7. Claude Le Pen, professeur d'économie de la santé à l'université Paris-Dauphine
La notion de maladie infectieuse est une notion relative qui reste floue. En effet, la frontière entre maladies infectieuses et maladies non infectieuses n'est pas stabilisée comme le montre l'exemple du cancer du col de l'utérus qui semble être en relation avec une infection virale, celle du papillomavirus. Il en va de même avec certaines maladies infectieuses non transmissibles comme l' Helicobacter pylori (HP) dans le cas de l'ulcère gastroduodénal. Il est ainsi tout à fait possible qu'un certain nombre de pathologies aujourd'hui considérées comme chroniques soient à l'avenir considérées comme d'origine bactérienne ou virale.
Les enjeux des maladies infectieuses émergentes sont aussi ancrés dans une très forte historicité et par une prégnance de la mémoire collective des grandes pandémies du passé : peste au Moyen-Age et au XVIe, variole à l'époque des grandes découvertes, choléra au XIXe siècle. La population des agents infectieux évolue en permanence , notamment sous des formes hybrides entre la vie et la non-vie comme les protéines mal recourbées (à l'origine de la maladie de Creutzfeld-Jacob).
La maladie infectieuse est aussi un pont entre l'homme et l'animal . La majorité des maladies infectieuses ont franchi la barrière des espèces : typiquement le virus de la grippe aviaire ou porcine. C'est dire la complexité et l'immensité du sujet.
S'agissant de la dimension économique, il n'existe pas, s elon le professeur Le Pen, de chiffrage systématique du coût d'une maladie , infectieuse ou non. Cet exercice est particulièrement complexe car il faut prendre en compte aussi bien le coût des traitements que le coût du non-traitement. Néanmoins le coût de la grippe saisonnière a été évalué par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) en 2002-2003 en fonction des sur-dépenses enregistrées.
En revanche, il est certain qu'il existe en France un problème d'accès aux données de la santé . La base de données inter-régimes de la CNAM est stockée à Evreux ; elle rassemble l'intégralité des données de santé des Français ; elle est interfacée avec la base des hospitalisations et des certifications de décès. Cette base a un rôle épidémiologique et de santé publique évident ; c'est d'ailleurs à partir de cette base que les estimations des victimes du Médiator(c) ont été réalisées.
La loi sur l'assurance maladie de 2004 a créé un Institut des données de santé (IDS) qui est présidé par un magistrat de la Cour des comptes afin de permettre l'accès aux données de santé à des chercheurs et des organismes publics. La CNAM reste réticente face à cette structure dans laquelle elle se trouve sous-représentée et elle se méfie des éventuelles récupérations des informations disponibles par l'industrie pharmaceutique ou les employeurs.
A son initiative, la CNAM a introduit dans la loi médicament du 29 décembre 2011 une disposition créant un groupement d'intérêt public (GIP) pour l'accès aux mêmes données. Le GIP a une fonction identique à celle de l'IDS à quelques nuances près. Cette nouvelle structure (qui n'existe que juridiquement à ce jour, faute de signature des décrets d'application) ne porte que sur les données de la CNAM ; elle doit favoriser l'accès des acteurs privés à ces données sanitaires. Ainsi, un laboratoire pourrait être obligé de surveiller son produit avec obligation d'en rendre compte par exemple.
Mais on doit relever le fait que la surveillance épidémiologique des maladies infectieuses émergentes se heurte en France à ce que le professeur Le Pen qualifie de « mystique de la donnée ».
S'agissant du défi de la maîtrise des dépenses de santé , on peut constater que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) est respecté depuis plusieurs années alors même qu'il n'avait jamais été appliqué depuis sa création en 1996. La France s'est engagée dans des efforts d'économie de 2 à 3 milliards d'euros par an pour redresser ses comptes sociaux. Le professeur Le Pen estime que le Gouvernement va devoir annoncer un plan de 2,5 Mds d'économies pour 2013.
Ce plan d'économies est inévitable étant donné que la progression annuelle des dépenses de santé est de 4 % environ et l'ONDAM est fixé à 2,5 % par an. Il s'agit d'une « logique de menu » en matière de financement des dépenses de santé, « les ingrédients en cuisine viennent à manquer ». Dans le cas où la situation macroéconomique se maintiendrait dans une hypothèse de croissance faible, les modalités d'un financement soutenable du modèle de protection sociale français ne seraient plus réunies.
On doit aussi noter que les relations entre les médecins et la puissance publique sont marquées par une défiance mutuelle. En cas d'épidémie, l'Etat prend la main en outrepassant les procédures habituelles de concertation entre la CNAM et les médecins. Il s'agit alors d'un changement brutal du mode de fonctionnement du système sanitaire qui écarte ainsi délibérément les autres acteurs de régulation . L'Etat réagit alors de manière autoritaire, par exemple en faisant appel à la réquisition des personnels pour vacciner la population, ce qui heurte profondément la culture des professionnels de santé.
Il n'y a pas eu de dialogue lors de la pandémie de grippe A en automne 2009 du fait des crispations des professionnels avec le ministère de la santé. Certains médecins vivent très mal la banalisation de leur rôle et ce malaise va au-delà des mesures financières. L'acmé de la défiance entre le ministère de la santé et les médecins a été atteint à l'occasion de la loi HPST de juillet 2009 47 ( * ) qui a créé :
- le contrat santé solidarité ;
- l'obligation de déclaration de départs en vacances à l'Ordre des médecins, voire à la préfecture.
Tout en respectant les prérogatives régaliennes de l'Etat, il faudrait surtout mettre en place une équipe d'état-major de gestion des crises sanitaires élargies aux représentants des experts de la pathologie et des médecins.
Malgré tout, on constate des évolutions récentes encourageantes dans le fonctionnement du système sanitaire français. Le contrat d'amélioration des pratiques individuelles (CAPI) est un dispositif transitoire fonctionnant sur la base du volontariat.
Il comporte trois grands chapitres :
- organisation du cabinet (télétransmettre les feuilles de soins) ;
- tâches de santé publique (suivi de patients diabétiques, vaccination des personnes âgées) ;
- efficience (économe dans les prescriptions, prescription de médicaments pouvant être substitués par des génériques).
Les performances du médecin ayant souscrit au CAPI sont récompensées par une prime si les objectifs sont remplis (pouvant aller jusqu'à 9 000 euros). La convention de juillet 2011 a conservé le mécanisme du CAPI qui est dès lors devenu obligatoire et non plus volontaire.
* 47 Ces dispositions ont été annulées par la proposition de loi Fourcade (2011).