II. LA NÉCESSITÉ D'AMÉLIORER ENCORE L'OFFRE DE SERVICES FACE À UN CHÔMAGE DE MASSE

Confronté à l'augmentation du chômage et aux transformations nécessitées par la fusion, Pôle emploi n'a pas réussi à maintenir sa qualité de service, et encore moins à accomplir le « saut qualitatif » attendu. Le travail assidu des agents a permis de préserver, globalement, la fonction d'indemnisation. En revanche, l'accompagnement des demandeurs d'emploi est rapidement entré en mode « dégradé », pour reprendre une expression plusieurs fois entendue par les membres de la mission d'information.

Si le choix d'accorder la priorité à l'indemnisation est légitime en période de crise, il est maintenant indispensable de replacer l'accompagnement vers l'emploi au coeur des missions de l'institution, afin de tirer parti de la reprise économique, encore incertaine, qui s'annonce . L'accompagnement des demandeurs d'emploi demande cependant du temps, et donc des moyens humains, puisqu'il prend notamment la forme d'entretiens en tête à tête, au cours desquels un conseiller pour l'emploi et un demandeur définissent un parcours et déterminent les actions à mettre en oeuvre pour le retour vers l'emploi.

La mission n'oublie pas que Pôle emploi est aussi au service des chefs d'entreprise qui cherchent à recruter. Le bilan qu'elle dresse de son action est ici plus nuancé : comparé à d'autres services publics de l'emploi étrangers, Pôle emploi obtient des résultats plutôt satisfaisants en ce qui concerne la collecte des offres d'emploi et il a développé des outils innovants, comme le recrutement par simulation, pour tenter de surmonter les difficultés de recrutement que rencontrent certains employeurs. Toutefois, des progrès sont encore possibles et la mission a dégagé plusieurs orientations en ce sens dans la suite de ce rapport.

A. UNE PERSONALISATION INSUFFISANTE DU SERVICE AU DEMANDEUR D'EMPLOI

La direction de Pôle emploi est parfaitement consciente de la nécessité d'offrir un service personnalisé aux demandeurs d'emploi. Mais les contraintes qui pèsent sur l'institution dans un contexte de chômage de masse expliquent qu'il y ait malheureusement un écart important entre les ambitions affichées et les réalisations concrètes.

1. Le « traitement de masse » du chômage

Quand on considère le parcours dans lequel s'insère un demandeur d'emploi qui arrive à Pôle emploi, on observe que le souci de lui offrir un service personnalisé est présent, en théorie, à chaque étape.

a) Une personnalisation de principe

Ainsi, au moment de son inscription, après avoir réglé les questions relatives à son dossier d'indemnisation, le demandeur d'emploi élabore avec son conseiller son projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE).

Ce PPAE, prévu par la loi n° 2008-758 du 1 er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi, accompagne le demandeur d'emploi jusqu'à son retour à l'emploi. Il retrace les actions que Pôle emploi s'engage à mettre en oeuvre, notamment en matière d'accompagnement personnalisé et, le cas échéant, de formation et d'aide à la mobilité. Il précise aussi, en tenant compte de la formation du demandeur d'emploi, de ses qualifications, de ses connaissances et compétences acquises au cours de ses expériences professionnelles, de sa situation personnelle et familiale ainsi que de la situation du marché du travail local, la nature et les caractéristiques de l'emploi ou des emplois recherchés, la zone géographique privilégiée et le niveau de salaire attendu. Il détermine, en d'autres termes, les critères sur la base desquels Pôle emploi lui proposera des offres raisonnables d'emploi.

La notion d'offre raisonnable d'emploi

Introduite par la loi du 1 er août 2008 précitée, l'offre raisonnable d'emploi est constituée à partir des éléments du PPAE relatifs à la nature et aux caractéristiques des emplois recherchés, la zone géographique privilégiée et le salaire attendu.

Les éléments constitutifs de l'offre raisonnable d'emploi évoluent en fonction de la durée d'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi :

- depuis plus de trois mois : une offre est considérée raisonnable si l'emploi est compatible avec les qualifications et compétences professionnelles et rémunéré au minimum à 95 % du salaire antérieurement perçu. Le salaire antérieurement perçu correspond au salaire de référence servant à calculer l'allocation d'aide au retour à l'emploi ;

- depuis plus de six mois : ce taux est porté à 85 %. A ce critère s'ajoute une notion géographique et de temps de transport. Est alors considérée comme raisonnable une offre d'emploi « entraînant, à l'aller comme au retour, un temps de trajet en transport en commun, entre le domicile et le lieu de travail, d'une durée maximale d'une heure ou une distance à parcourir d'au plus trente kilomètres » ;

- depuis un an et plus : est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi compatible avec les qualifications et compétences professionnelles, rémunéré au moins à hauteur du revenu de remplacement perçu et répondant aux mêmes conditions de trajet qu'après six mois d'inscription.

Les dispositions de la loi sont toutefois assorties de garanties destinées à protéger les demandeurs d'emploi. Ils ne sont pas tenus d'accepter :

- un niveau de salaire inférieur au salaire normalement pratiqué dans la région et pour la profession concernée. Par ailleurs, le salaire de l'offre proposée ne peut être inférieur aux dispositions légales et conventionnelles en vigueur et notamment le Smic ;

- un emploi à temps partiel, si le PPAE prévoit que le ou les emplois recherchés sont à temps complet ;

- un emploi à durée déterminée si le PPAE prévoit que le ou les emplois recherchés sont à durée indéterminée.

Si le demandeur d'emploi est toujours inscrit au chômage au bout de trois mois de recherche d'emploi, il bénéficie alors d'un suivi mensuel personnalisé avec un conseiller de Pôle emploi qui devient sont « conseiller référent ». Un premier entretien est organisé au cours du quatrième mois, puis est renouvelé tous les mois jusqu'au retour à l'emploi. L'objet de l'entretien est de faire le point sur les démarches de recherche d'emploi réalisées. Le conseiller construit avec le demandeur d'emploi le plan d'actions que ce dernier doit réaliser : contacts avec les entreprises, participation à des ateliers, évaluation des compétences, etc.

b) Un principe difficile à garantir en pratique

Pôle emploi doit gérer de tels flux de demandeurs d'emploi que la personnalisation attendue n'est pas toujours au rendez-vous.

Ainsi que le précise le rapport d'activité pour 2009 de Pôle emploi, « pour sa première année, Pôle emploi a connu une hausse rapide du nombre d'inscriptions de demandeurs d'emploi, inconnue par le service public de l'emploi depuis le début des années 90 » . Plus de 6,3 millions d'inscriptions ont été enregistrées en 2009, soit une augmentation de 11,4 % par rapport à l'année précédente. Ce nombre s'est maintenu quasiment au même niveau en 2010 avec 6,2 millions d'inscriptions.

Face à ces flux, Pôle emploi s'est organisé sur un mode « industriel », ce qui est souvent mal ressenti par les demandeurs d'emploi comme par les agents . Selon Laurent Berger, secrétaire national à la CFDT, « les problèmes rencontrés par les demandeurs d'emploi au quotidien sont multiples : difficulté d'accès à leur conseiller référent, manque de suivi, durée insuffisante des entretiens, rendez-vous de contrôle plus que d'accompagnement, perte de dossiers, offres d'emploi non proposées, courriers illisibles, formations non proposées, etc. Tels sont les éléments saillants de l'enquête que la CFDT a réalisée auprès de plus de 1 500 demandeurs d'emploi » .

La mission a observé une tendance à la « taylorisation » des tâches , qui peut être utile pour réaliser des gains de productivité, mais qui peut aussi, si elle est appliquée avec trop de rigueur, entrer en contradiction avec l'objectif de personnalisation du service. La durée des entretiens est par exemple très calibrée (trente minutes pour un entretien d'élaboration du PPAE, vingt minutes pour un entretien de suivi mensuel personnalisé) alors que les singularités de chaque cas peuvent demander des entretiens plus courts ou plus longs, selon les situations. Le planning de travail des agents peut évoluer en cours de journée, par exemple pour renforcer l'équipe à l'accueil en cas de forte affluence dans l'agence, ce qui réduit encore les moments de « respiration » et leur laisse fort peu de marges de manoeuvre pour organiser leur travail.

Dans un récent document 36 ( * ) , la CFDT pointe un autre problème qui a été évoqué devant la mission : la multiplication des tableaux de bord , qui visent à suivre sur le plan statistique l'activité des agents. Pour la CFDT, « au-delà du temps passé par les agents à les remplir, ces tableaux ne traduisent ni l'ensemble des activités des agents avec les demandeurs d'emploi et les entreprises ni la totalité des comportements de ces derniers. Pourtant, rien n'arrête cette frénésie toujours plus forte d'encadrement des comportements des uns et des autres » . L'obligation de remplir des objectifs quantitatifs semble parfois prendre le pas sur la qualité du service rendu.

Une autre difficulté réside dans le caractère de plus en plus impersonnel de la relation avec le demandeur d'emploi. Pôle emploi, pour alléger la charge de travail des agents, encourage les demandeurs d'emploi à être autonomes et à utiliser les services téléphoniques ou par Internet qu'il met à la disposition du public. Or, comme le faisait observer Marie Lacoste, du Mouvement national des chômeurs et précaires, « peut-être est-ce plus simple pour les jeunes d'utiliser Internet mais de nombreux demandeurs d'emploi n'ont pas d'ordinateur ni d'accès à Internet » . Il n'est pas non plus toujours facile pour un demandeur d'emploi d'entrer en contact directement avec son conseiller référent. Il peut certes obtenir des renseignements en composant le 39 49, mais c'est alors un téléconseiller qui va lui répondre.


* 36 « Pôle emploi-Malaise des deux côtés du guichet », CFDT, 2011.

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