4. Clarifier les règles juridiques applicables

Les organisations syndicales représentatives du personnel ont déploré les incertitudes juridiques qui résultent de la création de cette institution sui generis qu'est Pôle emploi. La volonté de combiner le droit public et le droit privé pour garder le « meilleur » des deux régimes semble source de complexité et d'insécurité juridique.

a) Une gestion des ressources humaines complexe

A l'évidence, la décision de conserver deux statuts pour le personnel complique la gestion des ressources humaines  à Pôle emploi, puisque deux systèmes doivent fonctionner en parallèle : les règles d'avancement ou de rémunération ou encore les modalités de rupture du contrat de travail obéissent à des règles différentes selon que l'agent est soumis au statut règlementaire de droit public ou au code du travail ; en cas de litige individuel, c'est le tribunal administratif ou le conseil des prud'hommes qui doit être saisi. Dans certaines matières, on l'a vu, les règles ont cependant été unifiées, par exemple en matière de temps de travail.

La direction générale elle-même n'a pas su tirer immédiatement toutes les conséquences juridiques des changements entraînés par la fusion, comme en témoigne le prélèvement indu de contributions d'assurance chômage sur le salaire des salariés ex-Assedic tout au long de l'année 2009...

L'affaire du prélèvement indu des cotisations d'assurance chômage

De façon un peu paradoxale, les salariés de Pôle emploi ne sont pas affiliés à l'assurance chômage : en sa qualité d'établissement public administratif, Pôle emploi relève en effet du régime de l'auto-assurance pour l'ensemble de ses agents. Ceux-ci n'ont pas à verser de contribution d'assurance chômage mais sont soumis en revanche, à l'instar des fonctionnaires, à une cotisation qui alimente le fonds de solidarité.

Pourtant, durant toute l'année 2009, Pôle emploi a continué à prélever à ses salariés issus des Assedic leur part de contribution à l'assurance chômage, alors qu'ils ne relevaient plus du champ de celle-ci. Trois cents salariés, avec le soutien de la CFDT, ont porté plainte auprès du conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir le remboursement des sommes indûment prélevées.

A la fin de l'année 2009, le Gouvernement a tenté de régulariser cette situation en faisant adopter dans un projet de loi de finances rectificative pour 2009 un amendement qui validait rétroactivement ce prélèvement. Le Conseil constitutionnel a cependant censuré cette disposition au motif qu'elle était étrangère au domaine des lois de finances.

En novembre 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a donné raison aux plaignants et a condamné Pôle emploi à leur rembourser, à titre de dommages et intérêts, l'équivalent des sommes indûment prélevées, ainsi que 500 euros par salarié pour « résistance abusive », l'institution ayant été à plusieurs reprises alertée sur ce problème juridique. Chaque salarié aurait reçu en moyenne 1 000 euros à titre de réparation.

Après avoir semblé accepter cette décision de justice, Pôle emploi a décidé de se pourvoir en Cassation pour contester la condamnation à dédommager la « résistance abusive ».

La mission rappelle cependant que cette coexistence de deux statuts est le résultat d'un choix politique arrêté en 2008. Le législateur n'a pas souhaité imposer un statut uniforme à l'ensemble du personnel car cela aurait conduit à remettre en cause le statut public des agents entrés à l'ANPE avant la fusion. Ce statut public a pu être un élément important dans leur choix de carrière et l'Etat aurait rompu le contrat moral qui le liait à ces agents en imposant un changement.

La mission ne propose pas de revenir sur ce choix fondateur, même si elle est consciente des complexités de gestion qu'il entraîne. Celles-ci disparaîtront avec le départ en retraite des derniers agents de droit public.

En ce qui concerne les relations sociales au sein de Pôle emploi, la mission rappelle que la situation est a priori plus simple, puisque les institutions représentatives du personnel (IRP) ont été unifiées. Comme une entreprise privée, Pôle emploi dispose ainsi d'un comité d'entreprise (CE), mais pas de comités techniques paritaires (CTP), qui existent dans les administrations.

Pourtant, il semble que, même dans ce domaine, des problèmes d'interprétation des textes se posent. Rubens Bardaji, délégué syndical central adjoint de la CGT, a ainsi estimé que « le directeur général, lorsqu'il prépare un projet, peut décider de ne pas le soumettre à l'avis des représentants du personnel, en considérant qu'il s'agit d'une décision de puissance publique, et donc d'une décision unilatérale de l'employeur » . Fabien Milon, représentant de FO, a ajouté que la création d'un établissement sui generis permettait à la direction de Pôle emploi de « jongler entre le droit privé, quand cette première option l'arrange, et le droit public quand cette seconde option lui convient mieux » .

Lors de sa deuxième audition, Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi a apporté des précisions à ce sujet. Il a expliqué avoir contesté, devant la Cour de cassation, un arrêt, rendu par la cour d'appel de Paris, condamnant Pôle emploi à remettre des documents et à différer l'ouverture de sites mixtes, sous peine d'astreinte. Il estimait en effet que la cour avait porté atteinte, en prévoyant des astreintes, aux prérogatives de puissance publique dont jouit la direction générale de Pôle emploi.

En janvier 2011, la Cour de cassation a finalement estimé que toutes les procédures de consultation relatives à l'organisation du service public relèvent des tribunaux administratifs.

Face à cet environnement juridique complexe, la mission tient à rappeler que la direction de Pôle emploi ne peut à la fois bénéficier des éléments de souplesse qu'offre le droit du travail et en même temps vouloir s'en affranchir lorsque son application pose des difficultés. Un dialogue social approfondi est indispensable pour répondre aux inquiétudes et aux questionnements du personnel confronté à un bouleversement de son univers de travail.

La situation de Pôle emploi au regard de l'inspection du travail ne paraît pas non plus limpide. Selon Christian Charpy, les inspecteurs du travail n'auraient pas le pouvoir de dresser de procès-verbaux à Pôle emploi en raison de son statut d'établissement public.

Concernant la médecine du travail, deux régimes coexistent, un pour les agents de droit public, un pour les salariés de droit privé.

b) La coexistence de deux univers juridiques

Au-delà de la question du statut du personnel, c'est tout l'univers juridique de Pôle emploi qui est marqué par la dualité entre droit public et droit privé.

Dans son dernier rapport, publié en mars 2011, le médiateur de Pôle emploi explique que « deux ans après la création de Pôle emploi, le droit applicable à chacune de ses principales activités, indemnisation et placement, reste très différent. Selon qu'il s'agit d'indemnisation, ou de gestion de la liste des demandeurs d'emploi, le droit applicable n'est pas du tout le même et le juge compétent pour connaître d'un litige qui résulterait de la mise en oeuvre de l'une ou l'autre mission appartient tantôt à l'ordre judiciaire, tantôt à l'ordre administratif. »

Le médiateur souligne ensuite que le maintien de cette dualité était justifié dans les premières années qui ont suivi la fusion afin de ne pas ajouter un élément de complexité supplémentaire. Il estime que cette dualité est aujourd'hui contraire à l'objectif de simplification qui a présidé à la fusion et suggère, en conséquence, d'unifier les règles applicables. Il recommande d'opter pour un régime de droit public « dans la mesure où Pôle emploi est indiscutablement un établissement public à caractère administratif et que ses missions sont des missions de service public ».

Cette proposition forte a le mérite de lancer un débat utile mais la mission recommande qu'une expertise plus approfondie soit réalisée avant de prendre une telle décision, dont les conséquences pratiques sont difficiles à apprécier. Il ne faut pas oublier que Pôle emploi verse les allocations chômage pour le compte de l'Unedic, qui est une association loi de 1901 soumise aux règles du droit privé. Dans quelle mesure le passage au droit public modifierait-il ses relations avec les allocataires ?

La mission n'a pas eu le temps, dans le court délai dans lequel elle a travaillé, de procéder à cette analyse, qui pourrait être confiée par exemple à l'inspection générale des affaires sociales (Igas), et qui devrait s'accompagner, en tout état de cause, d'une concertation avec les partenaires sociaux gestionnaires de l'Unedic. Lors de son audition, Dominique-Jean Chertier, président du conseil d'administration de Pôle emploi, a indiqué à propos de la suggestion du médiateur : « Les contentieux sont tantôt orientés vers les tribunaux administratifs, tantôt vers les tribunaux civils. Je ne suis pas sûr cependant que cette difficulté puisse être résolue à court terme car les partenaires sociaux sont attachés à leurs prérogatives en matière d'assurance chômage. »

Une question subsidiaire, qui doit aussi être évaluée, est celle de la capacité des juridictions administratives à absorber ce contentieux supplémentaire. On peut chiffrer à environ à 30 000 par an, en moyenne, le nombre de contentieux relatifs à l'indemnisation dont 20 000 à l'initiative de l'Unedic pour des prestations indûment versées et 10 000 à l'initiative des demandeurs d'emploi. Il s'agit là d'un chiffre non négligeable au regard des 175 000 nouvelles affaires enregistrées par les juridictions administratives en 2010.

Dans l'attente que la réflexion sur ce sujet mûrisse, Pôle emploi pourrait s'efforcer de clarifier les règles applicables dans ses différents secteurs d'activité et les rendre largement accessibles à ses agents comme à ses usagers.

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