C. UN IMPACT SUR L'AUTONOMIE ET LES CHOIX DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Une autonomie financière préservée, une autonomie fiscale amoindrie
a) L'autonomie financière des collectivités territoriales est préservée

Le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales figure à l' article 72-2 de la Constitution qui dispose que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».

La loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales 51 ( * ) a fixé les conditions dans lesquelles ce principe est mis en oeuvre : les ressources propres des collectivités territoriales sont « constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs ».

L'autonomie financière des collectivités territoriales s'évalue donc en calculant le rapport entre le montant d'un ensemble très large de ressources fiscales - puisqu'il comprend des recettes dont le taux n'est pas modulable - et le montant de la totalité de leurs ressources.

Ce rapport ou ratio d'autonomie financière ne peut être inférieur pour chaque échelon territorial à un objectif minimal , correspondant au niveau de ressources propres observé pour l'année 2003. Ce niveau s'établissait alors à 60,8 % pour le bloc communal , 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions .

Dans ce cadre légal, l'autonomie financière des collectivités apparaît aujourd'hui largement préservée même si la réforme a incontestablement mis un terme à l'ampleur de la progression du ratio depuis 2003 .

Pour l'apprécier, la mission commune d'information dispose tout d'abord des évaluations figurant dans le rapport « Durieux-Subremon », qui prévoyait, avant la réforme, que le ratio d'autonomie financière du bloc communal s'établirait à 63,7 % en 2011 , celui des départements à 67,0 % et celui des régions à 55,9 % pour la même année.

Ces prévisions d'évolution s'intégraient de manière linéaire au bilan de la progression des ratios d'autonomie financière des collectivités territoriales observée sur la période 2003-2009 .

Ratios d'autonomie financière par échelon territorial pour la période 2003-2009

Communes et EPCI

Départements

Régions

Ratio constaté pour 2003

60,8 %

58,6 %

41,7 %

Ratio constaté pour 2004

61,3 %

63,4 %

40,8 %

Ratio constaté pour 2005

61,2 %

66,4 %

44,1 %

Ratio constaté pour 2006

61,8 %

65,5 %

48,1 %

Ratio constaté pour 2007

62,0 %

66,0 %

53,2 %

Ratio constaté pour 2008

62,5 %

66,4 %

55,7 %

Ratio constaté pour 2009

62,3 %

65,5 %

54,0 %

Source : DGCL (février 2012)

La mission aurait souhaité également disposer des ratios constatés pour l'exercice 2010. Ceux-ci ne sont pas disponibles aujourd'hui 52 ( * ) , pas plus que ne le sont ceux pour l'année 2011, qui présentent l'intérêt d'être les premiers ratios intégrant l'ensemble des effets de la réforme . On peut toutefois observer que l'évolution constatée des ratios d'autonomie financière des collectivités territoriales laisse des marges de manoeuvre pour une éventuelle diminution à compter de l'année 2010 puisque les ratios constatés en 2009 sont supérieurs aux seuils fixés par la loi organique (+ 1,5 % pour le bloc communal, + 6,9 % pour les départements et + 12,4 % pour les régions).

Selon la Direction générale des collectivités locales, il est possible d'évaluer aujourd'hui ce ratio pour l'année 2011 à partir du montant des dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) allouées à chaque niveau de collectivité.

Comparaison entre le ratio d'autonomie financière de 2003, le ratio évalué par la mission « Durieux-Subremon » et le ratio 2011 estimé par la DGCL

Communes et EPCI

Départements

Régions

Ratio minimal d'autonomie 2003

60,8%

58,6%

41,7%

Ratio estimé pour 2011

61,2 %

63,1 %

51,3 %

Ratio évalué dans le rapport « Durieux-Subremon »

63,7 %

67 %

55,9 %

Source : DGCL (février 2012)

Le ratio d'autonomie financière pour chaque niveau de collectivités territoriales serait ainsi supérieur au niveau constaté en 2003 (+ 0,4 % pour le bloc communal ; + 4,5 % pour les départements ; + 9,6 % pour les régions) mais sensiblement inférieur aux évaluations du rapport « Durieux-Subremon ».

La méthodologie employée pour le calcul des ratios et la complexité des modalités de transferts de certaines impositions de l'Etat vers les collectivités incitent à considérer ces chiffres avec réserve .

b) Une autonomie fiscale limitée

L'autonomie fiscale des collectivités territoriales, contrairement à leur autonomie financière, ne fait l'objet d'aucune définition constitutionnelle et ne bénéficie par conséquent d'aucune garantie légale.

Cette autonomie fiscale a été fortement remise en cause par la réforme . Les départements et les régions, en particulier, ont perdu une partie de leurs marges de manoeuvre en matière de fixation des taux et en termes de bases d'imposition, désormais réduites corrélativement à l'augmentation de la part des dotations de l'Etat dans le panier de recettes locales.

Selon le rapport « Carrez-Thénault » publié en mai 2010 53 ( * ) , sur la maîtrise des dépenses locales, le « bloc communal » peut désormais moduler 41 % de ses recettes contre 48 % antérieurement à la réforme, les départements 16 % seulement contre 35  % auparavant, les régions ayant quant à elles un pouvoir de taux sur 14 % de leurs recettes contre 30 % avant réforme .

Source : DGCL 2010

Source : DGCL 2010

Source : DGCL 2010

La réforme de la taxe professionnelle est donc à l'origine d'une recomposition des paniers fiscaux dans des proportions qui permettent de conclure à une déformation de la répartition du pouvoir de taux au profit du seul « bloc communal » . En effet, ce dernier n'a pas connu de modification sensible de son ratio d'autonomie fiscale quand celui des départements et régions a été plus que divisé de moitié.

(1) L'autonomie fiscale du bloc communal est globalement stable

Le bloc communal peut désormais moduler 41 % de l'ensemble de ses ressources. Selon l'Association des maires de France (AMF) 54 ( * ) , ce pouvoir de taux s'élève à 88 % s'agissant de la seule fiscalité directe .

Les communes et établissements publics de coopération intercommunale peuvent moduler le taux des quatre taxes directes locales (taxe d'habitation, taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties et CFE). Le bloc communal n'a en revanche aucune possibilité de moduler le taux de la CVAE, dont elle perçoit 26,5 % du produit total, ou des IFER. Il n'a pas non plus la maîtrise des montants de compensation prévus par la réforme, la DCRTP et le FNGIR (soit 3,4 milliards d'euros).

Estimations du montant des dispositifs de compensation versés au bloc communal en 2011

(en millions d'euros)

DCRTP

FNGIR

Secteur communal

1 250

2 209

Dont communes

272

Dont EPCI

978

Source : DGCL (février 2012)

De fortes disparités en matière d'autonomie fiscale existent au sein du bloc communal .

D'une part, l'autonomie fiscale des communautés à fiscalité propre s'est dégradée de façon plus importante que celle des communes isolées. Elles perçoivent aujourd'hui les trois quarts du montant total de la CVAE perçue par le bloc communal, sur laquelle elles ne disposent d'aucun pouvoir de taux. Elles sont aujourd'hui les principales destinataires des compensations de l'Etat (près de 1 milliard d'euros de DCRTP sur les 1,25 milliard d'euros au total versées au bloc communal). Les communautés disposaient avant réforme d'un pouvoir de taux sur 93 % de leurs recettes (essentiellement la taxe professionnelle) contre 74 % en moyenne aujourd'hui. Cette perte d'autonomie doit néanmoins être nuancée car le plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, instauré en 2007, supprimait, avant réforme, tout pouvoir de taux sur plus de 52% des bases nationales pour près de 90% des communautés 55 ( * ) .

D'autre part, les modalités de mise en oeuvre de la réforme ont suscité au sein du bloc communal de très fortes disparités de situation entre les territoires . Les communautés de taille importante avec un fort tissu industriel se retrouvent désormais avec un montant élevé de FNGIR et de DCRTP et ne bénéficient plus, de ce fait, du même levier fiscal qu'avant la réforme. C'est le cas notamment pour la communauté urbaine de Dunkerque, les communautés d'agglomération de Maubeuge ou du Val de Fensch, dont plus de 60 % des ressources proviennent aujourd'hui des montants de compensation et de garantie des ressources 56 ( * ) .

(2) La réforme a fortement dégradé l'autonomie fiscale des départements et des régions

La réforme de la fiscalité des départements et régions, intervenue à l'occasion de la disparition de la taxe professionnelle, a sensiblement réduit leur capacité à moduler les taux de leurs ressources fiscales. Ils sont confrontés désormais à l'inertie d'une partie importante de leurs ressources.

Selon le rapport « Carrez-Thénault » précité, les départements disposent, après réforme, d'un levier fiscal sur 16 % seulement de leurs recettes. Ce ratio d'autonomie fiscale a diminué de plus de moitié puisqu'il s'élevait à 35 % avant la réforme.

Les départements ne disposent plus que d'une seule ressource fiscale modulable, la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cette ressource, augmentée à l'occasion de la réforme de sa part régionale, représente 10,9 milliards d'euros au total, en 2011, pour l'échelon départemental.

La réforme de la taxe professionnelle a amplifié le phénomène actuel d' « effet ciseau » qui touche les départements :

- d'une part, leurs recettes ne sont plus modulables qu'à hauteur de 16 % (contre 35 % avant réforme), ce qui se matérialise par la progression de ressources gelées en valeur dans le panier fiscal global (environ 2,6 milliards d'euros au titre de la DCRTP et du FNGIR) ;

- d'autre part, leurs dépenses légales obligatoires augmentent de façon régulière depuis plusieurs années, en moyenne de 5 % par an.

Estimations du montant des dispositifs de compensation versés aux départements en 2011

(en millions d'euros)

DCRTP

FNGIR

Départements

1 473

1 133

Source : DGCL (février 2012)

La réforme de la taxe professionnelle a eu des effets comparables pour les régions.

Avant la réforme de la taxe professionnelle, la fiscalité directe locale « modulable » des régions (composée des taxes foncières sur les propriétés non bâties et sur les propriétés bâties ainsi que de la taxe professionnelle) représentait un montant de 5 milliards d'euros (un tiers de l'ensemble de leurs recettes de fonctionnement).

L'autonomie fiscale des régions est désormais limitée à la fixation des tarifs des cartes grises (soit 9 % des recettes globales de fonctionnement) et à une part de la TIPP (3 % des mêmes dépenses). Le pouvoir de taux des régions apparaît donc très limité.

Environ 87 % des ressources des régions évoluent selon une dynamique incertaine :

- le produit de la CVAE (3,7 milliards d'euros, soit 25 % du produit global) stagne dans un contexte de croissance économique nulle ;

- le produit des IFER (600 millions d'euros) est assis sur des assiettes qui ne sont pas indexées sur l'inflation 57 ( * ) .

La perte d'autonomie des régions se matérialise également par leur dépendance aux dotations de l'Etat suite à la réforme de la taxe professionnelle. Comme l'indique l'ARF, le cumul du montant de la DCRTP et des dégrèvements barémiques de CVAE représente, pour les régions, 1,6 milliard d'euros soit 32 % de l'ensemble des ressources qui leur ont été attribuées pour compenser la disparition de la taxe professionnelle.

2. Les conséquences de la modification du panier fiscal local
a) La réforme restreint la concurrence entre territoires et entre collectivités

Du point de vue des collectivités territoriales, le remplacement de la taxe professionnelle par la CET permet de remédier aux effets dommageables de la concurrence fiscale que se livraient les territoires les uns par rapport aux autres .

À la faveur des débats parlementaires, la réforme a mis en place un nouvel impôt, la CVAE , dont le taux, fixé au plan national (1,5 %), est facteur de réduction de la concurrence fiscale .

La réforme modifie totalement l'impact du critère fiscal sur l'implantation géographique des entreprises en neutralisant l'effet taux de la CVAE.

Elle permet ainsi d'éviter que les collectivités reproduisent le schéma antérieur qui les conduisait, lorsqu'elles disposaient de bases très importantes, à conserver des taux bas, tandis que les collectivités « pauvres » en base augmentaient les leurs afin de produire de la ressource fiscale.

La fin de la concurrence fiscale entre collectivités territoriales doit être doublement nuancée.

En premier lieu, malgré la neutralisation du taux de la CVAE, la réforme n'a pas distendu le lien entre entreprises et territoires . L'intérêt d'accueillir des entreprises pour les collectivités reste substantiel, les ressources fiscales résultant des nouvelles implantations demeurant importantes.

En second lieu, la réforme de la taxe professionnelle préserve, à la marge, la possibilité d'une concurrence fiscale entre communes en leur laissant la possibilité de moduler la CFE , part foncière de la CET.

b) La réforme a pour conséquence une répartition plus lisible des ressources fiscales locales

La réforme procède à un partage plus lisible des impôts pour les contribuables - particuliers ou entreprises- entre catégories de collectivités.

Ainsi, le bloc communal décide seul des taux de la CFE, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et de la taxe d'habitation. Il est également seul à percevoir et à pouvoir moduler le taux de la taxe sur les surfaces commerciales.

La seule taxe dont le taux est modulable qui reste perçue par plusieurs catégories de collectivités territoriales est la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui bénéficie à la fois au bloc communal et aux départements.

Enfin, les régions ne disposent plus du produit d'aucune des quatre taxes directes locales ni du pouvoir de modulation des taux qui leur est attaché.

c) Les ressources fiscales locales risquent désormais d'être davantage sensibles à la conjoncture

Le remplacement de la taxe professionnelle par la CET modifie la nature de l'imposition des entreprises, et par extension celle des ressources fiscales dévolues aux collectivités territoriales.

Avant réforme, la fiscalité locale reposait sur une fiscalité professionnelle dont les bases étaient représentatives d'un stock (immobilisations et valeurs foncières). Les collectivités territoriales disposaient ainsi d'une fiscalité dont l'évaluation était relativement prévisible et dont le dynamisme était régulier, ainsi que le montre l'évolution des bases économiques de la taxe professionnelle sur la période 1999-2009 58 ( * ) (évolution en moyenne de 3,4 % dans une fourchette annuelle située entre 2 % et 6 %).

À l'inverse, la CVAE est assise sur un flux , la valeur ajoutée, qui réintroduit de fait le facteur « salaires » dans le paquet fiscal local. L'assiette de la nouvelle imposition économique repose ainsi sur un produit directement corrélé à la croissance du produit intérieur brut national .

Les hypothèses retenues par la mission « Durieux-Subremon » en 2010, en adéquation avec les hypothèses de croissance du programme de stabilité 2011-2015, apportent un éclairage qui se veut rassurant sur l' évolution possible des nouvelles bases fiscales de la CVAE. Le rapport conclut en effet que la dynamique de la nouvelle fiscalité (la part CVAE) devrait s'établir à un niveau moyen plus élevé que celui de la taxe professionnelle (4,2% contre 3,4 %), prévision confirmée par l'évolution plus favorable de la valeur ajoutée depuis 1999.

Cette dynamique s'inverse toutefois dans les périodes de récession et, bien que moins sensiblement, en cas de ralentissement économique.

Sources : Données INSEE, Comptes nationaux (valeur ajoutée à prix courants hors agriculture et services principalement non marchands) et Rapport de l'observatoire des finances locales 2009 (évolutions annuelles à législation constante et en euros courants en %).

Compte tenu des perspectives limitées de croissance à court et moyen terme, le risque est réel que le niveau des ressources des collectivités, soumises aux fluctuations de la croissance, évolue de manière moins dynamique qu'envisagé lors de la réforme. Les mécanismes de compensation et de garantie de ressources préserveront un seuil minimal de ressources pour les collectivités mais n'assureront pas un minimum de croissance de celles-ci.

Le produit de la CVAE, plus volatile par nature que celui de la taxe professionnelle, induit en tout état de cause une plus grande variabilité des ressources fiscales locales des collectivités , ce qui grève leur capacité structurelle de pilotage des recettes et de planification des dépenses. Selon les données de l'INSEE, la valeur ajoutée marchande non agricole varie dans le même sens que le PIB national mais dans des proportions plus importantes. Les bases fiscales de la CVAE ont une élasticité supérieure à 1 59 ( * ) .

Évolution du PIB et de la valeur ajoutée de l'industrie et des services marchands non agricole depuis 1979 (en volume)

Source : Insee, comptes annuels base 2000. Calculs : ADF.

La réforme accentue, en particulier, la sensibilité à la croissance nationale des budgets des départements et des régions . En effet, 23 % des recettes de fonctionnement des départements sont directement liées à l'activité économique (Droits de mutation à titre onéreux DMTO, 48,5 % du produit national de la CVAE), et la CVAE représente les trois quarts du panier fiscal des régions.

Cette situation n'est toutefois pas spécifique aux collectivités territoriales puisque l'Etat est soumis à des aléas comparables en matière de ressources fiscales 60 ( * ) . La réforme de la taxe professionnelle présente l'intérêt de mettre en cohérence les budgets des collectivités avec les évolutions économiques nationales, d'une part, et de favoriser leur participation aux efforts de l'Etat lorsque la conjoncture économique se dégrade, d'autre part.

C'est précisément sur cette logique que repose le dispositif de compensation des produits de la CVAE (DCRTP et FNGIR) : il assure des ressources « plancher » mais n'a pas vocation à compenser les aléas de dynamisme de la CVAE d'une année sur l'autre.

d) L'augmentation de la part des impôts « ménages » dans les ressources fiscales du bloc communal

La réforme conduit enfin à une forte augmentation de la part des impôts « ménages » dans les ressources fiscales du bloc communal , qui passent de 58,5 % à 74,5 % en moyenne. Le bloc communal perçoit désormais le produit total de la taxe d'habitation, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, tout en conservant sa part de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Cette évolution spécifique aux communes et intercommunalités pourrait, à terme, favoriser un double phénomène caractérisé par une augmentation de la pression fiscale sur les ménages d'une part, et à des arbitrages locaux moins favorables au développement économique, notamment des activités industrielles les plus risquées ou polluantes, d'autre part.

Effets de la réforme sur le ratio (CET / fiscalité directe locale)
par niveau territorial

Avant la réforme

Après la réforme (2011)

Bloc communal 61 ( * )

41,5 %

22,8 %

Départements 62 ( * )

43,5 %

40 %

Régions

63,5 %

100 %

Source : Commission des finances.

Certaines collectivités, pour lesquelles la part impôts « ménages » est substantielle, n'ont plus intérêt à attirer des activités industrielles , notamment celles qui n'ont pas la faveur des riverains et de l'habitat résidentiel.

La réduction très sensible de la fiscalité économique perçue par les territoires, qui de surcroit est compensée par les mécanismes de la DCRTP et du FNGIR, réduit de fait leur implication dans l'accueil de certains types d'activités naguère très rémunératrices en taxe professionnelle. Les élus communaux et intercommunaux devront procéder à un bilan coût/avantage entre le retour fiscal de l'impôt économique et les créations emplois, d'une part, la fiscalité « ménages » et l'attractivité résidentielle, de l'autre.

Gouvernement et élus ont cherché à tirer les enseignements de cette situation lors de la loi de finances pour 2011. Afin de susciter des arbitrages fonciers plus favorables au développement industriel, la loi a prévu la mise en place d'une pondération par deux des immobilisations et effectifs des entreprises industrielles dans les critères de répartition de la CVAE des entreprises multi-établissements.

Dans une perspective semblable, des amendements proposant une surpondération des effectifs pour les entreprises classées « Seveso » ont été déposés lors des débats sur la dernière loi de finances pour 2012 mais n'ont pas abouti.

La restructuration des recettes fiscales des communes, intervenue à l'occasion de la réforme, a enfin eu pour effet de rendre leur panier fiscal très sensible aux valeurs foncières . À cet égard, la réforme des valeurs locatives engagée par le Gouvernement constitue un enjeu important, qui aura des incidences importantes sur le choix et la politique fiscale du bloc communal.

3. Un impact sur la définition des potentiels fiscal et financier

Les potentiels fiscal et financier des collectivités territoriales sont des agrégats de ressources utilisés comme critères de répartition des dotations versées par l'Etat dans le cadre de la péréquation verticale et par les fonds de péréquation horizontale .

La réforme de la taxe professionnelle a nécessité une modification de ces notions. En effet, d'une part, elle introduit un nouvel impôt, la CVAE, dont le taux n'est plus modulable, et met en place des dispositifs, la DCRTP et le FNGIR, dont les montants ne sont pas calculés en référence à un taux moyen mais en fonction du taux effectif de taxe professionnelle préexistant . D'autre part, la réforme a été l'occasion de restructurer les paniers fiscaux des différents niveaux de collectivités territoriales, ce qui nécessite de redéfinir la mesure de leur richesse .

Lors des lois de finances pour 2011 et 2012, le potentiel fiscal et le potentiel financier des collectivités territoriales ont été redéfinis pour tenir compte non plus seulement des bases mais des produits réels perçus par les collectivités (prise en compte, en particulier du FNGIR et de la DCRTP).

a) Le bloc communal

La définition des potentiels fiscal et financier des communes et EPCI

Les communes (Article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales)

Désormais , le potentiel fiscal des communes est déterminé par application, aux bases communales des trois taxes directes locales perçues par elles, du taux moyen national d'imposition de chacune de ces taxes. A cela s'ajoutent, d'une part, les bases de la CFE auxquelles est appliqué le taux moyen national d'imposition, et, d'autre part, le montant de la dotation de compensation de la part salaires de la taxe professionnelle perçu l'année précédente, mais aussi le produit de la CVAE, le produit des IFER, le produit de la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, le produit de la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom), les montants nets perçus de la DCRTP et du FNGIR et le produit du prélèvement sur le produit des jeux .

Le potentiel fiscal est utilisé dans la définition de 2 autres indicateurs de richesse :

- le potentiel financier des communes, c'est-à-dire le potentiel fiscal majoré du montant de la dotation forfaitaire perçu par la commune l'année précédente, hors la part correspondant à la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle ;

- le nouvel indicateur de ressources élargi des communes, introduit à l'initiative du Sénat pour intégrer les dotations de péréquation verticale au potentiel financier des communes , est égal à leur potentiel financier majoré des montants perçus l'année précédente au titre de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS) ou de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de la dotation nationale de péréquation . Il est augmenté, le cas échéant, des versements reçus des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) . Cet indicateur ne joue d'autre rôle que celui d'évaluer la richesse des communes.

Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)

Le potentiel fiscal des EPCI est égal à la somme des produits déterminés par l'application, aux bases intercommunales d'imposition des trois taxes directes locales et de CFE, du taux moyen national d'imposition à chacune de ces taxes, des produits intercommunaux perçus au titre de la CVAE, de la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties et des IFER et de la TaSCom, des montants positifs ou négatifs de DCRTP ou du FNGIR, ainsi que du montant perçu par le groupement l'année précédente au titre de la dotation de compensation de la suppression de la part salaire .

Par ailleurs, ont été créées les notions de potentiel fiscal agrégé et de potentiel financier agrégé d'un ensemble intercommunal dans le cadre de la mise en oeuvre du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Le potentiel financier agrégé d'un ensemble intercommunal est égal à son potentiel fiscal agrégé majoré de la somme des dotations forfaitaires hors le montant de la part correspondant à la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle.

Source : mission commune d'information

Aucune estimation n'a été fournie par le Gouvernement s'agissant des conséquences de cette nouvelle définition des potentiels fiscal et financier sur le classement des communes et des EPCI en fonction de leur potentiel par habitant. Il semblerait, toutefois, qu'en raison de l'importance des ressources fiscales de remplacement du bloc communal et du poids relativement faible de la CVAE et des dotations de compensation de la réforme dans leur panier de ressources, les conséquences de ces nouvelles définitions soient moins marquées qu'elles ne le sont pour les autres catégories de collectivités territoriales.

b) Les départements

La définition des potentiels fiscal et financier des départements

Le potentiel fiscal des départements est désormais déterminé par application, aux bases départementales de taxe foncière sur les propriétés bâties, du taux moyen national d'imposition de cette taxe. A cela s'ajoutent le montant de la dotation de compensation de la part salaires de la taxe professionnelle, perçu l'année précédente, la moyenne sur les cinq dernières années des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), le produit de la CVAE, le produit des IFER ainsi que des montants perçus de la DCRTP et du FNGIR .

Le potentiel financier des départements reste égal à leur potentiel fiscal majoré des montants perçus l'année précédente au titre de la dotation de compensation et de la dotation forfaitaire, hors la part correspondant à la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle.

Source : mission commune d'information

Les notions de potentiels fiscal et financier des départements sont utilisées comme critères pour le calcul des montants de dotation de péréquation urbaine (DPU), de dotation de fonctionnement minimale (DFM) et de dotation globale d'équipement (DGE) auxquels ils peuvent prétendre, du fonds de péréquation des DMTO et également du futur fonds départemental de péréquation de la CVAE.

Selon les simulations réalisées par l'ADF, la modification de la définition des potentiels des départements aura pour effet de bouleverser leur classement relatif, certains départements aujourd'hui « défavorisés » au sens de la péréquation devenant « privilégiés » et inversement. Face à cette situation, le Parlement a décidé que l'entrée en vigueur des nouvelles définitions des potentiels fiscal et financier serait repoussée à 2013 et ne s'appliquerait pas à l'exercice 2012 .

Votre mission commune d'information est attachée à la définition actuelle des potentiels fiscal et financier résultant des lois de finances pour 2011 et 2012 . Elle considère qu'il n'est pas souhaitable de modifier ces notions pour les éloigner d'une définition stricte des ressources que chaque collectivité perçoit (prise en compte de la DCRTP et du FNGIR) ou pourrait percevoir (application aux bases de taxe foncière des taux moyens nationaux). Faire un choix inverse reviendrait à remettre en cause un simple outil de mesure parce que l'on juge qu'il donne une vision biaisée de la réalité.

En revanche, votre mission commune d'information est favorable à ce que les notions de potentiel fiscal et financier ne soient pas les critères exclusifs des dispositifs de péréquation mis en oeuvre entre les départements ou à leur profit. En effet, certains départements, qui peuvent voir leur potentiel financier par habitant augmenter à la suite de la réforme, supportent des charges (liées à leur géographie ou à la structure de leur population par exemple) dont l'ampleur justifie qu'elles soient prises en compte dans les dispositifs de péréquation. Ainsi, l'objectif de ces dispositifs ne serait pas de tendre à une égalisation des potentiels fiscal et financier par habitant entre les départements. Il convient au contraire de prendre davantage en compte les critères de charge dans les dispositifs de péréquation départementaux, qu'ils soient horizontaux ou verticaux .

Proposition n °17 :

Prendre davantage en compte les critères de charge dans les dispositifs de péréquation départementaux

c) Les régions

La définition du potentiel fiscal des régions

La loi de finances pour 2012 a remplacé la notion de potentiel fiscal par celle d'indicateur de ressources fiscales des régions (IRFR) .

Cet indicateur est égal à la somme des produits perçus au titre de la CVAE, des IFER, de la taxe sur les certificats d'immatriculation et des produits TIPP modulable.

Cette somme est minorée, le cas échéant, du prélèvement au titre du FNGIR.

Source : mission commune d'information

La réforme de la taxe professionnelle se traduit à l'échelon régional par une concentration géographique très forte des bases économiques, qui justifie la mise en place de mécanismes de péréquation efficaces.

Or, les simulations fondées sur le nouveau potentiel fiscal régional, introduit de manière transitoire par la loi de finances pour 2011, aboutissaient à un bouleversement total de la répartition de la dotation de péréquation régionale puisque toutes les régions de métropole jusqu'à présent éligibles perdaient leur éligibilité et que seule région Île-de-France , nouvellement éligible, bénéficiait des crédits de la péréquation.

Cette situation était d'autant plus problématique qu'environ un tiers du produit de la CVAE (avant FNGIR) est dans les faits concentrée en Île-de-France. La péréquation aurait ainsi contrebalancé les effets compensateurs du FNGIR.

C'est pourquoi l'article 145 de la loi de finances pour 2012 63 ( * ) a remplacé la notion de potentiel fiscal régional par celle d' indicateur de ressources fiscales , utilisé pour la répartition de la dotation de péréquation régionale. Comme l'indiquaient les rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » dans leur rapport budgétaire, « cet indicateur des ressources fiscales des régions (IRFR) permet de prendre en compte le nouveau panier de ressources fiscales des régions tel qu'il résulte de la réforme de la taxe professionnelle, tout en atténuant ses effets sur le « classement » des régions grâce à un resserrement sur les ressources fiscales dont les bases sont évolutives.

Pour calculer la richesse des régions, le nouvel indicateur proposé par le présent article ne retient que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux (IFER), la taxe sur les certificats d'immatriculation et la TIPP modulable. Il exclut la DCRTP et les versements du FNGIR. Il prévoit toutefois de minorer l'indicateur par le prélèvement effectué au titre du FNGIR » 64 ( * ) .

L'élaboration de cet indicateur de ressources fiscales, à même d'éviter les effets pervers de la nouvelle définition des potentiels fiscal et financier, a fait l'objet d'une concertation entre les régions. Ce nouveau critère de ressources des régions présente le mérite d'atténuer les effets de la réforme de la taxe professionnelle sur leur « classement » et votre mission commune d'information ne propose pas de revenir sur sa définition .

Proposition n  18 :

Conserver l'indicateur de ressources fiscales des régions (IRFR) pour la répartition de la dotation de péréquation régionale


* 51 Loi n° 2004-758 du 29 juillet 2004.

* 52 L'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prévoit que le Gouvernement transmet au Parlement, le 1 er juin de la deuxième année qui suit l'exercice, un rapport faisant « apparaître, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources ainsi que ses modalités de calcul et d'évolution ».

* 53 Rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault (mai 2010)

* 54 Réponse de l'AMF au questionnaire de la mission commune d'information.

* 55 Réponse de l'AdCF au questionnaire de la mission commune d'information (janvier 2012).

* 56 Les membres de la mission commune d'information ont réalisé un déplacement en janvier 2012 à Dunkerque pour mesurer l'ampleur des effets de la réforme sur ce territoire très industrialisé. La mission a également auditionné Philippe Tarillon, président de la communauté d'agglomération du Val de Fensch, des représentants du SAN Ouest Provence et de la communauté d'agglomération du pays de Montbéliard sur des problématiques semblables.

* 57 Dans la réponse au questionnaire fourni par l'ARF, il est également fait mention d'une perte de ressources pour les régions liée à la refacturation par la SNCF de l'IFER « matériel roulant », par le biais des conventions TER.

* 58 Rapport Durieux-Subremon, p.13 (mai 2010).

* 59 Source : Réponse de l'ADF au questionnaire de la mission commune d'information.

* 60 Le produit de l'impôt sur les sociétés a ainsi reculé entre 2008 et 2009 de 49,5 milliards d'euros à 20,9 milliards d'euros (source : INSEE)

* 61 Source DGCL : avant réforme, pour le bloc communal, les impôts « ménages » représentaient 25,6 milliards d'euros. Les impôts économiques représentaient 18,3 milliards d'euros (taxe professionnelle). Après réforme, les impôts « ménages » représentent 34,7 milliards d'euros. Les impôts économiques représentent 10,65 milliards d'euros ( CFE : 6,3 milliards d'euros et CVAE : 3,9 milliards d'euros).

* 62 Source DGCL : avant réforme, pour les départements, les impôts « ménages » représentaient 12,75 milliards d'euros. Les impôts économiques représentaient 9,8 milliards d'euros (taxe professionnelle). Après réforme, les départements perçoivent 10,9 milliards d'euros d'impôts ménages (taxe foncière sur les propriétés bâties) et 7,4 milliards d'euros d'impôt économique (CVAE et IFER).

* 63 Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011.

* 64 Rapport général n° 107 - Annexe n° 23 (2011-2012) de MM. François Marc et Pierre Jarlier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2011.

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