergétique - je dis bien énergétique et non électrique, parce qu'une bonne partie de tout cela est dans le chauffage, au travers du réseau de chauffage urbain - pourraient venir d'énergies renouvelables produites intra-muros, et ce dans le cadre où l'on aurait réduit globalement la consommation énergétique du territoire de 25 %.
Bien sûr, 5 % de la consommation d'énergie en renouvelable, ce n'est pas 25 % de renouvelable, soit l'objectif que nous nous sommes fixé à l'horizon de 2020. Cela signifie que, si 5 % de la consommation énergétique provenaient de la production d'énergie renouvelable locale, il faudrait aller chercher ailleurs les 20 % restants. Dans le plan climat, on n'a pas affirmé l'autarcie énergétique de Paris ! Je ne sais pas si nous pourrons l'atteindre un jour, mais ce n'est pas dans un horizon proche.
La photo que vous voyez n'est pas très parlante si vous ne connaissez pas le petit livre produit par l'Agence parisienne du climat, que j'aurais d'ailleurs dû vous apporter. Voilà un an, nous avons fait réaliser une étude « + 2° C... Paris s'invente » par une équipe d'architectes et d'artistes qui avaient déjà accompli ce travail pour des villes comme Rennes. Nous leur avons demandé de « positiver » l'adaptation de la ville à un réchauffement de deux degrés et d'envisager ce que l'on pouvait faire sur le territoire. Ils ont pris vingt images pour les vingt arrondissements de Paris et ont imaginé tout ce qui était possible en matière d'adaptation de réseaux de transport, qu'il s'agisse du tramway, notamment pour le transport de marchandises, de montgolfières, de téléphérique, ou en matière de récupération d'eau sur les immeubles.
Ce que vous voyez sur cette photo, c'est la couverture des voies du réseau gare de Lyon. Il s'agit de couvrir ce réseau, de faire de l'agriculture urbaine dans Paris et de s'autoriser à installer de grandes éoliennes. Cette image n'a pas de valeur contractuelle, comme disent les agences immobilières. Si je vous présente cette photo, c'est pour souligner que les 5 % que j'ai évoqués précédemment, c'est à technologies et à réglementation existantes. Si l'on s'autorise demain à installer de grandes éoliennes sur le Champ-de-Mars ou dans des zones similaires, par exemple parce que l'on a besoin de plus de production énergétique locale, on pourra produire plus ! Il ne faut pas s'interdire de penser ces choses-là.
Mais parlons de l'actualité, et pas seulement de l'avenir rêvé. Aujourd'hui, en matière de production énergétique, nous essayons vraiment de travailler sur tout ce qui est opportunité locale en matière d'énergies renouvelables. Cela signifie qu'il faut regarder tout ce que nous offre notre territoire, avec ses spécificités.
Je pense tout d'abord à la géothermie. Elle constitue un potentiel extrêmement important sur le territoire de l'Île-de-France. Le puits de géothermie que l'on a creusé à Paris-Nord-Est nous permet de chauffer 50 000 logements. C'est l'équivalent d'une petite ville, grâce à un puits de 1 500 mètres de profondeur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Où se trouve-t-il ?
M. Denis Baupin . - Dans le XIX e arrondissement.
Nous étudions la possibilité d'en créer un autre aux Batignolles, dans le quartier de Paris-Nord-Ouest.
Je dois l'avouer, nous sommes confrontés au problème suivant : nous allons produire ainsi plus d'énergie que nous ne savons en consommer. En effet, dans la mesure où la moitié de la production servira au système de chauffage, à part le quartier concerné qui est à urbaniser, il faudra utiliser l'autre moitié sur les territoires adjacents. Or, dans ces zones, les systèmes de chauffage mis en place ne semblent pas compatibles avec les boucles d'eau chaude issues de cette géothermie. Nous n'avons donc pas encore trouvé les réponses pour utiliser ce surplus d'énergie. Cela handicape le projet parce que son équilibre économique devient extrêmement déficitaire si l'on ne sait pas vendre cette énergie.
La situation est très paradoxale. On a des sources d'énergie, comme si on avait une source de pétrole sous le territoire, qui plus est d'énergie renouvelable, mais on ne sait pas les utiliser de façon simple. Cela suppose un travail : je ne dis pas que c'est impossible à moyen terme, mais, à court terme, il n'est pas simple de trouver des systèmes qui, d'un point de vue économique, sont pertinents pour utiliser ces potentiels d'énergie.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On ne peut pas le relier au réseau CPCU ?
M. Denis Baupin . - C'est compliqué par rapport aux bâtiments qui sont juste à côté et, si les réseaux sont trop longs, la déperdition de chaleur se révèle importante. Pour être honnête, je ne suis pas un expert en la matière, mais le travail déjà réalisé montre que c'est complexe.
Il existe d'autres potentialités de ressources auxquelles on ne pense pas forcément, notamment tout ce qui est récupération de chaleur. On a énormément de déperdition de chaleur dans une ville comme Paris. Ainsi, certains bâtiments comme les gares qui sont chauffés se trouvent à côté d'autres qui sont refroidis. À Stockholm, ils ont établi une liaison entre la gare et le centre commercial qui permet d'utiliser la chaleur de l'un et le froid de l'autre pour réguler thermiquement. Envisager le même dispositif sur un territoire comme Paris, en termes d'économie de chaleur, est très important.
On peut utiliser les eaux usées des égouts, les eaux grises des bâtiments pour chauffer ces mêmes bâtiments, etc. Tout cela est progressivement pensé d'un point de vue géo-ingénierie et permet des avancées importantes.
Certains bâtiments ont été testés en banlieue parisienne où quasiment la moitié du chauffage du bâtiment est aujourd'hui produite par les eaux des douches. En effet, quand on prend une douche, on utilise de l'eau chaude qui est ensuite perdue. Si l'on est capable d'isoler cette eau, que l'on appelle les eaux grises, d'en garder la chaleur et de la réutiliser pour le bâtiment, on réalise des économies d'énergie potentielles importantes.
La Seine et les canaux offrent également des potentialités. Les voies d'eau qui traversent la ville sont des régulateurs thermiques permanents : on réfléchit aujourd'hui à la manière d'utiliser le froid ou le chaud, selon les périodes, que produisent ces voies d'eau.
De nombreuses autres pistes existent, mais je ne veux pas être trop long.
Comme tous les territoires, nous avons rencontré d'énormes difficultés sur le développement du solaire, en raison de tous les changements de réglementation qui sont intervenus. Je veux dire à quel point c'est pénalisant : sur la zone de Paris-Nord-Ouest, nous avons constitué une société d'économie mixte, Solarvip, de manière à lier la construction d'immeubles à l'installation de panneaux solaires. Lorsque le moratoire a été décidé sur toute la politique mise en place jusqu'alors, ce sont non seulement les projets solaires qui ont été handicapés, mais aussi les projets immobiliers ! Alors qu'on faisait preuve d'intelligence et d'anticipation, on s'est retrouvé pénalisé par les changements répétitifs de réglementation !
On a évidemment besoin d'un cadre stable et, à Paris, territoire dont le patrimoine esthétique est très important - c'est une spécificité -, on a aussi besoin de trouver des dispositifs qui nous permettent de concilier les contraintes patrimoniales et le développement des énergies renouvelables.
On travaille sur notre territoire au développement de la même SEM Énergies posit'if dont j'ai parlé tout à l'heure, qui sera axée à la fois sur l'efficacité énergétique et sur le développement des énergies renouvelables. Nous pensons également que nous devons travailler au développement et à la structuration de filières locales en matière énergétique.
Je tiens maintenant à évoquer un sujet très important, la distribution de l'électricité.
Sur cette question, Paris a conclu un traité de concession depuis 1955 avec EDF à l'époque, devenu ERDF, principalement pour la distribution, qui inclut aussi les tarifs de première nécessité. Il arrivait à terme à la fin de 2009. S'est donc posée la question pour Paris de savoir ce que nous faisions à l'égard de notre concessionnaire, puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler, même si je me dis que c'est un concessionnaire très bizarre.
Je préside la Commission supérieure de contrôle de la concession de distribution d'électricité depuis onze ans, c'est-à-dire depuis qu'est intervenue la séparation entre ERDF et EDF. Quasiment pendant onze ans, la commission a rendu des rapports soulignant qu'elle n'était pas satisfaite des informations que lui donnaient ses interlocuteurs. Nous étions toutefois loin d'imaginer, lorsque nous avons découvert la réalité, à quel point nous avions été grugés ; je me permets d'utiliser ce terme, même si ce n'est pas le vocabulaire de mise au sein de cette enceinte ; dans la presse, j'ai parlé de « hold-up ». À la suite de cela, la chambre régionale des comptes a remis un rapport, confirmant que ce qui s'était passé n'était pas normal et devait cesser.
De quoi s'agit-il ? En 2000, la concession parisienne de distribution avait engrangé 1 milliard d'euros de provisions pour le renouvellement et l'entretien du réseau. Entre 2000 et 2010, ces provisions sont passées de 1 milliard d'euros à 350 millions d'euros : 650 millions d'euros ont disparu ! Et pas qu'ils ont été investis dans le réseau ! Pas du tout puisque, pendant ce temps-là, les investissements ne faisaient que chuter. Ils ont été rapatriés dans la maison-mère, EDF, au bénéfice d'autres politiques que je ne me permettrais pas de juger ici.
On peut le dire, ces 650 millions d'euros ont été volés aux usagers parisiens, sans que la collectivité ait été à aucun moment associée, informée de ce qui était en train de se passer. Et si nous n'y avions pas mis le holà, les 350 millions d'euros restants auraient été prélevés de la même façon.
Au même moment, comme nous arrivions en fin de concession, nous réalisions différents audits dans notre réseau : un audit juridique, un audit financier et, évidemment, un audit technique. Or ce dernier audit a montré un besoin d'investissements d'un montant compris entre 700 millions d'euros et 1 milliard d'euros pour maintenir le réseau en bon état. Cela veut dire que les provisions avaient été bien calculées et que le milliard d'euros qui avait été prévu en 2000 pour entretenir le réseau correspondait bien aux besoins. Or ce milliard n'a pas été investi sur le territoire parisien.
Il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui on ait de plus en plus de pannes sur le réseau parisien. ERDF répondra que Paris est privilégié, compte beaucoup moins de temps de panne que d'autres secteurs. Certes, mais on n'est pas forcément obligé de vouloir toujours tirer vers le bas. Le problème est le suivant : les Parisiens ont payé pour cet entretien du réseau, l'argent est allé ailleurs et le réseau n'a pas été entretenu. De plus en plus, les élus du Conseil de Paris s'insurgent contre les pannes à répétition que nous rencontrons sur notre réseau, faute d'entretien et faute d'investissements.
Cela ne signifie pas que nous sommes contre la péréquation. Mais avant d'évoquer ce sujet, je dois ajouter un élément. Lorsqu'est arrivée la fin du contrat de concession s'est posée la question pour la Ville de Paris de savoir si elle appliquait le droit européen ou le droit français. En effet, aujourd'hui, le droit européen et le droit français sont contradictoires : le premier impose la mise en concurrence ; le second prévoit qu'il faut attribuer le contrat à ERDF. Cela ne me paraît pas totalement conforme. Selon certains juristes, on aurait pu mettre le droit français en conformité avec le droit européen en mettant le prestataire obligatoire en concurrence avec d'autres, au moins à l'échelon national, mais cela n'a pas été le cas.
La Ville de Paris a contourné l'obstacle en décidant de proroger la concession qui était en cours de quinze ans, ce qui évitait de devoir choisir entre les deux dispositifs. Néanmoins, cette question se posera à toutes les collectivités qui vont arriver en fin de concession : leur faudra-t-il appliquer le droit européen ou le droit français ? Ma position personnelle était que c'était une bonne occasion de poser le débat et on aurait pu opter pour une mise en concurrence. Je n'ai pas été suivi sur ce point. Comme je représente aujourd'hui la Ville de Paris, je donne la parole officielle de celle-ci.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La directive sur la concession est en ce moment en cours d'élaboration. Rien n'est tranché et cette question ne concerne pas seulement l'électricité : elle vise toutes les concessions. Le dossier est en cours. C'est un enjeu essentiel du débat.
M. Denis Baupin . - Certains citoyens parisiens ont attaqué la Ville de Paris sur cette prolongation de la concession, estimant que nous n'étions pas en conformité avec le droit européen. Nous verrons bien comment la chose sera jugée.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce n'est pas propre à Paris.
M. Denis Baupin . - Bien sûr ! Mais comme nous étions les premiers à être confrontés à ce problème du renouvellement, la question s'est d'abord posée à nous. Et s'il y a bien une ville qui peut engager un rapport de force avec un concessionnaire, c'est bien Paris ! Les autres villes attendaient donc avec intérêt comment évoluait la situation. Pour l'instant, les choses sont en l'état.
Pourquoi mets-je des guillemets au terme concessionnaire ? En tant qu'élu parisien qui attribue des concessions et des délégations de service public dans de nombreux domaines, depuis de nombreuses années, je peux dire que c'est véritablement le seul concessionnaire qui, non seulement ne verse pas l'argent prévu, mais en prélève sans en justifier ni le montant ni l'usage. Voilà la situation !
Moi qui préside la commission supérieure de contrôle et qui ai en face de moi des interlocuteurs d'ERDF, je le leur rappelle systématiquement : ils se contentent de répondre que c'est le droit. Voilà une façon bien singulière, pour une entreprise qui pourrait demain se retrouver en concurrence, de se préparer à dialoguer avec les collectivités territoriales !
Nous ne sommes pas contre la péréquation : celle-ci paraît pertinente, car les territoires ne sont pas les mêmes. Mais, au minimum, il faut en discuter, fixer des critères, afin de savoir pour quelle raison on a prélevé à Paris telle somme et telle autre à une autre collectivité. D'autant que nous savons que c'est à peu près l'équivalent de la somme prélevée à Paris qui, chaque année, remontait dans les comptes d'EDF, la maison-mère d'ERDF, alors que les deux entités étaient censées être séparées... On se demande si l'on sert véritablement à la péréquation ou à autre chose.
Puisque je suis devant une commission nationale, je me permets de demander si la péréquation n'est pas liée à la façon dont on a décidé d'organiser le réseau de distribution. À partir du moment où le réseau est centralisé sur très peu de lieux de production, on a forcément énormément de pylônes un peu partout sur le territoire qui s'écroulent à chaque tempête. Cela provoque une vulnérabilité et des coûts peut-être plus élevés que si l'on avait choisi d'autres moyens pour assurer la production et la distribution. Même si ce n'est pas une compétence, nous nous reconnaissons une compétence locale, et nous nous retrouvons à devoir financer une politique qui a été décidée à un autre niveau, celui d'une péréquation qui n'est pas forcément la plus pertinente.
J'en viens à l'avenir des réseaux. Outre le fait que nous aimerions bien avoir un peu plus de compétences en la matière, nous souhaitons des réseaux plus intelligents, les smart grids - c'est un terme que tout le monde utilise. Pour un territoire comme Paris, c'est la capacité d'absorber des énergies renouvelables, mais ce n'est pas là un sujet très compliqué, car nous disposons d'un réseau très dense ; nous ne sommes pas au fin fond de la Corrèze !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ne parlez pas de la Corrèze ! ( Sourires .)
M. Ronan Dantec . - C'est le centre de la France !
M. Denis Baupin . - Vous avez raison ! Disons la Lozère ! ( Nouveaux sourires .)
Mais la question qui se pose est celle des compteurs. Nous l'avons dit à nos interlocuteurs d'ERDF et on a fait voter un voeu au Conseil de Paris. Nous ne sommes pas satisfaits de Linky, car ce n'est pas l'outil dont on a besoin aujourd'hui. Certes, il est un peu mieux que les compteurs existants, mais, franchement, il ne permet pas aux consommateurs d'avoir une politique d'efficacité énergétique. Or l'objectif que l'on doit se fixer, c'est une politique d'efficacité énergétique, la réduction de la consommation.
Linky est non pas un compteur intelligent, mais un compteur communiquant, et c'est d'ailleurs le terme qu'ils utilisent : il communique uniquement dans un sens, c'est-à-dire entre le compteur et le producteur d'électricité. Il ne permettra pas au consommateur de maîtriser sa consommation énergétique. Nous demandons donc une nouvelle génération de compteurs. Sur ce sujet, nous sommes en accord avec l'ADEME, les associations de consommateurs ou la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR : ce n'est pas le bon compteur.
En conclusion, nous estimons que la transition énergétique qui est aujourd'hui nécessaire passe, en tout cas en partie, par les villes et les collectivités territoriales ; les villes ont un rôle à jouer. Nous demandons à être des acteurs. Et comme ces territoires disposent de moyens financiers, je trouve que ce serait dommage que l'État n'utilise pas ces volontés.
J'observe ce qui se passe dans les autres pays européens. C'est dans les pays les plus fédéraux que se dessinent les politiques d'efficacité énergétique les plus pertinentes. Il n'est pas question d'attendre que la France devienne un État fédéral pour agir. En tout état de cause, on peut déléguer les compétences. Nous sommes favorables à des délégations de compétences supplémentaires, voire à une expérimentation. Si l'on n'a pas envie de vouloir déléguer ou que l'on n'est pas sûr de ce que l'on souhaite déléguer, on peut procéder à une expérimentation et confier des compétences nouvelles pendant cinq ans ou dix ans à une collectivité en fonction d'un certain nombre de critères. Ensuite on évalue et, si c'est pertinent, on étend à l'ensemble des territoires ou à tous ceux qui sont candidats.
Je vous prie de me pardonner d'avoir été un peu long. Je ne pensais pas être si volubile.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie de cet exposé long, mais complet. Ce faisant, vous avez répondu à un certain nombre de questions que se posaient les uns et les autres.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Oui, c'était un très bon exposé !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, avec votre accord, je propose que nous laissions la parole à nos collègues.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je poserai une question « macro » et une question « micro ».
Vous avez présenté les enjeux - 25 % d'économie d'énergie - et vous nous avez dit que vous arriviez au terme de la première étape des cinq ans. Avez-vous aujourd'hui une manière d'évaluer la politique que vous avez mise en place, de façon à avoir une vision quantitative et non plus seulement qualitative ?
Sur le plan « micro », disposez-vous d'évaluations des bâtiments ou des projets pour savoir comment se mettent en place vos politiques ? En gros, quand vous décidez de réaliser des économies d'énergie sur un bâtiment ou un groupe de bâtiments, mesurez-vous la mise en oeuvre des politiques que vous accompagnez ?
M. Denis Baupin . - Nous sommes parvenus au bout des cinq ans. Mais nous avons fixé le top départ de l'évaluation de la consommation d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre des territoires en 2004. Or le plan climat a été adopté en 2007. Par conséquent, lorsque l'on a réalisé cette photographie en 2009, le plan climat n'avait que deux ans. On constate cependant une diminution de 2 % de nos émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble du territoire, qui est notamment due à la politique de modalités et à un ensemble de politiques engagées avant même le plan climat. En effet, depuis 2001, nous menions une politique d'efficacité énergétique et de réduction de nos émissions.
Sur la politique des mobilités que j'ai conduite, l'évaluation réalisée par Airparif montre que la réduction de 25 % de la circulation automobile obtenue à Paris en sept ans a permis de réduire de 9 % les émissions de gaz à effet de serre dues aux déplacements. Il faut aussi tenir compte de la transformation des véhicules, etc. La tendance est bonne et la situation va plutôt dans le bon sens, mais c'est insuffisant.
Nous sommes en train d'affiner tous ces chiffres, mais, soyons honnêtes, dans certains secteurs, par exemple le transport de marchandises - certes, ce n'est pas l'électricité, mais ce sont des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire -, on ne sait pas du tout si on s'est amélioré. En effet, les statistiques sur lesquelles on s'est appuyé en 2004 pour réaliser cette photographie n'existaient plus en 2009 : l'INSEE ne produit plus un certain nombre de statistiques dont on aurait besoin pour réaliser nos évaluations. Il est des domaines dans lesquels nous sommes dans le noir absolu.
L'évaluation des bâtiments que l'on met en rénovation thermique reste à faire. Nous avons contractualisé avec Cerqual une évaluation a posteriori des travaux que l'on finance, notamment dans les logements sociaux. Pour le dire honnêtement, aujourd'hui, nous n'avons pas assez de recul pour savoir si tout se met en place correctement. Lorsque l'on construit du neuf et que nous avons des objectifs en matière d'efficacité énergétique, nous savons qu'il faut largement accompagner, expliquer les comportements à tenir afin d'éviter les effets rebonds qui font que, comme l'électricité coûte moins cher, on en consomme plus, etc. Là-dessus, nous n'avons pas d'évaluation globale. Cela fait partie de ce que nous souhaitons mettre en place dans une nouvelle version du plan climat.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Pensez-vous atteindre votre troisième objectif de 30 % d'énergies renouvelables ? Je pense que, en matière d'économie d'énergie, une ville comme Paris peut être très ambitieuse et atteindre l'objectif de 30 % qu'elle s'est fixé, mais, en matière d'énergies renouvelable, est-ce jouable ? Y croyez-vous ?
M. Denis Baupin . - En production locale, non. J'ai dit que l'on pouvait produire 5 % d'énergies renouvelables localement ; pour atteindre le reste, on peut acheter de l'électricité verte. Tout dépend du mix énergétique...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ah !
M. Denis Baupin . - C'est bien la question ! Notamment sur l'électricité, car même si nous produisons sur notre territoire une part de notre électricité avec des énergies renouvelables, cette part ne sera jamais majoritaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il faudra acheter des énergies renouvelables ailleurs.
M. Denis Baupin . - Une bonne partie de notre chauffage urbain est produite à partir des déchets. Nous sommes quasiment à 50 % de mix énergétique dans la CPCU aujourd'hui, mais pas encore. C'est pourquoi nous développons actuellement des projets sur la géothermie que j'ai évoqués, l'usine de biomasse, etc. Mais comme le chauffage par la CPCU représente entre 25 % et 30 % des immeubles, cela suppose de développer aussi notre réseau de chauffage urbain.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est l'usine d'incinération d'Ivry ?
M. Denis Baupin . - Il y en a un certain nombre d'autres.
M. Ronan Dantec . - Sans doute pourrez-vous nous fournir ce document parce que vous ne connaissez peut-être pas les chiffres par coeur. Je souhaite avoir une vision un peu globale de l'ensemble des flux financiers avec le concessionnaire, ERDF, y compris avec les taxes locales - amortissements, provision -, afin de comprendre comment tout cela s'articule. Vous pourriez nous fournir les chiffres pour nous permettre d'avoir une idée sur cette question.
Il est vrai que nous nous sommes assez peu intéressés, pour l'instant, à la part des taxes locales dans le prix de l'électricité. Or il est intéressant de le savoir, comprendre comment cela s'articule dans une grande ville comme Paris, par exemple. C'est un enjeu important en matière de taxes locales.
M. Denis Baupin . - Un rapport annuel est élaboré sur la concession et nous pouvons vous le transmettre. De la même façon, sur le plan climat, nous produisons chaque année un « bleu climat » qui permet d'avoir une évaluation de l'ensemble des actions. Nous pouvons évidemment vous transmettre ces documents - ils se trouvent également sur le site de la Ville de Paris - qui permettent d'avoir une évaluation.
M. Ronan Dantec . - Vous gardez un peu de recettes sur la taxe locale dans le budget général ?
M. Denis Baupin . - J'avoue mon incompétence. Je me suis plus intéressé aux questions d'énergie et d'efficacité énergétique qu'aux taxes. Mon collègue adjoint aux finances est très attentif à ces questions.
M. Ladislas Poniatowski , président. - Il y a automatiquement une part de la taxe d'électricité qui va directement à la Ville.
M. Ronan Dantec . - Oui, cela fait partie du prix de l'électricité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je remercie M. Baupin de la précision des chiffres qu'il nous a fournis. Il nous apporte un éclairage différent par rapport aux autres auditions que nous avons menées. Cela permet de savoir comment fonctionne une ville, quelle est sa politique énergétique, notamment en matière de réduction de consommation.
Nous pourrons certainement bénéficier de vos travaux dès que vous les transmettrez à la commission d'enquête. Sans organiser une nouvelle audition sur les points financiers posés par M. Ronan Dantec, peut-être pourrait-on avoir un document de quelques pages qui explique le différend qui vous a opposé à ERDF.
M. Ladislas Poniatowski , président. - Paris a servi de cobaye. Les provisions par ERDF ont été faites dans tous les départements français. Elles ont été validées de manière surprenante. Cela remontait à EDF, la maison-mère. On a tous suivi l'affaire.
M. Jean-Pierre Vial . - Sur la géothermie, je ne connaissais pas les capacités du XIX e arrondissement et de Paris. Je connaissais celles de l'Île-de-France, mais j'ignorais celles-là.
M. Denis Baupin . - La région de l'Île-de-France est la première au monde en matière de production de géothermie. Nous avons sous nos pieds une importante ressource dans ce domaine.
M. Jean-Pierre Vial . - Pouvons-nous avoir des documents pour avoir des précisions ? Je connais beaucoup de partisans de la géothermie.
M. Denis Baupin . - On peut faire à peu près quatre puits de cet ordre-là sur le territoire parisien. Cela signifie tout de même 4 fois 50 000 logements, soit 200 000 logements. En matière de contribution au chauffage, c'est extrêmement significatif pour le territoire.
Le puits de Paris-Nord-Est se trouve à la frontière avec Aubervilliers. Sur les 50 000 logements concernés, 12 000 concernent Paris et 38 000, Aubervilliers. Il s'agit donc d'une ressource partagée, métropolitaine. Dans le Val-de-Marne, de nombreux puits de géothermie existent.
M. Jean-Pierre Vial . - L'ancien président du CLER, le Comité de liaison énergies renouvelables, avait beaucoup travaillé sur la géothermie de Paris.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Baupin, je vous remercie.
Audition de M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext et d'EPEX SPOT
(9 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'ordre du jour appelle l'audition de M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext et d'EPEX SPOT.
Je vous remercie, monsieur Conil-Lacoste, d'avoir répondu à notre invitation.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
La commission a souhaité que la présente audition soit publique. Un compte rendu intégral en sera publié.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Jean-François Conil-Lacoste prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous propose d'entrer tout de suite dans le vif du sujet. Pour la bonne qualité de nos débats, M. le rapporteur, Jean Desessard, vous a communiqué un certain nombre de questions, qu'il va vous rappeler pour qu'elles soient bien enregistrées. Vous y répondrez dans l'ordre qu'il vous plaira.
Nous passerons ensuite aux questions des autres membres de la commission.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Conil-Lacoste, votre audition était très attendue, puisque vous êtes un acteur important dans la formation des prix de l'électricité.
Premièrement, pouvez-vous présenter Powernext ?
Deuxièmement, de manière plus générale, pouvez-vous présenter les différents marchés - spot , à terme - en France et dans les pays environnants ? Quel est le volume d'électricité échangée sur ces marchés par rapport à la consommation totale ? Quels sont les vendeurs et les acheteurs ?
Troisièmement, pouvez-vous donner des éléments statistiques sur la variabilité des prix selon les périodes - base, semi-base, pointe, extrême pointe -, en évoquant notamment deux périodes exceptionnelles, à savoir la pointe de prix pendant la canicule de 2003 et la période de froid de février 2012 ? Qu'en est-il dans d'autres pays européens tels que l'Allemagne ?
Par ailleurs, pouvez-vous expliquer le phénomène qui mène parfois à l'apparition de « prix négatifs » ? Selon vous, ce phénomène risque-t-il de se multiplier en Allemagne, voire en France ?
Enfin, quatrièmement, quel niveau les prix de l'électricité devraient-ils théoriquement atteindre en période de pointe pour rentabiliser les moyens de production ou d'effacement qu'il est alors nécessaire d'activer ? Ces niveaux de prix peuvent-ils être atteints dans la réalité ? Est-il exact qu'il existe un plafond de prix de 3 000 euros par mégawatt-heure pour les offres soumises sur Powernext ? Par quoi est-il justifié ?
Si le marché en volume ne convient pas aux situations de pointe, quel regard portez-vous sur le projet de mécanisme de capacité actuellement en discussion ?
Ce mécanisme doit-il prendre la forme d'un marché sur lequel s'échangent des garanties de capacité, au risque d'introduire une nouvelle source de variabilité des prix, ou bien une autre forme d'organisation serait-elle pertinente ? Serez-vous une partie prenante de ce marché, s'il est créé ?
M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext et d'EPEX SPOT . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à cette audition, qui permettra peut-être de clarifier un certain nombre de sujets. C'est bien volontiers que je vais tenter de répondre aux questions que M. le rapporteur vient de rappeler.
Pour faciliter la présentation de mon propos et le débat qui s'ensuivra, nous avons préparé un fil conducteur sous la forme d'un document relié, qui vous a été remis.
Je commencerai donc par répondre à la première question, qui porte sur l'historique et le rôle économique de Powernext.
Sans reprendre toute sa genèse, je dirai que Powernext est née du besoin d'organiser les échanges sur le court terme dans le cadre de la libéralisation du marché de l'électricité en Europe et, partant, en France, à la suite de la transposition en 2000 de la directive européenne de 1996 sur la libéralisation des marchés de l'énergie.
Ainsi, Powernext a été créée en 2001, juste après la mise en place de l'autonomie du gestionnaire du réseau de transport, RTE s'étant en quelque sorte émancipé d'EDF, et la création du régulateur de l'électricité, devenu depuis régulateur de l'énergie, lequel nous a portés sur les fonts baptismaux en juillet 2001.
Nous avons ensuite développé une référence de prix sur le marché français en participant à l'organisation d'un marché spot , sur le rôle duquel nous reviendrons, et également d'un marché à terme en 2004. Nous avons considéré, dans le cadre du processus d'intégration du marché européen, que le rapprochement avec nos partenaires allemands faisait sens. En 2008, avec mon homologue allemand, M. Menzel, nous avons donc fusionné nos activités électriques pour donner naissance à une nouvelle bourse, EPEX SPOT, dont je suis ici aussi représentant, en tant que directeur général, au même titre que de Powernext. Ces deux structures sont basées à Paris, au 5 boulevard Montmartre.
EPEX SPOT assume aujourd'hui l'organisation des marchés électriques spot day-ahead et intraday - je reviendrai plus tard sur le sens de ces termes - en France, en Allemagne, en Autriche ainsi qu'en Suisse, et apporte également un certain nombre de services à des bourses de pays de l'est tels que la Hongrie.
Néanmoins, son coeur de métier est la gestion des marchés organisés day-ahead et intraday , c'est-à-dire respectivement la veille pour le lendemain et le jour même, dans les pays que j'ai cités en premier. Sa fonction économique essentielle consiste donc à faciliter les transactions de court terme sur l'électricité en organisant la libre confrontation de l'offre et de la demande de la manière la plus transparente et la plus large qui soit. Il s'agit donc de rassembler un très large spectre d'acteurs, de sorte que le débat sur le prix se déroule de la façon la plus démocratique et pertinente possible.
De ce processus doit sortir quotidiennement un prix de référence de l'électricité spot en France pour chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain, lequel aide ensuite les acteurs économiques à prendre des décisions économiques en toute responsabilité.
Le rôle de la bourse est donc de faciliter l'accès à ce marché - faciliter l'accès aux urnes, en quelque sorte -, de développer la liquidité, et de faire en sorte qu'il y ait un véritable débat, profond, large et transparent au bénéfice du consommateur final.
En outre, les marchés gérés par EPEX SPOT permettent aux acteurs de préparer leur équilibre emplois-ressources. Chacun sait que l'électricité ne se stocke pas et qu'il faut donc équilibrer en permanence injection et soutirage. Le rôle de la bourse, puisque nous sommes maintenant dans un système horizontal et non plus vertical, est précisément d'aider à faire cet équilibrage, en fonction des réseaux électriques de transport, en France, en Allemagne, en Suisse et en Autriche.
Il est important de noter que le rôle de cette bourse, au-delà de dégager un prix de référence, est aussi d'équilibrer les réseaux de transport. Nous reviendrons plus tard sur l'aspect temporel de cette activité, entre le day-ahead , l'infra-journalier, etc.
Tout cela s'inscrit résolument dans le processus d'intégration du marché européen. Nous avons repris dans le slide 3 une citation de l'ancien commissaire européen à l'énergie, Andris Piebalgs, qui nous avait fait l'honneur de présider la conférence de presse au cours de laquelle nous avions annoncé la fusion des marchés électriques français et allemands au sein d'EPEX SPOT, bourse détenue, je le rappelle, à 50 % par Powernext et à 50 % par son homologue allemand EEX. Aux yeux de M. Piebalgs, il était très important qu'un prix de référence indiscutable se révèle à la suite d'un débat le plus large possible. À cet égard, il considérait le rôle de la France et de l'Allemagne comme absolument fondamental.
Par ailleurs, le Conseil européen a décidé, le 4 février 2011, que l'achèvement du marché intérieur de l'électricité était une priorité, afin de garantir à tous les citoyens européens une « énergie sûre, durable, financièrement abordable, raisonnable, dont l'approvisionnement est garanti » et qui contribue à la compétitivité européenne.
Dès lors, il a fixé un objectif particulièrement ambitieux en termes de calendrier puisqu'il ne s'agit de rien moins que de créer un marché intégré de l'électricité interconnecté pleinement opérationnel en 2014, c'est-à-dire demain. À cet égard, nous reviendrons sur le rôle que les bourses jouent au premier plan, avec les gestionnaires de réseaux de transport, dans l'élaboration de ce marché intégré, au travers du couplage des marchés. Nous verrons que le prix de référence aujourd'hui en France résulte aussi de ce couplage. À mon sens, on ne peut pas parler du marché français sans l'inscrire résolument dans cette dynamique européenne à laquelle on ne peut pas échapper, tout comme on ne peut pas échapper à une audition d'une commission d'enquête.
J'en viens au slide 4, qui détaille l'actionnariat de Powernext, détenteur de 50 % d'EPEX SPOT, et qui a remanié un peu son tour de table à l'occasion de la fusion de la fin de l'année 2007. La majorité de son capital est détenue par une holding de gestionnaires de réseaux de transport, dont RTE, qui y est majoritaire, les deux autres étant, depuis l'origine, Elia et TenneT, les gestionnaires de réseau belge et hollandais. Le reste des actionnaires, ce sont des acteurs du marché tels qu'EDF et GDF Suez. Par ailleurs, comme Powernext a cédé ses activités électriques en les plaçant au sein d'EPEX SPOT, elle se consacre désormais au marché du gaz français spot et à terme, lancé en novembre 2008. C'est la raison pour laquelle on retrouve au tour de table de Powernext les gestionnaires de réseau de gaz GRTgaz et TIGF, filiale de Total.
Côté EEX, il y a également eu un peu de remaniement, mais la majorité reste détenue par Eurex, filiale à terme de Deutsche Boerse. On constate donc un équilibre assez intéressant entre deux mondes : le monde financier, représenté par Eurex, qui a la majorité d'EEX, et le monde industriel électrique, représenté par les gestionnaires de réseaux de transport chez Powernext.
EPEX SPOT et Powernext ont leur siège social à Paris, tandis qu'EEX est basée à Leipzig, et ces sociétés sont très interactives. EPEX SPOT, qui compte quarante-cinq employés, reçoit notamment beaucoup d'aide de Powernext en matière d'IT - Information technology - et au plan commercial. Son chiffre d'affaires en 2011 a été de 34,3 millions d'euros. L'activité de la maison-mère, Powernext, se résume aujourd'hui à un suivi très rapproché d'EPEX SPOT, mais aussi au développement du marché du gaz et d'autres investissements. Elle compte trente-cinq employés, et a réalisé, en 2011, un profit net d'un peu plus de 5 millions d'euros.
Monsieur le rapporteur, j'en viens à votre deuxième question, qui concerne la place de la bourse dans la coordination temporelle du marché, illustrée par le slide 5. Il faut savoir que l'organisation du marché aujourd'hui en Europe n'est pas la même qu'en Australie ou au Japon. Dans ce dernier pays, le marché électrique est toujours verticalement intégré, mais les autorités réfléchissent à sa réorganisation, peut-être en s'inspirant du modèle européen. À cet égard, j'ai reçu récemment le directeur énergie et ressources naturelles du ministère de l'industrie japonais, que M. Pierre Bornard a, lui aussi, vu longuement.
En ce qui concerne l'Europe, nous sommes passés d'une organisation en silos, verticalement intégrée selon le schéma production-transport-commercialisation, à une organisation horizontale, au sein de laquelle ont d'abord été séparés la production et le transport. De ce fait, nous avons fait apparaître un marché de gros et ce qu'on appelle le trading , à savoir le négoce d'électricité pour fluidifier les échanges. C'est une organisation radicalement différente de celle qui prévalait autrefois en France et qui prévaut encore aujourd'hui au Japon, par exemple.
La pierre angulaire de ce dispositif est le marché spot veille pour le lendemain, que l'on appelle day-ahead . Nous organisons une enchère tous les jours de l'année, y compris les jours fériés. Aujourd'hui, l'heure de cette enchère est harmonisée avec celle de nos voisins dans le cadre du couplage des marchés européens. C'est à midi que cela se passe ! Nous allons bientôt avoir les résultats du jour, aux alentours de midi et demi. Tous les jours de l'année, une enchère réunit donc les offres et les demandes de mégawatt-heures, pour livraison sur chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain.
Ce marché est essentiel car il répond au tempo du réseau de transport, lequel a besoin, un jour à l'avance, de savoir comment équilibrer injection et soutirage. Il s'agit d'un grand rendez-vous, où l'essentiel des échanges va se faire dans les meilleures conditions économiques possible, pour faciliter la vie du gestionnaire de réseau de transport. Ce marché a donc d'abord une mission d'équilibrage en termes de volume, et le prix qui en sortira sera fonction des volumes qui vont se confronter sur chacune de ces vingt-quatre heures. Il s'agit vraiment de la pierre angulaire du marché.
Si un acteur a raté ce grand rendez-vous, il peut se rattraper sur ce que l'on appelle l'infra-journalier, lequel est encore relativement modeste, puisqu'il représente globalement 13 % des échanges sur les marchés interconnectés en Europe, mais seulement 5 % à 10 % en France. Ce marché, qui est continu et non à enchères, est accessible jusqu'à quarante-cinq minutes avant la livraison. Il donne ainsi une chance aux acteurs, qui n'ont pas pu équilibrer leur portefeuille emplois-ressources, de le faire dans des conditions économiques plus tendues. Et si ce n'est pas possible, au dernier moment, en raison d'un aléa ou parce qu'une production attendue n'a pas pu être réalisée pour des raisons techniques, le gestionnaire du réseau de transport intervient lui-même en temps réel, en utilisant ses réserves primaires, secondaires, tertiaires, à un coût qui va être indexé sur le prix spot , mais qui peut être extrêmement lourd pour l'acteur en déséquilibre.
Le pilier central est donc le marché day-ahead , veille pour le lendemain, où l'essentiel des échanges se fait, dans les meilleures conditions économiques possibles, grâce à un large débat sur le prix et les volumes. Puis intervient le recours au marché infra-journalier, lequel devient de plus en plus liquide, notamment à cause du renouvelable intermittent - on y reviendra plus tard -, grâce auquel il peut être procédé, au dernier moment, à ce qu'on appelle le fine-tuning . Cet outil va prendre de plus en plus d'importance. Après, le relais est transmis au gestionnaire de réseau de transport, qui, lui, va résoudre les derniers déséquilibres.
De l'autre côté du spectre se trouve le marché à terme, lequel va proposer des contrats en continu, qui peuvent être hebdomadaires, mensuels, mais surtout annuels. Ils permettent aux acteurs de se couvrir contre le risque de prix à échéance d'un mois, d'un trimestre, d'une année ou de deux années. C'est un marché à la logique totalement différente, mais EPEX SPOT ne s'en occupe pas. Nous n'intervenons que sur les marchés day-ahead et infra-journalier.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le marché day-ahead fixe-t-il un prix par heure ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Oui, pour chacune des vingt-quatre heures de la journée.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Est-ce pareil pour le marché infra-journalier ou est-ce par demi-heure ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - C'est par blocs d'heures et cela peut aller jusqu'à quarante-cinq minutes avant l'échéance. Nous avons introduit très récemment - la bourse a aussi cette utilité d'être un peu innovante et d'anticiper les besoins des acteurs - des contrats quinze minutes en Allemagne. La période retenue est de plus en plus réduite.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Voilà ! Cela permet d'adapter plus finement les tarifs.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Exactement !
Le slide 6 reprend un peu ce que nous venons de dire. Cette bourse de l'électricité organise, de manière centralisée, une confrontation multilatérale, anonyme, transparente, sécurisée, puisqu'il y a une chambre de compensation qui endosse le risque de contrepartie. Ces marchés peuvent donc accueillir des acteurs de taille modeste, qui auraient du mal à trouver une contrepartie sur le marché de gré à gré.
Finalement, le système permet au plus grand nombre d'acteurs de venir sur le marché pour échanger leurs mégawatt-heures. La bourse fixe donc un prix, une quantité, pour chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain, sur des produits qui sont standardisés et fongibles.
Les acteurs sont non pas les consommateurs finaux, mais les grossistes, en quelque sorte les grands électeurs. Il s'agit des acteurs de l'énergie européens. L'objet est évidemment d'organiser le marché en toute transparence, le régulateur pouvant procéder à des enquêtes pour vérifier s'il n'y a pas eu abus de position dominante. Mais, dans le cadre du marché organisé, nous sommes plus à l'abri de ce genre de dérives que dans le marché de gré à gré, lequel n'est pas transparent. C'est la raison pour laquelle le marché organisé a capté une très grande partie du marché de gros à court terme.
Le slide 7 décrit la chaîne de valeur créée par le négoce sur le marché de gros, où opèrent des traders, des brokers, des fournisseurs. Tout concourt à améliorer la fluidité entre la production et la consommation d'électricité, en passant par le transport. Il s'agit aujourd'hui d'un élément essentiel du market design européen, qui n'est pas le même, je le répète, dans tous les pays. Mais nous ne parlons pas ici de science exacte. Il nous faut rester très humbles dans la manière d'évaluer ce marché. En tout état de cause, la direction générale de l'énergie de la Commission européenne a déterminé cette voie pour faire avancer le marché intégré de l'électricité en Europe. Nous nous y conformons donc.
Les différents marchés gérés par EPEX SPOT sont décrits dans le slide 8. EPEX SPOT est effectivement au coeur de l'Europe, avec dix-neuf interconnexions. Nous sommes donc de tous les projets de couplage. Un tiers de notre effectif est complètement dédié aux projets de couplage européens. J'ai moi-même coprésidé pendant trois ans et demi le projet de couplage Centre Ouest Europe, qui a réuni France, Allemagne et Benelux.
L'ensemble des marchés couverts par EPEX SPOT représentent une consommation annuelle d'environ 40 % du marché de l'électricité de l'Union européenne, c'est-à-dire 1 200 térawatt-heures. Nous sommes donc un acteur essentiel, aux avant-postes de ce dispositif et, dans une certaine mesure, nous pouvons aussi influencer le débat.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Comment êtes-vous rémunérés ? Par commission, sur les échanges ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - La bourse se rémunère de deux manières. EPEX SPOT compte 209 membres qui paient une cotisation annuelle de l'ordre de 10 000 euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Cette cotisation est donc forfaitaire !
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Cela dépend des marchés qu'elle couvre. Je n'ai plus tout à fait le détail en tête, mais elle peut aller de 10 000 euros à 30 000 euros si l'on compte tous les marchés.
Ensuite, il y a une commission par mégawatt-heure échangé sur la bourse. Pour la France, elle s'élève à 7 centimes d'euro par mégawatt-heure, contre 4 centimes d'euro en Allemagne, en Suisse et en Autriche.
Sur le marché intraday , qui est un marché continu, différent, beaucoup moins liquide, elle est de 11 centimes d'euro du mégawatt-heure. Nous nous rémunérons donc aussi sur les quantités traitées. Évidemment, plus le marché est liquide, plus la bourse capte, mais, à ce moment-là, il y a forcément une pression des membres pour faire baisser les commissions. La bourse que nous représentons, qui est non pas obligatoire mais volontaire, est une entreprise privée cherchant à dégager du profit de façon à garder ses meilleurs éléments, à constamment innover. Je ne dirais pas que nous sommes représentatifs du reste des bourses européennes, qui composent un vrai patchwork , puisqu'on retrouve des bourses qui sont des monopoles d'État inscrits dans la loi, comme en Italie ou en Espagne, et des bourses ayant une licence exclusive, comme en Scandinavie, qui captent 80 % de la consommation de manière un peu obligatoire. Il y a donc, d'un côté, des pools obligatoires, et, de l'autre, des systèmes de bourses libres comme en Allemagne, en France, en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas.
Le slide 9 reprend les volumes d'électricité échangée sur EPEX SPOT et leur pourcentage par rapport à la consommation nationale. Vous voyez que le marché allemand représente la plus grande partie des échanges, avec 241 térawatt-heures, volume en hausse. En France, nous échangeons 61 térawatt-heures, ce qui représente 13 % de la consommation nationale, soit le tiers de la performance allemande, 39 % de la consommation nationale. En Suisse, le volume est de 12 térawatt-heures, soit 21 % de la consommation nationale.
Le marché intraday représente 1,7 térawatt-heure en France, sur les 61 térawatt-heures globaux. EPEX SPOT a traité au total, en 2011, 314 térawatt-heures, soit une croissance d'activité de 12,5 %, avec une très forte croissance sur le marché infra-journalier de 57 %. Cette performance nous situe comme le premier marché spot d'Europe avec Nord Pool Spot, qui est le marché couvrant l'ensemble des pays nordiques. Ce dernier a traité 315 térawatt-heures l'an dernier, mais cela représente 85 % de la consommation nationale des pays couverts et il a un chiffre d'affaires bien moins important que le nôtre.
D'autres bourses voisines ne figurent pas sur le graphique. C'est le cas d'APX-ENDEX, qui couvre la Belgique, les Pays-Bas, une partie du Royaume-Uni, et qui représente en 2011 environ 50 térawatt-heures, à comparer aux 314 térawatt-heures d'EPEX SPOT et aux 315 térawatt-heures de Nord Pool Spot.
Je ne vous cache pas que l'idée est d'essayer de créer une grande bourse couvrant la zone Nord Ouest Europe pour gérer ce marché intégré avec OMEL et GME, qui sont les monopoles couvrant la péninsule ibérique et l'Italie. Cette création serait de nature à simplifier les systèmes et la gouvernance. En effet, se retrouver autour d'une table avec trente parties prenantes, comme c'est le cas pour le projet Nord Ouest Europe, est de plus en plus compliqué.
J'en viens maintenant au slide 10, qui concerne les prix. Le marché de gros en France souffre d'un manque relatif de liquidité. Nous avons essayé de pallier ce défaut. Il est exact que le marché de gros en Allemagne représente dix fois le marché de gros français : 5 000 térawatt-heures contre 500 térawatt-heures. Sur EPEX SPOT, nous traitons 160 gigawatt-heures en moyenne par jour, alors que l'Allemagne traite 600 gigawatt-heures. Pourtant les consommations des deux pays sont relativement voisines : 583 térawatt-heures en Allemagne contre 486 térawatt-heures en France.
Vous connaissez très bien les raisons internes de ce déséquilibre au détriment de la France : un empilement de dispositions législatives, des tarifs réglementés beaucoup plus bas que le prix du marché, la loi NOME, etc.
Les volumes sur les trois marchés ont augmenté de façon considérable, comme vous pouvez le constater dans le slide 11. Les volumes infra-journaliers ont également beaucoup augmenté. En France, le fait d'être couplé avec des pays voisins, notamment l'Allemagne, a permis de doubler le marché infra-journalier et donc de renforcer la liquidité du marché.
Le slide 13 permet une comparaison avec les volumes traités en France en OTC, over the counter , soit de gré à gré. Vous voyez sur le graphique, en orange, les volumes traités par EPEX SPOT sur le day-ahead et, en bleu ciel, le volume traité en gré à gré. Il apparaît que 75 % des volumes day-ahead sont traités en bourse en France.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le gré à gré se fait indépendamment de vous ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Oui, en dehors de la bourse, par le biais de contrats bilatéraux. Les courtiers s'intéressent un peu moins au day-ahead qu'au marché à terme, plus rémunérateur, sur lequel les contrats annuels génèrent beaucoup plus de commissions. C'est donc plus rentable pour un courtier, qui s'intéressera moins à ce travail de fourmi qu'est le marché day-ahead , très compliqué, avec des couplages de marchés, etc. Certes, il existe toujours un marché de gré à gré, mais la part du marché organisé en France est passée progressivement de 30 % à 75 % du volume traité aujourd'hui.
Le slide 14 est une photographie des différents acheteurs et vendeurs qui peuvent intervenir sur les marchés d'EPEX SPOT. Il y avait, en avril 2012, 203 membres, provenant de 19 pays différents : des gestionnaires de réseaux de transport intervenant pour l'achat de leurs pertes mais également, en Allemagne, quand ils doivent verser le renouvelable de manière systématique sur la bourse ; des fournisseurs, avec ou sans actifs ; des courtiers en énergie, qui peuvent être des banques travaillant pour leurs clients industriels ; des traders purs, qui sont évidemment beaucoup moins présents sur le marché spot que sur le marché à terme. Le premier est en effet beaucoup plus industriel et il offre davantage de risques, en raison d'une volatilité importante, même si celle-ci s'est réduite grâce au couplage des marchés.
Je me permets juste une petite digression sur le risque TVA. Vous n'êtes pas sans savoir qu'une fraude à la TVA extrêmement importante touchant les marchés spot s'est révélée sur BlueNext. Nous sommes très vigilants sur ce sujet. La France est un peu à l'abri de ce genre de pratiques : en effet, les fraudeurs à la TVA, que nous avons vu opérer sur les marchés spot du CO 2 , ne se propagent pas sur les marchés de l'électricité et du gaz que nous gérons. Nous exerçons une surveillance et menons une lutte permanente contre ces phénomènes, qui seraient extrêmement dommageables, non seulement pour la réputation du marché, mais aussi pour la formation des prix.
Je reviens à mon propos. La moitié des membres sont en Allemagne et en Autriche, où il y a notamment beaucoup de stadtwerken , des municipalités, qui interviennent directement sur le marché.
Au milieu des trois cercles figurant dans le slide 15, vous voyez qu'il y a 49 membres intervenant sur l'ensemble des marchés que nous gérons, contre une vingtaine voilà quelques années. On constate donc un appel à la liquidité. La liquidité entraîne la liquidité et il est bénéfique de pouvoir regrouper, au sein d'une même structure, plusieurs marchés ayant le même système de négociation, le même système de compensation et les mêmes règles de marché. Cela constitue un facteur de développement de la liquidité.
Le slide 16 retrace l'évolution du prix spot en France entre 2001 et le premier trimestre 2012. Nous avons recensé une dizaine de pointes. Vous reconnaîtrez, complètement à gauche, celle qui correspond à la canicule de 2003, et, à droite, celle qui correspond au grand froid de février 2012, où nous avons connu des températures inférieures de 10 degrés aux normales saisonnières, avec un record de consommation de près de 102 000 mégawatts. Vous retrouvez plus de détails dans le slide 17 : vous y remarquerez une tendance à la hausse progressive du prix spot de l'électricité en France, laquelle est cependant nettement moins accentuée que la tendance à la hausse du brent . Il y a une corrélation à 82 % avec les prix du brent résultant logiquement de l'appel en dernier recours aux centrales thermiques, qui sont calées sur le prix du brent pour la gestion des heures de pointe.
Mais il est intéressant d'observer qu'il y a eu une stabilisation, voire un recul du prix de l'électricité en France en 2010-2011, alors qu'il y a eu une envolée du prix du brent sur la même période. Dans la colonne ratio volatilité/prix base, vous remarquez une stabilisation de la volatilité à 13 %. Il s'agit d'un effet du couplage des marchés mis en place entre la France, l'Allemagne et le Benelux en novembre 2010, lequel a entraîné un prix unique sur 60 % à 65 % de l'ensemble des heures traitées. Il y a donc non seulement un effet positif de lissage des marchés, mais également des bénéfices clairs en termes de fluidité d'importation et d'exportation.
Les prix allemands et français ont fait le yo-yo, les premiers étant tantôt inférieurs, tantôt supérieurs aux seconds. La hausse des prix constatée aujourd'hui par rapport à l'Allemagne - nous sommes en moyenne, au 30 avril 2012, à 53 euros du mégawatt-heure contre 44 euros outre-Rhin - s'explique par le fait que la France a plus souffert des pics de prix du grand froid, avec une hausse du prix de la base, c'est-à-dire la moyenne des vingt-quatre heures de la journée, à 82 euros. Nous avons connu une pointe le 9 février à 367 euros du mégawatt-heure et nous avons alors été contents de pouvoir importer d'Allemagne, d'Angleterre, d'Italie, d'Espagne, pour limiter la hausse. L'Allemagne, pour sa part, a connu une pointe, le 9 février, limitée à 76 euros du mégawatt-heure. C'est la conséquence à la fois d'un mix énergétique différent, d'un appel à des centrales plus facilement mobilisables, mais également de la liquidité plus importante du marché en Allemagne.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Sur le marché à terme, les prix de l'électricité sont négociés de gré à gré, donc ils peuvent être différents en Allemagne, selon le producteur. Mais là, on parle du marché day-ahead . Je croyais qu'une bourse gérait l'ensemble de l'Europe. Or vous nous dites que les prix sont différents en France et en Allemagne. Il me semble pourtant qu'ils devraient s'harmoniser.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Il faut que j'entre un peu dans les détails du couplage de marchés. Sur les marchés à terme, il y a quand même des marchés organisés, qui représentent peut-être 20 % du marché de gros.
Pour revenir à votre question, il faut savoir que le couplage des marchés fait que, aujourd'hui, nous utilisons à 100 % les capacités mises à disposition par les gestionnaires de réseaux de transport chaque jour, sur les frontières allemande, française, belge, dans le cadre des pays interconnectés, ce qui n'était pas le cas autrefois, puisque nous en utilisions 30 % voire 40 %. Cela représente un gros travail des gestionnaires de réseaux de transport, puisqu'il faut qu'ils se coordonnent entre eux, tout en s'assurant qu'ils ne mettent pas en péril l'approvisionnement et, partant, la sécurité de leur pays. Tous les matins, ces capacités sont mises à notre disposition et nous les intégrons dans nos carnets d'ordres. Jusqu'à épuisement de ces capacités, nous avons un prix unique sur l'ensemble des zones interconnectées. C'est pourquoi je parlais d'une convergence des prix pour 60 % à 61 % de la zone interconnectée. Mais, dans les situations de tension, des goulets d'étranglement et des phénomènes de congestion apparaissent. À ce moment - là, vous retrouvez des prix individualisés en France, en Allemagne, etc. Nous étions là dans le cas typique où les interconnexions n'ont pas suffi pour que l'on ait un prix unique.
M. Jean Desessard, rapporteur . - D'accord, c'est la limite technique des capacités de transport.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Vous avez raison, c'est la limite technique de capacité de transport, mais nous avons fait un énorme progrès puisque, autrefois, nous vendions ces capacités séparément et elles n'étaient pas nécessairement utilisées à 100 %. Aujourd'hui, nous les intégrons dans les carnets d'ordres des bourses liquides, quand elles existent. Nous épuisons donc ces capacités, ce qui suffit parfois pour obtenir un prix unique.
M. Ronan Dantec . - Si je peux me permettre, je pense que ce n'est pas la seule raison. Cette différence de prix final vient aussi du fait que les Allemands et les Français n'achètent pas au même moment. En effet, c'est parce qu'il y a un achat plus régulier en Allemagne et plus en pointe en France que le prix moyen, au final, n'est pas le même.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Quand les marchés sont interconnectés - le couplage des marchés va très bientôt s'étendre à d'autres zones, telles que les pays scandinaves, la péninsule ibérique, l'Italie, etc. -, il y a une confrontation de l'offre et de la demande sur le territoire le plus large possible. Vous allez donc chercher la meilleure offre et la meilleure demande, qu'elles soient en Allemagne ou en France. Le débat sur le prix est alors beaucoup plus large. S'il y a suffisamment de capacités aux interconnexions, le même prix sera proposé. L'offre en Allemagne est forcément différente de l'offre en France. À un moment donné, il va y avoir beaucoup de vent en Allemagne et un grand nombre de producteurs d'éolien vont alors déverser sur le marché cette « énergie fatale », qui va bien répondre à un besoin de pointe en France. Cela renvoie à la question sur les prix négatifs, notion qui peut paraître insolite et dont nous parlerons plus tard.
Mme Mireille Schurch . - Si je comprends bien, le prix est plus élevé en France parce que nous gérons moins bien les pointes, même si les tarifs sont convergents pour 60 % de la zone interconnectée. Est-ce ce qui explique que les prix soient moins élevés en Allemagne en 2010, en 2011 et en 2012 ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - En 2011, les tarifs ont été, en moyenne, légèrement plus élevés en Allemagne.
Mme Mireille Schurch . - Certes, mais les prix sont-ils généralement plus bas en Allemagne parce que les Allemands savent mieux gérer les pointes en recourant aux énergies renouvelables ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - C'est un des facteurs. En France, il y a une sensibilité très forte du consommateur final, notamment en raison de l'importance du chauffage électrique. C'est le premier point.
Cela dépend aussi, deuxième point, des conditions météorologiques. Effectivement, il est utile de pouvoir mobiliser les centrales éoliennes, les wind farms , pour répondre à un besoin de pointe dû à une variation de température inattendue d'un degré. L'Allemagne peut le faire, pas la France, car notre pays ne dispose pas suffisamment d'outils de production mobilisables au dernier moment.
Le troisième point, c'est la liquidité du marché. En Allemagne, la confrontation de l'offre et de la demande est beaucoup plus large qu'en France, où le marché libre représente un tiers de la consommation. Le reste est capté au travers de contrats bilatéraux, de tarifs réglementés, etc.
Les conditions météo, le mix énergétique différent et les différences de liquidité du marché expliquent le différentiel de prix entre les deux pays. Pourquoi les tarifs ont-ils été plus élevés en Allemagne en 2011 ? En raison du moratoire, de l'après-Fukushima et de l'arrêt brutal de sept centrales nucléaires. Les prix ont significativement augmenté à la fois sur le spot et sur le terme. Néanmoins, cette hausse a été relativement bien absorbée par le marché grâce à l'interconnexion.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous abordez un point essentiel. Vous nous avez expliqué que la bourse reposait sur la liberté des échanges : pour que les prix soient parfaits, les échanges doivent l'être également.
Les difficultés liées au réseau constituent donc la limite technique du système. Tant que les réseaux permettent la liberté des échanges, le prix est le même sur tout le périmètre. Mais à partir du moment où il existe des contraintes techniques, c'est-à-dire de réseau, la bourse ne peut plus garantir le même prix pour tout le monde.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Dans ce cas, l'offre et la demande redeviennent nationales.
M. Ronan Dantec . - Je suis désolé d'insister, mais ce n'est pas la seule raison qui explique la différence de prix puisqu'il s'agit d'un tarif moyen.
L'autre raison est que les Français et les Allemands n'achètent pas à la même heure ni le même jour. Les conditions de marché ne sont donc pas les mêmes.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Bien sûr ! Le profil de consommation allemand est différent du nôtre. J'ai évoqué tout à l'heure l'importance du chauffage électrique en France. Par ailleurs, nos voisins Allemands dînent plus tôt que nous, par exemple.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il va falloir changer nos heures de repas ! ( Sourires .)
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Vous touchez du doigt la limite de l'exercice. Créer un marché intégré et interconnecté de l'énergie pour la fin de 2014 nécessite que les gestionnaires de réseaux de transport réalisent un gros travail de coordination entre eux pour définir la plus grande capacité possible aux frontières. Or, comme l'électricité ne suit pas un chemin commercial, comme il y a des loop flows , le travail est compliqué. Il faut recourir à des algorithmes de plus en plus raffinés, c'est le flow based .
Arriverons-nous à mettre en place l'Europe de l'électricité ? Le chemin à parcourir est encore long.
Quoi qu'il en soit, il est déjà positif que les trois quarts du temps nous ayons un prix unique et que nous puissions bénéficier du mix énergétique européen. Cela nous permet d'aller chercher chez nos voisins ce qui fait défaut chez nous à un moment donné.
Le processus d'intégration a forcé la coopération entre les gestionnaires de réseaux de transport, entre les bourses, entre les bourses et les gestionnaires de réseaux de transport. Il a obligé à des rapprochements entre gestionnaires de réseaux de transport. Un Belge a racheté un gestionnaire allemand, par exemple. La bourse française a fusionné avec la bourse allemande, etc.
Ces processus vertueux nous conduisent, au bout du compte, à plus d'efficacité. N'oublions pas que la captation des actuels différentiels de prix aux frontières représente des centaines de millions d'euros par frontière et par an. Le social welfare grâce au couplage des marchés bénéficie au consommateur final. Dans le même temps, le couplage renforce globalement la sécurité du dispositif. Le couplage avec l'Italie, lorsqu'il sera réalisé, permettra de capter annuellement 120 millions d'euros.
C'est donc un exercice difficile. EPEX SPOT s'inscrit dans cette dynamique.
Slide 18 : j'ai évoqué le bénéfice que l'on pouvait tirer de ces couplages. En ce qui concerne le prix spot en Allemagne, après le tournant énergétique, la hausse a été assez significative, mais les tarifs se sont ensuite stabilisés. Malgré l'arrêt des centrales, le prix spot est inférieur en Allemagne par rapport à 2008 et à 2009.
Slide 20 : j'ai déjà évoqué la sensibilité du marché français au chauffage électrique pour les pics de prix en France.
Les prix négatifs, en France et en Allemagne, sont directement liés, selon moi, à l'introduction sur le marché d'une grande quantité de renouvelables - éolien et solaire -, notamment en Allemagne. Avec la nouvelle loi allemande EEG sur les énergies renouvelables, qui date du 1 er janvier 2010, si ma mémoire est bonne, les volumes échangés devraient augmenter de 90 térawatt-heures. Les gestionnaires de réseaux de transport ont la charge de vendre, par le truchement du marché organisé, tout le renouvelable.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est une obligation ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Tout à fait ! La loi EEG a connu des évolutions, mais cela reste une obligation.
Actuellement, le renouvelable représente en Allemagne 20 000 mégawatts. L'objectif est d'atteindre les 80 000 mégawatts, ce qui est considérable.
Slide 21 : le prix négatif représente le coût supporté par un producteur d'électricité thermique en cas d'arrêt de sa centrale. Vaut-il mieux arrêter la centrale ou vaut-il mieux payer pour continuer à fonctionner tout en laissant la priorité au renouvelable ?
Les prix négatifs sont assez rares. Il y a eu dix-sept cas de prix négatif en Allemagne en 2010 et quinze cas en 2011. Le phénomène est donc relativement marginal.
De manière surprenante, en raison de la profondeur du marché et du couplage, les prix négatifs ont été moins élevés que ce que l'on aurait pu craindre. Ils ont atteint 100 euros ou 200 euros le mégawatt-heure et non les 1 000 euros ou 2 000 euros redoutés.
Le principe est de décourager, par le prix, la production thermique pour laisser la priorité à l'éolien.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous remercie de votre explication, monsieur Conil-Lacoste.
Si je vous comprends bien, l'Allemagne produit beaucoup d'éolien, d'où l'obligation d'achat. On demande alors aux centrales thermiques d'arrêter leur production. Si un producteur préfère continuer à produire, parce que l'arrêt de sa centrale lui coûterait trop cher, il paie pour injecter sa production dans le réseau. Où va cette électricité si elle est de trop ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Elle trouvera toujours preneur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Parce qu'elle n'est pas chère ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Tout à fait.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Les Suisses, par exemple, l'achètent pour reverser de l'eau dans les barrages supérieurs ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Voilà !
Les prix négatifs sont surprenants, mais cette pratique fait intellectuellement et économiquement sens. Le phénomène est entré dans les moeurs, a été accepté et fait maintenant partie des target models .
J'ai évoqué le couplage des marchés. Aujourd'hui, où en sommes-nous ? Centre-Ouest Europe est opérationnel depuis novembre 2010 et fonctionne bien.
En plus de sa mission d'établir les prix de référence sur la France, l'Allemagne, etc., EPEX SPOT est chargé environ les trois quarts du temps de réaliser le couplage. C'est un rôle important et une lourde responsabilité. De nombreux systèmes sont interfacés et les moyens technologiques mis en oeuvre sont complexes.
La prochaine étape est Nord-Ouest Europe. Le projet, en cours de réalisation, est de greffer sur Centre-Ouest Europe les pays scandinaves et le Royaume-Uni, puis la péninsule ibérique et l'Italie, puis l'Est. EPEX SPOT sème déjà quelques graines à l'est : nous opérons tous les jours sur le marché hongrois pour le compte de la bourse hongroise, HUPX, que nous avons contribué à mettre sur pied. Nous opérons à faibles coûts.
Dans le même temps, nous allons mettre en place un couplage entre la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie, en répliquant ce que nous avons déjà fait entre la France, la Belgique et les Pays-Bas.
Par conséquent, nous anticipons et nous préparons le terrain. EPEX SPOT joue un rôle important à cet égard.
Quel niveau de prix en période de pointe pour rentabiliser les moyens de production ? Et quid du marché de capacité ?
M. le rapporteur m'a interrogé sur le plafond-prix. Il est effectivement de 3 000 euros par mégawatt-heure sur le day-ahead et de 10 000 euros par mégawatt-heure sur le marché infra-journalier. Ces deux plafonds sont le fruit d'une approche pragmatique. Il s'agit, avant tout, de plafonds techniques. Ils ont été heureusement très peu atteints. Ils sont comparables aux plafonds pratiqués ailleurs. Mais nous avons peut-être donné un peu donné le la... Cependant, s'agissant d'une enchère aveugle, sur le day-ahead , s'il n'y avait pas de plafond, sans parler de la contrainte technique, logicielle, ou s'il était trop élevé, cela pourrait coûter des fortunes !
Si le plafond de 3 000 euros était atteint régulièrement, il faudrait peut-être songer à le relever pour le fixer à 4 000 euros ou à 5 000 euros. Pour l'heure, le seuil de 3 000 euros est une limite à la fois nécessaire sur le plan technique, cohérente par rapport au fonctionnement du marché et harmonisée. Il est le fruit d'une concertation avec l'Allemagne et le Benelux. Néanmoins, le plafond reste révisable en cas de problème.
En ce qui concerne le marché de capacité, nous avons pris part à la consultation organisée par RTE. C'est un sujet difficile. La mise en place d'un tel marché est prévue par la loi NOME.
Évidemment, si cela lui était demandé, EPEX SPOT serait prêt à mettre en place un tel marché. J'attire simplement votre attention sur deux points.
Premièrement, ce mécanisme ne doit pas interférer avec le marché de l'énergie ni venir perturber le libre jeu de l'offre et de la demande, car cela pourrait entraîner un amoindrissement de la qualité de la formation du prix.
Deuxièmement, il est important que de tels projets fassent l'objet d'une concertation avec nos partenaires afin d'éviter la mise en place de mécanismes incompatibles. Ce qui est réalisé en France doit également être réalisé en Allemagne.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Quelle est votre crainte par rapport aux interférences ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Je le répète, la bourse s'adapte au contexte législatif. À titre personnel, il me semble donc préférable d'avoir le débat le plus large possible sur l'offre et la demande, quitte ensuite à ce que des facteurs correctifs soient mis en oeuvre pour protéger les populations les plus vulnérables, les électro-intensifs, etc. Tout élément venant perturber le débat est de nature à l'appauvrir.
Nous avons réussi à surmonter le problème grâce au couplage des marchés et à la liquidité du marché français, qui est suffisante. Arrêtons, néanmoins, de ponctionner la liquidité du marché de gros français, faute de quoi nous finirons par devenir un satellite de la formation du prix européen et nous ne pourrons plus intervenir.
Il y a beaucoup de débat sur l'intérêt d'un marché de capacité. J'avoue que nous n'avons pas d'idée très arrêtée sur la question. Comme je l'ai souligné, deux points me paraissent importants : veiller à ce que le mécanisme mis en place ne vienne pas amoindrir le débat sur le prix de l'énergie et s'assurer de la cohérence des projets à l'échelle européenne.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous avez évoqué les électro-intensifs, qui prennent une part importante dans le déséquilibre du marché. C'est un sujet éminemment politique que je n'aborderai pas. Je préfère me cantonner à l'aspect technique du problème.
J'ai bien compris que la capacité des réseaux constituait une limite technique à la liberté du marché. Vous avez indiqué qu'EPEX SPOT intégrait les capacités du réseau en amont et calculait avec vos logiciels les capacités à mettre sur le marché. Vous avez également souligné que la différence entre la France et l'Allemagne résidait dans le fait que le marché français est fortement impacté par les prix réglementés. Au cours d'autres auditions, nous avons demandé si les prix réglementés pouvaient venir perturber le marché du CO 2 .
La question est technique et politique : devons-nous abandonner les prix réglementés et les remplacer par un prix du CO 2 fixe, qui viendrait récompenser les politiques vertueuses ? Cela ne serait-il pas plus facile à gérer au niveau des bourses, avec un marché européen plus facile à organiser puisque la valeur CO 2 serait une valeur de référence au niveau de la bourse, alors qu'aujourd'hui ce prix du CO 2 est en train de s'effondrer ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Je serais tenté de répondre oui, mais la réflexion mérite d'être approfondie.
Actuellement, les prix sont réglementés, ce qui, incontestablement, vient perturber le jeu de la libre confrontation de l'offre et de la demande. Pour des raisons historiques, je ne mésestime pas la difficulté qu'il y aurait à résoudre le problème. De mon point de vue, nous ne trouverons pas la solution d'un simple coup de baguette magique. Le fossé qui s'est creusé est beaucoup trop important. Il serait peut-être bon d'avoir une vision à dix ans sur le sujet.
En ce qui concerne le CO 2 , aujourd'hui, il est clair que nous avons atteint les limites du dispositif actuel, puisque c'est mettre des mécanismes de marché à disposition, au service d'une politique étatique, européenne, mais qu'il y a maintenant surabondance de l'offre. On a un prix du CO 2 qui ne répond plus à sa vocation d'origine, laquelle était d'inciter à réaliser des économies d'énergie ou à utiliser des moyens de production moins consommateurs de carbone.
Aujourd'hui, on a tout faux sur le CO 2 ! Soit on retire du marché un certain nombre de permis d'émission, on fait du set aside ; on est en train d'en discuter au niveau de la Commission européenne. D'autres évoquent un prix plancher. Je répugne toujours à l'instauration de prix planchers et de prix plafonds. Certes, le prix de 3 000 euros par mégawatt-heure sur le day-ahead est un plafond, mais il est technique.
Avec le prix du CO 2 , nous nous trouvons à l'articulation de deux mondes difficilement compatibles : la libre confrontation de l'offre et de la demande, et dans le même temps une récession inattendue ! En raison de la surabondance des offres de quotas d'émission, le prix du CO 2 est tombé à 6 euros la tonne, sans parler des déboires en matière de fraude à la TVA.
À tout prendre, je préférerais que le débat sur le prix de l'énergie soit le plus démocratique possible et que nous fassions preuve d'un certain volontarisme pour le prix du CO 2 . Cela étant, est-ce politiquement acceptable ? Une telle option ne viendrait-elle pas ruiner la compétitivité ? La question doit être envisagée sur le long terme et le problème ne sera pas réglé d'un seul coup de baguette magique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Le marché spot a sa logique. Globalement, les capacités de production et de consommation s'équilibrent, puis le marché ajuste.
Néanmoins, vous l'avez souligné, nous allons vers un déséquilibre énorme en matière de puissance installée. En raison de la marche forcée vers le renouvelable en Allemagne ou au Royaume-Uni - les investissements annoncés d'ici à 2020 sont de l'ordre de 250 milliards d'euros -, de plus en plus d'éolien amorti va arriver sur le marché. Comment voyez-vous l'évolution du marché ?
Globalement, les prix, qui n'ont pas trop évolué ces dernières années - ils oscillent entre 40 euros et 50 euros -, vont se maintenir, mais les périodes de prix négatifs n'augmenteront-elles pas considérablement ? Cela n'aura-t-il pas des conséquences pour la France, qui est surtout un producteur de base ? N'allons-nous pas nous retrouver de plus en plus souvent avec de l'électricité sur les bras ? Devons-nous nous attendre à une forte variabilité des prix sur le marché spot , notamment à des hausses importantes quand il n'y a pas de vent ni de soleil ?
Vous devez forcément avoir une idée sur la question...
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Il est toujours difficile d'anticiper l'évolution des prix. Notre métier à nous est seulement d'organiser le vote. Qu'est-ce qui sortira des urnes ? C'est très difficile à dire ! En tout cas, ce n'est pas notre métier. Néanmoins, et à titre personnel, j'accepte bien volontiers de me prêter à l'exercice.
Selon moi, le problème est le manque d'harmonisation et l'absence de politique européenne en matière de mix énergétique. Chaque pays y va de son bouquet 20-20-20, pour simplifier, à coups de subventions très lourdes. Il faut ensuite absorber tout cela. Il serait tout de même bien, à un moment donné, d'avoir un peu de cohérence et une politique énergétique européenne qui tienne compte des atouts des uns et des autres et qui ne duplique pas nécessairement l'éolien ou le solaire sur tous les territoires, qu'il y ait du vent ou pas, qu'il y ait du soleil ou non !
En ce qui concerne le secteur de l'énergie, comme dans beaucoup d'autres domaines en Europe, nous nous trouvons aujourd'hui au milieu du gué. Nous assistons à l'émergence d'une très forte volonté d'intégrer le marché, de mettre en place un marché intérieur puissant, générateur de prix incontestables, mais, dans le même temps, en périphérie, on continue à mener des politiques de subventions en faveur d'un certain nombre d'outils de production.
Toutes choses égales par ailleurs, si l'on considère que la consommation n'augmentera pas, parce que nous sommes dans un cycle économique difficile, l'avalanche de ces nouvelles capacités pèsera nécessairement sur les prix.
M. Ronan Dantec . - Nous orientons-nous plutôt vers une baisse tendancielle du prix spot ou vers une baisse moyenne, mais avec une variabilité extrêmement importante ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Non, il n'y aura pas de forte variabilité. Plus les marchés seront couplés, plus les tarifs seront amortis.
M. Ronan Dantec . - Donc, vous pensez qu'il y aura une tendance à la baisse du prix spot ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Tout à fait, mais peut-être s'agit-il d'un voeu pieux ?
M. Ronan Dantec . - Non, c'est également la prévision que j'ai pu lire par ailleurs.
Mme Mireille Schurch . - Je souhaite rebondir sur la question posée.
De 2001 à 2011, soit en dix ans, le prix spot pour les consommateurs est passé de 38 euros à 48 euros, soit une hausse de 25 %. Jugez-vous cette augmentation importante ou la trouvez-vous raisonnable ?
En parallèle, les actionnaires ont-ils bénéficié d'avantages importants au cours de la même période ? Jusqu'à présent, nous avons parlé du consommateur. Quid des actionnaires ?
Par ailleurs, ma question rejoint celle de mon collègue : quelle visibilité avez-vous en ce qui concerne l'évolution des prix ?
Pour ma part, je ne trouve pas qu'une hausse de 25 % en dix ans soit anodine.
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Cette augmentation est le résultat de la confrontation entre l'offre et la demande. Elle s'explique par une hausse significative de la consommation, par des besoins de pointe plus importants, par le recours à des centrales marginales dont le coût de production est indexé sur le prix du pétrole ou du charbon. La qualité de la formation de ces prix ne m'inspire aucune défiance, car elle est le fruit du jeu « démocratique » - c'est le mot qui me paraît convenir - entre l'offre et la demande. À partir du moment où vous avez un grand nombre d' « électeurs » qualifiés, informés, il faut croire en la qualité de ces prix.
La tension entre l'offre et une demande, toujours croissante, s'est atténuée au cours des derniers mois ou des deux dernières années puisque nous nous trouvons maintenant dans un cycle de croissance beaucoup plus modeste. Par ailleurs, nous disposons de plus d'outils de production dans le renouvelable, ce qui a permis d'amortir le retrait de sept centrales nucléaires allemandes.
La prospective n'est pas mon métier, mais je veux bien essayer d'anticiper. Je l'ai dit à M. Dantec, la tendance, selon moi, toutes choses égales par ailleurs, sera plutôt de contenir les prix de l'électricité.
Quant aux actionnaires d'EPEX SPOT, ils ne font pas leur miel des résultats de la bourse. Nous sommes une toute petite entreprise. Certes, elle a pris de la valeur, et je m'en réjouis, mais au regard de la puissance économique d'un EDF, d'un Enel ou d'un Total, c'est une goutte d'eau, même pas dans un vase, dans un océan !
Notre motivation de départ n'est pas le profit, elle est d'aider à mettre en place un outil qui serve l'intérêt collectif.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je poserai trois questions.
Premièrement, vous avez évoqué les fraudes à la TVA. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots comment les fraudeurs opèrent ?
Deuxièmement, comment se fait au quotidien la gestion du prix ? De la veille pour le lendemain, et pour telle ou telle tranche horaire, les producteurs vous annoncent un prix de vente, des acheteurs vous proposent un prix d'achat et vos logiciels font la balance entre l'offre et la demande ? Pouvez-vous, en quelques mots, nous expliquer le processus ?
Troisièmement, quels moyens de production fixent les prix ? S'agit-il du thermique, de l'éolien ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - En ce qui concerne la fraude à la TVA, jusqu'à présent, la taxe était captée par le vendeur dans le cadre de sociétés fictives créées à seule fin d'organiser la fraude. Le principe est d'encaisser la TVA et de ne jamais la reverser à l'État français.
Grâce à la mise en place du reverse charge , c'est maintenant l'acheteur qui s'acquitte de la TVA, ce qui résout le problème en France pour le CO 2 , ainsi que plus récemment pour l'électricité et le gaz. Mais ça ne résout pas le problème en Slovaquie ou ailleurs. Comme nous opérons sur des marchés de plus en plus intégrés et connectés, il faut être très vigilant. Il serait utile de mettre en place au niveau européen le reverse charge instauré en France, d'autant que les sommes dilapidées sont importantes.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce sont des pirates ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Des escrocs absolus ! C'est du grand banditisme, ce sont des mafias importantes !
En ce qui concerne votre deuxième question, nous procédons au niveau du marché day-ahead par l'interpolation linéaire de deux courbes agrégées d'offres et de demandes. Chacun de nos membres envoie un carnet d'ordre pour chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain avec des quantités et des prix correspondant à la rationalité économique de son activité. Cette grille très précise forme une courbe agrégée d'offres et de demandes pour chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain. Par interpolation linéaire, on obtient un prix et un volume d'équilibre pour un instant donné.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quand le prix et le volume d'équilibre est atteint, la production de ceux qui vendent au bon prix est achetée ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Exactement !
Quant à votre dernière question, je crains de ne pouvoir y répondre précisément, car je n'ai pas les statistiques en tête.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous avez évoqué l'approvisionnement en période de pointe en provenance de l'Allemagne. Pouvez-vous nous dire quelle est la part dans cette production du fossile, de l'éolien et des énergies renouvelables ?
M. Jean-François Conil-Lacoste . - Je ne peux pas répondre à cette question pour l'instant. Quand le mécanisme de garantie d'origine sera mis en place, il sera alors possible de connaître l'origine de l'énergie produite. Dans l'immédiat, il s'agit d'un pot commun : nous avons affaire à un mégawatt-heure fongible, neutre, sans identité.
M. Jean-Pierre Vial . - Nous irons chercher l'identité, car elle existe !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Conil-Lacoste, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de MM. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat et Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie, au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement
(9 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et de M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie.
Notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a utilisé son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cet objectif nous amènera, notamment, à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés » qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête avait auditionné, le 7 mars dernier, M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Dans le prolongement de cette audition, nous avons jugé utile d'entendre à leur tour MM. Chevet et Abadie, afin d'obtenir certaines précisions.
Messieurs, je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique ; un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Messieurs, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dire : « Je le jure. »
( MM. Pierre-Franck Chevet et Pierre-Marie Abadie prêtent successivement serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que MM. Chevet et Abadie auront ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourront leur poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le président, les questions que nous avons adressées à la direction générale de l'énergie et du climat sont extrêmement techniques.
Première question : lors de son audition devant la commission d'enquête, M. Besson a déclaré que les ménages, dans les autres pays d'Europe, payaient leur électricité en moyenne près de 40 % plus cher qu'en France - et même 85 % plus cher en Allemagne ! Il a également comparé les factures moyennes annuelles entre la France et l'Allemagne.
Pouvez-vous nous transmettre le détail des chiffres sur lesquels vous vous êtes appuyés pour établir cette comparaison, en distinguant entre consommateurs particuliers et entreprises, et en différenciant les diverses composantes de la facture - production, acheminement, soutien aux énergies renouvelables, charges et taxes ?
Deuxième question : lors de son audition devant la commission d'enquête, M. Besson nous a communiqué des chiffres sur le coût de production d'un mégawatt-heure pour les filières éolienne terrestre et solaire.
Pouvez-vous nous transmettre le détail des chiffres sur lesquels reposaient les estimations pour ces filières, ainsi que pour l'éolien en mer, les centrales thermiques à combustible fossile et l'hydraulique, en distinguant en particulier l'investissement initial, l'exploitation et la maintenance, le coût prévisionnel de démantèlement ?
Pour l'éolien et le photovoltaïque, pouvez-vous retracer l'évolution du coût moyen constaté ces dix dernières années ?
Troisième question : pouvez-vous nous transmettre des chiffres sur la précarité énergétique - nombre de personnes et de foyers concernés, évolution -, sur les tarifs sociaux - mécanismes, montants concernés - et éventuellement sur les autres dispositifs d'aide - fonds d'aide à la rénovation thermique, etc. ? Disposez-vous d'éléments chiffrés sur la corrélation entre revenu et consommation électrique ?
Pouvez-vous nous transmettre, conformément à l'engagement pris par M. Besson lors de son audition, des données chiffrées sur le mode de chauffage des foyers concernés ?
Quatrième question : pouvez-vous nous transmettre des éléments chiffrés sur l'évolution du prix du CO 2 depuis 2005, sous forme de tableau facilement exploitable et avec une granularité suffisante - par mois, voire par jour ?
Cinquième question : pouvez-vous nous transmettre la lettre que vous avez adressée à la CRE au sujet de l'élaboration de la quatrième version du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité ?
Sixième question : pouvez-vous nous faire parvenir, comme M. Besson s'y était engagé lors de son audition, les documents adressés par le Gouvernement à la Commission européenne au cours de son enquête sur les tarifs régulés ?
Enfin, septième et dernière question : à compter de 2016, pour les clients sortant du système de tarifs réglementés, le prix de l'électricité pratiqué en France devrait-il conserver une originalité en Europe du fait de l'ARENH ou du fait de sa faible composante carbonée ? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous préciser par quel mécanisme, le fonctionnement du marché ayant précédé la création du TaRTAM ne paraissant pas plaider en ce sens ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Pierre-Franck Chevet.
M. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement . - Monsieur le président, nous avons prévu de consacrer la première partie de notre intervention à rappeler l'équilibre global du système électrique français, avant de répondre, dans une deuxième partie, à chacune des questions. Il se peut que nous répondions en tout ou en partie à certaines de ces questions au cours de cette présentation introductive.
Nous avons donc prévu de procéder à un bref rappel sur l'organisation du marché français de l'électricité et ses spécificités, de vous communiquer des éléments sur la construction actuelle des tarifs - qui renvoient également à leur construction future -, sur ce qui s'est passé depuis la mise en oeuvre de la loi NOME, notamment concernant l'évolution des tarifs. Ensuite, nous vous indiquerons comment nous anticipons l'évolution des différentes composantes des tarifs sur les cinq années à venir. Nous rappellerons également, en une brève synthèse, les conclusions de la Cour des comptes sur les coûts du nucléaire et nous nous pencherons sur le coût du soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, deux postes importants de la contribution au service public de l'électricité, même s'ils ne sont pas les seuls - nous évoquerons notamment les aspects sociaux. Nous répondrons ensuite aux questions que M. le rapporteur vient de rappeler.
Avant de céder la parole à Pierre-Marie Abadie, je tiens à préciser que nous sommes assistés de Julien Tognola, nouveau sous-directeur des marchés, dont les attributions englobent également le gaz.
M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je procéderai à une présentation assez rapide.
En ce qui concerne le marché français de l'électricité, il convient de rappeler, même si cela peut paraître un lieu commun, que les prix de l'électricité en France sont sensiblement inférieurs à la moyenne des prix européens. Cette situation est due en partie à l'existence d'un parc électro-nucléaire construit dans de bonnes conditions dans les années 1980 et maintenant en phase d'amortissement ; elle est également due à un réseau de transport et de distribution dont le rapport qualité-prix est plutôt performant par rapport à celui des réseaux de nos principaux voisins.
Je tiens à souligner ce dernier point. Cet avantage relatif s'explique par des raisons structurelles : le réseau de transport a été construit de manière très homogène et en lien direct avec les outils de production ; il en va de même pour le réseau de distribution, bien que l'on entende souvent déplorer la dégradation de la qualité de ce réseau ces dernières années par rapport au passé - cette dégradation est réelle, mais la qualité de notre réseau reste l'une des meilleures au niveau européen : le seul pays qui nous dépasse dans ce domaine est l'Allemagne, pour un coût beaucoup plus élevé. En termes de rapport qualité-prix, le coût de nos infrastructures a donc été meilleur que dans les autres pays.
S'agissant des sources, je précise que les données d'Eurostat permettent une comparaison au niveau européen des prix de l'électricité pour les ménages : la France est effectivement l'un des pays de l'Union européenne où l'électricité est la moins chère pour ces derniers. Parmi les pays où l'électricité est encore moins chère figurent la Bulgarie, l'Estonie, la Roumanie, la Lettonie, la Lituanie, dont je n'exclus pas qu'ils présentent soit des mix électriques très particuliers - par exemple, une centrale nucléaire très amortie -, soit des modes de régulation qui font que tous les coûts ne sont pas reflétés par le prix. Quoi qu'il en soit, la France est l'un des pays de l'Union européenne où l'électricité est la moins chère : en France, le particulier paie le mégawatt-heure 138 euros, toutes taxes comprises, et la moyenne européenne, France non comprise, s'établit à 189 euros, d'où l'écart de 36 % ou 40 % souvent évoqué. En Allemagne, le particulier paie 253 euros : ce chiffre s'explique par un mix électrique plus cher, de nombreuses taxes et le fait que la fameuse Energiewende , la mutation énergétique, est essentiellement payée par les particuliers.
En ce qui concerne les prix payés par les industriels, l'écart est plus faible, mais la France reste bien située : elle est très proche d'un pays comme la Suède, qui présente la particularité d'un mix électrique composé d'hydroélectricité, de biomasse et de nucléaire. En France, le prix moyen du mégawatt-heure payé par les industriels s'établit à 85 euros tout compris - production, transport, distribution et commercialisation agrégés -, le prix moyen dans l'Union européenne, France non comprise, s'établit à 114 euros, soit un écart de 30 % à 36 %. Le prix moyen s'établit à 125 euros en Allemagne : l'écart avec la France est donc plus faible, ce qui traduit le fait que les Allemands font nettement moins payer le coût de leur système énergétique à leurs industriels. En termes de compétitivité, il s'agit d'un vrai sujet de réflexion.
La construction actuelle des tarifs réglementés de vente est fixée par un décret du 12 août 2009. La CRE est systématiquement consultée sur les projets de tarifs. Dans ce domaine, sa dernière délibération remonte au 28 juin 2011 : elle constate que les tarifs réglementés de vente « couvrent effectivement les coûts comptables d'EDF sur chacun des segments tarifaires - bleu, jaune et vert - » et sont ainsi légèrement supérieurs aux coûts de production.
La loi NOME revêt une importance particulière dans ce paysage. En effet, EDF étant le seul bénéficiaire de la compétitivité du parc de production nucléaire, il pouvait vendre son électricité à un prix largement inférieur au prix du marché européen. Le coût de production du mégawatt-heure s'établissait, pour EDF, entre 35 euros et 40 euros, alors que le prix du marché s'élève aujourd'hui à 55 euros, mais il a pu monter à plus de 60 euros ou de 70 euros. Les concurrents d'EDF n'étaient donc pas en état de fournir des offres à des prix comparables aux tarifs réglementés de vente.
Cette situation soulevait plusieurs difficultés.
Premièrement, la Commission européenne nous reprochait la fermeture de notre marché de l'électricité, en l'absence de toute libéralisation. La Commission dénonçait simultanément une aide d'État déguisée aux industriels, puisque l'électricité leur était vendue à un prix inférieur aux prix de marché.
Deuxièmement, les innovations en aval se trouvaient limitées puisque seul EDF était capable d'atteindre le client final. Les autres opérateurs qui auraient pu développer des idées innovantes ne pouvaient pas concurrencer EDF puisqu'ils n'avaient pas d'électricité à vendre à des prix compétitifs.
Troisièmement, enfin, l'intégration au marché européen risquait d'être remise en cause à terme, alors qu'elle est absolument essentielle, surtout dans une perspective de transition énergétique et de développement des énergies renouvelables. En effet, comme vous le savez, les énergies renouvelables sont caractérisées par l'intermittence de leur production, parfois excessive, parfois insuffisante : si l'on peut répartir cette volatilité sur le marché européen le plus large possible, le coût de ces énergies se trouve réduit d'autant. Par exemple, l'Espagne est très peu interconnectée avec le reste de l'Europe : parfois, elle produit beaucoup trop d'énergie et est obligée de stopper ses éoliennes, alors qu'elle aurait envie d'exporter chez nous cette électricité qui est très peu chère ; parfois, elle manque d'électricité, au risque de se trouver en rupture d'approvisionnement : elle doit alors importer de l'électricité de France, celle-ci étant plutôt d'origine nucléaire. Plus l'interconnexion est développée, plus ces facteurs d'inefficacité disparaissent. S'intégrer au marché européen est donc également important pour développer les énergies renouvelables.
C'est donc dans ce contexte qu'a été élaborée la loi NOME que M. le président Poniatowski connaît bien. ( Sourires .)
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il la connaît par coeur ! ( Nouveaux sourires .)
M. Pierre-Marie Abadie . - Certainement ! M. le sénateur Lenoir doit également la connaître par coeur, eu égard aux fonctions qu'il a exercées dans le cadre d'un autre mandat !
Cette loi vise à garantir au consommateur le bénéfice de la compétitivité du parc électronucléaire français, au lieu de le réserver aux électriciens, tout en permettant le développement de la concurrence en aval, là où elle est le plus susceptible d'apporter des innovations : dans les services - la domotique, l'efficacité énergétique - ou dans la tarification, pour faire payer le vrai prix de l'électricité à la pointe par rapport à la base, par exemple. Enfin, comme je l'ai indiqué, cette loi doit aussi permettre une intégration du marché français au marché européen.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi NOME, les tarifs ont continué à évoluer : le TaRTAM, dispositif transitoire, a disparu et les industriels ont pu bénéficier d'un prix de l'ARENH qui équivalait au TaRTAM. Le législateur a choisi de garantir une continuité entre ces deux dispositifs parce que, comme nous le verrons tout à l'heure, nous savons que les tarifs de l'électricité vont connaître une tendance haussière : fixer le coût de l'ARENH à un niveau inférieur au TaRTAM n'aurait donc eu aucun sens, pas plus que de le fixer à un niveau supérieur, car le TaRTAM - un peu par hasard, il faut le reconnaître -, respectait assez bien la réalité des coûts. Il n'y avait donc pas de raison d'associer l'entrée en vigueur de la loi NOME à une hausse des tarifs puisque celle-ci sera progressive dans le temps.
Les clients résidentiels bénéficient donc des tarifs réglementés de vente, d'une part, et des offres des opérateurs privés qui se fournissent au prix de l'ARENH, d'autre part. L'observatoire de la CRE montre que ces offres évoluent en cohérence avec les tarifs réglementés de vente.
Le ministre avait développé devant vous les éléments structurels d'évolution des tarifs dans les années à venir. Il faut bien avoir en tête que, depuis le milieu des années 1990, les tarifs réglementés de vente avaient plutôt tendance à baisser et ont commencé à augmenter à partir du début des années 2000, essentiellement au rythme de l'inflation. Cette évolution traduit la fin d'un cycle d'investissements, non seulement dans la production d'électricité, mais également dans le transport et la distribution.
Dans les années à venir, nous allons entrer progressivement dans un cycle d'investissements massifs, rendant indispensable la hausse des tarifs réglementés de vente : le fait est connu et a déjà fait l'objet de nombreux débats.
Une partie de ces investissements est déjà engagée depuis les années 2006 et 2007. EDF a dû vous présenter des documents en ce sens : la courbe des investissements dans l'outil de production et, plus globalement, dans tout le système électrique, commence à se redresser à cette date. Ce redémarrage est observé pour l'outil de production nucléaire, mais aussi pour le transport - à la suite des tempêtes de la fin des années 1990, un programme de sécurisation a été engagé - et la distribution - depuis la deuxième moitié des années 2000, un effort d'investissement est entrepris pour rétablir la qualité de la distribution, qui s'était légèrement dégradée.
Pour le futur, le parc électronucléaire va devoir engager de nouveaux investissements pour faire face aux enseignements tirés de Fukushima, d'une part, et pour permettre l'allongement de la durée de vie des centrales au-delà de quarante ans, d'autre part.
À ce stade, il faut avoir présent à l'esprit que tous les postes constitutifs des tarifs - la production nucléaire, la production non nucléaire, le transport, la distribution - exigent des investissements importants dans les années à venir : il ne faut donc en négliger aucun pour bien appréhender l'évolution tarifaire. La composition des tarifs peut se détailler ainsi : la production d'énergie représente un gros tiers, l'acheminement un autre tiers, la CSPE ne représente que 7 % mais est en hausse - elle englobe la péréquation, le coût d'achat pour la cogénération et les énergies renouvelables -, enfin, le poids des différentes taxes reste relativement stable.
Vous avez demandé à plusieurs reprises au ministre de préciser l'évaluation de la hausse à venir des tarifs. Il est difficile de répondre à cette question : en effet, si nous savons que chaque poste va augmenter, nous ignorons dans quelles proportions.
En ce qui concerne la production nucléaire, nous commençons à disposer d'ordres de grandeur avec les premiers résultats des stress tests , mais le travail permettant d'évaluer l'importance des investissements à réaliser pour tirer les leçons de Fukushima est encore en cours de réalisation. Il faut prendre en compte les enjeux techniques, mais aussi les enjeux industriels : dans quel délai le tissu industriel pourra-t-il s'adapter pour réaliser les nouveaux équipements, conduire les travaux, assurer l'ingénierie ?
En ce qui concerne les énergies renouvelables, l'évolution des tarifs dépend du rythme de développement et, notamment, du volume d'équipements photovoltaïques réalisés, car ceux-ci représentent un coût très élevé, pour une production d'énergie assez faible. Une inconnue forte demeure quant au nombre total de dossiers qui seront effectivement réalisés parmi ceux qui ont été accumulés entre 2009 et 2011. Nous ne connaîtrons pas avant un an, environ, le nombre définitif : ceux qui veulent nous rassurer, en termes budgétaires, nous disent qu'il y en aura très peu ; d'autres assurent que la quasi-totalité sera retenue ; la vérité sera vraisemblablement entre ces deux extrêmes, mais je serais incapable de donner une quelconque estimation aujourd'hui.
En ce qui concerne le transport et la distribution, la CRE doit calculer un nouveau TURPE qui s'appliquera au début de l'année 2013. Ce chantier est très lourd ; de nombreux paramètres doivent être pris en compte : certains sont déterminés par la CRE, mais il faut aussi évaluer le niveau des investissements dans le transport et la distribution. Puisque vous êtes aussi des élus locaux, vous savez que des commissions départementales doivent se réunir pour identifier la totalité des investissements nécessaires dans le réseau de distribution : le niveau exact des investissements va être connu progressivement, espérons-le avec le maximum de précision, dès 2012, mais l'exercice exigera vraisemblablement plusieurs années. Le niveau exact de l'augmentation du TURPE reste donc à déterminer et la CRE y travaille.
Enfin, cette évolution s'inscrit dans un contexte international haussier. En effet, des pays voisins doivent également réaliser de lourds investissements et le coût de l'électricité augmentera aussi chez eux. Pour nous, la hausse des tarifs en valeur absolue est, certes, importante, mais la hausse relative est capitale pour la compétitivité de notre économie : il faut donc faire en sorte que la hausse du prix de l'électricité soit plutôt moins rapide chez nous que chez nos voisins. Par exemple, les Britanniques doivent renouveler un quart de leur parc ; les Allemands, quant à eux, ont décidé de sortir du nucléaire et doivent réaliser des investissements de l'ordre de 17 gigawatts dans le charbon, sans compter tous leurs investissements dans les énergies renouvelables. Nous devrions parvenir à rester compétitifs, mais nous devons rester vigilants.
Dans l'Union européenne, tous les pays ne connaissent pas la même situation et l'on a trop souvent tendance à uniformiser les problématiques. Le Royaume-Uni doit assumer un programme de renouvellement massif de son outil de production : l'investissement capitalistique est important, mais c'est aussi l'occasion pour nos amis britanniques de repenser leur mix électrique puisqu'il va être renouvelé en profondeur. Ils ont fait le choix d'une économie décarbonée et leur objectif essentiel est la réduction des émissions de CO 2 , en utilisant tout l'éventail des outils existants : le nucléaire, le captage et le stockage de carbone, les énergies renouvelables - essentiellement l'éolien offshore .
Les Allemands sont dans une situation légèrement différente. Ils doivent procéder à un renouvellement en profondeur de leur système électrique, mais en raison d'un choix politique, d'un choix de société, à savoir l'abandon du nucléaire, qui représentait un quart de leur production d'électricité. Ils ont choisi d'augmenter massivement la production d'énergie décarbonée, essentiellement le photovoltaïque et l'éolien, et de s'appuyer, dans la période de transition, sur le charbon et les centrales à gaz.
D'autres pays doivent faire face à des défis de renouvellement moindres. C'est le cas de la France, qui doit réaliser d'importants investissements, mais dont l'outil de production ne doit pas être renouvelé massivement, parce qu'il est encore relativement jeune. Les premières centrales à atteindre l'âge de trente ans étaient Fessenheim et Tricastin ; le seuil des quarante ans sera atteint pour la première fois en 2017. Nos investissements actuels portent essentiellement sur les énergies renouvelables - à l'horizon de 2020, nous devrions disposer de 19 gigawatts d'électricité éolienne -, mais il s'agit d'un effort de diversification et non d'un renouvellement massif de notre parc de production. Nous avons la chance de ne pas affronter des défis aussi lourds, en termes de dépenses, que les Allemands ou les Britanniques.
Face à la hausse prévisible, la direction générale de l'énergie et du climat estime qu'il importe de développer un accompagnement pour garantir la sécurité énergétique, la qualité de service et le développement industriel.
Notre première préoccupation consiste donc à garantir l'efficience du système électrique : les évolutions tarifaires ne seront compréhensibles par les consommateurs qui si nous leur assurons que nous avons fait, à tout moment, les meilleurs choix au regard de nos objectifs - lutte contre le changement climatique, protection de l'environnement, sécurité des approvisionnements et compétitivité - et dans tous les registres, qu'il s'agisse de la production, du transport, de la distribution, de la régulation et de la CSPE.
Notre deuxième préoccupation porte sur la protection des consommateurs les plus modestes. La question de la précarité énergétique a été traitée, essentiellement, par l'outil tarifaire - les tarifs sociaux pour l'électricité ou le gaz - et des mesures tendant à améliorer la maîtrise de la consommation d'énergie, comme le programme « Habiter mieux » pour la rénovation du bâti. Il faudra faire évoluer ces outils dans la durée : en effet, en raison de la hausse des tarifs, le nombre des personnes en situation de précarité énergétique augmentera. Il convient donc de définir les bons outils afin de toucher les bonnes populations et cet exercice s'avère difficile.
D'une part, il faut traiter les fragilités par des tarifs protecteurs bénéficiant aux populations qui en ont effectivement besoin, il faut éviter les « trous dans la raquette », alors que certaines populations échappent aujourd'hui aux dispositifs sociaux parce qu'elles n'utilisent ni le gaz, ni le chauffage collectif, ni l'électricité, mais le propane ou le butane ; à une époque, les consommateurs de fuel domestique étaient concernés par ces dispositifs, mais tel n'est plus le cas. Dans ce domaine, certaines idées ont été développées, comme le « chèque énergie ».
D'autre part, il ne faut pas s'enfermer uniquement dans des méthodes palliatives se limitant aux tarifs, mais traiter le problème au fond, en améliorant l'isolation thermique et la performance énergétique du bâti, parce qu'il s'agit souvent de gens qui consomment beaucoup, leur logement étant à la fois mal équipé et mal isolé.
M. Pierre-Franck Chevet . - Je souhaite apporter une précision au sujet de la précarité énergétique, qui constitue l'un des points centraux du Grenelle de l'environnement, avec le logement. Si l'on compare le bilan d'émissions de CO 2 de la France avec celui des autres pays européens, nous nous situons dans une moyenne correcte pour l'industrie et les transports, notamment parce que nous faisons un usage plus économe de l'automobile qu'un certain nombre de nos voisins ; en revanche, nous en sommes très en retard dans le domaine du logement.
Pour que notre effort financier dans ce domaine soit le plus efficace possible, il faut plutôt viser les logements en mauvais état pour obtenir le meilleur taux de rentabilité par euro investi, ce qui pose à nouveau la question de savoir comment cibler les publics précaires.
Des outils nationaux ont été mis en place - crédit d'impôt, prêt à taux zéro, etc. -, dont le coût n'est pas nul, mais l'un des grands enjeux que nous devons relever consiste à atteindre les publics qui ont vraiment besoin de ces aides, si l'on veut agir à long terme et réaliser effectivement les travaux. Je dois reconnaître en toute franchise que mes services ne sont pas armés pour atteindre cet objectif, car nous ne sommes que 240 à Paris. Ils ont donc absolument besoin du relais des acteurs de terrain, les services déconcentrés de l'État et les collectivités territoriales notamment, mais aussi les associations, pour que l'on puisse agir à l'échelle de chaque foyer. La définition des travaux à réaliser pose des problèmes très complexes, que seuls des spécialistes peuvent traiter et l'on évoque des ordres de grandeur de 10 000 euros à 15 000 euros de travaux par logement, des chiffres qui ne sont donc pas anecdotiques. Selon moi, ce sujet reste ouvert, même si des actions ont déjà été engagées, et il sera d'une importance capitale dans les années à venir.
Je souhaite également revenir sur les enseignements à tirer du rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière nucléaire.
Premièrement, le rapport confirme que l'ensemble des coûts ont bien été pris en compte dans le cadre de la régulation économique de la filière nucléaire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de coûts cachés.
Deuxièmement, le rapport démontre que des incertitudes demeurent quant au coût réel d'un certain nombre de charges - le démantèlement et la gestion des déchets. La raison en est simple : tout n'a pas encore été mis en oeuvre. Des installations permettent déjà de traiter les déchets radioactifs, mais, pour les déchets les plus nocifs - déchets à haute activité et demi-vie longue -, même si la démarche est en cours, l'installation ne fonctionne pas encore. Il en va de même pour le démantèlement : les incertitudes sont réelles puisque l'expérience est encore très récente dans ce domaine.
La Cour des comptes a réalisé des études de sensibilité, qui constituent un des points intéressants de son rapport. En résumé, malgré les incertitudes que je viens de rappeler, il résulte des simulations réalisées que la variation du coût de l'électricité, en fonction des différents scénarios envisagés, ne serait que de l'ordre de 4 % ou 5 %. Ces incertitudes ne remettent donc pas fondamentalement en cause les ordres de grandeur évoqués pour le coût de l'électricité.
Parmi les sujets qui doivent être traités en priorité figure la question de la responsabilité civile en cas d'accident nucléaire. La question est complexe, car de nombreuses conventions internationales trouvent à s'appliquer. Schématiquement, la responsabilité est supportée au premier chef par l'exploitant responsable de l'accident ; à partir d'un certain seuil, l'État concerné peut prendre le relais ; le « troisième étage de la fusée » relève de mécanismes de solidarité interétatique. Ce dispositif ne peut entrer en vigueur que si tous les États potentiellement concernés ratifient les conventions. Or un certain nombre de pays, comme l'Italie, sont en retard. La question se pose donc de savoir s'il ne faut pas, malgré tout, faire fonctionner le premier étage de la fusée, c'est-à-dire relever dès maintenant les seuils de responsabilité des exploitants nucléaires, en passant de 90 millions d'euros - chiffre considéré comme faible, raison pour laquelle on a modifié les conventions - pour passer à 700 millions d'euros.
Nous avons le sentiment qu'il faut avancer le plus vite possible dans ce domaine ; j'ajoute que la mise en oeuvre du nouveau régime de responsabilité ne devrait pas non plus modifier les ordres de grandeur concernant le coût global de l'électricité.
Enfin, le rapport de la Cour des comptes - même si ce n'était pas une découverte pour nous - a bien mis en lumière que la manière d'évaluer le coût d'utilisation des actifs nucléaires joue un rôle central dans la détermination des coûts. Plusieurs approches, toutes légitimes, sont possibles, mais elles ne répondent pas aux mêmes questions. Nous avons choisi de retenir la méthode adoptée par la commission Champsaur, fondée sur le coût restant à payer, qui n'a rien à voir avec une autre question, essentielle pour le futur, celle des coûts de développement des nouveaux réacteurs. Nous reviendrons sur cette question, mais je laisse la parole à Pierre-Marie Abadie pour détailler les différentes méthodes d'analyse.
M. Pierre-Marie Abadie . - Le principal poste qui suscite un débat - ce qui explique les variations dans les estimations de l'ARENH, même si, aujourd'hui, la fourchette s'est resserrée, puisqu'elle varie entre 42 euros et 49 euros par mégawatt-heure - est la rémunération des actifs immobilisés dans le parc des centrales nucléaires. Pour simplifier, deux méthodes s'opposent : la méthode des coûts courants économiques, retenue par EDF, qui consiste à évaluer le coût aujourd'hui de la reconstruction à l'identique du parc ; cela revient à faire l'hypothèse que l'actif se maintient dans le temps et qu'il est rémunéré sur toute sa durée de vie aux conditions actuelles, en termes de rentabilité, de rémunération de l'actionnaire, de fiscalité, etc. En revanche, la méthode retenue par la commission Champsaur vise à répondre à l'objectif fixé par la loi NOME : le prix de l'ARENH tient compte de la rémunération des capitaux, en fonction de la nature de l'activité, des coûts d'exploitation, d'investissement, de maintenance et des coûts prévisionnels liés aux charges pesant sur le long terme, y compris l'allongement de durée de vie des centrales, mais à l'exclusion du renouvellement.
La question sous-jacente, au moment où a été votée la loi NOME, portait sur l'allongement de la durée de vie du parc de centrales nucléaires au-delà de quarante ans. Il s'agissait d'horizons lointains et nous n'entrions pas dans une phase de renouvellement du parc : EDF se trouvait en position de rester le principal fournisseur d'électricité en France et il fallait mettre en place cette régulation pour assurer le développement de la concurrence, d'une part, et bien contrôler le prix du nucléaire dans l'intérêt du consommateur français, d'autre part. Il n'était pas question de faire payer le renouvellement du parc aux concurrents d'EDF : quand il faudra renouveler ce parc, les différents opérateurs présents sur le territoire national investiront au prorata de leur part de marché. Faire payer le renouvellement du parc aux concurrents d'EDF reviendrait à reconduire le monopole nucléaire d'EDF, sans possibilité de faire évoluer notre production, qu'il s'agisse de la composition du mix ou des opérateurs.
La commission Champsaur a considéré qu'une bonne évaluation des coûts revenait à faire payer « cash » les coûts d'exploitation, les investissements futurs, la maintenance, l'allongement de la durée de vie et, pour le passé, « le coût restant à payer ».
Ce débat nous oblige à répondre à la question suivante : sommes-nous capables de réécrire l'histoire et de savoir comment on a procédé dans le passé ? Lorsque l'on utilise la méthode du coût courant économique, on fait l'hypothèse forte que le capital investi a toujours été rémunéré aux conditions d'aujourd'hui. Or nous avons la certitude que tel n'a pas été le cas : le prix de l'électricité a été plutôt élevé au début de l'exploitation du parc, ne serait-ce que parce que la durée de vie anticipée des réacteurs était plus courte, estimée d'abord à vingt-cinq, puis à trente ans, alors qu'on envisage maintenant une durée de quarante ans ; par ailleurs, les conditions de rentabilité n'étaient pas celles d'aujourd'hui, il suffit d'examiner la trajectoire des résultats d'EDF pour s'en convaincre. La meilleure façon d'évaluer le passé, c'est encore de s'en tenir à ce qui reste à payer : c'est l'option retenue par la commission Champsaur.
Cette différence dans la méthodologie, qui peut sembler très technique, représente un écart de 6 à 7 euros dans l'évaluation du prix de l'ARENH. En appliquant la méthode Champsaur, avant Fukushima, on obtenait un prix de 39 euros ; si l'on tient compte des investissements de sécurisation à réaliser après Fukushima, le surcoût est de 2 euros à 3 euros, ce qui donne un prix à 42 euros, lequel correspond au prix de l'ARENH en vigueur depuis janvier 2012.
Le débat sur le loyer à payer pour rémunérer les actifs se prolongera lors de la rédaction du futur décret qui permettra de cadrer le travail de la CRE pour calculer le prix de l'ARENH. La loi a prévu que les tarifs seraient construits par addition à partir de 2015 et que la part du nucléaire serait représentée par le prix de l'ARENH. Ainsi, la loi NOME n'a pas fait augmenter les tarifs, mais, en 2015, elle permettra l'expression du prix complet du nucléaire du moment...
M. Jean Desessard, rapporteur . - En suivant la méthode Champsaur ?
M. Pierre-Marie Abadie . - C'est le décret qui tranchera, mais, comme je l'ai dit, il y a une logique sous-jacente à cette méthode.
Comme le disait Pierre-Franck Chevet, il faut bien être conscient que la manière d'évaluer chaque coût répond à une question : si vous me demandez quel est le coût économique du nucléaire sur toute une durée de vie, reconstitué à l'image d'aujourd'hui, la réponse sera donné par la méthode du coût courant économique ; si vous me demandez quel est le prix du mégawatt-heure qui permet de couvrir le coût de renouvellement du parc nucléaire, il sera beaucoup plus élevé, au-delà de 60 euros ; si vous me demandez quel doit être le prix de l'ARENH, pour garantir les mêmes conditions économiques aux opérateurs nouveaux entrants qu'à l'opérateur historique, il vaudrait mieux retenir la méthode Champsaur, dans notre compréhension des choses.
Si l'on change le contexte technique, on obtient également des réponses différentes. Si l'on estime qu'il convient d'envisager non plus l'allongement de la durée de vie des centrales, mais le renouvellement du parc, la question est beaucoup plus simple sur le plan théorique, mais aussi beaucoup plus problématique sur le plan économique : si le prix de l'électricité doit couvrir le coût de renouvellement de long terme, le prix de l'ARENH s'élèverait plutôt à 60 euros ou 70 euros, au lieu de 42 euros à l'heure actuelle.
M. Pierre-Franck Chevet . - Je souhaite ajouter un deuxième commentaire sur la question de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires telle qu'elle est envisagée par le rapport de la Cour des comptes. Celle-ci est partie d'un constat mathématique simple : la date à laquelle la durée de quarante ans est atteinte. On retrouve alors une image du parc tel qu'il était à la fin des années 1970 et au début des années 1980 : la première centrale à fermer serait Fessenheim, ensuite Bugey, puis Tricastin, Gravelines, Dampierre. En 2022, vingt-deux réacteurs seraient concernés par cette échéance. On retrouvera alors le « mur » de construction : au moment de la plus forte activité, huit réacteurs étaient mis en service chaque année. Nous avons ainsi un ordre de grandeur de l'effort de renouvellement qui nous attend pour les années 2020 à 2030.
La Cour des comptes formule les recommandations suivantes : construire six ou sept EPR d'ici à 2020, et onze d'ici à 2022. Je ne prends pas parti sur le fait que la solution retenue consisterait à remplacer ces réacteurs anciens par de nouveaux réacteurs nucléaires - la question est de nature politique -, mais je souhaite apporter une précision.
Nous procédons tous les cinq ans à un exercice de planification, comme le prévoit la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. Le dernier en date, qui remonte à juin 2009, tient compte des décisions du Grenelle de l'environnement et avait pour horizon 2020, juste avant le renouvellement éventuel du parc : il ne prévoyait donc pas un bouleversement en termes de production. Il est cependant évident que l'échéance des quarante ans des centrales nucléaires est très proche.
Dans le cadre des discussions préparatoires à la programmation pluriannuelle des investissements - en « mode Grenelle », c'est-à-dire avec l'ensemble des parties prenantes - nous avons choisi de préserver des marges en termes de capacités de production électrique sur cette période, de manière à pouvoir faire face à un aléa technique - par exemple, une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire refusant d'autoriser la prolongation d'un réacteur ou toute autre difficulté rencontrée par une unité de production, nucléaire ou non.
Nous avons tenu à prévoir ces marges de manoeuvre de manière à préserver la capacité d'expression de l'Autorité de sûreté nucléaire ou à faire face à des aléas dans la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement - déploiement pas assez rapide des énergies renouvelables, difficultés dans la maîtrise des économies d'énergie. L'existence de ces marges nous permettrait, le cas échéant, en l'absence de mauvaise nouvelle, d'être éventuellement exportateurs d'une électricité plutôt décarbonée, compte tenu de notre mix : cela nous a été reproché à l'époque, mais les observations de la Cour des comptes vont tout à fait dans notre sens. Je tenais à faire cette observation, parce que l'on a pu nous reprocher implicitement d'avoir retenu de mauvaises prévisions, alors que nous avions utilisé les éléments disponibles à l'époque.
La question de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires - sujet que je connais bien historiquement - fait l'objet de débats depuis vingt ans : des chiffres sont assénés, des coûts avancés, mais le sujet n'a jamais été vraiment expertisé. Peu après la parution de la PPI, la direction générale de l'énergie et du climat a proposé formellement au Gouvernement de demander à EDF d'engager réellement la procédure d'instruction de la prolongation de la durée de vie de ses centrales. Cela a été fait, et le travail a commencé. Nous avons eu des réunions avec les représentants de l'ASN pour vérifier le timing . Nous les reverrons dans les prochaines semaines. Je les ai rencontrés encore ce matin, car ils doivent nous confirmer une nouvelle fois le calendrier, qui a été quelque peu bousculé par l'instruction technique post-Fukushima. Cette dernière a toute son utilité dans l'optique d'une éventuelle prolongation de quarante à soixante ans, ce qui, à ma connaissance, est la durée maximale envisagée.
M. Jean Desessard, rapporteur . - La centrale la plus vieille au monde a quarante-cinq ans, n'est-ce pas ?
M. Pierre-Franck Chevet . - C'est en effet l'ordre de grandeur. Les États-Unis, y compris leur autorité de sûreté, ont pris des positions allant dans le sens d'une prolongation jusqu'à soixante ans, voire plus. À cet égard, l'approche française, en tout cas selon l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, qui me paraît tout à fait sensé, encore plus après Fukushima, ne se limite pas simplement à assurer la conformité des centrales à leur référentiel d'origine. Plutôt que de raisonner comme dans le cas d'une voiture, où l'on se contente de vérifier l'état et la pression des pneus par rapport au départ pour continuer à l'utiliser, l'idée, ici, c'est de demander des renforcements de sûreté, en tenant compte des objectifs assignés aux centrales de troisième génération, de type EPR.
En termes de sûreté, cela s'auto-justifie à partir du moment où il faudra assurer un minimum d'homogénéité entre les nouvelles centrales, telles que l'EPR de Flamanville, et les plus vieilles. En termes économiques, s'il n'y a pas de prolongation au-delà de quarante ans, le choix se fera sur l'EPR, donc sur la troisième génération, avec un référentiel de sûreté clairement amélioré. D'où l'idée, dans l'optique française, portée par l'ASN et soutenue par l'actuel gouvernement, d'étudier les aspects techniques d'une prolongation éventuelle au regard des exigences de sûreté de la troisième génération.
C'est cela qui est à l'oeuvre dans le travail en cours. Le calendrier retenu est extrêmement important et permettrait de converger avec un certain nombre d'éléments techniques plutôt aux alentours de 2015. Je vérifierai de nouveau sa pertinence avec l'Autorité de sûreté nucléaire, mais je n'ai pas de raisons de penser qu'il ait plus « dérivé » que cela, nonobstant le temps pris par cette instance pour envisager les conséquences post-Fukushima.
Lors de la précédente mandature, le regard s'est porté à l'horizon 2020. Dans le cadre de la programmation énergétique, la prochaine étape à considérer devrait plutôt être l'horizon 2030. C'est celle que nous proposerons à la prochaine équipe ministérielle. En 2020-2030, nous serons pleinement dans la période où l'outil de production français connaîtra des évolutions majeures. D'ici à 2020, tous les timings sont clairement établis et il se passera assez peu de chose.
L'horizon 2030 fait d'ailleurs vraiment sens compte tenu des discussions européennes dans ce domaine, puisque notre politique s'inscrit aussi dans le cadre communautaire. Il s'agit non pas simplement des marchés, mais également du paquet énergie-climat. Tout le monde sent bien qu'un signal a été donné avec les « 3x20 » pour 2020, objectif plutôt apprécié et utile.
Nous sommes en 2012. Le temps passe vite, pour les industriels comme pour les autres. Il conviendrait, le plus rapidement possible, de trouver une articulation à l'horizon 2030. Pour 2050, ce sera plus dur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est loin !
M. Pierre-Franck Chevet . - Absolument : hormis les grands objectifs climatiques que chacun a en tête, nombreuses sont les incertitudes sur le plan tant technologique que financier à une telle échéance. Il est très difficile d'évaluer le coût d'équipements qui nous sont encore inconnus.
Je le redis, l'horizon 2030 fait sens. À l'évidence, d'ici là, les solutions apportées par les uns et les autres sont déjà sur l'étagère : ce n'est pas de la science-fiction. Nous ne connaissons pas encore leur prix de forme, notamment pour le photovoltaïque, mais nous avons quelques idées sur les trajectoires à venir, sauf bouleversements imprévus.
L'horizon 2030 se profile donc comme étant l'échéance à la fois la plus lointaine et la plus proche, au regard de la préoccupation non seulement énergétique, mais aussi climatique. En ce qui concerne ce dernier domaine, dont nous avons la charge pour le compte des ministres dans les négociations internationales, je rappelle le rendez-vous qui a été fixé à Durban par l'ensemble des parties : parvenir à un accord général en 2015. On peut considérer que le verre est à moitié vide, mais l'objectif n'est pas si éloigné, compte tenu de la position de chacun, d'autant qu'il est décliné par zones. Il s'agit là d'un sujet essentiel, et le délai de trois ans est cohérent avec un certain nombre d'autres rendez-vous que nous avons.
M. Jacques Berthou . - À process égal, la durée de vie d'une centrale aux États-Unis est-elle comparable à celle des autres centrales dans le monde, eu égard aux différents coefficients de sécurité et investissements faits au moment de la construction ? Est-il valable de considérer que, trente ans aux États-Unis, c'est trente ans en France ? Avons-nous, pour notre part, la possibilité d'aller au-delà de quarante ans ?
Par ailleurs, dès lors qu'il y aura nécessité de construire des centrales, les avez-vous imaginées sur les sites actuels ? En démolir une pour en bâtir une autre à la place permet de rester proche des postes d'interconnexion, sachant que prévoir de nouvelles lignes pose énormément de problèmes : autant utiliser les lignes existantes.
M. Pierre-Franck Chevet . - Sur la question de savoir si trente ans ici équivalent à trente ans ailleurs, je dirai qu'il n'y a pas de raison de nous priver du retour d'expérience des autres sur des réacteurs comparables. C'est d'ailleurs plutôt ce qui a été fait jusqu'à présent.
Un point important est à souligner dans tout ce qui a été fait en matière nucléaire en France depuis de longues années : c'est le parti pris essentiel, qui n'est pas sans lien avec la loi NOME, d'avoir un exploitant unique et, pour résumer, des réacteurs de même type, homogénéisés. Aujourd'hui, je comprends qu'une telle décision a été prise avant tout pour des raisons d'optimisation industrielle, lesquelles ont plutôt eu un bon effet, notamment en termes de prix.
Lorsque je discute avec mes collègues européens, je m'aperçois qu'ils n'ont pas le même sentiment sur le coût du nucléaire. Leurs pays ont privilégié un autre choix : de nombreux exploitants et plusieurs types de réacteurs. L'optimisation, d'après le retour d'expérience industrielle - je précise bien « industrielle » -, s'y fait dans de moins bonnes conditions. Avec un coût de combustible égal, il n'y a pas de raison que le prix à la sortie diffère, sauf à prendre en compte le point que je viens d'évoquer.
Cet engagement massif sur un même type de réacteurs, qui joue sur la prolongation de leur durée de vie, a une contrepartie incontournable : il nous oblige à être extrêmement exigeants en termes de retour d'expérience, s'agissant, cette fois, de la sûreté, afin qu'un incident sur une centrale ne soit pas la cause de l'arrêt de l'ensemble du système.
La question de la prolongation de la durée de vie doit aussi être étudiée à la mesure de la taille du parc. C'est probablement pour cette raison - je n'y reviens pas pour rien - que l'Autorité de sûreté nucléaire a souligné la nécessité d'examiner la situation au regard des objectifs de sûreté fixés à la troisième génération, car il ne s'agit pas simplement d'envisager la prolongation d'un réacteur parmi cinquante autres extrêmement différents.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est ce que les responsables de l'ASN ont effectivement voulu dire : merci de cette précision !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ils ont toujours été très clairs !
M. Pierre-Franck Chevet . - L'ASN n'a pas changé sa philosophie, qui, je le répète encore une fois, est assez cohérente. Il convient d'avoir une forte exigence tant sur le parc actuellement en exploitation que sur celui en devenir, dès lors qu'il a été décidé que nos installations se caractériseraient par une homogénéisation complète. Ce parti pris n'est pas nécessairement évident : même dans le domaine du nucléaire, on peut préférer ne pas mettre ses oeufs dans le même panier.
Il faut plutôt nous réjouir du résultat final obtenu en France. Il n'était pas acquis d'emblée, mais il a été acquis de fait, en tout cas avec l'ensemble du système mis en place.
M. Pierre-Marie Abadie . - J'aborderai maintenant la partie consacrée aux énergies renouvelables et au coût de la CSPE.
Les objectifs du Grenelle constituent véritablement notre feuille de route. Il s'agit notamment d'augmenter de 20 millions de tonnes d'équivalent pétrole, ou MTEP, la production d'énergies renouvelables, pour que celle-ci représente 23 % de la production énergétique nationale en 2020. Sur ces 20 MTEP, il faut avoir à l'esprit que la moitié, 10 MTEP, provient de la production de chaleur renouvelable. Voilà qui est très important : la chaleur, c'est très efficace, peu cher, tout en drainant de l'activité localement.
M. Pierre-Franck Chevet . - Et on n'en parle jamais !
M. Pierre-Marie Abadie . - Absolument !
Si je fais ce rappel, c'est que l'autre moitié se décompose ainsi : 3 MTEP de biocarburants, et seulement 7 MTEP d'électricité ; dans ces 7 MTEP, on trouve essentiellement de l'éolien, un peu de biomasse électrique en cogénération et, très marginalement, du photovoltaïque. Il faut donc bien avoir ces données à l'esprit, que nous-mêmes avons toujours rappelées puisqu'elles sont au coeur de la programmation pluriannuelle des investissements évoquée par Pierre-Franck Chevet.
Pour ma part, je défends le développement de l'éolien tous les matins ! Le photovoltaïque, lui, coûte extrêmement cher, représente beaucoup de puissance en mégawatts mais très peu d'énergie. Quant à la biomasse électrique, faisons attention, car son efficacité est moindre que celle de la chaleur. C'est de la cogénération qui est demandée : tenons-nous-y, sinon, l'efficacité tomberait à des niveaux encore plus bas. Nous enregistrons 90 % d'efficacité en chaleur biomasse, de l'ordre de 65 % en cogénération, et 35 % en électricité pure, c'est-à-dire sans cogénération.
Comme je le dis de temps en temps de manière un peu brutale, si tout cela revient à prendre du bois ou des déchets de bois, à les mettre dans une centrale électrique puis les emmener sur une ligne à haute tension pour aller faire chauffer un convecteur électrique, c'est assez peu efficace.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Mieux vaut prendre le bois à la source !
M. Jean-Claude Lenoir . - Et le mettre directement dans le poêle !
M. Pierre-Franck Chevet . - À condition qu'il soit de qualité !
M. Pierre-Marie Abadie . - Voilà !
Forcément, dès lors que je parle d'électricité, je dois évoquer la CSPE, donc les énergies renouvelables électriques. Ces dernières sont financées essentiellement par la CSPE, plus marginalement par le crédit d'impôt.
Dans le volet « énergies renouvelables électriques » de ce crédit d'impôt, on a trouvé un tout petit peu de micro-éolien et pas mal de photovoltaïque. L'envolée des tarifs sur le photovoltaïque a produit un emballement sur le crédit d'impôt, jusqu'à atteindre, pour le seul volet « photovoltaïque », 500 millions d'euros de dépenses annuelles, d'où la surchauffe constatée. Le « refroidissement » du système photovoltaïque va permettre, du moins l'espérons-nous, de revenir à une centaine de millions d'euros.
Cela étant dit, l'essentiel du financement provient de la CSPE. Selon la CRE, qui tient les grands compteurs de la prévision en la matière, les charges à compenser liées aux énergies renouvelables par la CSPE devraient atteindre 2,2 milliards d'euros en 2012, sur un montant total de 4,2 milliards d'euros.
Il est donc injuste de prétendre faire supporter au seul développement des énergies renouvelables la totalité de la hausse de la CSPE, dont le montant a, en réalité, commencé à décoller un petit peu avant l'essor des renouvelables. Dans la CSPE, on trouve en effet trois grands postes : les renouvelables, la cogénération et la péréquation avec les DOM.
Jusqu'à récemment, la tendance faisait apparaître une stabilité de la cogénération, autour de un milliard d'euros, tandis que la péréquation avec les îles commençait à décoller. Elle est actuellement très dynamique, et ce pour deux raisons. On assiste, d'une part, à une hausse de la demande, de la consommation, profondément liée à la démographie et au rattrapage du niveau de vie.
M. Jean-Claude Lenoir . - À la climatisation !
M. Pierre-Marie Abadie . - C'était pour moi une manière pudique de désigner tout ce qui relève des multiples équipements électriques : la climatisation, le réfrigérateur, la télévision, entre autres.
Nous devons mener des politiques ambitieuses de maîtrise de la demande dans ces territoires, tout en étant réalistes sur le fait que la pression de cette demande est extrêmement forte.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Dans tous les DOM ?
M. Pierre-Marie Abadie . - Oui, même si une analyse plus fine est toujours possible.
M. Jean-Claude Lenoir . - Il n'y a qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon que la demande est moindre ! ( Sourires .)
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il y a moins besoin de climatisation !
M. Pierre-Marie Abadie . - D'autre part, compte tenu du prix du pétrole, les mix concernés étant essentiellement thermiques, les prix sont tirés vers le haut. En même temps, il est vrai que, depuis 2009, l'évolution de la CSPE dépend fortement du coût des énergies renouvelables, qui y occupe une part de plus en plus importante.
Pour donner un ordre de grandeur, je précise que la production d'électricité des énergies renouvelables subventionnées au travers de la CSPE représente aujourd'hui 15 térawatt-heures et s'élèvera à 80 térawatt-heures en 2020. Cela ne signifie pas forcément que le montant à compenser sera multiplié par 5. Dans la mesure où, bien évidemment, les coûts de production des renouvelables baisseront et que les prix de l'énergie monteront, la somme à payer, qui est égale à la différence entre les deux, sera moindre, même si la CSPE suit une tendance haussière importante. Les évolutions chiffrées récentes le montrent, c'est un défi collectif que d'accompagner le développement des énergies renouvelables tout en maîtrisant correctement leurs coûts.
Avec la boîte à outils existante, on alterne entre le tarif de rachat par EDF, fixé par arrêté, et les appels d'offres, en s'efforçant d'assurer le mieux possible une régulation satisfaisante.
Le marché doit être régulé pour des raisons non seulement économiques, afin de maîtriser l'enveloppe et le coût, mais également environnementales. Par exemple, si le développement de la biomasse électrique ou de la chaleur nécessite de tirer sur la ressource, les professionnels appartenant à d'autres domaines d'activité, à l'instar des papetiers ou des fabricants de panneaux de particules, ont le même besoin. Il s'agit donc d'éviter les conflits d'usage.
Il a été décidé d'utiliser la boîte à outils de la manière suivante : pour les grosses installations, de plus de 12 mégawatts, il faut des appels d'offres, afin de bien contrôler le plan d'approvisionnement et d'éviter les grandes tensions ; pour les installations de taille moyenne, entre 5 et 12 mégawatts, on laisse en tarif ouvert ; pour celles de moins de 5 mégawatts, je peux dire honnêtement que nous avons toujours été hostiles à ouvrir le tarif en soutien, pour des raisons d'ordre environnemental, car ces petites installations sont moins dépolluées.
M. Pierre-Franck Chevet . - À l'image des petites chaufferies de bois.
M. Pierre-Marie Abadie . - Ou des petites installations de cogénération. Le fait est qu'elles polluent.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Votre position sur ce sujet est connue. Ce type d'installations présente tout de même un avantage en termes d'aménagement du territoire : on peut les mettre partout !
M. Pierre-Marie Abadie . - C'est vrai.
M. Ronan Dantec . - Je souhaite rebondir sur ce point puisque vous nous avez dit tout à l'heure qu'il était aberrant de produire du chauffage électrique à partir d'une chaudière à bois située à l'autre bout de la France. Or il me semble que c'est l'État qui a demandé à la CRE de mettre en place ces espèces d'appels d'offres, totalement aberrants, concernant la grande production électrique à partir de biomasse, comme à Rennes.
M. Pierre-Marie Abadie . - Il s'agit de cogénération, à une exception près.
M. Pierre-Franck Chevet . - À une exception près, effectivement.
M. Ronan Dantec . - Pardonnez-moi d'être moins pudique que vous, mais pourquoi avez-vous laissé faire une aberration pareille ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La cogénération n'est pas du tout une aberration !
M. Ronan Dantec . - On a laissé se mettre en oeuvre un projet de grande production électrique à partir de biomasse, ce qui va nous poser énormément de problèmes.
M. Pierre-Marie Abadie . - Il y a effectivement une telle installation à Gardanne. Mais je ne suis pas sûr que nous soyons en situation de pouvoir commenter le dossier.
M. Ronan Dantec . - Nous sommes pourtant totalement dans le sujet !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous avons noté qu'il y avait une exception !
M. Pierre-Franck Chevet . - Pour revenir sur ce que nous avons affirmé tout à l'heure en termes de principes, je précise que c'est effectivement la cogénération qui est l'objectif visé et, avant tout, la génération de chaleur directe, d'où l'effort à faire.
La suite à donner à ce dossier est à l'ordre du jour. Même si nous sommes dans le cadre de dispositifs électriques, nous parlons bien de production de chaleur. Le système s'appuie donc non pas sur le volet « électrique » de la CSPE, mais directement sur le budget de l'État, avec une gestion confiée à l'ADEME, qui intervient auprès des porteurs de projets, les collectivités notamment, s'agissant du développement de réseaux ainsi que de l'installation de centrales.
Tout cela est porté par ce qui est communément appelé le fonds chaleur. L'un des enjeux concerne les conditions de son renouvellement : de notre point de vue, il faut plutôt le renouveler ; mais à quelle hauteur ? Entre les objectifs du Grenelle et la somme qui a pu y être versée, il y a un certain ordre de grandeur.
Si le système ne fait pas l'objet de discussions, c'est tout simplement parce qu'il fonctionne bien. En revanche, il va se produire deux effets dans la durée, d'ici à 2020, qui vont plutôt entraîner son renchérissement. Pardonnez-moi de parler de chaleur en cet instant, mais le sujet est important.
D'une part, compte tenu de l'argent actuellement consacré à ce fonds et du fait qu'a été exploité pour le moment le gisement le plus facile, les futurs réseaux que l'on va chercher à construire seront moins rentables directement, sauf exception ; d'où une subvention d'accompagnement plus élevée à l'avenir.
D'autre part, si la mise en oeuvre du Grenelle se passe bien, ce à quoi nous travaillons, les logements deviendront plus efficaces et les ménages ainsi raccordés consommeront moins.
Un double effet d'accélération des coûts naturels va s'opérer. Nous travaillons justement avec l'ADEME pour savoir comment dimensionner le système pour les années à venir. Par tonne évitée, il devrait coûter plus cher qu'avant. Nous sommes en train, avec Bercy, avec les directions du budget et du Trésor, de vérifier les ordres de grandeur d'efficacité des dispositifs par rapport aux coûts. Même si l'usage chaleur reste extrêmement avantageux, il a ses limites, notamment par rapport à certains pays.
M. Jean-Pierre Vial . - Par rapport à l'opération en cours qui a été évoquée, sans reprendre à mon profit tout ce qui a été indiqué, je remercie M. Abadie d'avoir donné des éléments très précis sur la filière biomasse. Ne faudrait-il pas envisager, pour les grands projets, une étude d'impact ? Je le dis très sincèrement, dans certaines régions, on est en train de jouer avec le feu, avec des risques de déséquilibre de la ressource au détriment des industriels déjà existants.
M. Ronan Dantec . - Absolument !
M. Pierre-Franck Chevet . - Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'énergies renouvelables qu'il n'y a pas d'autres effets adverses que ceux de nature environnementale. Quiconque vous dirait le contraire se tromperait. Il faut donc s'atteler à ces problèmes.
C'est la raison pour laquelle nous avons choisi la méthode par appels d'offres sur les centrales de cogénération biomasse. Nous pouvons ainsi faire du cas par cas : le « concours de beauté » porte sur tous les aspects, pas simplement sur le prix. Des cellules « biomasse », mises en place auprès des préfets concernés, étudient, installation par installation, avant toute prise de décision, les plans d'approvisionnement envisagés. Elles les comparent par rapport à ce qui existe pour les utilisateurs d'autres filières, comme celle du bois, et éventuellement pour d'autres installations qui auraient été auparavant sélectionnées dans la même zone, afin de vérifier qu'ils ne seront pas plusieurs acteurs à tirer sur la même ressource.
Il existe déjà une étude d'impact, même si elle ne porte que sur ce sujet de la ressource. Du point de vue de l'environnement et de la qualité de l'air, que nous venons d'évoquer, cela se présente mieux dans les grosses installations, car l'on sait mettre des filtres à moindre coût. Sur les toutes petites chaufferies, des dispositifs de filtrage sont toujours possibles, mais, comme pour les voitures, ils coûtent, en proportion, plutôt plus cher.
C'est le genre de sujet sur lequel nous avons un retour d'expérience. Dans le cadre du déploiement du Grenelle, nous nous sommes aperçu qu'il était nécessaire d'opérer des réglages, mais multicritères. Si l'un des buts premiers dans la guerre de l'énergie est, bien entendu, le CO 2 , il convient aussi de vérifier qu'il n'y a pas d'effets adverses susceptibles de « planter » le déploiement d'une filière dans la durée.
M. Pierre-Marie Abadie . - Je dirai un mot de la cogénération, poste important dans la CSPE : les charges qui y sont liées connaissent une stabilité après s'être situées aux alentours d'un milliard d'euros. Les installations concernées sortent progressivement, sur la période 2010-2014, de l'obligation d'achat. Celles dont la puissance est inférieure à 12 mégawatts peuvent obtenir un nouveau tarif, à condition d'investir dans un renouvellement, une rénovation en profondeur. Celles d'une puissance supérieure à 12 mégawatts n'ont pas cette possibilité et sortent donc progressivement de cette obligation d'achat.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce sont toutes celles qui sont amorties.
M. Pierre-Marie Abadie . - Oui, et elles vont intégrer le marché, en pouvant notamment bénéficier de la mise en place du dispositif de régulation de capacité prévu par la loi NOME, ce qui leur permettra d'obtenir une rémunération complémentaire pour leur apport au système électrique.
Les charges associées à la cogénération sont passées de un milliard d'euros à 800 millions d'euros aujourd'hui. Elles devraient descendre, du moins l'espérons-nous, à 350 millions d'euros. Point positif : cela donne un peu d'air à la CSPE. Point négatif : ce n'est pas à la hauteur des évolutions qui nous attendent sur la CSPE.
Je passe très rapidement au déficit constaté. Dans un premier temps, les coûts ont commencé à décoller sans que la CSPE suive le même rythme ; il a été considéré qu'il n'y avait pas d'urgence à agir. Les recommandations que nous avions faites pour anticiper les dépenses n'ont pas donné lieu à une hausse dès 2007-2008.
Aujourd'hui, en revanche, depuis la loi de finances pour 2011, l'évolution de la CSPE est plus encadrée : il s'agit soit de retenir la recommandation de la CRE, soit de prévoir un mouvement à la hausse d'au moins 3 euros par mégawatt-heure et par an.
La CSPE a été portée, par mégawatt-heure, de 4,5 à 7,50 euros au 1 er janvier 2011, à 9 euros à compter du 31 juillet 2011, et sera fixée à 10,50 euros au 1 er juillet 2012. Elle va poursuivre sa montée, mais dans des proportions qui sont sans commune mesure avec ce qui se fait en Allemagne. Pour avoir un ordre de grandeur, j'indique que, là où nous consacrerons, à partir du 1 er juillet prochain, 10,50 euros par mégawatt-heure pour couvrir la cogénération, la péréquation et le soutien aux énergies renouvelables, les Allemands, qui n'ont pas d'îles et doivent juste payer le renouvelable, sont à 35 euros par mégawatt-heure.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ces 35 euros ne couvrent-ils donc que les dépenses liées aux énergies renouvelables et pas celles qui nous servent à financer la partie « sociale » ?
M. Pierre-Marie Abadie . - Absolument ! Et encore les 10,50 euros concernent-ils la totalité de la CSPE, et non la sous-partie « énergies renouvelables ». La grande différence réside dans l'impact du photovoltaïque et les masses en jeu.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si j'évoque le sujet, c'est que l'une des questions portait sur les comparaisons avec l'Allemagne dans ce domaine.
M. Pierre-Marie Abadie . - Je ne reviens pas sur les comparaisons de prix au niveau européen. Je m'attarderai juste quelques instants sur un graphique intéressant, celui qui détaille la facture d'électricité d'un particulier en France, en Espagne et en Allemagne.
La partie relative à la fourniture, autrement dit la production, montre la performance du parc français, puisqu'elle se situe à 51,4 euros par mégawatt-heure, contre 90 euros en Espagne et 85 euros en Allemagne. Voilà, en gros, la différence entre un modèle fondé sur un mix de marché, où tout le monde est à peu près au même prix, et le nôtre, qui aboutit à un prix décalé.
Par ailleurs, l'acheminement coûte plus cher en France qu'en Espagne, car il y est plus performant, mais moins qu'en Allemagne, où la qualité est encore un peu meilleure, notamment en termes de distribution. Le soutien aux énergies renouvelables représente, lui, 6,3 milliards d'euros dans notre pays - les chiffres sont ceux du second semestre 2011 ; le montant sera de 10 milliards d'euros -, contre 35 milliards d'euros en Allemagne. Je précise que la facture d'électricité intègre également d'autres taxes, pour rebondir sur votre remarque, monsieur le rapporteur. Les Allemands ont en effet fait peser sur l'électricité et l'énergie toute une série de mesures fiscales.
Les comparaisons que nous avons effectuées portent également sur le coût des différentes filières. Celles-ci nous donnent notamment une vision un peu plus détaillée des parties relatives à l'investissement, à l'exploitation, au combustible.
Pour faire simple, il y a, d'un côté, les énergies à fort taux de CAPEX, ou capital expenditure : le photovoltaïque, l'éolien, mais aussi le nucléaire puisque le coût du combustible y est très faible. Il y a, de l'autre, au contraire, des filières comme celle des cycles combinés gaz, ou CCG, où les coûts d'investissement sont faibles tandis que le prix du combustible, le gaz en l'occurrence, est en proportion très important. Les modes de fonctionnement sont donc très différents.
Il convient tout de même de faire attention avec de telles comparaisons, car un certain nombre d'éléments ne sont pas comparables. Les centrales nucléaires, biomasse, à gaz, au charbon sont capables de fonctionner très longtemps : entre 6 000 et 7 000 heures dans une année, qui équivaut à un peu plus de 8 000 heures. Les installations éoliennes ou photovoltaïques fonctionnent, elles, par intermittence, donc pendant beaucoup moins d'heures.
Je ne suis pas en train de dire, comme le font souvent les anti-ENR, que, derrière chaque éolienne, se cache une centrale au gaz. Mais n'oublions pas le coût de l'intermittence dans notre analyse. Pour rendre les différentes filières comparables, à service rendu égal, il faudrait ajouter 10 ou 15 euros au coût des installations que je viens d'évoquer.
Dans le cadre des différents enjeux, il apparaît que l'éolien terrestre est une filière mature, avec des prix connus, autour de 80 euros par mégawatt-heure. Le photovoltaïque, a contrario , l'est beaucoup moins : les coûts varient extrêmement vite, pour des raisons non seulement structurelles, mais aussi, parfois, conjoncturelles, parce que cette économie repose en grande partie sur la subvention. Dès qu'un pays arrête de subventionner, le marché chute d'un coup et les prix s'effondrent. De plus, l'irruption des Chinois n'a pas été anticipée : s'agit-il d'une évolution structurelle ou conjoncturelle ? La question est posée. Ce marché est très volatil.
Je passe plus rapidement sur les tarifs pour la petite hydroélectricité et pour les installations de cogénération, ceux-ci connaissant une stabilité relative.
J'évoquerai maintenant de nouveau la précarité énergétique, pour laquelle vous nous avez demandé un certain nombre de données chiffrées.
En la matière, il nous faut rester modestes, car la précarité énergétique reste un phénomène mal évalué, qui n'est pas observé du tout de la même façon suivant les pays. Le Médiateur de l'énergie et le président de la CRE ont récemment organisé, en partenariat avec l'université Paris-Dauphine, un colloque sur la précarité énergétique, auquel j'ai participé. Ce fut l'occasion de bien mettre en évidence cette diversité des situations, y compris en termes de perception.
Ainsi, en Allemagne - je peux en témoigner, car c'est un pays que je connais bien -, la précarité énergétique enregistre une nette croissance, mais elle ne constitue pas aujourd'hui une problématique politique. Alors que les indicateurs montrent une montée moindre chez nous, c'est dans notre pays un vrai sujet.
Pourquoi un tel écart ? Outre, peut-être, un degré différent d'acceptabilité des prix de l'énergie, il y a aussi le fait que le coût de l'énergie, en Allemagne, ne se mesure pas seul : il est intégré à un bloc de dépenses, autour du logement. La perception n'est donc pas la même selon que le marché du logement est plus ou moins tendu.
En France, ont été mis en place le tarif de première nécessité pour l'électricité et son équivalent pour le gaz. Il y avait potentiellement 650 000 bénéficiaires en 2010. Or, clairement, certaines personnes n'étaient pas « atteintes » par le dispositif. Nous avons donc prévu une automaticité dans l'attribution des tarifs, pour accéder à ces populations fragiles. Au-delà de l'aspect technique de la mesure, le constat de la réalité nous a servi de leçon : ces mêmes populations sont difficiles à atteindre.
La précarité énergétique ne se traite donc pas uniquement au niveau de la direction générale de l'énergie et du climat, des services locaux, des associations. Tous les acteurs doivent être mobilisés en même temps pour pouvoir toucher les publics concernés.
Il n'y a pas de corrélation nette entre revenu et consommation électrique. C'est d'ailleurs pour cela que, au-delà de la question des tarifs, il faut traiter le fond du sujet, à savoir l'efficacité énergétique des bâtiments où vivent les personnes précaires. Celles-ci ne disposent pas de réelles capacités d'investissement : il peut s'agir de propriétaires pauvres ou de locataires dont les bailleurs ne sont pas intéressés par d'éventuels travaux d'entretien ou d'amélioration. Tout l'enjeu est de maintenir ces logements et de les améliorer.
Je laisse à Pierre-Franck Chevet le soin de répondre à la question 4 sur le CO 2 .
M. Pierre-Franck Chevet . - La création du marché européen de quotas de CO 2 a constitué une première au niveau international. C'est probablement l'une des seules zones au monde où fut mis en place un système permettant d'avoir des informations sur les prix du CO 2 .
Comme vous pouvez le constater, le diagramme présentant l'évolution des prix sur ce marché a, pour le dire librement, une drôle de tête ! Mais il est parlant, car nous pouvons y voir toutes les fluctuations subies sur la période, avec une granulométrie quasi complète.
Ce diagramme fait apparaître deux réalités.
Premièrement, la crise « réelle », si je peux m'exprimer ainsi, joue sur les prix du CO 2 . Une fois que des quotas ont été attribués, si les choses vont mal, cela relâche la contrainte pesant sur les entreprises, ce qui est alors justifié ; à l'inverse, dès que la situation économique repart, cette contrainte réapparaît fortement. Dans les deux cas, l'évolution de la régulation du CO 2 répond à un équilibre qui n'est pas illogique.
Deuxièmement, il ressort qu'un certain nombre de hausses ou de baisses sont directement liées à ce qu'a dit ou n'a pas dit la puissance publique. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un marché naturel, puisque tiré entièrement par la contrainte CO 2 posée par les États. C'est un marché, certes, mais administré. Dans le cadre de ses recommandations sur la régulation des échanges de quotas de CO 2 , M. Michel Prada avait, assez logiquement, souligné la nécessité pour les États de veiller à bien communiquer sur le sujet : à l'évidence, une communication bien maîtrisée joue sur les marchés. Ce point est important.
Il convient de tenir compte du contexte. Ce n'est pas très visible sur le diagramme, mais, sur la dernière période, au début de 2011, on devine un léger sursaut, un petit palier brutal, dû à Fukushima, qui rappelle l'importance de la question du CO 2 . Il y a aussi un effet d'emballement ou de contrainte rapide sur les marchés d'hydrocarbures, avec, pour conséquence, une hausse des prix du CO 2 . Juste après cet événement « réel », s'ouvre une période que l'on a résumée par l'expression « efficacité énergétique ». Sous ce vocable peut-être un peu bizarre se cache l'annonce d'une directive, toujours en cours de discussion, mais qui devrait, je l'espère, bientôt aboutir, sur l'efficacité énergétique. Quelque part, cette annonce, tirant dans le sens de la baisse des émissions de CO 2 , a finalement doublonné la contrainte et a quelque peu « affaibli », aux yeux des opérateurs, les obligations pesant sur la partie CO 2 , autrement dit la partie industrielle. C'est la raison pour laquelle nous avons assisté à une baisse des prix. Depuis lors, la baisse constatée est simplement l'effet de la crise.
Au niveau européen, une question se pose, sans être totalement tranchée : au regard d'une telle évolution, que faut-il faire ?
Une première tentation serait de réguler fortement tout le marché, le faire monter dès qu'il y a une baisse, et réciproquement. C'est à la fois logique et contradictoire avec l'objectif assigné à un marché. Un autre extrême serait de ne strictement rien faire. Si c'est pour reproduire ce genre de séquences sur la durée d'ici à 2020, le signal-prix ne sera bon pour personne, y compris pour les industriels.
La France soutient l'idée selon laquelle il y a au moins deux certitudes. D'une part, pour ne plus connaître de tels dysfonctionnements, les États membres doivent bien entendu faire preuve d'un minimum de discipline quant à la transmission de certaines informations : voilà une règle de base à respecter, indépendamment du débat du fond. D'autre part, le point principal est la nécessité de donner un signal pour 2030. Nous sommes en 2012 : le système ne peut plus reposer sur le seul horizon 2020. Comme l'a montré notre discussion sur le nucléaire, mais c'est vrai partout, un investissement industriel ne se décide pas en huit ans. Il faut au moins vingt années de discussions préalables, soit une demi-vie d'installation industrielle, quelle qu'elle soit.
L'Europe, pas seulement la France, se doit de donner un signal sur ses intentions en la matière, sur le degré de contraintes qu'elle va imposer, sur les objectifs visés, au moins en termes de CO 2 global et peut-être aussi de CO 2 industriel. C'est le minimum à exiger.
Il y a d'autres réflexions en cours, plus ouvertes, et ce sur tout un tas de mécanismes. Je mentionnerai la création éventuelle d'une autorité européenne indépendante de régulation de ce marché. À mon sens, une telle instance ne peut fonctionner que si elle dispose d'un cadre d'action et d'objectifs définis. Mettez-vous à la place des responsables d'une autorité de régulation qui aurait été créée pour l'occasion, mais sans recevoir d'instructions précises de la part des États membres, notamment sur l'objectif d'un prix plancher. Que peut-on conclure du diagramme s'il n'y a pas d'instructions des États membres ?
Ce marché du CO 2 présente des points négatifs et positifs.
Points négatifs : il connaît des imperfections, une certaine volatilité, et se caractérise par un signal faible. Cela ne permet pas d'avoir une vision claire sur tout ce qui doit être fait en matière énergétique, pas seulement par la France d'ailleurs. Je rejoins ce que Pierre-Marie Abadie disait tout à l'heure à propos de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne ; il faut absolument que les différents pays travaillent sur le sujet.
Points positifs : c'est le seul marché au monde qui, dans ce domaine, sur une telle période, a pu fonctionner, sans que ce soit anecdotique, et nous donner des indications intéressantes. Il ne faudrait pas le détruire simplement parce qu'il est imparfait.
Les États membres se doivent véritablement de chercher à l'améliorer, en envoyant un signal pour 2030 s'ils veulent atteindre les objectifs fixés. Telle est, en tout cas, la position que nous défendons actuellement.
M. Pierre-Marie Abadie . - La réponse à la question sur le TURPE 4 est très simple : le ministre actuel n'a pas encore adressé de courrier à la CRE.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il faut qu'il se dépêche ! ( Sourires .)
M. Pierre-Marie Abadie . - Si ce n'est pas lui qui le fait, ce sera son successeur. En tout cas, la disposition est bien prévue par le code de l'énergie. Pour l'heure, le courrier n'est pas finalisé.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Y a-t-il une petite chance qu'il soit transmis avant la fin du mois de juin, date à laquelle le rapporteur est censé présenter son rapport ?
M. Pierre-Marie Abadie . - Oui, car nous sommes en train de le finaliser. Il vous sera bien évidemment adressé si tel est le cas. Il s'agit d'un sujet important pour la DGEC.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En réalité, la réponse à la question 5 est « non » !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Passons à la question 6.
M. Pierre-Marie Abadie . - Nous n'avons pas non plus de réponse à cette question. Le sujet est plus compliqué. La Commission européenne est en train de terminer l'instruction dudit contentieux, qui, comme vous le savez, engagé à un double titre, mettait particulièrement en danger le système français : il prenait la forme, d'une part, d'une contestation de notre ouverture des marchés et, d'autre part, d'une dénonciation d'une aide d'État en faveur des entreprises industrielles. C'est pour cette raison que, en dehors de l'intérêt qu'il y avait à améliorer le fonctionnement du système français, a été proposée la loi NOME.
La Commission ne souhaite pas, avant que la procédure ne soit close, la communication à l'extérieur des différents échanges de documents et travaux. Nous restons en contact par l'intermédiaire de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. Lors de son audition, le ministre faisait déjà face à cette difficulté. Il pensait à l'époque que nous pourrions vous remettre ces documents dans la mesure où la Commission semblait sur le point de terminer son instruction. Celle-ci a pris un peu plus de temps administratif. La procédure n'est donc toujours pas close, d'où notre difficulté à vous transmettre les documents demandés.
M. Jean-Claude Lenoir . - Il serait intéressant que vous nous fournissiez - ce sont des documents publics - l'échange de lettres en 2008 entre le Premier ministre, François Fillon, et la Commission, qui constitue le point de départ. Cela nous permettra de prendre conscience de ce que la France a fait compte tenu des conditions qui nous avaient été alors posées.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous avons déjà ces documents.
M. Jean-Claude Lenoir . - Il faudra les annexer au rapport.
M. Pierre-Marie Abadie . - La Commission ne souhaite simplement pas la diffusion des derniers échanges, qui doivent lui permettre de clore la procédure.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Sur la question 7, vous y avez globalement répondu.
M. Pierre-Marie Abadie . - Nous avons effectivement couvert l'essentiel.
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai dit au début mon souhait que cette audition ne déborde pas, mais je constate que les questions complémentaires ont été posées au fur et à mesure du débat, ce qui n'est finalement pas une si mauvaise méthode.
Ne soyez pas surpris, monsieur Chevet, monsieur Abadie, si, sur un ou deux points bien précis, le rapporteur revient vers vous. Je tiens en tous les cas à vous remercier de votre présentation très complète et fort intéressante.
Les tableaux et données chiffrées que vous nous avez présentés sont-ils soumis à droits d'auteur ou le rapporteur pourra-t-il les insérer dans son rapport ?
M. Pierre-Marie Abadie . - De mémoire, il me semble que toutes ces informations sont « sourcées ». Dans le cas contraire, nous sommes à votre disposition pour vous indiquer les sources.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il est dommage de ne pas disposer plus de temps, car nous aurions volontiers écouté vos explications encore un moment.
Je souhaite malgré tout vous interroger sur les possibilités de stockage de l'énergie, notamment sur les STEP, les stations de transfert d'énergie par pompage. Y a-t-il, au sein du ministère, une volonté de favoriser une politique de développement des réserves d'énergie à partir de l'hydraulique ou faut-il considérer qu'une telle hypothèse est désormais exclue en France ?
M. Pierre-Franck Chevet . - Les installations existantes sont effectivement extrêmement utiles et il existe un certain nombre de projets en perspective. Nous avons l'espoir que, dans le cadre du mécanisme de remise en concurrence des concessions hydrauliques, le sujet puisse de nouveau revenir sur la table.
C'est l'une des composantes du fameux « concours de beauté », lequel est non pas seulement financier, mais aussi environnemental et énergétique. Certaines modifications à apporter sont toutes bêtes : changer une vieille turbine permet de gagner, à ouvrage constant, 10 % de capacité. Nous sommes très intéressés par ce genre de propositions ; pour l'instant, nous les attendons encore puisque rien n'a été déclenché en la matière.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Cela fait-il donc partie de vos préoccupations ?
M. Pierre-Franck Chevet . - Installer des STEP sur les rivières constitue l'une des propositions de nature à rentabiliser le patrimoine de l'État, car ces équipements doivent être considérés comme tels.
D'autres questions, plus compliquées, supposent d'aller plus dans le détail. Je pense au mode de tarification : les STEP utilisent le réseau dans les deux sens, dans l'un, pour produire, dans l'autre, pour faire remonter l'énergie. Faut-il, dès lors, comptabiliser cet usage une ou deux fois dans le TURPE ? Pour l'instant, la logique qui a toujours prévalu, c'est de raisonner par rapport à l'utilisateur du réseau, quel qu'il soit, où qu'il se trouve. Je vous renvoie à la discussion sur la tarification des coûts.
Certains arguent des effets bénéfiques sur l'environnement et le système énergétique pour demander, ce qui n'est pas faux, des exemptions au principe. Il n'en demeure pas moins qu'il existe, dans ce domaine, un certain nombre de capacités, qui valent cher et peuvent par ailleurs s'intégrer, en termes de valorisation, dans le marché de capacité, lequel est aussi censé donner de la rentabilité à de tels équilibres de pointe, en tout cas plus pointus que la base.
Selon nous, tout cela va véritablement dans le bon sens. Un point est à ne pas sous-estimer : sur ces dossiers, il convient de travailler dans une optique d'équilibre. Les ouvrages hydroélectriques sont, certes, souhaitables sur le plan énergétique. Les débats que nous avons avec nos différents interlocuteurs, y compris les ONG, aboutissent plutôt à défendre le fait qu'il ne faut pas les détruire. L'approche de la question doit donc être très équilibrée, car la question environnementale a un impact sur les autres usages de l'eau.
M. Ronan Dantec . - Vous n'aurez pas le temps, messieurs, de répondre aux questions que je m'apprête à poser. Je vous remercie par avance de le faire par écrit.
Vous avez peu parlé de l'Europe et des interconnexions existantes. Or il s'agit tout de même de l'élément structurant dans le domaine de l'électricité à échéance de dix ans.
J'aurais aimé connaître les scénarios envisagés par la DGEC sur la question du prix spot . Ce dernier est en train de baisser et pourrait demain être moins élevé que le prix de l'ARENH français. Quel serait l'impact sur la disponibilité du parc nucléaire français, et donc, de fait, sur son coût à terme ?
Vous n'avez pas non plus beaucoup parlé d'efficacité énergétique. Là aussi, il serait bon de disposer d'une certaine visibilité sur le gisement français. Nos mécanismes, tels que les certificats d'énergie, peuvent-ils permettre d'atteindre des résultats significatifs ? Quelles sont les perspectives en termes d'organisation du marché de l'efficacité énergétique et de quantités de réduction possibles ?
M. Jean-Claude Lenoir . - Je n'attends pas non plus une réponse immédiate. M. Champsaur, devant la commission d'enquête, a fait une déclaration qui nous a quelque peu surpris. Selon lui, la France est dans une situation de surcapacité dans le domaine de l'électricité, et il n'y a pas lieu d'investir avant longtemps, avant 2020 si je me souviens bien. J'aimerais avoir votre point de vue.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Chevet, monsieur Abadie, le rapporteur va vous convier, si cela vous est possible, à revenir pour discuter avec lui le 22 ou le 23 mai.
Pour ce qui est des questions que viennent de poser nos collègues, je vous invite à mon tour à y répondre par écrit, car elles méritent mieux qu'une explication de quelques minutes.
Je tiens une nouvelle fois à vous remercier, l'un comme l'autre, de votre présentation très complète et extrêmement intéressante, qui, cela ne vous a pas échappé, suscite de nombreuses questions.
Audition de M. Denis Merville, médiateur national de l'énergie
(9 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames, messieurs, nous poursuivons notre ordre du jour de cet après-midi avec l'audition de M. Denis Merville, médiateur national de l'énergie.
Monsieur Merville, je suis ravi que nous ayons réussi à trouver une date. Je sais que vous avez eu quelques problèmes de santé très délicats. Je suis heureux de constater que vous allez mieux physiquement et que vous pouvez être présent aujourd'hui.
Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à notre invitation. En même temps, il est obligatoire de se rendre à l'invitation d'une commission d'enquête...
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais vous demander de manière très officielle de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Denis Merville prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Malheureusement, je ne resterai avec vous qu'un quart d'heure, et mon collègue Jean-Pierre Vial continuera à assurer la présidence de cette réunion.
Le rapporteur Jean Desessard vous a adressé un questionnaire assez complet, de manière à entrer très vite dans le vif du sujet.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse rappeler ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Merville aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le médiateur, j'ai plusieurs séries de questions à vous poser.
Premièrement, pouvez-vous nous présenter brièvement vos fonctions et tirer un premier bilan du point de vue du consommateur de la libéralisation du marché de l'énergie ? Pouvez-vous également commenter l'évolution des prix de l'électricité facturés au consommateur. A-t-elle subi l'impact de la libéralisation des marchés de l'énergie ?
Deuxièmement, pouvez-vous situer au niveau européen la situation du consommateur français d'électricité. Comment sa situation relative a-t-elle évolué depuis dix ans ? Pouvez-vous rappeler les principales caractéristiques de la consommation d'électricité en provenance des particuliers ? Dans quelle mesure la place semble-t-il relativement importante du chauffage électrique apparaît-elle comme un handicap dans la gestion de la demande, et notamment des pointes de consommation en cas de vague de froid ?
Troisièmement, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ? Doivent-ils envoyer un « signal-prix » aux consommateurs correspondant aux coûts complets de production ou faut-il développer les mécanismes de solidarité, afin d'atténuer l'impact ou la variabilité des évolutions de prix pour les consommateurs ? Dans quelle mesure peut-on concilier tarif social et économies d'énergie ?
Quatrièmement, s'agissant de l'évolution future des prix, que pensez-vous de la communication par la Commission de régulation de l'énergie d'une perspective d'augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 ?
Cinquièmement, les énergies renouvelables sont amenées à se développer en France : l'impact prévisible sur les factures d'électricité via la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, vous paraît-il soutenable ? Ce mécanisme vous paraît-il justifié dans son principe ? Est-il trop ou pas assez développé ou mal ciblé ? On pourrait élaborer des mécanismes de financement reposant non pas sur les consommateurs, mais, par exemple, sur le contribuable ou sur les entreprises. Qu'en pensez-vous ?
M. Denis Merville, médiateur national de l'énergie . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir pensé à auditionner le médiateur national de l'énergie. Il est vrai qu'il a fallu trouver une date en raison de petits problèmes de santé, mais je suis très heureux et très honoré d'être ici aujourd'hui.
Je suis accompagné de M. Bruno Lechevin, délégué général, de M. Stéphane Mialot, directeur des services, et de Mme Katia Lefeuvre, chargée des relations institutionnelles.
Vous nous aviez transmis ces questions, ce qui nous a permis de les préparer et de pouvoir vous répondre avec les éléments qui sont les nôtres.
Le médiateur national de l'énergie est l'expression de la volonté du législateur. C'est la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie qui est à l'origine de sa création, en prévision de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz le 1 er juillet 2007 pour tous les clients résidentiels.
La loi précise les deux missions du médiateur : d'une part, recommander des solutions aux litiges entre les consommateurs et les opérateurs, c'est-à-dire les fournisseurs et les distributeurs ; d'autre part, participer à l'information des consommateurs d'électricité et de gaz naturel sur leurs droits et, plus généralement, sur le nouveau contexte dans lequel ils vivent depuis cette époque.
Par la création, en 2006, d'un médiateur national de l'énergie avec cette double mission, la loi française n'a fait qu'anticiper, dans l'intérêt des consommateurs, les objectifs communautaires de protection des consommateurs définis par les directives européennes du troisième paquet « énergie ».
On peut dire que la France est pionnière en Europe dans le domaine de la protection des droits des consommateurs d'électricité et de gaz.
Depuis ma nomination, au mois de novembre 2007, je constate une multiplication des réclamations et des sollicitations, soit directement par courrier et courriel, soit par le biais de notre centre d'appels, Énergie-info, service d'information des consommateurs que nous gérons et que nous cofinançons avec la Commission de régulation de l'énergie, la CRE. En 2011, nous avons eu 410 000 appels.
En 2011, mes services ont enregistré près de 18 000 réclamations, ce qui correspond à une augmentation de plus de 60 % par rapport à 2008.
J'expliquerai ce nombre élevé de réclamations par les deux principales raisons suivantes : d'une part, les dysfonctionnements et la complexité induits par la séparation fournisseur-distributeur, qui a nécessité une refonte des organisations et des systèmes d'information des groupes EDF et GDF-Suez et, d'autre part, l'augmentation importante du prix de l'énergie, qui a incité les Français à s'intéresser davantage à leurs factures, d'autant plus que le contexte économique et social actuel est difficile.
J'ajouterai peut-être qu'il y a aussi la notoriété du médiateur. Quand il n'y avait pas de médiateur, il n'y avait pas de réclamation. La première année, quand il était peu connu, il y avait beaucoup moins de réclamations. Et maintenant... Mais c'est notre mission d'informer et d'être là pour répondre aux sollicitations des consommateurs.
De ma nomination jusqu'à la fin de l'année 2011, j'ai émis 2 334 recommandations. Le rythme s'accélère, et - je le voyais encore tout à l'heure - nous ne sommes pas loin de 3 000 recommandations.
Il y a des recommandations particulières, ponctuelles, pour traiter des problèmes rencontrés par certains consommateurs avec des fournisseurs ou des distributeurs, et il y a des recommandations génériques.
J'ai toujours pensé que le médiateur était là pour apporter, modestement peut-être, sa contribution à un meilleur fonctionnement des marchés et qu'il fallait, au-delà du traitement des cas particuliers, prévenir les litiges similaires en mettant en évidence des dysfonctionnements. Je me souviens avoir émis, parmi les premières recommandations, celles sur les délais de remboursement de sommes indûment payées ; cela m'avait choqué de voir que les personnes avaient payé parfois 1 500 euros ou 1 600 euros et qu'il fallait neuf mois ou un an pour rembourser. Depuis, on l'a dit, et la loi NOME a modifié ou accéléré les choses.
C'est, je le crois, une vision de l'intérêt général de la médiation.
Nous le constatons quotidiennement au travers des courriers et des appels de consommateurs, près de cinq ans après l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie, nombre de Français peinent toujours à trouver leurs repères.
D'après les résultats du cinquième baromètre annuel Énergie-info, seuls 42 % de nos concitoyens savent qu'ils peuvent choisir leur fournisseur d'électricité et 37 % leur fournisseur de gaz. Pourtant, et c'est un paradoxe, lorsqu'on les interroge, les consommateurs nous répondent que l'énergie est un sujet de préoccupation important pour les trois quarts d'entre eux.
Cette étude révèle qu'il y a donc un grand pas entre la perception du marché et la réalité. Les deux tiers des personnes interrogées n'ont pas entendu parler des tarifs réglementés de vente. Une grande confusion perdure à propos des fournisseurs historiques. Ce baromètre montre que 30 % seulement des consommateurs savent que EDF et GDF-Suez sont deux entreprises différentes et concurrentes. Et quand on les interroge sur le rôle du distributeur, ils ont du mal à s'exprimer.
Force est de constater que le système s'est complexifié avec l'ouverture à la concurrence. Il convient de simplifier et de clarifier l'organisation des marchés.
Dans les premiers mois de ma prise de fonctions, on a vu le système ; il y avait à l'époque la non-réversibilité. Nous avions certainement un système qui était parmi les plus complexes en Europe, puisque ce qui était possible pour l'électricité ne l'était pas pour le gaz, ou nécessitait un délai de six mois... les gens ne s'y retrouvaient pas. Dès le départ, en tant que médiateur, j'ai dit qu'il fallait insérer de la confiance et permettre cette réversibilité, ce qui est possible aujourd'hui ; je crois que cela va dans le bon sens. Cela a été une avancée importante. Comme je le demande depuis 2008, la possibilité de revenir aux tarifs réglementés, dans tous les cas, sans condition de délai, est désormais acquise.
Je crois qu'il est absolument nécessaire de poursuivre les efforts d'information et même de pédagogie auprès des consommateurs pour faire progresser la connaissance de leurs droits. Car il ne peut y avoir de marché sain et efficace sans confiance, dans l'intérêt des consommateurs, mais également des divers opérateurs.
Les consommateurs français sont d'ailleurs peu nombreux à avoir changé de fournisseur. À la fin du mois de décembre 2011, les fournisseurs historiques restaient omniprésents sur leur créneau avec 94 % des parts de marché pour EDF dans l'électricité et 91 % des parts de marché pour GDF-Suez dans le gaz.
Jusqu'à récemment, et depuis les années quatre-vingt-dix, les prix de l'électricité évoluaient une seule fois par an à un niveau proche ou inférieur à l'inflation. Depuis 2009, des augmentations plus significatives et plus fréquentes ont été observées, essentiellement liées à l'augmentation des charges de service public.
Cette tendance haussière à un rythme plus fréquent, largement médiatisée, suscite une inquiétude compréhensible chez les consommateurs, qui subissent par ailleurs des hausses beaucoup plus importantes encore avec les autres énergies. Je pense au gaz, qui a augmenté de 60 % entre 2005 et 2011, sans parler de l'essence ou du gazole, qui a augmenté de 64 % entre 2001 et 2011.
Si l'ensemble des consommateurs sont impactés par ces augmentations, il est certain que les ménages vulnérables sont les plus touchés : soit ils ont des difficultés à payer leurs factures, soit ils se privent de chauffage. Nous recevons des courriers en ce sens. Des personnes nous disent effectivement avoir renoncé à se chauffer pendant plusieurs mois. Si cela peut être acceptable au printemps ou à l'été, à condition qu'il fasse beau, ça ne l'est pas quand on arrive à des périodes hivernales.
À l'occasion de la mise en place de l'observatoire national de la précarité énergétique en 2011, la ministre de l'écologie indiquait que 6,5 millions de nos concitoyens avaient déclaré avoir souffert du froid durant l'hiver 2010-2011.
Cela étant, la libéralisation des marchés et la loi NOME ont-elles eu un impact sur l'évolution du prix de l'électricité ? C'était la question que vous nous posiez.
Selon moi, à ce jour, la réponse est non. Ces changements n'ont pas eu d'effet direct sur les prix de l'électricité des clients domestiques : les tarifs réglementés - il y a tout de même 94 % des Français qui en bénéficient encore - ont augmenté essentiellement en raison de la hausse des taxes et des contributions ; j'y reviendrai. Quant aux offres de marché pour les clients domestiques, elles sont pour la plupart à un prix inférieur ou égal aux tarifs réglementés, sur lesquels elles sont d'ailleurs indexées.
Il convient toutefois de souligner que la réorganisation du secteur, en particulier la modification des systèmes d'information, a coûté plusieurs milliards d'euros aux fournisseurs et aux distributeurs. Ces coûts n'ont toutefois pas été automatiquement répercutés sur la facture d'électricité, car des économies ont été réalisées, mais parfois au détriment de la qualité de service : réduction des investissements dans les réseaux, fermeture de nombreuses agences, réduction des plages horaires d'ouverture des services à la clientèle...
Dans le rapport que j'ai remis au ministre chargé de l'énergie au mois de décembre 2010 sur les méthodes de facturation des fournisseurs et le traitement des réclamations, je recommandais que les opérateurs du secteur recréent une relation clientèle, sinon de proximité, du moins plus personnalisée. La disparition des accueils physiques et la mise en oeuvre de serveurs vocaux interactifs doivent-elles être considérées comme une évolution inéluctable des relations commerciales dans le secteur de l'énergie ? À mon sens, certainement pas. Je crois qu'il y a une forte demande de proximité. On le voit dans les courriers que nous recevons. On l'a vu dans les enquêtes qui avaient été menées à l'époque. On regrette souvent un peu de la proximité ou de la personnalisation, que ce soit pour les élus ou les associations de consommateurs.
Comment alors expliquer la hausse récente des prix de l'électricité pour les clients domestiques ? Comme vous le savez sans doute, les taxes et contributions représentent aujourd'hui de l'ordre de 30 % de la facture d'électricité.
Le développement des énergies renouvelables et la péréquation tarifaire dans les zones insulaires contribuent à l'envolée de la contribution aux charges de service public de l'électricité, la CSPE, payée par tous les consommateurs : celle-ci a augmenté de 66 % en 2011. De nouvelles hausses sont déjà prévues - au 1 er juillet prochain, ce sera une hausse de 1,50 euro par mégawatt - ou sont à prévoir.
Voilà pour la première série de questions que vous posiez, monsieur le rapporteur.
Vous m'avez également interrogé sur la situation du consommateur français d'électricité au niveau européen.
Les statistiques dont nous disposons sont celles qui sont publiées par Eurostat pour 2009. Ce n'est pas le médiateur lui-même.
Selon la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, le prix de l'électricité payé par les consommateurs français est inférieur de près de 40 % en moyenne à celui qui est payé par les autres consommateurs européens. Les consommateurs allemands paient leur électricité près de 85 % plus cher. Ainsi, en France, la facture moyenne annuelle d'électricité est de 700 euros environ contre 1 250 euros en Allemagne.
Rappelons pour mémoire que la consommation moyenne annuelle d'électricité d'un ménage français est de 5 mégawatts et de 8,5 mégawatts en cas de chauffage électrique.
Ainsi, en 2010, un ménage français consacrait en moyenne 2 900 euros à l'énergie. Ce budget se répartissait grosso modo de la manière suivante : 1 600 euros pour l'énergie domestique et 1 300 euros pour les carburants.
Selon une enquête de l'Institut national de la consommation, le budget moyen annuel consacré à l'électricité et au chauffage a augmenté - je dirais presque « bondi » - de 32 % en dix ans, entre 2000 et 2010, la facture énergétique mensuelle passant de 115 euros à 150 euros. Sur la même période, l'inflation a augmenté de 18 %.
Selon Réseau de transport d'électricité, ou RTE, et la CRE, lorsque la température baisse d'un degré Celsius, la consommation électrique française à la pointe augmente de 2 300 mégawatts, soit la puissance d'un peu plus de deux réacteurs nucléaires. Cette hausse de consommation représente à elle seule la moitié de la hausse totale observée en Europe dans ce cas.
La pointe de consommation d'électricité lors de vagues de froid telles que celle de l'hiver dernier croît très fortement et fragilise le réseau électrique. La pointe s'explique par le fait que le tertiaire s'additionne au domestique. L'équipement en radiateurs électriques des logements français participe largement à cette très forte thermosensibilité. Certaines régions sont plus touchées que d'autres. Vous savez qu'il y a des appels aux économies d'énergie et au civisme lancés par l'Association des maires de France pour faire en sorte que les collectivités et les bâtiments publics réduisent leur consommation aux heures où nos concitoyens sortent des bureaux.
Le chauffage électrique est un mode de chauffage plus sensible aux problèmes de pointe et d'extrêmes pointes. Il n'est pas nécessairement critiquable en lui-même. Le problème majeur provient essentiellement du fait qu'il a souvent été installé dans des habitations mal isolées, pour des raisons de moindre coût d'investissement. Équiper de chauffage électrique des logements qui sont de véritables « passoires énergétiques » n'est pas efficace et conduit en réalité à augmenter la facture d'électricité des ménages les plus démunis. Se pose alors la question de la précarité énergétique, que j'évoque régulièrement et qui nécessitera des investissements très importants. Mais j'aurai l'occasion d'y revenir dans quelques instants.
Ajoutons à cela que les politiques publiques d'incitation à l'isolation thermique sont difficilement lisibles pour nos concitoyens, car elles changent fréquemment au gré des lois de finances. D'où un effet relativement limité sur l'amélioration de l'habitat. Nous sommes à une époque où nos concitoyens doivent remplir leur déclaration d'impôts ; quand on regarde ce qui est déductible ou ce qui l'a été ces dernières années, il y a tout de même des changements qui sont très fréquents, et il n'est pas facile parfois, pour les élus que vous êtes, de pouvoir conseiller nos concitoyens.
Vous avez posé une autre série de questions pour savoir si les tarifs actuels de l'électricité paraissaient refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité.
En tant que représentant d'une autorité administrative indépendante, je ne peux pas concevoir que les tarifs réglementés de l'électricité ne reflètent pas le coût réel de l'électricité, ainsi qu'en dispose la loi. ( Sourires .) Toujours est-il que je n'ai, en tant que médiateur, aucun moyen de le vérifier, mais ce sujet dépasse le cadre de mes missions.
En revanche, nous savons, notamment d'après les calculs de la CRE, que le niveau de la contribution aux charges de service public de l'électricité ne couvre pas les coûts réels.
Vous savez comme moi que la CSPE a été instaurée en 2003, qu'elle a connu une évolution notable en 2011, avec une augmentation de 66 %, qu'elle s'élève actuellement à 9 euros par mégawatt et passera à 10,50 euros par mégawatt au 1 er juillet prochain et jusqu'au 31 décembre. Reconduite automatiquement par la loi à 4,50 euros par mégawatt depuis 2006, la CSPE ne permet plus depuis 2009 de couvrir les charges qu'elle est censée financer, c'est-à-dire le soutien à la cogénération et aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les zones insulaires et les dispositifs sociaux en faveur des clients en situation de précarité.
La compensation intégrale des charges prévisionnelles 2012 - elle est de 5,2 milliards d'euros, dont 4,3 milliards d'euros correspondent aux charges prévisionnelles au titre de 2012 et environ 0,9 milliard d'euros à la régularisation de l'année 2010 - nécessiterait une contribution unitaire de service public de l'électricité estimée par la CRE à 13,70 euros par mégawatt. La loi de finances pour 2011 limite toutefois la hausse de la CSPE d'une année sur l'autre à 3 euros par mégawatt. Il en résulte pour EDF un défaut de compensation au titre de l'année 2010 de l'ordre de 1 milliard d'euros, qui s'ajoute à ses charges 2012.
Selon la CRE, le retard accumulé sera rattrapé d'ici à 2016 sous réserve que les hausses maximales possibles soient mises en oeuvre chaque année. La CSPE serait alors de 19,50 euros par mégawatt, ce qui représenterait une augmentation de plus de 10 % de la facture globale par rapport à aujourd'hui, sans compter les hausses qui interviendront par ailleurs sur les autres composantes de la facture d'électricité.
Je souhaite également attirer votre attention sur une autre taxe qui figure sur la facture de tous les consommateurs d'électricité, la contribution tarifaire d'acheminement, la CTA, dont le niveau ne couvrirait pas non plus le coût réel. Cette contribution, qui a été instaurée en 2004 et qui représente environ 1 milliard d'euros par an, a pour vocation de financer les droits spécifiques du régime de retraite des agents des industries électriques et gazières dans les activités en monopole.
Au mois de septembre 2010, la Cour des comptes faisait état dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de plusieurs préconisations relatives au régime de ces industries. Elle relevait alors : « L'organisation de la protection sociale dans les industries électriques et gazières se caractérise par une complexité excessive, manquant de cohérence et souvent porteuse de déséquilibres financiers au détriment de la collectivité. Le surcoût supporté par le régime général de sécurité sociale atteint au moins 500 millions d'euros par an ». Afin d'assurer l'équilibre financier, la Cour des comptes recommandait une augmentation de la CTA, qu'elle estimait inéluctable à court terme. On nous dit qu'il manquerait environ 100 millions d'euros par an.
En tout état de cause, et nous y reviendrons, je ne vois que des perspectives d'évolution à la hausse des prix de l'électricité.
Dans ce cadre, il convient, de mon point de vue, de ne pas opposer le fait de faire payer le vrai prix au consommateur en général et l'accompagnement spécifique des consommateurs les plus vulnérables. On peut même aller encore plus loin : seule une aide significative au paiement des factures des plus précaires permettrait d'obtenir une acception sociale des hausses de prix à venir.
Il ne faudrait pas non plus opposer tarif social ou aide au paiement des factures avec les économies d'énergie. L'énergie la moins chère, c'est celle qui n'est pas dépensée. La réduction de la précarité énergétique repose sur deux piliers : d'une part, les aides au paiement des factures et, d'autre part, des aides à la rénovation de l'habitat.
N'accorder que des aides au paiement des factures, ce serait creuser un puits sans fond pour la collectivité. Se contenter des aides à la rénovation de l'habitat alors que des millions de logements doivent être rénovés - dans le plan bâtiment Grenelle, il y a tout de même 800 000 logements qui sont particulièrement énergivores -, ce qui demandera de nombreuses années et des budgets importants, plongerait nombre de concitoyens dans des situations difficiles, voire dramatiques.
Pour l'un comme pour l'autre, il convient d'éviter le « saupoudrage » et de mettre en oeuvre des politiques publiques ambitieuses et sur le long terme.
Dans un premier temps, nous proposons d'améliorer significativement les aides au paiement des factures d'énergie.
Certes, des mesures ont été mises en place ces dernières années par les pouvoirs publics. Je pense d'abord au tarif de première nécessité, le TPN, et au tarif spécial solidarité, le TSS, à leur récente revalorisation et à leur attribution automatique, dans le cadre de la loi NOME. Tout cela va dans le bon sens. Mais je crois que ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Je rappellerai que le TPN est possible uniquement pour les consommateurs qui sont chez le fournisseur historique. Et on voit des consommateurs dénoncer les alternatifs alors que, en définitive, c'est le texte actuel.
Avec l'automatisation qui a pris un peu de retard, cela concerne environ 1 million de foyers alors que 3,2 millions de ménages sont en situation de précarité d'après les chiffres officiels, un chiffre qui pourrait atteindre les 4 millions vu le contexte économique et social.
Les coûts de gestion et de distribution sont également supérieurs à 10 % des sommes alloués, un ratio qui n'est pas au niveau d'une aide sociale efficace : 10 % de frais de gestion, c'est lourd pour la distribution d'une telle aide.
Afin d'élargir le nombre de bénéficiaires, les sommes qui leur sont allouées et en simplifier la distribution, nous avons proposé de substituer aux tarifs sociaux un « chèque énergie ». Cela mérite bien sûr d'être précisé, au sein des groupes de travail qui avaient été mis en place par Mme la ministre de l'écologie.
Pour nous, ce chèque serait distribué par un organisme spécial, par exemple la caisse d'allocations familiales, la CAF. Cela éviterait les démarches pour ces consommateurs en difficulté. Cela apporterait un appui financier plus important. Et on pourrait évidemment tenir compte des besoins de chauffage de la famille, du foyer, en fonction de sa situation géographique, car il est évident qu'il y a des écarts dans la facture d'énergie selon les régions dans lesquelles nos concitoyens vivent.
Nous sommes favorables à inciter l'ensemble des consommateurs, vulnérables ou pas, à faire des économies d'énergie. Je l'ai évoqué tout à l'heure, et je crois que là-dessus, il y a aussi beaucoup à faire.
Et nous avons plaidé, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, pour que tous les consommateurs aient accès gratuitement à une information en temps réel sur leur consommation, dans le lieu de vie, lors de la mise en place des compteurs évolués. Vous savez que le principe en a été décidé, il y a des expériences, mais si votre compteur se trouve dans votre garage ou dans votre cave, vous n'êtes pas informé de votre consommation. Et cela doit être sur le lieu de vie, ce qui vous permettrait à ce moment-là de pouvoir régler et donc éventuellement consommer moins. Moi, je prends souvent l'image de l'ordinateur que nous avons dans notre voiture : si vous roulez plus vite, votre consommation augmente ; si vous avez une consommation plus écologique, votre consommation baisse et c'est affiché. Donc, aller voir dans son garage ou dans sa cave, je crois que ça n'irait pas dans le sens des économies d'énergie.
Sur l'évolution future des prix et la communication par la Commission de régulation de l'énergie d'une perspective d'augmentation de 30 % des tarifs réglementés, je crois que nous partageons l'avis de bien des experts du secteur. L'augmentation du prix de l'énergie est inéluctable, et ce dans ses trois composantes : la fourniture, l'acheminement et les taxes. En effet, quel que soit le scénario d'évolution du « mix énergétique » qui sera décidée, l'augmentation continue de la demande énergétique et le vieillissement des réseaux vont nécessiter des investissements importants qui se retrouveront inévitablement sur les factures d'énergie.
Je crois que la question n'est donc pas de savoir si les prix augmenteront, mais comment, dans quelle proportion et à quel rythme.
J'évoquais tout à l'heure les multiples changements intervenus ces dernières années, les évolutions à plusieurs périodes de l'année. Nous préconisons, dans un souci de simplicité et de pédagogie, que les évolutions soient regroupées une seule fois par an, afin de ne pas donner le sentiment aux consommateurs d'un système incontrôlé, avec des hausses à répétition, qui sont souvent, je le disais, fort médiatisées.
Afin de permettre à chacun d'anticiper les hausses à venir, peut-être faudrait-il un calendrier prévisionnel pluriannuel. Un tel calendrier serait possible dans l'électricité, contrairement au gaz, car les prix sont moins sensibles aux variations des cours mondiaux et davantage liés à des investissements de long terme.
Enfin, comme je le soulignais, il convient d'accompagner ces hausses de mesures d'aide pour les plus démunis et de donner à chaque consommateur les moyens d'économiser l'électricité, que ce soit au travers d'incitations fiscales à l'amélioration de l'habitat, au déploiement massif de services gratuits permettant de suivre ses consommations, comme devrait le proposer le projet Linky, ou de grandes campagnes de sensibilisation conduites par des organismes publics ou parapublics ; je pense par exemple à l'ADEME.
Votre dernière série de questions concernait les énergies renouvelables.
La CRE a estimé les charges dues aux énergies renouvelables en 2020 avec l'hypothèse que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements seront atteints pour l'ensemble des filières et dépassés pour le photovoltaïque. Les charges sont estimées à 7,5 milliards d'euros, soit 110 euros sur la facture d'un client résidentiel moyen et 200 euros sur la facture d'un client qui se chauffe à l'électricité.
Comme je le soulignais en réponse à la question précédente, les aides au paiement des factures devront nécessairement être revalorisées avec de telles hausses. Si nous prenons l'exemple d'un ménage qui se chauffe à l'électricité, sa facture moyenne annuelle est de 1 500 euros. Si ce même ménage est éligible au TPN, le montant du rabais sur sa facture ne peut excéder 136 euros, ce qui est inférieur à sa contribution à la CSPE.
Pour rendre soutenables les hausses de la CSPE, comme de l'acheminement et de la fourniture, il faudra nécessairement renforcer l'effort de solidarité nationale. Rappelons que les aides au paiement de factures ne représentent actuellement que 2 % de la CSPE.
On pourrait également s'interroger sur l'opportunité de maintenir en l'état une solidarité nationale sur les prix de l'électricité qui ne soit pas fondée sur des critères sociaux. Je pense à la péréquation tarifaire dans les zones insulaires. Cela coûte chaque année à l'ensemble des consommateurs français plus de 1 milliard d'euros, un chiffre en forte hausse. Il s'agit de surcoûts de production à base d'énergies fossiles. Ne serait-il pas plus efficace de financer des chauffe-eau solaires thermiques dans les zones insulaires, qui s'y prêtent pour la plupart d'entre elles, plutôt que d'encourager l'installation de chauffe-eau électriques en heures creuses, alors même que les moyens de production ne s'y prêtent pas ? Il faut, me semble-t-il, y réfléchir.
Au-delà de l'évolution de la CSPE, son mécanisme actuel mérite aussi réflexion. Comme je le demandais tout à l'heure, est-il justifié de faire reposer l'essentiel du financement du soutien au développement des énergies renouvelables sur le seul consommateur d'électricité ?
Ne serait-il pas plus équitable, comme le recommande d'ailleurs la Cour des comptes, que le financement du soutien au développement des énergies renouvelables soit partagé par l'ensemble des consommateurs d'énergie, avec une contribution élargie a minima au gaz naturel, voire aux autres énergies ?
On peut également s'interroger sur le mécanisme d'incitation à la production d'électricité d'origine renouvelable, qui est aujourd'hui entièrement fondée sur une « collectivisation » des surcoûts. Un consommateur qui le souhaite, qu'il soit domestique ou entreprise, ne peut pas en pratique contribuer individuellement au développement des énergies renouvelables en payant plus cher de l'électricité dite verte. En effet, les mécanismes d'obligation d'achat n'ont pas permis le développement d'une offre crédible en France dans ce domaine : la plupart des consommateurs se sont détournés des offres d'électricité dites « vertes », car elles revenaient à leur faire payer deux fois l'électricité d'origine renouvelable.
Inciter à l'autoconsommation les petits producteurs serait également souhaitable. L'Allemagne est en train, avec des dispositions, de prendre un peu cette orientation. Aujourd'hui, en effet, une toiture photovoltaïque s'apparente davantage, pour le consommateur-producteur concerné, à un placement financier qu'à une mesure d'efficacité énergétique. Il y a même des campagnes d'information et de communication qui vont en ce sens.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je dirais que la hausse des prix de l'électricité semble aujourd'hui inéluctable. Les Français le savent, et ils s'y attendent. Il serait vain de penser qu'il est possible d'y échapper.
Les pouvoirs publics doivent donc mettre en place des dispositifs d'accompagnement pour permettre aux foyers les plus vulnérables de faire face à la hausse de leur facture et des politiques publiques favorisant la maîtrise des consommations par l'évolution des comportements et l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Et là, il y a beaucoup à faire ; je parle non seulement des logements, mais aussi de beaucoup de bâtiments publics. J'ai le sentiment que nombre de nos concitoyens, notamment élus, sont aujourd'hui favorables à des économies d'énergie, que ce soit pour des raisons environnementales ou pour des raisons financières.
( M. Jean-Pierre Vial remplace M. Ladislas Poniatowski à la présidence de l'audition .)
M. Jean-Pierre Vial, président . - Monsieur le médiateur, je vous remercie de cette présentation.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Je souhaite poser une question et en même temps dresser un constat.
Il y a tout de même quelque chose de surréaliste. Nous sommes la cinquième puissance mondiale, et vous nous expliquez que, pour de multiples raisons, l'évolution quasi « exponentielle » des tarifs de l'énergie est une fatalité. Certes, elle est un peu moins importante pour l'électricité que pour le gaz et les carburants. Notons au passage que, dans les trois cas de figure, les augmentations sont pour une large part liées aux taxes.
J'aurais aimé vous entendre parler des difficultés incommensurables dans l'accès au tarif social. C'est un véritable maquis. Un nombre non négligeable de nos concitoyens, soit par ignorance, soit pour d'autres raisons, sont passés totalement à côté du dispositif. J'ose affirmer que la puissance publique n'a pas dû trop les encourager ou leur faciliter l'accès.
Au fond, c'est la triple peine. Déjà, ceux qui ont du mal à se chauffer sont les mêmes que ceux qui ont du mal à se déplacer ; et, en plus, on a inventé un terme très pudique : « précarité énergétique ». Vous l'avez d'ailleurs évoqué : en France, dans - je le répète - la cinquième puissance mondiale, certains n'ont pas pu se chauffer ! Voilà ce que signifie la « précarité énergétique ».
Et, à l'autre bout de la chaîne, on nous parle du compteur Linky. En clair, des personnes qui sont relativement prémunies contre les risques liés à la qualité de l'habitat et qui, cerise sur le gâteau, ont souvent une voiture hybride sauront désormais, grâce au compteur Linky, qu'il vaut mieux faire marcher la machine à laver à dix-neuf heures quarante-huit plutôt qu'à vingt-deux heures quinze !
Dans certains quartiers populaires, par exemple dans le canton que je représente, il y a encore un habitat type années soixante, avec des cloisons aussi épaisses que du papier à cigarette et des grille-pain en guise de radiateur, parce que c'est la solution de facilité pour celui qui met l'appartement en location.
Lorsque vous concluez votre intervention en expliquant que l'augmentation des tarifs va se poursuivre, car c'est une fatalité, moi, cela m'alarme tout de même un peu.
Cela me rappelle les propos du président-directeur général de Total, qui justifie le tarif du litre de super, 2 euros, en expliquant « mobiliser » ses bénéfices - ce n'est tout de même pas une bagatelle ; cela représente quelques milliards d'euros ! - pour répondre à des besoins d'investissement. Que lui le fasse - après tout il est un peu émancipé de la tutelle de l'État -, mais nous, nous devrions, me semble-t-il, pouvoir offrir une autre perspective à nos concitoyens sur les tarifs de l'électricité.
Certes, vous n'êtes pas responsable, monsieur le médiateur. Mais vous êtes par définition le réceptacle des mécontentements.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En voici un ! ( Sourires .)
M. Jean-Jacques Mirassou . - Vous ferez passer le message, mais il va falloir faire vite quand même ! ( Nouveaux sourires .)
J'ai apprécié ce que vous avez dit, notamment sur le chèque. Mais ne serait-il pas finalement plus simple d'avoir une modulation des prix de l'énergie ? Certes, c'est très compliqué. La consommation énergétique n'a rien à voir selon que l'on habite dans les Pyrénées-Orientales ou au fin fond de l'est du pays. C'est donc plus une opinion qu'une interrogation, hormis sur le cas du tarif social, que je souhaitais exprimer. Le constat que vous avez dressé est exhaustif et très précis, mais la situation est drôlement injuste pour ceux qui la subissent depuis la nuit des temps.
M. Jean-Pierre Vial, président . - La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - Monsieur le médiateur, vous nous avez fait un bilan très complet et très complexe de ce qui existe aujourd'hui.
Nous sommes un peu effarés en effet de constater que près de 4 millions de ménages - vous l'avez souligné - sont en situation de précarité énergétique. En même temps, vous nous dépeignez avec justesse la complexité des systèmes d'aide, la complexité aussi du paiement de la facture pour les énergies renouvelables. Peut-être faudra-t-il aussi revoir notre système de péréquation avec nos collègues des îles.
Toutefois, je voudrais vous interroger très tranquillement. N'est-il pas temps aujourd'hui de réfléchir à un pôle public de l'énergie ? Vous avez souligné qu'il n'était pas juste de faire payer la facture du soutien aux énergies renouvelables aux consommateurs d'électricité. Même si cela ne relève pas vraiment de vos compétences, j'aimerais connaître votre sentiment sur la création d'un tel pôle public.
Votre exposé très complet met bien en lumière la complexité des choses. Nos concitoyens n'arrivent pas à régler leurs factures et n'arrivent même pas à accéder aux aides.
Voilà pourquoi nous pourrions réfléchir à un pôle public de l'énergie. Nous sommes au pied du mur pour le renouvellement de nos centrales et pour savoir s'il faut ou non continuer avec l'énergie nucléaire. N'est-il pas temps de réunir les salariés, les usagers, les chercheurs et les opérateurs historiques autour d'une table pour construire un système plus clair, plus transparent ? Et s'il y a des hausses, il faut qu'elles soient acceptables, donc avec une belle harmonisation entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne peuvent pas. Il nous faut un système plus simple.
M. Jean-Pierre Vial, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Ma question s'adresse à l'observateur avec un peu de recul que vous êtes, mais elle fait écho à ce qui vient d'être dit.
L'organisation est assez étonnante : finalement, la distribution et le transport, qui sont par ailleurs en situation de monopole, se retrouvent filiales du principal fournisseur, doivent financer la maison-mère et servent même de garantie financière pour le démantèlement de demain.
Cela ne vous semble-t-il pas totalement aberrant ? Ne trouvez-vous pas que cela ne va pas du tout dans le sens de la rationalité de l'action publique ? En plus, cela a un coût pour le consommateur : les filiales, qui sont porteuses d'intérêt général, doivent verser des dividendes à la maison-mère, qui est le producteur, mais qui n'est même pas le plus gros employeur de l'ensemble.
J'aimerais donc entendre votre point de vue sur cette organisation assez étonnante.
Par ailleurs, pouvez-vous développer un peu votre propos sur les offres vertes, qui m'a beaucoup intéressé ? Le consommateur se retrouve à payer deux fois avez-vous dit. Avez-vous des suggestions sur le sujet, par exemple sur l'autoconsommation ? Voilà qui nous permettrait de dépasser le stade du constat et de formuler des propositions.
M. Jean-Pierre Vial, président . - Puisqu'il s'agit d'un tir groupé ( Sourires ), je vais également poser une question.
Vous avez évoqué tout à l'heure la facturation du ménage moyen et le cas particulier des ménages ou des familles en situation de précarité, notamment au regard de leur logement. Avez-vous des chiffres plus précis sur le coût de la facturation moyenne pour ces ménages qui viendraient illustrer votre propos ?
M. Denis Merville . - Je vais essayer de faire face à ce tir groupé, même si beaucoup de questions dépassent les compétences du médiateur national de l'énergie. ( Sourires .)
Je reçois beaucoup de courriers sur l'augmentation des tarifs ; nous sommes largement interpellés sur le sujet. Comme vous le savez, la fixation des tarifs relève de la CRE et des pouvoirs publics, et non du médiateur.
Cela étant, je me fie aussi aux experts. Tout le monde dit que le prix de l'énergie va augmenter.
D'abord, en dépit des efforts, la demande mondiale augmente et continuera d'augmenter.
Ensuite, il y a quand même des investissements importants à réaliser, quel que soit le « mix énergétique ». Il y a un audit sur nos centrales nucléaires, et il y aura des milliards d'euros d'investissements à mobiliser. Sur les réseaux aussi, des investissements seront nécessaires.
Enfin, je suis interpellé aussi sur la qualité dans certaines régions. Lorsqu'on installe de la géothermie, il arrive que le réseau ne suffise pas pour certains hameaux isolés. Là aussi, ça coûte très cher.
Par conséquent, j'ai toujours dit que les tarifs - je n'ai pas donné le chiffre fourni par la CRE - allaient augmenter.
En revanche, nous disons qu'il faut faire un effort pour les plus vulnérables, afin de rendre ces hausses acceptables pour nos concitoyens.
Il est vrai que la mise en place des tarifs sociaux, même si elle est relativement récente, est certainement insuffisante.
D'abord, et je l'ai souligné tout à l'heure, pour avoir accès au TPN, il faut être chez EDF, et pas chez les alternatifs ou même chez le grand historique GDF.
Ensuite, la remise est la même que vous vous chauffiez ou non à l'électricité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument.
M. Denis Merville . - Cela pose un problème.
Mme Mireille Schurch . - Tout à fait.
M. Denis Merville . - La facture moyenne est de 600 euros ou de 650 euros ; si vous êtes chauffé à l'électricité, c'est 1 600 euros. Nous avions préconisé une augmentation. Le ministre chargé de l'énergie a pris des dispositions, je l'ai dit, qui vont dans le bon sens ; il n'empêche que cela reste modeste.
En plus, il y a un gros écart. D'après les estimations, les ayants droit TPN et TSS, c'était 2 millions de foyers. Il faut faire des démarches. Nos travailleurs sociaux sur le terrain, que ce soit ceux des centres communaux d'action sociale, les CCAS, - nous avons passé une convention avec l'union nationale des CCAS - ou ceux des conseils généraux, ne peuvent pas tout connaître. Et il y a des démarches à accomplir.
Une enquête a été faite. Je suis allé dans le département de l'Aube, qui s'était penché là-dessus. Souvent, dans l'habitat dégradé, il y a des boîtes aux lettres où les noms ne figurent pas toujours ; il y a une déperdition considérable.
Aussi, l'automatisation prévue par la loi NOME, même si ça peut poser des problèmes, par exemple par rapport à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, va dans le bon sens. Cela évite les démarches et les déperditions que je viens d'évoquer.
Mais cela reste tout de même modeste. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est 2 % de la CSPE, alors que les énergies renouvelables ou la péréquation représentent quand même des sommes beaucoup plus importantes.
Sur la précarité énergétique, les chiffres officiels donnent effectivement 3,2 millions. Mais, et je l'ai indiqué, nous ne sommes sûrement pas loin de 4 millions.
Vous m'avez également interrogé - cette question dépasse largement les compétences du médiateur - sur l'idée d'un grand pôle public de l'énergie. Pour ma part, j'ai entendu dire qu'il y aurait un grand débat sur l'énergie.
Mme Mireille Schurch . - Vous êtes favorable à un grand débat, déjà ! ( Sourires .)
M. Denis Merville . - Ce sera l'occasion d'en discuter et de prendre des positions sur le sujet. Mais je ne peux pas vous répondre en tant que médiateur.
Vous avez parlé de « complexité ». Ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, la mission du médiateur - cela surprend parfois - est double : il doit recommander des solutions aux litiges et informer. Lorsque d'autres médiateurs me demandent si je suis chargé d'informer, je leur réponds : « Avec d'autres. »
En fait, nous avons été seuls au moment de l'ouverture des marchés. Votre collègue Jean-Claude Lenoir a été nommé médiateur en 2007, puis je lui ai succédé au bout de quelques mois. Au début, je me suis retrouvé sans équipe. Notre première campagne d'information a été beaucoup plus tardive, avec les moyens qui nous ont été donnés par les pouvoirs publics. Mais nous avons été un peu seuls lorsqu'il s'est agi d'informer. Toutes les études - je vous ai donné les chiffres - montrent qu'il y a encore un gros effort de pédagogie et d'information à faire, notamment entre distributeurs et fournisseurs.
Vous m'avez interrogé sur les offres vertes. Aujourd'hui, il est possible pour un consommateur d'avoir de l'énergie verte, mais c'est effectivement plus cher. Et à travers la CSPE, il participe déjà au soutien des énergies renouvelables.
Prenons le cas du moratoire sur le photovoltaïque. On a quand même assisté à l'explosion du photovoltaïque. Je pense que vous avez vu fleurir dans nos villages, dans nos communes, éventuellement dans nos champs, des toitures pour faire du photovoltaïque ; ça rapportait plus que l'agriculture. Mais cela pose quand même des problèmes. Il y a donc eu un moratoire. Il n'empêche que cela figure dans la CSPE.
Par conséquent, celui qui veut de l'énergie verte paie deux fois. Il paie plus cher sur sa facture et, ensuite, il paie plus cher par la CSPE, pour la solidarité.
C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué qu'il faudrait peut-être réfléchir - certains pays semblent s'engager un peu dans cette voie - à l'autoproduction et à l'autoconsommation. À une époque, on a parlé du solaire thermique. Aujourd'hui, il faut passer par un prix de rachat, alors que cela pourrait être un moyen de réduire la facture énergétique.
Vous m'avez aussi demandé si j'avais des chiffres précis sur la précarité.
Certes, ce n'est pas la vocation première du médiateur de traiter ces problèmes-là. Mais si nous sommes sollicités, si j'ai dû mettre plusieurs collaborateurs ou collaboratrices à répondre à nos concitoyens les plus en difficulté pour payer leur facture, c'est souvent qu'il y a des problèmes de contact, de dialogue avec le terrain, avec les fournisseurs. En plus, il y a parfois la perte de proximité, que j'évoquais tout à l'heure.
Nous sommes donc sollicités en désespoir de cause par des gens dont la facture moyenne s'élève, je le rappelle, à 1 900 euros. Et 1 900 euros quand on est aux minima sociaux, c'est un peu difficile ! On n'a pas de pouvoir particulier, mais, par les contacts que l'on entretient avec les fournisseurs, et après analyse des dossiers, on essaie, si c'est justifié bien sûr, d'obtenir des délais, qui n'ont pas toujours été accordés sur le terrain ou alors, les procédures n'ont pas été suivies.
En hiver, en période de grand froid, j'ai remarqué qu'il n'y avait pas de trêve des coupures. Certains m'ont dit : « On ne peut pas imaginer une trêve des coupures pour vingt millions de consommateurs ». Certes, mais il y a tout de même des maladresses. Couper l'énergie à une famille le 24 décembre ou le 31 décembre, ce n'est quand même pas très heureux ! On ne peut pas imaginer que nos concitoyens en difficulté ne puissent pas se chauffer, préparer leur repas ou celui de leurs enfants ces soirs-là. Donc, je crois qu'il y a quand même une réflexion à mener.
En tout cas, aujourd'hui, environ 15 % de nos sollicitations concernent des consommateurs en difficulté de paiement. C'est tout de même important, et c'est allé en augmentant incontestablement au cours de ces dernières années. Certes, des dispositions ont été mises en place par les opérateurs. Il y a des instruments pédagogiques - vous voyez peut-être ça sur le terrain, avec les conseils généraux, avec les associations de maires parfois - pour rappeler certaines règles : un degré en plus ou en moins, c'est 7 % ; quand on quitte une pièce, on peut éteindre l'électricité.
Des efforts sont faits, mais cela reste tout de même difficile.
Je vous ai donné le chiffre de 1 900 euros. Parfois, ça va encore plus loin.
M. Jean-Pierre Vial, président . - La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier . - Je voulais avoir votre avis sur les problèmes de location. Aujourd'hui, quand on loue un logement, il y a une sorte de bilan énergétique du logement, avec un classement : A, B, C, D, etc.
Puisqu'on parle parfois de mieux réguler les loyers à la relocation, ne pourrait-on pas imaginer que, sur trois ans ou deux relocations successives, il soit impossible de mettre sur le marché de la location des logements aussi énergivores ? Certains logements sont des passoires, et c'est même quasiment affiché. C'est absolument scandaleux !
Y a-t-il des pistes pour contraindre les propriétaires ? On peut aussi envisager des aides. Car on sait que ce sont les plus pauvres qui vont dans ces logements-là !
M. Denis Merville . - Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, ce point a notamment été soulevé.
J'évoquais tout à l'heure le plan bâtiment Grenelle avec les 800 000 logements les plus énergivores. C'est vrai que les aides de l'Agence nationale de l'habitat, l'ANAH, doivent vraiment être réorientées, me semble-t-il, en ce sens. C'est vrai qu'il y a des aides des départements et des régions, ou des crédits d'impôt.
Le problème, c'est qu'il faut que ce soit peut-être un peu stabilisé. En tant qu'élus, vous voyez des administrés qui ont déduit de leur feuille d'impôts une facture parce qu'ils ont fait tels ou tels travaux et qui ont eu un rappel d'impôts ensuite. Les gens ne comprennent plus, et ils n'ont plus confiance.
Et puis, il y a celles et ceux qui ne sont pas imposables. Et là, il y a des travaux à faire. Et vous savez comme moi - cela a été souligné aussi - qu'il n'y a pas eu de prêt particulier ou d'aide particulière pour inciter les bailleurs sociaux ou les collectivités à faire des travaux.
Et pourtant, je crois que c'est important pour la facture. C'est important aussi, permettez-moi de le dire, pour l'emploi : il s'agit de travaux dans un secteur, le bâtiment, qui n'est pas délocalisable, et cela peut contribuer à relancer un peu l'emploi dans notre pays.
Sur les obligations nouvelles aujourd'hui, je pense qu'il faudra donc avancer tout de même dans les années à venir. Les logements sont effectivement classés. Vous voyez cela en mairie ; aujourd'hui, dès lors qu'il y a une vente chez le notaire, il faut donner la consommation du logement. Alors, il n'y a pas de moyens, sauf des incitations. On a vu dans les 800 000 logements les plus dégradés. C'est souvent à la campagne, contrairement à ce que certains pensent. Des petits propriétaires ou des propriétaires âgés ne connaissent pas trop les aides possibles. Il faut les inciter à faire des logements.
L'autre jour, je voyais le locataire d'une maison ancienne, avec des hauteurs sous plafond de trois mètres, qui avait une consommation d'énergie extraordinaire. Il n'y avait aucune isolation. Et la propriétaire de ce logement était une veuve de quatre-vingt-dix ans. Comment faire pour l'inciter à faire des travaux ? Ce n'est pas évident, d'autant que les démarches administratives sont parfois lourdes...
Certes, il y a les points Énergie-info qui existent sur le terrain. Les élus font des études, par exemple sur la thermographie. Vous avez des gens pour renseigner. Mais ensuite, il y a l'aide de l'État, l'aide de la région, l'aide du département... il faut monter un dossier, quand ce n'est pas plusieurs.
Une personne de quatre-vingt-dix ans, qui est propriétaire d'un logement vétuste, n'est pas forcément incitée à faire des travaux. Les locataires en subissent les conséquences, et c'est la faute du propriétaire. Mais comment faire dans ces cas-là ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Merville, je vous remercie de cette présentation très complète, avec des exemples très précis, notamment sur ce qu'on appelle la « précarité énergétique ». Lorsque cela se traduit par des coupures de chauffage, ça prend une dimension tout de suite dramatique pour les personnes concernées.
Auriez-vous un recensement de l'ensemble des impayés qui peuvent exister en France ?
M. Denis Merville . - Comme je vous le disais, on a fait des statistiques sur les personnes ayant des difficultés de paiement. Quel est le montant de leur dette ? En moyenne - le chiffre est cité dans le rapport d'activité -, c'est 1 900 euros. Dans les cas extrêmes, ça peut monter à 4 000 euros, à 5 000 euros. Parfois, c'est beaucoup moins. Mais réclamer des sommes de 300 euros, 400 euros ou 500 euros à des personnes qui sont à la couverture maladie universelle complémentaire sans leur accorder de délai, cela pose évidemment des problèmes.
M. Jean-Pierre Vial, président . - Je vous remercie.
Audition de Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement
(16 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'ordre du jour de ce matin appelle l'audition de Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement.
Comme vous le savez, madame Arditi, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer les agents économiques sur lesquels reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques de la France.
À cette fin, notre commission d'enquête a jugé utile de vous entendre, afin d'avoir l'éclairage de France Nature Environnement sur le sujet qui nous intéresse.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, madame Arditi, de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(Mme Maryse Arditi prête serment.)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse le soin de rappeler les questions que vous souhaitez poser à Mme Arditi, sachant que vous, ou d'autres membres de la commission d'enquête, pourrez poser des questions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame Arditi, quelles actions convient-il prioritairement de mener dans le domaine de l'électricité pour encourager la « sobriété et l'efficacité énergétiques » que vous préconisez ? Le mécanisme des certificats d'économie d'énergie vous paraît-il efficace ? Que pensez-vous des divers dispositifs fiscaux, tels que l'éco-prêt à taux zéro et le crédit d'impôt développement durable, à destination des particuliers ?
Quelle est la position de France Nature Environnement sur le chauffage électrique ?
La France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes, investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs - EPR et réacteurs de quatrième génération - ou, au contraire, envisager une sortie aussi rapide que possible du nucléaire ? Un tel choix serait-il compatible avec une augmentation de la taxe carbone et avec le développement de nouveaux usages, comme la voiture électrique ?
Enfin, selon vous, quelle part de la production électrique française devrait être assurée par les énergies renouvelables ? Quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ? Le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne cantonne-t-il pas celles-ci à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Mme Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement . - France Nature Environnement estime que la question qui est au coeur de la problématique énergétique est celle de l'efficacité énergétique et, au-delà, de la réduction de la consommation, avant même la question de l'approvisionnement.
L'efficacité énergétique est un problème difficile aussi bien pour la France que pour l'Europe. Je vous rappelle que, en Europe, l'efficacité énergétique n'est qu'une ardente obligation dans l'objectif « 3x20 » du paquet énergie-climat. Aujourd'hui, on est en train de préparer une directive sur cette question, car on s'est rendu compte que, nulle part, il n'y avait eu d'avancées.
Sur la question de l'électricité, la problématique concerne surtout le résidentiel et le tertiaire. À cet égard, nous avons deux mesures extrêmement importantes, qui n'existent pas encore, à vous proposer.
Premièrement, il faudrait fixer une date à partir de laquelle toute résidence ou tout local tertiaire « passoire », c'est-à-dire mal classé lors du diagnostic de performance énergétique, ne devrait plus pouvoir être loué ou vendu à une date donnée pour un coefficient de performance donné. Par exemple, à partir de 2015 - une date que je cite au hasard, car il faudra prendre le temps nécessaire pour mettre en oeuvre cette mesure -, toute résidence dont le coefficient de performance est G ne pourrait plus, une fois ses occupants partis, être relouée ou vendue. Puis, deux ans après, il en irait de même pour les maisons dont le coefficient de performance serait F.
Le Grenelle de l'environnement avait fixé un objectif de baisse de 38 % sur l'existant à l'horizon de 2020. Or nous en sommes très loin ! Nous n'y arriverons pas si nous laissons au seul marché libre le soin d'essayer d'atteindre cet objectif : des mesures réglementaires doivent être prises. Je reviendrai sur ce point au moment où j'évoquerai les certificats d'économie d'énergie.
Deuxièmement, pour aller vers une société de la sobriété, il faut absolument arrêter de penser que plus on consomme, moins un produit est vendu cher. À l'heure actuelle, si vous achetez un bien, il coûte un certain prix ; mais si vous en achetez trois, le prix unitaire diminue. Nous devrions faire exactement l'inverse et instaurer une tarification progressive, comme pour l'électricité et les réseaux : le prix des premiers kilowattheures, qui sont absolument nécessaires, doit être accessible à tous, mais il doit augmenter par paliers au fur et à mesure de l'accroissement de la consommation.
Toutefois, il faudra éviter les effets pervers d'un tel dispositif. Une personne qui n'a pu louer qu'une maison « passoire » ne doit pas être fortement impactée. De nombreux détails techniques et sociaux devront être étudiés de près.
Il est donc absolument essentiel de procéder à une rénovation massive - à cette fin, une réglementation est nécessaire - et de changer nos mentalités - plus je consomme, plus je paye, et non l'inverse.
Deux éléments essentiels expliquent nos difficultés à améliorer l'efficacité énergétique : il s'agit du moment de la décision et du choix de la décision, qui me conduira à évoquer les certificats d'économie d'énergie.
S'agissant du moment de la décision, quand l'énergie n'est pas chère, réaliser des économies n'est pas une préoccupation. On se dit que l'investissement sera peu rentable, qu'il faudra attendre vingt-cinq ans pour l'amortir et on y renonce. A contrario , quand le prix de l'électricité, ou de l'énergie en général, a triplé, on estime que l'investissement vaut la peine. Mais comme les coûts énergétiques ont beaucoup augmenté, le particulier ou l'entrepreneur n'a plus les moyens d'investir.
Ainsi, les économies d'énergie sont plus faciles à faire au moment où elles apparaissent peu rentables. Dans notre système économique, cette idée est dure à faire passer.
S'agissant du choix de la mesure, on veut faire ce qui est le plus rentable. Mais quand on regarde ce qui s'est passé pour les certificats d'économie d'énergie, on voit que plus des deux tiers d'entre eux ont été des changements de chaudière dans des maisons « passoires », qui consommaient beaucoup d'énergie. On investit dans une chaudière plus performante, rapidement rentable. Mais si on décide quelques années plus tard d'isoler réellement son habitation, il faudra à nouveau changer la chaudière, qui s'avérera surdimensionnée et donc inadaptée au logement. L'effet pervers de la décision initiale aura été de chercher une rentabilité immédiate.
Un quart des opérations a consisté à mettre du double vitrage : c'est une décision stupide. Certes, pour les femmes qui, comme moi, passent du temps dans leur cuisine, le double vitrage permet d'éviter le ruissellement sur les fenêtres. Mais, du point de vue des économies d'énergie, cette mesure est totalement inintéressante et la rentabilité est absolument nulle rapportée à l'investissement. Pour les certificats d'économie d'énergie, les obligés - ils portent bien leur nom ! - ont dû, et ils l'ont fait à reculons, inciter leurs clients à faire des économies d'énergie pour éviter de payer 2 centimes d'euros de pénalité. Les résultats ne sont pas très probants à ce jour.
Je souhaite également relever un autre point qui me paraît très important. Pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui êtes des spécialistes, le kilowattheure cumac ou le térawattheure cumac n'a aucun secret, mais cela ne signifie pas grand-chose pour le grand public. Aussi la mention « cumac » disparaît-elle souvent. Lorsqu'on parle de 60 térawattheures d'économies d'énergie en quatre ans et demi, on estime que ce résultat est satisfaisant. Mais pour passer des térawattheures cumac aux térawattheures « normaux », il faut diviser par dix environ, ce qui ne donne au final que 6 térawattheures d'économies d'énergie en trois ans. À ce rythme-là, nous n'aurons rien fait à l'horizon de 2050 !
Il faut absolument changer de braquet et faire attention à l'effet pervers engendré par l'omission de la mention « cumac ». J'ai même lu des articles dans des revues sur l'énergie, y compris dans des revues de qualité, dans lesquels figurait cette erreur. Quand on entend dire que l'objectif de baisse est de 300 térawattheures en trois ans, toutes énergies comprises, cela revient en réalité à 30 térawattheures, soit 10 par an. Avec ces chiffres, on se situe dans des zones plus que raisonnables, et même bien trop faibles.
Puisque le temps de mon intervention est compté, je ne m'attarderai pas sur les aides fiscales. La précarité énergétique est un problème considérable. Il ne faut pas attendre dans un fauteuil que les choses bougent.
En 1981-1982, une expérience intéressante a été menée avec la création de l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie, qui est l'ancêtre de l'ADEME. L'État a mis sur la table un pactole de 2 milliards de francs et a donné dix-huit mois à l'agence pour lever cinq fois le montant de cette somme en travaux dans toute la France. L'agence devait non pas se contenter d'attendre qu'on vienne la voir, mais elle devait tout mettre en oeuvre pour que, dans le laps de temps qui lui était imparti, l'ensemble des travaux soient engagés. Voilà une véritable volonté politique !
Dans le domaine de l'efficacité énergétique, contrairement à beaucoup d'autres, ce n'est pas la technique qui pilote, mais le politique. S'il y a une volonté politique, les choses avancent.
Avant de passer à la question suivante, je voudrais évoquer le LDD, le livret développement durable. C'est une arnaque ! Il a succédé au livret CODEVI, destiné aux PMI-PME. Normalement, le LDD aurait dû permettre de lever 9,2 milliards d'euros pour réaliser des économies d'énergie, dans une optique de développement durable. En réalité, seuls 2,7 milliards d'euros ont été prêtés. Les banques ont gardé le reste, alors qu'elles auraient dû obligatoirement déposer ce qui n'avait pas été prêté à la Caisse des dépôts et consignations. En tant que citoyen, je trouve qu'il est choquant que mon livret « développement durable » ne serve pas au développement durable ! Soit on change son appellation, soit on garde un CODEVI et on fait à côté un véritable livret de développement durable, même moins important, mais qui ne puisse être utilisé qu'à cette fin et dont l'objet ne puisse donc pas être détourné.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, vous connaissez certainement la position de France Nature Environnement sur le chauffage électrique. Je voudrais rappeler en quelques mots les raisons pour lesquelles la France en est arrivée à une situation unique en Europe et même dans le monde : à chaque vague de froid, notre pays représente à lui seul la moitié de l'appel supplémentaire de puissance dans l'Europe des Vingt-Sept ! Les autres pays - je pense particulièrement à l'Allemagne - peuvent nous envoyer sans problème de l'énergie. Nous, nous ne savons pas faire.
Le programme qui a été engagé était complètement surdimensionné. À aucun moment, les citoyens ou les parlementaires n'ont été consultés. On a engagé la France dans le « tout nucléaire » sans jamais avoir recueilli le moindre avis. La seule fois où les parlementaires ont été consultés, c'est lorsqu'il a fallu gérer les déchets nucléaires. Là, le gouvernement ne pouvait faire face seul aux fourches des paysans vendéens. Il avait besoin d'une légitimité supplémentaire et il s'est dit que la question des déchets nucléaires était bonne pour les parlementaires. Je suis désolée de vous dire les choses comme cela, mais ce « péché originel » permet peut-être de comprendre pourquoi les associations sont réticentes à la concertation dans ce domaine.
Le surdimensionnement a été tel que, à partir de 1984, on a arrêté de subventionner les économies d'énergie, comme cela avait été le cas entre 1981 et 1983, au profit du transfert du pétrole à l'électricité. Six centrales étaient construites chaque année, mais la consommation en France n'était pas suffisante.
Pour consommer toute cette électricité supplémentaire, il n'y avait pas d'autre solution que d'entrer sur le marché du chauffage. À l'époque, EDF a réussi à obtenir une loi absolument incroyable qui autorisait la construction d'habitations sans conduit de fumée. Lorsque vous achetez une maison individuelle sur catalogue, l'installation d'un conduit de fumée coûte cher. Si vous n'en mettez pas, et que vous installez à la place un grille-pain, c'est-à-dire un radiateur électrique, dans chaque pièce, la maison vous coûte beaucoup moins cher. C'est d'ailleurs un argument de vente qui a été très utilisé, mais les vendeurs omettaient de préciser aux acheteurs que cela leur coûterait beaucoup plus cher après pour se chauffer...
Ainsi, pendant une vingtaine d'années, des maisons ont été construites sans conduit de fumée. En installer un maintenant coûte très cher.
Dernier point, le plus scandaleux, en 1990-1991, EDF a fait de la publicité pour inciter à laisser le chauffage électrique allumé même lorsqu'on n'est pas chez soi, afin d'éviter d'avoir à chauffer plus à son retour ! Cela montre bien qu'il est tout à fait possible de faire de la publicité mensongère dans notre pays... Comme EDF ne savait plus quoi faire de l'électricité produite, elle a commencé à l'exporter à partir de 1992. Il lui fallait absolument trouver d'autres clients, car elle ne pouvait pas faire « manger » toute cette électricité aux Français. Voilà comment nous en sommes arrivés là.
Selon nous, l'électricité, qui est une énergie noble, qui demande beaucoup d'efforts, ne doit pas être gaspillée en chaleur. On ne doit l'utiliser que pour des besoins spécifiques, les ordinateurs et l'éclairage notamment, pour lesquels elle est indispensable, ou pour des systèmes industriels très performants. Ainsi, pour les osmoses inverses, l'électricité est dix fois plus économique que la chaleur.
Nous avons un réel besoin d'électricité, mais compte tenu de ce que nous perdons à la produire, elle doit être utilisée à bon escient.
Vous m'avez interrogée sur les centrales existantes. Vous le savez, France Nature Environnement pense qu'il faut évidemment en sortir le plus rapidement possible. La prolongation des centrales est inéluctable : prévues pour durer trente ans - Fessenheim a déjà trente-trois ans -, on voit bien que leur durée de vie sera prolongée jusqu'au moins quarante ans. L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui réceptionne les inventaires des déchets, a retenu comme hypothèse une durée de fonctionnement de cinquante ans ; quant à EDF, elle prépare des centrales dont la durée de vie serait de soixante ans.
C'est le pari de Pascal : Dieu existe ou il n'existe pas ; l'accident surviendra ou ne surviendra pas. Je vous rappelle qu'il n'y a que quatre grands pays nucléaires au monde : les États-Unis, la Russie, le Japon et la France. Les trois premiers ont connu un accident gravissime. À qui le tour ?
Le rapport Rasmussen de 1973 avait estimé le risque d'accident nucléaire gravissime, comme une fusion de coeur, à un par million d'années réacteur. Nous en sommes à 15 000 années réacteur et cinq coeurs de réacteurs ont déjà été gravement atteints, ce qui donne un nombre d'accidents 200 fois plus élevé que la probabilité envisagée dans le rapport.
Je vous rappelle que le nucléaire n'assure pas ses risques. Pour Tchernobyl comme pour Fukushima - et il en sera de même en France si un accident survient -, ce sont les citoyens et l'État qui payent. EDF est assurée pour chaque accident à hauteur de 91 millions d'euros. En comparaison, Tchernobyl a coûté des centaines de milliards de dollars et, pour Fukushima, le coût avoisine déjà les 100 milliards de dollars. Et encore, ce n'est pas terminé ! La facture ne cesse de croître. On doit donc bien comprendre que l'on n'est pas assuré.
Le risque est pris par un exploitant, EDF, qui a le pouvoir de décision et qui gère ses centrales, mais EDF n'est pas un exploitant comme les autres. Le patron d'EDF, c'est l'État, donc c'est vous ! Si l'on voit bien les bénéfices engrangés par EDF, il faut aussi mesurer les risques qui seront supportés par les citoyens.
Il faut donc sortir assez vite du nucléaire. On ne peut guère envisager moins de quarante ans, mais entre quarante ans et quarante-cinq ans, il faut les arrêter. Après, ce n'est pas possible.
Vous m'avez demandé s'il fallait investir dans une nouvelle génération de réacteurs. Nous sommes aujourd'hui à un carrefour. La France ne mènera pas les deux de front : soit on s'oriente vers du nucléaire de quatrième génération pour une nouvelle période de soixante ans, soit on choisit les énergies renouvelables, lesquelles sont parfaitement capables de produire largement autant, surtout dans le temps. Mais on ne fera pas les deux ! La preuve en est : c'est parce que nous produisons beaucoup d'électricité d'origine nucléaire - on en vend même aux autres pays ! - que nous n'avons pas vu l'intérêt de nous lancer, contrairement aux autres, dans les énergies renouvelables.
Je voudrais maintenant évoquer la question des coûts.
À la lecture des rapports de la Cour des comptes, celui de 2005 sur le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs et le rapport récent, une chose m'a fait sursauter : le coût du démantèlement, évalué à 300 euros par kilowatt après actualisation du chiffre de la commission PÉON. D'autres personnes ont dû vous l'expliquer en détail, on estimait, à l'époque, que le démantèlement représenterait 15 % de l'investissement, ce qui, une fois réactualisé, a donné le chiffre de 300 euros par kilowatt.
Pour Brennilis, on peut évaluer le coût total puisque la moitié du démantèlement a déjà été effectuée. Estimé à 20 millions d'euros par la commission PÉON, ce coût atteint déjà 482 millions d'euros, autant dire 500 millions d'euros ! En l'espèce, le coût est donc vingt fois plus élevé que prévu. Malgré tout, selon la Cour des comptes, « parmi ces coûts, les dépenses de démantèlement, c'est-à-dire les dépenses de « démolition » des centrales, sont estimées aujourd'hui à 18,4 milliards d'euros 2010, en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs du parc actuel . » On en revient aux 300 euros par kilowatt, c'est-à-dire une broutille...
« La Cour considère que les méthodes utilisées par EDF pour ce calcul sont pertinentes mais ne peut pas en valider les paramètres techniques, en l'absence d'études approfondies par des experts. » Pour moi, ces méthodes ne sont pas pertinentes !
À la demande de France Nature Environnement, et plus particulièrement à ma demande, les associations ont pu avoir une journée de formation sur le démantèlement. Nous sentons bien qu'il s'agit d'une problématique émergente forte, non pas pour les 58 réacteurs actuels, mais pour ceux qui sont déjà arrêtés. Les centrales UNGG, uranium naturel graphite gaz, sont « vaguement » stoppées : le combustible a été retiré, et on ne sait pas quoi en faire. Nous voulions savoir ce qu'il allait advenir de ces centrales. L'Autorité de sûreté nucléaire a organisé une journée de formation pendant laquelle EDF, Areva et le CEA sont venus nous informer de ce qui avait été fait.
Lors de cette journée, EDF nous a donné un tableau avec les pourcentages - 15 %, 18 %, 22 % - pour chacune des UNGG. Si les dépenses futures sont toujours aléatoires, les dépenses passées sont connues. J'ai donc demandé s'il était possible de connaître le montant des dépenses déjà effectuées pour chacune de ces centrales. Si le pourcentage est de 15 % et que le coût nous était communiqué, il suffisait ensuite de faire la multiplication. Mais on m'a répondu que ces informations étaient secrètes. Et pourtant, nous parlons là de dépenses passées... Devant mon étonnement, on m'a expliqué qu'il s'agissait d'une opération commerciale. Un appel d'offres, c'est top secret ! Celui qui le remporte dépense ce qu'il veut - le moins possible, mais c'est son problème ; on contrôle simplement qu'il a bien fait ce qu'il devait faire.
Aujourd'hui, nous disposons d'un tableau des centrales UNGG, avec des pourcentages compris entre 10 % et 20 %, sans qu'on puisse avoir une idée des montants auxquels cela correspond. Avec un coût vingt fois supérieur aux prévisions, Brennilis est peut-être un cas particulier ; pour les autres, le rapport ne sera que de 1 à 5 ou de 1 à 10, mais j'aimerais connaître les chiffres.
Le démantèlement est véritablement le point faible. Le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, qui ne s'intéressait jusqu'en décembre dernier qu'aux risques industriels, chimiques et pétrochimiques et aux installations classées pour la protection de l'environnement est désormais compétent également en matière nucléaire.
Les arrêtés relatifs au nucléaire seront examinés par ce conseil. Un arrêté important est actuellement en préparation ; il sera relatif aux nouvelles installations nucléaires de base, comme Flamanville et, si cela se fait, Penly. Il tend à prévoir qu'un plan de démantèlement doit être présenté dans la demande de permis de construire et d'exploitation, afin d'anticiper l'arrêt de l'installation.
Nous avons indiqué notre satisfaction qu'une telle disposition soit applicable, le cas échéant, aux prochaines centrales. On aurait pu prévoir qu'un plan de démantèlement soit aussi exigé pour les 58 centrales en fonctionnement, qui n'en ont pas. Mais on n'a pas réussi à faire intégrer cette donnée dans l'arrêté. Pour ces réacteurs, comment voulez-vous évaluer le coût alors qu'il n'y a pas de plan de démantèlement ?
Enfin, je ne suis certainement pas la première à vous le dire, en matière de nucléaire, on suit une courbe de désapprentissage. Normalement, au fur et à mesure qu'une technique se développe, les coûts baissent. Mais, pour le nucléaire, depuis les premiers réacteurs jusqu'à aujourd'hui, les coûts d'investissement, c'est-à-dire les coûts de préparation du réacteur nucléaire, n'ont fait qu'augmenter. Les coûts des énergies renouvelables sont, quant à eux, en baisse. Dans peu de temps, les courbes vont se croiser.
Sur l'augmentation des coûts, je vous rappelle que, dans le dossier Flamanville, EDF prévoyait un coût de 42 euros par mégawattheure, un coût plus élevé qui s'expliquait par le fait qu'il s'agissait d'une nouvelle centrale. Quand EDF a déposé le dossier Penly, seulement cinq ans plus tard, le coût aurait dû diminuer puisque c'était la deuxième centrale, « rodée » après la première ; or il est passé à 55-60 euros par kilowattheure. Aujourd'hui, on sait que ce coût sera plutôt de l'ordre de 70-80 euros par kilowattheure avec le dérapage complet des coûts de l'investissement, qui ont tout de même doublé, passant de 3 milliards d'euros à 6 milliards d'euros. Il n'est pas certain qu'on arrive même au bout. Je ne sais pas si vous avez lu Le Canard enchaîné : je ne voudrais pas pour ma maison de leur béton à trous !
La quatrième question que vous m'avez adressée porte sur les énergies renouvelables. Quelle part résiduelle de nos besoins les énergies renouvelables pourraient-elles assurer ? Cela dépend de l'horizon temporel que l'on se fixe : 80 % en 2050 et la totalité en 2100.
Il faut garder à l'esprit que le flux solaire et ses dérivés - le vent, l'hydraulique, etc., c'est-à-dire tout sauf la géothermie - représentent chaque année en énergie 5 000 fois la consommation de toute l'espèce humaine. Si l'on arrivait un jour à n'en valoriser que 1 %o, on pourrait garantir la pléthore énergétique à l'ensemble de la planète sans que cela ait le moindre impact.
Avant de détailler les dispositifs actuels de soutien aux filières, je veux m'attarder un instant sur 2010, qui a été une année noire pour France Nature Environnement. Je rappelle quatre décisions qui ont été prises : au mois de mars a eu lieu le lancement des autorisations d'exploration des gaz de schiste ; entre avril et juillet a été organisé un débat public sur le second EPR ; au mois de juillet, les éoliennes sont entrées dans les installations classées pour la protection de l'environnement à autorisation, c'est-à-dire parmi les 50 000 usines les plus dangereuses de France ; au mois de décembre a été instauré un moratoire sur le photovoltaïque.
On peut résumer ces quatre mesures ainsi : une pour soutenir les fossiles, une pour soutenir le nucléaire, une pour plomber l'éolien, une pour plomber le photovoltaïque. Vous analysez cela comme vous voulez. Je me contente de relater les faits.
Pour soutenir les filières, seul fonctionne réellement le tarif de rachat garanti. Les appels d'offres peuvent fonctionner - je dis bien « peuvent », car je ne suis pas sûre - pour de très gros projets, l'éolien en mer par exemple. Je rappelle qu'en 2004 un appel d'offres a été lancé pour l'éolien en mer ; le concours a été réussi, un exploitant a été retenu, mais rien n'a été construit.
Lorsque le Gouvernement a désigné les gagnants des quatre concours, il leur a bien précisé qu'il leur faudrait mener la procédure administrative à son terme. Or il n'est pas dit qu'ils puissent y parvenir.
L'appel d'offres présente l'intérêt de garantir qu'il ne sera pas construit davantage que ce qui a été décidé. En revanche, il peut être construit beaucoup moins, voire rien du tout.
En 1995, quand l'industrie éolienne a démarré, l'objectif fixé était de 50 mégawatts par an jusqu'en 2005. En 2001, c'est-à-dire six ans après, 60 mégawatts avaient été produits. On a compris que l'on ne ferait jamais d'éolien. Recourir aux appels d'offres, c'est, en gros, le moyen de ne pas en faire trop. C'est pourquoi nous y sommes opposés : cela ne marche pas.
Arrêtons-nous un instant sur la filière éolienne. Je n'ai pas le temps de détailler, mais il s'agit d'une filière sur-réglementée. Dans aucun autre pays au monde, il n'existe une réglementation aussi invraisemblable, alors qu'il s'agit d'une filière qui n'est tout de même pas si dangereuse que cela ; c'est véritablement hallucinant ! La loi Grenelle II, malgré toute la bonne volonté du législateur, en a rajouté en créant les schémas régionaux éoliens. Les services de l'État ont alors décidé d'attendre que ces schémas soient élaborés pour commencer à instruire les dossiers.
Puis ont été instaurées les ICPE que l'on n'a pas osé classer « Seveso », mais presque ! On se demande pourtant quels sont les risques... Je vous rappelle qu'un membre de la mission d'information commune sur l'énergie éolienne, dont le nom m'échappe - c'était le mari du ministre de la défense d'alors -, était fortement anti-éolien, mais s'était prononcé contre les ICPE.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Patrick Ollier était le président de la commission, mais il n'en était pas le rapporteur.
Mme Maryse Arditi . - Je ne sais plus qui du rapporteur ou de son président a quitté la mission avant la fin, parce qu'il ne pouvait cautionner ce que contenait le rapport.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ne partez pas, monsieur le président ! (Sourires.)
Mme Maryse Arditi . - Il reconnaissait lui-même que les ICPE n'étaient pas adaptées aux éoliennes, que cela ne marchait pas. Mais l'idée était tout de même de prendre cette décision et de proposer des ajustements.
Le résultat ne s'est pas fait attendre : en 2011, on a installé 30 % d'éoliennes de moins qu'en 2010. Je pense que c'était l'objectif recherché. Si tel n'était pas le cas, c'est bien dommage ! En tout cas, pour la première fois, on a constaté une chute de 30 %.
Or il faut souligner que l'éolien terrestre est à la marge de la rentabilité. Au mois de février dernier, pendant la crise du froid et la pointe d'électricité qu'a connue la France, RTE et EDF ont racheté le kilowattheure éolien moins cher que ce qu'ils ont acheté aux autres pays étrangers : entre 82 euros et 84 euros, contre 117 euros. Il n'est qu'à demander à tous les spécialistes, ils savent qu'à plusieurs reprises nous avons acheté l'éolien moins cher. Ce fut le cas en 2008, quand le prix des combustibles s'est envolé.
Il se trouve que j'ai une autre casquette à France Nature Environnement : je m'occupe des risques industriels. En ce moment, pour surveiller les 500 000 installations industrielles en France, notamment les 50 000 qui sont les plus dangereuses et qui sont soumises à autorisation, nous disposons seulement de 1 200 inspecteurs. Faites le calcul : cela ne suffit pas !
Des lois ont été votées pour alléger le travail de ces inspecteurs et leur permettre de se concentrer sur les sites les plus dangereux. Il a donc été décidé de dispenser certaines installations de ces autorisations et de les mettre à enregistrement. Il s'agit là d'une situation intermédiaire à laquelle nous sommes violemment opposés, car cela consiste à soumettre à un contrôle très faible des activités vraiment très polluantes ou très dangereuses. Dans le même temps, on demande à ces inspecteurs de contrôler des dossiers entiers d'études de danger sur les éoliennes. C'est de l'incohérence totale ! Les inspecteurs d'installations classées n'ont pas de temps à perdre : ils ne sont pas assez nombreux aujourd'hui pour évaluer des risques véritablement sérieux au moment où on essaie de mettre en place la loi Bachelot et les plans de prévision des risques technologiques, les PPRT. Nous n'avons pas les moyens de gaspiller leur temps. Je le dis par votre intermédiaire à la représentation nationale : un peu de cohérence !
Le moratoire instauré sur le photovoltaïque a probablement atteint une partie de ses objectifs. C'est un exercice difficile, car cela concerne à chaque fois des paquets de cinq à dix personnes, mais on évalue grosso modo à plusieurs milliers le nombre d'emplois perdus dans le secteur photovoltaïque pour la seule année 2011 - certains avancent celui de 7 000 -, et ce dans le silence le plus total. Personne n'en a parlé, cela ne gêne pas : on a tué une filière et des emplois émergents sans que cela suscite la moindre réaction ou préoccupe quiconque. En revanche, quand 300 personnes sont mises au chômage dans le nucléaire, c'est un scandale !
Dans ce domaine encore, il me semble que la France a commis une erreur et qu'une rectification importante s'impose. Pour le particulier qui veut installer le photovoltaïque sur sa toiture, on a exigé l'intégration au bâti.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ah, ça !
Mme Maryse Arditi. - En d'autres termes, pour installer du photovoltaïque, quelqu'un qui possède une maison depuis vingt ans devra casser sa toiture, alors même que celle-ci est en excellent état et parfaitement étanche...
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est absurde !
Mme Maryse Arditi . - ... et il devra la remplacer par un système nouveau, avec tous les risques d'étanchéité - bac, raccordement - que l'on peut attendre d'une filière émergente. Qui plus est, cela lui coûtera trois fois plus cher, puisqu'il aura cassé sa toiture.
En Allemagne, le photovoltaïque est superposé. Cela coûte infiniment moins cher et, par conséquent, il n'est pas nécessaire de subventionner autant. En outre, comme cela n'entraîne aucun risque d'inétanchéité, les particuliers se lancent plus volontiers dans ces travaux.
Il faut dire stop aux agrocarburants : c'est une filière impossible.
Je conclurai en évoquant l'intermittence.
Tout d'abord, au regard du niveau de production et du pourcentage, il n'y a pas de problème aujourd'hui en France.
Ensuite, comme certains autres pays sont bien plus avancés que nous dans ce domaine, ils auront réglé le problème et trouvé les solutions avant nous et pour nous. Ainsi, on verra ce qui se passe au Danemark, qui fait déjà plus de 20 % d'électricité éolienne, ou au Portugal, qui décolle à toute vitesse.
Par ailleurs, et c'est un sujet important, il faut de la recherche sur le stockage d'électricité, et pas seulement sur les batteries et les volants d'inertie. Je crois savoir que le CEA est devenu le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. Espérons qu'un jour la première partie de son sigle disparaîtra au profit de la seconde. Toujours est-il que, s'il est bien un commissariat aux énergies alternatives, il faut qu'il se mette à la recherche sur le stockage de l'énergie. Je crois qu'il a déjà entendu cette exhortation.
Enfin, mais c'est une opinion personnelle, je pense que, à l'horizon de 2050, l'hydrogène aura trouvé sa place.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Arditi, je vous remercie beaucoup de ces explications très précises, que vous nous avez fournies avec passion. Nous les connaissions déjà un peu.
Avant de donner la parole à mes collègues, je vous poserai une question à laquelle il n'est pas nécessaire que vous répondiez maintenant. Puisque vous avez travaillé sur l'efficacité énergétique, dont vous avez parlé dans la première partie de votre intervention, vous avez réfléchi sur la directive européenne. Par conséquent, même si ce n'est pas tout à fait notre sujet, pourriez-vous nous envoyer par écrit votre position sur l'avancement de ce texte ? Cela m'intéresserait beaucoup. La directive européenne évolue, change. Le Sénat a commencé à travailler, plus en amont que l'Assemblée nationale, sur la première version de cet avant-projet de directive.
Concernant les questions que vous a adressées le rapporteur, il en est une sur laquelle je souhaite que vous nous apportiez plus de précisions. Il est évident que quitter plus ou moins rapidement la filière nucléaire pour entrer dans le renouvelable ou dans une période intermédiaire ou faire appel à des énergies de substitution aura une conséquence directe sur la taxe carbone. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Enfin, j'aimerais vous apporter une précision et vous rassurer. Nous aussi, sénateurs, nous nous sommes inquiétés du coût du démantèlement. Nous avons posé les mêmes questions que vous avec beaucoup d'insistance. Nous commençons à obtenir des éléments de réponse. Les chiffres que nous avons obtenus ne seront pas confidentiels, ils figureront dans le rapport de la commission d'enquête et seront publics. Ils concernent uniquement sept des neuf centrales de la toute première génération, celles d'EDF ; nous n'avons pas d'informations concernant les usines d'Areva. Nous saurons ainsi tout ce qui a déjà été dépensé depuis 2000, vous y avez fait allusion tout à l'heure. Je tiens cependant à vous dire que, nous aussi, nous avons eu du mal !
Mme Maryse Arditi . - La taxe carbone est une évidence. J'en ai moins parlé, car elle concerne plus le climat que l'énergie elle-même. Pour nous, il s'agit non pas d'une taxe carbone mais d'une contribution climat-énergie, c'est très important. Pourquoi n'est-ce pas une taxe carbone ? De notre point de vue, elle porte sur deux éléments : sur l'énergie elle-même, d'une part, sur le contenu en carbone, d'autre part.
Notre objectif est d'aller vers une société où l'on ne gaspille pas l'énergie, quelle qu'elle soit. Il faut observer ce que certains pays ont déjà fait. Ainsi, la Suède a instauré une taxe de près de 100 euros, si je ne me trompe pas. Si son montant est si élevé, c'est parce que cette taxe a été créée il y a longtemps et qu'elle augmente progressivement. Il va de soi qu'il sera plus facile de créer cette taxe à l'échelon européen qu'au seul échelon national. Néanmoins, si déjà la France avait une position offensive, ce serait bien. Sur la directive européenne, la France a une position en retrait, comme tous les autres pays d'ailleurs. Le passage de la proposition de la Commission européenne au Conseil des ministres a réduit drastiquement toutes les ambitions.
Il n'en reste pas moins qu'avec cette taxe il faut faire attention d'abord à la justice, ensuite à l'aspect social, enfin à la façon de l'instaurer. En effet, il n'est plus possible de la mettre en place de façon brutale. Je rappelle que ce qui en avait bloqué sa création, c'est que les entreprises en avaient été exonérées au prétexte que, au mois de janvier 2013, c'est-à-dire dans très peu de temps, elles paieraient les quotas. On sait aujourd'hui que beaucoup d'entreprises ne le feront pas et en seront dispensées. Une étude complète doit être menée pour savoir ce qui reste.
Il nous paraît indispensable que, au cours de la prochaine mandature, la contribution climat-énergie soit mise en place. Cependant, compte tenu des nouveaux éléments et des évolutions, on ne pourra pas l'instaurer dans six mois - ce n'est pas suffisamment calé -, sauf à agir dans la précipitation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - Madame Arditi, je vous remercie de votre exposé. Vous l'avez souligné, les énergies renouvelables ont des problèmes d'intermittence. Des recherches beaucoup plus prégnantes sur le stockage de l'énergie sont nécessaires. La filière photovoltaïque a été complètement déstructurée, avec de la casse au niveau de l'emploi, vous l'avez rappelé.
Au regard de la complexité du sujet, des avancées et des reculs auxquels nous avons assisté, ne pensez-vous pas qu'il faudrait ouvrir un débat sur la maîtrise publique du secteur de l'énergie pour réorienter les dépenses, afin que, à coût constant, comme on le fait aujourd'hui, on puisse faire réellement face aux défis à venir ?
Mme Maryse Arditi . - Oui, à condition que la maîtrise publique soit une maîtrise citoyenne et pas seulement une maîtrise étatique.
Je prendrai l'exemple du Danemark où il n'est pas possible d'installer un champ éolien sans 20 % d'argent citoyen. En France, regardez la complexité et les difficultés auxquelles on doit faire face ; on essaie de faire évoluer la situation, mais c'est extrêmement difficile.
En France, quand on parle maîtrise publique, on a tendance à penser EDF, c'est-à-dire structure centralisée. Or, en matière d'énergies renouvelables, il faut penser public, citoyen, mais décentralisé.
Il faudrait pouvoir confier des pouvoirs réglementaires aux communes ou aux grandes intercommunalités sur un certain nombre de sujets. Barcelone ou Genève ont pu décider de refuser la construction de tout nouvel immeuble qui ne serait pas doté d'un chauffe-eau solaire thermique, classique, bien évidemment, pas photovoltaïque. Aucune collectivité en France n'a le droit d'agir ainsi.
Quand on envisage la question des énergies renouvelables, en caricaturant, on peut considérer que deux chemins sont possibles.
Premier chemin, on nationalise tout. Je pourrais presque dire qu'on a été obligé de sortir du domaine public et d'EDF pour arriver à faire un peu d'énergies renouvelables en France, c'est regrettable de devoir le dire ainsi, mais c'est ainsi.
Second chemin, on met en place des énergies décentralisées, citoyennes, majoritairement publiques.
Si on ne choisit pas cette dernière voie, on décide de mettre en place des « Desertec », c'est-à-dire d'installer des milliers de mètres carrés dans le désert et d'envoyer une grande ligne pour approvisionner toute l'Europe. Nous y sommes évidemment radicalement opposés. Si des moyens existent pour faciliter la prise en main par les citoyens qui veulent investir, parce qu'ils disposent d'un peu d'argent et préfèrent le faire dans un champ d'éolien plutôt que dans n'importe quelle opération stupide, cela me paraît essentiel. Ce n'est pertinent que sous cet angle-là, décentralisé et citoyen.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je souhaite poser une question sur les certificats d'économie d'énergie. Lors des différentes auditions, diverses propositions nous ont été soumises. Selon certains, il faudrait établir une répartition différente entre propriétaires et locataires et procéder à une réorganisation.
Pouvez-vous être plus précise sur le bilan des certificats d'économie d'énergie et les incitations existantes ?
Mme Maryse Arditi . - Il n'est pas sorti grand-chose de la première table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, sinon qu'il fallait commencer à préparer le troisième temps, de 2014 à 2017.
Après un an et demi de préparation, on peut commencer à dresser un premier bilan.
Tout d'abord, les certificats d'économie d'énergie ne sont finalement pas aussi présents que l'on peut l'imaginer dans la rénovation. Le marché de la rénovation couvre 11 %, mais seuls 2 % correspondent à des certificats d'économie d'énergie.
Le défaut des certificats d'économie d'énergie, c'est qu'ils supposent des « obligés », c'est-à-dire des structures qui n'ont pas très envie d'en faire. Il faut garder cet outil, mais il faut absolument arriver à régler une partie des effets pervers que le plan bâtiment Grenelle de la commission Pelletier a mis au jour. Je citerai par exemple le fait de ne réaliser qu'une partie de l'ensemble des travaux nécessaires. Il ne faudrait pouvoir obtenir des certificats d'économie d'énergie que pour des projets globaux, un peu importants, à tout le moins qui concernent deux ou trois aspects. Or on sait que 25 % des certificats d'économie d'énergie concernent les doubles vitrages. C'est tout à fait absurde.
En plus, lorsque tous les acteurs étaient réunis à la commission Pelletier, puisqu'il s'agissait de lancer le projet, les réticences se faisaient déjà jour ! Les représentants des transports ont prévenu qu'ils ne parviendraient pas à atteindre la moitié des objectifs qui leur étaient fixés ; d'autres ont averti qu'il leur serait impossible d'en faire plus. C'est la raison pour laquelle je pense que la seule vraie mesure - après on peut discuter qui paie, comment, comment cela se répartit, etc. -, consiste à interdire de vendre ou de louer les logements qui ont atteint un certain seuil de dégradation et sont devenus de véritables passoires.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La directive européenne actuellement en projet à Bruxelles s'inspire notamment des certificats d'économie d'énergie français et anglais et envisage de les étendre à l'ensemble des pays européens. Certes, vous avez raison, ce dispositif peut être perfectionné, mais il ne marche pas si mal et, en tout cas, cela va dans la bonne direction.
Mme Maryse Arditi . - C'est un outil en plus.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je suis d'accord.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Madame, vous avez évoqué le concept de citoyenneté pour le passage aux énergies renouvelables et leur administration. Si la configuration que vous avez évoquée était appliquée - une forme de décentralisation et des décisions réglementaires région par région - et que l'on écarte une institution quelle qu'elle soit, par exemple l'État et ses capacités régaliennes, j'ai peur que, à terme, les décisions se prennent sur des critères essentiellement fiscaux ou économiques. De fait, des régions ou des départements deviendront des laissés-pour-compte.
Ma question ne porte pas sur ce sujet. Je souhaite connaître votre point de vue sur les disparités évidentes que nous constatons. Je pense en particulier à ceux qui, pour des raisons sociologiques et économiques, passent complètement à côté de ce dispositif. Cette mutation que vous appelez de vos voeux - comme nous le faisons d'ailleurs - serait réservée à ceux qui, dans l'ancienne utilisation des énergies au sens large, ont tout vu et tout connu.
Mon inquiétude est la suivante, et je rejoins en ce sens ma collègue Mireille Schurch : comment faire pour que l'ensemble des consommateurs de ce pays - je n'ose parler de citoyens consommateurs - soient concernés de près ou de loin ? Si nous n'y parvenons pas, on trouvera d'un côté ceux qui, encore et toujours, bénéficient des dispositifs high tech et, de l'autre, ceux qui ne peuvent même pas envisager des économies d'énergie, parce qu'ils n'en ont pas les moyens économiques.
De manière très générale, comment pensez-vous parvenir à cet objectif souhaitable, tout en faisant en sorte qu'il concerne le plus grand nombre ?
Mme Maryse Arditi . - J'ai été rapide sur ce point, même si j'ai avancé deux idées.
En premier lieu, la précarité énergétique est la préoccupation majeure de France Nature Environnement. Il n'est qu'à se rendre sur le site : ce problème est mis en avant. Évidemment, il ne s'agit pas de se contenter de dire aux gens qu'ils économiseront de l'énergie, même si ce peut être le cas : il faut déjà qu'ils accèdent au confort !
M. Jean-Jacques Mirassou . - Tout à fait d'accord !
Mme Maryse Arditi . - Ils consomment la moitié de ce qu'ils devraient consommer, se gèlent, constatent des moisissures sur les murs de leur logement et leurs enfants sont malades. C'est un souci important pour nous.
Nous réfléchissons à une tarification progressive, en faisant attention aux effets pervers. Une tarification a pour objectif de signifier que tous ceux qui gaspillent allègrement n'ont qu'à payer plus cher : s'ils le font, c'est bien qu'ils en ont les moyens, sinon ils ne le feraient pas.
En second lieu, la précarité énergétique s'accompagne. Selon Philippe Pelletier, on n'a pas réussi à réduire la consommation énergétique et la précarité énergétique parce que le grand emprunt a consisté à prévoir une somme d'argent qui n'était destinée qu'à la réalisation de travaux et non à des politiques d'accompagnement - même pas 3 % - pour aider les gens à prendre conscience de ce qu'ils pourraient faire. Du coup, l'enveloppe n'a pas pu être entièrement dépensée ! C'est un véritable enjeu, car il faut accompagner les gens qui sont en situation de précarité énergétique.
J'ai donné des conférences sur la précarité énergétique en expliquant aux gens comment ils pouvaient améliorer un tout petit peu leur confort, en ne consommant pas plus et même s'ils n'avaient aucun moyen. Je ne rentrerai pas dans le détail, mais on peut intervenir facilement sur sa maison.
J'ai également fait de la formation sur la thermique du bâtiment. Il me paraît absolument indispensable de fournir des explications et des solutions aux gens. Nous voulons que nos discours concernent l'ensemble des citoyens et pas seulement nos 800 000 membres.
Dans les milieux ruraux en particulier, on trouve des foyers qui se trouvent dans des situations difficiles, mais qui n'ont pas besoin de grand-chose pour réaliser des économies d'énergie. L'accompagnement est indispensable, mais la tarification progressive est aussi un signal. Quelqu'un m'a dit : c'est au moins un signal écologique qui n'a aucun impact négatif socialement, il peut même avoir un impact positif. Ce discours-là nous paraît important.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Arditi, je suis d'accord avec vous, la précarité énergétique est un véritable problème qu'il n'est pas facile de traiter. Il touche beaucoup plus de foyers que les 800 000 qui ont droit à cette aide publique : il en concerne probablement entre 4 millions et 6 millions. Or ceux-ci n'ont pas les moyens de réaliser les travaux nécessaires qui les aideraient pourtant à payer leur facture annuelle.
Je vous remercie de la manière passionnée avec laquelle vous êtes exprimée ; cela ne nous a pas surpris ! (Sourires.)
Audition de Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du Bundesnetzagentur fûr Elektrizität
(16 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - La suite de notre ordre du jour de ce matin appelle l'audition de Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du régulateur allemand du marché de l'électricité, le Bundesnetzagentur für Elektrizität .
Du fait de la nationalité de Mme Groebel, une traduction instantanée a été prévue, afin d'être sûrs que nous nous comprenions bien, les sujets abordés étant souvent extrêmement techniques.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
À cette fin, notre commission d'enquête a jugé utile d'entendre Mme Annegret Groebel, afin d'avoir l'éclairage du régulateur allemand sur le sujet qui nous intéresse.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées. Pour ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Madame Groebel, je vous remercie de votre présence parmi nous ce matin. Le sujet dont traite la commission d'enquête intéresse extrêmement les Français. Le coût de l'électricité dépend du mix énergétique. Comme en Allemagne et dans nombre d'autres pays européens, ce dernier est en train d'évoluer compte tenu, notamment, de la conjoncture économique et du sort réservé au nucléaire à la suite de l'accident survenu à Fukushima.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, en particulier les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que Mme Groebel aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête, pourront lui poser.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame Groebel, pouvez-vous présenter brièvement le marché de l'électricité de votre pays ? Comment fonctionne-t-il et quels sont les facteurs de détermination du prix payé par les consommateurs ? Existe-t-il des mécanismes favorables à certaines catégories de consommateurs - tarifs sociaux, plafonnement de taxes pour les industriels électro-intensifs ? Constate-t-on une égalité ou, à l'inverse, des différences de prix selon les régions de consommation ?
Par ailleurs, le prix actuel de l'électricité dans votre pays reflète-t-il correctement les « coûts réels » de l'électricité - production et transport -, y compris les externalités négatives, comme les émissions de CO 2 ou le risque nucléaire ?
Selon votre analyse, quelle devrait être l'évolution du prix de l'électricité dans votre pays au cours des cinq années à venir ? Pouvez-vous nous préciser les principaux facteurs d'évolution de ce prix ?
Comment devrait évoluer le mix électrique, notamment la part des énergies renouvelables, dans votre pays dans les dix à vingt prochaines années ? Quelles sont les conséquences des différences de choix opérées par l'Allemagne en matière nucléaire ? Ces choix fontils l'objet d'un débat politique ? De quelles aides les nouvelles filières bénéficient-elles - subventions, tarifs de rachat, notamment ?
Enfin, quelles sont les perspectives d'investissements sur le réseau de transport, en particulier pour ce qui concerne la gestion des énergies renouvelables ou la mise en place de smart grids ainsi que d'interconnexions ? À moyen et long termes, estimez-vous que le développement des interconnexions effacera les différences de prix de l'électricité entre les pays européens quels que soient les choix nationaux opérés en matière de bouquet électrique ou, au contraire, les logiques nationales devraient-elles perdurer ?
Mme Annegret Groebel, responsable du département des relations internationales du Bundesnetzagentur fûr Elektrizität . - Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée. J'interviens devant votre commission d'enquête au nom du régulateur allemand qui traite des cinq secteurs du gaz, de l'électricité, des télécommunications, de la poste et des réseaux de recherche et développement.
En Allemagne, l'ouverture du marché à la concurrence a eu lieu en 1998, date de l'adoption des premières directives européennes relatives à l'organisation du marché intérieur. On a alors permis aux consommateurs de changer de fournisseur d'électricité et de gaz.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez avoir à l'esprit une particularité du marché allemand. Notre pays dispose de quatre gestionnaires de réseaux de transport d'électricité - RWE, E.On, Vattenfall, EnBW - et de douze gestionnaires de réseaux de transport du gaz. Le réseau de distribution comporte environ 800 gestionnaires pour ce qui concerne l'électricité et 600 gestionnaires pour ce qui concerne le gaz. De ce fait, les responsabilités relatives à la régulation sont diluées.
L'agence que je représente est compétente à l'égard des gestionnaires du réseau de transport et des réseaux auxquels sont raccordés plus de 100 000 clients et qui couvrent une grande partie du territoire. Pour les autres cas de figure interviennent des régulateurs régionaux. Cette structure est certes compliquée, mais elle présente des avantages, notamment pour le benchmarking .
En 2010, la capacité de production d'électricité a augmenté en Allemagne et s'établit à 160 gigawatts. Environ 30 % sont produits grâce au recours aux énergies renouvelables. Plus particulièrement 27 gigawatts sont dus à l'éolien et 17 gigawatts à l'énergie solaire. La part du charbon dans la production d'électricité est encore importante ; 45 gigawatts sont produits à partir du charbon et du lignite. Cette production doit être réduite si nous voulons respecter nos engagements relatifs à la protection de l'environnement.
Avant que ne soit prise la décision de sortir du nucléaire, autrement dit avant 2010, nous produisions 21 gigawatts d'électricité à partir du nucléaire et du gaz. Après la catastrophe de Fukushima, survenue le 11 mars 2011, nous avons décidé d'arrêter un certain nombre de centrales nucléaires. La nouvelle législation a entériné cette prise de position. Neuf centrales nucléaires sur dix-sept ont été définitivement fermées. De ce fait, la production d'électricité a enregistré une perte certaine, mais celle-ci a pu être d'ores et déjà partiellement compensée par le recours aux énergies renouvelables.
En raison de cette décision de sortir du nucléaire, nous devons davantage faire appel à l'éolien. À cette fin est prévue l'installation de parcs éoliens en mer du Nord et en mer Baltique. Bien évidemment, les investissements qui devront être réalisés sont importants.
Par ailleurs, nous devons restructurer et adapter les réseaux de transport d'électricité, afin de prendre en compte les énergies renouvelables. En effet, la production d'électricité à partir de ces énergies est davantage décentralisée que celle qui est réalisée à partir du nucléaire ou du charbon.
En Allemagne, de nombreuses centrales nucléaires situées dans le sud et le sud-ouest du pays qui ont fourni de l'électricité aux industries installées dans ces régions ont été fermées. De plus, l'électricité d'origine éolienne est essentiellement produite en mer du Nord. Il faut donc adapter les réseaux de transport, notamment renforcer le transport de l'électricité produite au nord de l'Allemagne à destination du sud du pays.
La restructuration du réseau est le défi le plus important que doive relever l'Allemagne, après la conduite de la sortie du nucléaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Quelle augmentation de la facture d'électricité des consommateurs résultera des investissements que nécessiteront l'éolien en mer et l'adaptation du réseau de transport ?
Mme Annegret Groebel . - Nous avons procédé à certaines estimations, mais les indications que je vais vous fournir ne sont pas absolues, car, comme la France, l'Allemagne conduit des négociations avec les gestionnaires de réseau qui portent sur des programmes à dix ans.
Nous avons présenté trois scénarios qui se différencient essentiellement en fonction de la part des énergies renouvelables. La variable de ces trois scénarios est le mix énergétique, qui détermine le volume des investissements.
L'Allemagne assure une très forte promotion des énergies renouvelables. En 2011, le consommateur a enregistré une augmentation de 2 centimes du tarif de l'électricité, hausse due au recours à ces énergies. Actuellement, à l'échelon national, il paie 25,45 centimes le kilowattheure d'électricité. Au cours des années à venir, nous misons sur une progression des prix comprise entre 3 % et 5 % selon le scénario choisi, autrement dit selon le mix énergétique. Mesdames, messieurs les sénateurs je vous communiquerai des informations plus détaillées sur ce point ultérieurement.
En 2006, le coût de la distribution représentait 35 % du prix de l'électricité. Aujourd'hui, il s'établit à 20 %. Il a donc été réduit. Mais, parallèlement, le prix de production de l'énergie a augmenté. Par conséquent, nous n'avons pas enregistré une baisse globale des prix à la consommation.
Par ailleurs, en Allemagne, les consommateurs recourent très fréquemment à la faculté qui leur est offerte de changer de producteur et de distributeur d'énergie. Certains d'entre eux le font tout simplement parce qu'ils souhaitent favoriser le développement des énergies renouvelables ; ils sont prêts à payer plus cher l'électricité qui leur est fournie. Notre pays a connu une augmentation des prix de l'électricité en raison de la décision prise de sortir du nucléaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant vous donner des informations relatives à la part des différentes sources d'énergies. Ce point est très important, pour nous comme pour vous.
La production à proprement parler d'électricité représente environ un tiers du prix à la consommation ; la part de la distribution correspond à peu près à 20 % du tarif ; la taxe EEG, qui vise à promouvoir les énergies renouvelables, en représente 13,7 %. Ce pourcentage est appelé à augmenter puisque nous voulons encourager le recours à ces énergies, lesquelles devraient passer de 30 % à 80 % dans le mix énergétique en 2025, date à laquelle les dernières centrales nucléaires allemandes devraient être fermées.
La sortie du nucléaire a été décidée en 2011. Actuellement, nous disposons d'une douzaine d'années pour fermer définitivement toutes les centrales nucléaires et pour opérer la restructuration de la production et de la distribution de l'énergie.
En raison des objectifs fixés à l'échelon européen en matière de lutte contre le réchauffement climatique et contre les émissions de CO 2 , l'Allemagne doit encore limiter la place occupée par les centrales au charbon. Un certain nombre de ces centrales doivent soit être fermées définitivement, soit être remplacées par des centrales du même type mais plus modernes, qui émettent moins de CO 2 .
Nous avons décidé de renoncer à l'enfouissement de CO 2 dans des couches souterraines, car cette pratique a des conséquences négatives. Par conséquent, dans un avenir proche, nous n'allons pas installer de réservoirs à cette fin.
Un autre élément intervient dans le prix à la consommation, à savoir la taxe qui doit être payée à la municipalité par le distributeur et qui s'élève à 6,5 %. De plus, d'autres taxes correspondent à un quart du prix de l'électricité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous constaterez que l'ensemble des taxes qui doivent être versées à l'État et la taxe tendant à promouvoir les énergies renouvelables représentent 50 % du prix de l'électricité. C'est sur les 50 % restants qu'intervient l'agence que je représente et qui n'est compétente que dans le domaine du réseau de transport.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame Groebel, si j'ai bien compris, ces derniers 50 % concernent la production et l'acheminement.
Mme Annegret Groebel . - C'est exact, monsieur le rapporteur.
Mon agence n'est compétente ni en matière de production ni dans le secteur de la distribution, car selon nous ces marchés doivent être soumis à la concurrence et au contrôle de l'Office des cartels. Les prix finaux ne sont pas fixés. Ils sont déterminés par le marché.
Si les tarifs augmentaient de façon trop importante et injustifiée, l'Office des cartels pourrait intervenir pour déterminer si des abus ont été commis. Son rôle dans le domaine du contrôle des prix a été renforcé en 2009, avant la décision de sortir du nucléaire, afin d'éviter toute dérive des prix à la consommation.
Il faut se le rappeler, à cette époque, la concurrence dans les secteurs de la production et de la distribution n'était pas aussi importante qu'aujourd'hui. Depuis lors, l'Office des cartels n'a pas constaté d'abus ou de dérive des prix.
Comme je l'ai indiqué précédemment, les consommateurs tentés de changer de fournisseur ou de distributeur sont de plus en plus nombreux.
En tant que régulateur, nous avons édicté un certain nombre de règles qui normalisent un tel changement. Ainsi, un client souhaitant changer de fournisseur doit en faire part au nouveau fournisseur qu'il a choisi. C'est ensuite celui-ci qui prend contact avec son concurrent afin que tous deux conviennent du jour auquel aura lieu le basculement. La démarche est donc très simple et sécurise le client final. Environ 6,5 % des consommateurs ont d'ores et déjà agi ainsi.
Par ailleurs, nombre de consommateurs ne changent pas de fournisseur mais renégocient avec lui leurs tarifs. Ils modifient leur contrat afin d'obtenir des conditions plus avantageuses. Une telle démarche démontre que les consommateurs connaissent leurs droits ; ils mettent en avant leur faculté de changer de fournisseur pour négocier de meilleurs tarifs.
Dans ce domaine, il existe une jurisprudence. Ainsi, les gestionnaires de réseau doivent fournir aux consommateurs des informations pertinentes justifiant une augmentation de prix. À défaut, le client est en droit de refuser cette hausse. De ce fait, les droits des consommateurs ont été grandement renforcés.
Je l'ai déjà indiqué, le marché allemand a été libéralisé de façon formelle depuis 1998. Mais, en réalité, cette ouverture s'est produite très lentement. Les possibilités de changer de fournisseur étaient extrêmement limitées. Elles n'étaient pas prévues par l'Office des cartels.
En 2005, le législateur a reconnu que seul l'Office des cartels ne pouvait pas opérer cette ouverture. Il a donc adopté un nouveau train de mesures et confié à notre agence cette compétence supplémentaire, à l'instar de celle dont dispose la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, en France. Par conséquent, nous avons maintenant des compétences ex ante . Ce pas fut décisif pour procéder à une meilleure régulation et à l'ouverture des marchés. Les consommateurs ont donc la possibilité de changer de fournisseur et en tirent avantage.
Par ailleurs, nous contrôlons les tarifs des réseaux. Depuis 2009, nous avons opté pour une régulation incitative. Autrement dit, nous fixons un prix plafond qui permet d'amortir les coûts réels. Sont concernés les coûts d'investissement, les coûts opérationnels et les coûts en capitaux. De surcroît, la rentabilité des investissements dans les réseaux est assurée.
Nous déterminons le prix plafond sur la base d'un benchmarking. Nous nous référons aux prix de tous les opérateurs de réseaux puis nous fixons ce prix plafond et définissons les taux de rentabilité que les gestionnaires de réseaux doivent réaliser. En situation de monopole, il n'y a aucune incitation à réduire les coûts et la gestion n'est pas rentable. En effet, les salariés sont très nombreux et jouissent de droits très importants. Par conséquent, dans un tel cas de figure, les coûts très élevés représentent un frein pour le marché. C'est pourquoi nous avons voulu introduire la concurrence sur le marché tout en incitant les entreprises à investir.
Nous misons sur deux éléments : d'une part, la réduction des coûts et, d'autre part, l'incitation aux investissements. C'est la raison pour laquelle nous avons fixé ce prix plafond.
Quelle est l'incitation ? En 2009, nous avons décidé de permettre aux gestionnaires efficaces qui pratiquent des tarifs plus rentables que le prix indicatif de conserver la différence.
Cette année, nous arrivons au terme de la première période de régulation pour les producteurs et distributeurs de gaz. L'année prochaine, tel sera le cas pour les producteurs d'électricité. Puis nous passerons à un deuxième plan « quinquennal ».
Nous voulons favoriser en même temps l'efficacité, la rentabilité des réseaux et les investissements effectués dans ces réseaux. Nous oeuvrons de façon à rendre possibles ces investissements par un retour sur investissement attribué aux gestionnaires de réseaux. Ces derniers prennent les décisions et peuvent amortir leurs investissements grâce à une meilleure rentabilité.
Par ailleurs, nous menons un certain nombre de programmes de subventions. Mais, en général, les investissements doivent s'autofinancer. L'État n'intervient pas de façon décisive pour ce qui concerne l'amortissement des investissements.
À la suite de la décision de sortir du nucléaire, nous avons décidé d'autoriser des budgets d'investissement en dehors de la base de régulation. Les gestionnaires de réseaux sont en droit de bénéficier de nouveaux moyens pour investir afin d'adapter les réseaux.
Comme je l'ai déjà indiqué, selon nous, la sortie du nucléaire ne pose pas de problème pour ce qui concerne les investissements. Nous constatons que les gestionnaires de réseaux investissent beaucoup. De surcroît, des fonds de pension non seulement investissent dans des obligations d'État, mais également souhaitent procéder à des investissements plus structurels, qui garantissent un retour sur investissement.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quel est le prix plafond pour le réseau ?
Mme Annegret Groebel . - Il est établi de façon individuelle. Nous avons 800 gestionnaires de réseaux de distribution et quatre gestionnaires de réseaux de transport. À chacun d'entre eux est octroyé un taux d'efficacité. Puis, à l'aide d'une clé, le tarif est fixé. Le prix moyen pondéré s'élevait à 5,75 centimes par kilowattheure en 2011, à 5,81 centimes en 2010 et à 6 centimes en 2009 sur tous les réseaux. Comme je l'ai indiqué, ce tarif peut varier en fonction des distributeurs.
Je le répète, selon nous, le financement des investissements ne soulève aucune difficulté. Nous pensons que les capitaux sont disponibles. Le taux de rentabilité est assez attractif pour les producteurs d'électricité et de gaz.
Nous estimons que le problème le plus important concerne les délais de programmation et d'autorisation. À ce jour, en Allemagne, les programmations et les autorisations ont toujours été réalisées à l'échelon des Länder et non pas au niveau fédéral. Ce système peut vous paraître étrange, mesdames, messieurs les sénateurs, car l'organisation française est différente, beaucoup plus centralisée, ce qui peut présenter des avantages. Il se peut donc que certains Länder aient déjà donné leur accord, contrairement à d'autres.
À la suite de la décision de sortir du nucléaire, nous avons constaté qu'il fallait changer cette façon d'organiser la programmation et l'autorisation. C'est pourquoi, depuis 2011, la loi portant sur le développement du réseau a confié la responsabilité de ces opérations à notre agence, qui s'est vu attribuer une nouvelle compétence. Celle-ci vise à favoriser le développement du réseau et à résoudre tous les problèmes résultant du fonctionnement décentralisé de l'Allemagne.
Grâce à cette réforme, nous pensons réduire de moitié les délais de programmation et d'autorisation, qui passeraient de dix à cinq ans, ce qui devrait nous permettre de mieux gérer la sortie du nucléaire. En effet, le principal problème qui se pose n'est pas le démantèlement des centrales et le développement d'autres capacités de production, mais le renforcement des réseaux et leur adaptation aux énergies renouvelables.
Cette compétence a donc été confiée à notre agence ; elle constitue désormais le noyau de notre activité.
Sur la base du plan de dix ans, qui découle également du troisième programme du marché intérieur, et du plan de développement des réseaux, un plan des besoins fédéraux sera élaboré. Nous voulons le finaliser vers la mi-2012, pour que les autres processus puissent commencer ensuite et les autorisations se faire par blocs.
Tel est le concept sur lequel nous travaillons avec les GRT, les gestionnaires de réseaux de transport. Toutefois, sa mise en oeuvre est assez complexe. Nous espérons que la partie « programmation » fera l'objet d'une coordination minimale, comme cela s'est fait par le passé.
En effet, ce point fait l'objet d'un débat aujourd'hui en Allemagne. Une large majorité de la population soutient le changement de cap énergétique et considère qu'il est juste. Toutefois, nombre d'experts affirment qu'il s'agit d'un recul, en ce sens que, désormais, à cause de la libéralisation, le marché n'est plus régulé. Ils réclament plus de planification dans l'économie.
Nous partageons cette crainte, que le président de l'Office des cartels vient d'ailleurs de thématiser. C'est pour cette raison que nous essayons d'accélérer l'extension du réseau, en réduisant au maximum les étapes nécessaires. Toutefois, cela suppose davantage de planification : c'est un point absolument indispensable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais pas si j'ai répondu à toutes vos questions... Peut-être voulez-vous en poser d'autres, pour savoir où nous en sommes concrètement en Allemagne ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Merci, madame. Nous avons bien compris le rôle du régulateur, qui est très important en matière de transport et bien moindre en matière de production et de distribution ; je tenais à le rappeler à mes collègues, afin que leurs questions se concentrent sur les problèmes de transport.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Madame Groebel, vous avez répondu à l'ensemble de nos questions, en soulignant que le problème ne résidait pas dans la production et qu'il y avait adaptation du réseau.
Je souhaite dresser un parallèle avec la situation de la France. Quand vous parlez de « réseau », de quoi s'agit-il ? Du seul réseau de transport ou aussi de la distribution ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est la même chose qu'en France ! Le système allemand est identique à celui que nous connaissons, sauf qu'il ne compte pas un transporteur, mais quatre grands. Le réseau de transport est le même dans les deux pays et les réseaux de distribution jouent en Allemagne le même rôle qu'ERDF, c'est-à-dire qu'Électricité réseau distribution de France, chez nous. Il faut avoir ces éléments présents à l'esprit pour bien comprendre.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Merci, monsieur le président. Peut-être pourrez-vous répondre à ma question suivante, avec l'aide de Mme Groebel. (Sourires.)
Le coût de 5,75 centimes par kilowattheure correspond-il au réseau à haute tension ou au réseau de distribution ?
Mme Annegret Groebel . - Il s'agit d'une moyenne qui concerne l'ensemble des réseaux de transport et de distribution. En outre, il existe un mécanisme de basculement : le courant électrique est transporté via le réseau de transport puis via le réseau de distribution jusqu'au client final, s'il n'y a pas de régie municipale directe. On calcule alors son coût, en prenant en compte au prorata l'utilisation de chaque réseau, afin que le coût de l'acheminement de l'électricité ne soit pas imputé deux fois. Les 5,75 centimes représentent une moyenne globale ; ils se répercutent dans le coût de la distribution, qui représente 20 % du coût final de l'électricité pour le consommateur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Groebel, je souhaiterais vous interroger sur le droit de refus qui s'applique à l'augmentation des tarifs.
J'ai bien compris que l'ouverture du marché n'avait été qu'un succès relatif, puisque, comme vous nous l'avez expliqué, 6 % des consommateurs, grosso modo , ont changé de fournisseur. Nous savons très bien que chaque grand fournisseur reste en quelque sorte en situation de monopole dans sa zone d'influence, c'est-à-dire dans les Länder où il intervient. Il est donc très difficile pour un client d'aller se fournir ailleurs. En revanche, comme vous nous l'avez expliqué, la renégociation du contrat avec le fournisseur rencontre davantage de succès.
Le droit de refus m'a toujours intrigué. Je sais qu'il existe, mais, si un fournisseur accepte de ne pas augmenter le prix de l'électricité pour un client, que ce soit un particulier ou un industriel, il doit le faire dans toute sa zone d'influence. Or s'il souhaite accroître ses prix, c'est parce qu'il doit réaliser des investissements, notamment ceux que vous avez évoqués - fermer progressivement ses centrales à charbon « sales » pour les remplacer par d'autres plus « propres », par des centrales à gaz ou par de l'éolien, par exemple -, autrement dit parce que ses coûts de production et d'exploitation augmentent.
L'augmentation des prix vaut pour tout le monde. Or si un client veut exercer son droit de refus et s'il obtient gain de cause, c'est-à-dire si le tarif n'augmente pas pour lui, c'est très mauvais pour le fournisseur, car tous les autres clients risquent d'adopter la même attitude. Comment ce droit de refus fonctionne-t-il ? Quelle est la marge de manoeuvre des acteurs ? Jusqu'où cette démarche peut-elle aller ?
Mme Annegret Groebel . - Le système fonctionne de la manière suivante, me semble-t-il : le gestionnaire de réseau calcule les coûts totaux, qui ne seront répercutés que plus tard sur le prix du kilowattheure. Pour cela, il additionne les coûts d'investissement et les coûts d'exploitation. Le gestionnaire de réseau est également l'institution qui fixe le prix, compris dans une formule, de l'abonnement au kilowattheure. Enfin, il connaît la part des clients industriels qui, au préalable, disposaient d'une certaine puissance de marché et bénéficiaient donc de prix plus bas, car il est toujours possible de les négocier.
Par conséquent, le gestionnaire de réseau doit intégrer dans son prix la perte de certains clients. Il lui faut toujours calculer un quantum de risques, car il existe un bloc de coûts qu'il doit récupérer à 100 %. Il sait qu'il va perdre des clients et intègre donc en amont cet élément dans son prix. Et s'il constate que, finalement, il en perd plus que prévu, il ne lui reste qu'à se focaliser sur les coûts, c'est-à-dire sur les investissements.
Il existe différentes catégories de coûts, mais nous considérons par principe que les coûts de capitaux sont contrôlables ; ce point est très important. Nous estimons également qu'un fournisseur doit parvenir à gérer des coûts. Il ne doit pas se contenter de répercuter leur augmentation sur les clients : il doit tenter de les influencer, notamment s'il perd des clients. Telle est la logique sous-jacente de ce système.
Enfin, si tous ses clients agissent de la même façon, le fournisseur sera forcément confronté à une difficulté. Toutefois, dans ce cas, ses concurrents auront un avantage et je pense que, en fin de compte, le marché s'équilibrera. Au cours du prochain round, il devra procéder à un nouveau calcul des prix.
Il faut le souligner, divers gestionnaires de réseau se sont fédérés, en arguant que l'existence de 800 GRT n'était pas efficace du point de vue économique, car même si ceux-ci produisent de manière efficace et rentable, ils ne sont pas viables économiquement. En outre, la consolidation du marché a joué : des gestionnaires de réseau se sont regroupés parce qu'une telle démarche entraîne toujours une réduction des coûts, donc un avantage.
C'est ainsi que la régulation s'est opérée : des gestionnaires ont fusionné ou encore ont quitté le marché. Une telle régulation incitative repose sur l'idée que les coûts inefficaces ou non rentables financièrement seront supprimés. Elle implique aussi que, lorsqu'un mauvais investissement a été réalisé, le gestionnaire de réseau ne peut s'attendre à récupérer tous ses coûts ; ce point est crucial.
Au final, le gestionnaire peut proposer des prix plus élevés parce qu'il a été inefficace et a mal géré ses coûts, comme cela arrive régulièrement pour certaines entreprises.
Les GRT ont accumulé des réserves importantes, et même trop importantes - c'est du moins mon opinion d'économiste -, justement pour écarter ce risque. Toutefois, on ne peut pas exclure qu'un gestionnaire de réseau doive se retirer complètement du marché - ce cas de figure s'est produit - ou fusionner avec un autre pour atteindre une taille plus importante et devenir plus rentable économiquement.
Il s'agit d'ailleurs d'un effet escompté de la régulation : favoriser la mise en place de gestionnaires dont la taille est plus importante et qui sont donc plus efficaces du point de vue de la gestion. En effet, l'existence de 800 gestionnaires en Allemagne, qui s'explique par des raisons historiques - chaque commune avait sa régie de distribution - n'est pas toujours optimale économiquement. Nous avons agi consciemment en ce sens : au travers de la régulation incitative, nous avons essayé de rendre le secteur des réseaux plus efficace.
Toutefois, les gestionnaires de réseau vous tiendront un autre discours ! (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce que l'on appelle en Allemagne les « gestionnaires de réseau », ce sont en France les distributeurs locaux.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Comment sont appelés les quatre gestionnaires des réseaux de transport ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce sont les quatre grands transporteurs. Ils ont été cités tout à l'heure.
Mme Annegret Groebel . - RWE, E.On, Vattenfall et EnBW.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Mais quel nom leur donner ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce sont des transporteurs, comme chez nous.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - J'ai plusieurs questions à poser.
Premièrement, vous avez indiqué que le prix de 5,75 centimes était une moyenne. Pouvez-vous nous donner les écarts de tarification constatés ? J'ai compris que les prix étaient différents selon les gestionnaires, mais varient-ils également en fonction des Länder ? Vous avez expliqué que l'abandon du nucléaire et le choix de l'éolien impliquaient de restructurer complètement le réseau, ce qui signifie que certaines régions se trouveront plus éloignées qu'auparavant des centres de production. Constatez-vous que, dans ces régions, le tarif a augmenté, ce qui créerait une disparité dans les tarifs en fonction de la géographie ?
Deuxièmement, si j'ai bien compris, des investissements seront réalisés par des gestionnaires différents, ce qui veut dire que la propriété des réseaux appartient à divers GRT. Ces derniers éprouvent-ils des difficultés à utiliser le réseau de leurs concurrents ? Comment réglez-vous cette question ? L'autorité dont vous êtes l'une des responsables y suffit-elle, ou peut-on imaginer que, à terme, des conflits s'élèveront entre les gestionnaires pour, en quelque sorte, empêcher la concurrence de se développer sur les réseaux où elle n'est pas présente ?
Troisièmement, et enfin, quelle est la part de l'électricité dans le chauffage en Allemagne ?
Mme Annegret Groebel . - Pour répondre à votre première question, l'éventail des prix va de 3 à 12 centimes. (Marques d'étonnement.) .
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce n'est pas rien !
Mme Mireille Schurch . - Le rapport va de un à quatre !
Mme Annegret Groebel . - Je pourrai donner des chiffres plus précis au secrétariat de votre commission si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs.
Jusqu'à présent, un plus grand décalage tarifaire n'est pas attesté entre les régions, mais une telle évolution n'est pas non plus à exclure.
Le niveau de la rémunération dépend en fin de compte de la taille du réseau, du nombre des clients qui y sont raccordés, des coûts d'enfouissement - par exemple, quand des tranchées doivent être creusées -, et de la localisation. Les prix varient selon que l'on est en ville ou à la campagne, dans le nord de l'Allemagne, où le pays est assez plat, ou dans le sud, où il est parfois nécessaire de creuser à travers les Alpes, par exemple. Il y a des particularités régionales dont il faut tenir compte.
Lorsqu'un Land est très homogène, ce qui n'est pas souvent le cas en Allemagne, on arrive à couvrir les coûts. Dans le Schleswig-Holstein, près de la Mer du Nord, le pays est en général plus plat qu'en Bavière, au sud de l'Allemagne, une région plus montagneuse. Toutefois, les coûts peuvent être plus élevés dans certaines zones du Schleswig-Holstein qu'à Munich, par exemple, où l'électricité est abordable en raison de la forte densité urbaine, qui réduit les frais d'enfouissement. Les coûts des réseaux dépendent de la densité, de la longueur et du nombre des câbles que l'on peut installer dans une tranchée. Cela vaut également pour les nouveaux réseaux de télécommunications.
D'après notre règlement, il faut tenir compte d'un grand nombre de paramètres susceptibles d'influencer directement les coûts, dont les plus importants sont les particularités géologiques ou géographiques. Toutefois, si un territoire est homogène, les rémunérations des réseaux de transport le sont également.
J'en viens à votre deuxième question, qui portait sur l'accès au réseau. Celui-ci est réglementé, et non plus négocié comme c'était le cas par le passé. Le problème que vous avez évoqué a pu survenir jusqu'en 2005, c'est-à-dire tant que les gestionnaires négociaient les prix. Toutefois, au final, ce système n'était pas viable économiquement. C'est pourquoi nous avons mis en place une procédure ex ante , elle aussi prévue par les directives européennes, aux termes de laquelle nous pouvons obliger un gestionnaire à donner accès à un réseau.
La loi allemande, tout comme la française, me semble-t-il, prévoit un droit à l'accès au réseau ou, à l'inverse, une obligation pour le propriétaire d'un réseau d'accorder un accès à ses infrastructures. Ces deux principes sont impératifs.
Le seul point sur lequel il peut y avoir conflit, ce sont les rémunérations, mais, là encore, nous avons voix au chapitre. Si un gestionnaire refuse l'accès à son réseau, son concurrent peut s'en plaindre, et nous avons alors la faculté d'imposer l'accès au réseau. Ce point est déterminant, et il s'agit d'une différence importante par rapport à l'accès négocié qui existait antérieurement. La régulation en Allemagne a commencé en 2005 ; depuis lors, l'accès au réseau est réglementé et nous organisons ex ante une régulation de la rémunération des réseaux qui est centrée sur l'efficacité. Je le répète, des conflits peuvent s'élever, mais l'autorité pour laquelle je travaille est alors chargée de les résoudre.
J'ai oublié votre troisième question, j'en suis désolée...
Mme Mireille Schurch . - Je vais la répéter, mais, tout d'abord, votre réponse m'en inspire une autre : ne pensez-vous pas qu'il faudrait aller vers une péréquation du tarif, de façon à ne pas infliger une « double peine » aux régions qui sont les plus montagnardes et les moins denses ? Cette question fait-elle débat en Allemagne ? En effet, l'écart de prix que vous évoquez est extraordinaire.
Ma troisième question était la suivante : quelle est la part de l'électricité dans le chauffage en Allemagne ?
Mme Annegret Groebel . - Nous fixons les rémunérations sur la base des coûts. Leurs différences se reflètent dans les tarifs que nous accordons, et nous ne voulons justement pas d'un prix uniforme.
En ce qui concerne l'électricité, la péréquation n'a jamais été une revendication. Je le répète, nous avons 800 réseaux différents, ce qui est une singularité. En revanche, dans le secteur des télécommunications il y a un seul grand gestionnaire ou opérateur, et l'État a fixé un seul tarif homogène, comme on s'y attendait.
Dans l'électricité, il y a toujours eu des fournisseurs locaux, et chacun savait que les prix étaient différents. En Allemagne, le débat que vous évoquez, madame la sénatrice, n'a pas lieu d'être, et c'est d'ailleurs intéressant.
En outre, il existe une règle qui chapeaute les autres et qui découle directement de la Loi fondamentale allemande. Celle-ci pose le principe de « l'homogénéité des conditions de vie ». Il faudrait donc que les coûts soient homogènes. Toutefois, dans le secteur de l'électricité, à l'inverse de ce qui s'est passé dans celui des télécommunications, cette démarche n'a jamais abouti.
Je pense que les gens sont tout simplement habitués à ce qu'il y ait un gestionnaire ou un fournisseur local. Pour eux, cet élément s'impute au coût de la vie traditionnel, et cela ne les dérange pas. Il n'y a pas en Allemagne de débat sur ces différences de prix. Certes, on discute lorsque l'électricité augmente, mais on ne remet pas en cause les variations géographiques tarifaires.
En outre, il existe une réponse à ce problème, qui est avancée par le secteur des télécommunications : par principe, un prix uniforme ne peut refléter les différences de coûts ; ce n'est pas possible ! Comme le disent toujours les économistes, en ville on paye des loyers plus élevés, mais on a d'autres avantages, liés à la proximité. À l'inverse, si on habite à la campagne, on a l'avantage d'un loyer plus faible ou de posséder une maison individuelle, mais on pâtit de coûts de transport plus élevés. C'est normal ! C'est de cette façon que se répercutent des préférences différentes.
J'en viens à votre question sur la part de l'électricité dans le chauffage en Allemagne. Je ne peux pas vous donner la quote-part exacte, mais je puis vous indiquer qu'elle est nettement plus faible qu'en France. On utilise beaucoup moins l'électricité pour se chauffer en Allemagne, mais je vous donnerai ultérieurement les chiffres exacts.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La péréquation, qui est l'une des particularités de la France, n'existe pas en Allemagne, et on ne la rencontre quasiment nulle part en Europe.
Mme Mireille Schurch . - Nous sommes pionniers !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier . - Vous avez indiqué que, pour sortir du nucléaire, vous serez amenés à restructurer les réseaux de transport. J'ai cru comprendre qu'une grande partie de l'électricité qui venait du sud viendra désormais du nord. Il faudra injecter dans le réseau le produit d'autres sources d'énergie. J'ai deux questions à vous poser.
Tout d'abord, est-ce que ces lignes seront aériennes ou souterraines ?
Ensuite, avez-vous eu ou aurez-vous des difficultés à les implanter et à les construire ?
Mme Annegret Groebel . - Il s'agit d'une question d'actualité, qui est intensément discutée en Allemagne. Les deux formules seront utilisées. À ce jour, nous avons surtout eu recours au transport aérien, mais différents Länder préconisent l'enfouissement des câbles, ce qui induit évidemment des coûts plus élevés - jusqu'à six fois plus. Ce surcoût doit aussi être intégré et reconnu, évidemment.
L'autorité de régulation allemande a incité les différents Länder à se pencher sur cette question, notamment parce que nous aurons à faire face à un surcroît de coûts en matière énergétique en raison de la sortie du nucléaire. L'enfouissement des câbles aggrave encore ce problème.
Par ailleurs, on a constaté entre-temps que l'enfouissement n'était pas forcément plus écologique. Si vous enfouissez un câble de 380 kilowatts, plus rien ne pousse au-dessus, car il dégage une tension et une chaleur importantes. Cette constatation incite évidemment à reconsidérer le problème. On commence à dire que l'utilisation du transport aérien serait non seulement plus économique, mais aussi, peut-être, plus écologique.
On a souvent prétendu que le transport aérien n'était pas écologique. Je ne sais pas ce qui justifie cette assertion, car nous ne disposons d'aucune étude scientifique mettant en évidence l'impact du transport aérien de l'électricité sur l'environnement. Cela me rappelle la discussion qui a eu lieu sur les émetteurs de téléphonie mobile... De toute façon, les coûts progresseront à la suite de l'adaptation des réseaux, et je pense que cette considération pèsera également sur le choix d'un transport aérien ou souterrain de l'électricité.
J'en arrive à votre seconde question, monsieur le sénateur. Actuellement, nous organisons des réunions avec les citoyens pour leur expliquer les évolutions à venir et les mesures qui peuvent être prises.
J'ai indiqué qu'une très large majorité de la population s'était prononcée en faveur de la sortie du nucléaire. Toutefois, lorsque l'on installe une ligne à haute tension à proximité de certains villages, cela suscite naturellement des réactions. Tout le monde accepte la ligne, mais pas chez lui !
C'est précisément pour essayer de convaincre ces citoyens que nous organisons ce type de rencontres, au cours desquelles nous faisons valoir qu'il faut faire des choix. On ne peut pas en même temps renoncer au nucléaire et refuser les autres installations. C'est comme lorsqu'il s'agit de créer un aéroport : il faut toujours peser le pour et le contre. Nous espérons, au travers de ce travail d'information, convaincre nos citoyens d'accepter l'agrandissement des réseaux.
Très souvent, dans le passé, des projets ont été contrecarrés parce que les citoyens avaient protesté. C'est pour cette raison que nous essayons désormais d'informer très en amont les citoyens, de leur expliquer la situation, de leur montrer comment elle pourrait évoluer à l'avenir et, surtout, d'intégrer leurs propositions. En effet, les citoyens nous disent parfois qu'il suffit de déplacer les poteaux de cinq mètres à droite ou à gauche pour éviter un certain nombre de conséquences négatives. Nous essayons donc de mettre l'accent sur ce processus interactif et participatif, c'est-à-dire de tenir compte également des idées des citoyens.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est le not in my backyard ! (Sourires.)
Mme Annegret Groebel . - Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Madame Groebel, je vous remercie beaucoup de votre participation aux travaux de notre commission.
Audition de MM. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France, Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq france, Michel Crémieux, président d'Enel France, et Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France
(16 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de MM. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France, Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq France, Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France, et Michel Crémieux, président d'Enel France.
Messieurs, comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans cette perspective, notre commission d'enquête a jugé utile d'entendre des représentants d'opérateurs étrangers du marché de l'électricité, afin qu'ils nous apportent un regard extérieur sur le marché français, mais également qu'ils partagent avec nous leurs expériences sur leur marché d'origine ainsi que sur d'autres marchés européens.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
La commission a souhaité que la présente audition soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Concernant le déroulement de cette table ronde, je vous propose qu'à la suite de chaque question posée par M. le rapporteur chaque intervenant réponde en une dizaine de minutes. À la suite de ces réponses, nous pourrons avoir un échange général sur le thème de la question posée, avant de passer à la question suivante. À la fin des questions, vous disposerez de quelques minutes de conclusion.
Avant de donner la parole au rapporteur, qui commencera en vous rappelant la première question, je vais maintenant faire prêter serment aux personnes que nous auditionnons, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête :
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(MM. Luc Poyer, Olivier Puit, Michel Crémieux et Frédéric de Maneville prêtent serment.)
Je vous remercie.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Messieurs, vous êtes les représentants en France de quatre entreprises dont le siège social se situe dans un autre pays : Enel en Italie, Vattenfall en Suède, E.On en Allemagne et Alpiq en Suisse.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je précise qu'une petite partie du capital d'Alpiq appartient à EDF.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Comme vous êtes quatre, je vous propose de traiter les questions une par une, afin que vous puissiez tous y répondre. Une fois que vous aurez tous répondu à l'ensemble des questions que nous vous avons adressées, vous disposerez de quelques minutes de conclusion pour aborder librement des points qui n'auraient pas été évoqués ou formuler d'éventuelles suggestions.
Je commence donc par la première série de questions. Pouvez-vous indiquer, en fonction de l'expérience de votre entreprise dans les différents pays où elle exerce son activité, et notamment dans son pays d'origine, quels sont les coûts de production que vous constatez pour les différentes filières de production d'électricité ? Quel sera demain, selon vous, un « mix électrique » compétitif ? Comment cela se traduira-t-il en termes de prix de l'électricité ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux, président d'Enel France . - Si vous le permettez, je souhaite d'abord présenter le groupe Enel.
Nos quatre entreprises représentent collectivement des ventes de l'ordre de 1 800 térawattheures, soit plus de trois fois la consommation française. Elles sont présentes en France, où elles représentent environ 40 % du marché ouvert, c'est-à-dire hors tarifs.
Le groupe Enel est l'un des quatre principaux opérateurs européens, avec un EBIDTA de l'ordre de 18 milliards d'euros. Notre groupe est, vous l'avez dit, l'opérateur historique italien, mais c'est aussi le numéro un en Espagne, puisque Enel a acheté l'opérateur historique espagnol, qui s'appelait Endesa. Nous sommes donc numéro un en Italie, en Espagne, mais aussi en Amérique latine, et nous sommes très présents en Russie et en Europe centrale.
En France, nous avons plusieurs activités.
D'abord, nous avons une activité de coopération nucléaire avec EDF, qui se matérialise par une participation à la réalisation et, demain, à la gestion de l'EPR de Flamanville. Nous avons une participation de 12,5 % et une soixantaine d'ingénieurs sont intégrés dans les équipes d'EDF sur ce projet.
Ensuite, nous développons les énergies renouvelables en France. Nous avons une société française qui possède aujourd'hui 168 mégawatts installés d'éolien et un portefeuille relativement important en matière d'éolien et de solaire. Et nous sommes en attente du lancement des appels d'offres pour le renouvellement des concessions hydrauliques ; nous avons l'intention d'y répondre systématiquement.
Enfin, nous vendons de l'électricité, environ 10 % du marché ouvert, et du gaz sur le marché français.
J'en viens maintenant à la question des coûts. Je me référerai à ce qui se passe en Italie.
En Italie, en 1987, à la suite de Tchernobyl, il y a eu un référendum d'initiative populaire qui a banni le nucléaire. Il y avait cinq centrales en fonctionnement ou en fin de construction, et elles ont été totalement démantelées, de sorte qu'il ne se produit pas un seul kilowattheure nucléaire en Italie.
Il y a eu des conséquences positives, comme le développement des énergies renouvelables. Aujourd'hui, Enel est le premier producteur mondial d'énergies renouvelables.
Mais l'essentiel de la production en Italie provient tout de même de combustibles fossiles. Cela a des conséquences en termes de sécurité d'approvisionnement, plus difficile à assurer, de volatilité des prix et de coûts, qui sont structurellement supérieurs aux coûts français, de vingt euros. Quand les coûts de production français sont à cinquante euros, en Italie, on est à soixante-dix euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ils sont à soixante-dix euros actuellement ?
M. Michel Crémieux . - Actuellement, cela varie entre soixante-dix euros et cent euros selon le prix du gaz.
Cela a été assumé par le peuple italien, qui, à l'occasion d'un nouveau référendum à la suite de Fukushima, a confirmé son choix de bannir le nucléaire. Ce n'est pas sans conséquences sur la productivité et la compétitivité de l'industrie italienne, mais voilà qui montre l'impact d'une décision de retrait du nucléaire et l'enjeu que cela représente. Je pense que c'est intéressant pour vos travaux.
Pour ce qui concerne la France, en matière de mix énergétique, il me semble que les décisions à prendre à court terme sont relativement limitées. Les grands choix se présenteront surtout autour de 2020. Ce qui importe pour nous, c'est surtout de préserver toutes les options ouvertes le plus longtemps possible et, en particulier, de mener une politique de maîtrise de l'énergie très active, de développer les énergies renouvelables, mais aussi de maintenir la possibilité de développer les générations suivantes de réacteurs nucléaires dans les prochaines années, même si les délais peuvent être un peu longs.
S'agissant de l'impact des choix de mix énergétique en France à horizon 2030, nous avons collaboré à l'étude qui a été réalisée par l'Union française de l'électricité, l'UFE, et qui vous a été présentée. Je n'ai rien à ajouter par rapport à cette étude, à laquelle nous souscrivons totalement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France . - Je suis président de Vattenfall France. Nos quatre entreprises sont membres de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz, l'AFIEG, qui a pour objet social de promouvoir l'ouverture du marché de l'énergie en France.
La société Vattenfall est d'origine suédoise, détenue à 100 % par l'État suédois. Nous sommes présents dans neuf pays d'Europe, opérateur nucléaire en Suède et en Allemagne, et nous nous distinguons en étant numéro deux dans l'Union européenne dans deux technologies : l'hydroélectricité et l'éolien offshore .
En France, Vattenfall fut le premier étranger à vendre de l'électricité aux industriels français, à la suite de la loi de libéralisation de 2000. Depuis, nous avons connu une croissance régulière jusqu'à vendre cette année environ 10 térawattheures d'électricité au consommateur français.
Après cette brève présentation, j'en viens à votre question. Comme vous l'avez souhaité, je vais vous parler de la situation des prix de l'électricité en Suède, puisque vous souhaitez avoir quelques éléments de comparaison.
À mon sens, ce qui est important, c'est de comprendre que le prix de l'électricité est la résultante d'un système. Un prix, c'est la résultante d'une organisation de marché et d'un système électrique. Je vais donc vous décrire comment cela fonctionne en Suède et vous donner quelques éléments de prix.
Au mois de janvier 2011, le prix de l'électricité en Suède pour un ménage en maison individuelle et doté du chauffage électrique a une part « énergie » de 45 %, une part « réseau » de 17 % et une part « taxes » de 38 %. En valeur absolue, le prix TTC de l'électricité pour un ménage en Suède est d'environ 18 centimes le kilowattheure, contre 26 centimes en Allemagne et 13 centimes en France. Ce sont des statistiques de l'Union européenne. Et pour un consommateur industriel, le prix du kilowattheure est de 12 centimes en Allemagne, de 8 centimes en Suède et de 7 centimes en France, pour vous situer les ordres de grandeur.
À noter qu'il n'existe pas de tarif réglementé par l'État en Suède, ni de péréquation géographique. D'ailleurs, la distribution d'électricité y est très fortement décentralisée auprès d'environ 250 sociétés locales de distribution.
Le coeur du système électrique suédois, c'est le Nord Pool , c'est-à-dire le marché de gros nordique, qui a été créé en 1993 et qui regroupe le Danemark, la Finlande, la Suède, la Norvège et maintenant l'Estonie. En 2001, 316 térawattheures ont transité sur ce marché ; c'est le plus liquide et le plus transparent d'Europe. On peut y trouver des produits de couverture jusqu'à un horizon de six ans. Cela signifie qu'un acteur peut acheter son électricité à prix ferme jusqu'à un horizon de six ans. Le prix moyen mensuel sur le spot de Nord Pool était le mois dernier de 31,71 euros le mégawattheure.
Si je vous avais donné la même valeur pour l'hiver 2010, j'aurais pu vous dire 80 euros. Je ne suis pas en train de vous dire que l'électricité est forcément toujours bon marché. Le prix de l'électricité sur le Nord Pool reflète étroitement l'équilibre de l'offre et de la demande. En fait, quand vous regardez des statistiques sur le long terme, ce prix varie entre environ 30 euros et 80 euros. Quand une année est sèche, quand il y a peu d'eau, ou quand il y a des longues maintenances de réacteur nucléaire, sur le Nord Pool , le prix de l'électricité peut même monter jusqu'à, on l'a vu, 80 euros. Cela dit, il est en général, et c'est le cas en ce moment, plutôt de l'ordre de 31 euros ou 32 euros sur cette bourse.
L'un des enseignements de cette volatilité, qui reflète finalement l'équilibre entre l'offre et la demande, c'est qu'il faut un mix diversifié, afin, justement, de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, notamment en fonction des aléas climatiques.
La production électrique en Suède était composée en 2010 de 46 % d'hydroélectricité, de 38 % de nucléaire et de 2,4 % d'éolien, la petite partie restante provenant marginalement d'énergies fossiles et de biomasse.
C'est un mix énergétique compétitif, très peu émetteur de CO 2 . D'ailleurs, le régulateur suédois, qui est par ailleurs doté de très forts pouvoirs réglementaires et de sanction, évalue l'efficacité du système électrique à l'aune non pas uniquement du prix de l'électricité, mais aussi de sa compétitivité environnementale. On prend donc en compte les dimensions financière, environnementale et énergétique.
La production électrique en Suède est ouverte à la concurrence, et aucun acteur, même Vattenfall, n'atteint 50 % des parts de marché sur quelque segment que ce soit. Par exemple, E.ON a des actifs de production hydroélectrique en Suède. EDF avait aussi voilà quelques années encore un certain nombre d'actifs de production en Suède, mais l'entreprise les a revendus depuis.
La règle en ce qui concerne le nucléaire en Suède, c'est la copropriété des centrales nucléaires. Toute centrale nucléaire est une société anonyme ayant des actionnaires : un actionnaire majoritaire qui est l'opérateur de la centrale, responsable devant l'autorité de sûreté, et des actionnaires minoritaires, qui peuvent, là encore, être E.ON ou Fortum, voire un industriel électro-intensif, et qui, eux, ont des droits de tirage sur la production de la centrale au prorata de leur part. Le gros intérêt qu'une centrale nucléaire soit une société anonyme, c'est surtout la transparence des coûts : séparation patrimoniale et juridique implique transparence totale et « auditabilité » des comptes de la société.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Y a-t-il un message sous-jacent ?
M. Frédéric de Maneville . - Je vous laisse interpréter mes propos comme il vous plaira.
D'ailleurs, la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, ou loi NOME, mentionne dans un de ses articles une telle possibilité. N'est-ce pas, monsieur le sénateur ? (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Et cela me tient à coeur ! (Nouveaux sourires.)
M. Frédéric de Maneville . - Pour terminer la description du système électrique suédois, sachez que l'équivalent suédois de Réseau de transport d'électricité, ou RTE, en Suède a très récemment divisé le pays en quatre zones de prix, afin de donner un signal correct de prix pour les investissements de production, pour les investissements d'effacement ou pour les renforcements de réseaux. En effet, la Suède est un pays déséquilibré, avec plus de production dans le nord et plus de consommation dans le sud. Une manière pour le régulateur suédois de traiter cette question a été de découper le pays en quatre zones de prix, afin de donner les signaux corrects tant aux consommateurs qu'aux producteurs pour leurs investissements.
Voilà pour la description du marché suédois.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France . - À l'instar de mes collègues, je vais faire un petit rappel sur ma société. (M. Luc Poyer fait distribuer un document aux membres de la commission d'enquête.)
L'entreprise E.ON est l'un des premiers utilities européens, l'un des premiers opérateurs de gaz et d'électricité. Elle a une activité significative dans onze pays. C'est le premier groupe à être sorti de son marché naturel, l'Allemagne, pour être aujourd'hui présent au Royaume-Uni, en Scandinavie, en Russie. Elle a un rôle souvent méconnu de deuxième producteur d'électricité nucléaire en Europe, avec aujourd'hui vingt-et-un réacteurs, dont neuf en tant qu'opérateur, en Allemagne et en Suède, comme cela été dit. Nous sommes le troisième opérateur au monde d'éolien offshore . Nous sommes également très présents dans l'hydroélectricité. Nous sommes directement concernés, vous le savez, par les choix politiques faits en Allemagne, ce que l'on appelle la transition énergétique. Nous sommes aux premières loges pour subir, mais également nous adapter à cette nouvelle donne sur le premier marché énergétique européen, où nos parts de marché nous placent au premier rang. Mais, comme le disait mon collègue, le marché allemand est ouvert, très ouvert, et nous avons moins de 30 % de parts de marché en matière de production. Nous avons dû céder en plusieurs étapes de nombreux actifs à d'autres acteurs européens, dont des acteurs français.
Je ferai peut-être un clin d'oeil sur notre activité en France. Nous sommes un petit peu à part. Nous sommes quatre acteurs présents ici, et nous sommes solidaires, mais nous, nous sommes un acteur européen ; c'est à ce titre que je comprends mon invitation à m'exprimer devant vous. Nous sommes aussi un opérateur historique. Nous sommes fiers de notre ancrage dans quatre bassins miniers français : la Lorraine, la Provence, la Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais. Je crois donc que nous sommes aujourd'hui le seul acteur européen autre qu'EDF et GDF Suez qui opère avec un parc de plusieurs centrales. Nous sommes donc des praticiens du sujet. Nous avons investi plus de 500 millions d'euros dans les cinq dernières années sur notre parc, et nous avons encore plusieurs projets, qui représentent des centaines de millions d'euros, pour moderniser et diversifier ce parc.
Je veux juste souligner - c'est tout de même sous-jacent derrière le mix électrique et les coûts réels de l'électricité - que nous sommes dépendants des évolutions réglementaires et législatives. Nous avons donc suivi avec beaucoup d'attention les développements des dispositifs prévus dans la loi NOME, qui sont tout à fait essentiels.
Je pense, d'une part, à la disparition progressive d'ici à 2015 de tous les tarifs, sauf les tarifs bleus - c'est du moins ce que nous avons compris de la loi NOME - et, d'autre part, à ce grand changement : comme cela a été indiqué, le fait que d'autres opérateurs puissent investir dans toutes les technologies de production, y compris le nucléaire, nous paraît tout à fait fondamental dans le cadre européen, où tous les acteurs peuvent investir dans tous les pays. La France en a bénéficié. Il faut aujourd'hui que les autres acteurs européens puissent aussi entrer dans ce jeu. En tant qu'acteur français, nous sommes convaincus que c'est l'intérêt national.
J'en viens aux coûts de l'électricité. Je ferai un petit préalable pédagogique. Il faut bien distinguer de quoi on parle.
Quand on parle de « coûts de l'électricité », il y a ce qu'on appelle l'ordre de mérite, en anglais le merit order , qui est en fait le coût variable sur lequel sont dispatchées les centrales. C'est celui qui se crée sur le marché électricité. Vous avez une courbe sur le slide 5. On voit l'offre et la demande qui se rencontrent. C'est donc bien le coût variable de l'unité de production la plus chère nécessaire pour couvrir la demande qui rencontre la courbe de demande. Ce qu'il est important de souligner, c'est qu'on voit bien l'échelle des productions, et on voit bien l'effet : le nucléaire, qui est la base, est le moins cher ; ensuite, quand la demande augmente, on passe au charbon, au cycle combiné gaz, voire au turbine gaz.
Ce qui est intéressant - je ne m'étendrai pas, sauf si vous voulez approfondir la discussion -, c'est d'observer le développement du renouvelable, auquel E.ON participe puisque nous sommes un des premiers producteurs de renouvelable. J'ai parlé de l' offshore , de l'hydroélectricité. Mais les développements, en particulier les développements de l'aide, les incitations à produire, à installer du solaire, de l'éolien, notamment en Allemagne, avec plus de 25 000 mégawatts de solaire, viennent, nous le voyons, modifier cette courbe et transformer profondément les équilibres économiques, donc transformer ou impacter les signaux de prix et, in fine , les décisions d'investissement. C'est un sujet tout à fait fondamental.
Mais il y a une autre manière d'aborder les coûts de production. C'est ce que l'on appelle les coûts de développement. On ne parle pas de la même chose. Par exemple, dans le rapport Champsaur ou dans le débat sur le coût du nucléaire dans le rapport de la Cour des comptes, là, on parle de l'ensemble des coûts qu'on actualise pour voir combien coûte un investissement. Dans l'opinion, c'est important. On confond souvent les deux notions.
On vous a distribué un document. Sur les slides 6 et 7, vous voyez un peu ce que dit - on peut évidemment vous communiquer le rapport complet - l'étude du pendant allemand de l'UFE, qui s'appelle VGB, c'est-à-dire l'association des grands producteurs d'électricité en Allemagne. Vous avez ainsi les coûts de développement vus du côté allemand. En fait, vous voyez une grande similitude avec l'étude de l'UFE. C'est heureux qu'on arrive aux mêmes conclusions des deux côtés du Rhin.
Je signale juste ce qu'on voit sur le slide 7. Ce qui est intéressant, sans aucun parti pris de mix énergétique, c'est qu'avec l'EPR, en tout cas dans sa forme standard - je ne parle pas des coûts de tête de série -, on arrive à des coûts de développement autour de 60 euros le mégawattheure, d'après une analyse germanique.
Vous voyez qu'on est à 60 euros le mégawattheure. C'est cohérent avec les estimations de l'UFE. Encore une fois, cela ne se base pas sur une tête de série. Cela date de 2011 ; on n'avait pas les dernières estimations à l'époque des coûts de l'EPR en construction, mais on peut raisonnablement espérer que l'on arrive, sur des séries, à ces coûts. Cela se compare évidemment aussi au coût du nucléaire historique, que vous connaissez - cela a dû être évoqué lors des précédentes auditions -, avec le rapport Champsaur et les autres méthodologies. Là, selon les évaluations, on est entre 35 euros et 40 euros le mégawattheure.
Toujours sur le slide 7, c'est intéressant de voir l'analyse sur les coûts de développement du renouvelable. Et là, il faut être attentif. On revient assez vite à la problématique du marché, car le rôle du progrès technologique est fondamental pour faire baisser les coûts du renouvelable. Si vous voulez inciter les acteurs comme nous à faire des progrès technologiques, il faut faire très attention à la manière dont on incite à construire des installations de renouvelable. Sinon, tout le monde s'endort derrière les tarifs de rachat, et l'émulation par la concurrence - c'est quand même le coeur de la concurrence - ne se fait pas. Sur le tableau, on retrouve là aussi le ranking , l'ordre de mérite français. Le point de vue d'E.ON est que c'est dans le photovoltaïque, et dans une moindre mesure dans l' offshore , qu'on s'attend à la baisse la plus importante des coûts. Et E.ON met toute sa capacité d'investissement, c'est-à-dire plus de 1,5 milliard d'euros par an dans le renouvelable, à contribuer à cette baisse des prix en matière de renouvelable, qui est une contribution importante aux finances publiques, puisque, in fine , en Allemagne comme en France, on a un dispositif de tarif de rachat. Le rôle d'acteurs comme nous, c'est, en stimulant la concurrence et en étant très fermes dans nos appels d'offres en matière de technologie de renouvelable, de faire baisser les coûts. C'est cette baisse des coûts qui permet aux États de baisser les tarifs de rachat, donc de se rapprocher le plus possible de ce qu'on appelle le grid to parity , qui permettra un jour, le plus vite possible, d'éviter de verser des subventions pour que puisse se développer le renouvelable.
Sur le slide 8, vous voyez les coûts de développement selon l'étude de l'UFE.
En conclusion, je rejoins ce qui a été dit. Il faut un mix énergétique optimal et, bien sûr, un ensemble équilibré de moyens mis en oeuvre, avec des moyens peu capitalistiques ou avec des amortissements courts, comme les cycles combinés gaz, qui sont très importants pour constituer le support du renouvelable, avec les problèmes d'intermittence dont on a parlé, et des moyens très capitalistiques, à amortissement long, tels que le nucléaire ou le charbon si la technologie CCS peut devenir rentable. Je parle bien sûr de renouvelable développé sur une base compétitive.
On parle de mix énergétique, mais ce que l'on voit avec la transition allemande, et j'en terminerai par là, c'est qu'il y a deux points à souligner.
Premièrement, les moyens de production ne sont qu'un élément d'un autre mix , celui qui comprend le stockage, les interconnexions, les effacements.
Deuxièmement, le mix peut évidemment rester un choix national, mais les opérateurs européens comme nous, en tout cas E.ON, invitent les autorités nationales à se coordonner peut-être encore plus qu'elles ne le font aujourd'hui, en particulier entre la France et l'Allemagne. Tout ce qui ira dans le sens d'une coopération plus grande entre nos deux États ira dans le bon sens pour des industriels comme nous.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit, directeur général délégué d'Alpiq France . - À l'instar de mes confrères et néanmoins concurrents, je commencerai en présentant le groupe auquel j'appartiens.
Le groupe Alpiq est la première entreprise de négoce d'énergie et de services énergétiques en Suisse. Le groupe est né en 2009 du rapprochement de deux pionniers de l'énergie hydraulique en Suisse : le groupe Atel et Énergie Ouest Suisse, un groupe alémanique et un groupe roman. Comme vous pouvez le constater, Alpiq est un groupe qui n'est pas simplement actif en Suisse ; il est également actif dans une vingtaine de pays en Europe, et a réalisé un chiffre d'affaires en 2011 de plus de 11 milliards d'euros. Il est actif dans la production, le transport, la vente et le négoce d'énergie.
En Suisse plus particulièrement, Alpiq assure environ un tiers de l'approvisionnement électrique du pays. En Europe, il dispose d'un mix énergétique constitué à 38 % d'énergie hydraulique, à 12 % de nucléaire, à 39 % de thermique classique et à 3 % de nouveau renouvelable.
Dernier point important, et cela a été mentionné auparavant, le capital d'Alpiq est détenu, dans une situation très suisse, essentiellement par deux consortiums suisses qui rassemblent des électriciens locaux des cantons, donc un ensemble de sociétés à capitaux publics, et nous avons aussi à notre capital la particularité d'avoir EDF en tant qu'actionnaire minoritaire sans capacité de contrôle, ni même de co-contrôle de l'entreprise.
Pour Alpiq, la France constitue un marché clé. Le groupe y est présent depuis dix ans, depuis 2002, sur le segment de la fourniture d'électricité aux grands consommateurs industriels et tertiaires au travers de sa filiale Alpiq Énergie France, que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui. En 2011, Alpiq Énergie France a livré environ 15 térawattheures d'électricité à cet ensemble de grands consommateurs.
Par ailleurs, le groupe Alpiq a développé, et continue à développer un parc de production d'électricité en France. Notre première centrale est une centrale à cycle combiné gaz qui a été mise en service l'an dernier à Bayet dans l'Allier et qui est opérationnelle depuis un peu plus d'un an. Nous disposons également de manière plus limitée de capacités de production hydroélectrique, petit hydraulique, ainsi que de renouvelable éolien.
Après cette présentation, je ferai un petit aparté. Nous n'avons pas reçu la nouvelle liste de questions, qui a dû nous être envoyée mais se perdre. Vous voudrez donc bien m'excuser si mon intervention ne correspond pas parfaitement à la nouvelle liste des questions. Elle était axée sur la liste précédente, en particulier sur la première question, qui était et reste pour nous une question d'importance, s'agissant notamment du fonctionnement de la concurrence en France et de la mise en place du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH.
Mais j'ai cru comprendre que nous aurons la possibilité d'y revenir si nous en avons le temps ; je l'espère.
J'en viens à la question que M. le rapporteur vient de nous poser. Je souhaite apporter quelques éclaircissements sur la situation en Suisse en matière de marché de l'électricité, qu'il s'agisse de production ou de distribution.
La Suisse est un petit pays, par comparaison avec la France. Ce pays a la particularité d'avoir une production d'électricité à 40 % nucléaire et à 60 % hydraulique. Il y a très peu de thermique classique et peu de nouveaux moyens de production renouvelable. La Suisse est un pays montagneux dans lequel il n'est pas aisé d'installer des productions éoliennes ou solaires, ce qui ne signifie pas que cela ne se fera pas.
C'est donc un mix énergétique assez particulier en Europe. Finalement, cela reflète plus la géographie et les conditions locales qu'une stratégie délibérée d'aller en ce sens. La production hydraulique a été une priorité dans chacun des pays : on épuise d'abord le potentiel de production hydraulique avant de se lancer dans des productions de type différent.
Même si c'est un petit pays, la Suisse est une plaque tournante du commerce de l'électricité, de manière historique. Sa position au centre de l'Europe, même si elle n'appartient pas à l'Union européenne, la met vraiment au coeur des mouvements d'électricité et de l'équilibrage au niveau européen. La Suisse importe beaucoup d'électricité de base, à production constante, toute l'année, et exporte beaucoup d'électricité, mais cette fois-ci de pointe et d'extrême pointe vers l'ensemble des pays limitrophes. Cela reflète aussi les capacités propres de son parc de production, avec beaucoup de barrages de haute chute en matière de production hydraulique.
La situation en matière de distribution d'électricité est aussi assez particulière. Le marché n'a pas été complètement libéralisé à la suite de votations, de référendums suisses, qui ont repoussé la libéralisation en cours. Le système de distribution suisse reste très localisé, très décentralisé, avec plusieurs centaines d'opérateurs. À l'échelle du pays, on a quasiment autant d'opérateurs en Suisse aujourd'hui qu'il y en avait en Allemagne en 1999, pour un pays dix fois moins peuplé.
De ce fait, le prix de l'électricité en Suisse, qui est aussi basé sur un niveau de prix de marché, suit d'assez près les prix que l'on peut observer en Allemagne, qui sont le prix directeur sur la plaque ouest-européenne. Le prix de l'Allemagne et le prix de la France, en dehors du mécanisme de l'ARENH, suivent quasiment les mêmes trajectoires.
Si je passe à la question du mix électrique compétitif, la première chose que nous souhaiterions mentionner est qu'il faudrait en réalité, me semble-t-il, sortir de la logique du mix énergétique compétitif et passer à une logique consistant à penser ce mix énergétique au regard de son efficacité en termes d'intégration des nouvelles énergies renouvelables. Cela a d'ailleurs été en partie évoqué par les personnes qui sont intervenues avant moi.
En effet, nous, nous considérons que la question du mix énergétique optimal ne se résume pas simplement à la détermination du meilleur merit order en termes de préséance économique, qui consiste à faire appel aux différentes unités de production électrique en fonction de leurs coûts marginaux de production croissants. Pour nous, l'arrivée des nouvelles énergies renouvelables sur le marché, sur la base des ambitions et objectifs européens et nationaux, trouble complètement cette préséance économique classique.
Pourquoi ? Parce que ces énergies nouvelles et renouvelables ont deux caractéristiques principales : d'une part, la production est fatale et intermittente et, d'autre part, la production bénéficie de subventions en termes de tarif d'achat dans la plupart des pays d'Europe, ce qui incite les producteurs à livrer leur production quel que soit le niveau du prix de marché à l'instant où ces installations produisent.
Du fait de leur intermittence, pour intégrer au mieux ces nouveaux moyens de production au sein de nos systèmes électriques, en dehors de la performance des réseaux, sujet sur lequel je ne reviendrai pas, il faut immanquablement d'autres centrales, des centrales d'appoint en termes de production de pointe et de production de semi-base, qui doivent être capables par leur flexibilité d'être un complément pour faire face à l'intermittence des énergies nouvelles et renouvelables.
Par ailleurs, et cet aspect est plus français, le besoin d'évolution de notre mix énergétique - je parle en tant que représentant d'une société de droit français - concerne à notre sens moins la production de base que la production de pointe et de semi-base. En effet, pour la base électrique en France aujourd'hui, nous ne constatons pas qu'il y ait un déséquilibre entre une demande insatisfaite et une production insuffisante ; c'est même probablement le contraire. À titre d'illustration, les 62 gigawatts de capacité installée nucléaire en France sont très largement au-dessus du niveau de la demande que nous allons constater dans quelques semaines, la demande d'été, lorsque la pointe de consommation dans la journée culmine à moins de 60 gigawatts, donc largement en dessous du dimensionnement du parc nucléaire, et que le minimum approche simplement les 40 gigawatts, donc plus de 20 gigawatts en dessous du parc de production nucléaire.
La problématique aujourd'hui que nous constatons pour la France n'est pas tellement l'adaptabilité ou le dimensionnement de la production de base ; c'est d'être capable de répondre aux besoins de pointe, qui sont cette fois-ci des besoins hivernaux.
Si nous allions cela au renversement de logique qui a déjà été enclenché, et les choses se passent très vite en matière de nouveau renouvelable - le développement du photovoltaïque en Allemagne a abouti en quelques années à mettre en production plus de 25 gigawatts de capacité installée -, nous arrivons à un nouvel équilibre au sein du mix , dans lequel se posera évidemment la question du prix.
Sur ce point, ce que je souhaiterais souligner, c'est que la conjoncture est déterminante. Les hypothèses que nous avons tous aujourd'hui au sein de nos différents groupes en matière de coût de développement de nouveaux moyens de production dépendront d'hypothèses sur le prix d'autres énergies.
C'est en particulier le cas pour tous les moyens de production à partir de gaz naturel. Le gaz naturel, que nous connaissons bien - nous avons mis en service un certain nombre de cycles combinés gaz en France et dans d'autres pays d'Europe au cours de ces dernières années -, a un coût de production qui tourne autour de 75 euros par mégawattheure. C'est sensiblement au-dessus du coût de développement d'un nouveau moyen de production nucléaire aujourd'hui. Mais ce coût dépend, lui, essentiellement du prix du gaz.
Si nous faisons le petit exercice de remplacer le prix du gaz que nous connaissons aujourd'hui en Europe de l'Ouest par le prix du gaz que nous connaissons aujourd'hui en Amérique du Nord, nous passons grosso modo d'un prix de 75 euros par mégawattheure pour un cycle combiné gaz à un prix de 45 euros par mégawattheure. Ainsi, la détermination du mix optimal ne dépend pas simplement de problématiques purement électriques ; elle dépend aussi concrètement de problématiques qui dépassent l'électricité et qui embrassent l'ensemble du secteur énergétique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie, messieurs.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je suis un peu surpris par l'une des choses que le représentant d'Alpiq a dites. Il a indiqué que les prix s'alignaient sur ceux de l'Allemagne, puis il a fait une petite remarque en disant qu'ils pourraient s'aligner sur ceux de la France, tout en soulignant qu'il y avait la situation particulière de l'ARENH. Nous avons bien entendu son message sous-jacent, et il pourra le développer lors de sa conclusion s'il en a le temps.
Dans les différentes auditions auxquelles nous avons assisté, nous avons souvent entendu que la Suisse - cela se traduisait-il par Alpiq ? - bénéficiait tout de même de fortes productions de l'éolien à certains moments, rachetait l'électricité à bas prix, stockait grâce à son réseau hydraulique et revendait fort cher.
J'ai très bien compris que vous aligniez ensuite vos prix sur l'Allemagne.
Mais, comme l'hydraulique est bon marché dans toute l'Europe, en rachetant à bas prix l'électricité produite pour la revendre plus cher, vous devez tout de même être excédentaire. Surtout si vous vendez l'électricité aux mêmes tarifs en Suisse que partout ailleurs.
M. Olivier Puit . - Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par « excédentaire ».
M. Jean Desessard, rapporteur . - Avez-vous des fortes marges ? Même si, je l'ai bien noté, le capital est détenu par des collectivités publiques.
M. Olivier Puit . - Je pourrais vous faire parvenir les résultats du groupe Alpiq de l'an dernier, qui ne montrent pas une telle situation, et ce pour un ensemble de facteurs liés à l'évolution du marché de l'électricité. Pour parler clairement, le groupe Alpiq a connu une perte l'an dernier.
Cela tient essentiellement à l'évolution du marché de l'électricité. Aujourd'hui, l'écart, ce qu'on appelle le spread , entre le prix de l'électricité de base et le prix de l'électricité de pointe s'est extraordinairement réduit.
Par conséquent, la souplesse que le groupe Alpiq peut avoir en termes d'utilisation de ses centrales hydrauliques de stockage, donc de remontée de l'eau pendant les heures creuses pour l'utiliser en termes de production d'électricité pendant les heures de pointe, n'aboutit pas aux marges que, j'ai l'impression, vous imaginez.
Malgré tout, il s'agit d'un usage des centrales hydrauliques qui est fondamental pour l'équilibre du réseau électrique, non seulement suisse, mais aussi européen.
M. Frédéric de Maneville . - Je voudrais rebondir sur cette question.
En supposant que les Suisses aient une rente liée à l'activité d'achat d'énergie aux heures creuses et de revente aux heures de pointe, en économie de marché, quand il y a une rente quelque part, il y a normalement un concurrent qui va s'installer pour lui prendre sa rente, en vendant un peu moins cher que lui. C'est comme cela que fonctionne l'économie de marché.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il faut avoir les barrages !
M. Frédéric de Maneville . - Justement. Soit cela se fait, et cela signifie que l'économie de marché fonctionne et que la rente va baisser, soit cela ne se fait pas, et il faut se demander pourquoi.
En effet, qu'est-ce qui interdit à un pays qui a les Alpes, comme l'Autriche, la France ou la Suisse, donc qui a des montagnes et de l'hydraulique de construire les stations de transfert d'énergie par pompage, ou STEP - cela s'appelle ainsi -, pour faire la même chose ? Il y a des interconnexions entre la France et l'Allemagne qui permettent aux STEP d'EDF - EDF a entre 4 000 et 5 000 mégawatts de STEP en France - de faire exactement la même chose.
S'il y avait une rente en Suisse, il ne tient qu'à nous, s'il y a un marché, de construire des STEP en France pour en profiter également.
M. Luc Poyer . - Je rebondis sur ce que vient de dire mon collègue et néanmoins concurrent.
En Allemagne, un marché interconnecté avec la Suisse et la France, un acteur comme E.ON a décidé d'augmenter de 50 % la capacité de sa STEP de Waldeck. Quel est l'opérateur français qui, aujourd'hui, construit une STEP ?
Nous avons une STEP de 600 mégawatts au centre de l'Allemagne, à Waldeck, et nous allons passer à 900 mégawatts. Nous construisons donc 300 mégawatts de plus, sur la base du raisonnement que vient de décrire mon voisin.
M. Ronan Dantec . - Mais les opérateurs français nous disent que le potentiel en STEP en France est très faible. Vous le contestez ? Si c'est le cas, c'est très intéressant.
M. Frédéric de Maneville . - On ne doit pas parler aux mêmes personnes chez l'opérateur historique !
Parce que nous, l'opérateur historique nous dit : « J'ai des projets de STEP dans mes cartons. Je n'attends que le lancement du renouvellement des concessions hydrauliques pour les proposer à l'État . » Tout le monde sait par exemple qu'il y a un projet de STEP à Redenat en Dordogne de plus de 1 000 mégawatts qui n'attend que ça.
Par conséquent, il y a du potentiel de STEP en France. Le problème, c'est que nous attendons tous depuis maintenant quatre ans le lancement d'appels d'offres pour le renouvellement des concessions hydrauliques, qui n'est toujours pas planifié. Et il ne faut pas forcément jeter la pierre à l'opérateur historique. Quel opérateur historique dont le contrat de concession se termine dans un an ou deux ans investirait dans une STEP ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - On a bien compris : c'est la responsabilité des politiques...
M. Ronan Dantec . - Avez-vous une idée du potentiel de STEP en mégawatts en France aujourd'hui ?
M. Frédéric de Maneville . - L'UFE a évalué un potentiel de production hydroélectrique encore inexploitée à 11 térawattheures. Aujourd'hui, la France produit entre 60 et 70 térawattheures selon les années. Cela fait donc du 15 %. Vous pouvez faire une règle de trois...
Il y a certainement en puissance de quoi faire - le problème est que j'ai prêté serment, donc je ne voudrais pas donner un chiffre erroné - 2 gigawatts de STEP en France si on le souhaite.
Il y a aussi une question de modèle économique.
M. Luc Poyer . - On peut renvoyer la question au politique.
Quelles seraient les règles qui permettraient le développement des STEP ? Il y a notamment - là, on entre dans la technicité - le coût d'injection dans le réseau. Le fait que ce coût soit le même que sur une installation normale joue beaucoup. Si vous payez à la fois quand vous soutirez et quand vous injectez et que votre modèle économique, c'est d'entrée/sortie, cela peut très vite être peu économique. Il faut donc créer d'abord un cadre réglementaire stable, lisible. C'est aussi une des raisons pour lesquelles les acteurs actuels sont, avec beaucoup de bien-fondé, prudents en matière de décision d'investissements.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous rassure. Le Parlement a, tout comme vous, interrogé le ministre de tutelle - nous le ferons également avec son successeur - sur l'échéancier des appels d'offres hydrauliques. Nous avons les mêmes interrogations que vous.
Je donne la parole à M. le rapporteur, qui va poser sa deuxième série de questions.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre première série de questions et d'en avoir profité pour nous présenter votre entreprise. Il est intéressant pour nous tous de mieux vous connaître.
La question de l'aller/retour lorsque vous rendez service aux pointes et le fait d'utiliser les réseaux lorsque vous achetez l'électricité pour la stocker et lorsque vous la restituez seront certainement évoqués dans le rapport.
Je pense que la deuxième question appelle des réponses plus courtes, car elle est plus simple. Cela vous laissera du temps pour la conclusion.
Quel jugement portez-vous filière par filière sur les mécanismes français de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération au regard de ceux que vous connaissez du fait de l'expérience de votre entreprise dans les différents pays où elle exerce son activité, notamment dans son pays d'origine ?
M. Michel Crémieux . - Premièrement, la principale préoccupation que nous avons est une préoccupation relative à la prévisibilité de la réglementation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous ne voulez pas que ça change tous les ans ? (Sourires.)
M. Michel Crémieux . - C'est extrêmement difficile à gérer. Nous-mêmes, dans l'activité éolienne, dans l'activité solaire, une année, on essaie de foncer, et l'année suivante, on s'arrête. Ce n'est pas gérable.
Il faut vraiment qu'il y ait un cadre stable, un mécanisme de soutien stable aux différentes énergies renouvelables.
Deuxièmement, pour faire des comparaisons avec ce qui se fait en Italie et en Espagne, en Italie a été développé un système de certificat vert plutôt qu'un système de tarif de rachat réglementé. Ce système a prouvé son inefficacité, parce que la volatilité du certificat vert, la volatilité de ce marché trop étroit ne permet pas aux investisseurs de planifier correctement les investissements.
Le certificat vert valait 150 euros une année, et il valait deux fois moins l'année suivante. Cela rend impossible une gestion correcte.
Nous sommes donc partisans du maintien des tarifs de rachat.
Troisièmement, dans les trois pays, je crois, en France, en Italie et en Espagne, on avait mis en place des systèmes à guichet ouvert, sans régulation des volumes. Et on s'est aperçu qu'en Italie des demandes d'autorisation pour 6 gigawatts de solaire sont arrivées l'an dernier. Elles ont d'ailleurs été réalisées, saturant complètement tous les systèmes de subvention prévus et perturbant le réseau.
Nous sommes donc partisans, en France comme en Italie et en Espagne, d'une régulation par les volumes, par un mécanisme d'appels d'offres, qui permet par ailleurs de sélectionner les bons dossiers et d'écarter ceux qui sont des dossiers moins bons, tout en maintenant le tarif de rachat.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ceux qui sont moins bons dans le sens spéculatif ?
M. Michel Crémieux . - Oui, ou ceux dont les autorisations sont mal ficelées ou ne sont pas encore totalement obtenues.
M. Frédéric de Maneville . - En Suède, il n'y a pas d'obligation d'achat, ni de contribution au service public de l'électricité, ou CSPE. C'est un système de certificat vert. Et il y a un marché commun des certificats verts entre la Suède et la Norvège. En fait, c'est une première que deux pays arrivent à se mettre d'accord sur un marché de certificats verts. C'est intéressant pour les prémices de la création d'un possible marché de l'électricité verte, qui n'existe pas aujourd'hui et qui fait sans doute défaut.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous en tirez donc un bilan positif, à la différence de votre voisin ?
M. Frédéric de Maneville . - Tous les mécanismes de certificat vert ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Il faut donc regarder en détail comment cela fonctionne.
Je veux juste signaler qu'il est intéressant que deux pays aient réussi à se mettre d'accord - d'ailleurs, ça n'a pas été facile - sur un marché commun de certificats verts.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est un certificat vert sur les pays nordiques ?
M. Frédéric de Maneville . - Pour l'instant, il n'y a que deux pays : la Norvège et la Suède. Ce n'est même pas le Nord Pool .
M. Michel Crémieux . - Ce point est très important. Le marché du certificat vert dans un seul pays ne peut qu'être volatil.
La mise en place d'un système de certificat vert au niveau européen pourrait avoir un sens, et nous n'y serions pas opposés. Mais au niveau d'un seul pays, c'est ingérable.
M. Frédéric de Maneville . - Je voudrais à présent faire quelques commentaires sur la CSPE française.
Premièrement, le fait que l'on continue à subventionner de la cogénération gaz dans la CSPE alors qu'il faut aujourd'hui mettre toutes nos forces dans les énergies renouvelables me semble étonnant. D'une manière générale, il faut, à mon sens, qu'on accepte en France de terminer des contrats d'obligation d'achat et de passer sur le marché quand les installations sont amorties sans aller réclamer en permanence des prolongations de situations qui sont en fait des rentes.
Deuxièmement, et là je vous parle plus en tant que consommateur français, on trouve beaucoup de choses très différentes dans la CSPE. Des subventions aux énergies renouvelables au mécanisme de solidarité avec l'outre-mer, ce n'est quand même pas du tout la même nature de choses. Or c'est dans le même paquet. Franchement, le consommateur n'y comprend rien. Par conséquent, si jamais vous pouviez offrir de la lisibilité sur ce sujet, ça ne serait pas mal.
Troisièmement, et mes voisins en ont déjà parlé tout à l'heure, les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, qui sont tous des conséquences du « 3 fois 20 », c'est-à-dire des engagements que tous les États ont pris d'atteindre 20% d'énergies renouvelables, ont pour résultat la création de surcapacités de production en Europe.
Nous avons donc des investissements qui se font dans l'éolien, dans toutes les énergies renouvelables, basés sur des subventions, sur des tarifs de rachat quel que soit l'équilibre offre/demande. Et comme l'Europe est en crise et la demande est plutôt stagnante, voire fléchit légèrement, nous sommes en train de créer en Europe un excès d'offre sur les marchés de l'électricité, ce qui a pour conséquence une chute des prix. Et vous devez le voir, les prix de gros en base viennent de chuter de 55 euros à 50 euros en quelques semaines. Nous le vivons donc tous les jours.
Il y a un déséquilibre en Europe : ces mécanismes, qui ont été très efficaces pour qu'il y ait de l'éolien en France, ont un effet pervers de création d'offre sur un marché de gros qui est censé se réguler tout de même par le prix et qui est censé donner un signal d'investissement. C'est donc un vrai sujet que notre industrie doit traiter.
Autre effet pervers de ce mécanisme, la valeur ou la non-valeur de l'intermittence n'est pas calculée par le marché. À partir du moment où EDF rachète à un opérateur éolien son électricité à 80 euros pendant quinze ans, on est incapable de dire quelle est la valeur ou la perte de valeur liée à l'intermittence, puisqu'il n'y a aucun mécanisme qui la calcule en France.
Et ça, je pense que c'est préjudiciable. C'est notamment préjudiciable parce que ça vient alimenter les anti-éoliens, qui disent : « C'est intermittent, ça ne vaut rien, etc . » Alors que si on était capable d'objectiver la valeur ou la perte de valeur de cette intermittence, cela permettrait d'objectiver cette discussion et de couper court à un certain nombre de fantasmes développés par les anti-éoliens primaires, qui donnent à l'intermittence une valeur ou une non-valeur beaucoup plus grosse que ce qu'elle est en réalité.
Et, dernier point à propos de la CSPE, j'ai calculé, à partir du communiqué de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, que le prix de rachat de l'éolien offshore du premier round , qui a eu lieu très récemment, va être en moyenne à 230 euros le mégawattheure. Je voulais juste attirer votre attention sur le fait que ce prix est élevé et qu'il va peser lourd dans la CSPE. Je crois que nous devrions nous interroger sur le mode de fonctionnement de cet appel d'offres, qui crée intrinsèquement des prix élevés, notamment en ne donnant pas aux candidats le temps de faire des études suffisamment profondes. Ils mettent donc des primes de risque dans leurs prix et, au final, on arrive avec des prix nettement plus élevés que nos voisins au Royaume-Uni. Ce que le Royaume-Uni a fait évoluer de son round one à son round two et à son round three en termes de gouvernance du système d'octroi de concession devrait nous inspirer si on veut contraindre un petit peu ce prix de l'éolien offshore , qui restera tout de même élevé, mais qui n'a pas de raison d'être aussi élevé en France.
M. Luc Poyer . - En complément, j'évoquerai le retour d'expérience du cas germanique. De fait, c'est en Allemagne qu'ont été créés les tarifs de rachat qui ont ensuite inspiré le modèle français.
Les chiffres allemands présentés à la page 12 du document traduisent une croissance très rapide : de fait, il faut savoir doser ce mécanisme, aider cette transition énergétique en arrivant suffisamment tôt, mais ni trop tôt, car on entrerait dès lors dans un régime d'innovation, ni trop tard, ce qui reviendrait à subventionner une technologie mature, en engendrant des effets d'aubaine.
Ainsi, tout l'enjeu réside dans le timing ; en Allemagne, on observe vers quoi peut tendre un système qui se perpétue, tout en restant assez sophistiqué. Comme vous le savez, les tarifs de rachat sont régulièrement réduits. Malgré ces mesures, on observe une augmentation très rapide, étant donné que la CSPE allemande s'élève à trente-cinq pour un niveau de dix en France, soit plus de trois fois plus : il y a des leçons à tirer de ce constat.
Le financement de cette transition énergétique fait également débat en Allemagne, notamment pour ce qui concerne la sortie des tarifs de rachat. De même que mon collègue, pour ce qui concerne la cogénération gaz, j'estime que certaines questions restent en suspens.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pour la biomasse ?
M. Luc Poyer . - Pour le gaz tout court, monsieur le rapporteur. En revanche, pour ce qui concerne la cogénération biomasse, c'est tout autre chose, on entre dans le domaine des énergies renouvelables.
Lorsqu'un mécanisme de tarifs de rachat existe, il faut préparer et assurer la sortie du dispositif : c'est bien sûr difficile. Cela suppose qu'un marché suffisamment profond et liquide existe ; il faut inciter un maximum d'acteurs du domaine des énergies renouvelables à placer leurs productions sur le marché, quitte à prévoir des incitations via des mécanismes de certificats verts, dans le cadre le plus européen possible. Ici aussi, il faut que le marché soit liquide et profond, et il faut prévoir un mécanisme de capacité, d'ailleurs fixé par la loi NOME. En la matière, nous commençons à percevoir des signaux d'inquiétude : de fait, nous avons compris que le calendrier d'application risquait de subir des à-coups. Sur ce point, il est donc également urgent de disposer d'une conception globale.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mais si les volumes suffisants sont disponibles, il sera possible d'atteindre cet objectif.
M. Luc Poyer . - Tout à fait, monsieur le président.
Enfin, je le souligne, il faut distinguer renouvelable et renouvelable : certaines productions d'énergies renouvelables sont très créatrices d'emplois, notamment la biomasse. E.ON est très bien placé pour en parler : nous avons hérité de quelques centrales au charbon et nous sommes un acteur absolument essentiel dans les domaines de la semi-base et du thermique. Certaines de nos centrales au charbon doivent être converties : un moyen de les convertir, c'est précisément la biomasse, qui permet de maintenir un niveau d'emplois important sur les sites concernés tout en structurant en amont une filière.
En la matière, gardons-nous des dogmes, essayons d'explorer de nouveaux mécanismes permettant de créer des emplois et de maintenir de l'industrie en France.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont . - Monsieur Poyer, ma question est d'ordre local, et plus précisément bourguignon.
Compte tenu des informations que vous venez de nous communiquer, quelle est l'espérance de vie de la centrale thermique au charbon de Lucy à Montceau-les-Mines ? Plus précisément, envisagez-vous de convertir cette centrale dans le domaine du gaz de biomasse ?
M. Luc Poyer . - Monsieur le sénateur, l'espérance de vie de ces structures dépend de la réglementation européenne ; de fait, la tranche de Lucy fait partie des douze tranches dites « GIC », soumises à la directive « grandes installations de combustion », dont la durée de vie est limitée au 31 décembre 2015.
En outre, eu égard aux effets de réduction des marges précédemment évoqués, certaines de ces tranches ne seront plus économiquement viables à compter de 2013, date à laquelle prendra fin l'allocation gratuite des quotas de CO 2 . La question se posera donc entre 2013 et 2015, sauf à réinvestir, à consentir de nouveaux investissements pour remettre à neuf ces installations, ce qu'aucun acteur de la filière n'a consenti à ce jour, notamment pas le principal d'entre eux, EDF : sauf erreur de ma part, cet opérateur a déjà fermé huit tranches de cette nature.
Je le souligne, c'est par décision du politique que l'industriel va devoir fermer ces tranches avant le 31 décembre 2015.
La question de la biomasse, je me la suis déjà posée, monsieur le sénateur, étant donné que, pour une autre centrale, nous sommes parvenus à développer et à faire bien avancer un projet de cette nature ; je n'entrerai pas dans les détails techniques, mais je précise qu'en matière de biomasse il convient d'assurer la cogénération - en d'autres termes, vous cherchez un débouché de chaleur, sauf cas exceptionnel, lorsque l'appel d'offre le permet.
Pour ce qui concerne Lucy, il faut donc déterminer un débouché chaleur. Or, à ce stade, à ma connaissance, le débouché n'est pas assez important. Qu'il s'agisse d'un débouché vers un réseau de chaleur - il faudrait, dans ce cas, une population plus importante que celle de Montceau-les-Mines - ou d'un débouché industriel, qui, en l'occurrence, n'est malheureusement pas suffisant, nous nous heurtons à de grandes difficultés, sans évoquer la question de l'approvisionnement en charbon,...
M. René Beaumont . - Qui est très coûteux.
M. Luc Poyer . - ... qui est bien sûr très onéreux : en effet, depuis 2004, la France doit importer son charbon, dans le cas présent via Dunkerque ou Fos-sur-Mer - voyez un peu le chemin qu'il faut parcourir -, avec d'importantes ruptures de charge.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit . - Je ne répéterai pas les arguments développés par les précédents intervenants. Mon intervention sera donc courte, étant donné que, globalement, et de manière assez étonnante, d'ailleurs, nous avons tous les quatre des positions assez proches pour ce qui concerne la CSPE.
En effet, on observe un problème de fond quant aux charges liées au soutien de certaines filières au travers de la CSPE : ce soutien n'a pas vocation à être éternel, et nous devrions soutenir uniquement des filières émergentes, qui ne sont pas encore matures économiquement.
Or, telle n'est pas tout à fait la situation que nous constatons aujourd'hui. Il faut réellement se poser la question suivante : comment gérer la transition d'un mécanisme de soutien vers un mécanisme de marché ? Cette problématique était du reste énoncée par la programmation pluriannuelle des investissements de production 2009-2020 qui prévoyait qu'à l'échéance des contrats d'obligations d'achat, il appartenait au producteur de valoriser ses capacités de production en contractualisant avec les acteurs du marché.
Aujourd'hui, il faut réellement déterminer comment restreindre le soutien accordé, au travers des tarifs d'achat, aux filières devenues matures, concernant les centrales amorties, que je ne citerai pas nommément.
De surcroît, il faut se pencher sur un certain nombre de filières, qui, actuellement, tendent à passer d'un statut d'émergence à une certaine maturité. En particulier, la filière photovoltaïque évolue à une vitesse qui l'apparente bien plus à l'industrie de l'électronique qu'à celle de l'électricité. On n'a pas forcément l'habitude de voir les coûts de construction divisés par deux tous les deux ou trois ans ! Cette évolution bouleverse totalement le monde de l'électricité tel que nous l'avons connu.
Ainsi, certains développeurs de parcs photovoltaïques commencent à se demander comment valoriser leur production à long terme sur le marché, ce qui nous semble la meilleure logique pour éviter que la CSPE ne continue d'exercer une pression sur le budget des ménages. C'est aujourd'hui l'un des facteurs majeurs de la hausse prévue du tarif de l'électricité pour les cinq ans à venir.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Messieurs, je vous remercie. J'ai apprécié vos interventions très responsables pour ce qui concerne la CSPE.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Messieurs, je conclus de vos interventions respectives - notamment concernant E.ON et Vattenfall - que vous continuez d'investir extrêmement massivement à l'échelle européenne dans le domaine des énergies renouvelables : c'est la logique de votre action. Or, au cours de vos interventions, vous avez surtout aligné des difficultés conjoncturelles. Sans doute développez-vous également une vision de moyen terme ? À mes yeux, celle-ci apparaît relativement peu dans vos réponses, au total.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je ne suis pas d'accord avec vous, mon cher collègue.
M. Ronan Dantec . - Il est très clair, messieurs, que vous investissez massivement dans le renouvelable. En outre, comme vous le soulignez, les problèmes de l'intermittent sont en définitive moins graves qu'il n'y paraît ; nous avons d'importantes capacités STEP. Cela signifie que, à moyen terme, des structures doivent fermer, les centrales thermiques et probablement une partie des centrales nucléaires - en tout cas, les coûts vont se renchérir. De fait, vous avez bien affirmé qu'en production basse la France était largement excédentaire. Or, étant donné que le merit order va baisser, vous anticipez probablement déjà une augmentation du prix du nucléaire.
Les impératifs horaires s'imposent à nous, j'en suis conscient. Néanmoins, pouvez-vous nous exposer, en quelques mots, cette stratégie globale, que l'on devine derrière les propos que vous avez développés ? Ce sujet n'apparaît pas dans les questions suivantes, monsieur le président !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Certes, mon cher collègue, mais vos propos esquissent déjà la position que vous risquez d'adopter concernant le rapport. (M. Ronan Dantec manifeste son désaccord.) Or, ces opérateurs qui sont face à nous ne fixent pas les règles du jeu : celles-ci sont définies en France et à l'échelle européenne, ils en profitent, tant mieux pour eux ! Cependant, j'apprécie que les représentants de ces opérateurs tiennent un discours responsable, en soulignant que ces règles du jeu vont parfois trop loin, qu'il faut savoir les arrêter, les limiter.
Voilà pourquoi, messieurs, je le répète, je salue vos interventions.
La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer . - Permettez-moi de dresser un constat qui n'est tout de même pas fréquent, notamment entre des opérateurs qui défendent une rente et des politiques qui tentent de l'amoindrir : en la matière, on observe tout de même une grande conjonction des intérêts entre le politique et les opérateurs !
E.ON investit 1,5 milliard d'euros par an dans les énergies renouvelables, dont une grande part en Europe. Sans vous livrer des chiffres confidentiels et stratégiques, je peux vous indiquer que notre objectif est d'investir plusieurs dizaines de pour-cent dans l' offshore d'ici à cinq ans. Nous nous fixons des objectifs très précis concernant les producteurs. Cette politique permet de réduire la CSPE et de nous diriger vers des mécanismes de marché que nous appelons de nos voeux.
L'intérêt particulier rejoint donc bien, à nos yeux, l'intérêt général.
M. Ronan Dantec . - Monsieur Poyer, à mon sens, nous sommes bien d'accord sur ce point, et même plus d'accord avec M. le président que celui-ci ne semble se le figurer. D'autres occasions nous permettront de débattre de ce sujet.
Quoi qu'il en soit, nous sommes d'ores et déjà en surcapacité et vous allez continuer à investir massivement. Voilà pourquoi je souhaite vous entendre très rapidement sur ce point : quelles sont les structures appelées à fermer ? Certaines d'entre elles disparaîtront bien du paysage !
M. Luc Poyer . - En effet, monsieur le sénateur. Cette question est très importante, car, dans l'opinion, ce message n'est pas encore totalement passé : dès lors que l'on choisit d'augmenter la part des énergies renouvelables, certaines structures doivent effectivement disparaître. De plus, dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, les centrales au charbon sont devenues obsolètes, en vertu de la réglementation : elles sont donc appelées à fermer.
Toutefois, face au renouvelable, d'autres technologies devront être développées, dans les domaines du stockage et de la pointe, d'où l'importance du marché de capacité. Mais, effectivement, il ne s'agira pas nécessairement d'un volume aussi important de mégawatts, d'autant plus que nous accroîtrons notre efficacité énergétique.
M. Ronan Dantec . - De fait, votre modèle, c'est énormément de puissance renouvelable à l'échelle européenne, des contrats de mécanismes de capacité - ce n'est pas le marché qui permettra de s'en sortir en la matière -, mais vous allez également attaquer la surcapacité nucléaire, nécessairement !
M. Luc Poyer . - En Allemagne, c'est déjà fait : ce pays doit sortir du nucléaire en 2022.
M. Ronan Dantec . - Vous allez donc attaquer également le nucléaire ?
M. Luc Poyer . - Non, monsieur le sénateur, nous ne l'attaquons pas : nous analyserons l'évolution des courbes du prix sur les marchés, mais je ne suis pas certain que le nucléaire sera touché.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mon cher collègue, c'est vous le responsable politique, ce n'est pas eux ! (Sourires.)
M. Luc Poyer . - Du reste, monsieur le sénateur, si vous observez la courbe de mérite que j'ai mentionnée, vous constatez que l'énergie nucléaire est en bas : de fait, le coût marginal du nucléaire reste le plus faible, après celui des énergies renouvelables.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce débat nous conduit dans une impasse, or il convient d'avancer : vous l'avez bien souligné, monsieur Poyer, la surcapacité ne se limite pas au nucléaire, mais concerne également les énergies renouvelables et, au-delà, l'ensemble des secteurs.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Messieurs, comme je vous l'ai déjà indiqué, vos constats nous intéressent au titre de notre réflexion générale. Dans ce cadre, pouvez-vous nous indiquer, en quelques mots, si vous êtes en capacité de devenir des opérateurs d'effacement tout en restant à la fois producteurs et fournisseurs ? Est-il possible pour un fournisseur de déclarer, à un certain stade : « Je ne produis plus, j'efface » ? L'effacement concerne principalement la gestion des pointes, bien évidemment. Pouvez-vous nous préciser votre position concernant les pointes ? En tant que producteurs et fournisseurs, pouvez-vous jouer un rôle en la matière et, si oui, comment ?
M. Michel Crémieux . - Pour ce qui nous concerne, nous assumons déjà le rôle d'opérateur en matière d'effacement. Au mois de février, la France a subi une pointe de froid qui a duré une quinzaine de jours. Durant cette période, nous avons monté une opération d'effacement avec deux de nos principaux clients, à savoir des industriels, en leur permettant d'opérer des économies significatives.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pouvez-vous nous fournir des précisions sur ce dernier point ?
M. Michel Crémieux . - Tout à fait, monsieur le rapporteur. Nous avions établi un contrat nous permettant de leur rétrocéder les économies que nous réalisions.
Je serai très bref sur ce sujet, en faisant, comme précédemment, référence aux actions menées en Espagne et en Italie. Ces deux pays sont dotés de marchés de soutien aux capacités nouvelles : ainsi, l'Espagne dispose d'une prime aux investissements permettant d'augmenter la capacité, de l'ordre de 28 000 euros par mégawatt et par an. Dans ces deux États, le système n'englobe pas l'effacement : de fait, comme l'Espagne, l'Italie a considéré qu'il était trop compliqué de mettre sur le même plan une procédure de soutien au développement de capacités nouvelles de pointe et la gestion des procédés d'effacements, compte tenu de l'hétérogénéité de ces derniers.
En France, nous avons longuement discuté avec nos collègues au sein de l'UFE et de l'AFIEG - en lien avec les pouvoirs publics - du décret qui devait être publié et qui, finalement, a été reporté, concernant la mise en place de ce marché de capacité. Nous sommes absolument convaincus que ce marché est nécessaire et que nous ne pouvons pas rester sur un marché energy only comme on le dit dans notre jargon. Toutefois, nous rencontrons la même difficulté en France qu'en Italie et en Espagne : les temps de réponse ne sont pas toujours les mêmes, les modes de gestion de l'effacement peuvent être extrêmement hétérogènes - s'agit-il d'un effacement du jour pour le lendemain, de l'heure pour la suivante ? - et sont donc difficiles à organiser. Nous restons donc un peu perplexes face au projet de tout mettre ensemble. Je laisserai mes collègues développer les autres aspects.
M. Jean Desessard, rapporteur . - À vos yeux, ce doit être soit l'un, soit l'autre ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est ce qu'ont décidé l'Espagne et l'Italie.
M. Michel Crémieux . - Tout à fait, monsieur le président. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas encourager l'effacement ! (M. le rapporteur acquiesce.)
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville . - En raison de l'existence de tarifs réglementés de vente sur les segments bleu, jaune et vert, nous ne sommes actifs que sur le marché libre des industriels et du grand tertiaire. Toutefois, c'est sur ce marché qu'existe le plus gros potentiel d'effacement : il réside avant tout dans l'industrie, bien plus que chez les particuliers.
En tant que fournisseur d'électricité dans ce domaine industriel et grand tertiaire, nous sommes tout naturellement un opérateur d'effacement, cette fonction tombe sous le sens ! Du reste, le fait qu'un certain nombre de start-up se soient développées dans le domaine de l'effacement n'est pas rédhibitoire. Ces entreprises viennent compléter notre action : un besoin d'activité s'était fait jour, les start-up ont trouvé leur place, c'est très bien ainsi !
Néanmoins, à nos yeux, en tant qu'opérateur d'énergie, nous devons également proposer à nos clients des prestations d'effacement ; c'est dans la logique de notre rôle vis-à-vis de ces derniers.
Depuis la mise en oeuvre de la loi NOME, nous fournissons de l'énergie à nos clients, mais il s'agit, à hauteur de 90 %, de la revente d'ARENH venant d'EDF. Nous sommes donc, à hauteur de 10 %, des fournisseurs d'énergie : ces proportions doivent être clairement rappelées.
De fait, cette situation pose un problème en matière d'effacement, notamment parce que le contrat ARENH - pardonnez-moi, je suis contraint d'entrer quelque peu dans la technique - contient un certain nombre de clauses, de monotonie ou de complément de prix - j'ignore si les précédentes auditions ont permis d'évoquer ces questions - auxquelles l'opérateur historique n'est pas soumis : seuls les acheteurs d'ARENH que nous sommes y sont astreints. Compte tenu de ces clauses, nous sommes très contraints quant à la qualité de notre programmation de consommation d'ARENH.
Ainsi, nous demander d'être très flexibles et de proposer de l'effacement à nos clients tout en étant très contraints et soumis à des pénalités si nous ne respectons pas les seuils d'ARENH que nous sommes censés consommer, c'est tout simplement contradictoire ! Il faut bien comprendre que le dispositif ARENH ne nous incite absolument pas à proposer de l'effacement à nos clients.
M. Olivier Puit . - Si vous me le permettez, j'apporterai une légère précision.
Le constat que dresse Frédéric de Maneville est très juste : il n'y a pas de compatibilité entre le mécanisme ARENH et les effacements tels que l'on peut les concevoir sur une base de marché. Il n'y a qu'un seul mode, faisant intervenir RTE, nous permettant d'effacer effectivement des sites industriels sans que notre contrat ARENH avec EDF ne s'y oppose, notamment pour ce qui concerne les clauses de prix complémentaires que nous serions conduits à verser à EDF dans ce cadre.
M. Frédéric de Maneville . - Tout à fait.
Cela étant dit, à travers le mécanisme d'ajustement, qui est donc la réserve tertiaire gérée par RTE, des solutions de valorisation d'effacement existent d'ores et déjà, et des sociétés - celle qui rencontre le plus grand succès dans ce domaine s'appelle Energy Pool - parviennent aujourd'hui à vivre et à développer l'effacement. À l'heure actuelle, la question n'est donc pas totalement bloquée dans notre pays.
Concernant l'obligation de capacité prévue par la loi NOME, j'émets un certain nombre de réserves, tout comme l'Autorité de la concurrence et la CRE, qui ont récemment publié leurs avis sur cette question.
En particulier, il me semble bien plus important, notamment pour l'essor de l'effacement, de développer un réel marché des services système. Sur ce point, pardonnez-moi, j'entrerai également un peu dans la technique : chaque jour, RTE doit acheter aux producteurs des services système que l'on nomme les réserves primaire, secondaire et tertiaire, permettant de gérer l'équilibre du réseau en temps réel et s'assurer qu'à chaque instant la fréquence reste toujours strictement de 50 hertz.
Or, à l'heure actuelle, nous sommes quasiment le dernier pays de l'Union européenne à ne pas disposer d'un mécanisme de marché sur lequel RTE achète ces services aux producteurs : nous fonctionnons toujours selon un système défini par décret, alors que partout ailleurs les opérateurs de réseaux acquièrent ces services auprès des producteurs selon des mécanismes d'enchères, qui, soit dit en passant, constituent en général le modèle économique sous-jacent du développement des STEP.
Les STEP, que vous voyez se multiplier en Autriche, en Suisse ou en Allemagne, mais non en France - ce sujet a été évoqué il y a quelques instants -, disposent d'un modèle économique qui repose avant tout sur la fourniture de services système aux réseaux. Il s'agit donc de l'achat d'un peu plus ou d'un peu moins d'énergie en temps réel, parfois à l'échelle de quelques minutes. Ce marché est, en soi, différent du marché de l'énergie à J-1...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous êtes d'accord, concernant le J-1 ?
M. Frédéric de Maneville . - Bien sûr, monsieur le rapporteur. Je souligne qu'il s'agit simplement d'un marché complémentaire, lequel est insuffisamment développé en France.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Soyons clairs : on distingue le marché de gré à gré, en amont, pour ce qui concerne le prix et la fourniture ; le marché J-1, pour l'énergie que l'on fournira demain ; et, enfin, le marché journalier. (M. Frédéric de Maneville acquiesce.) Or, à vos yeux, ce dernier marché n'est pas assez souple ?
M. Frédéric de Maneville . - Aujourd'hui, le marché dit infrajournalier, dans les vingt-quatre heures, existe en France et il est organisé. Le marché que je viens d'évoquer agit encore à plus court terme : de fait, le réseau a parfois besoin, en dix ou en trente minutes, de disposer d'une centrale tournant un peu plus ou un peu moins fort. Ce marché est encore différent des précédents : c'est celui des services système.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Et ce marché est imposé par RTE, il n'est donc pas soumis à la loi de l'offre et de la demande ?
M. Frédéric de Maneville . - Exactement, monsieur le rapporteur. Ce contexte est, à mon sens, très dommageable. En effet, d'une part, il suscite une mauvaise allocation économique des services système : une grosse centrale, valant 5 milliards d'euros, sera ainsi contrainte de fournir des services système, tandis qu'une centrale beaucoup plus flexible pourrait remplir cette fonction à sa place. D'autre part, cette situation engendre indirectement un manque de revenu pour les STEP, qui, chez nos voisins, reposent avant tout sur ce mécanisme.
Pour conclure, à ce jour, il me semble plus important de créer un marché de ces services système en France plutôt que d'y développer une obligation de capacité, en tout cas telle qu'elle est prévue par le décret qui nous a été présenté il y a quelques semaines.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer . - E.ON a un point de vue de producteur mais aussi de « commercialisateur » : en effet, nous commercialisons auprès de nos clients les plus importants, essentiellement des industriels, des produits d'effacement, avec les contraintes précédemment citées concernant l'ARENH.
Par ailleurs, je souscris aux propos qui ont été développés concernant les services système. Toutefois, s'agissant de l'effacement, s'il convient de développer des offres, il ne faut pas se leurrer : une offre en matière d'effacement n'équivaut pas à l'offre d'un producteur. Lorsque vous effacez, vous affirmez à votre client industriel : « Vous devez tenir cinq heures, réduire votre production et vous serez rémunéré ». De fait, la rémunération est la même que lorsque vous mettez en oeuvre un système de production. Mais le problème, c'est qu'au bout de cinq heures votre client industriel doit redémarrer ses installations. S'il a investi dans un outil de production et si on lui dit alors « Nous sommes désolés, il faut continuer une heure », cela engendre un coût supplémentaire.
Un des problèmes en matière d'effacement, c'est précisément cette symétrie entre l'offre et la demande. En résulte l'importance du marché de capacité et l'enjeu d'une véritable incitation à investir. J'attire l'attention des pouvoirs publics sur ce sujet, notamment pour ce qui concerne l'horizon 2015-2016. Si les fameux 2 700 mégawatts qui manquent ne sont réglés que par l'effacement, des problèmes apparaîtront, comme on l'a observé lors de la période de grand froid que notre pays a connue en février dernier : le premier jour, les clients réduisent effectivement leur consommation, les appartements sont chauffés à 17°C. Mais, dès le lendemain, les personnes de plus de 65 ans commencent à avoir un peu froid et tendent à remonter le thermostat.
Ainsi, lorsque vous devez répéter l'effacement, vous constatez que vous ne parvenez pas à le maîtriser comme un outil de production. Notre message est donc le suivant : oui à l'effacement, avec des outils de marché comme les services système, et en complément un soutien à la capacité via un mécanisme de marché. Il faut que ce mécanisme de la loi NOME soit mis en oeuvre très rapidement, car, pour ce qui concerne l'hiver 2015-2016, les investissements s'opèrent dès maintenant !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - À vous entendre, messieurs, vous ne semblez pas totalement en accord sur la stratégie à suivre en la matière,...
M. Luc Poyer . - Mais tant mieux, monsieur le sénateur ! Ainsi, Vattenfall n'investira pas dans les moyens de pointe, tandis que nous le ferons !
M. Ronan Dantec . - ... est-ce parce que vous considérez que vous divergez quant à la réponse de capacité ? De fait, si on évolue sur des marchés système, on va de plus en plus chercher cette capacité dans l'ensemble de l'Europe connectée, tandis que, dans un modèle plus national, on aura plus largement recours à des capacités intérieures.
M. Luc Poyer . - Monsieur le sénateur, permettez-moi de clarifier mes propos.
Premièrement, concernant les services système, je souscris à 100 % à ce qui vient d'être dit. Je souligne simplement que le signal sera une optimisation. Sans entrer dans la technique, je vous précise que les services système ne représentent qu'une faible part des revenus d'une centrale, au plus une dizaine de pour-cent : ce n'est pas un facteur déterminant, sauf pour les STEP, qui, du reste, ne suffisent pas !
Deuxièmement, nous sommes partisans du marché de capacité le plus européen possible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville . - Pour clarifier nos points d'accord et de divergence, je tiens à dresser ce constat : le projet de mécanisme de capacité présenté par la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, il y a quelques semaines ne nous satisfait pas, et, à mon sens, nous sommes unanimes sur ce point : nous quatre appartenons à une association qui a critiqué, par écrit, ce projet. Nous ne nous opposons pas au principe d'un mécanisme de capacité, mais le projet qui nous a été soumis présente beaucoup de défauts. Du reste, l'Autorité de la concurrence l'a souligné, ainsi que la CRE.
M. Ronan Dantec . - En quelques mots, quel est, à vos yeux, le principal défaut de ce mécanisme ?
M. Frédéric de Maneville . - Il y en a tellement, monsieur le sénateur, que ce sujet exigerait de longs développements !
M. Ronan Dantec . - C'est pourtant un élément important de l'histoire...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Dans ce cas, monsieur de Maneville, je vous demande d'être le plus concis possible.
M. Frédéric de Maneville . - Je serai bref, monsieur le président. La loi NOME précise que les fournisseurs ayant accès à l'ARENH doivent assumer une obligation de capacité. Ce faisant, est créé un mécanisme de capacité décentralisé : les fournisseurs doivent assurer l'équilibre en puissance du système alors que nous nous inscrivons, aujourd'hui, dans une logique différente où RTE garantit cet équilibre de manière centralisée.
Partant de ce principe, une longue concertation a eu lieu, et nous nous sommes notamment heurtés à cette difficulté : la loi impose la création d'un système décentralisé, et les acteurs affirment que, si l'on se réfère aux prévisions de besoins de puissance de l'ensemble du marché, cela ne va pas boucler, il faut donc préserver un certain degré de centralisation. Voilà l'un des gros problèmes que nous avons rencontrés.
Partant, la DGEC a ajouté un « mécanisme de bouclage » ; mais lorsqu'on sait un peu comment fonctionnent les marchés, on ne peut pas affirmer : « On va créer un marché de l'offre et de la demande, et si le marché ne fonctionne pas nous aurons recours à ce mécanisme de bouclage » ! De fait, dans ce cas, tous les acteurs attendront la mise en oeuvre de ce mécanisme pour engager leurs investissements ! Ce dispositif ne fonctionnera tout simplement pas.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En d'autres termes, vous traversez une période de transition difficile.
M. Frédéric de Maneville . - Pas exactement, monsieur le rapporteur, il s'agit simplement du mécanisme de capacité qui, à nos yeux, doit être révisé. Selon nous, il faut revoir la conception même de ce dispositif...
M. Ronan Dantec . - Et prévoir un dispositif plus interconnecté au niveau européen ?
M. Frédéric de Maneville . - Certainement.
M. Ronan Dantec . - Voilà qui est dit.
M. Luc Poyer . - Permettez-moi simplement d'ajouter que, si ce dispositif présente des défauts, il reste indispensable sur le principe : pour notre part, nous devons prendre dès cette année des décisions d'investissements concernant nos sites. Ces décisions dépendront précisément de la nature de ce mécanisme.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit . - Je commencerai par rebondir sur la question du marché de capacité. Dans le contexte actuel du domaine de l'électricité en France et en Europe de l'Ouest, il est indispensable de transformer un marché qui, aujourd'hui, est purement énergétique en un marché « énergie et capacité ». Faute de quoi, nous risquons d'aller droit dans le mur.
De fait, le panorama a entièrement changé. Nous ne sommes plus simplement en train de décider d'investissements dans de nouveaux moyens de production en fonction d'un merit order fondé sur des données que nous connaissions depuis des dizaines d'années : désormais, nous nous inscrivons dans un marché qui, du fait de l'intermittence de certains moyens de production, est beaucoup plus complexe qu'auparavant, et qui n'offre pas aujourd'hui de rentabilité aux nouveaux moyens de production.
Je serai très clair : aujourd'hui, il est impossible d'investir dans un cycle combiné gaz en France - vous pouvez d'ailleurs dresser la liste des projets actuellement à l'étude sur notre territoire, aucun ne se concrétise, à moins de bénéficier d'une subvention par un biais ou par un autre. Si on veut éviter d'aller dans le mur, il faut véritablement se poser la question de la construction d'un marché de capacité.
Par ailleurs, le projet que nous avons pu étudier, concernant un marché de capacité, et sur lequel l'AFIEG s'est prononcé, n'est pas satisfaisant : il ne répond pas de manière convenable à cette préoccupation, ce qui ne signifie pas que celle-ci n'existe pas et qu'il n'est pas nécessaire d'y faire face !
En ce qui concerne l'effacement, on peut établir ce constat, en quelques mots : aujourd'hui, après plus de trois ans de tarif réglementé transitoire d'ajustement de marché, le TARTAM, après quelques mois d'ARENH, et avant d'entrer en situation de marché, le potentiel d'effacement, qui existe sans doute encore aujourd'hui, est bien moins actif qu'auparavant. Le TARTAM a d'ailleurs contribué à restreindre les possibilités d'effacement, et le mécanisme de l'ARENH, qui n'est pas simple à gérer pour un fournisseur d'électricité, ne facilite pas non plus le développement de l'effacement.
De surcroît, les prix de marché, à savoir la part énergie telle qu'elle est constatée sur le marché de l'électricité, ne s'élèvent pas non plus à des niveaux extraordinairement élevés : on a connu des prix quasiment doubles en la matière il y a un peu plus de trois ans. Partant, il semble d'autant plus difficile d'aller chercher ce potentiel d'effacement.
Alpiq Énergie France est un acteur d'effacement, nous avons conclu des contrats d'effacement avec certains de nos clients, nous sommes par ailleurs le seul fournisseur d'électricité dont RTE a retenu la candidature pour la contractualisation de capacités d'effacement à travers le mécanisme d'ajustement en 2012. Ainsi, c'est un service que nous proposons à nos clients, pour leur permettre de réduire le montant de leurs factures : c'est clairement l'objectif visé.
Je le répète, dans le contexte actuel de l'ARENH, sur lequel, je l'espère, nous aurons le temps de revenir, l'effacement est un service fondamental : de fait, dans ce cadre, l'activité de fournisseur d'électricité a été réduite à la portion congrue. Nous sommes les revendeurs d'un produit fini à prix public, dans des conditions publiques : en la matière, nous n'offrons presque aucune valeur ajoutée, et cette situation ne peut donc pas nous apporter satisfaction. Via l'ARENH, la fonction de fournisseur d'électricité a été dévoyée. Nous tentons donc, en quelque sorte, d'apporter un peu de valeur ajoutée au-delà des 10 % d'électricité que nous fournissons effectivement.
Cet objectif est d'autant plus logique que la loi NOME contient des dispositions incitatives en matière de développement d'offres d'effacement, et tout particulièrement au travers du marché de capacité. À mon sens, dès aujourd'hui, et au-delà de la volonté affirmée par l'ensemble des acteurs de développer cet effacement, il faut se poser concrètement les questions économiques incontournables : aujourd'hui, sommes-nous capables de proposer des solutions d'effacement aux industriels ?
Pour ces derniers, il ne s'agit pas simplement d'arrêter et de redémarrer la production avec toute la souplesse imaginable. L'effacement induit également d'importantes conséquences concernant les process , les carnets de commandes, en matière de flexibilité ; par ailleurs, cette méthode implique des réinvestissements dans des process permettant de gérer l'effacement, qui ont été oubliés depuis le temps de l'effacement des jours de pointe, l'EJP, au début des années 2000.
Pour réinvestir dans l'effacement, ce qui est nécessaire, il faut pouvoir établir un business plan, et donc disposer de projections de prix et de valorisations pour l'avenir. Or, à ce jour, nous ne sommes pas en mesure de proposer de tels services : en effet, nous ne savons pas quel sera le prix de l'énergie dans les années à venir. Nous ne connaissons ni le prix futur de l'ARENH ni les conditions qui seront fixées. Nous ignorons si un marché de capacité sera créé, et, le cas échéant, comment il sera construit.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux . - Comme l'a souligné Luc Poyer, nous nous demandons si, au cours des deux ou trois années à venir, nous devrons investir dans des équipements qui seront mis en service après 2015, 2016 ou 2017. Il s'agit d'équipements de pointe ou de semi-base.
Si la demande recule, s'il fait chaud pendant trois années consécutives, ces équipements ne fonctionneront pas du tout et ne dégageront aucune rémunération. En revanche, ces dispositifs seront extrêmement utiles et même indispensables à la France si nous subissons des pointes de froid, ou des dysfonctionnements de système à l'échelle européenne.
Il faut donc fournir une prime d'assurance : le marché de capacité vise cet objectif. Toutefois, à notre sens, il faudrait que le montant de cette prime soit connu.
Si un marché définit le montant de la prime d'assurance pour l'année 2016, tandis qu'il faut attendre l'année suivante pour connaître son montant pour 2017 ou 2018, l'outil ne nous aidera pas à prendre nos décisions d'investissements. Nous souhaitons disposer d'un outil véritablement viable.
D'autres mécanismes existent : il y a quelque temps, l'État a lancé un appel d'offre en Bretagne pour la construction d'une centrale à cycle combiné gaz, ou CCGT, en prévoyant une rémunération de capacité annuelle pendant vingt ans. Cette durée est sans doute trop longue : nous n'avons pas besoin d'une assurance aussi forte.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est noté ! (Sourires.)
M. Michel Crémieux . - Cette rémunération résultait d'un appel d'offre, le meilleur l'a remporté, à savoir celui qui a proposé la rémunération la plus faible. Mais, quoi qu'il en soit, ce dernier savait à quoi s'en tenir, et on constate que cette rémunération a révélé combien l'État devait donner pour construire une CCGT évitant un black-out en Bretagne à l'horizon 2016-2017. Il s'agit d'un montant de l'ordre de 60 000 à 70 000 euros par mégawattheure.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En l'occurrence, cette centrale répondait non pas à un besoin de production, mais à un besoin de transport ! (M. Ronan Dantec acquiesce.)
M. Michel Crémieux . - Il s'agit d'un besoin de capacité régionale, compte tenu des congestions...
M. Ronan Dantec . - Cet enjeu est malgré tout lié au transport, le président a raison.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ma quatrième question est la suivante : quelles sont votre opinion, vos conceptions et vos réalisations concernant les réseaux et les compteurs intelligents ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux . - Enel fait figure de précurseur mondial dans le domaine des compteurs électroniques et, aujourd'hui, quelque 30 millions de compteurs de ce type sont en service en Italie ; 13 autres millions sont en cours d'installation en Espagne...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Quels sont les atouts et les défauts du compteur italien ?
M. Michel Crémieux . - Ce compteur fournit une information aux consommateurs quant à leur consommation d'électricité ; il opère un relevé automatique en vue de la facturation ; il permet d'identifier localement les pointes de consommation afin de déterminer où il sera nécessaire de renforcer le réseau de distribution, et ce de manière très fine. Voilà un certain nombre des avantages que présente ce compteur.
Certes, du point de vue de l'acteur dominant en Italie, Enel, ce dispositif a l'inconvénient d'ouvrir la voie à la concurrence - mais en France nous trouvons cela très bien ! -, étant donné qu'il permet à tous les opérateurs de proposer des tarifs beaucoup plus sophistiqués et adaptés à la consommation de chaque client que les dispositifs actuels.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Cela signifie que ce système permet une gestion plus fine des tarifs selon les horaires ?
M. Michel Crémieux . - Tout à fait, il permet de relever le compteur heure par heure.
Je le répète : 31 millions de compteurs sont en service en Italie ; 13 millions sont en cours d'installation en Espagne et 2,5 millions en Roumanie.
Je précise qu'une autre raison fondamentale justifie l'installation de ces compteurs : c'est la lutte contre la fraude. Dans des pays comme l'Italie, l'Espagne et la Roumanie, il s'agit d'une préoccupation majeure des distributeurs d'électricité. Je suis très clair sur ce point.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le compteur appartient au distributeur ?
M. Michel Crémieux . - Tout à fait, monsieur le rapporteur, et il est financé par lui.
M. Ladislas Poniatowski, président . - N'y a-t-il qu'un seul distributeur ?
M. Michel Crémieux . - Non, monsieur le président, de nombreuses collectivités ont statut de distributeur, plus précisément via des régies locales de distribution : certaines d'entre elles ont développé des compteurs du même type, d'autres non. Toutefois, en Italie, la distribution est très largement dominée par Enel.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pouvez-vous nous indiquer le nom de ce compteur ?
M. Michel Crémieux . - Telegestore, monsieur le rapporteur.
Je souligne que des accords ont été conclus avec les fabricants d'électroménager, notamment Electrolux et Indesit, qui sont les grands fournisseurs dans ce domaine en Italie. Ainsi, à travers le compteur, il sera possible de programmer ces équipements selon les variations locales de charge d'électricité. Ce dispositif est en cours d'expérimentation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville . - Après l'Italie, la Suède est le deuxième pays connaissant un déploiement massif des automatic meter reading , les AMR. Comme je vous l'ai indiqué précédemment, en Suède, la distribution de l'électricité est largement décentralisée : on y compte près de 250 sociétés de distribution. Ce sont elles qui ont mis en place ce compteur communicant, selon le modèle que vous connaissez.
Il convient de souligner que cet aspect de maîtrise de la demande - car tel est, en définitive, le sujet que nous évoquons - est, au total, de dimension assez locale.
Par exemple, nous développons avec ABB un projet sur l'île suédoise de Gottland, que nous essayons, avec des smart grids , avec un parc éolien et avec ces compteurs communicants, de transformer en « île intelligente », quant à la production d'énergie et à la maîtrise de la demande. Dans un contexte insulaire, on observe qu'il est particulièrement pertinent de développer des smart grids et toutes les technologies afférentes.
L'enjeu est d'impliquer les consommateurs dans l'équilibre du réseau en temps réel, ce qui suppose, au demeurant, de disposer de tarifs adaptés, et non de tarifs réglementés et uniformes - dans ce cas, cela n'a plus aucun sens de vouloir assurer la maîtrise de la demande.
Nous menons d'autres expériences, par exemple à Hambourg : en l'occurrence, il s'agit d'une initiative menée par cette grande agglomération. Dans le cadre du programme sustainable cities , Vattenfall et la ville de Hambourg développent des actions de maîtrise de la demande, en tenant compte de cette notion d'intégration système entre consommateur et producteur, avec un réseau de chauffage très intégré.
Ces actions se développent beaucoup en Europe, mais souvent sur un périmètre assez restreint, à une échelle régionale ou locale, où on peut maîtriser les divers facteurs et où le réseau électrique forme une entité cohérente.
L'aspect « stockage » est fondamental pour les smart grids . Par exemple, pour citer le même projet de Hambourg, nous avons développé une station de stockage par hydrogène nous permettant d'amortir ces aléas concernant la production et la consommation. Plus généralement, dans les pays où nous opérons, essentiellement la Suède et l'Allemagne, nous observons une forte dynamique autour des smart grids , de la maîtrise de la demande et des systèmes intelligents.
À mon sens, l'interrogation : « Qui doit gérer ce dispositif, le fournisseur ou bien le distributeur ? » est une mauvaise question : ces deux acteurs doivent travailler main dans la main, l'un n'est pas nécessairement mieux placé que l'autre. Une bonne coopération entre les deux est nécessaire pour qu'une telle initiative puisse voir le jour, ce constat me semble évident.
Enfin, je souligne qu'il faut coordonner les actions en faveur du véhicule électrique : de fait, si l'on souhaite que la batterie du véhicule électrique puisse servir de poumon - je me réfère, ici aussi, à des initiatives locales, car véhicule électrique dit borne de recharge, et borne de recharge signifie initiative de l'agglomération, de la communauté, de l'entreprise locale de distribution. Le message majeur qu'il faut retenir du benchmark européen, c'est le suivant : à mes yeux, ces initiatives voient le jour dans un périmètre assez restreint. C'est dans ce cadre qu'elles peuvent être efficaces.
M. Ronan Dantec . - Dans ce cas, il s'agit de sociétés locales disposant d'une forte présence de la puissance publique ?
M. Frédéric de Maneville . - Vous évoquez la puissance publique au sens des collectivités locales ?
M. Ronan Dantec . - Tout à fait : à mon sens, la puissance publique englobe l'ensemble des acteurs publics, des collectivités territoriales à l'État.
M. Frédéric de Maneville . - Dans ce cas, la réponse est oui, monsieur le sénateur.
M. Ronan Dantec . - Je connais également les régions dynamiques d'Europe : généralement, derrière les sociétés locales, il y a les collectivités territoriales.
M. Frédéric de Maneville . - Clairement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer . - Nous avons tenté de vous résumer en quelques pages l'analyse stratégique de E.ON dans le document précédent, en reprenant cette vision des réseaux intelligents : nous intégrons ces derniers dans ce que l'on a appelé de manière sans doute un peu ambitieuse « la troisième révolution industrielle ».
Jeremy Rifkin nous a d'ailleurs fait l'honneur de nous citer comme l'un des premiers opérateurs européens à avoir réfléchi à cette transformation globale, les réseaux intelligents n'étant que l'un des cinq piliers de cette révolution, mais un pilier fondamental, à côté de la production décentralisée, de la maîtrise de la demande, du stockage - point que l'on a évoqué avec les problèmes d'intermittence - et de l' e-mobility , à savoir les voitures électriques.
On intègre ces critères dans cette analyse, en développant des pilotes dans les pays où nous sommes présents. Progressivement, nous intégrons ces pilotes afin de tenter de créer une branche. Cette action influe sur notre organisation ; une branche européenne se charge de ces différentes initiatives.
Je souscris tout à fait à l'analyse développée par M. de Maneville : ces initiatives partent des territoires. Toutefois, nous nous heurtons à une difficulté qui rejoint le « trop tôt ou trop tard » de la CSPE. Comment choisir le bon momentum pour accorder l'aide publique et comment stopper cette dernière à temps ? Comment permet-on aux opérateurs comme nous d'intégrer les différentes briques du modèle pour parvenir à nous transformer sans être toujours sous perfusion ?
Ici encore, nous appliquons un peu la même recette, la diffusion européenne des expériences, que nous organisons au sein du groupe. Je me renseigne donc, pour connaître les initiatives menées par mes collègues suédois ou espagnol concernant les compteurs intelligents. La même action devrait, à mon sens, être mise en oeuvre au niveau des États européens : une nouvelle fois, plus il y aura de relations, mieux ce sera pour tout le monde !
L'histoire de l'énergie, c'est celle de mécanismes d'aide publique qui cèdent la place à des marchés plus ou moins optimaux. Ici, c'est la même problématique ; comment sortir de la subvention pour se diriger le plus vite possible vers des mécanismes de marché ? Les réseaux intelligents sont les plus ambitieux, ils atteignent en quelque sorte le niveau de l'Internet : avec Internet, on a observé des phénomènes d'accélération peut-être encore plus phénoménaux que ceux que nous avons connus dans le domaine du photovoltaïque. Comment concevoir de nouveaux modèles économiques ? Celui qui les déterminera gagnera cette révolution.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Olivier Puit, la Suisse va-t-elle se doter de compteurs communicants ?
M. Olivier Puit . - Tout à fait, monsieur le président. Cependant, sur cette question, je serai encore plus bref que précédemment. De fait, je ne dispose que de peu d'éléments en la matière, pour une raison très simple : en Suisse, Alpiq n'est ni un distributeur ni un fournisseur de clients particuliers. D'autres entreprises se chargent de cette mission. Nous n'avons donc pas d'action particulière à mener dans ce domaine.
Des projets sont actuellement à l'étude : un premier projet pilote de smart metering a été lancé à Lausanne en 2011, mais je n'ai guère d'éléments sur lesquels m'appesantir.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Sur cette question, on observe clairement que certains chantiers sont déjà bien avancés, notamment en Espagne et en Italie, que des expériences intéressantes sont menées par des collectivités locales et qu'une volonté globale commence à se faire jour. Vous le savez tous, il est capital de mettre en place des compteurs communicants, tant pour les producteurs et les fournisseurs que pour les consommateurs, et vous affirmez qu'il serait bon qu'un échange d'expériences soit organisé à l'échelle européenne, pour tenter d'harmoniser les actions, ou, à tout le moins, pour que des fonctions communes puissent être définies pour l'un ou l'autre des fournisseurs. Voilà ce que je conclus de ce tour de table sur cette question.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer . - Permettez-moi de citer le cas des voitures électriques, cristallisant un débat sans fin entre Européens sur la norme des prises à installer. Ce débat concerne les acteurs publics, les constructeurs automobiles et les opérateurs électriques, dont nous faisons partie : c'est peut-être par là qu'il faut commencer !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Si j'ai bien compris, monsieur Poyer, vous souhaitiez profiter de cette audition pour nous transmettre un message complémentaire, qui n'est pas directement lié aux travaux de notre commission d'enquête... Si vos trois collègues voulaient transmettre le même message, vous vous êtes donc accordés pour que celui-ci soit délivré par un seul d'entre vous...
Cela étant dit, messieurs, vos diverses interventions nous ont permis d'entendre plusieurs messages forts. Peut-être voulez-vous nous apporter encore quelques précisions ? Comme vous, j'attends la prise de fonctions du nouveau ministre chargé de l'énergie, pour lui adresser un certain nombre de questions.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il n'est pas encore nommé ! (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer . - Monsieur le président, je vous précise que nous ne nous sommes nullement rendus à cette audition en tant que collectif : il s'agit d'un ensemble de démarches individuelles, menées par chacun des groupes que nous représentons. (M. le président acquiesce.)
M. Jean Desessard, rapporteur . - Messieurs, vous souhaitez sans doute dire quelques mots en guise de conclusion.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Michel Crémieux.
M. Michel Crémieux . - Premièrement, j'insisterai sur le hiatus existant entre les coûts et les tarifs, à l'aide d'un petit exemple tiré du cas espagnol : à partir de 2000, les coûts de production de l'électricité ont commencé à croître fortement en Espagne, du fait non seulement de la nécessaire modernisation du parc électrique espagnol, mais surtout du poids très lourd des investissements dans le domaine des énergies renouvelables.
Le gouvernement espagnol a choisi d'imposer aux opérateurs des tarifs qui, rapidement, sont devenus inférieurs aux coûts, en affirmant : « Pour l'heure, vous ne pouvez pas augmenter vos prix de vente, mais vous bénéficierez d'un à-valoir sur l'augmentation future des tarifs que nous ne manquerons pas d'opérer . » Le problème, c'est que, l'année suivante, les tarifs n'ont pas augmenté, d'où un effet boule de neige, représentant aujourd'hui un montant de 23 milliards d'euros.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Une somme qui vous est due ?
M. Michel Crémieux . - Elle est due aux opérateurs : de fait, ce montant est inscrit aux comptes de ces derniers, puisqu'il s'agit d'une créance.
M. Ronan Dantec . - Cette somme concourt donc à la dette de l'État ?
M. Michel Crémieux . - Pas précisément, monsieur le sénateur : elle pèse sur les tarifs à venir, donc sur les consommateurs futurs. C'est très intelligent ! Une part de ces sommes a été titrisée, pour soulager des entreprises qui n'en pouvaient plus : cela signifie que l'on a remboursé les opérateurs en confiant cet espoir de remboursement à des investisseurs privés. Aujourd'hui, cette solution explose : l'une des premières décisions de M. Rajoy, sitôt arrivé au pouvoir, a été d'augmenter les tarifs de 7 %, mais cette hausse devrait être suivie d'autres augmentations pour couvrir les coûts et annuler l'ensemble de ce passif. Compte tenu de la situation actuelle de l'Espagne,...
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est compliqué...
M. Michel Crémieux . - ... ce n'est pas le meilleur moment pour le faire.
Pourquoi vous donner ces précisions ? Parce que, en France, la loi NOME impose de passer d'un système de tarifs fixés par l'État, lesquels sont aujourd'hui inférieurs aux coûts, à un système de tarifs calculés par additionnalité des coûts. Comme vous l'a indiqué le président de la CRE, cette mesure devrait se traduire mécaniquement, en 2016, par une augmentation de 30 % des tarifs de l'électricité.
Nous sommes très inquiets de savoir ce qui va réellement avoir lieu. De fait, nous comprenons bien qu'il s'agit d'un enjeu politique : une telle augmentation des tarifs résoudrait certes bien des problèmes. Elle permettrait de payer la CSPE, dont les charges ne sont pas acquittées actuellement. Elle permettrait de payer l'énergie, dont le tarif est actuellement inférieur à 42 euros - il varie plutôt entre 37 euros et 39 euros, alors que les prix, eux, vont croître. Du reste, pour l'heure, nous, opérateurs indépendants, n'avons aucun accès au marché réglementé : les tarifs sont trop bas, et il n'y a pas de place pour nos productions : voilà pourquoi l'ouverture du marché est aussi faible.
Je tiens à vous alerter sur ce problème, que vous connaissez bien, j'en suis conscient : pour nous, il s'agit d'une question vitale. Allons-nous pouvoir prendre position sur le marché français et y investir pour servir les consommateurs ?
Deuxièmement, - je serai très bref sur ce point - on constate aujourd'hui que le prix auquel nous vendons l'énergie sur le marché est inférieur au prix de l'ARENH qui nous est alloué pour les clients, prix de marché compris. Cela signifie que, sur le marché français, les marges sont négatives : seuls des opérateurs jouissant de rentes historiques peuvent continuer à supporter cette charge.
Certes, on peut dire : « C'est une très bonne affaire pour les consommateurs français ». Peut-être est-ce le cas à court terme, mais, à long terme, je ne suis pas certain que la constitution d'un duopole conduise à une situation souhaitable pour la France.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Frédéric de Maneville.
M. Frédéric de Maneville . - En guise de conclusion, je tiens à souligner que l'exemple scandinave nous livre quelques enseignements.
Premièrement, lorsque le système est bien régulé par un régulateur fort, on peut faire confiance à la loi de l'offre et de la demande pour fixer correctement le prix de l'électricité, et cela demi-heure par demi-heure. Il n'y a pas de raison que cette méthode ne soit pas applicable dans notre pays : en France, l'État ne fixe pas le prix de la baguette de pain ou du litre d'essence, pourquoi devrait-il absolument fixer celui de l'électricité ? À mon sens, il n'y a pas de raison à cela, sinon des motifs culturels. L'exemple de pays ne cultivant pas un capitalisme sauvage, comme les États scandinaves, prouve qu'il est tout à fait possible de faire confiance à des mécanismes de marché sains pour fixer les prix de l'électricité, y compris les tarifs de détail et non seulement les prix de gros.
Deuxièmement, à mes yeux, nous sommes tous les quatre prêts à contribuer au dynamisme de la production, de l'innovation et de l'effacement en France : mais encore faut-il nous accorder une place ! Force est de reconnaître que l'ouverture du marché français est marquée par un péché originel : on a ouvert la fourniture d'électricité sans ouvrir la production. Mais qui peut vendre un bien sans avoir la possibilité de le produire ? Cette situation n'est tout simplement pas tenable.
C'est ce péché originel qui explique que, depuis douze ans, nous luttons tant bien que mal pour survivre sur ce marché, mais à l'aide de solutions qui ne sont pas pérennes. C'est donc réellement là qu'est la clef du problème : il faut que nous puissions produire sur place.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avec un peu de copropriété peut-être ?
M. Frédéric de Maneville . - Pourquoi pas ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Luc Poyer.
M. Luc Poyer . - Nous arrivons au terme d'un cycle d'investissements et, à mon sens, les coûts réels de l'électricité doivent être analysés avec ce recul historique. La question de la concurrence - fait-elle croître ou baisser les prix ? - doit toujours être posée à travers ce prisme.
Comment limiter la hausse des coûts réels de l'électricité - c'est tout de même la perspective qui nous attend -, que cette augmentation soit provoquée par les enjeux relatifs au nucléaire, à l'intermittence et donc aux nouveaux moyens, aux investissements dans le renouvelable ou à la modernisation du mix thermique ? L'ensemble de ces facteurs va conduire à une hausse des coûts.
En outre, il est indispensable de partager les investissements entre acteurs. C'est également une raison pour laquelle il faut plusieurs opérateurs par pays, de même que les opérateurs pétroliers n'investissent pas seuls dans de grandes plates-formes offshore : du reste, on le constate, lorsque survient un incident sur une plate-forme, on est content de partager la responsabilité. On partage les risques ! Voilà pourquoi les mécanismes d'assurance que nous avons évoqués et d'investissements communs de copropriété sont absolument indispensables.
Un autre aspect de la concurrence, distinct des prix et qui est indispensable, c'est l'innovation, l'émulation : je le mentionne, aucun acteur historique français n'avait songé à convertir une tranche thermique en tranche « biomasse ». Il a fallu qu'un acteur européen arrive et s'interroge : « Pourquoi ne le ferait-on pas ? » Pourquoi pas, étant donné que l'on dispose d'un lit fluidisé en Suède de 100 mégawatts ? On sait donc que c'est possible ! Ce faisant, on rapproche des idées. Cela ne signifie pas qu'un opérateur est nécessairement meilleur qu'un autre, mais que nous avons des expériences différentes.
Selon nous, cette question est également vitale : pour ce qui me concerne, je vais devoir prendre des décisions majeures sur les plans social et industriel au cours des mois et des années à venir. Mes arbitrages dépendront largement des positions adoptées par les pouvoirs publics, de cette fameuse politique énergétique française qui, jusqu'à présent, est restée assez cohérente dans la durée. Pourvu que cette constance perdure !
À mon sens, trois mesures importantes doivent être adoptées au cours des mois à venir.
Premièrement, il faut assurer la mise en oeuvre de la loi NOME, avec, ce qui a été souligné, un dispositif conduisant vers davantage de concurrence. Cela signifie la fin des tarifs jaune et vert et l'additionnalité des coûts permettant d'aboutir à la vérité des prix et des tarifs. Cela signifie la mise en oeuvre du marché de capacité, avec un bon market design , critère indispensable pour que soient réalisés les investissements à l'hiver 2015-2016.
Deuxièmement, au fil des années, les acteurs publics devront tenir leurs engagements quant à l'ouverture du marché en matière d'hydroélectricité. Ils devront encourager les énergies renouvelables créatrices d'emplois, comme la biomasse.
Troisièmement, et enfin, dans un cadre européen, il faut tout faire pour que le marché du CO 2 « reprenne du poil de la bête », en envoyant de nouveau les bons signaux de prix : à ce jour, ce marché s'est effondré, il n'a plus la moindre visibilité. Or, ce critère est fondamental pour prendre les décisions d'investissement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Olivier Puit.
M. Olivier Puit . - Je partage un grand nombre des opinions qui viennent d'être énoncées, je ne vais donc pas les répéter.
Premièrement, je souligne que cette cohérence entre le mécanisme de l'ARENH et la construction tarifaire, donc la construction des tarifs à partir des coûts et pas simplement à partir d'une décision politique - selon un système hérité d'une longue histoire de fixation des tarifs de l'électricité - doit voir le jour assez rapidement, afin que nous disposions d'une certaine visibilité quant à nos possibilités d'évolution en France, en tant que fournisseur, producteur et opérateur intégré d'électricité. À l'heure actuelle, cela n'est pas aisé, compte tenu de l'incertitude quasi complète dans laquelle nous sommes plongés quant aux prochaines années.
Deuxièmement, je suis heureux de pouvoir intervenir sur un sujet qui me tient à coeur, et qui relevait d'ailleurs de la première question du premier questionnaire que nous avions reçu et sur lequel j'étais resté, à savoir le développement de la concurrence en France. Aujourd'hui, le mécanisme est réglementé en amont, la source d'approvisionnement est devenue obligatoire, via l'ARENH. On ne peut pas exister en tant que fournisseur d'électricité en France sans acheter d'ARENH. Or ne pas acheter d'ARENH c'est mourir tout de suite, et acheter de l'ARENH c'est mourir demain...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Nous sommes tous condamnés ! (Sourires.)
M. Olivier Puit . - La question est donc la suivante : comment améliorer ce processus, sachant que demain peut arriver plus ou moins rapidement, monsieur le rapporteur ! (Nouveaux sourires.) Il convient d'accorder plus d'espace aux fournisseurs d'électricité qui, aujourd'hui, ne souhaitent pas rester cantonnés dans le rôle de revendeurs d'un produit fini livré par EDF.
Comment laisser de la place à l'innovation, en matière de services ou en matière tarifaire ? Un fournisseur d'électricité fait de l'ingénierie commerciale, il transforme un produit que je qualifierais d'insubstantiel en une offre destinée à satisfaire un client. Comment nous donner de nouveau les moyens de satisfaire les besoins de notre clientèle et pas simplement de revendre un produit fini ?
Pour ce qui nous concerne, nous développons un certain nombre d'idées quant à l'évolution du mécanisme de l'ARENH. À mon sens, il est indispensable de mettre en oeuvre ces recommandations dès les mois à venir. Alpiq ainsi que, je suppose, l'AFIEG seront heureux de pouvoir participer à l'ensemble des concertations possibles, sur ce sujet tout particulièrement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Messieurs, je vous remercie de l'intérêt de vos interventions qui, j'en suis certain, contribueront à enrichir notre rapport.
Audition conjointe de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre, et de Mme Michèle Pappalardo, conseillère maître à la Cour des comptes, ainsi que de représentants de la commission de régulation de l'énergie, de représentants de la direction générale de l'énergie et du climat du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de représentants d'EDF
( 20 juin 2012 )
M. Ladislas Poniatowski , président . - Mes chers collègues, je voudrais rappeler, en préambule, que M. le rapporteur et moi-même avions sollicité de la Cour des comptes une actualisation de l'analyse qu'elle avait formulée, dans son rapport public annuel de 2011, non pas sur le coût de l'électricité, mais sur la CSPE, la contribution au service public de l'électricité.
Si une telle demande, prévue par la loi mais peu habituelle, a surpris la Cour des comptes, celle-ci y a répondu avec célérité, et je tiens à vous renouveler aujourd'hui, monsieur le président de la deuxième chambre, les remerciements que je vous ai adressés par écrit pour avoir accompli ce travail dans un délai aussi contraint.
La forme de la présente audition est très particulière, puisque les conclusions issues de cette actualisation vont être exposées, en même temps qu'aux membres de la commission d'enquête, à des représentants de la Commission de régulation de l'énergie - Mme Esther Pivet, directrice du développement des marchés -, de la Direction générale de l'énergie et du climat du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie - M. Julien Tognola, sous-directeur « Marchés de l'énergie et des affaires sociales », et M. Nicolas Barber, chef de bureau « Systèmes électriques et énergies renouvelables » -, ainsi que d'EDF - M. Thomas Piquemal, directeur exécutif groupe en charge des finances d'EDF, Mme Corinne Fau et M. Patrice Bruel. Ils pourront ainsi nous faire part de leurs réactions. Cette méthode de travail très intéressante est employée parfois par la commission des finances du Sénat.
Je donne maintenant la parole à M. Gilles-Pierre Lévy.
M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, en application des dispositions effectivement très peu usitées de l'article L. 132-4 du code des juridictions financières, vous avez donc bien voulu demander à la Cour des comptes une mise à jour de l'insertion qu'elle avait faite à son rapport public annuel de 2011 sur la contribution au service public de l'électricité.
Nous sommes parvenus à accomplir ce travail dans des délais inhabituellement brefs grâce notamment à la diligence de Mme Pappalardo, ainsi qu'à la coopération de la CRE, de la DGEC et d'EDF, qui ont donc déjà eu l'occasion de formuler leurs observations sur l'actualisation de nos analyses.
Je commencerai, en priant les spécialistes du sujet ici présents de bien vouloir m'en excuser, par rappeler des éléments de base.
La CSPE est un supplément de prix du kilowattheure, payé par le consommateur d'électricité en vue de compenser trois types de charges imposées aux producteurs d'électricité, c'est-à-dire d'abord à EDF : les surcoûts liés à l'obligation d'achat de l'électricité issue de la cogénération et des énergies renouvelables sur l'ensemble du territoire ; les surcoûts de production dus à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées - autrement dit, pour l'essentiel, les îles ; le coût des dispositifs sociaux en faveur des personnes en situation de précarité.
La Cour des comptes a examiné ces trois points au regard d'abord des observations qu'elle avait émises dans l'insertion de janvier 2011, ensuite de l'évolution des règles relatives à la CSPE depuis cette date, enfin des prévisions faites pour l'évolution de cette contribution, en termes tant de recettes que de dépenses, d'ici à 2020, échéance retenue par les uns et les autres en matière de programmation énergétique.
Je rappellerai donc les quatre recommandations formulées par la Cour des comptes en janvier 2011, à partir du constat que le taux de la CSPE, fixé depuis 2004 à 4,5 euros par mégawattheure, ne permettait pas de couvrir les surcoûts imposés aux producteurs d'électricité - cela avait conduit à un déficit cumulé, pour EDF, de l'ordre de 2,8 milliards d'euros - et que la loi de finances initiale pour 2011 permettait de relever significativement ce taux.
Premièrement, la Cour avait recommandé de mieux maîtriser les facteurs de croissance des charges du service public de l'électricité, au premier rang desquels l'obligation d'achat à des tarifs trop attractifs, à « guichet ouvert », de l'électricité issue des énergies renouvelables, s'agissant notamment de la filière photovoltaïque.
Deuxièmement, elle s'était interrogée sur l'opportunité de continuer à soutenir des filières qui n'étaient pas jugées prioritaires dans la stratégie énergétique gouvernementale, telle la cogénération.
Troisièmement, elle avait suggéré de remettre à plat le dispositif d'ensemble de la CSPE, afin d'en rendre le fonctionnement plus lisible et d'en clarifier le statut fiscal, considérant en particulier que cette contribution, que le Conseil d'État avait qualifiée d' « imposition innommée » en 2006, était effectivement un quasi-impôt, dont le taux et les conditions de prélèvement devraient faire l'objet d'une autorisation périodique et d'un contrôle du Parlement.
Quatrièmement, elle avait soulevé la question d'un réexamen du financement du soutien au développement des énergies renouvelables et des autres charges du service public par le consommateur d'énergie en général, et non pas seulement d'électricité.
Que s'est-il passé depuis janvier 2011 en matière tant de fixation des recettes - c'est-à-dire du taux de la contribution supportée par les consommateurs d'électricité - que de calcul des dépenses - autrement dit des charges à couvrir par cette contribution ?
En ce qui concerne les recettes, les modifications législatives ont permis l'augmentation de la contribution supportée par le consommateur en laissant à la CRE le soin de proposer un taux sur le fondement d'une base objective de couverture des charges. Il est prévu que, en l'absence de décision du ministre, cette proposition s'appliquerait « par délégation » du législateur, les augmentations possibles étant soumises à un plafond de 3 euros par mégawattheure et par an.
Les chiffres montrent que, en pratique, la CSPE est passée de 4,5 euros par mégawattheure à 10,5 euros à compter du 1 er juillet de cette année, soit une hausse de 133 % en dix-huit mois, faisant suite à une stagnation pendant six ans.
Compte tenu du plafonnement des hausses et de la croissance très rapide des dépenses, il faudra sans doute attendre 2017 pour que les déficits cumulés par EDF soient résorbés, mais les responsables financiers de cette entreprise parleront mieux que moi de ce point.
À titre indicatif, il est intéressant de rapprocher le taux de 10,5 euros par mégawattheure à compter de juillet 2012 des 35,9 euros par mégawattheure supportés, pour un objectif équivalent, par les ménages allemands.
En ce qui concerne maintenant les dépenses à couvrir au moyen de la CSPE, cinq points me paraissent devoir être soulignés.
En premier lieu, la principale mesure, qui a fait couler beaucoup d'encre, a visé à limiter le tarif d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque, d'une part en ne l'appliquant plus à « guichet ouvert » aux installations de plus de 100 kilowatts, d'autre part en révisant à la baisse les tarifs d'achat pour les installations de puissance inférieure. Cela étant, les engagements pris antérieurement en faveur d'installations qui n'étaient pas encore en service ont été respectés, ce qui entraîne un accroissement des dépenses au fur et à mesure de l'entrée en service de ces installations.
En deuxième lieu, pour ce qui concerne la cogénération, je constate que, en dépit des réserves de la Cour, les textes n'ont pas été modifiés. Cela étant dit, dans la mesure où ils restreignaient le bénéfice de l'obligation d'achat aux nouvelles installations de puissance inférieure ou égale à 12 mégawatts ou aux installations anciennes ayant fait l'objet d'une rénovation significative, l'arrivée à terme d'une grande partie des contrats d'achat devrait se traduire par une diminution de la charge de l'ordre des deux tiers entre 2010 et 2014.
En troisième lieu, les coûts liés aux tarifs sociaux sont à la hausse du fait d'un meilleur niveau de prestations ouvertes et de l'automaticité de l'application du tarif de première nécessité, décidée par décret du 6 mars 2012. En volume, ces dépenses restent toutefois de second ordre par rapport aux autres.
En quatrième lieu, la CRE a mis en place une nouvelle méthode de calcul du coût évité pour les obligations d'achat, ce qui aboutit à réduire fortement la volatilité, dans la mesure où le coût prévu et le coût sur la base duquel était calculée la CSPE ont été plus que rapprochés.
En cinquième lieu, sans modification du tarif d'achat mais avec l'application de la méthode des appels d'offres, qui permet en fait de s'éloigner de celui-ci, l'année 2011 a été marquée par le lancement d'un appel à projets pour l'installation d'une puissance de 3 000 mégawatts d'éolien en mer. Il s'agit d'un point important. Les projets retenus représentent une puissance d'un peu moins de 2 000 mégawatts, pour un prix d'achat très supérieur au tarif antérieur, à savoir 20 centimes d'euro le kilowattheure contre 13 centimes d'euro, tarif qui n'avait de fait pas permis jusqu'à ce jour de développer cette forme de production d'électricité.
Hormis la cogénération, tels sont les points sur lesquels une évolution est intervenue, dans les textes en tout cas.
Deux recommandations de la Cour n'ont pas été suivies d'effet : d'une part, le statut de la CSPE, dans laquelle la Cour voyait un quasi-impôt, n'a pas été modifié ; d'autre part, les charges financées par la CSPE continuent de peser sur le seul consommateur d'électricité et il ne semble pas y avoir eu de réflexion spécifique en vue d'élargir son champ à d'autres énergies.
Alors que, pour EDF, le montant des charges à couvrir était en 2010 de 2,6 milliards d'euros, on constate aujourd'hui une forte augmentation du coût lié à l'électricité d'origine photovoltaïque, une croissance plus lente des coûts associés à la biomasse et au biogaz, enfin une augmentation significative du coût pour la filière bagasse-charbon.
J'en viens enfin aux prévisions d'évolution d'ici à 2020.
Les trois scénarios d'évolution des charges établis par EDF, la CRE et la DGEC font ressortir des prévisions de dépenses comprises entre 8,8 milliards et 10,9 milliards d'euros pour 2020, contre 2,7 milliards d'euros en 2010 et une estimation à 4,3 milliards d'euros pour 2012, soit une multiplication par un peu plus de 3,5 entre 2010 et 2020 et par un peu plus de 2 entre 2012 et 2020.
Le chiffre le plus faible est celui qui est issu du scénario d'EDF. Fondamentalement, l'écart provient d'une estimation plus basse du développement de l'éolien en mer et de l'anticipation d'une hausse plus forte du prix du marché par rapport auquel est calculée la CSPE, autrement dit d'un besoin de différentiel plus faible.
À l'examen, il apparaît clairement que le recours aux énergies renouvelables est la première source d'augmentation des dépenses : la charge correspondante passerait de 700 millions d'euros environ à quelque 7,5 milliards d'euros, soit une multiplication par plus de 10 en dix ans.
On assisterait ensuite à un doublement des charges de péréquation au profit des zones non interconnectées, à savoir les départements et collectivités d'outre-mer : celles-ci passeraient de 802 millions d'euros en 2010 à 1,9 milliard d'euros en 2020, selon les estimations de la CRE.
La troisième source d'augmentation des dépenses, plus faible que les précédentes en valeur absolue, serait liée au développement de la production d'électricité à partir de la bagasse outre-mer : la charge passerait de 168 millions d'euros à quelque 600 millions d'euros en 2020.
Quant à la charge liée au fonctionnement des dispositifs à vocation sociale, elle triplerait en dix ans pour atteindre 190 millions d'euros, mais elle resterait relativement modeste en valeur absolue.
S'agissant de l'incidence de ces évolutions sur les comptes du producteur, le déficit cumulé devrait passer par un pic de l'ordre de 4 milliards d'euros entre 2014 et 2017 avant de disparaître aux alentours de cette échéance.
Si la politique suivie jusqu'à présent en matière d'évolution des tarifs était maintenue, soit une augmentation tant que les charges ne sont pas couvertes avec une limitation à 3 centimes d'euro par an, la contribution demandée au consommateur d'électricité devrait doubler et passer à environ 20 euros par mégawattheure en 2020.
En conclusion, j'évoquerai quelques pistes de réflexion en vue de limiter l'impact de ces évolutions sur les consommateurs d'électricité.
La première d'entre elles reste l'élargissement du financement du développement des énergies renouvelables à l'ensemble des énergies, à travers la fiscalité par exemple, afin de ne plus faire reposer cette charge sur la seule consommation d'électricité.
La deuxième voie envisageable pourrait être l'utilisation d'autres sources de recettes ayant pour origine la production d'électricité, par exemple la vente aux enchères des quotas d'émission de CO 2 , sachant que, dans ce cas, ces recettes ne pourraient être utilisées à d'autres fins, notamment le comblement du déficit budgétaire.
Une troisième piste serait le réexamen des règles d'exonération actuellement en vigueur.
D'autres axes de réflexion pourraient porter sur l'optimisation de la production des énergies renouvelables et sans doute sur l'amélioration de la liquidité et de la transparence du marché de l'électricité.
Telles sont, mesdames, messieurs, les grandes lignes du document qui vous a été remis.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie de cette synthèse de vos conclusions, qui me semblent pertinentes.
Je propose que nous entendions maintenant les représentants de la CRE, d'EDF et de la DGEC, sachant que leurs prévisions pour la période 2012-2020 sont quelque peu divergentes.
La parole est à Mme Pivet.
Mme Esther Pivet, directrice du développement des marchés de la Commission de régulation de l'énergie . - Je voudrais tout d'abord saluer le travail de la Cour des comptes - étant donné la complexité du sujet, élaborer un tel document dans des délais aussi courts représentait un véritable défi ! - et remercier Mme Pappalardo de la qualité des échanges que la CRE a pu avoir avec elle.
Je reviendrai tout de suite sur les scénarios d'évolution de la CSPE d'ici à 2020.
Comme l'a très bien souligné Mme Pappalardo dans le rapport, il s'agit d'exercices différents. En particulier, la CRE et la DGEC considèrent que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements seront atteints en 2020 pour les énergies renouvelables : il s'agit donc d'une hypothèse dimensionnante. En ce qui concerne par exemple l'éolien offshore , l'objectif est de 6 000 mégawatts de puissance installée en 2020 - l'exercice est par conséquent complètement théorique. Pour le photovoltaïque, on estime en revanche que les objectifs seront un peu dépassés.
S'il s'agit d'un exercice théorique, il me semble néanmoins qu'il permet d'aboutir à un ordre de grandeur de ce que seront les coûts, en particulier liés aux énergies renouvelables, quand les objectifs seront atteints, vraisemblablement au-delà de 2020.
Le scénario de la CRE rejoint assez largement celui de la DGEC, les hypothèses dimensionnantes relatives aux énergies renouvelables et aux prix de marché étant les mêmes.
En tout cas, on peut dire que le coût des énergies renouvelables, qui est déjà assez élevé aujourd'hui, le sera encore beaucoup plus en 2020. Pour vous donner un ordre de grandeur, nous estimons que la production d'énergies renouvelables soutenue en 2020 représentera 15 % de la production totale française - ce chiffre s'appuie sur les scénarios établis par RTE - mais le coût global des énergies renouvelables dans la part énergie de la facture dépassera 30 %, soit plus du double de la part de ces énergies dans la production.
Comme je l'ai dit, ces scénarios sont basés sur l'hypothèse dimensionnante que constitue l'évolution du prix de marché. La CRE est partie du prix de marché en mars 2012 - 54 euros par mégawattheure - et lui a appliqué une augmentation de 3 % par an, c'est-à-dire le taux d'inflation plus un point.
En matière de prévisions, je pense que nous nous trompons tous. J'en veux pour preuve que, lorsque la CRE a, il y a quelques années, alerté le ministre sur les dérives potentielles du coût des énergies renouvelables, il nous a été rétorqué que, de toute façon, le prix de marché atteindrait bientôt 120 euros par mégawattheure et qu'il n'y aurait donc plus de surcoût des énergies renouvelables. Or le prix de marché, qui était de 62 euros par mégawattheure en 2011 et de 54 euros par mégawattheure en mars dernier, est aujourd'hui de 49 euros par mégawattheure...
Je n'en tire aucune conclusion pour l'avenir, mais il faut savoir que, toutes choses égales par ailleurs, plus il y a d'énergies renouvelables, notamment en Allemagne et en France, plus le prix de marché baisse. En effet, les énergies renouvelables sont des énergies fatales : par définition, le dernier moyen appelé est moins cher. C'est vraisemblablement ce qu'on observe aujourd'hui ; on atteint même des prix de marché négatifs.
Les différents scénarios ne sont pas comparables, mais ils indiquent tous que le coût des énergies renouvelables va beaucoup augmenter.
Je ferai une petite observation : à la page 65 du rapport de la Cour des comptes, il est écrit que, si l'on intègre les coûts liés à la bagasse-charbon, les scénarios d'EDF et de la CRE sont parfaitement comparables. Or je pense que ces scénarios ne sont pas comparables du tout, même si leur périmètre est identique, dès lors que l'on intègre les coûts liés à la bagasse-charbon.
En ce qui concerne les propositions de la Cour des comptes, la CRE ne se prononcera pas - ce n'est pas son rôle - sur le financement des énergies renouvelables par d'autres énergies. Néanmoins, il faut bien avoir à l'esprit que la CSPE ne concerne pas uniquement les énergies renouvelables. Par conséquent, si l'on finance les énergies renouvelables par d'autres énergies, il faudra peut-être financer la péréquation tarifaire par ce qui restera de la CSPE et les dispositions sociales par d'autres moyens. En tout cas, une telle mesure ne serait pas simple à mettre en oeuvre.
Par ailleurs, les conclusions du rapport mentionnent le mécanisme mis en place aux Pays-Bas dans le but notamment d'inciter les producteurs d'énergies renouvelables à vendre leur production sur le marché au moment où c'est le plus intéressant pour le système, c'est-à-dire lorsque les prix de marché sont les plus élevés. Je suis quelque peu dubitative, car la plupart des énergies renouvelables ne sont pas contrôlables aujourd'hui ; je pense en particulier au photovoltaïque, à l'éolien, et même à la biomasse : s'il existe un débouché chaleur, on ne va pas demander à l'industrie de ne pas produire à tel moment sous prétexte que les prix de marché ne sont pas assez élevés... Par conséquent, même si on met en place un dispositif basé sur le prix de marché et donnant une prime par rapport à ce dernier, il sera très difficile de contrôler la production afin de la vendre au meilleur moment.
Il est enfin question, dans les conclusions du rapport, des différentes exonérations en vigueur et des éventuelles modifications qu'on pourrait leur apporter. La CRE n'a évidemment pas à prendre position sur ces exonérations qui, pour certaines d'entre elles, permettent aux sociétés industrielles de ne pas payer plus de 0,5 % de leur valeur ajoutée. J'estime toutefois qu'il faut être conscient de l'impact des exonérations sur ces sociétés, avec lesquelles je suis en contact tous les jours via mes équipes.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie, madame, de vos observations.
Il est vrai que nous n'atteindrons vraisemblablement pas les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement à l'horizon 2020 en matière d'énergie éolienne ; en revanche, concernant le photovoltaïque, je ne dis pas que nous les pulvériserons, mais nous les dépasserons largement. Pour ce qui est de la production, nous commençons donc à avoir une idée des évolutions futures. Cela m'intéresse donc d'entendre les réactions des uns et des autres sur ce sujet.
S'agissant des prix, vous avez raison : on voit bien à quelle vitesse évolue le prix du marché...
Vous avez évoqué les autres suggestions du rapport de la Cour des comptes. Il est vrai que, dans le cadre d'une audition officielle, le régulateur n'a pas à donner son avis sur certains points, comme la proposition selon laquelle la charge de la CSPE pourrait être supportée non pas seulement par le consommateur d'électricité mais aussi par les consommateurs d'autres énergies. Toutefois, si, comme vous le suggérez, nous menons à l'avenir une réflexion sur ce sujet - et le Parlement sera amené à conduire cette réflexion -, vous aurez toute votre place dans les instances de travail.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur Lévy ?
M. Gilles-Pierre Lévy . - Nous abordons des sujets sur lesquels le Parlement porte une appréciation de nature politique. La Cour des comptes peut indiquer des pistes, mais il ne lui appartient pas de déterminer qui, du consommateur particulier ou du consommateur industriel, par exemple, doit supporter la charge.
M. Ladislas Poniatowski , président . - J'ai apprécié que vous alliez assez loin dans vos suggestions. Vous vous exprimez prudemment, mais vous dites en somme qu'il faut qu'on avance sur ce sujet.
Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître à la Cour des comptes . - Nous ne faisons qu'évoquer des pistes, que nous n'avons de toute façon pas eu le temps de préciser. Nous voulions simplement mentionner les réflexions qu'il nous paraît intéressant d'approfondir.
J'apporterai un petit complément à ce qui a été dit sur les hypothèses retenues par les différents scénarios en matière de volumes d'énergie produite. La CRE et la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, font leurs calculs en partant du principe que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité, la PPI, seront complètement atteints, c'est-à-dire que notre capacité de production d'électricité éolienne offshore s'élèvera à 6 000 mégawatts en 2020. Comme on l'a fait remarquer, les objectifs de la PPI seront dépassés s'agissant du photovoltaïque, mais ce dépassement est déjà pris en compte par les scénarios : ils se basent sur l'hypothèse d'une augmentation de 500 mégawatts par an à partir du résultat pour 2012-2013, qui n'est pas encore complètement clair. La vision de l'avenir que donnent les scénarios de la CRE et la DGEC s'appuie donc sur la PPI, mais une PPI aménagée en ce qui concerne le photovoltaïque.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Dans votre rapport, vous soulignez, à juste titre, que les contrats passés avant le moratoire devront être respectés. Je suis frappé de constater - je crois que c'est EDF qui l'a fait remarquer - que le pourcentage de projets ayant une suite est très important. On pensait qu'il y aurait davantage de « déchet », de projets abandonnés.
Je passe maintenant la parole à M. Julien Tognola, sous-directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales à la DGEC.
M. Julien Tognola, sous - directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales à la direction générale de l'énergie et du climat . - Je voudrais tout d'abord remercier la Cour des comptes du travail qu'elle a accompli en rédigeant son rapport, dont je salue à mon tour la qualité. Je remercie également ses représentants d'avoir ainsi coopéré avec nos services malgré des délais contraints.
La DGEC est d'accord avec l'essentiel des constats de la Cour des comptes, notamment sur la tendance de fond à l'augmentation des charges du service public de l'électricité. Cette tendance est liée non seulement aux énergies renouvelables mais aussi à d'autres postes, comme la péréquation tarifaire, dont l'impact sur l'évolution d'ensemble est loin d'être négligeable.
J'aimerais faire quelques remarques.
Je commencerai par aborder la question des incertitudes pesant sur les différents scénarios. Je rejoins les propos de Mme Pivet : ces scénarios reposent sur un certain nombre d'hypothèses fortes. Je pense par exemple à l'évolution du prix de l'électricité : si la tendance est plutôt à la baisse aujourd'hui, on serait bien en peine de réaliser une estimation fiable à l'horizon 2020. Du reste, comme l'a dit Mme Pivet, si on avait essayé il y a huit ans de prévoir le prix actuel, on se serait trompé... Or les conséquences de l'évolution du prix de l'électricité sont tout sauf anecdotiques : si ce prix atteignait 90 euros par mégawattheure en 2020, cela représenterait une diminution de 2 milliards d'euros des charges de CSPE.
Les scénarios s'appuient sur d'autres hypothèses fortes, comme la possibilité d'atteindre les objectifs de la PPI ; cela a déjà été largement souligné. Il ne s'agit pas de projections irréalistes : on ignore si les objectifs seront atteints en 2019, en 2020 ou en 2021, mais ils constituent vraisemblablement des ordres de grandeur fiables de l'évolution des charges de service public.
Par ailleurs, je voudrais insister, comme l'a très bien fait la Cour des comptes, sur l'importance des travaux menés ces dernières années pour assurer la pérennité du dispositif, maîtriser ses coûts et engager la résorption de la dette, ou en tout cas adopter un système permettant d'engager cette résorption. Il s'agit d'abord de la modification législative permettant une revalorisation plus automatique de la CSPE, de manière qu'elle suive l'évolution des coûts, qui vont augmenter. Je pense également à la maîtrise des dépenses ; je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit au sujet du photovoltaïque, secteur assez emblématique des mesures prises, avec le développement d'appels d'offres grâce auxquels le nombre de projets retenus peut être contrôlé.
J'aimerais réagir à deux propositions de la Cour des comptes. La première concerne l'évolution du mécanisme d'obligation d'achat. La DGEC accueille avec intérêt les réflexions esquissées par certains acteurs et reprises par la Cour des comptes. D'autres pays européens se posent le même type de questions. C'est un travail à poursuivre.
La question du financement du développement des énergies renouvelables par d'autres énergies est complexe, en particulier dans un contexte où le prix des autres énergies est également très élevé pour le consommateur. Je voudrais faire deux remarques pour aider à la réflexion. Premièrement, le doublement de la contribution unitaire représenterait une augmentation de 10 euros par mégawattheure, soit 7 % ou 8 % de la facture actuelle d'un ménage. Deuxièmement, il est a priori sain, de notre point de vue, que les charges liées au développement des énergies renouvelables d'un secteur donné soient financées par ce secteur ; c'est d'ailleurs le cas du gaz et des biocarburants. Cette internalisation des dépenses nous paraît vertueuse, dans une logique de maîtrise de l'évolution des coûts.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie.
L'avantage des rapports officiels de la Cour des comptes est qu'ils donnent du poids aux sujets qu'ils abordent, obligeant les uns et les autres à s'en saisir, comme on le voit s'agissant de l'élargissement de l'assiette de la CSPE.
Nous en arrivons aux représentants d'EDF. Si j'ai bien compris, vous voulez élargir encore plus la CSPE, qui, comme le précise bien le rapport de la Cour des comptes, concerne déjà non seulement la cogénération et les grandes énergies renouvelables, mais également toutes les autres, comme le biogaz, la biomasse ou la petite hydraulique. Vous considérez que les charges que vous supportez, notamment pour l'obligation d'achat, représentent un coût non négligeable, qui augmente évidemment lorsqu'on passe de quelques champs éoliens à des centaines de milliers de producteurs de photovoltaïque. Vous estimez que le déficit, dont vous assumez la trésorerie, représente lui aussi un coût important. C'est pourquoi vous voulez surcharger encore la CSPE.
Vous avez la parole, monsieur Piquemal.
M. Thomas Piquemal, directeur exécutif groupe en charge des finances d'EDF . - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner la possibilité de nous exprimer sur le rapport de la Cour des comptes. La CSPE est un sujet qui nous occupe ; j'ai presque envie de dire qu'il nous préoccupe. En effet, ce mécanisme est déséquilibré et c'est EDF qui en subit les conséquences. J'interviens d'ailleurs en tant que directeur financier du groupe, et l'ensemble de mes observations seront faites à ce titre, puisque le déséquilibre est principalement d'ordre financier.
Je tiens tout d'abord à souligner - comme l'ont fait tous ceux qui se sont exprimés - la qualité et l'exhaustivité du rapport de la Cour des comptes, qui établit un diagnostic précis, complet et partagé, et formule des propositions que nous trouvons très intéressantes ; j'y reviendrai.
Le rapport met en évidence deux problèmes majeurs dans le domaine financier. Le premier problème est le déficit de compensation ; vous l'avez évoqué, monsieur le président. Ce déficit est très élevé : 3,8 milliards d'euros à la fin de l'année 2011, plus de 4 milliards aujourd'hui. Même EDF ne peut pas supporter un tel déficit de façon durable.
Le second problème, tout aussi important même s'il ne représente que quelques pourcents d'augmentation de la facture, comme M. Tognola l'a souligné, est l'évolution du poids de la CSPE dans la facture globale des consommateurs. À nos yeux, c'est un vrai sujet à un moment où EDF doit consentir des investissements importants.
J'aborderai tout d'abord le problème du déficit de compensation et des charges qu'il génère. La Cour des comptes observe dans son rapport que les charges de service public ont augmenté rapidement et que la CSPE n'a pas été relevée en conséquence. Des dispositions législatives ont certes été prises en 2010 pour remédier à ce problème de déficit, mais elles n'ont pas suffi compte tenu de l'ampleur des difficultés. Le déficit financé par la trésorerie du groupe EDF s'élevait à 500 millions d'euros en 2007 et à 700 millions en 2008 ; depuis lors, il a augmenté d'un milliard par an, et il devrait donc dépasser 4,5 milliards en 2012.
C'est autant de trésorerie d'EDF qui est ponctionnée, ce qui pose naturellement un problème à notre groupe. En effet, EDF a deux particularités. Dune part, nous sommes le groupe d'électricité qui investit le plus. D'autre part, à la différence de tous nos concurrents en Europe, notre programme d'investissement est à la hausse ; je pense principalement à la France, qui représente plus des deux tiers de nos investissements, avec plus de 7 milliards d'euros en 2011 - nous pourrions dépasser les 10 milliards en 2015. Pour financer ce programme d'investissement, nous avons recours aux marchés internationaux. Je ne suis pas ici pour commenter l'utilité des agences de notation ; je dirai simplement que nous sommes actuellement les mieux notés de notre secteur, et qu'il est très important que nous le demeurions.
Or le déficit de compensation représente plus de 10 % de notre dette et pèse donc d'autant sur notre structure financière et sur notre capacité à nous financer dans de bonnes conditions. En outre, ce déficit engendre des coûts de portage très significatifs pour notre groupe. Nous considérons donc que la charge financière occasionnée par ce déficit, qui n'avait pas été prévu lors de la création du dispositif, devrait être compensée par la CSPE elle-même.
Nous pensons que les modalités de calcul des charges financières devant faire l'objet d'une compensation devraient être précisées dans la loi et la réglementation. La prochaine loi de finances rectificative pourrait être l'occasion d'apporter cette précision.
Il en est de même des coûts de gestion. Monsieur le président, vous mentionniez tout à l'heure le nombre de champs ; ce sont autant de contrats que nous devons gérer. Ils entraînent des coûts de gestion de plus en plus significatifs pour l'entreprise EDF. L'esprit de la loi, c'est qu'EDF soit compensée pour la totalité des charges liées au service public de l'électricité ; aussi, tant le coût de portage que le coût de gestion devraient être inclus dans la liste des charges à compenser.
J'ajoute d'ailleurs que cette juste compensation permettrait d'effacer ces coûts dans les comptes d'EDF, augmentant d'autant non seulement le résultat avant impôt du groupe et donc la charge d'impôt qu'EDF acquitterait à l'État français, mais aussi le dividende versé par EDF à son actionnaire, si celui-ci le souhaite. Cette charge, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur Lévy, alimente d'autant le déficit budgétaire auquel vous faisiez référence.
Voilà donc un premier problème lié au déficit extrêmement significatif que supporte EDF.
Le deuxième problème, tout aussi important, tient au poids de cette taxe dans la facture du consommateur. Même si nos points de vue divergent quelque peu sur les scénarios, le rapport de la Cour des comptes montre bien toutes les hypothèses qui sous-tendent ces derniers. Que l'on retienne le chiffre de 9 milliards d'euros ou de 11 milliards d'euros à l'horizon 2020, la taxe devrait passer de 10 milliards d'euros à plus de 20 milliards d'euros à cet horizon. Même si l'augmentation de cette taxe ne représente que quelques points de hausse de la facture d'électricité, les recettes supplémentaires dégagées pourraient être consacrées notamment aux investissements très significatifs que doit faire le groupe EDF en France.
S'il est possible d'augmenter la facture du client, du consommateur français, il est très important que ce surcroît de recettes soit principalement consacré au financement des investissements supplémentaires que doit réaliser EDF, tant dans son parc de production - avant même Fukushima, nous avions prévu de doubler les investissements de maintenance du parc de production en France en les faisant passer de 1,7 milliard d'euros en 2010 à 3,5 milliards d'euros en 201 - que dans les réseaux - chaque année, nous augmentons très significativement les investissements visant à améliorer les réseaux : plus 10 % en 2011, et même 25 % si l'on considère les investissements visant à améliorer la qualité des réseaux.
Je le répète, s'il est possible d'augmenter la facture du consommateur, nous considérons qu'il est plus judicieux que ce surcroît de recettes soit procuré par une hausse du tarif intégré de vente, qui nous permet d'investir, plutôt que par celle de la taxe.
À ce titre, les pistes ouvertes par la Cour des comptes sur le financement des charges futures nous paraissent extrêmement pertinentes, qu'il s'agisse de l'élargissement du financement des énergies renouvelables à d'autres sources d'énergie ou de l'utilisation d'autres sources de recettes. Il est quelque peu paradoxal que le producteur d'électricité la plus décarbonée finance le développement des énergies renouvelables et en supporte en tout cas quasi exclusivement le déséquilibre.
Si EDF disposait d'une compensation pour le coût de portage de ses déficits, si EDF était compensée pour la totalité de ces coûts liés au service public de l'électricité, nous pourrions alors envisager, sur le plan purement financier, un étalement du remboursement de ce déficit sur une période bien plus longue que celle qui est actuellement prévue, au-delà de 2017. Cela permettrait de dégager une marge de manoeuvre dans l'augmentation mécanique prévue de cette taxe.
Je le répète, si le coût de portage et le coût financier nous sont compensés, nous pourrons envisager un étalement du remboursement de ce déficit.
En conclusion, je veux dire qu'EDF rejoint totalement la conclusion de la Cour des comptes quant à la nécessité de rechercher des moyens pour réduire le poids de la CSPE sur les factures d'électricité.
S'agissant de la couverture des charges futures, nous adhérons pleinement aux recommandations de la Cour quand elle suggère un élargissement des pistes de financement. Comme je viens de le dire, un étalement du déficit historique pourrait également être envisagé à titre de mesure complémentaire.
Dans l'immédiat, et vous me pardonnerez de profiter de l'occasion qui m'est offerte pour insister, c'est bien le problème du financement du déficit de compensation qui doit être résolu. Il est nécessaire que le principe de compensation intégrale des charges posé par la loi soit appliqué aux charges financières et aux coûts de gestion. De notre point de vue, ces charges doivent être expressément intégrées dans la liste des charges à compenser. Comme je l'ai indiqué plus haut, la prochaine loi de finances rectificative pourrait être l'occasion de procéder à ces aménagements législatifs et réglementaires.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je vous remercie, monsieur Piquemal, de votre contribution, qui portait à la fois sur les aspects financiers, mais également sur l'autre volet du rapport.
Je ne suis ni surpris ni choqué de votre demande. Dans la mesure où vous assurez la trésorerie de la CSPE, et compte tenu des coûts et des problèmes que cela entraîne pour vous, il me semble normal que, en tant que directeur financier d'EDF, vous formuliez des demandes en matière financière.
Avant de passer la parole à M. le rapporteur, je voudrais rendre hommage au travail de la Cour des comptes. Parmi les recommandations de votre institution, madame, monsieur, celle qui m'a plu le plus - vous n'en serez pas surpris - se trouve non pas dans votre communication sur les suites données aux observations du rapport public de 2011, mais dans le rapport lui-même, quand vous suggériez une remise à plat de l'ensemble du système, qualifiant la CSPE de quasi-impôt, et appeliez de vos voeux un contrôle plus régulier de l'évolution de celle-ci, notamment par les parlementaires. Cela est d'autant plus pertinent quand on voit la tournure qu'elle prend, comme vous le rappelez dans votre communication.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Au préalable, je remercie la Cour des comptes du travail qu'elle a accompli ainsi que les différents orateurs qui sont intervenus au nom de la CRE, de la DGEC et d'EDF.
Je me bornerai à poser une question au représentant d'EDF.
Monsieur, vous nous dites qu'EDF souhaiterait réduire l'important écart qui existe entre ce qu'elle avance pour payer les producteurs et ce qu'elle perçoit à travers la CSPE, à savoir 3,8 milliards d'euros. Vous nous dites que vous souhaiteriez être remboursés non seulement de cette somme, mais également des coûts financiers que vous supportez en raison de cette situation. C'était le premier point de votre intervention et, jusque-là, on vous comprend.
Ensuite, c'était l'objet de votre deuxième point - que j'ai mis du temps à comprendre et je ne suis même pas certain de l'avoir bien compris ! -, vous dites que la CSPE pose problème pour les ménages en raison de son coût et que, plutôt que d'aider au développement des énergies renouvelables, il vaudrait mieux aider EDF dans ses investissements.
En tout cas, c'est ce que j'ai compris, même si j'espère avoir mal compris !
Autrement dit, vous portez un jugement consistant à dire que, pour diminuer la charge pesant sur la facture des ménages, il faudrait mettre fin à la politique de soutien aux énergies renouvelables.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Vous avez mal compris !
M. Jean Desessard , rapporteur . - C'est en tout cas ce que j'ai cru comprendre. Ou alors il faudra qu'on m'explique la teneur de ce deuxième point !
Enfin, j'ai cru comprendre que vous considériez que le coût très élevé de la CSPE était dû aux énergies renouvelables et qu'il vaudrait bien mieux favoriser les investissements traditionnels d'EDF.
Permettez-moi de vous faire part de mon désaccord. En tout cas, si j'ai mal compris vos propos, je vous remercie de les clarifier.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Piquemal, vous avez le droit de vous défendre !
Pour ma part, j'ai bien compris que vous supportiez l'impopularité que représente la charge de la CSPE, qui est imputée sur la facture des consommateurs français. Cette facture recouvre à la fois l'électricité que vous produisez et que vous vendez, les investissements que vous devez faire et la CSPE.
M. Thomas Piquemal . - Je vous remercie, monsieur le président, de me donner la possibilité de clarifier mon propos.
Je voudrais dire deux choses.
Premièrement, le développement des énergies renouvelables se trouve naturellement au coeur de la stratégie d'EDF. Nous l'avons démontré en 2011 lorsque nous avons intégré la totalité d'EDF Énergies Nouvelles dans la stratégie industrielle du groupe. Nous le démontrons en mobilisant chaque année 1,2 milliard d'euros en faveur du développement de nouvelles capacités dans le domaine des énergies renouvelables, soit la part la plus importante des investissements que le groupe EDF consacre au développement de nouvelles capacités.
Mon propos ne portait ni sur le mix énergétique, ni sur la politique énergétique telle qu'elle a été décidée, ni sur la stratégie de développement du groupe.
Voici ce que je voulais dire, très concrètement. Un abonné au tarif bleu paie en moyenne 135 euros le mégawattheure par an. Dans ces 135 euros, il y a 40 euros de taxes - dès que la CSPE sera passée à 10 euros. Le solde, c'est ce qui nous permet d'investir aussi bien dans les réseaux que dans la maintenance ou dans le développement de nouvelles capacités d'énergies renouvelables.
Mon propos consistait simplement à dire que, si le Gouvernement décide d'augmenter le prix du mégawattheure - cela relève de sa responsabilité - par un accroissement des taxes, cette mesure ne nous permettra pas de financer l'augmentation de nos investissements.
C'est la raison pour laquelle EDF doit être une force de proposition et suggère au contraire d'étaler l'augmentation de cette taxe sur une plus longue période afin de permettre à notre groupe de développer ses investissements ou d'autres sources d'énergie.
M. Jean Desessard , rapporteur . - L'important est que je comprenne bien, même si je suis beaucoup plus lent que mes collègues ou d'autres personnes ici présentes. ( Sourires .)
Monsieur le directeur financier d'EDF, vous nous dites que la CSPE ne vous permet pas d'investir. Pourtant, vous en bénéficiez puisque vous avez remporté récemment trois appels d'offres dans le domaine de l'éolien offshore , à un tarif assez élevé, comme l'a constaté la Cour des comptes. La CSPE vous permet donc, à vous comme à d'autres producteurs d'électricité, de réaliser des investissements. C'est pourquoi je n'accepte pas d'entendre dire que les taxes, en particulier la CSPE, empêchent la réalisation d'investissements.
Pour que nous nous comprenions bien, j'aimerais savoir pourquoi vous dites que la CSPE ne permet pas la réalisation d'investissements, alors que je viens de vous démontrer le contraire, du moins partiellement ? Peut-être les représentants de la Cour des comptes apporteront-ils un complément d'information. Je n'arrive toujours pas à comprendre.
M. Thomas Piquemal . - En fait, c'est l'augmentation de la CSPE, qui pèse sur la facture acquittée par le consommateur, qui obère la capacité d'augmentation des investissements. Mon propos ne vise aucunement à remettre en cause la masse des investissements qui doivent être faits dans le domaine des énergies renouvelables, investissements qui expliquent la hausse de ces charges de 2 milliards d'euros à 9 milliards ou 11 milliards d'euros d'ici à 2020. Ce n'est pas du tout mon propos. Mais c'est de dire que la hausse de cette taxe est trop significative sur la facture du consommateur et c'est la raison pour laquelle nous pensons qu'élargir ...
M. Jean Desessard , rapporteur . - Vous portez bien un jugement sur les énergies renouvelables ! Permettez-moi de vous le dire !
M. Thomas Piquemal . - ... et qu'élargir l'assiette de cette taxe à d'autres formes d'énergie permettrait d'en limiter la hausse.
M. Jean Desessard , rapporteur . - On y arrive ! Vous dites qu'il y a un effort trop important pour l'énergie renouvelable par rapport à ce que vous souhaiteriez et qui serait le nucléaire !
M. Thomas Piquemal . - Pour l'électricité ! Pour l'électricité !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Franchement, là, il faut nous expliquer.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Bon, monsieur le rapporteur, là vous êtes dans un débat polémique.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Mais non ! Je voudrais simplement comprendre.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur le rapporteur, vous n'aurez qu'à inscrire ces conclusions dans votre rapport.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Monsieur le président, je ne voudrais pas qu'il subsiste d'ambiguïtés à la fin de cette audition.
Monsieur Piquemal, vous faites une première réflexion sur ce que coûte à EDF l'écart financier. Je comprends très bien. S'agissant de votre deuxième point, si vous nous dites que le mécanisme de la CSPE ne vous permet pas d'investir dans les énergies renouvelables, ce qu'on peut entendre, alors expliquez-nous pourquoi. Mais vous ne pouvez pas, de manière imprécise et floue, dire que la hausse de la CSPE destinée à développer les investissements en faveur des énergies renouvelables - et vous en profitez par ailleurs, comme je viens de l'indiquer - empêchera EDF d'investir ailleurs.
Puisque je ne pense pas qu'EDF envisage d'investir dans le gaz ou le pétrole, j'aimerais que vous nous disiez ce que vous entendez par « investir ailleurs », puisqu'il ne s'agit pas des énergies renouvelables.
Monsieur le président, je peux l'entendre, mais j'aimerais bien que ce soit clairement dit devant cette commission d'enquête.
Si EDF considère que les investissements en faveur des énergies renouvelables sont trop importants, c'est que vous avez d'autres investissements à faire, en particulier dans le nucléaire. Que cela soit dit !
M. Jean-Claude Lenoir . - Et les réseaux !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Et les réseaux, certes ! Mais ne dites pas que les investissements en faveur des énergies renouvelables sont trop importants.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur Piquemal, pour ma part, je vous ai très bien compris. Néanmoins, vous avez le droit de répondre une dernière fois à M. le rapporteur, qui fera de votre réponse ce qu'il voudra dans son rapport.
M. Thomas Piquemal . - Je n'ai jamais dit, ni pensé, ni écrit que les investissements en faveur des énergies renouvelables étaient trop importants.
M. Ladislas Poniatowski , président . - En effet, il n'a pas dit cela !
M. Jean Desessard , rapporteur . - Mais si !
M. Thomas Piquemal . - D'ailleurs, le développement des énergies renouvelables est au coeur de la stratégie d'EDF et c'est dans ce secteur que ses capacités connaissent la plus importante croissance.
En revanche, financer le développement des énergies renouvelables uniquement par l'augmentation de la CSPE, qui repose sur la seule production d'électricité, est, selon nous, source de déséquilibre. C'est la raison pour laquelle nous sommes très favorables à l'idée contenue dans le rapport de la Cour des comptes consistant à élargir l'assiette de cette compensation à d'autres formes d'énergie, de telle sorte que ce ne soit pas simplement le consommateur d'électricité qui subisse la hausse de cette taxe et paie le développement des énergies renouvelables.
Tel était le sens de mon propos. Je n'ai certainement pas dit que nous investissions trop dans le domaine des énergies renouvelables. C'est un axe stratégique majeur du groupe EDF.
M. Ladislas Poniatowski , président . - En tant que président du groupe d'études de l'énergie, je me réjouis qu'EDF ne soit plus simplement un « horrible » producteur d'énergie nucléaire, mais investisse également de manière massive dans les énergies renouvelables. De même, je me réjouis que vous ayez remporté trois appels d'offres dans le domaine de l'énergie éolienne offshore , même si je trouve le prix de cet offshore un peu élevé.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je retiens de l'intervention de M. Piquemal que, premièrement, EDF considère qu'elle n'a pas à être le banquier de la CSPE et que, deuxièmement, la mise en oeuvre des énergies renouvelables et le recouvrement des moyens nécessaires à cette fin avaient un coût pour l'opérateur, coût dont celui-ci demande la prise en compte.
Dans leurs rapports respectifs, la Cour des comptes, la CRE et la DGEC ont effectivement avancé cette idée que la CSPE aurait pu être portée différemment et qu'une fiscalité différente ou d'autres contributeurs auraient pu être envisagés.
Vous n'avez pas abordé une question ; peut-être vous a-t-elle interpellés et c'est pourquoi je vais vous la poser.
La place croissante qu'occupent les énergies renouvelables, même si leur importance diffère selon les situations, a déjà un impact sur le prix de l'énergie. Tout à l'heure, il a même été rappelé que le prix de l'électricité était parfois négatif. De toute évidence, on mesure bien l'effet qu'a cette part croissante des énergies renouvelables sur les marchés.
Immanquablement, compte tenu des perspectives à l'horizon 2015 ou 2020 et au-delà, et compte tenu de ce qu'est le modèle économique de l'énergie, l'évolution du prix de l'énergie et l'impact des énergies renouvelables seront des éléments importants.
S'agissant de ce volet très général, je prendrai l'exemple du photovoltaïque, ce dont Mme Pappalardo ne s'étonnera pas, puisqu'il a été dit tout à l'heure que, dans les perspectives pour 2020, nous étions très au-dessus de ce qui était envisagé et souhaité.
Pour ne prendre que cette énergie, si l'on s'en tient à une considération globale, je ne suis pas certain que nous approchions très précisément les coûts. Le pré-rapport Charpin de décembre 2010 consacré au développement de la filière photovoltaïque considérait, comme tout le monde - en premier lieu la commission - que le secteur des particuliers ne devait pas être affecté par le moratoire. D'ailleurs, celui-ci reste aujourd'hui en dehors des appels d'offres, sauf que le prix est fixé trimestriellement, ce qui ne va pas sans poser des difficultés dans un marché qui est incertain.
Or il est aujourd'hui l'un de ceux qui ont été le plus impactés par le moratoire, avec des effets importants sur le plan économique. Et pourtant le solaire photovoltaïque recouvre en fait deux économies : d'une part, la grosse économie des fermes, avec la nécessité d'un raccordement au réseau et d'un renforcement de ce réseau, avec tous les problèmes que cela soulève ; d'autre part, l'économie des particuliers, qui se situe dans la philosophie de l'autoconsommation à l'allemande, si je puis dire.
Si j'ai voulu évoquer cet exemple, c'est pour souligner que, dans notre approche des énergies renouvelables et de la CSPE, il conviendrait peut-être d'aller plus loin dans l'étude des énergies, parce qu'il peut y avoir des impacts non négligeables en termes de coût, notamment si l'on prend en compte les réseaux. Et l'on sait que ceux-ci auront demain un effet sensible dans la formation des prix.
M. Gilles-Pierre Lévy . - Je ne suis pas sûr de savoir répondre avec précision à cette question, qui nous interpelle sur plusieurs sujets relativement incertains.
En particulier, l'exercice qui consiste à reprendre a posteriori les prévisions de prix réalisées pour l'électricité et les différentes énergies voilà trois, cinq ou dix ans est en général assez démoralisant pour les prévisionnistes.
En ce qui concerne maintenant l'impact de la production d'énergie diffuse sur les réseaux, je ne sais pas exactement où en est EDF. Il me semble d'ailleurs que RTE et ERDF sont, tout autant qu'EDF, concernés par l'évaluation des investissements nécessaires à l'adaptation de notre réseau à cette forme différente de production d'électricité. Il est évident que cette adaptation aura un coût, comme tout changement, par définition. Lorsque nous avons construit les centrales nucléaires, nous avons également dû modifier notre réseau.
Pour ma part, je ne suis pas capable aujourd'hui de dire quel peut être exactement l'impact de ces modifications.
Mme Michèle Pappalardo . - En effet, nous n'en sommes pas capables, et je ne suis pas sure au demeurant que quelqu'un en soit véritablement capable. Il faut travailler sur le fond, c'est-à-dire sur les conséquences réelles de ces évolutions sur le réseau, et aussi faire la part entre ce qui relève de la maintenance du réseau et ce qui a trait à l'évolution de celui-ci.
Ensuite, faut-il, comme vous le suggérez, « affecter » le réseau à tel ou tel type d'énergie ? Je n'en sais rien. En revanche, une chose est claire : il y a des dépenses à faire. Le directeur financier d'EDF l'a dit, et nous l'écrivons aussi dans notre rapport sur le nucléaire.
Nous avons des dépenses importantes à faire, et il faut sans doute considérer le sujet globalement, d'où notre réflexion sur la question de savoir si certaines dépenses doivent reposer sur le seul consommateur d'électricité ou sur une base plus large. C'est en effet une vision globale des coûts et de la production qu'il faut avoir avant d'essayer de régler finement chaque type particulier de dépenses.
S'agissant du photovoltaïque, on voit avec intérêt les conséquences des dispositions qui ont été prises. Il faudra bien entendu les évaluer pour savoir si l'on est sur la bonne voie ou si l'on peut rendre le dispositif plus efficace ou plus efficient, mais sans se départir, à mon sens, d'une vision globale de l'évolution du système électrique et de l'objectif que l'on cherche à atteindre à court, moyen et long terme.
M. Jean-Claude Lenoir . - Je me permets d'engager très brièvement un échange entre les membres de la commission.
Je comprends que les travaux de celle-ci touchent à leur fin et que la rédaction du rapport a déjà commencé. Il me semble toutefois que les auteurs de la proposition ayant conduit à la création de cette commission d'enquête n'ont pas complètement atteint leurs objectifs, tant s'en faut, et qu'ils cherchent désormais à ouvrir un débat sur la CSPE pour finalement mettre en cause la part du nucléaire en France.
Je suis pour ma part en désaccord avec la perception qui vient d'être retenue des propos de M. Piquemal...
M. Ladislas Poniatowski , président . - Nous aurons ce débat entre nous, mon cher collègue...
M. Jean-Claude Lenoir . - Je tenais néanmoins à le dire dans cette enceinte.
Je rappelle également que la CSPE a été créée par la loi du 10 février 2000, d'initiative gouvernementale, qui visait à ouvrir le marché français à la concurrence.
À l'époque, les énergies renouvelables étaient balbutiantes et l'impact de la CSPE sur la facture d'électricité avait été jugé relativement modeste.
C'est le développement des énergies renouvelables, à la suite notamment du Grenelle de l'environnement et des initiatives prises par les gouvernements qui se sont succédé à partir de 2002, qui a conduit à cette augmentation très importante de la CSPE.
Aujourd'hui, nous devons, en tant que parlementaires, assumer nos responsabilités. C'est bien parce que nous avons voulu, sur l'initiative du Gouvernement, développer les énergies renouvelables que le problème se pose.
À cet égard, je souhaiterais que les représentants d'EDF puissent me préciser quelle est exactement, au sein du surcoût induit par les énergies renouvelables, la part imputable à la mise à niveau des réseaux. En effet, quand on parle des énergies renouvelables, on ne parle que de la production. Mais la production d'énergie renouvelable a aussi un impact considérable sur les réseaux. J'aimerais donc que vous puissiez me communiquer ce chiffre, même si je doute que vous puissiez me le fournir dès à présent.
Je rappelle également que le budget d'EDF est constitué de recettes et de dépenses, et que les recettes sont pour partie fixées par les pouvoirs publics et le Gouvernement. C'est la différence entre les tarifs et les prix du marché.
Je souhaiterais par conséquent savoir, sur 100 euros de recettes, quelle part résulte des tarifs, c'est-à-dire de ressources décidées par les pouvoirs publics, et quelle part relève d'un prix de marché librement négocié en France ou à l'étranger.
Je retiens de vos propos un problème qui ne doit pas être sous-estimé : les décisions gouvernementales impactent le budget d'EDF aussi bien en termes de dépenses liées à la CSPE qu'en termes de recettes. Il faut donc bien trouver une solution pour être cohérents.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Je suis d'accord avec vous sur un point, monsieur Lenoir : il est effectivement important que l'on puisse savoir réellement quelle part d'investissement il convient d'affecter à l'adaptation du réseau aux nouvelles formes de production d'énergies renouvelables.
Il me semble toutefois très difficile de la chiffrer.
Pour le moment, EDF, RTE et ERDF nous ont dit que cette adaptation aurait un impact important, sans pouvoir toutefois nous préciser si elle pouvait s'intégrer aux charges de rénovation normale du réseau ou si elle engendrerait un surcoût trop important. Nous n'avons jamais eu de chiffres détaillés. Il serait donc opportun que nous puissions évaluer réellement ce coût, en le différenciant, comme cela a pu être fait sur l'actualisation des mesures post-Fukushima.
Pour conclure, et afin de relativiser le propos de mon collègue, je précise que les dernières explications que vous avez données, monsieur Piquemal, m'ont permis de mieux comprendre le deuxième point de votre argumentaire.
Si vous avez signalé que la CSPE était élevée, c'est parce que vous souhaiteriez que cette taxation repose non pas simplement sur les consommateurs d'électricité, mais sur les consommateurs d'énergie en général. Je n'avais pas entendu cet argument et je vous remercie de l'avoir précisé. Dans ce cas, le deuxième point de votre exposé devient beaucoup plus compréhensible.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Puisqu'il y a des amendements à la question « réseaux » de Jean-Claude Lenoir, je rappelle pour ma part que, aux termes de la loi, ce sont les producteurs qui doivent assumer les coûts de raccordement de toutes les énergies nouvelles. Si, au-delà du raccordement, on doit renforcer le réseau sur deux ou trois kilomètres, c'est à la charge d'ERDF.
Je profite donc de cette occasion pour adresser ce message à EDF : il est inadmissible que, en ce moment, votre filiale ERDF tente parfois de faire supporter le coût de ce nécessaire renforcement du réseau à des collectivités territoriales, des villes ou des syndicats d'électricité. Je voulais profiter de cette occasion pour apporter cette précision.
M. Thomas Piquemal . - Je vous avoue que j'étais venu aujourd'hui pour parler de la CSPE et de son déséquilibre, et absolument pas du coût des investissements dans les énergies renouvelables.
Je ne pourrai donc malheureusement pas vous communiquer aujourd'hui de chiffres précis, comme j'aurais souhaité le faire.
Si vous me permettez, nous reviendrons vers vous avec ces chiffres - c'est la moindre des choses.
Certes, il y a un coût - on le voit bien de manière intuitive -, mais il est couvert par les investissements réalisés par RTE et ERDF, et donc par la réglementation « TURPE » - tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité.
Tout à l'heure, je parlais d'une facture moyenne de 135 euros TTC par mégawattheure. Sur cette somme, 50 euros environ vont à RTE et ERDF. Ces coûts sont donc d'ores et déjà pris en compte par une réglementation spécifique.
ERDF et RTE engagent actuellement la discussion sur le TURPE 4, la quatrième période de réglementation.
Vous me posez ensuite la question de la part du tarif dans les recettes d'EDF en France. Deux composantes de nos recettes sont fixées par le tarif, ou, plus exactement, par une réglementation : d'une part, les tarifs intégrés de vente ; d'autre part, le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.
En effet, à l'issue de la réforme du marché français, réalisée par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, ou loi NOME, nous devons, comme vous le savez, vendre jusqu'à 25 % de notre production d'origine nucléaire à un prix qui est déterminé par les pouvoirs publics. Celui-ci est aujourd'hui fixé à 42 euros par mégawattheure - je précise qu'il s'agit là uniquement de la part « fourniture d'énergie ».
Si nous faisons la somme de ce que nous vendons au tarif, soit environ 80 % des recettes du groupe, et de ce que nous vendons au titre de l'ARENH, nous arrivons à plus de 90 % des recettes d'EDF en France qui sont fixées par le Gouvernement ou par voie réglementaire.
Je précise également que nous parlons d'un tarif intégré. Si je reprends la base de 135 euros par mégawattheure, il faut retirer 40 euros de taxes. Nous parvenons donc au taux de 90 %, tout compris.
M. Jean-Claude Lenoir . - Votre liberté n'est donc pas très grande.
M. Thomas Piquemal . - Elle est bien encadrée. C'est la raison pour laquelle nous nous devons d'être une force de proposition à même d'avancer des solutions techniques, en l'occurrence financières, dont la mise en oeuvre permettra aux pouvoirs publics de retrouver, s'ils le souhaitent, des marges de manoeuvre sur la facture des consommateurs.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Je voudrais poser une question aux représentants de la Cour des comptes.
L'une de vos pistes de réflexion a éveillé ma curiosité, mais j'ai besoin d'une explication : vous suggérez de faire supporter la gestion de tout ce mécanisme non pas aux producteurs d'électricité, mais au transporteur. Pourriez-vous préciser votre idée ? Quels seraient ses avantages et ses inconvénients ?
Mme Michèle Pappalardo . - Ce ne sont que des pistes de réflexion, et non des propositions. Vous les retrouvez d'ailleurs dans l'annexe, mieux précisées que dans le texte.
En l'occurrence, nous ne les avons pas inventées. Elles émanent notamment du ministère des finances, plus particulièrement de la direction du Trésor, qui mène une réflexion sur la transparence du marché et le rôle que l'on fait jouer à EDF à travers ce dispositif de la CSPE, par rapport à la vision qu'ils ont d'une ouverture plus large et plus normale du marché, avec des rôles qui pourraient être identiques pour tous les producteurs, au-delà du seul producteur historique.
D'où l'idée qu'il serait, au moins sur le papier, peut-être plus logique de faire reposer le dispositif de la CSPE non pas sur les producteurs, mais sur l'unique transporteur.
Comme je l'ai dit, nous n'avons pas été plus loin dans cette réflexion, mais nous l'avons mentionnée, car elle est intéressante à examiner, au moins sous l'angle théorique. Je précise toutefois que je n'en ai discuté ni avec EDF, ni avec la DGEC, ni avec la CRE.
M. Ladislas Poniatowski , président . - À l'arrivée, la somme sera toujours imputée sur la facture du consommateur.
Mme Michèle Pappalardo . - Cette réflexion sur la liquidité et la transparence n'a pas de conséquences financières immédiates.
Toutefois, ceux qui portent ce genre d'idées pensent sans doute aussi que le fait d'augmenter la liquidité et la transparence peut avoir in fine une incidence sur le coût du dispositif.
Mais je n'ai vu aucun chiffrage à ce sujet et je n'ai absolument pas approfondi la question.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Ce faisant, vous élargissez quelque peu l'assiette, mais pas autant que dans d'autres pistes de réflexion que vous nous suggériez.
Mme Michèle Pappalardo . - En effet, tous les niveaux possibles d'augmentation de l'assiette sont envisageables.
M. Gilles-Pierre Lévy . - Il s'agit surtout de placer les producteurs à égalité. Certes, on élargit un peu l'assiette, mais comme l'un des producteurs détient la plus grande part du marché, cela ne changerait pas radicalement la situation, sachant que, dans tous les cas, il faut bien que quelqu'un paye à la fin.
M. Jean Desessard , rapporteur . - Il me semble que l'on pose la question dans le rapport : l'obligation d'achat s'applique-t-elle seulement à EDF, ou à tous les producteurs ?
Le transfert sur le transporteur unique, RTE, permettrait donc de résoudre ce problème, si j'ai bien compris le sens de votre réflexion.
Mme Michèle Pappalardo . - Dans les grandes lignes, c'est cela, en effet.
M. Jean Desessard , rapporteur . - J'en reviens à la notion exprimée dans le deuxième point de M. Piquemal, que j'ai eu du mal à comprendre, à savoir que la CSPE ne devrait pas être simplement payée par les consommateurs d'électricité. C'est un point important, car cela changerait la nature même du dispositif.
J'aimerais avoir sur ce point l'avis de la CRE et de la DGEC.
M. Jean-Claude Lenoir . - Je précise aux membres de la commission que toute personne qui consomme de l'électricité, quel que soit son fournisseur, paye la CSPE.
L'idée de transférer sur le TURPE est néanmoins intéressante car certains consommateurs, notamment industriels, bénéficient d'exonérations - je pense que c'est à cela que vous faisiez référence. Dans ce cas, la CSPE serait acquittée y compris par ces gros consommateurs.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Le rapport ne fait pas référence à ce genre d'exonérations, me semble-t-il.
Mme Michèle Pappalardo . - Il y a en réalité deux sujets de réflexion.
Le premier porte sur les règles d'exonérations actuelles. En effet, plus la CSPE augmente, plus les exonérations augmentent également. Si vous doublez la contribution unitaire, vous doublez les exonérations. Mme Pivet signalait qu'une partie des exonérations ont été dirigées vers les entreprises industrielles, mais pas seulement, puisqu'elles concernent aussi la SNCF, par exemple.
Le deuxième sujet de réflexion porte sur l'idée qui consiste à mettre les producteurs à égalité et à ne pas faire porter l'équilibre du système sur le seul producteur historique, EDF.
Mais cette piste n'a pas de lien avec celle qui concerne les exonérations. Rien n'empêcherait parallèlement de laisser subsister des exonérations, de les doubler ou de les supprimer.
Mme Esther Pivet . - Je crains de ne pouvoir me prononcer au titre de la CRE sur l'élargissement de l'assiette de la CSPE. En revanche, la CRE est prête à participer à un groupe de travail sur ce sujet.
M. Julien Tognola . - Sur l'élargissement, je ne peux que redire que la question est complexe, face à une charge qui augmente et qui pèse sur les consommateurs d'électricité. L'idée de la répartir sur une assiette un peu plus large est assez naturelle. En même temps, les prix des autres énergies sont eux aussi très élevés, et rien ne garantit qu'ils augmenteront moins vite que ceux de l'électricité.
Du point de vue de la maîtrise des coûts, le fait que l'ensemble des coûts liés à la production d'électricité soient visibles sur la facture du consommateur d'électricité procède plutôt d'une logique vertueuse.
Quoi qu'il en soit, à ce stade, il ne peut s'agir que d'une piste de réflexion.
M. Ladislas Poniatowski , président . - Monsieur le rapporteur, si, demain, une réflexion est engagée sur ce sujet, je suis sûr que la DGEC aura beaucoup de suggestions à faire. Mais taxer, demain, le consommateur de fioul, de gaz ou de biocarburant, c'est un problème politique, pas seulement technique. Tout le monde pourra participer à ce débat, mais la décision ne sera pas facile.
Mes chers collègues, si vous n'avez plus de questions, il me reste, au nom du rapporteur, en mon nom et au nom du Sénat tout entier, à remercier la Cour des comptes pour le travail qu'elle a accompli.
Je remercie également la CRE, la DGEC et EDF d'avoir participé à ce débat.
Vous retrouverez certainement des éléments de vos conclusions et de ce débat dans le rapport de notre commission.
M. Jean Desessard , rapporteur . - À mon tour, je remercie l'ensemble des participants, tout d'abord la Cour des comptes, à la fois pour son premier rapport, qui a lancé en partie cette commission d'enquête, et pour ce rapport complémentaire, remis dans des délais très contraints. Je remercie également les représentants de la CRE, de la DGEC et d'EDF de s'être déplacés de nouveau, car nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises.
Le rapport de la commission touche désormais à sa fin. Nous essaierons de tenir le délai, fixé au 4 juillet. Une part importante sera en effet consacrée à la CSPE. Si des pistes existent, il n'en demeure pas moins que de nombreuses interrogations subsistent sur le système à mettre en place, comme vous nous l'avez signalé aujourd'hui.