D. APERÇUS POUR LA FRANCE

Les agro-carburants en France n'échappent pas aux interrogations précitées. Un rapport d'évaluation de la Cour des comptes permet de le mesurer.

En France, les productions agricoles à des fins énergétiques occupent environ 6 % de la surface agricole utile totale mais comme c'est le cas en particulier pour les oléagineux, cette proportion peut être beaucoup plus élevée quand on ne considère que la surface spécifiquement dédiée.

een 1000 ha

Surface

1993

2004

2009

SAU

29 907

29 222

29 408

Biodiesel

Oléagineux (95 % de colza, 5 % tournesol)

Surface consacrée aux oléagineux tout usage

1 458

1 807

2 264

Surface estimée pour le biodiesel 2010 (ONIGC)

   

1 450

% de la surface oléagineux

   

64,05 %

% de la SAU en oléagineux pour le biodiesel

   

4,93 %

Maïs + blé tendre

Bioéthanol

Surface consacrée au blé tendre et maïs tout usage

6 067

6 596

6 413

Surface estimée pour le bioéthanol blé + maïs 2010 (ONIGC)

   

223

% de la surface blé + maïs pour le bioéthanol

   

3,48 %

% de la SAU blé + maïs pour le bioéthanol

   

0,76 %

Betteraves

Surface consacrée à la betterave tout usage

439

385

373

Surface estimée pour le bioéthanol betteraves 2010 (ONIGC)

   

40

% de la surface betteraves pour le bioéthanol

   

10,74 %

% de la SAU betteraves pour le bioéthanol

   

0,14 %

 

Surface estimée pour les biocarburants 2010

   

1 713

 

% de la SAU

   

5,82 %

Source : Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (ministère de l'agriculture) d'après AGRESTE, jusqu'à 2004, métropole, puis France entière. Changement de méthode en 2005

Les filières d'agro-carburants bénéficient d'un cadre d'incitations publiques en Europe et en France tout en étant largement ouvertes aux importations des matières premières agricoles nécessaires.

Cette configuration doit être prise en compte pour estimer les effets que pourrait avoir le soutien public aux agro-carburants sur les producteurs de biomasse français étant donné les écarts de compétitivité existant entre eux et certains de leurs concurrents étrangers.

Ainsi que le rappelle la Cour des comptes, « les subventions à la production sont traitées dans deux accords de l'OMC, celui sur l'agriculture d'une part, celui sur les subventions et mesures compensatoires (ASCM) d'autre part.

De ce point de vue, l'éthanol entre dans le champ de l'accord sur l'agriculture alors que le biodiesel est considéré comme un produit industriel, notamment parce qu'il est produit à travers le processus chimique de la transestérification.

Cette différence de classification n'entraîne pourtant que peu de conséquences pour le moment au regard de la légalité des subventions à la production de biocarburants dans la mesure où les États membres ne distinguent pas les soutiens particuliers aux biocarburants des subventions générales à l'agriculture.

Au regard des échanges internationaux les produits agricoles peuvent bénéficier, en règle générale, d'une protection assez supérieure à celle des produits industriels et le marché de l'éthanol devrait ainsi être solidement protégé contre les importations à la différence de celui du biodiesel. Mais la pratique montre qu'il n'en est rien.

Dans la plupart des cas, les biocarburants produits à l'étranger entrent sur le marché européen avec des droits de douane proches de zéro.

La Cour rappelle que ces règles sont par ailleurs l'enjeu de négociations.

Deux points concernent l'agenda de développement de Doha :

- dans la partie de la négociation consacrée à l'agriculture, le volet des subventions à la production donne lieu pour l'instant à des propositions de réduction de 70 à 80 % par rapport aux plafonds acceptés lors de la précédente négociation. Un accord éventuel à l'OMC sur de telles bases se traduirait, de manière certes indirecte mais néanmoins certaine, par des contraintes fortes sur les subventions au bioéthanol ;

- dans un autre chapitre concernant les liens commerce/environnement, il a été prévu « d'engager des négociations concernant la réduction ou l'élimination des obstacles tarifaires visant les biens et services environnementaux ». Dès 2007, le Brésil a proposé d'inscrire les biocarburants dans la catégorie de ces biens. Cette proposition a pour le moment rencontré l'opposition tant des États-Unis que de l'UE, mais son acceptation pourrait, à un moment donné, être une concession de l'UE ou des États-Unis en échange d'un gain dans un autre domaine. Il en résulterait alors la quasi-disparition de tout ce qui reste de protection du marché intérieur européen vis-à-vis des biocarburants étrangers.

Des questions similaires se posent dans les négociations UE/Mercosur où le Brésil maintient une attitude très offensive sur cette question, à la fois sous l'angle agricole et sous celui de l'environnement, d'autant que ce pays effectue un effort important pour renforcer le caractère durable des biocarburants. »

La Cour rappelle également que, si les règles européennes de protection non spécifiques aux biocarburants qui s'appliquent, peuvent être assez strictes comme c'est le cas pour l'éthanol qui supporte des droits ad valorem de 25 à 45 %, sont dans les faits nettement moins protectrices soit en raison du contournement des protections par le recours à la technique du mélange soit du fait des accords préférentiels appliqués par l'Union européenne et dont profitent particulièrement le Brésil, l'Argentine, l'Indonésie et la Malaisie.

La politique en faveur des biocarburants aurait été supportée, selon la Cour des comptes, par le consommateur du fait :

- de l'augmentation des volumes consommés en raison de la moindre teneur énergétique des agro-carburants ;

- et de la répercussion des pénalisations (de TGAP) pour non-incorporation par les distributeurs.

Les schémas ci-dessous illustrent les incidences de la politique mise en oeuvre pour les différents acteurs.

Le premier graphique ci-dessus illustre le bilan de financement de la filière à l'éthanol tandis que le second concerne le biodiesel.

Selon la Cour des comptes, les circuits impliqués sont les suivants respectivement pour la filière éthanol et la filière biodiesel :

Pour l'éthanol :

les producteurs ont reçu 0,85 Md€ de défiscalisation réglée par la collectivité (mais aucune contribution au titre du partage de la prime de TGAP évitée) ;

l'État (le contribuable) a payé la défiscalisation (0,85 Md€) mais a perçu des taxes supplémentaires : 1,0 Md€, la TGAP répercutée : 0,32 Md€. L'État a donc bénéficié de 0,47 Md€ de rentrées fiscales supplémentaires ce qui signifie que la politique sur l'éthanol est un gain pour lui ;

- le chiffre d'affaires du pétrolier ou distributeur s'est accru de 0,54 Md€ ;

le consommateur a payé le prix fort, soit 1,54 Md€ de consommation supplémentaire et 0,32 Md€ de TGAP répercutée, soit au total : 1,86 Md€.

Pour le biodiesel :

les producteurs ont récupéré 1,8 Md€ de défiscalisation sur 2005-2010. Le chiffre d'affaires du pétrolier ou distributeur s'est accru de 0,4 Md€ de consommation HT supplémentaire.

le contribuable a payé 1,29 M€, solde entre une défiscalisation de 1,8 Md€ et 0,5 Md€ de recettes fiscales supplémentaires dues à la surconsommation de carburant (la TGAP répercutée est négligeable).

- le consommateur a payé au total 0,91 Md€ se décomposant comme entre 0,5 Md€ de taxes supplémentaires, 0,01 Md€ de TGAP répercutée et 0,4 Md€ de consommation HT supplémentaire.

Globalement, comme le rappelle utilement la Cour des comptes, les grandes fédérations de producteurs agricoles, excepté la Confédération paysanne, mais aussi les chambres d'agriculture, défendent la politique de soutien aux biocarburants.

Ces organisations considèrent que les biocarburants représentent un débouché supplémentaire pour les agriculteurs qui peut de plus avoir une influence favorable sur leur prix de vente. Il est admis notamment pour la betterave que la production destinée à alimenter la filière des agro-carburants a représenté une solution de remplacement permettant de compenser la part de surface cultivée résultant de la réforme du marché mondial du sucre qui a restreint la capacité exportatrice de la France. Ils font également valoir que les biocarburants ont permis d'élargir les surfaces cultivées, en oléagineux tout particulièrement, sans impact sur les autres cultures ni effet d'éviction sur les exportations. De fait, l'existence de coproduits générés par la filière (tourteaux, drêches et pulpes) destinés à l'alimentation animale aurait libéré des surfaces pour d'autres productions et pourrait atténuer la dépendance à l'égard de produits importés. On cite en ce sens le fait qu'en 2009, les tourteaux de soja importés ne représentaient plus que 50 % des besoins de l'alimentation animale contre 66 % en 2003. Les effets sur l'emploi sont encore mentionnés à l'avantage des biocarburants, une étude montrant que 1 000 tonnes de biocarburants occupent 6 emplois (directs et indirects) en France contre 0,01 emploi pour 1 000 tonnes d'essence.

Ces arguments appellent considération. Mais plusieurs observations doivent également intervenir.

Le coût de la politique de soutien aux biocarburants sans laquelle la filière ne serait pas viable, en l'état des prix de l'énergie fossile, doit être pris en compte pour apprécier les effets de la filière qu'il s'agisse de l'adjonction de revenu ou des emplois mobilisés.

 Le « contrefactuel » à partir duquel on évalue les impacts de la politique de développement des biocarburants, est souvent simplifié à outrance. Par exemple, l'argument sur l'absence d'effet d'éviction sur les terres se recommande d'un fait historiquement daté, à savoir l'existence de la jachère. Or, celle-ci était imposée à des terres auparavant cultivées alors même que les biocarburants étaient encore dans les limbes. Il est assez peu probable que les surfaces exploitées par la filière ne l'auraient systématiquement point été sans celles-ci. Autrement dit, en France comme ailleurs, les cultures énergétiques se substituent aux cultures alimentaires, au moins pour une partie. La France contribue ainsi, d'autant qu'elle importe par ailleurs une partie des matières premières agricoles nécessaires à la filière, à compliquer, du moins sous un certain angle, la résolution de l'équation alimentaire mondiale.

 Le développement des coproduits afin de nourrir les animaux n'est pas nécessairement une bonne nouvelle compte tenu des doutes sur les effets sanitaires d'une nourriture animale qui n'est pas inscrite dans les processus privilégiés par la nature.

 La répartition des effets de la politique de soutien aux filières agro-énergétiques semble particulièrement déséquilibrée entre les filières et entre les acteurs des filières au point que la Cour des comptes a pu évoquer l'existence de « rentes de situation ». L'appréciation des effets sur les revenus des producteurs de produits de base peut varier selon les débouchés alternatifs et selon les prix de livraison. En tout état de cause, ils sont concentrés au bénéfice des plus gros producteurs ce qui signifie que les coûts de cette politique sont supportés à leur profit.

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La France appelle tout particulièrement les observations faites précédemment sur l'utilité d'orienter les soutiens publics plutôt vers la recherche de biomasses énergétiques avancées que vers la production de produits agro-énergétiques non durables.