5. Françoise Weber, Directrice-Générale et Jean-Claude Desenclos, Directeur Scientifique de l'institut de Veille Sanitaire (INVS)
Mme Françoise Weber introduit son propos en rappelant que chaque maladie infectieuse émergente suscite des réactions différentes de la part des patients : deux victimes du SRAS ou de la légionellose peuvent susciter plus d'inquiétude que les 400 personnes décédées en réanimation en 2011 des suites de la grippe (sur un total de 1380 cas graves en 2011).
La perception des menaces infectieuses par les citoyens dépend ainsi essentiellement de l'image préalable qu'ils se font des risques encourus , ceux-ci pouvant être subis ou choisis. Cette perception est en fait conditionnée par un contexte social et médiatique donné qui produit une échelle des risques propres à chaque type de pandémie. Le rôle d'internet, comme espace de diffusion de l'information scientifique sur les risques infectieux de ce point de vue est ambigu ; il traduit d'abord une remise en question de la crédibilité de l'Etat ; mais il pose aussi la question de la pertinence de l'information diffusée. La dramatisation de certains décès par les médias (typiquement la légionellose) peut parfois conduire à une réponse publique disproportionnée par rapport aux risques infectieux réels. Les décideurs de santé publique doivent dès lors s'efforcer de conjuguer la demande sociale d'une part avec une approche proportionnée des risques .
Une pratique récurrente des décideurs publics confrontés à une crise sanitaire est de donner l'impression qu'ils contrôlent la situation . Or on sait maintenant que cette posture ne fonctionne pas comme en attestent les résultats mitigés du plan de vaccination contre la grippe A en 2009. Il est certain qu'il ne faut pas répliquer des plans pour des situations d'émergence qui sont par définition uniques. Le choix des autorités de santé de retenir un scénario s'inspirant de la pandémie de grippe de 1918, alors même que d'autres scénarii étaient à leur disposition, s'est finalement montré erroné.
Les résultats d'une campagne de lutte contre une maladie infectieuse émergente dépendent surtout en grande partie de l'implication des médecins généralistes qui restent les interlocuteurs privilégiés des malades en matière d'information médicale. Il faut par conséquent tenir compte de l'hésitation des médecins vis-à-vis des risques infectieux et de la vaccination. En outre, il convient d'insister sur le besoin des patients d'échanger avec leur médecin traitant dans une relation de confiance. Il est certain aussi qu'on a connu des faiblesses dans la communication des autorités sanitaires à destination des médecins généralistes (notamment lors de la campagne de vaccination contre la grippe A).
A la différence de l'expérience américaine où les médecins sont structurés selon une conception militaire, l'organisation des médecins généralistes 44 ( * ) en amont pour prévenir les risques infectieux demeure encore parcellaire en France . Or le médecin doit avant tout être considéré comme « un acteur communautaire de santé publique », qui se définit et doit être perçu de manière plus large qu'un prescripteur. Il faut aussi valoriser la participation des médecins traitants à la veille sanitaire afin de renforcer leur position d'acteur de santé publique et ainsi constituer un contrepoint à une communication de masse de plus en plus rejetée par le public. Il s'agit enfin de constituer des réseaux de médecins généralistes de terrain (sur le modèle de la réserve sanitaire) selon un maillage territorial défini. Ces réseaux de médecins constitueraient une tête de pont de professionnels de santé prêts à réagir et à coordonner leurs confrères en cas d'émergences infectieuses.
Il faut aussi rappeler que des émergences surviennent dans tous les domaines, et pas uniquement dans le champ des maladies infectieuses , par exemple, l'émergence du cancer du poumon chez la femme. Mais le caractère spécifique des maladies infectieuses émergentes est leur mutation extrêmement rapide dans le temps . Ce n'est qu'en intégrant ce paramètre temporel dans la réponse apportée à une situation d'émergence que celle-ci sera efficace. De ce fait, il convient de préparer des plans en prévoyant des grandes catégories de maladies infectieuses émergentes et d'exclure une approche pathologie par pathologie, ne serait-ce que par le fait qu'il existe à ce jour 600 arbovirus susceptibles de provoquer des épidémies.
Pour l'Institut national de veille sanitaire , la situation la plus préoccupante est celle qui résulte de la résistance accrue de certaines bactéries aux antibiotiques (notamment les entérobactéries). L'INvS a identifié une recrudescence de foyers potentiels de résistance notamment dans le milieu hospitalier. 70 % des cas concernent des malades rapatriés de l'étranger. Cette nouvelle menace est pour partie liée à la gestion du médicament à l'échelle mondiale et de la dérégulation totale du marché des antibiotiques dans les pays émergents, notamment les pays Méditerranéens, du Maghreb et du sous-continent Indien. La situation des pays scandinaves contraste fortement avec cette inondation incontrôlée de médicaments puisque ces pays ont mis en place des politiques de contrôle de l'usage des antibiotiques.
Il convient toutefois de ne pas sombrer dans le fatalisme et d'organiser les conditions d'une réponse appropriée à cette situation d'émergence. Les plus importantes difficultés tiennent à la coordination des différents acteurs et secteurs concernés : les professions médicales, les patients, l'industrie pharmaceutique, l'organisation des soins et les organismes de veille sanitaire. A ce titre, l'INvS a mis en place des CCLIN ( Centre de Coordination de Lutte contre les Infections Nosocomiales) qui jouent le rôle de relais, en partenariat avec les agences régionales de santé (ARS), pour détecter les risques infectieux des bactéries résistantes aux antibiotiques dans les hôpitaux.
S'agissant de la rougeole , l'INvS a dénombré en 2011 15 000 cas déclarés (avec un taux de déclaration de 50 % soit potentiellement 30 000 cas). Ces différents cas ont eu pour conséquences 1500 pneumopathies graves, 16 encéphalites et 6 décès. Cette réémergence de la rougeole en France s'explique par l'insuffisance des vaccinations notamment pour les personnes nées après 1980 . Les cas de rougeole déclarés concernent principalement les enfants en bas âge et les jeunes adultes qui oublient de se refaire vacciner. En effet la double dose de vaccination est nécessaire pour que la protection contre la rougeole soit maximale. Les risques infectieux liés à la rougeole disparaîtraient à partir d'un taux de vaccination de 95 % de la population (contre 86 % nationalement, mais seulement 75 % dans le Sud-Est du pays). Cette couverture vaccinale hétérogène sur le territoire permet de mieux cibler les populations particulièrement exposées aux menaces infectieuses.
* 44 L'organisation des professionnels de santé est régie par la Direction Générale de l'Offre de Soins (DGOS) du Ministère en charge de la Santé.