C. UNE FUSION À PARACHEVER
1. Une gouvernance à pacifier
a) Des tensions récurrentes entre l'Etat et les partenaires sociaux
La gouvernance de Pôle emploi, comme cela a été indiqué, a été conçue de manière à associer l'Etat et les partenaires sociaux. Ces derniers ont cependant exprimé avec force, devant la mission, leur insatisfaction devant les modalités actuelles de gouvernance de Pôle emploi.
Organisations syndicales et patronales ont critiqué, de concert, une gouvernance déséquilibrée au profit de l'Etat, alors que c'est l'Unedic, gérée paritairement, qui apporte une part majoritaire, et croissante, du budget de l'institution. Stéphane Lardy, représentant de Force ouvrière au conseil d'administration, après avoir rappelé « que 63 % du budget de Pôle emploi provient des cotisations des salariés et des employeurs » a ainsi affirmé que « les partenaires sociaux ne décident de rien au sein du conseil d'administration » .
Il est vrai, tout d'abord, que le conseil d'administration ne nomme pas le directeur général, alors que ce serait le cas si Pôle emploi était une société anonyme. Mais la principale pierre d'achoppement semble être la question du financement : les partenaires sociaux reprochent à l'Etat, d'une part, de ne pas tenir ses promesses, d'autre part, de se désengager .
Gabrielle Simon, vice-présidente confédérale de la CFTC, a résumé le sentiment général en déclarant : « Aujourd'hui, la présence de l'Etat au sein du conseil d'administration pèse sur la gouvernance de l'institution dans un sens court-termiste. L'Etat s'est désengagé de façon significative, alors que le nombre de demandeurs d'emploi croît : 187 millions d'euros, sur une subvention totale de 1,3 milliard d'euros, n'ont pas été versés par l'Etat en 2009, des fonds ont également été retirés sur la gestion de l'ASS (82 millions d'euros), le transfert des salariés de l'Afpa n'est pas compensé (coût de 52 millions d'euros en 2010 et de 72 millions d'euros en 2011), alors que les besoins se révèlent gigantesques. Ce désengagement s'est traduit par des suppressions d'emploi alors que la demande est forte et que le nombre de demandeurs d'emploi suivis par agent est déjà trop important pour apporter un service de qualité. »
La loi de finances rectificative pour 2009 a effectivement réduit la subvention pour charge de service public de Pôle emploi : la dotation de l'Etat a été inférieure de 187 millions d'euros à celle votée en loi de finances initiale, soit 1,173 milliard d'euros au lieu de 1,36 milliard d'euros. Cette diminution peut paraître surprenante dans la mesure où Pôle emploi a connu une forte activité en 2009.
Le budget pour 2011 a donné de nouveaux arguments aux partenaires sociaux pour critiquer le désengagement financier de l'Etat. En valeur absolue, la dotation de l'Etat à Pôle emploi est restée inchangée, à 1,36 milliard d'euros, soit le montant prévu dans la convention tripartite. Mais Pôle emploi, comme on l'a vu, a accueilli, courant 2010, près d'un millier de salariés de l'Afpa, qu'il faut bien rémunérer. Or aucune dotation budgétaire n'est venue compenser ce transfert, contrairement aux engagements qui avaient manifestement été pris. Pour Stéphane Lardy, « se pose la question du respect de la parole publique : lorsqu'un ministre, quel qu'il soit, indique que le transfert des personnels de l'Afpa sera compensé par l'Etat et que cela n'est pas le cas, la confiance que nous accordons à l'Etat peut se briser, ce qui se révèle, pour FO, particulièrement grave » . Représentant le Medef, Benoît Roger-Vasselin a confirmé que « l'Etat n'a pas tenu ses engagements financiers » , en citant à nouveau l'absence de compensation pour le transfert des personnels de l'Afpa.
La loi prévoit que le conseil d'administration approuve, à la majorité des deux tiers des membres présents, le budget de Pôle emploi (article L. 5312-5 du code du travail). Cette procédure place régulièrement les partenaires sociaux dans une position inconfortable : ils ont en effet le sentiment qu'on leur demande d'entériner des mesures sur lesquelles ils n'ont pas de prise et qu'ils désapprouvent sur le fond. Laurent Berger, secrétaire national à la CFDT, a parfaitement résumé le problème : « Au moment du vote de la loi de finances, le Parlement décide du montant de la dotation que l'Etat verse à Pôle emploi, puis le conseil d'administration de Pôle emploi se prononce sur le budget de l'institution. Ainsi, lorsque l'Etat décide des restrictions budgétaires et des suppressions d'emplois, comme c'est le cas en 2011, les partenaires sociaux sont mis devant le fait accompli et on leur demande d'approuver un budget qui entérine ces restrictions . »
L'adoption du budget de Pôle emploi pour 2011 a donné lieu à des discussions houleuses au sein du conseil d'administration et n'a été possible que grâce à la décision de certaines organisations de ne pas prendre part au vote. L'adoption du budget pour 2012 pourrait également être compliquée. Laurent Berger a par exemple déclaré qu' « en 2010, la CFDT n'a pas pris part au vote sur le budget pour ne pas bloquer son adoption. Nous voterons contre le projet de budget pour 2012 si les règles ne sont pas revues car nous ne pouvons jouer un rôle qui n'est pas le nôtre » 26 ( * ) .
Une dernière difficulté réside dans le pilotage parfois très « politique » de Pôle emploi , qui est régulièrement chargée de mettre en ouvre des plans exceptionnels . Cette pratique n'est pas une nouveauté. Pour s'en tenir aux années récentes, on peut rappeler que le Premier ministre Dominique de Villepin, en 2005, a demandé à l'ANPE de recevoir, entre juin et septembre, les 57 000 jeunes inscrits au chômage depuis plus d'un an. En 2006, l'ANPE a été chargée de recevoir tous les jeunes habitants des zones urbaines sensibles à la recherche d'un emploi pour leur proposer un poste, une formation ou un accompagnement dans la recherche d'emploi. La même année, elle a dû gérer un plan d'action en direction des bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) qui avait pour objectif d'accélérer leur retour vers l'emploi. Puis en 2010, Pôle emploi a été chargé de mettre en oeuvre le plan « Rebond pour l'emploi » 27 ( * ) , destiné aux chômeurs en fin de droits ; les bénéficiaires de ce plan se sont vu proposer un parcours d'insertion renforcé, incluant une formation rémunérée ou un contrat aidé, ou, à défaut, une aide exceptionnelle. En début d'année, le Président de la République a enfin demandé à Pôle emploi de recevoir, avant la fin du mois de juin, les 680 000 personnes inscrites au chômage depuis plus d'un an sans avoir jamais quitté la catégorie A, c'est-à-dire sans avoir travaillé ne serait-ce que quelques heures, pour leur proposer un contrat, une formation ou un accompagnement.
Il n'est pas illégitime que le pouvoir politique veuille mobiliser les moyens de Pôle emploi dans le cadre de programmes exceptionnels. A l'évidence, la crise économique que la France a connue ces dernières années, de même que la crise des banlieues à l'automne 2005, appelaient une réponse politique forte, à laquelle Pôle emploi a été associé en raison de ses compétences éminentes dans le champ de l'emploi.
En même temps, comme ces programmes ne s'accompagnent pas de moyens supplémentaires, leur mise en oeuvre risque toujours de se faire au détriment des autres tâches que doit assumer Pôle emploi , dont le fonctionnement habituel est perturbé.
b) Renforcer le dialogue entre l'Etat et l'Unedic
Compte tenu de l'importance du thème de l'emploi dans le débat public, il est peu réaliste d'imaginer que l'Etat veuille se dessaisir du pilotage de Pôle emploi. Un Gouvernement est jugé, entre autres, sur ses résultats en matière d'emploi et Pôle emploi est le principal opérateur sur lequel l'Etat peut s'appuyer pour mettre en oeuvre sa politique.
Ceci étant posé, une voie de progrès réside certainement dans l'organisation d'un dialogue plus structuré entre l'Etat et l'Unedic. Ce dialogue permettrait de mieux prendre en compte les demandes des partenaires sociaux gestionnaires de l'Unedic et d'aplanir certaines difficultés en amont.
La convention tripartite prévoyait qu'un comité soit chargé de son suivi et se réunisse au moins deux fois par an. Ce comité ne s'est cependant réuni que très irrégulièrement, en dépit des demandes des partenaires sociaux, puisque la première a eu lieu à la fin de l'année 2009 et la deuxième en mai 2011.
La mission est sensible à la proposition formulée par les partenaires sociaux de faire de ce comité « un lieu stratégique où l'Etat et l'Unedic, les deux financeurs, fixeraient les grandes orientations de Pôle emploi , dans le cadre défini par le législateur et l'exécutif » , pour reprendre les mots de Gaby Bonnand, le président de l'Unedic. Cette mesure simple et raisonnable donnerait un cadre au dialogue nécessaire entre les deux grands financeurs de Pôle emploi. Peut-être ce comité devrait-il être consacré dans la loi afin de lui donner une plus forte légitimité .
Le comité devrait en particulier être le lieu où l'Etat et l'Unedic débattent des moyens à allouer à Pôle emploi. L'Etat devrait faire connaître ses intentions aux partenaires sociaux suffisamment en amont de l'élaboration du projet de loi de finances pour qu'un véritable dialogue puisse s'instaurer. Si ce dialogue budgétaire devenait une réalité, on pourrait envisager de supprimer l'obligation qui est faite à l'Unedic de verser au moins 10 % de ses recettes à Pôle emploi. Sa contribution, comme celle de l'Etat, pourrait alors varier à la hausse ou à la baisse, en fonction de la conjoncture et des besoins identifiés.
L'efficacité du SPE a tout à gagner à ce que l'Unedic soit plus étroitement associée à la définition des orientations stratégiques de Pôle emploi. En effet, l'assurance chômage est directement intéressée à l'amélioration des résultats obtenus par l'opérateur : à chaque fois qu'un chômeur retrouve un emploi, l'Unedic réalise des économies sur son indemnisation. L'Unedic devrait donc peser dans le sens de la recherche d'une meilleure performance de Pôle emploi et négocier sa dotation budgétaire sur la base d'une évaluation de la performance de l'opérateur.
c) Un conseil d'administration rénové
Le renforcement du comité de suivi permettrait au conseil d'administration de se recentrer sur ses missions essentielles, à savoir le contrôle du fonctionnement opérationnel de Pôle emploi.
Les partenaires sociaux ont souligné que le conseil d'administration avait été amené à prendre des décisions qui ne relèvent pas de façon manifeste de son champ de compétences. Il a notamment approuvé, en avril 2011, la création de la rémunération de fin de formation (RFF), qui permet aux demandeurs d'emploi qui suivent une formation prescrite par Pôle emploi et qui arrivent en fin de droits à l'assurance chômage de continuer à percevoir une allocation jusqu'à la fin de leur formation. Pourtant, Pôle emploi n'assure pas le financement de ce dispositif qui est pris en charge par le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et par l'Etat. Le fait que le débat sur cette mesure se soit déroulé au sein du conseil d'administration de Pôle emploi suggère qu'il manque un lieu de dialogue entre l'Etat et les partenaires sociaux pour discuter du cofinancement de dispositifs relevant de la politique de l'emploi.
Le conseil d'administration devrait se concentrer sur sa fonction principale - l'administration d'un opérateur de service public et les améliorations à apporter au fonctionnement de Pôle emploi - qui sont sa responsabilité essentielle, et non sur la définition de la politique de l'emploi elle-même.
Il remplirait mieux son rôle si sa composition était, en outre, élargie , de façon à accueillir un représentant des communes, désigné par l'association des maires de France (AMF), et un représentant des conseils généraux, désigné par l'Assemblée des départements de France (ADF). Aujourd'hui, le représentant des collectivités territoriales désigné par l'ARF doit défendre le point de vue des trois niveaux de collectivités, ce qui n'est pas une tâche facile. De plus, une meilleure représentation des collectivités territoriales au conseil d'administration serait cohérente avec la volonté de la mission de renforcer leurs relations partenariales avec Pôle emploi.
Il serait également légitime que l'Unedic, en sa qualité de premier financeur, dispose d'un siège au conseil d'administration.
Afin de préserver les équilibres au sein du conseil d'administration, un siège supplémentaire pourrait aussi être attribué à l'Etat.
* 26 Le cinquième alinéa de l'article R. 5312-22 du code du travail indique que, si avant le début de l'exercice, le budget n'a pas été voté par le conseil d'administration, les opérations de recettes et de dépenses sont effectuées sur la base du budget de l'année précédente.
* 27 Le plan « Rebond pour l'emploi » n'aura finalement bénéficié qu'à moins de la moitié des personnes visées (148 000 sur les 325 000 bénéficiaires potentiels).