2. Catherine Leport, maladies infectieuses et tropicales, Inserm40 ( * ), Umr-S 738, Ufr Médecine, Site Bichat, Université Paris Diderot, Paris 7, Unité de coordination du risque epidémique et biologique, APHP41 ( * ), Paris
I- Le progrès technique facilite l'identification des maladies infectieuses émergentes
Afin de démontrer l'intérêt du progrès technique dans le traitement des maladies infectieuses, le Professeur Leport prend l'exemple de l'identification du SRAS. La démarche d'identification était la même que celle entreprise en 1982 pour le SIDA. Il fallait dans les deux cas découvrir quel en était l'agent responsable d'une nouvelle maladie infectieuse afin de pouvoir appréhender et lutter contre l'épidémie. Mais dans le cas du SIDA, il s'agissait d'un virus transmissible. Dans le cas du SRAS c'était un virus contagieux, l'urgence était d'autant plus importante. En 1982, pour le VIH, cela avait pris un an. En 2003 pour le SRAS, l'identification de l'agent responsable de la nouvelle maladie infectieuse a été réalisée en un mois.
Cette identification rapide a été permise grâce au progrès technique .
En effet, l'apparition des ordinateurs a permis le séquençage, et a facilité et accéléré la caractérisation du génome du virus. Par ailleurs le Professeur Leport souligne l'importance de l'outil internet : les chercheurs qui ont accepté de partager leurs recherches ont pu collaborer par les réseaux, à travers le monde.
Mais le progrès n'éradique pas le risque.
II- Appréhender les risques
L'Homme s'adapte dans un environnement où il cohabite avec les agents infectieux. Ainsi, malgré toute préparation, il y aura toujours des maladies infectieuses émergentes. Il faut prendre conscience de cela.
A ce titre, l'exemple du SIDA montre que malgré tous les progrès réalisés et la maîtrise de l'épidémie dans certains territoires, la maladie existe toujours et cause d'importants dégâts dans les zones les plus touchées de la planète.
De nouvelles maladies infectieuses continueront d'apparaître.
La société et le monde évoluent : l'environnement change (concentration de population, urbanisation). Il faut donc faire face à de nouvelles maladies infectieuses, mais également à de nouvelles formes de risques.
Certains risques doivent être appréhendés à la fois par la communauté scientifique et par la défense nationale. Dans ce contexte, le Professeur leport met en avant la notion de « risque épidémiologique et biologique » qui rapproche le risque d'infection naturelle et le risque d'infection provoquée mal intentionnée. En situation d'acte de bioterrorisme comme en septembre 2001, il est bien apparu qu'une partie notable des désordres causés était due à un afflux massif de patients suspects d'avoir été exposés au bacille du charbon. C'est ainsi que de nombreuses personnes ont fait appel aux secours, car ils avaient ouvert une enveloppe contenant une poudre blanche non identifiée (sucre, farine...) dont les examens ont montré par la suite qu'elles n'étaient en fait pas contaminées. Les autorités ont alors identifié des services référents de maladies infectieuses de CHU dans chacune des zones de défense vers lesquels orienter et canaliser cet afflux de personnes à prendre en charge.
Néanmoins, même si les risques persistent, l'Homme s'adaptera avec les ressources et les capacités qui ont évolué. Il faut les appréhender au mieux.
En cas de présence d'un risque sanitaire dû à une maladie infectieuse, c'est l'institut de veille sanitaire qui, en France, signale la nouvelle maladie. L'OMS réalise une cartographie et regroupe les informations sur l'épidémie au niveau mondial, et déclare la pandémie lorsqu'elle le juge approprié.
Suite au SRAS, des progrès ont été réalisés en France sur la réaction face à l'émergence d'une nouvelle maladie infectieuse.
Le Secrétariat général de la défense s'est vu confier la mission par l'Etat de rédiger un plan de prévention et de lutte contre une pandémie grippale .
Une première version de ce plan pandémie se déroulait en 6 phases, tirant les conséquences du SRAS. Une version 2011 a récemment été publiée. Elle a intégré des modifications suite à la pandémie H1N1 2009. Le Professeur Leport estime qu'il a notablement évolué et qu'il a fait l'objet d'un travail de mise en forme extrêmement pédagogique.
Lors de l'émergence d'une nouvelle maladie infectieuse, il faut tenir compte de 2 caractéristiques principales pour décider des mesures : la contagiosité et la gravité de la maladie.
Une maladie qui répond aux 2 caractéristiques à grande échelle (très contagieuse et grave) doit être le centre de toutes les attentions. Lorsqu'on se situe entre les 2, la réaction doit être adaptée. Si la maladie n'est pas grave mais très contagieuse, il faut éviter une réaction excessive.
Par exemple, la tuberculose est très contagieuse, mais elle peut aussi être grave, voire très grave si elle n'est pas traitée à temps. D'autant que cette maladie touche les populations précaires dont l'accès aux soins est imparfait et qui ne sont donc pas forcément traitées rapidement. En France la tuberculose refait surface. On dénombre notamment 30 personnes touchées en Seine Saint-Denis. Cette maladie infectieuse s'attrape et évolue au fil des lieux, des rencontres, des circonstances. Face à cette réémergence de la tuberculose, on voit apparaître une stimulation de l'industrie pharmaceutique, alors que les médicaments antituberculeux avaient peu évolué depuis 30 ans. De nouveaux produits pour traiter la tuberculose sont en cours de développement.
Il faut agir de façon concertée et graduée.
Le Professeur prend comme exemple le plan pandémie face au H1N1, qui en est la première application. On s'est préparé en pensant que ça pouvait être très contagieux et grave à partir du phénomène H5N1 qui sévissait de façon limitée en Asie depuis quelques années. Finalement, le virus H1N1 de 2009 était contagieux mais moins grave qu'attendu. On aurait dû être plus flexible .
Cependant, les mesures prises à grande échelle pouvaient s'expliquer dans la mesure où la France sortait alors de la canicule dévastatrice. Afin d'ajuster la réponse, ces événements nécessitent une réaction concertée entre les politiques et les scientifiques. Notamment, les élus se doivent d'informer les citoyens, en se basant sur les expertises des scientifiques.
Selon le Professeur, il y a un moment décisif dans le développement d'une maladie infectieuse épidémique, lorsque la courbe de progression se casse avec une augmentation rapide et importante du nombre de cas. C'est à ce moment précis que les actions entreprises sont déterminantes, peuvent influer sur le profil de la courbe et ralentir la contagion.
Il est alors nécessaire de prendre des mesures graduées, sans être dans le catastrophisme, ni exclure toute action. Il faut adapter l'action au risque.
III - Former un réseau d'acteurs coordonnés
Au moment de la survenance d'une crise et en amont, il est nécessaire que tous les acteurs agissent de concert . Ils doivent notamment travailler ensemble pendant la phase de préparation à un risque épidémique durant la période intercrise. La Direction Générale de la Santé, déjà surchargée, a du mal à assumer ce rôle de préparation et de maintenance.
La première loi de santé publique, adoptée en 2004 est tardive. Elle crée le Haut-Conseil de Santé Publique, auquel est confiée une mission globale, en 2006. Après deux ans, un groupe de travail y est constitué pour élaborer un rapport prospectif sur les maladies infectieuses émergentes.
Les membres dressent des constats dans ce rapport et souhaitent y donner suite. La principale recommandation concerne la création d'un tissu, regroupant des spécialistes de plusieurs branches, maintenus en état de vigilance permanente: chercheurs, enseignants, scientifiques, sociologues et politiques . Ils se sont alors réunis dans une activité annuelle de séminaire.
Créer une nouvelle structure sur ce sujet est une recommandation du Haut Conseil dont la mise en application requiérerait des efforts soutenus et conjugués. Dans l'attente de la création d'une telle structure, les responsables ont considéré qu'il était important de développer une activité de ce type sous forme d'un séminaire annuel 2011, renouvelé en 2012.
Le premier séminaire réunissant des acteurs très divers s'est déroulé en novembre 2011. Il a réuni des chercheurs en santé animale ou humaine. Seuls deux députés étaient présents, du même bord politique. Monsieur le Député Jean-Pierre Door et Monsieur le Député européen Philippe Juvin . Il est envisagé de systématiser ce groupe avec un pilotage depuis le Parlement. Le comité économique, social et environnemental, formé d'associations et d'acteurs de la société civile pourrait éventuellement être associé à ce travail.
Chaque institution doit pouvoir y être représentée. L'enjeu de cette activité de séminaire est d'apporter les bases de réponses cohérentes et de préparer la société dans l'éventualité d'une crise.
Le but est de poser les bonnes questions. Par exemple en remédiant à la méfiance de la population à la vaccination qui progresse. Comme certaines fermes biologiques qui refusent tout vaccin pour leurs élevages.
Il est essentiel de prévenir et agir de façon très pédagogique.
IV- La nécessité d'adapter la consommation de médicaments anti-infectieux aux risques
La société doit consommer mieux et moins (« M&M ») les antibiotiques tout en tenant compte des risques. Lutter contre la surconsommation tout comme le refus de la consommation.
Le risque est le développement des bactéries résistantes et notamment l'apparition de bactéries hautement résistantes émergentes (BHRE). Les résistances développées à la tuberculose en sont un exemple.
D'énormes investissements ont été mis en oeuvre pour lutter contre l'extension de la résistance bactérienne. Le message est clair : les chercheurs ont travaillé, les résultats des études sont transmis, les décisions doivent être prises. Il est indispensable de coordonner les plans antibiotiques humains et animaux.
A une époque, l'industrie pharmaceutique a développé énormément d'antibiotiques mais il y a eu une gestion déraisonnable de ces médicaments. L'utilisation des antibiotiques est excessive et trop souvent mal adaptée.
L'industrie pharmaceutique fait volontiers valoir que les nouveaux médicaments sont plus puissants, ce qui est à la fois vrai et faux. En effet les nouveaux antibiotiques sont plus puissants, mais chaque antibiotique a un spectre d'application spécifique et il faut éviter, chaque fois que possible, de donner les antibiotiques avec les plus larges spectres pour des pathologies qui ne le nécessitent pas.
Par ailleurs il est important que l'AFSSAPS adapte son mode de surveillance des effets secondaires à long terme des médicaments. En effet, une fois qu'un médicament avait obtenu une autorisation de mise sur le marché, la surveillance était plus lâche et pouvait devenir insuffisante pour détecter des effets de fréquence faible qui n'avaient pas été repérés précédemment.
V- Les enjeux pour l'avenir
Le Professeur Leport, avec le Professeur Guegan, a animé un rapport prospectif sur les maladies infectieuses émergentes 42 ( * ) . Ce rapport a été largement diffusé, notamment à l'occasion de la journée de réflexion organisée par le Ministère des Affaires étrangères en octobre dernier. Elle évoque des pistes de réflexion :
- Renforcer la démarche collective de santé publique :
La santé publique devrait être plus intégrée au cursus des médecins. L'enseignement doit être interdisciplinaire. Les médecins sont formés dans une relation singulière patient/ médecin. Cette relation singulière est importante car elle doit permettre de tenir compte de l'expérience des personnes et des retours qu'ont les médecins du grand public. Mais les médecins doivent également prendre conscience de leur rôle d'acteur de santé publique . A titre d'exemple, les médecins qui refusaient de vacciner lors de l'épidémie du virus H1N1 2009 ne considéraient pas à sa juste place cette dimension de santé publique.
- Mener une action face aux crises en amont et en aval, en 2 temps :
Expertise
Il faut créer un réseau qui fournirait tous les éléments d'information en synthétisant les connaissances destiné à tous les acteurs impliqués, sans oublier le grand public. Le Professeur Leport estime qu'il serait bénéfique de créer une capacité de réaction rapide et évolutive. Et d'arrêter de réfléchir et d'agir de crise en crise. C'est le but de la création d'un réseau et d'un groupe de prospective sur ce sujet.
Les chercheurs en santé humaine et en santé animale doivent interagir encore plus : vétérinaires, virologues, sociologues, médecins, experts politiques. Cependant l'action ne doit pas se cantonner au territoire national mais doit s'envisager dans une réflexion plus large, internationale. Au niveau international, les liens entre l'OMS et l'OIE doivent se renforcer.
Communication/Sensibilisation/Pédagogie
Les sciences sociales devraient être intégrées à la préparation de la gestion de crise. L'idéal serait d'y impliquer des chercheurs en communication, qui sont malheureusement rares en France.
Pour sensibiliser le grand public il peut être très intéressant d'utiliser les nouveaux modes de communication tels qu'internet ou les réseaux sociaux pour toucher le plus grand nombre. Mais cela doit être encadré par des spécialistes.
Cela pourrait se faire par la mise en place d'un site internet. La création d'un blog en parallèle de la rédaction de ce rapport intéresserait donc le Professeur Leport. Cet outil de communication mérite d'être développé, afin de créer une bibliothèque de données, d'informations et de sensibilisation. Il pourrait donner l'exemple d'une sensibilisation par l'échange, tenant compte de la perception et de l'expérience des citoyens.
La France a réalisé un document « plan pandémie » très clair et très pédagogique. Cet effort est vraiment nécessaire car le manque de communication ou le défaut d'explication sont nuisibles.
- Réfléchir à un nouveau mode de gouvernance
La santé publique est mondiale, elle n'a pas de frontière. En Europe la coopération entre les Etats pourrait être renforcée.
Il n'est pas exclu que des pôles hospitaliers référents sur les maladies infectieuses se forment dans certains Etats. Par exemple, en Italie il y a un projet piloté dans ce domaine autour d'un hôpital entièrement dédié aux maladies infectieuses.
La sécurité mondiale dépend du maillon le plus faible . Par exemple, en Inde où l'on teste la population au bleu de méthylène (à préciser avec Mme Keller ), on ne peut détecter que 60 % des personnes infectées. En revanche, elles sont traitées avec 4 antibiotiques. Si dans les zones très infectées, la notion de « moins et mieux » n'est pas appliquée, de la multi résistance peut se créer et se transmettre.
- Mêler d'autres organes de la société à la gestion et la prévention des crises
Vie privée et vie professionnelle sont étroitement imbriquées. En cas d'épidémie les entreprises risquent de forts taux d'absentéisme. Elles sont donc particulièrement concernées et motivées pour participer à cette préparation. Des exercices pourraient être utiles à la prévention, par exemple avec l'aide des CHSCT 43 ( * ) dans les entreprises.
* 40 INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale
* 41 APHP : Assistance publique - Hôpitaux de Paris
* 42 Rapport « Les maladies infectieuses émergentes : état et perspectives », Catherine Leport, Jean François Guegan, La Documentation française, juin 2011, 208 pages
* 43 CHSCT : Comité d'Hygiène, de Sécurité, et des Conditions de Travail