CHAPITRE
II :
L'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE A PROGRESSÉ
DANS
LE MONDE
La réduction de la faim a été promue au rang d'objectif prioritaire - avec des formules différentes - par les grands sommets du développement. Elle a été au coeur d'événements parmi les plus spectaculaires organisés à la fin du XXe siècle autour de méga-happening rock.
La sécurité alimentaire avait progressé jusqu'au seuil des années 90 sous l'effet d'une croissance régulière de la production agricole. Au-delà de 1990, année qui correspond à l'adoption du consensus de Washington consacrant une conception libérale du développement sous l'influence de l'École de Chicago17(*), la production agricole a continué à croître mais sans que cette tendance ne s'accompagne d'un recul numérique des victimes de la faim.
Les années 2000 ont vu se produire une dégradation très préoccupante qui conduit à remettre en cause les tendances et le cadre du développement agricole.
Dans le Monde, ce sont les paysans qui sont majoritairement les victimes de la malnutrition même si les pauvres urbains partagent, ce sort insupportable.
La croissance économique apparaît comme un cadre favorable à la régression de cette plaie, tout particulièrement la croissance agricole18(*), mais ce n'est pas une condition suffisante.
La répartition des revenus compte, non seulement par ses effets de solvabilisation de la demande mais aussi parce que le partage des revenus agricoles est, à coup sûr, une variable déterminante pour la situation agricole des pays.
I. PROPOS LIMINAIRES : UNE MESURE DE LA FAIM DANS LE MONDE QUI GAGNERAIT À ÊTRE PRÉCISÉE ET ÉLARGIE
La mesure de « la faim dans le monde » est complexe et pour partie « inobservée », c'est-à-dire qu'elle résulte de conventions statistiques ou d'enquêtes et non d'un décompte physique systématique.
La FAO mesure la faim à partir d'une norme de besoins énergétiques quotidiens minima correspondant à la quantité de calories nécessaires pour une activité légère et un poids minimum acceptable pour la taille atteinte.
Les disponibilités caloriques sont calculées à partir de la production agricole à quoi s'ajoute le solde des exportations et des importations diminué des pertes.
Elles sont rapportées à la population qui est pondérée par ses caractéristiques pertinentes pour établir un chiffre global de besoins en calories.
À partir de ces données, un ratio donne l'évaluation des disponibilités théoriques individuelles et, après application d'un modèle de répartition des disponibilités, le chiffre des personnes susceptibles de ne pas disposer les 1 800 kilocalories journalières nécessaires à un apport minimal en énergie.
Le phénomène de « sous-alimentation » regroupe les personnes qui sont sous cette barre énergétique.
On pressent les obstacles auxquels se heurte une estimation précise du phénomène le décompte des disponibilités théoriques et l'estimation de leur distribution effective ne présentant pas toutes les garanties d'exactitude souhaitables.
On peut même évoquer, au-delà d'un simple problème d'imprécision, une forme d'ignorance de l'ampleur du phénomène de la faim.
On peut certes considérer que les variations de la mesure de la sous-alimentation donnent des informations sur ses tendances mais, là également, il existe quelques doutes en ce sens que la mesure des disponibilités et de leurs évolutions restent très incertaine.
Mais, le problème le plus sérieux est ailleurs. Il réside dans l'inadéquation partielle du critère énergétique pour mesurer les phénomènes que recouvrent les concepts de « faim dans le monde » ou de « sécurité alimentaire pour les individus ».
En premier lieu, les qualités nutritives des rations alimentaires sont largement négligées dans l'approche énergétique. Or, quand on passe d'un critère de « sous-alimentation » à un critère de « sous-nutrition » le nombre de personnes concernées augmente considérablement. Une fois prises en compte les carences en micronutriments, en iode, en vitamine A et en fer (par exemple), la cohorte des individus sous-alimentées, qui est de l'ordre de 925 millions se transforme en des groupes humains pouvant compter plus de 2 milliards de personnes.
En second lieu, manque dans cette approche la mesure du sentiment de sécurité alimentaire. À cet égard, la mesure des personnes privées du bénéfice effectif du droit à l'alimentation pourrait présenter une façon plus réaliste, et plus politique, d'appréhender le phénomène.
La définition de ce droit donné par l'Observation générale 12 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, chargé de contrôler la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, pourrait fournir une bonne base de départ à un tel décompte.
Elle indique que « le droit à une nourriture suffisante est réalisée lorsque chaque homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec d'autres, a physiquement ou économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante ou aux moyens de se la procurer »19(*).
* 17 La même qui a efficacement promu le monétarisme, l'efficience des marchés et la critique systématique de l'intervention de l'État.
* 18 Mais sans pour autant qu'on doive systématiquement accorder à celle-ci un rôle de précurseur du développement économique global. La question du rôle de l'agriculture dans le décollage économique est particulièrement débattue.
* 19 Il faut ajouter que le Comité pose que « chaque État a l'obligation fondamentale d'adopter les mesures nécessaires pour lutter contre la faim, même en période de catastrophe naturelle ou autre ».