B. INQUIÉTUDES POUR LA BIODIVERSITÉ

Cette réduction de la biodiversité des sols n'est au demeurant qu'une des modalités des effets plus globaux de l'agriculture sur la biodiversité.

L'agriculture substitue des agro-systèmes à des écosystèmes avec pour incidence une diminution de la variété des espèces. On ne peut pas mesurer précisément l'ampleur de ce phénomène non plus qu'en appréhender toutes les conséquences.

Certains évoquent une « sixième grande crise d'extinction » c'est-à-dire une crise aussi sérieuse que celle qui a vu la disparition des dinosaures et de la moitié des espèces, il y a 65 millions d'années.

La réduction de la biodiversité vue par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques du Parlement français

L'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques a consacré en 2007 un rapport aux problèmes posés par l'évolution de la biodiversité intitulé : « La biodiversité : l'autre choc ? l'autre chance ? »50(*).

La biodiversité des écosystèmes est présentée comme étant une voie de forte altération. Le rythme de disparition des espèces s'accélère avec la perspective à 2050 d'un rythme 100 à 1 000 fois supérieur au rythme naturel. Certains biotopes sont particulièrement menacés (les milieux humides et les eaux continentales notamment) atteints par la pollution et l'usage excessif de l'eau par l'agriculture qui excède les possibilités d'adaptation des espèces aux cycles biologiques. Le rapport indique qu'en trente ans, la Beauce a perdu plus de 30 % des composés organiques de son sol. Les pressions traditionnelles s'accroissent puisque, selon le rapport, depuis 1990, l'empreinte écologique de l'humanité dépasse les capacités de reconstitution de la planète.

Le changement climatique devrait accentuer le processus, les hypothèses du GIEC estimant que 35 % des espèces mondiales pourraient disparaître de son fait.

Le rapport affirme l'urgence des initiatives à prendre.

Il faut en particulier réduire les pressions sur les forêts tropicales, les ressources marines et les espaces naturels.

La protection des forêts tropicales passe par l'amplification de la conservation, mais aussi par la généralisation de l'exploitation rationalisée et par sa réinsertion dans l'économie mondialisée.

La constitution de réserves forestières doit être entreprise. L'exploitation des forêts doit être rationalisée car lorsqu'une forêt tropicale n'est plus exploitée elle ne vaut rien et est donc détruite au profit d'installations d'élevage (Brésil), ou de plantations industrielles (Asie du Sud-Est ou Afrique).

Il est donc nécessaire d'exploiter la forêt mais de façon beaucoup plus rationnelle qu'on ne le fait souvent.

Enfin, une réinsertion réussie de l'économie forestière dans la mondialisation oblige à corriger les prix du marché pour tenir compte d'une rareté que les coûts structurels de son exploitation ne reflètent pas suffisamment.

Pour les ressources marines, la FAO estime que la moitié des stocks halieutiques sont exploités au maximum et qu'un quart est surexploité ou épuisé.

Pour sauver les stocks restants, il est nécessaire de mettre en oeuvre une gestion durable des ressources maritimes, ce qui implique :

- d'amplifier la constitution de réserves maritimes ;

- d'accorder une attention particulière à la gestion des milieux côtiers car en 2050, 80 % de la population mondiale vivra sur les côtes ;

- de refondre la gouvernance de la pêche en la faisant reposer sur l'efficacité des contrôles et l'expérimentation d'attribution de quotas de pêches individuels et rétrocessibles.

Quant aux espaces naturels, le rapport propose qu'une réforme de la loi de 1976 intervienne pour compenser toute destruction d'espaces naturels par une restauration d'autres surfaces, ainsi que la création d'un marché de la compensation des atteintes aux espaces naturels qui serait le pendant du marché des émissions de C02.

Les menaces sur la biodiversité doivent être mieux anticipées.

Ainsi, des effets du changement climatique par la mise en place des structures d'observation à long terme et la systématisation de la modélisation prédictive sur les réactions des écosystèmes. La conservation des semences s'impose, la France devant s'associer notamment au conservatoire mondial des semences culturales géré par la FAO.

Il convient de mettre fin à l'anomalie que constitue l'interdiction de vente des semences culturales anciennes qui ne figurent pas au catalogue officiel. Un registre de ces semences devrait pouvoir être mis en place et géré par le Bureau des Ressources Génétiques (BRG). La vente par les associations de protection de la biodiversité ne devrait plus constituer un délit.

Sur le problème des transgénèses et de l'adaptabilité génétique, le rapport estime que la généralisation des cultures d'organismes génétiquement modifiés n'est pas favorable au maintien de la biodiversité mais que le recours à des transgénèses permet de développer la résistance des espèces à la sécheresse et qu'ainsi le recours à une sélection génétique traditionnelle plus poussée devrait être exploré.

Les concurrences futures d'occupation d'espaces doivent être réglées convenablement.

L'extension actuelle des cultures dédiées aux biocarburants et dont l'impact écologique est négatif contribue fortement à la déforestation dans le sud-est asiatique et il serait souhaitable de proclamer en Europe un moratoire sur l'utilisation de ces biocarburants, en attendant la deuxième génération.

Par ailleurs, il faut anticiper les effets des perturbations de l'hydrosphère qui s'annoncent. À cet égard, la mise en oeuvre progressive d'une agriculture de précision optimisant les processus naturels est indispensable, les techniques de forçage du sol et de lutte contre les ravageurs ayant atteint des zones de rendements décroissants.

Les moyens d'étude de la FAO devraient être renforcés par des liens plus étroits avec les structures telles que l'INRA, le CEMAGREF, le CIRAD pour promouvoir cette agriculture de précision.

Enfin, le rapport appelle à valoriser la biodiversité.

Deux axes se profilent dans ce domaine :

- la rémunération des services rendus par les écosystèmes ;

- et l'exploration d'un réservoir de biens qui pourrait être une des boîtes à outils de la quatrième révolution industrielle.

La rémunération des services écologiques est justifiée par l'importance des apports de la biodiversité aujourd'hui mal rémunérés. Ainsi, des services sanitaires qu'elle rend puisque la biodiversité est un facteur important d'inhibition de nombreuses maladies (leishmaniose, maladie de Chagas, maladie de Lyme, etc.) ; le changement de climat renforçant l'importance de cette inhibition, assurée par la biodiversité des écosystèmes.

Quant aux services agronomiques, outre la pollinisation, la biodiversité rend des services agronomiques forts :

- l'accroissement de la biomasse ;

- des recherches menées en Europe et aux États-Unis sur les plantes herbacées révélant une corrélation positive entre le nombre d'espèces plantées et la récolte de biomasse à l'hectare. Des travaux identiques menés par l'INRA sur les céréales donnent des résultats similaires.

- la résistance à la sécheresse dont des expériences de même ordre faites aux États-Unis et au Burkina Fasso montrent que l'accroissement de la biodiversité permet d'en élever le niveau ;

- la résistance aux ravageurs au sujet de laquelle des études de l'INRA ont mis en évidence que l'insertion de feuillus dans des plantations industrielles de conifères faisait baisser l'impact des ravageurs.

Enfin, les services hydrologiques rendus par les zones humides - dont la moitié ont disparu en France depuis cinquante ans -, les forêts, les talus jouent un rôle capital dans la distribution hydrologique - et principalement sur deux points, la filtration et le cycle de rétention-élimination lente de l'eau.

Le chiffrage des biens et services fournis par la biodiversité a été estimé autour de 33 000 milliards de dollars en 1997, soit un chiffre analogue à celui du PIB mondial d'aujourd'hui (de l'ordre de 35 000 milliards de dollars).

Mais la rémunération de ces biens publics est embryonnaire. Aussi le rapport recommande-t-il :

à l'échelle française, la création d'un marché de compensation des destructions d'espaces naturels fondé sur l'opposabilité d'« unités de biodiversité » négociables. Ce marché pourrait être complété par des actions spécifiques de rémunération des services hydrologiques rendus par les espaces naturels (zones humides, forêts, pays bocages) ;

à l'échelle européenne, le renforcement des mesures agro-environnementales du second pilier de la PAC (actuellement seulement 10 % du montant de la politique agricole commune) qui sera favorisé par la hausse du prix des matières premières agricoles.

Ces actions sont d'autant plus justifiées que la biodiversité constitue l'une des boîtes à outils de la nouvelle révolution industrielle à travers : la biomimétique et la bioinspiration et l'usine du vivant qu'offre le monde bactérien.

Par rapport à la chimie, les biotechnologies offrent plusieurs avantages : elles sont beaucoup plus économes en énergie puisqu'elles ne nécessitent pas de thermisation et utilisent des matériaux renouvelables et sont beaucoup plus précises.


* 50 Rapport n° 131 (2007-2008) de MM. Pierre Lafitte et Claude Saunier - 12 décembre 2007.