6. M. Pascal Handschumacher, chercheur, géographe de la santé, à l'IRD

Pascal Handschumacher est chercheur, géographe de la santé à l'IRD au sein de l'UMR 912 SESSTIM 45 ( * ) , et basé à la Faculté de géographie de Strasbourg. Il assure des cours de géographie de la santé à L'université de Strasbourg, Nanterre, Besançon, Marseille. L'objectif de l'IRD est de produire de la connaissance pour le développement dans les pays du Sud.

I. Position du problème : le point de vue du géographe

Dans le champ de la santé humaine, la question de l'émergence des maladies est habituellement posée en termes de processus biologiques, éventuellement sous-tendus par des processus sociaux. Les maladies émergentes (ou ré-émergentes lorsqu'il s'agit de pathologies anciennement disparues et redevenant visibles à une échelle collective) répondent à des définitions adoptées et validées par l'OMS et ont de ce fait un sens bien codifié.

Pour autant les besoins de connaissances ne se limitent pas au champ biologique ni à la dimension épidémiologique. La production du risque à travers la construction de systèmes spécifiques délimités dans l'espace et dans le temps constitue un domaine d'investigation pour la prévention et la lutte car permettant d'agir sur des déterminants en amont de la maladie . Produits de l'action de l'homme à travers les modalités de gestion et d'aménagement de l'espace au sein de territoires spécifiques, générés par les rapports que les différents acteurs entretiennent au sein de la société, modulés par les modes de fonctionnement et les pratiques de l'espace des habitants au sein des territoires, ces espaces à risques permettent la réalisation des processus biologiques conduisant à l'émergence.

Puis, au delà des questions liées à la mutation et évolution des agents pathogènes, se pose la question de la transmission dans des conditions spécifiques qui permettent le stade maladie au sein de populations humaines et animales. Ainsi, en s'intéressant non seulement à la nature même des agents infectieux et des processus qui les affectent mais également aux conditions de la transmission, on a rapidement identifié les contacts hommes / réservoirs (même si le réservoir lui même a été très tardivement identifié) dans l'émergence de la fièvre Ebola ou la co-existence de nombreux élevages de volaille plus ou moins informels au sein des espaces domestiques et péridomestiques et de fortes densités de population humaine dans l'émergence de la grippe aviaire, ces exemples pouvant être déclinés sous de multiples formes (fièvre de Marburg, fièvre de Lassa, SIDA, SRAS...).

Biologie et épidémiologie se trouvent ainsi au centre des besoins en matière de connaissances pour décrypter les processus générateurs de risques et proposer des réponses adaptées tant en termes de prise en charge que de prévention. Des efforts d'acquisition de connaissances importants sont effectués dans ces champs même s'ils méritent d'être largement soutenus pour une multiplication des approches comparatives.

Pour autant, nous souffrons d'un déficit marqué de connaissances sur les espaces et les lieux dans lesquels ces processus trouvent leur place pour s'exprimer de la manière la plus "efficace". Définir les conditions théoriques du risque est une chose, identifier les espaces, et ce aux bonnes échelles d'analyse puis de prévention et de lutte, en est une autre qui représente un enjeu majeur de lutte et de prévention.

En effet, cet enjeu global peut se décliner selon trois enjeux spécifiques majeurs :

Le premier concerne l'identification des espaces concernés par la réunion des conditions de réalisation de l'émergence grâce à une grille de lecture permettant de circonscrire dans l'espace, des territoires discriminés selon leur capacité à voir émerger le risque au sein de la société humaine et ce aux échelles de la transmission. Grâce à des grilles de lecture qui sont à construire pour chaque modèle de maladie mais également pour des types d'environnements donnés et à analyser dans une approche comparative et croisée, il nous faut alors viser au "dépistage" des espaces à risques par delà les espaces potentiels.

Au sein des villes asiatiques, tous les sous-ensembles spatiaux ne présentent pas les mêmes caractéristiques, ces disparités ne s'inscrivant bien souvent pas dans les limites administratives (quartiers, districts, qui sont des limites ne rendant pas compte le plus souvent de situations homogènes) pour lesquelles les données sont disponibles. Comment croiser alors données relatives aux densités de populations et pratique de l'élevage de volaille intra espace domestique si ces données ne permettent pas une analyse à l'échelle de la réalité de la production du risque ?

Dans des villes où les marchés ne s'adressent pas nécessairement à la même clientèle (soit par clivage socio-économique ou par clivage lié à la localisation de la résidence), il devient difficile de cerner la population concernée par l'émergence au moment où celle-ci se produit. Or la réalité épidémiologique montre que plus la prise en charge est rapide et plus le nombre de cas initiaux est limité, plus le nombre de cas évité est important par limitation de la contagion (dans le cas des maladies transmissibles).

Identifier les lieux, les espaces et les réseaux qui les lient devient ainsi un enjeu majeur de recherches à mener dans le champ des maladies émergentes. Cet enjeu est d'autant plus important que des processus puissants et rapides sont en train d'affecter la planète et les réalités d'hier n'ont parfois plus grand chose à voir avec les réalités d'aujourd'hui. Parmi toutes ces dynamiques à l'oeuvre dont il convient d'analyser le résultat produit dans des environnements donnés, il y a bien sur les dynamiques démographiques, l'essor des villes, la transformation des milieux sous l'action de l'homme et de ce que l'on appelle les changements globaux...

Le diagnostic territorial constitue donc un enjeu majeur d'acquisition des connaissances pour une meilleure vigilance épidémiologique et une meilleure compréhension des processus effectivement à l'oeuvre dans la transmission.

Le deuxième enjeu spécifique concerne les dynamiques spatiales qui suivent l'émergence grâce aux processus de propagation et de diffusion . Si la diffusion est un phénomène classique des maladies transmissibles s'appuyant sur la continuité de proche en proche de la dynamique spatiale selon des processus s'appuyant sur la contigüité (vie de relation des hommes, parcours du bétail, mobilité des réservoirs, aire de vol des vecteurs), la propagation s'appuie sur des liens établissant une connectivité entre les lieux sans qu'il y ait pour autant continuité entre les points de départ et d'arrivée. S'ancrant dans des liens régionaux jusqu'aux liens qui caractérisent la mondialisation, ces phénomènes de propagation (souvent accompagnés de phénomènes de diffusion sur les lieux de rupture de charge) sont susceptibles d'affecter très rapidement l'ensemble de la planète. Pour autant, les espaces ne sont pas égaux entre eux.

Dire que les circuits migratoires des oiseaux constituent des couloirs favorables à la diffusion de la grippe aviaire constitue certes une première information permettant de mieux cibler la vigilance épidémiologique, elle ne nous éclaire pas sur la hiérarchie du risque de transmission à l'homme autre que selon une conception purement aléatoire. En revanche, en analysant les espaces ainsi identifiés selon leur utilisation par les populations humaines, les densités de populations (tant humaines qu'animales), les types d'activités, de mobilité, etc..., il devient alors possible de préciser le contact entre l'homme et le réservoir potentiellement contaminé et de cibler les lieux pour une meilleure surveillance épidémiologique dans un contexte global de faiblesse des moyens financiers et humains. Puis à partir de là, quelles situations sont susceptibles de créer des cas isolés et quelles sont les situations susceptibles de développer des foyers spécifiques de transmission.

L'étude des dynamiques spatiales des différents termes de la chaîne de transmission représente ainsi un enjeu fort d'identification des espaces à risques dans le cadre d'une approche prospective sur l'évolution de l'ampleur des populations soumises au risque et ce selon une approche hiérarchisée de celui-ci selon espaces et populations.

On ne saurait passer sous silence une autre plus-value que l'on peut espérer réaliser à travers l'analyse de ces processus dynamiques, qui consiste en l'identification des zones humainement et/oui économiquement sensibles face à l'intrusion de l'agent infectieux. Ainsi, il importe de distinguer entre les situations susceptibles de permettre la création de foyers spécifiques, ceux qui vont être confrontés à des risques (in ex., la présence d'élevages industriels de volaille à proximité d'étangs dans lesquels des oiseaux contaminés par le virus H5N1 ont été dépistés) mettant en péril l'existence d'activités majeures.

Le troisième enjeu dépasse la dimension de l'identification des espaces à risques et de la veille sanitaire pour s'inscrire dans une perspective d'aménagement du territoire orienté santé dans lequel la prise en compte des processus conduisant à l'émergence de situations épidémiogènes peut conduire à une modification de la planification mais également des acteurs impliqués en intégrant ce risque. Le risque sanitaire, en trouvant ses racines dans des questions d'assainissement, de promiscuité, d'accès aux soins ou à l'éducation, de gestion des espaces, dépasse largement la seule question du risque médical.

Agir en amont en impliquant les acteurs concernés (et pas seulement les acteurs institutionnels mais également les associations, les structures caritatives, politiques, et les utilisateurs des ressources eux-mêmes) pour réduire l'existence des systèmes socio-spatiaux à risque constitue une perspective ancrée dans l'étude des processus à l'oeuvre dans la construction et les pratiques des territoires. Ces analyses doivent bien sur ne pas se restreindre au diagnostic mais permettre d'échafauder des propositions alternatives qui innovent dans les modalités de productions des espaces socialisés.

Au final, plus que de traiter de la question des maladies émergentes, la géographie de la santé est susceptible d'apporter sa pierre à l'édifice par l'étude des conditions de réalisation de l'émergence des espaces à risques sanitaires (en y incluant la dimension dynamique de la diffusion et de la propagation), risques sanitaires au sein desquels les maladies émergentes occupent une place majeure. Mais il convient de noter que l'émergence des espaces à risques ne concerne pas que les seules maladies émergentes selon la nomenclature de l'OMS mais toutes les pathologies qui se développent en des territoires nouveaux. Cette approche ne peut être développée qu'ancrée dans un tissu de collaborations interdisciplinaires fort, impératif qui dépasse probablement le seul champ de la géographie. Identifier les espaces, les lieux et les liens ne peut se faire que selon une approche comparative rendant compte des spécificités liées aux contextes mais également aux modèles de façon à pouvoir rendre compte des occurrences spécifiques de facteurs mais également de récurrences de déterminants par delà les spécificités locales.

II. Espaces d'émergence et maladies émergentes, quelques exemples didactiques

Emergence de la schistosomose

(ou bilharziose) intestinale à Richard-Toll (Sénégal)

La schistosomose intestinale est une maladie parasitaire inféodée aux espaces situés globalement au sud du XII ème parallèle en Afrique de l'Ouest en raison des exigences écologiques de son hôte intermédiaire, un planorbe (Biomphalaria pfeifferi) indispensable à la réalisation du cycle de la transmission. Ce mollusque aquatique ne supporte pas la dessication et ne peut donc survivre dans des zones soumises à la sécheresse, les zones soumises à précipitations abondantes déterminant sa répartition.

Absent du sahel pour cette raison, il s'est pourtant développé sur le site de Richard-Toll (au Nord du 16 ème parallèle) entraînant en 1988 l'émergence d'une épidémie de schistosomose intestinale dans cette ville située à l'orée du delta du fleuve Sénégal. Cette émergence fait suite à la suite de la construction de deux barrages destinés à réguler le cours du fleuve (à Manatali au Mali) et à empêcher les remontées d'eaux salées (à Diama à l'embouchure du fleuve au Sénégal). Ces barrages ont modifié les conditions hydrologiques de surface (débit, qualité des eaux, turbidité, conductivité) à l'échelle du bassin du fleuve Sénégal.

Pourtant, malgré les profondes modifications qui ont touché la vallée du fleuve Sénégal et en particulier le développement de nombreux périmètres hydro-agricoles dans la moyenne vallée et le Delta, seul le site de Richard-Toll a été touché par un événement épidémique majeur.

Or personne n'avait envisagé ni l'émergence de cette maladie qui avait été totalement négligée lors de la réalisation des rapports d'évaluation des risques, ni que Richard-Toll constituerait un espace à risque majeur dans le contexte de l'après-barrage.

A partir de cet exemple sur une pathologie ancienne et endémique en Afrique de l'Ouest mais émergeant sur le site de Richard-Toll, trois questions essentielles se posent :

- pourquoi ici ?

- pourquoi maintenant et pas avant ou pas plus tard ?

- comment ces différents déterminants ont-ils interagit, se sont ils articulés, y a-t-il une conjonction particulière de facteurs et pourquoi ?

Répondre à ces 3 questions c'est d'une part arriver à identifier des déterminants du risque qui vont permettre de construire des grilles de lecture des espaces afin d'identifier les espaces à risques et ainsi faciliter la vigilance épidémiologique, identifier les processus permettant à un phénomène global (le changement de régime du fleuve Sénégal) de s'exprimer épidémiquement en un lieu et à un moment donné, et d'identifier les processus de construction territoriale et les jeux d'acteurs qui concourent à la réalisation d'espaces vulnérables.

Dans cet exemple de Richard-Toll, les acteurs sont les aménageurs, les Etats riverains du fleuve Sénégal, les municipalités, les firmes privées mais également les utilisateurs des ressources dont l'articulation est à la base de la construction de cet espace vulnérable.

Le résultat, c'est la production sur ce lieu de la conjonction de culture agro-industrielle de canne à sucre nécessitant des aménagements hydrauliques importants et profonds très différents de ceux nécessités par la culture majeure du fleuve Sénégal, la riziculture, une forte densité de population, des déplacements saisonniers de population depuis les zones d'endémicité de la bilharziose intestinale et une croissance démographique non suivie suivi d'une croissance parallèle des équipements. C'est cette conjonction de facteurs qui explique un déséquilibre croissant entre la population et l'environnement qu'elle s'est elle-même construit conduisant, en raison de la déstabilisation introduite par la modification des conditions hydrologiques de surface, à l'émergence de la bilharziose intestinale.

Richard-Toll et sa plantation de canne à sucre isolés à l'entrée du Delta

L'analyse de cet espace d'émergence est susceptible de réunir des éléments permettant de construire des grilles de lecture qui par la recherche d'indicateurs, devraient permettre d'identifier les systèmes spatiaux à risques permettant : 1/ une meilleure surveillance des espaces à risques, 2/ une réduction de la vulnérabilité par une modification des processus d'aménagement et de construction des espaces socialisés, grâce à une prise en compte des processus identifiés.

Cet exemple illustre ainsi l'observation d'espaces d'émergence des maladies qui dépassent la seule question des maladies émergentes et ré-émergentes pour concerner un champ plus vaste de pathologies qui "sortent" de leur aire d'endémicité habituelle et ouvre sur quelques pistes pouvant être prises en compte dans une optique de prévention et de lutte.

Exemple de la peste à Madagascar

La peste est une maladie ré-émergente, endémique sur les Hautes Terres. Elle connaît une reviviscence depuis le début des années 1980. Dans le cadre du programme RAMSE (Recherches Appliquées à Madagascar sur la Santé et l'Environnement) conduit par l'IRD en collaboration avec l'IPM (Institut Pasteur de Madagascar) et le Ministère de la Santé malgache, une équipe pluridisciplinaire a mis en évidence le fait que elle circulait de manière différentielle selon la structuration physique et sociale d'un espace localisé dans le Moyen-Ouest depuis les contreforts de la chaîne montagneuse du Vakinankaratra jusqu'à la pénéplaine de Mandoto. Ces différences de circulation sont calquées sur l'ouverture ou le cloisonnement des espaces. Les espaces fermés correspondent à la périphérie du Vakinankaratra au relief marqué et aux hameaux nombreux mais de petite taille, distribution calquée sur la disponibilité des terres agricoles. Ces espaces fermés sont alors caractérisés par une peste ponctuelle pouvant varier très fortement sur de faibles distances en termes de séroprévalences humaines à l'échelle des hameaux. Les espaces ouverts se localisent essentiellement sur la pénéplaine de Mandoto, zone de colonisation agricole, où les implantations humaines se font préférentiellement sous la forme de gros villahes groupés et caractérisés par une intense vie de relation. Ces espaces ouverts sont caractérisés par des séroprévalences humaines faiblement contrastées entre villages, donnant ainsi l'impression d'une peste circulant en nappe.

Soit en termes de prépositionnement des moyens de lutte ou des moyens thérapeuthiques, soit en termes de vigilance épidémiologiques, les implications de ce résultat sont évidentes car permettant de mieux cibler les espaces à privilégier dans l'élaboration des plans mis en place par le Ministère de la santé. Ces résultats éclairent également sur les déterminants de la circulation du bacille, permettant, en amont de la mladie, d'envisager d'infléchir les politiques d'aménagement du territoire dans l'optique d'une réduction du risque sanitaire.

Autre exemple relatif à la peste, une épidémie de cette maladie quarantenaire s'est redéclenchée à Majunga dans la zone côtière après 61 ans de silence. Après avoir été introduite à Madagascar à la fin du XIX ème siècle par l'intermédiaire du commerce maritime et des ports qui jalonnent les côtes malgaches, la peste s'est éteinte après une vingtaine d'année pour venir s'endémiser sur les Hautes-terres, suivant en cela le développement des réseaux routiers et ferroviaires qui a accompagné le développement de l'entreprise coloniale.

Mais en 1990, des troubles importants en prise avec la révolte populaire qui a conduit à la destitution du Président Ratsiraka ont paralysé la ville durant de nombreux mois et notamment bloqué l'activité des services publics. L'absence de ramassage des ordures a alors conduit à leur accumulation en divers endroits de la ville et en particulier autour du marché de gros de Marolaka. La dynamique de population de rongeurs étant directement dépendante de la disponibilité alimentaire, leur population a littéralement explosé et, malgré la présence à Majunga de Rattus norvegicus , mauvais réservoir de peste, une épidémie murine puis humaine a ainsi pu se développer au sein d'une population immunologiquement « naïve ».

Autour de ce marché de gros, la maladie a alors diffusé au sein de la ville soulignant l'hétérogénéité des lieux et montrant les inégalités de vulnérabilité des populations selon qu'elles résident dans des quartiers populaires pauvres lotis ou irréguliers d'une part, ou les quartiers centraux résidentiels, commerciaux et administratifs d'autre part.

La peste touche les quartiers populaires réguliers et irréguliers...

Comme dans le cas de Richard-Toll, la maladie a fait son lit de la forte croissance démographique non suivie d'une croissance des infrastructures permettant de la faire vivre, et de l'intrusion d'un aléas destabilisateur, en l'occurrence le fait politique 46 ( * ) .De manière relativement surprenante car ne répondant pas du tout aux mêmes schémas de transmission, la distribution initiale du choléra lors de son émergence à Majunga s'est faite selon la même diffusion spatiale, soulignant là encore la profonde inégalité qui caractérise l'espace urbain de Majunga.

L'analyse de ces situations permettent d'identifier les processus simples et/ou complexes qui conduisent à l'émergence de situations épidémiques et d'en identifier les racines tant en termes de constructions de territoires spécifiques permettant la réalisation des processus biologiques, de pratiques de l'espace par les population permettant une inégal partage de l'espace entre les différents termes de la transmission, que d'événements destabilisant les systèmes socio-spatiaux en place.

En introduisant la dimension temporelle dans l'analyse, on peut alors mesurer le rôle des facteurs dans les différentes étapes de l'émergence et de sa diffusion (cf document de présentation de son travail sur Madagascar).

La diffusion des maladies émergentes, exemple du SRAS
et de la grippe aviaire H5N1

Si l'émergence de la maladie se situe dans des interactions entre animal et homme qui permettent de dépasser les barrières d'espèces, ou des phénomènes d'évolution des agents infectieux, processus dont on a vu plus haut qu'ils sont susceptibles d'être ancrés dans le fonctionnement de systèmes sociaux-spatiaux, la diffusion et la propagation s'inscrivent dans des mises en relation de lieux et de populations (de réservoirs animaux comme de populations humaines) grâce à l'existence de flux et de réseaux.

Dans ces 2 étapes de la dynamique des maladies, les travaux réalisés par différentes équipes de recherche ont identifié les processus à l'oeuvre permettant d'envisager la prise en charge des déterminants pour une réduction du risque. Pourtant, dans les 2 cas, il est très difficile d'identifier les limites pertinentes des espaces concernés par ces processus aux échelles adéquates à la réalité des phénomènes observés. Les espaces délimités correspondent ainsi plus souvent à des espaces potentiels au sein desquels tous les sous-espaces sont égaux selon ce point de vue, plutôt qu'à la réalité du fonctionnement des événements épidémiques.

Le premier enjeu consiste alors à identifier les bonnes échelles d'analyse en lieu et place des échelles données à voir a priori et d'identifier les limites en fonction des processus à l'oeuvre afin de se donner les moyens de prévoir la réalité des lieux de l'émergence. Il convient ainsi de dépasser les limites administratives pour se focaliser sur la réalité de la répartition des systèmes (écologiques, sociaux, sanitaires...).

Le second enjeu consiste à analyser les processus de diffusion/propagation selon les espaces affectés par ces dynamiques de déplacement . Le même flux et le même réseau ne va pas porter le même risque selon les espaces affectés mais également selon les modèles de pathologies et les hôtes impliqués.

L'enjeu : trouver les bonnes échelles d'analyse, la maille élémentaire, le territoire (dès lors que l'on a analysé les processus) et développer des approches comparatives selon les types d'espaces, les types de flux et de réseaux, les types de pathologies et d'hôtes impliqués (le lac, le département - peu de chances qu'une frontière administrative soit pertinente -, les zones de repos, échelle des axes, de territoires donnés, avec des caractéristiques particulières)

Quand à l'utilisation du satellite, elle est utile pour connaître certaines variables mais peut conduite à des imprécisions, il ne peut pas voir comment les gens se comportent dans leur espace, comment ils vivent : « il faut aller du satellite aux Patogas » Une fois que l'on a analysé les facteurs et leur interaction, la maille élémentaire aussi adapté au modèle, on va être en mesure de proposer des indicateur et les images permettront de les mesurer.

Exemple de la dengue à Santa Cruz De la Sierra (Bolivie)

échelle intra-urbaine

La dengue est une maladie qui est en train de conquérir une grande partie du globe. Transmise par des moustiques du genre Aedes , elle se développe dans les lieux colonisés par ces insectes hématophages dont le principal, Aedes aegypti, est largement inféodé à l'homme car se reproduisant dans les multiples gîtes aquatiques artificiels créés par ses activités (vases, pneus, coupelles, boîtes de conserve, etc...).

En cela elle est à la fois un marqueur des processus d'urbanisation et de connectivité des lieux mais de par sa distribution hétérogène dans les villes touchées, elle devient également un excellent marqueur de la diversité des espaces dont la mosaïque compose la ville . A Santa Cruz de la Sierra, seconde ville de Bolivie et capitale des régions basses du pays, la distribution de la dengue est très discriminée dans l'espace urbain : la maladie s'est développée dans des quartiers centraux, plutôt aisés et comportant un niveau satisfaisant d'adduction aux réseaux de distribution d'eau, d'électricité, d'accès aux infrastructures d'assainissement et caractérisé par un habitat résidentiel de qualité :

La dengue devient ici non pas indicateur de précarité sociale mais indicateur d'une urbanisation mal gérée , où la présence de jardins et de plantations d'agrément, de pneus stockés dans les arrières-cours, ont permis aux Aedes de se multiplier. Au contraire, dans les quartiers périphériques globalement les plus pauvres, où la disponibilité de l'eau est réduite, avec des rues non bitumées aux sols sablonneux favorisant l'infiltration des eaux pluviales, où les déchets susceptibles de constituer des gîtes (boîtes de conserves, soucoupes, pots, pneus...) sont réutilisés, sont moins propices à l'expression de la maladie malgré des conditions d'habitat et d'habiter précaires. La dengue traduit par sa distribution hétérogène au sein de la ville l'expression d'un cumul de facteurs de risque liés à une certaine aisance et qualité de vie, à l'inverse des schémas habituellement évoqués.

Or, ces espaces se distribuent selon des schémas à la fois hérités des processus anciens à l'échelle historique, des plans d'aménagement passés et en cours, des jeux d'acteurs dans l'appropriation de territoires revendiqués par les différentes communautés qui composent la population crucénienne, et des prariques de l'espace par les populations. En cela, il est alors possible de s'appuyer sur le fonctionnement de ce(s) système(s) pour identifier des leviers sur lesquels agir pour réduire le risque.

On peut ainsi connaître, à condition de multiplier les études selon une approche comparative entre de nombreux sites, les espaces dans lesquels l'expression du risque est maximisée permettant ainsi non seulement de faciliter la vigilance épidémiologique mais également de prendre en compte les déterminants du risque dans les plans d'aménagement pour diminuer, en amont de la maladie, l'étendue des zones et l'ampleur des populations exposées à la maladie bien en amont de celle-ci.

Exemple du choléra

Le travail de Didier Bompangue en RDC est un travail fondateur, qu'il faut garder à l'esprit . Il a analysé, par un travail épidémiologique de fond, le risque lié à la fois à la variabilité saisonnière de l'émergence du choléra et les processus de diffusion qui s'en suivent à différentes échelles de temps et de lieux. Il montre que la circulation du choléra en RDC s'est développée le long du lac Tanganika dans les espaces où la pression à l'espace et à ses ressources est forte en raison de l'afflux saisonnier de populations de pêcheurs, puis connaît un phénomène d'amplification au gré des étapes de retour de ces populations de pêcheurs le long des différentes voies de circulation (fluviales, ferroviaires et routières).

Cette diffusion s'accompagne d'un phénomène d'amplification de cette maladie hautement contagieuse dans lequel le réseau de villes étapes semble jouer un rôle important, phénomène qui culmine lors d'explosions épidémiques dans les grandes villes de la région. A partir de ces résultats, il devrait alors être non seulement possible d'améliorer le ciblage des opérations de vigilance épidémiologique mais aussi d'améliorer la prise en charge des premier cas afin de minimiser le développement d'explosions épidémiques ultérieures. En effet, une prise en charge des premiers malades quand la maladie circule encore à bas bruit (d'où l'importance du dépistage dans les stratégies de lutte et de prévention), dans les zones d'endémicité saisonnière, peut permettre de réduire la croissance exponentielle qui conduit à une évolution de la dynamique de transmission vers une forme épidémique dans les plus grandes villes de la région.

Les dynamiques spatiales et temporelles de la maladie soulignent ainsi, par delà les processus biologiques et sociaux, les spécificités d'un système de villes hiérarchisé sur lequel viennent s'ancrer des pratiques de l'espace inscrites dans un fonctionnement structurel de populations mobiles . C'est donc le système pêche saisonnière ancré dans le réseau de circulation lui même appuyé sur un système de villes qui constitue les fondations de l'émergence épidémique du choléra dans les capitales régionales du Katanga et Kasaï Oriental en RDC.

Il s'agit donc de fournir les grilles d'analyse et de lecture sur

- les lieux

- les temporalités : pourquoi maintenant et pas avant ?

- les déterminants

...et ce, aux bonnes échelles (l'obsession du géographe ?)

Plus globalement, il s'agit d'identifier la bonne maille, et extraire les indicateurs. Les processus doivent être contextualisés, dans chaque zone géographique, il s'agit d'éviter le piège des « recettes » clé en main.

L'enjeu est donc de multiplier les exemples sur les modèles de diffusion de la maladie : les exemples aujourd'hui bien analysés sont la dengue, la grippe aviaire, le SRASS, la peste, le choléra notamment. Les modèles d'analyse diffèrent selon les lieux, car le schéma de diffusion n'est pas le même ni suivant les territoires ni selon les pathologies.

Ces analyses, si elles conduisent à la mise en évidence d'indicateurs sur les processus doivent obligatoirement être relocalisées dans l'espace aux bonnes échelles pour les différentes étapes de la dynamique spatiale et temporelle: émergence, circulation, diffusion, propagation.

Priorité dans une vision prospective :

Améliorer la vigilance épidémiologique , définir la hiérarchie des risques dans l'espace, et permettre ainsi d'identifier les foyers d'émergence, de diffusion et de propagation potentiels.

Il s'agit de documenter l'aire d'expression du risque, d'analyser son mécanisme de diffusion, en retenant que celui-ci sera différent suivant les espaces.

Améliorer la prise en charge précoce des cas pour limiter l'essor de la maladie

On sait quelles caractéristiques permettent à la maladie d'apparaître, diffuser : mais l'essentiel est d'identifier les aires d'expression de ces risques en identifiant, aux bonnes échelles d'analyses, les espaces et les lieux qui remplissent les conditions de réussite des processus épidémiologiques et en fonction des caractéristiques des espaces. Par rapport à ce dernier point les connaissances sont beaucoup plus lacunaires. Il importe de comprendre les facteurs qui déclenchent les processus de diffusion et de les relocaliser.


* 45 UMR INSERM-IRD-U.Marseille "Systèmes Economiques et Sociaux de la Santé et Traitement de l'Information Médicale"

* 46 Pour aller plus loin sur la dynamique des rongeurs et les maladies associées : Jean Marc Duplantier, Biologiste IRD, rodentologue, Directeur adjoint de l'UMR CBGP, Montpellier, Campus de Baillarguet à Montferrier/Lez

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