3. Favoriser l'émergence de collectifs enseignants hors des logiques hiérarchiques
A de nombreuses reprises au cours des auditions de la mission est revenue de façon lancinante la question de la solitude des enseignants, qui se traduit par un isolement individuel face à la classe, aux parents et à la hiérarchie, d'une part, un émiettement du milieu enseignant où les dynamiques collectives sont bridées, d'autre part. Les enseignants, individuellement et comme groupe professionnel, sont confrontés à des dilemmes et des épreuves sans avoir suffisamment de ressources pour les analyser et les résoudre. C'est pourquoi votre rapporteure insiste sur la nécessité d'aménager des lieux et des temps où les enseignants pourront se rencontrer pour réfléchir entre eux sur leur métier, pour travailler entre eux sur leur travail, hors des injonctions et des prescriptions de l'institution.
L'expérience de collectifs d'enseignants, menée sous la houlette de l'équipe de clinique de l'activité du CNAM, offre des perspectives intéressantes. 44 ( * ) Elle pourrait être imitée et développée. Des groupes de travail de 6 à 8 enseignants du 2 nd degré ont été constitués. Il s'agit de collectifs de pairs réunis pour échanger sur leur travail sans aucun regard hiérarchique surplombant. Les intervenants extérieurs - un chercheur du CNAM dans une première phase, puis d'autres professeurs ayant travaillé dans le même cadre et ayant bénéficié d'une formation à la gestion des discussions dans une seconde phase - ne sont là que pour animer la discussion, sans apporter des réponses préconçues. La réflexion et le débat partent de traces concrètes comme des vidéos et des récits de travail. Les dilemmes vécus au quotidien sont rejoués pour tenter de déplacer les réponses données sous la pression de l'urgence et bénéficier du croisement des expériences. Pour les plus jeunes professionnels, cette expérience est particulièrement enrichissante.
L'objectif de ces collectifs de travail sur le travail est de développer chez chaque participant le pouvoir d'agir sur son métier et la capacité de reprendre la main sur les tâches qui lui sont prescrites. Les solutions aux problèmes rencontrés, aux expériences évoquées et aux controverses qui émergent entre participants ne proviennent pas de l'extérieur, comme c'est le cas généralement dans l'éducation nationale, mais surviennent au fil de la discussion sans s'imposer comme des normes intangibles et des modèles indépassables. C'est le sentiment d'une identité commune, d'une appartenance commune au métier qui se tisse et s'approfondit entre les participants sans restreindre leur propre liberté, mais au contraire en leur permettant d'élargir leur gamme d'action et de renforcer leur prise individuelle sur leur travail.
Cette démarche va à rebours de la tendance à fournir clefs en mains des guides de bonnes pratiques formatées et stéréotypées, dont la finalité semble être la standardisation des pratiques enseignantes pour en faciliter le contrôle plutôt que l'amélioration de leur efficacité didactique. Votre rapporteure est convaincue des bienfaits des groupes de travail d'enseignants . Ils ont en particulier le mérite de dépsychologiser et de dépersonnaliser les difficultés rencontrées par les participants dans leurs classes car les problèmes individuels sont réinterprétés comme des problèmes généraux, du métier lui-même, liés à l'organisation du travail que l'on n'a pas à résoudre seul mais en mobilisant l'expérience du collectif.
Un large consensus règne pour favoriser l'émergence de collectifs enseignants stables et innovants dans les établissements. Pourtant, l'autonomie des établissements, cheval de bataille du précédent gouvernement, se résume en pratique au dessaisissement des enseignants via le renforcement de l'autorité du chef d'établissement notamment dans les établissements ECLAIR et l'alourdissement des instructions émanant du ministère. Les logiques administratives l'emportent sur les logiques pédagogiques. Les groupes de travail d'enseignants suivis par le CNAM ont eux, au contraire, le mérite de renforcer les liens horizontaux entre collègues en donnant corps et intérêt à la notion d'équipe pédagogique autonome.
Afin de développer des expériences similaires à celles menées en partenariat entre le SNES et le CNAM, votre rapporteure est favorable à ce que soient prévues des décharges de services pour les professeurs acceptant d'animer des groupes de travail semblables dans leurs établissements après avoir reçu une formation appropriée. Un conventionnement entre les établissements et des organismes de recherche universitaires permettrait d'assurer l'appui extérieur nécessaire dans la phase initiale de lancement. Enfin, il serait particulièrement utile de lier le développement volontaire de groupes de travail enseignants avec une intensification et un élargissement de l'offre de formation continue, ce qui faciliterait la dissémination des apports de celle-ci au-delà du cercle des participants.
* 44 Audition du 13 mars 2012 (J.-L. Roger).