2. Remettre à plat la formation
a) Préparer une refonte partagée de la mastérisation

De très nombreuses propositions de reconfiguration de la formation et du recrutement des enseignants ont déjà été émises, tant par les auteurs des différents rapports critiques de la mastérisation que par diverses organisations syndicales, associations disciplinaires et institutions. Votre rapporteure ne souhaite pas en faire l'inventaire exhaustif mais souligne que la nécessaire concertation qui précèdera toute remise à plat de la mastérisation pourra s'appuyer sur ces réflexions déjà très abouties, qui témoignent de la mobilisation et de la préoccupation de tous les acteurs.

Votre rapporteure souhaite apporter sa propre pierre au débat, en notant que, pour l'instant, seul le rejet de la politique actuelle fait consensus mais qu'aucun schéma d'organisation ne provoque encore l'adhésion générale. Faute d'avoir à sa disposition toute l'expertise statistique et technique dont bénéficient les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, elle ne prétend pas présenter une contre-réforme de la mastérisation dans les moindres détails, même si elle est convaincue que l'intégralité du dispositif doit être remise sur la table.

En particulier, elle n'est pas en mesure de préciser les modalités de la transition entre le schéma actuel et celui qu'elle préconise d'adopter le plus rapidement possible. Elle veut, en revanche, poser des jalons essentiels qui devraient structurer à l'avenir le parcours de formation et l'entrée dans le métier des futurs enseignants.

Cinq axes principaux devraient être privilégiés :

- garantir un cadrage national fort pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et pour améliorer leur coordination ;

- maintenir des structures spécifiques de formation des enseignants au sein des universités en renforçant leur autonomie financière et leurs liens avec la recherche ;

- ouvrir des prérecrutements dès la licence ;

- assurer une professionnalisation progressive au cours du master et rétablir une véritable année de stage avant la titularisation ;

- tenir compte de la diversité du métier d'enseignant, en veillant spécifiquement sur deux segments fragiles que sont la maternelle et le lycée professionnel.

b) Mettre la prévention des difficultés d'apprentissage et de l'échec scolaire au coeur de la formation

Les modalités de recrutement dépendent des modalités de formation et le contenu des formations tenant au métier d'enseignant doit lui-même être défini en fonction des missions clairement assignées aux enseignants. En cohérence avec la conception de l'éducation nationale qu'elle a précédemment esquissée, votre rapporteure considère que le métier d'enseignant, métier de concepteur et non d'exécutant, s'apprend d'abord afin de s'adresser aux enfants qui n'ont que l'école pour apprendre, afin d'être capable d'aider ceux qui ne sont pas dans un rapport de connivence avec l'institution scolaire et pour lesquels apprendre n'est pas du ressort de l'évidence. Le cahier des charges de la formation des enseignants doit imposer des contraintes nationales fortes sur la définition des parcours de masters dessinés par les universités autonomes, tant sur les stages que sur les maquettes de cours, afin de servir cet objectif d'intérêt général.

La formation des enseignants doit impérativement intégrer les résultats des recherches interdisciplinaires menées tant en France qu'à l'étranger pour identifier les origines de l'échec scolaire et décortiquer les processus cognitifs et sociaux d'acquisition des connaissances. Ces travaux ne doivent pas simplement être présentés aux étudiants se destinant à la profession d'enseignant au cours de modules spécifiques, comme on le ferait dans des cursus orientés vers la recherche, mais doivent irriguer aussi leur formation disciplinaire. C'est la condition nécessaire pour assurer des aller-et-retours entre les analyses théoriques développées par pédagogues, psychologues et sociologues et les pratiques concrètes ajustées à la vie de la classe. C'est le moyen de former des praticiens réflexifs convenablement armés pour faire face à la diversité et à l'hétérogénéité des publics dont ils auront la responsabilité durant toute leur carrière.

En outre, votre rapporteure est favorable à l'intégration obligatoire dans le master de modules d'histoire et d'épistémologie de la discipline étudiée. Ils seront indirectement très bénéfiques pour faire évoluer les pratiques d'enseignement. En effet, ces disciplines aideront à préparer le décentrage des futurs enseignants en leur apprenant à questionner l'évidence et à penser le statut et les processus de construction des savoirs qu'ils ont acquis. En chimie, en physique ou en biologie notamment, le passage par l'histoire et la philosophie des sciences fournirait un singulier enrichissement aux étudiants qui verraient non plus la science comme un corps de doctrine intangible mais comme une activité d'enquête dont la quête asymptotique de vérité est jalonnée d'erreurs fructueuses. 41 ( * ) De même, l'étude de l'historiographie ou de l'épistémologie de l'économie peut tout aussi bien enrichir la formation des professeurs de sciences humaines.

c) Maintenir des structures de formation des enseignants spécifiques et autonomes

Pour piloter la formation et assurer sa liaison avec la recherche, votre rapporteure estime qu'il est nécessaire de recréer une structure spécifique dans la lignée des IUFM. Il convient à cette fin d'éviter les écueils symétriques d'une pure externalisation hors de l'université et d'une absorption par les UFR existants.

L'autonomie des structures de formation au sein de l'université est pleinement légitime pour permettre le dialogue entre les disciplines, l'accompagnement commun des étudiants visant le premier et le 2 nd degré et les échanges entre formation initiale et formation continue. Une indépendance totale des universités romprait le lien essentiel avec la recherche vivante et la pointe des connaissances ; l'assimilation à un UFR risquerait au contraire de privilégier trop le registre académique au détriment de la didactique. Il faut tenir compte du fait que les disciplines universitaires et les matières enseignées dans les écoles, les collèges et les lycées ne se recoupent que partiellement, si bien que les UFR devraient avoir un rôle plutôt d'appui que de pilote non seulement dans le premier mais aussi dans le 2 nd degré.

En outre, les universités n'ont pas manifesté pour l'instant une capacité suffisante de professionnalisation et de suivi des stages d'observation et en responsabilité des étudiants, notamment dans le 2 nd degré où les UFR maîtrisent la formation. Il faut une structure qui assure la médiation entre l'éducation nationale, futur employeur, et les universités formatrices et qui porte l'exigence de professionnalisation tout en gardant le lien avec la recherche.

Ces IUFM rénovés auraient alors également la charge, après conventionnement avec les recteurs, de suivre avant leur titularisation les enseignants-stagiaires ayant réussi le concours. Votre rapporteure souhaite en effet que soit mis rapidement fin au système actuel de mise en responsabilité immédiate des enseignants-stagiaires à temps complet devant une classe. Il convient de rétablir une année en alternance où se poursuit la formation parallèlement à la conduite partielle d'une classe sur une fraction de temps de service. Les formateurs des IUFM rénovés n'assumeront à ce stade que des missions d'accompagnement et de conseil à l'exclusion de toute fonction d'évaluation et de notation en vue de la titularisation, fonctions qui doivent revenir aux inspecteurs. Les moyens nécessaires au remplacement des stagiaires pendant leur temps de formation devront être revus en conséquence pour assurer la continuité du service.

Il reste qu'on peut hésiter entre plusieurs solutions pour modifier la structure des IUFM, allant du maintien du statut d'école interne défini par l'article L. 713-9 du code de l'éducation à une évolution vers la création d'établissements publics externes simplement rattachés à l'université. L'intégration des structures spécifiques de formation des enseignants au sein des universités peut être préservée à condition de garantir leur autonomie. Votre rapporteure considère que la solution la plus simple à mettre en oeuvre serait une adaptation du statut actuel des IUFM en renforçant leur autonomie en termes de contrôle de leurs ressources financières et humaines. Un fléchage obligatoire des moyens et des postes dédiés aux IUFM au sein des budgets d'universités pour éviter qu'ils n'en deviennent les variables d'ajustement paraît nécessaire.

d) Mettre en place des dispositifs de prérecrutement pour reconstituer le vivier et sécuriser les parcours des étudiants

La déplétion du vivier de recrutement après le relèvement du niveau de diplôme requis pour se présenter au concours était prévisible. Son ampleur reste très inquiétante. D'après la Cour des comptes, les concours externes du premier et du 2 nd degré ont enregistré une baisse des inscriptions de 53 053 candidats, soit une diminution d'un tiers en une année. Il faut en plus tenir compte des déperditions dues à un affaiblissement concomitant du taux de présence effective aux épreuves. Si le taux de sélectivité a été maintenu dans le 1 er degré du fait de la très importante baisse du nombre de postes offerts, ce n'est pas le cas dans le 2 nd degré, si bien que 826 postes n'ont pas été pourvus à la session 2011 notamment en mathématiques. 42 ( * )

ÉVOLUTION DU RATIO DE CANDIDATS PRÉSENTS/POSTES OUVERTS
AUX CONCOURS DANS LE 2 nd DEGRÉ

Ratio présents/postes

Mathématiques

Lettres modernes

Lettres classiques

2010

3,2

3,7

1,7

2011

1,4

1,9

0,6

Source : Cour des comptes, rapport public annuel 2012

Pour restaurer le vivier de recrutement tout en accroissant la diversité d'origine sociale du corps enseignant, votre rapporteure estime impératif de recourir à des prérecrutements dès la licence . Un concours national serait organisé en fin d'année de L3 avant l'accès aux deux années de master enseignement sur la base d'épreuves purement disciplinaires. Le prérecrutement confèrerait un statut particulier d'élèves-enseignant ouvrant notamment droit à une rémunération suffisante pour ne pas avoir à cumuler études et emploi. En échange, les élèves-enseignants prérecrutés dans un cadre national s'engageraient à suivre les deux années de master, à se présenter aux concours de l'enseignement et à servir comme fonctionnaire de l'État pour un nombre minimal d'années en cas de réussite.

Le prérecrutement ne doit pas être assimilé à un numerus clausus dans la mesure où les étudiants qui n'auraient pas été prérecrutés garderaient la possibilité de suivre les masters enseignement et de présenter les concours. Il vise plutôt à sécuriser les parcours d'étudiants, notamment issus de milieux modestes, qui s'orientent très tôt vers la carrière professorale. Il serait utilement conjugué en amont avec des dispositifs d'initiation à la didactique et des stages d'observation de classes, mis en place dès le début de l'année de L2, afin de commencer le plus tôt possible l'approche du métier, soit pour que les étudiants testent leur appétence, soit pour qu'ils entament déjà leur professionnalisation.

Le calibrage des prérecrutements variera en fonction des disciplines et des concours visés. Il conviendrait de faire un choix entre deux options :

- soit faire du prérecrutement la voie royale pour le recrutement définitif en faisant l'hypothèse plausible qu'une grande majorité des prérecrutés réussira le concours final ; dans ce cas le volume initial du prérecrutement pourrait correspondre à une fraction très élevée du volume final de recrutement ;

- soit considérer que les contraintes budgétaires empêchent d'élargir trop le prérecrutement tout en maintenant une rémunération adéquate des élèves-professeurs, si bien que le prérecrutement serait une voie plus restreinte et périphérique, éventuellement ciblée sur les étudiants les plus modestes.

Votre rapporteure estime qu'il est délicat de déterminer a priori exactement le volume de prérecrutement adéquat. De même, le niveau de la rémunération des élèves-enseignants demeure difficile à fixer. Des arbitrages sur le volume et les rémunérations seront nécessaires en tout état de cause.

Une solution pourrait être de juger sur pièces en mettant rapidement en place un dispositif de prérecrutements assez large dans quelques disciplines où les besoins de recrutement sont aigus, par exemple en mathématiques et en lettres modernes. Dans trois ans, il conviendrait alors d'évaluer le dispositif et de l'amender avant de le généraliser en fonction des résultats effectifs des prérecrutés aux concours et des arbitrages budgétaires.

e) Redéfinir l'articulation du master et du concours

Les concours finaux, distincts de la phase de prérecrutement en L3, pourraient avoir lieu en fin de M2. La détention du master vaudrait validation des connaissances académiques pures qui n'auraient plus à être à nouveau contrôlées par les épreuves des concours. En outre, votre rapporteure est favorable à la suppression du verrou supplémentaire que constitue l'obtention de certificats de maîtrise de langues étrangères et de l'informatique, en considérant que ces compétences doivent être acquises au cours du parcours universitaire en licence et en master.

Les épreuves du concours doivent servir à évaluer le degré de professionnalité déjà construite pendant le master, tant durant les cours que pendant les stages. Il ne revient pas à votre rapporteure mais aux professionnels de définir exactement la forme que devraient prendre ces épreuves. A titre exploratoire, elles pourraient consister dans la préparation d'une leçon sur une notion donnée, d'une progression pédagogique sur un trimestre, dans une analyse des éléments au programme d'une année ou le commentaire de séquences réelles de cours sur la base de vidéos de classe, de documents pédagogiques et de productions réelles d'élèves. En outre, pourraient être prévues des épreuves d'histoire et d'épistémologie de la discipline visée afin de stimuler la mise en place effective de ces modules au sein des masters enseignement, alors qu'ils sont aujourd'hui très peu développés.

Quels que soient la forme et le calendrier qui seront définitivement retenus pour les concours, votre rapporteure recommande d'étendre le bénéfice de l'admissibilité sur trois ans . Cette mesure permettra de donner aux étudiants le temps de repasser le concours sans avoir à tout reprendre. En outre, pendant la phase transitoire de refonte de la mastérisation, ils pourraient se voir octroyer une priorité pour des recrutements contractuels, notamment sur des postes de remplacement dont les besoins augmenteront alors que les ressources disponibles ont beaucoup diminué à cause de la RGPP. Au cours de leur exercice contractuel, ils accroîtront leur degré de maîtrise professionnelle ce qui ne pourra que les aider à réussir le concours. Bien entendu, cela ne doit en aucun cas remettre en cause l'existence de titulaires remplaçants dont votre rapporteure souhaite au contraire le renforcement.

f) Dynamiser la formation continue tout au long de la carrière

Les problématiques de formation ne s'arrêtent pas à la seule formation initiale et à l'entrée dans le métier. Il est illusoire de penser que cette mise en route, bien qu'indispensable, n'ait pas besoin d'être actualisée et complétée au cours d'une carrière de plusieurs dizaines d'années. Les transformations du public scolarisé et le renouvellement des apports de la recherche aux pratiques pédagogiques rendent nécessaire la mise en oeuvre d'une politique ambitieuse de formation continue au sein de l'éducation nationale.

Alors qu'elle a été négligée depuis des années, la formation continue constitue un enjeu crucial pour l'évolution du système éducatif. Elle offre ces lieux et ces temps de rencontre, aujourd'hui trop rares mais si importants pour résoudre la crise actuelle du métier.

En outre, c'est un élément clef pour mettre en place une gestion des ressources humaines moderne et attentive aux personnes, notamment pour faciliter les fins de carrière des enseignants et les aider à surmonter l'usure. Les recherches des ergonomes montrent que l'expérience accumulée par les professeurs ne permet pas à elle seule d'amortir les effets du vieillissement. La formation continue est une condition nécessaire pour permettre aux enseignants de prolonger leur activité dans de bonnes conditions. Elle est essentielle pour « faire évoluer ses compétences, son répertoire d'activités pour que les fins de carrière ne soient pas synonymes d'un repli sur des compétences antérieures, de plus en plus décalées vis-à-vis de l'évolution des enfants, de l'institution, de la société ». 43 ( * ) Elle offre aux enseignants des ressources pour faire face aux exigences nouvelles, pour s'adapter tout au long de leur carrière et pour participer comme acteurs autonomes à la transformation de l'école.

Quantitativement, il faut que le volant d'enseignants bénéficiant régulièrement d'une formation au cours de leur carrière augmente. Ceci nécessite un accroissement des moyens de remplacement pour libérer les enseignants par la reconstitution de brigades de remplacement dans le premier degré et l'augmentation du nombre de titulaires sur zones de remplacement dans le 2 nd degré.

Mais il convient aussi de transformer qualitativement les modules de formation continue : ils ne doivent pas se contenter de présenter les réformes en cours ou de décrypter les dispositifs nouveaux imposés par le ministère. Ces modules doivent favoriser l'actualisation des connaissances des enseignants et l'approfondissement du regard réflexif qu'ils posent sur leurs pratiques, en préservant toujours leur rôle de concepteur de leur métier sans les transformer en simples exécutants.

L'appui des IUFM rénovés sera déterminant pour enrichir l'offre de formation continue et dynamiser les échanges entre enseignants expérimentés bénéficiant de la formation continue, les étudiants de master enseignement et les enseignants-stagiaires.


* 41 Cum grano salis , votre rapporteure fait remarquer que lors de la réforme du lycée de 1902, le ministère de l'instruction publique emmené par son inspection générale avait repoussé l'utilisation de l'histoire des sciences comme instrument pédagogique pour préserver la pureté de la méthode inductive, alors que les plus grands savants de l'époque, Duhem, Langevin, Le Châtelier, Poincaré pour ne citer qu'eux, y étaient favorables.

* 42 Cour des comptes, Rapport public annuel 2012 , pp. 787-788.

* 43 D. Cau-Bareille, op. cit., p. 47.

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