D. LA RÉFORME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE A-T-ELLE ÉTÉ « SURVENDUE » ?
1. Un impact économique difficile à discerner
Le remplacement de la taxe professionnelle par la CET devait, selon le Gouvernement, entrainer trois effets positifs sur le tissu économique en favorisant la relocalisation des entreprises, la réindustrialisation du territoire et le développement de l'emploi.
La mesure de la réalité de ces effets se heurte à deux difficultés principales : la jeunesse de la réforme et l'absence de moyens de suivi.
a) Des effets à retardement ne seront mesurables qu'à l'expiration des mesures transitoires
La réforme , applicable depuis le 1 er janvier 2012, n'a pas encore produit tous ses effets dont certains pourraient amplifier les difficultés rencontrées . Certaines questions demeurent toujours en suspens. On peut en relever trois.
Il est encore prématuré d'anticiper les effets de la sortie du mécanisme transitoire de lissage des perdants sur cinq ans , notamment en termes d'emploi et de relocalisations. De surcroît, les effets de la réforme sont également « brouillés » par la mauvaise conjoncture actuelle.
Ensuite, on peut s'interroger sur les effets de l'imposition progressive à la CVAE des sociétés foncières au titre des loyers autre que ceux d'habitations. En effet, pour le secteur de la location immobilière (à titre professionnel), auparavant exonéré de taxe professionnelle, l'article 1586 sexies II du code général des impôts prévoit une entrée progressive dans le système de la CET jusqu'en 2019, année où ce secteur sera pleinement soumis à la nouvelle imposition économique territoriale.
Se pose enfin la question des perspectives liées à la révision des valeurs locatives cadastrales . La révision des valeurs locatives pourrait entraîner, selon Philippe Solignac, vice-président du Bureau national de la confédération générale de l'alimentation en détail (CGAD), une nouvelle modification du niveau d'imposition des petites entreprises. La CCIP regrette, par ailleurs, que la part foncière de la CET reprenne, à l'identique, les règles de l'ancienne taxe professionnelle et reste assise sur des valeurs cadastrales jugées obsolètes.
On rappellera à cet égard que l'article 34 de la loi de finances rectificative pour 2010 20 ( * ) a posé le principe d'une révision des valeurs locatives limitée dans un premier temps aux seuls locaux à usage professionnel . Cette révision est précédée d'une expérimentation menée depuis février 2011 dans les départements de l'Hérault, du Pas-de-Calais, du Bas-Rhin, de la Haute-Vienne et de Paris. L'objectif de cette démarche est de rapprocher les bases des valeurs du marché. Ce dispositif devrait être généralisé en 2012 ou 2013 et les bases intégrées dans les rôles d'imposition en 2014. Il sera par la suite pratiqué une mise à jour permanente. Votre commission des finances a engagé un contrôle budgétaire sur cette question dont les conclusions devraient être présentées très prochainement.
b) Un suivi quasi inexistant
L'incertitude quant aux conséquences économiques positives de la réforme est très largement partagée par le Gouvernement, les acteurs économiques et les collectivités territoriales. Elle est renforcée par l' absence de moyens de suivi des effets de la réforme et de mesure de la performance.
Il en résulte un sentiment général d'insatisfaction de la part des entreprises qui mettent également en avant la complexité de la réforme et l' instabilité des nouvelles règles juridiques .
2. Une question qui apparaît a posteriori secondaire
Alors que la fiscalité économique locale était souvent présentée comme un défaut majeur de l'attractivité de la France, les entreprises, par la voix de leurs représentants ou directement, ont fait valoir que la taxe professionnelle et son remplacement par la CET ne constituait pas une préoccupation centrale .
Elles ont mis en évidence d' autres enjeux, bien plus importants à leurs yeux, qui influent positivement ou négativement sur le dynamisme des entreprises, leur compétitivité ou leurs décisions d'investissement. Ont été évoqués à ce titre le prix de l'énergie pour les entreprises « électro-intensives » (production d'aluminium à Dunkerque), le crédit d'impôt recherche pour les industries chimiques (entreprises Pierre Fabre à Toulouse), la hausse du « versement transports » et les difficultés de logement des salariés en région Île-de-France.
Ce dernier sujet a pris manifestement une acuité particulière et déborde le cadre de la région francilienne, comme le confirme une récente enquête du centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC). Selon cette étude 21 ( * ) , publiée en avril 2012, les problèmes de logement des salariés affectent 40 % des entreprises en compliquant le recrutement et la mobilité interne et nuisant même à la productivité (pour 16 % des entreprises). Ces difficultés sont signalées par 37 % des établissements situés en région parisienne, 23 % de ceux situés en Provence-Alpes-Côte d'Azur, 18 % de ceux situés dans le sud-ouest et 15 % de ceux situés dans le centre-est.
Au total, il apparaît clairement que la fiscalité, notamment locale, n'est pas déterminante pour les décisions d'implantation , à l'exception de cas bien spécifiques qui concernent par exemple les petits artisans .
3. Une nouvelle situation dont les bénéfices doivent être confortés
Votre mission d'information estime qu'il n'est ni envisageable, ni souhaitable de revenir sur la réforme de 2010, en « rétablissant » la taxe professionnelle telle qu'elle existait. Elle fait sienne la déclaration de Jean Claude Boulard, maire du Mans, constatant : « Il va bien falloir apprendre à vivre sans la taxe professionnelle, personne ne proposant de la rétablir ! ».
Vue plus objectivement, pour les entreprises, cette réforme présente de multiples points positifs au delà du seul bénéfice d'une réduction de charge.
a) Un taux national
Le remplacement de la taxe professionnelle par la CET permet de simplifier le paysage de la fiscalité locale par l' unification des taux même si on perçoit chez certains élus et chefs d'entreprises des inquiétudes quant à la valeur fondatrice de liens avec les territoires, du nouvel instrument fiscal.
C'est sans doute un apport majeur de la réforme comme le soulignait François Baroin devant votre mission : « Depuis la réforme et l'adoption d'un taux unique de CVAE, le critère fiscal n'est plus déterminant dans le choix d'implantation géographique d'une entreprise. L'idée était, d'une part, de rendre la cotisation plus prévisible, plus homogène pour les entreprises ; d'autre part, de limiter la concurrence fiscale entre collectivités. Revenir sur ce point en permettant notamment aux élus locaux de moduler les taux serait remettre en cause l'équilibre trouvé, sans parler du coût pour l'Etat contraint de prendre en charge une partie des hausses en raison des mécanismes de dégrèvement . »
Certains élus rencontrés par votre mission se sont félicités de cette avancée dans des termes moins convenus, estimant que « La danse du ventre des élus est terminée et seuls les facteurs d'environnement économique devraient jouer désormais ».
b) Une assiette fiscale moins contestable
L' assiette « valeur ajoutée » de la nouvelle imposition est certainement plus adaptée aux réalités des entreprises et du cycle économique puisqu'elle ne taxe pas les entreprises avant bénéfice.
L'assiette de la taxe professionnelle pesait à 80 % sur les investissements productifs, et aboutissait à taxer une activité avant même de savoir si elle était profitable.
L'adoption de l'assiette « valeur ajoutée » consacre ainsi la victoire - quelque peu tardive- des thèses de la commission Fouquet 22 ( * ) qui résumait ainsi ses propositions : « Parmi les assiettes de substitution, la valeur ajoutée et, dans une moindre mesure, l'excédent brut d'exploitation semblent les mieux adaptés à l'objectif, fixé par le Gouvernement, d'instauration d'une imposition plus efficace économiquement, plus équilibrée entre les facteurs de production et les secteurs économiques et plus équitable pour les entreprises.
Enfin, la restauration d'un lien fort entre territoires et entreprises, qui constitue un objectif central de la réforme, nécessite la localisation de l'assiette sur le territoire de chaque collectivité au moyen d'une clef de répartition, et plaide en faveur du maintien d'un élément d'assiette fondé sur la valeur locative foncière ». 23 ( * )
c) L'inscription dans la loi des définitions de la valeur ajoutée
La réforme aura eu, enfin, le mérite de clarifier la notion centrale de valeur ajoutée, définie désormais à l'article 1586 sexies du code général des impôts et adaptée à tous les secteurs de la vie économique (notamment les services).
Ainsi que le soulignait notre collègue Philippe Marini, alors rapporteur général de la commission des finances, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010 24 ( * ) , le Conseil des prélèvements obligatoires avait relevé que la valeur ajoutée est « une notion juridique complexe, mal définie par le CGI qui fait référence à des rubriques figurant dans le plan comptable général de 1957 aujourd'hui obsolètes, ce qui introduit une divergence croissante entre la définition fiscale de la valeur ajoutée et sa définition comptable. Elle présente donc une certaine insécurité juridique, et risque d'induire des comportements d'optimisation ». La réforme a été l'occasion de moderniser des références comptables devenues obsolètes, et d'intégrer des décisions doctrinales , portant notamment sur la production immobilisée et le régime spécifique des groupements d'intérêt économique de financement ainsi que certaines décisions de jurisprudence concernant le traitement des plus-values de cession relevant d'une activité normale et courante.
En outre, la réforme a permis, tout en maintenant un régime particulier de calcul du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée pour les entreprises d'assurance et de réassurance (ainsi que les mutuelles et institutions de prévoyance), de remplacer le régime unique des établissements de crédit et entreprises gestionnaires de valeurs mobilières par trois dispositifs plus précis applicables respectivement aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement, aux entreprises ayant pour activité principale la gestion d'instruments financiers (le cas échéant filiales d'établissements de crédit) et aux sociétés créées pour la réalisation d'une opération unique de financement d'immobilisations corporelles.
* 20 Loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.
* 21 CRÉDOC, Enquête sur le logement des salariés, décembre 2011.
* 22 L'adoption d'une assiette à la valeur ajoutée avait déjà été envisagée par la loi du 10 janvier 1980 mais rejetée par le Parlement en 1985 après la présentation des simulations d'impact sur les contribuables. De même, le rapport du Conseil des impôts de 1997 et le rapport sur les finances locales de 2002 préconisaient la prise en compte de la valeur ajoutée comme base exclusive ou partielle de la taxe professionnelle.
* 23 Commission de réforme de la taxe professionnelle, présidée par Olivier Fouquet. Rapport définitif décembre 2004.
* 24 Rapport général n° 101 (2009-2010) de M. Philippe MARINI, fait au nom de la commission des finances.