Mardi 29 mai 2012

Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois -

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Le Conseil constitutionnel, le 4 mai dernier, a déclaré non conformes à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen les dispositions du code pénal visant le délit de harcèlement sexuel, dans leur rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002. Le vide juridique qui en résulte porte préjudice à toute personne qui a engagé une action en justice, puisque, sauf requalification des faits, il fait tomber les procédures en cours. Le Sénat étant en situation de fonctionner, nous avons estimé utile - je remercie Mme Gonthier-Maurin et Mme David, respectivement au nom de la Délégation aux droits des femmes et de la commission des affaires sociales, d'avoir pris contact avec moi à ce sujet - de constituer un groupe de travail commun, au lieu de travailler chacun dans notre coin.

Ce groupe a été constitué à parité entre les trois instances, les deux commissions et la délégation. Les groupes politiques y sont représentés équitablement. Nous avons prévu plusieurs réunions consacrées à des auditions, à l'issue desquelles nous aurons - le 7 juin - un échange de vues entre nous. Je suis ouvert à vos suggestions concernant d'éventuelles auditions complémentaires, par exemple celle de professeurs de droit, mais veillons tout de même à ne pas trop surcharger notre ordre du jour.

L'objectif est que le Sénat soit prêt fin juin pour examiner les propositions de loi déposées, six actuellement, ainsi peut-être qu'un projet de loi - nous saurons demain si le Gouvernement en dépose un. Notre but est d'avancer dans l'examen de la question, de recenser nos points d'accord et de désaccord, afin d'être prêts début juillet, en séance publique, pour adopter une nouvelle loi conforme aux exigences du Conseil constitutionnel.

Puisque notre groupe de travail est formé de trois commissions ou délégation, je cède à présent la présidence de cette réunion à Mme Gonthier-Maurin.

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, direction générale de la cohésion sociale

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Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes -

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Nous entendrons d'abord Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, à la direction générale de la cohésion sociale du ministère des affaires sociales.

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Nous nous sommes mis au travail dès l'annonce de la décision du Conseil constitutionnel, notamment en prenant l'attache de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), principale association à se mobiliser sur le sujet. Ce dossier est le premier qu'entend traiter la nouvelle ministre, Mme Najat Vallaud-Belkacem. Mme Christine Taubira, Garde des sceaux, souhaite elle aussi aller vite, les deux ministres s'en sont entretenues. L'abondance des propositions de loi démontre la mobilisation sur cette question, qui n'a rien de facile...

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Une précision : il y a déjà six propositions de loi, présentées respectivement par M. Roland Courteau , M. Alain Anziani , M. Philippe Kaltenbach , Mme Brigitte Gonthier-Maurin , Mme Muguette Dini et Mme Chantal Jouanno . Ces deux dernières propositions sont en cours d'impression.

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Nous pensons que le texte français doit demeurer au plus près de la définition communautaire, telle qu'elle figure dans les directives de 2002 et 2006 ; celle-ci se réfère à « un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Cette définition a été reprise dans la loi du 17 mai 2008, toujours en vigueur.

La nouvelle rédaction doit permettre la qualification pénale - c'est l'aspect qui a fait problème pour le Conseil constitutionnel. Plusieurs points sont à trancher. Faut-il ou non exiger la répétition de l'acte ? Le terme de « faveurs » sexuelles est-il approprié ? Nous préférons celui de « relations sexuelles ». Une mise en cohérence du code pénal, du code du travail et du statut des trois fonctions publiques s'impose. Faut-il relever les peines ? Mentionner l'abus d'autorité ? Des contacts entre le ministère et l'AVFT ont eu lieu hier pour recueillir les suggestions de l'association. Il est quasiment certain qu'un projet de loi sera rédigé, très rapidement : ce sera sans doute le premier texte que présentera au Parlement la ministre aux droits des femmes, après les élections législatives. Elle y est très attachée !

M. Alain Anziani . - La définition communautaire est-elle suffisamment précise pour satisfaire le Conseil constitutionnel ?

Mme Muguette Dini . - Bonne question !

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Nous travaillons avec le double filtre du ministère de la justice et du Conseil d'Etat qui examinera la rédaction.

Mme Laurence Cohen . - Le Sénat s'est mobilisé sur ce sujet avec une célérité qui mérite d'être soulignée. Mais vous dites que le ministère a engagé de son côté un travail de rédaction. Dans ces conditions, comment ces six propositions de loi seront-elles prises en considération ? La démarche sera-t-elle collective ?

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Les propositions de loi dont nous avions le texte ont été analysées et portées à la connaissance du cabinet. Nous avons établi un tableau comparatif afin de tirer des textes leur substantifique moelle. Des allers et retours auront lieu, je n'en doute pas, entre le cabinet de la ministre et les sénateurs.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Pouvez-vous nous indiquer ce qui fait consensus, ce qui pose problème, ou encore les points qu'elles n'auraient pas abordés ?

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Nous pensons qu'il serait bon de retenir comme définition du harcèlement sexuel le fait de faire subir à une personne tout geste, propos ou acte à connotation sexuelle, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, etc.

Nous avons repris vos termes : ceux de « comportement non désiré » « à connotation sexuelle » figurent par exemple dans la proposition de loi de M. Kaltenbach. Nous insistons sur la notion de menace, de contrainte, de pressions, qui aggravent l'infraction. Nous retenons les sanctions prévues dans la proposition de loi de Mme Gonthier-Maurin en cas de circonstances aggravantes, trois ans d'emprisonnement, 45.000 euros d'amende. L'abus d'autorité, en particulier sur les mineurs de moins de quinze ans, sera également mentionné. Doit-on prendre aussi en compte la fragilité économique des victimes présumées ? Comment la définir ?

Mme Gisèle Printz . - Pourrez-vous nous transmettre ce tableau comparatif ?

Mme Nathalie Tournyol, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. - Bien sûr... dès que nous aurons ajouté les deux dernières propositions de loi.

M. Alain Gournac . - Quelle sera la valeur ajoutée de notre groupe de travail ? A quoi servons-nous si un projet de loi - je suis fort étonné de l'apprendre - est en cours d'élaboration ? Aurons-nous la possibilité d'enrichir le texte présenté par la ou les ministres ?

Mme Esther Benbassa . - La décision du Conseil constitutionnel se fonde sur le flou de la définition du harcèlement, sur le flou de la notion d'abus de pouvoir - issue du droit anglo-saxon. Les propositions de loi ne restent-elles pas dans ce flou ? C'est pourquoi je souhaiterais que nous entendions des juristes. Je me réjouis qu'une nouvelle loi soit élaborée rapidement, avec le concours des associations féministes, mais il ne faudrait pas retomber dans le même travers que précédemment !

Mme Françoise Laborde . - Exactement.

J'appartiens à la délégation aux droits des femmes. Or je me sens en porte-à-faux ici, et je suis très désagréablement surprise, je l'avoue, de découvrir que quatre propositions de loi, -et même peut-être six- ont déjà été déposées. Il ne manque qu'une proposition du RDSE, si je comprends bien ? J'ai reçu une convocation pour la présente réunion, mais je n'étais pas au courant de ces initiatives.

M. Alain Anziani . - Définira-t-on un cadre général, celui du harcèlement, décliné ensuite en harcèlement sexuel ? Il me paraît en outre nécessaire de définir ce qu'est le harcèlement, ce que je n'ai pas fait dans ma proposition, et de faire un sort à la question de la répétition.

Mme Muguette Dini . - Oui !

M. Alain Anziani . - Méditons ce qu'a souligné Mme Claire Waquet, avocate, qui présentait au Conseil constitutionnel la QPC : le flou autorise tous les débordements. Si nous ne sommes pas assez précis dans notre rédaction, nous retomberons dans les mêmes problèmes. Et ne cherchons pas la solution dans une rétroactivité de la loi, cela n'est pas réaliste. Il n'en est que plus nécessaire d'aller vite. Les procédures annulées ne pourront pas forcément être reprises sur le fondement d'autres qualifications, comme, par exemple, celle d'agression sexuelle.

Mme Laurence Cohen . - Je souhaiterais que l'on précise l'objet de ce groupe de travail, car nous allons faire des auditions à marche forcée, recevoir l'éclairage intéressant venu du terrain. Mais notre démarche servira-t-elle ? Nous avions l'habitude jusqu'à présent d'échanger avec les ministres sur les sujets à venir. Cela va-t-il continuer ? La nouvelle ministre prend ce sujet à coeur, je la soutiens ; mais il serait bon de travailler ensemble, afin d'éviter les écueils qui viennent d'être fatals à la loi précédente.

Le harcèlement renvoie à l'idée d'un acte répété, le dictionnaire est clair. Mais le harceleur poursuivi pour un seul acte peut en avoir commis bien d'autres auparavant. Il faudra creuser ce point. En outre, une personne harcelée subit un traumatisme grave, qui se prolonge, parfois très longtemps. Comment prendre en compte ces conséquences psychologiques durables ? Bref, la notion de répétition est délicate.

Certaines femmes, aujourd'hui, n'ont plus aucun recours. Il serait bon d'entendre des juristes, des magistrats. La loi du 10 juillet 1989 sur l'enfance maltraitée institue un délai de prescription qui recommence à courir à partir de la majorité de l'enfant. Le cas ici est complètement différent mais ne pourrions-nous pas nous en inspirer ? Je songe aux femmes confrontées au vide juridique : aidons-les.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - C'est le droit du législateur que nous sommes de déposer des propositions de loi. Je les vois comme des contributions à la réflexion commune. Quant à cette première série d'auditions, elle sera le moyen d'identifier les questionnements. Nous venons d'en évoquer certains, la répétition, la qualification précise dont les magistrats ont besoin, l'harmonisation des codes et du statut des fonctionnaires, mais aussi, disons-le franchement, l'intention de l'acte - « ayant pour objet » ou « ayant pour effet » - la relation hiérarchique comme circonstance aggravante, la réintroduction ou non de l'abus d'autorité, etc. Les points de vue sont divers sur chacun de ces aspects.

M. Alain Gournac . - Une précision : je ne critique pas la volonté du Gouvernement d'aller vite, j'y suis favorable. J'ai entendu à la radio une femme en pleurs : le jour du procès était enfin arrivé, mais d'un coup tout s'est arrêté, tout était terminé...

Ne réintroduisons pas sur le lien hiérarchique comme élément matériel de la définition, car nous risquerions d'abandonner toutes les victimes de harcèlement sexuel commis par des personnes sans lien de subordination avec elles, des collègues. Aidons aussi les femmes qui, à tort, ont honte d'avouer ce qui leur arrive.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Je partage les propos de Mme Gonthier-Maurin, concernant la démarche du Sénat - qu'aurait-on pensé si nous n'avions pas réagi après la décision du Conseil constitutionnel ? Tout parlementaire est libre de déposer une proposition de loi, l'initiative législative lui appartient conjointement avec le Gouvernement. Au Sénat de décider quelle importance il attache à tel projet, à telle proposition. Si, à la fin des travaux du groupe de travail, nous sommes d'accord sur tout ou partie des points discutés, nous serons parfaitement préparés pour appréhender un texte en commission et en séance publique.

Mme Muguette Dini . - Je partage l'analyse de Mme Gonthier-Maurin et j'ai conçu ma proposition de loi comme une contribution. Je ne prétends pas détenir la vérité...

Il me paraît utile d'entendre, lors des auditions, des représentants des victimes, des juges, afin d'élaborer une loi efficace. Ne pensons qu'aux victimes, au poids qu'elles portent. Dissuadons les harceleurs ! Or, pour y parvenir, il est essentiel que les victimes soient entendues et que les auteurs, même s'il est difficile de les faire condamner, soient au moins inquiétés. Cela est très important pour le devenir de notre société. J'étais réticente devant la définition retenue dans les directives, issue du droit anglo-saxon. Mais s'il faut en passer par là, soit, car trop de femmes sont victimes de harcèlement, il est grand temps d'y mettre un coup d'arrêt.

M. François Pillet . - Si je suis là aujourd'hui, c'est parce que je souhaiterais un vote unanime de la représentation nationale sur la future loi. Ce n'est pas très difficile : il suffit de rédiger un texte reposant sur une assise juridique solide. Toute notre attention doit être tendue vers ce but. La doctrine fut d'emblée très négative, très critique sur le texte issu de la loi du 17 janvier 2002. Analysons aussi les commentaires du Conseil constitutionnel qui accompagnent et éclairent sa décision. Les diverses propositions de loi sont autant de contributions, leurs exposés des motifs aussi, tel celui de M. Anziani, qui développe une très solide analyse juridique.

Pourquoi une telle difficulté à définir le harcèlement ? Parce que les éléments matériels pouvant constituer l'incrimination sont nombreux et divers. Concernant la répétition, nous pourrions traiter distinctement du harcèlement à répétition et du fait unique constituant une infraction grave. Il serait bon de vérifier quels actes exactement sont déjà couverts par le code pénal. Ainsi l'agression sexuelle, aujourd'hui, ne se résume pas aux agressions physiques. Il serait utile, également, de bien cerner l'élément moral, l'intention, et de distinguer l'effet et l'objet.

Le Conseil constitutionnel nous a mis une mauvaise note sur la définition : évitons sa censure sur d'autres aspects. A vouloir faire trop large, nous prendrions des risques. Ne nous privons pas non plus des avis de professeurs de droit pénal. Car il est impensable d'échouer une deuxième fois.

Mme Virginie Klès . - Agression n'est pas harcèlement. Que vaut-il mieux : définir le harcèlement, et dans ce cadre, le harcèlement sexuel ? Ou définir directement le harcèlement sexuel ? Celui-ci existe ailleurs que sur le lieu de travail, il se produit au sein du couple, intervient dans les violences conjugales, mais les magistrats peinent à appliquer cette notion. Nous avons l'occasion d'améliorer les textes sur tous ces sujets, ne nous en privons pas. Harcèlement sexuel et harcèlement moral sont très imbriqués.

M. François Pillet . - Je suis bien d'accord. Le harcèlement sexuel au sein du couple ne peut entrer dans une définition globale ; il faut une infraction particulière.

Mme Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes . - La loi du 9 juillet 2010 fut adoptée à l'unanimité par le Sénat et par l'Assemblée nationale. Elle était une avancée. Certains d'entre vous suivent attentivement sa mise en oeuvre, notamment l'éloignement du conjoint violent, qui donne de bons résultats.

Sur la répétition, nous préférerions nous en tenir - mais le pouvoir exécutif, je n'en doute pas, entendra vos éventuelles réflexions - à la définition issue de la directive, qui ne mentionne pas la répétition.

En l'absence de rétroactivité de la loi pénale se pose le problème des femmes ayant engagé une procédure désormais annulée. Un nouveau délit pourrait-il s'accompagner d'un délai de prescription aménagé ? Je transmettrai votre interrogation au ministère de la justice.

Bien sûr, il est important que les victimes se manifestent. Nous lancerons une grande campagne associant, parmi d'autres, les partenaires sociaux, avant le 25 novembre, journée de sensibilisation sur les violences faites aux femmes. L'an dernier, la campagne « 3919 » de promotion du numéro vert s'était traduite par une hausse notable du nombre d'appels téléphoniques.

Pour mon service, il importe de rester au plus près des termes de la directive. Les Belges, les Luxembourgeois ont procédé ainsi, transcrivant directement le texte communautaire dans leur code pénal. La France est toujours en avance en Europe sur les droits des femmes. Ce qu'adopteront le Sénat et l'Assemblée nationale aura un fort impact auprès des autres pays.

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