PRÉFACE

Mesdames, Messieurs,

Le 4 mai dernier, le Conseil constitutionnel, saisi par le moyen d'une question prioritaire de constitutionnalité, a abrogé l'article 222-33 du code pénal relatif au harcèlement sexuel, mettant de ce fait un terme à l'ensemble des procédures en cours engagées par les victimes.

Dès l'annonce de cette décision, le Sénat a réagi en créant un groupe de travail destiné à réfléchir à la façon la plus appropriée de combler au plus vite ce vide juridique particulièrement préjudiciable aux victimes.

Constitué à l'initiative de nos trois instances les plus directement concernées par le traitement de ce sujet sensible - la commission des lois, la commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes - et présidé par leurs trois présidents respectifs, Jean-Pierre Sueur, Annie David et Brigitte Gonthier-Maurin, ce groupe de travail, comptant une vingtaine de membres, a été composé avec le souci d'assurer à la fois une représentation équilibrée de ces trois formations ainsi que des différents groupes politiques du Sénat.

Afin de favoriser un échange de vues le plus large possible, l'ensemble des membres des commissions des lois, des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes ont été invités à prendre part à ses travaux.

Au cours des semaines passées, nous avons procédé à l'audition de plus de cinquante personnes concernées, à un titre ou à un autre, par la lutte contre ce phénomène particulièrement insidieux d'atteinte à la dignité des personnes : associations représentant les victimes de harcèlement sexuel ou engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes, syndicats du secteur privé et de la fonction publique, représentants du patronat, représentants de magistrats, de la profession d'avocat, ainsi que de diverses administrations concernées. Nous avons également entendu le Défenseur des droits ainsi que le procureur de la République de Paris.

Ces auditions nous ont notamment permis de discuter des sept propositions de loi déposées sur le Bureau de notre Assemblée par plusieurs de nos collègues 1 ( * ) , représentant les diverses sensibilités politiques du Sénat.

Ces propositions de loi comme ces nombreuses auditions mettent en évidence l'importance toute particulière que nous accordons à établir une définition précise du harcèlement sexuel, ainsi que notre souhait de permettre rapidement aux victimes de faire à nouveau valoir leurs droits devant les juridictions pénales.

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Les auditions menées par le groupe de travail sous la présidence de Jean-Pierre Sueur, Annie David et Brigitte Gonthier-Maurin, dont le compte-rendu est publié ici, ont permis d'identifier un certain nombre de difficultés et, souvent, de définir des points d'accord.

§ A la question « le harcèlement sexuel implique-t-il nécessairement des actes répétés ? », le groupe de travail a considéré que cette condition était inhérente à la notion même de harcèlement.

Pour autant, il lui a paru nécessaire de tenir compte de situations particulières , telles qu'un entretien d'embauche ou l'attribution d'un logement, dans lesquelles la proposition d'actes sexuels n'est faite qu'en une occasion unique mais peut avoir de graves conséquences pour la victime et doit de ce fait être également réprimée.

En conséquence, il est apparu souhaitable, tout en les distinguant, d'inclure ces deux situations dans la définition que donnera le code pénal du harcèlement sexuel.

Dans un souci de lisibilité, ces deux situations devraient être traitées dans un article unique, quitte, si cela paraît nécessaire, à faire référence à d'autres incriminations prévues par le code pénal (chantage, corruption, discrimination, par exemple) et à veiller à la cohérence avec les articles qui les définissent.

§ Concernant les auteurs de l'infraction, le groupe de travail a considéré que la définition du harcèlement sexuel ne devrait pas se limiter à punir les actes commis par une personne disposant d'un pouvoir hiérarchique sur la victime, car de tels faits sont également susceptibles d'être commis par un collègue ou par une personne de son entourage, hors de tout cadre professionnel. En revanche, l'existence d'un lien hiérarchique devrait être regardée comme une circonstance aggravante de l'infraction et punie de peines plus lourdes (voir infra ).

§ S'interrogeant sur l'élément moral de l'infraction, les membres du groupe de travail ont constaté que le harcèlement sexuel n'avait pas toujours pour but d'obtenir de la personne harcelée des relations sexuelles ou d'autres « actes » de nature sexuelle - un consensus se dégageant d'ailleurs pour bannir du vocabulaire juridique le terme de « faveurs sexuelles » qui figurait jusqu'alors dans la loi. Pour autant, ils ont souhaité que ce type de comportement continue à être expressément prohibé par la loi pénale, que l'auteur ait pour but d'obtenir des actes sexuels à son profit ou au profit d'une tierce personne.

L'ensemble des auditions ont en effet mis en évidence que, souvent, le harcèlement sexuel était commis par des personnes cherchant à humilier la victime, sans nécessairement vouloir obtenir d'elle des actes sexuels. Les homosexuels et transsexuels seraient particulièrement victimes de ce type de comportement.

Aussi le groupe de travail a-t-il souhaité que puissent être réprimés les actes de harcèlement sexuel portant atteinte à la dignité de la victime .

Il s'est également interrogé sur l'opportunité de viser les actes de harcèlement sexuel portant atteinte aux droits de cette dernière - la jurisprudence du Conseil constitutionnel 2 ( * ) contraignant en tout état de cause dans ce cas le législateur à préciser les « droits » auxquels le harcèlement serait susceptible de porter atteinte.

Sur un plan strictement juridique, plusieurs sénateurs ont exprimé leurs réticences à l'égard de certains termes figurant dans la définition donnée par le droit communautaire du harcèlement sexuel 3 ( * ) et repris par certaines propositions de loi :

- les termes « avoir pour effet de porter atteinte » risquant d'introduire une dimension subjective dans la définition du délit, le groupe de travail a estimé qu'il serait préférable de leur substituer les termes, plus objectifs, « qui porte atteinte » ;

- de même, les termes « environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » ayant été jugés trop imprécis par plusieurs sénateurs, le groupe de travail a envisagé de leur substituer le mot « situation », qui permet peut-être de rendre compte de façon plus objective du climat particulier d'ostracisme dans lequel est souvent placée la victime de harcèlement sexuel.

§ S'agissant des actes matériels susceptibles de caractériser l'infraction, une majorité de sénateurs a considéré que tout « propos, acte ou comportement » devrait entrer dans le champ de l'infraction, y compris les propos écrits ou envoyés à la victime par courrier ou par Internet, dès lors que ceux-ci sont répétés, qu'ils ont une « connotation sexuelle » et que, directement ou indirectement, ils ont un caractère intimidant, humiliant ou offensant ou qu'ils portent atteinte à la dignité de la personne.

Le groupe de travail s'est également interrogé sur la meilleure façon de transcrire dans la loi l'absence de consentement de la victime de tels actes ou propos : agissements « imposés », « subis » ou « non consentis » - l'examen des propositions et du projet de loi en commission puis en séance publique permettra de trancher sur les termes. En tout état de cause, le groupe de travail ne souhaite pas qu'il soit fait référence à des agissements « non désirés », le caractère subjectif d'une telle notion risquant de soulever des difficultés d'interprétation devant les juridictions.

§ Le groupe de travail s'est accordé sur un certain nombre de circonstances aggravantes . Il souhaite ainsi que les peines encourues soient alourdies lorsque les faits sont commis par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, lorsqu'ils sont commis par plusieurs personnes, lorsque la victime est particulièrement vulnérable ou lorsqu'elle est mineure.

En revanche, il a écarté l'idée de mentionner le harcèlement sexuel « commis sous la menace d'une arme ou d'un animal », comme le proposent deux des propositions de loi sénatoriales : une telle circonstance aggravante serait en effet de nature à créer une confusion avec d'autres infractions - plus sévèrement punies d'ailleurs - telles que les violences volontaires ou l'agression sexuelle notamment.

§ Enfin, le groupe de travail a estimé, au regard de l'ensemble de l'échelle des peines prévue en matière d'atteintes aux personnes, qu'il était raisonnable de continuer à punir le harcèlement sexuel de peines d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende, celles-ci devant toutefois être portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque les faits sont commis en présence d'une ou de plusieurs circonstances aggravantes.

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Nous sommes à présent prêts à débattre dès que possible, en commission et en séance publique, du projet de loi déposé le 13 juin sur le Bureau de notre Assemblée et de l'ensemble des propositions de loi.


* 1 Le texte de ces propositions de loi peut être consulté aux adresses suivantes :

- Proposition de loi n° 536 de M. Philippe Kaltenbach : http://www.senat.fr/leg/ppl11-536.html

- Proposition de loi n° 539 de M. Roland Courteau : http://www.senat.fr/leg/ppl11-539.html

- Proposition de loi n° 540 de M. Alain Anziani : http://www.senat.fr/leg/ppl11-540.html

- Proposition de loi n° 556 de Mme Muguette Dini et plusieurs des ses collègues : http://www.senat.fr/leg/ppl11-556.html

- Proposition de loi n° 558 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et plusieurs de ses collègues : http://www.senat.fr/leg/ppl11-558.html

- Proposition de loi n° 565 de Mme Chantal Jouanno et plusieurs de ses collègues : http://www.senat.fr/leg/ppl11-565.html

- Proposition de loi 579 de Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues : http://www.senat.fr/leg/ppl11-579.html

* 2 Décision n° 2001-455 du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale.

* 3 La définition communautaire définit le harcèlement sexuel comme ayant « pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

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