B. COMPTE-RENDUS DES AUDITIONS

1. Thierry Pineau, directeur de recherche et chef du département santé animale (Tours) Dominique Martinez, enseignant-chercheur au CIRAD30 ( * ) et directeur de l'UMR-Inra-Cirad de Montpellier et Philippe Chemineau, directeur de recherche et délégué à l'expertise scientifique collective à la prospective et aux études (INRA) 31 ( * )

I. Constats de prospective, évolutions et perspectives de l'INRA

Monsieur Philippe Chemineau présente une note de prospective réalisée en 2005, actualisée en 2012 pour étudier les avancées réalisées.

L'équipe a été renouvelée et ce ne sont plus les mêmes acteurs qu'en 2005, l'une des rédactrices, Sandrine Paillard est partie à l'ANR 32 ( * ) .

La note concerne les végétaux également. Mais les considérations sur les végétaux ne seront pas présentées lors de l'audition car leurs pathologies ne se transmettent pas à l'Homme. Ce sont des vecteurs 33 ( * ) qui transportent les virus sur de longues distances.

La note de 2005 a été réalisée sur la base de documentation et d'auditions qui n'ont pas été renouvelées depuis 2005. La méthode utilisée est classique en matière de prospective : description des composantes principales à prendre en compte, combinaison de celles-ci et scenarii raisonnables, puis détermination des enjeux et rôles de l' INRA.

1. Le thème comprend quatre composantes principales

- Gravité des maladies émergentes

- Capacités cognitives face aux maladies émergentes et épidémies

- Gouvernance mondiale en matière de santé des animaux

- Articulation des rôles en France, en matière de recherche, d'expertise, d'évaluation et de gestion des risques.

2. Combinaison des composantes

Diverses hypothèses peuvent se dessiner au sein des composantes.

Première composante : Gravité des maladies émergentes et des épidémies :

Hypothèse n°1 : Des épidémies mondiales avec pathogènes nouveaux, virulents et franchissant les barrières de l'espèce.

Hypothèse n°2 : Disséminations limitées de pathogènes voisins, de même type à peu près connus.

Deuxième composante : Capacités cognitives face aux maladies émergentes et épidémies :

Hypothèse n°1 : La recherche produit des connaissances utiles et efficaces pour faire face.

Hypothèse n°2 : La recherche est dépassée (n'est pas en capacité, ou n'est pas en moyens).

Et cette hypothèse ne concerne pas uniquement le Sud. En effet, il faut considérer le scenario « saut de puce » qui renvoie aux pathologies qui émergent subitement au coeur de l'Europe. Par exemple, pour la fièvre aphteuse, le virus s'est propagé en Angleterre suite à un sandwich en Angleterre dont les restes ont été mangés par un porc.

Troisième composante : Gouvernance mondiale en matière de santé des animaux :

Hypothèse n°1 : L'Europe est partenaire d'une gouvernance mondiale.

Hypothèse n°2 : Absence de gouvernance supranationale: chaque pays agit seul.

Articulation des rôles en France, en matière de recherche, d'expertise, d'évaluation et de gestion des risques :

Hypothèse n°1 : Séparation des fonctions avec coopération efficace.

Hypothèse n°2 : Séparation des fonctions sans coopération.

La combinaison de ces hypothèses donne des scenarii envisageables. Un scénario d'ensemble est une combinaison d'états de chaque facteur.

Divers scenarii se dessinent, sur une échelle de gravité de I à IV.

I. Situation maîtrisée ?

Les avancées scientifiques et institutionnelles aux plans national et international permettent une maîtrise des maladies émergentes, la France y contribuant pleinement dans le cadre Européen ; la situation est maîtrisée même dans le cas d'émergence de pathogènes nouveaux et dangereux.

II. Des risques élevés de maladies à fort impact ?

Des risques importants liés aux maladies émergentes, face auxquels la recherche est impuissante et les nations, dont la France, incapables de coopérer.

III. Un « chacun pour soi », générateur de tensions ?

Face à l'incapacité des Etats à coopérer pour mettre en oeuvre des politiques de prévention, les réponses sanitaires existent, mais sont curatives et ne bénéficient qu'à certains pays ou certaines zones, ce qui crée des tensions fortes.

IV. La France, partenaire peu dynamique ?

La communauté internationale avance vers des réponses scientifiques et trouve des régulations efficaces, mais la France, par manque d'articulation entre capacités de recherche et bases de données sur les risques, n'est pas en capacité de développer suffisamment des approches épidémiologiques. De ce fait, elle ne contribue pas autant que souhaitable à l'affirmation scientifique et géopolitique de l'Europe en ces domaines.

3. Quels sont les enjeux pour l'INRA ?

Cette démarche a permis d'avoir une vision globale pour lancer des actions efficaces et effectives. Cette vision souffre des contradictions au sein des institutions. L'INRA a tenu compte de la note prospective de 2005 en développant les interactions.

A. Développer les interactions avec les acteurs de santé des animaux

Partenariats de recherche

Des collaborations sur les maladies émergentes se forment : Unité mixte de recherche INRA - CIRAD à Montpellier, le consortium Agreenium, le WUR, Université de Wageningen aux Pays-Bas, qui collabore activement avec l'INRA.

Relations avec les institutions

L'ANSES 34 ( * ) qui fait de l'expertise et de la recherche finalisée sur des objets en situation d'émergence, ou le R31 qui est un réseau animé par l'ANSES.

Relations avec les professionnels

L'Institut Carnot procède à une labellisation et à la réalisation d'un portail pour les entrepreneurs.

B. Concevoir des dispositifs pour construire les bonnes questions de recherche.

Ce sont les bénéfices du développement des interactions mises en place.

- Accès aux bases de données et aux banques d'échantillons

- Accès aux connaissances et appropriation de nouvelles méthodologies. On vise l'excellence scientifique, la publication dans les meilleurs journaux.

- Conditions financières et expérimentales

- Construction conjointe des questions scientifiques

II. Santé publique et santé animale : « One Health »

Cette dynamique entre la santé publique et animale est développée par le Professeur Pineau. L'angle de recherche dans la situation récente se situe après de nombreuses situations de crise (SRAS, tremblante, fièvre aphteuse). Les chercheurs ont beaucoup appris et sont plus réactifs.

Aperçu du contexte actuel :

Emergence du virus de Schmallenberg : C'est un virus original. Le virus le plus proche est le virus Akabane apparu au Japon sur les veaux dans les années 1970.

Le virus de Schmallenberg est zoologique. Il passe inaperçu, il touche les ruminants et se manifeste par des malformations à la mise à bas. Il est présent aux Pays Bas, en Belgique, en Allemagne et en Grande Bretagne. La France est également touchée dans 100 élevages sur 19 départements. Le virus de Schmallenberg est véhiculé par les moustiques, les moucherons et les tiques. Il n'y a apparemment pas de transmission horizontale. Les chercheurs ont déjà bien cerné le virus mais il reste encore de la recherche à faire.

Sa vitesse de dispersion est très rapide. Il se propage plus vite que la fièvre catarrhale ovine. Il s'est propagé des Pays-Bas à la Haute Vienne très rapidement. Il sévit ponctuellement mais la saison de 2012/2013 va être dure. Il pourrait engendrer 50 % de pertes en Allemagne.

Cette problématique soulève également la question du transport des animaux qui a un impact sur la propagation des virus. A titre d'exemple, le Professeur Pineau soulève l'aberration économique de l'abattage en Roumanie de bovins provenant de l'Ouest de la France pour ensuite être réexpédiés en Europe.

Nouvelle émergence de la tuberculose en France :

Le statut exempt de la France risque de lui être retiré. Par exemple, en Côte d'Or, on assiste à un échange de souche entre la faune sauvage et les élevages. Or la tuberculose bovine peut être transmise à l'Homme.

Pour être exempt par l'OIE 35 ( * ) , il y a un plafond (x/million) à ne pas dépasser. La France s'en rapproche.

Le Virus de Schmallenberg ne fait l'objet d'aucune réglementation pour l'instant

Les règlementations dépendent des impacts économique et sanitaire. Les deux sont articulés au regard des acteurs. L'émergence d'une maladie infectieuse a un coût, notamment pour les éleveurs. Ce coût se traduit par exemple par la surcharge de travail, les visites de vétérinaire. Il faut faire un calcul global avec les charges finales.

Angle du pourvoyeur de recherche

Face à une émergence en France c'est le DGAL 36 ( * ) qui agit. Il est le prescripteur et le gestionnaire des risques. La détermination des priorités est faite par le Réseau Français pour la Santé Animale.

Tous les acteurs sont alors mobilisés au sein de plateformes nationales sans enjeu de pouvoir. Leurs priorités sont la recherche et la rapidité. Il faut agir de façon exemplaire avec une capacité rapide de réaction.

L'anticipation n'est pas d'opérer une recherche sur tous les risques. Il faut construire une culture de la réactivité en agissant par analyse de contexte et priorisations et disposer de réseaux internationaux opérationnels. Tels que la World Health Organisation, l'OIE ou le CaribVet. Il faut construire une base de données comprenant les vecteurs, les vaccins ou les diagnostics.

Depuis 2005 il y a des actions collaboratives, issues d'un projet et d'un financement européen.

Construire la réactivité. Les chercheurs savent qu'ils peuvent à tout moment changer de type de recherche, ce qui est très difficile. En situation d'émergence, ils ont conscience qu'il est impossible de ne pas répondre.

La réactivité conjoncturelle et la réactivité structurelle forment les deux dimensions de cette réactivité face à une crise.

La réactivité conjoncturelle est fondée sur les parties prenantes identifiées, organisées et expérimentées, ainsi que sur les procédures. Elle se caractérise par le développement des agences de coordination et des réseaux.

L'UE finance déjà une action de coordination pour que les acteurs puissent se connaître, pour développer plus de réseaux. 17 pays sont partie à cette coordination, notamment le Brésil et les Etats-Unis.

Le premier temps pour préparer la réactivité est la constitution de réseaux, le second temps est le financement et la structuration de la réactivité qui passe par des installations performantes.


L'INRA dispose à Tours d'un centre de confinement A3 (sur une échelle allant jusqu'à A4) : l'INPREST 37 ( * ) . Il est caractérisé par une confidentialité absolue. Par ailleurs, la sécurité sanitaire est très renforcée: les animaux expérimentés sont dépecés puis passés à la soude. Les chercheurs y réalisent tout type d'expériences. Par exemple, le 1 er mars 2012, les chercheurs de l'INRA vont procéder à une inoculation du virus de Schmallenberg sur des veaux et des moutons.

La politique « ONE HEALTH » doit se développer : « Un monde, une santé » . C'est une dynamique qui se diffuse. Cette démarche vise à rapprocher la recherche infectiologie humaine avec la recherche animale.

Des agences ont déjà été regroupées, mais il faut développer des interfaces, notamment celles entre la DGS 38 ( * ) , l'INSERM 39 ( * ) , l'Institut Pasteur et les cliniciens.

Les partenariats existent déjà pour les travaux sur les résistances aux antibiotiques qui s'échangent entre animaux et humains . Ces interfaces doivent se renforcer.

La problématique des antibiotiques est importante, leur usage doit être raisonné. Contrairement aux Etats-Unis où ils sont utilisés comme facteurs de croissance, en France beaucoup d'efforts ont été réalisés pour réduire leur consommation.

Les antibiotiques peuvent développer des résistances. Par exemple, suite au virus H1N1, des restes de Tamiflu sont apparus dans les eaux des grandes villes d'Asie, malgré l'assainissement. Des canards ont développé des résistances aux souches de virus grippaux. Or les résistances sont transmissibles à l'Homme.

Une vision plus globale des problématiques des résidus des médicaments est nécessaire . Un programme existe déjà pour les eaux usées des hôpitaux -qui s'évacuent majoritairement par les réseaux ordinaires, mais il n'est pas suffisant.

Comment construire la réactivité face aux émergences ?

La coordination internationale doit être renforcée en appliquant plus de souplesse et de flexibilité. Il faut augmenter les échanges entre les acteurs et mettre à disposition des infrastructures.

Les cadres préétablis des partenariats publics-privés ont besoin d'être développés.

Un fond d'investissement d'urgence mobilisable très rapidement devrait être rendu disponible . Le problème tient au financement. Pour réagir face au virus H1N1 il avait fallu faire du « porte à porte ».

Il conviendrait de mettre en place un cadre conceptuel qui tient compte de la sociologie des acteurs. Chaque personne qui fait un effort perçoit un « retour sur investissement » à travailler sur le sujet. C'est un moteur de l'engagement.

Par exemple un éleveur qui remplit une enquête épidémiologique pourra faciliter la recherche et éviter des pertes en cas de virus.

Se pose également la problématique de la surveillance des agriculteurs. Par exemple, concernant le virus de Schmallenberg, aux Pays-Bas les femmes des éleveurs qui sont enceintes sont surveillées.

La recherche en santé animale française manque encore d'interactions avec la clinique humaine. Par exemple, le site du Ministère de l'Agriculture indique que le virus de Schmallenberg n'entraîne pas de risque. Alors qu'au Royaume-Uni, le Département en charge de l'Agriculture risque considère le risque comme faible (mais le Royaume-Uni reste toujours très prudent depuis la vache folle).

III. Les maladies émergentes au CIRAD

Selon Monsieur Dominique Martinez, le CIRAD s'apparente à un « INRA tropical ». 1800 personnes y sont rattachées dont la moitié sont des chercheurs. Le CIRAD travaille en liens étroits avec l'INRA. Ce centre agit en recherche et en développement en faisant beaucoup de formations, d'actions à l'université et en développant l'expertise. L'action du CIRAD sur les animaux représente 10 % de son travail, le reste concerne les végétaux.

Le concept de « One Health » est à exploiter pleinement: santé humaine, animale et végétale. L'interface Nord/ Sud doit également être développée, il faut saisir et contrôler les maladies à la source.Alors que dans les pays du Sud il est important de contribuer à la sécurité et la sûreté alimentaire et au développement économique. En Europe il est nécessaire d'insister sur la protection sanitaire dans un contexte de globalisation.

Le CIRAD fonctionne par réseaux. Il dispose d'une plateforme technique dans les TOM et bénéficie d'un rayonnement régional.

Il procède à une collecte fréquente des culicoides depuis la fièvre catarrhale ovine pour des raisons économiques (pas d'export). Pour pouvoir exporter, il faut prouver qu'il n'y a plus de vecteur actif.

Le CIRAD a conservé ainsi 3 années de base de données des culicoides. Ces données pourraient être utilisées dans la recherche sur le virus de Schmallenberg, afin de chercher l'origine de l'émergence.

Des réseaux de partenariats dans les régions doivent se développer en lien avec la santé humaine. Les médecins sont organisés en réseaux (RSIE) avec les vétérinaires, le réseau de l'Océan indien est le plus développé. Les comités de directions sont croisés. L'AFD est d'ailleurs prête à financer un projet commun.

Des réseaux entre pays qui ont un développement différent devraient être développés. Un grand réseau en Afrique devrait une porte d'entrée. La formation -et la construction- de capacités a besoin d'être encouragée. Il s'agit de trouver des solutions pour éviter que les chercheurs, notamment en Afrique, quittent leurs pays d'origine pour aller d'autres pays offrant une meilleure rémunération. Néanmoins la plupart vont dans les institutions internationales.

Quels sont les points d'amélioration ?

Les financements et programmes pour la recherche dans les pays du Sud ont disparu, tout comme la coopération technique. Il faudrait encourager la banque de développement à le faire. Il n'y a pas non plus de composante sud en partenariat avec l'Europe. Cela est dû à la compétition dans la recherche standard dans un but d'excellence scientifique. Or lorsqu'il s'agit de recherche finalisée, l'ANR ne verse pas beaucoup de crédit car elle agit surtout sur l'excellence.

Dans la coopération avec le Sud, l'ANR ne finance que les équipes françaises, les autres chercheurs ne trouvent pas de financement. Les partenariats avec le DGAL et le Ministère des affaires étrangères ne sont pas totalement fluides et pourraient être renforcés.

Parallèlement au développement des réseaux et au soutien de la recherche dans les pays du sud, il est essentiel de renforcer les interfaces entre les chercheurs car 75 % des maladies infectieuses humaines viennent des animaux. Ces interfaces ne bénéficient pas d'investissements.

Par ailleurs il est essentiel de poursuivre la recherche et l'anticipation. De nouvelles maladies, encore inconnues, comme par exemple les bactéries qui se développent dans le tube digestif vont émerger. Mais les financements ont diminués.

L'acceptation sociétale doit être renforcée en créant notamment des liens entre l'avenir des élevages et la recherche. C'est par exemple la question des polémiques sur la création de virus grippaux en les rendant hautement pathogènes. Cette création artificielle a ému l'opinion publique. La pratique de la gestion du sanitaire pourrait être développée, notamment en sensibilisant sur l'utilisation du vaccin pour répondre à la peur du corps étranger.


* 30 CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

* 31 INRA : Institut National de Recherche Agronomique

* 32 ANR : Agence nationale de recherche

* 33 Support de transport des virus. Cela diffère des agents de transmission. Néanmoins les vecteurs sont importants car cela permet de transporter des virus sur de longues distances.

* 34 ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire

* 35 OIE : Organisation mondiale de la santé animale, dirigée par B. Vallat, équivalent de l'OMS pour les animaux, établit les règlementations.

* 36 DGAL : Direction générale de l'alimentation

* 37 INPREST : Installation  nationale  pour  la  recherche  sur  les  encéphalopathies spongiformes transmissibles

* 38 DGS : Direction générale de la santé

* 39 INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale.

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