Audition de Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement du ministère de la justice et de M. Guillaume Vallet-Valla, magistrat
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Nous accueillons à présent Mme Françoise Baïssus, Chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement au ministère de la justice, accompagnée de M. Guillaume Valette-Valla, Magistrat.
Les auditions qui ont précédé la vôtre nous ont permis de commencer à acquérir une idée plus claire de la situation de la toxicomanie en France et de prendre connaissance des préconisations de certains intervenants pour mieux appréhender les problèmes sanitaires.
Ces premières approches nous ont confirmé, s'il en était besoin, le caractère prégnant des aspects juridiques et judiciaires de la lutte contre la toxicomanie. Le bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement, que vous dirigez, est chargé, semble-t-il, de fixer l'action du ministère de la justice en matière de traitement judiciaire des addictions et des dépendances.
Vous allez donc pouvoir nous aider à cerner l'arrière-plan judiciaire d'un certain nombre de débats en cours.
Je vous propose de synthétiser les grandes lignes de votre action, les inflexions qui pourraient lui être apportée, après quoi nous aurons un échange.
Mme Françoise Baïssus . - Je vous remercie d'avoir invité le ministère de la justice et des libertés. C'est un honneur pour nous de parler cet après-midi devant vous au nom de la direction des affaires criminelles et des grâces.
Le Parlement a décidé de constituer cette mission parlementaire afin que ce sujet de société et de santé publique soit abordé avec un certain recul, avec de la hauteur de vue.
Vous allez faire des propositions réalistes, efficaces pour lutter au mieux contre ce phénomène et apporter aux victimes des réponses appropriées.
Mon propos sera de vous présenter la mise en oeuvre de la politique pénale par la direction des affaires criminelles en matière de toxicomanie.
Je voudrais insister fortement, au préalable, sur le fait que les principes qui gouvernent ces politiques sont ceux décidés par la représentation nationale.
C'est le législateur qui fixe les grands choix de société en matière pénale et pénitentiaire, ces choix sont déclinés en politiques pénale et pénitentiaire mises en oeuvre par le ministère de la justice.
Je vous exposerai de manière synthétique les grandes lignes de notre action, nous serons ensuite à votre disposition pour répondre à vos questions.
Ces orientations, quelles sont-elles ? En matière pénale, le postulat est l'interdiction de la consommation de produit stupéfiants et la sanction de comportements nuisibles à la santé publique. Je vous parlerai bien entendu du traitement judiciaire du simple usage de produits stupéfiants et non du trafic, même si il faut agir de façon concomitante sur l'offre et sur la demande.
Ce traitement judiciaire, depuis plus de quarante ans, se veut différencié, adapté à la situation particulière de l'usager, individualisé aussi et ne se réduit pas à la poursuite répressive d'une infraction pénale mais participe d'une vision holistique de la personne qui fait usage du produit stupéfiant.
L'autre politique -la politique pénitentiaire- c'est la mise en oeuvre du choix du législateur de recourir à l'incarcération.
S'agissant de la politique définie par la direction des affaires criminelles pour le traitement judiciaire de l'usage de produits stupéfiants, je commencerai par quelques données générales et quelques chiffres.
Tout d'abord, on distingue entre drogue licite et drogue illicite. Guillaume Vallet-Valla est spécialisé dans la lutte contre les addictions, y compris le tabac et l'alcool.
Vous le savez, l'alcool est le produit psychoactif addictif qui pose le plus de problèmes aux magistrats et c'est celui qui est le plus souvent lié à la commission des infractions. Deux chiffres parlent d'eux-mêmes : 40.000 morts liés à l'alcool, 200 liés à un usage abusif d'héroïne.
Sur 65 millions de Français, 12 millions ont consommé des produits illicites, 1 à 2 millions ayant une consommation régulière de produits stupéfiants. 800 à 900.000 sont des consommateurs réguliers de résine de cannabis, surtout dans la tranche d'âges 15-25 ans.
150.000 procédures de police ou de gendarmerie sont établies par an. Sur ce chiffre 80.000 procédures feront l'objet d'un traitement judiciaire.
Votre rapport de 2003, fort intéressant, notait, en matière d'usage de stupéfiants, un certain désintérêt à l'égard de l'interpellation. Or on considère aujourd'hui que les interpellations ont été multipliées par deux depuis la fin des années 1990, donnant lieu de façon consécutive à une augmentation du nombre de procédures et du nombre de traitements judiciaires.
Le débat sur l'usage des stupéfiants existe depuis plus de quarante ans. S'il existait une solution miracle, on l'aurait adoptée ! Nous avons au moins l'avantage de disposer d'un cadre légal clair, cohérent, simple à comprendre, structurant pour les consommateurs adolescents ou les très jeunes adultes, particulièrement vulnérables. Alors qu'on a pu évoquer assez souvent l'idée d'une « légalisation contrôlée », je préfère vous proposer la formule de « pénalisation contrôlée », toute l'histoire du cadre légal de l'usage de stupéfiants reposant sur ce principe.
La législation de l'usage de stupéfiants ne figure pas dans le code pénal mais dans le code de la santé publique. Même s'il s'agit d'un délit puni d'emprisonnement et d'une peine d'amende, l'usage de stupéfiants est ainsi plutôt appréhendé sous l'optique du soin médical : la réponse n'est pas que pénale.
La volonté publique dans ce domaine n'a cessé de se préciser, de s'affiner ; elle a, depuis 1970, en particulier avec la loi relative à la prévention de la délinquance du 5 mars 2007, multiplié, diversifié, individualisé la réponse pénale. Je ne parle pas de poursuites mais, volontairement, de réponse pénale, pour rendre compte du large éventail des outils disponibles.
Celui-ci s'étend des alternatives aux poursuites -réponse apportée dans l'immense majorité des cas par le procureur de la République- jusqu'à l'emprisonnement.
La loi de 2007 en est la parfaite illustration : elle prend en considération l'usage de stupéfiants soit comme circonstance aggravante, afin de protéger les victimes potentielles, soit comme révélateur d'un danger pour le consommateur lui-même.
C'est une loi qui innove : elle a introduit de nouvelles mesures et a complété l'éventail des réponses en créant le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants.
Cet outil pénal à visée pédagogique peut être utilisé dans le cadre d'une poursuite prononcée par un magistrat du siège dans le cadre d'une audience. Elle est cependant essentiellement prononcée avant tout déclenchement de poursuite.
La loi a essayé par ailleurs d'améliorer la prise en charge sanitaire en essayant de donner une autre dimension à l'injonction thérapeutique créée en 1970.
Pour mettre en oeuvre ce cadre légal de l'usage de produits stupéfiants, le ministère de la justice, la direction et mon bureau en particulier ont développé une action constante, notamment depuis 2007.
La politique pénale est guidée par la personnalité et le profil de l'usager. La circulaire du 9 mais 2008 a déterminé ses orientations en vue afin d'éviter de banaliser la consommation de drogues. C'est un point important, que l'on a largement défini et décliné à l'intention des procureurs généraux et des procureurs de la République.
Même si la mise en oeuvre n'est pas forcément uniforme dans tous les tribunaux de France métropolitaine et d'outre-mer, il n'existe pas un tribunal qui n'ait pas de politique pénale en matière d'usage de stupéfiants. Ceci mérite d'être relevé : qui dit politique pénale dit prise de conscience du fait qu'il faut apporter au moins une réponse pénale.
La circulaire du 9 mais 2008 est très clairs sur ce point : les réponses doivent être individualisées, appropriées, en fonction du profil de l'usager, mais systématiques, notamment lorsqu'il s'agit d'usagers mineurs.
Cette circulaire a été un premier apport pour essayer d'aider à la mise en oeuvre de la loi de 2007.
Nous essayons également d'apporter un soutien concret, pratique, matériel aux juridictions. Nous avons diffusé des instruments pédagogiques, créé un guide méthodologique sur le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants que l'on a diffusé à 2 ou 3.000 exemplaires. Nous avons réuni l'ensemble des parquets généraux pour essayer de les sensibiliser à mettre le stage en oeuvre avant d'en dresser 18 mois plus tard un premier bilan.
Les procureurs sont si surchargés par l'activité pénale de droit commun que ceci leur a paru fastidieux, d'autant qu'ils appliquaient déjà une politique pénale en matière de stupéfiants. Ils ont toutefois reconnu dans le stage un outil extrêmement intéressant, certes encore relativement confidentiel et peu généralisé, mais faisant désormais partie de l'éventail des réponses pénales et permettant une plus grande adaptation dans la mesure où il s'adresse à des personnes relativement insérées et non à des toxicomanes déjà dépendants.
Nous avons beaucoup travaillé en partenariat avec la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), grâce à laquelle nous avons pu diffuser massivement des guides et 1.000 clés USB contenant quantités de fichiers qui disent tout sur l'usage et le trafic de stupéfiants.
Une opération de bilan statistique a également débuté en novembre 2010, en partenariat entre le ministère de la justice et l'Observatoire français sur les drogues et la toxicomanie, afin d'étudier l'utilité effective des stages de sensibilisation.
Une action de la direction des affaires criminelles et du bureau de la santé public a été menée pour sensibiliser les magistrats de terrain à une réponse pénale intelligente en matière d'usage de stupéfiants. Il n'y a pas d'incarcération ni de poursuites systématiques ; elles peuvent exister mais n'interviennent que lorsque toutes les autres réponses pénales ont été épuisées : stages, ordonnances pénales, rappels à la loi avec orientation vers une structure sanitaire, rappels à la loi simple, classements sous réserve d'orientation vers une structure de soins, injonctions thérapeutiques...
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - La parole est à M. Blisko.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Ce stage s'adresse bien à des jeunes qui commencent à faire usage de drogues et porte sur les dangers de la consommation ?
Mme Françoise Baïssus . - En effet.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Pouvez-vous nous le décrire et nous dire qui le suit ?
Mme Françoise Baïssus . - Ce stage est conçu en partenariat entre le procureur de la République -qui l'ordonne dans 95 % des cas- et une association spécialisée. Une fois la convention passée, on réunit généralement un jour et demi à 2 jours une dizaine d'usagers qui ont tous, peu ou prou, le même profil : il ne s'agit pas de toxicomanes mais de gens à peu près insérés pouvant payer le stage, le législateur de 2007 ayant estimé cette contribution nécessaire à des fins pédagogiques. Lorsqu'il s'agit de mineurs, les parents payent le stage.
Il existe trois modules : santé publique, risque judiciaire et risque sociétal, qui évoque la désocialisation et la perte d'intérêt pour la scolarisation et l'exercice d'une profession. Il ne s'agit pas d'un groupe de parole mais de permettre aux intéressés d'intégrer des notions de santé publique avec lesquelles ils ne sont pas forcément familiarisés, ainsi que des notions portant sur le risque judiciaire. Il est toujours bon de faire intervenir un procureur, un gendarme ou un policier qui est là pour rappeler le cap.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -Pourrez-vous nous faire parvenir une de ces fameuses clés USB ?
Mme Françoise Baïssus . - Bien évidemment ! Nous en avons rééditées.
M. Patrice Calméjane, député . - Lors de nos premières auditions, on nous a beaucoup parlé de drogues dans les prisons. Je voudrais donc connaître la position du ministère de la justice, compétent dans le domaine de l'administration pénitentiaire.
Comment le problème est-il abordé ? On nous dit que des gens consomment en prison, y découvrent parfois la drogue et qu'il existe des trafics. Qu'elle est la réponse de l'administration judiciaire, sachant que vous disposez des personnes sur place ? Comment le travail de la justice est-il envisagé par rapport à la prévention, aux soins et à la répression des trafics dans les établissements relevant de votre compétence ?
Mme Françoise Baïssus . - Si vous le souhaitez, vous pouvez inviter la direction de l'administration pénitentiaire qui vous répondra mieux que moi. Cela étant, lorsque nous avons su que nous étions auditionnés, je suis allée lui demander de me donner quelques éléments. Je vais donc essayer de vous répondre dans la mesure du possible...
La drogue circule en effet en prison, il ne faut pas se voiler la face.
La dépendance aux produits stupéfiants est détectée lors de l'entretien médical qui a lieu à l'arrivée en prison, qui dure environ une heure.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Des analyses sont-elles pratiquées ?
Mme Françoise Baïssus . - Oui, il peut y en avoir...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Sont-elles pratiquées d'office ?
Mme Françoise Baïssus . - Non, elles ne peuvent être imposées. On les fait sur la base du volontariat. Si les analyses sont demandées, elles sont faites. Elles sont proposées mais sont-elles systématiques ? Je ne pense pas pouvoir répondre...
S'il existe des produits stupéfiants en prison, on y trouve aussi des traitements substitutifs. Ils sont proposés et mis sans doute en oeuvre de façon inégale. L'administration pénitentiaire indique « qu'elle ne peut que regretter que les pratiques médicales dans la mise en oeuvre des traitements de substitution soient différentes d'une équipe médicale à l'autre ».
Il existe aussi un traitement à la méthadone. Il s'agit d'une prise de solution buvable, effectuée par le détenu sous le regard du personnel soignant. Une prescription de buprénorphine sous forme de comprimés est également possible. L'administration pénitentiaire note qu'elle peut donner lieu à des trafics, les détenus accumulant sans doute les comprimés de Subutex.
Cependant, moins de 5 % des détenus usagers de drogues sont traités médicalement, malgré l'offre et la détection mises en oeuvre. L'administration note également un arrêt des traitements prescrits à l'extérieur lorsque les personnes sont incarcérées. En effet, certaines personnes qui suivent un traitement ambulatoire, une fois incarcérée, ne le suivent apparemment plus. Ce sont là des décisions qui appartiennent au corps médical.
Les associations et la société civile relèvent de façon constante le fait que l'on ne respecte pas le principe d'égalité de soins entre personnes détenues et personnes libres en matière de toxicomanie. Cependant, des programmes de prévention des risques en détention ont été lancés par l'administration pénitentiaire en 2007. Il s'agit d'une prise en charge collective des personnes placées sous main de justice, sous forme de groupes de parole dont le thème porte sur le passage à l'acte. En 2010, une dizaine de programmes de prévention des risques ayant pour thématiques les addictions ont été mis en place au sein des établissements pénitentiaires.
Mme Fabienne Labrette-Ménager, députée . - J'ai apprécié votre expression de « pénalisation contrôlée », qui me semble bien rendre compte de votre message.
Je voudrais revenir sur le stage de sensibilisation. Donne-t-il lieu à un suivi ou à un accompagnement ? Existe-t-il une réponse médicale apportée par des professionnels de santé ?
Mme Françoise Baïssus . - Le stage constitue en effet une orientation ponctuelle. Le public visé est en principe un public d'usagers occasionnels qui, a priori, ne nécessitent pas de soins. C'est ce que nous avons indiqué aux procureurs dans notre circulaire de politique pénale. Il s'agit d'une sensibilisation.
Si le stage se passe mal -ce qui peut arriver- la personne repassera devant le procureur qui lui signifiera les poursuites -ordonnance pénale, poursuite devant le magistrat ou le juge du siège, etc.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Au moment de la loi pénitentiaire discutée à l'automne 2009, nous avons fait adopter un amendement sur la visite médicale d'accueil en prison. Celui-ci était tombé plusieurs fois au Sénat mais nous avons réussi à faire admettre qu'un bon diagnostique des addictions était nécessaire en prison. Il y avait d'ailleurs des moyens à prévoir pour ce faire...
Cela étant, il y a selon moi antagonisme entre les stages de sensibilisation et la réalité : l'usager festif, que vous décrivez fort bien, risque de ne pas comprendre la portée de cette sensibilisation car, pour lui, il s'agit d'une situation banale. Il suffit d'aller à la sortie des lycées pour prendre conscience que, pour un jeune, l'achat de drogue est un acte courant !
Pour peu que leurs parents aient fait 1968, aient déjà fumé et se soient néanmoins correctement intégrés dans la société, les enfants ne voient pas ce qu'ils font de mal ! Avez-vous un quelconque retour d'informations sur ces populations de consommateurs occasionnels à qui l'on impose un stage de sensibilisation et qui ont les moyens de les suivre ? Ces stages ne créent-ils pas des inégalités territoriales et sociales ? A Toulouse, cela fonctionne bien mais nous sommes en ville. N'y a-t-il pas un problème de mise en place dans les départements ?
Enfin, vous avez évoqué la loi de mars 2007 et l'individualisation de la réponse pénale. N'y a-t-il pas antinomie avec la loi sur les peines planchers, également votée en 2007 ?
Mme Françoise Baïssus . - La peine plancher ne concerne pas l'usage.
Quant aux retours d'informations à propos des stages de sensibilisation, ils sont extrêmement positifs dans l'ensemble. C'est précisément le but de l'étude que nous menons avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) pour en déterminer statistiquement l'impact sur les usagers qui les ont suivis.
Dans un département rural, le stage de sensibilisation ne pourra être mis en place qu'au chef-lieu ; si le jeune usager vit en zone rurale, ce sera compliqué pour lui. On essaie de réduire les difficultés au maximum.
Je laisse M. Valette-Valla compléter ma réponse sur les retours d'informations.
M. Guillaume Valette-Valla . - L'OFDT et l'une des sous-directions du ministère ont lancé cette étude depuis le 1er décembre 2010 ; elle concerne l'ensemble des associations partenaires françaises qui mettent les stages de sensibilisation en oeuvre. Ceci va permettre de mieux cibler les actions mises en place localement.
Comme vous l'avez indiqué, il existe semble-t-il d'énormes disparités au plan national, à la fois sur le nombre des stages et sur leurs modalités de mise en oeuvre.
Pour l'instant, on ne sait pas quelles les zones du territoire sont les plus favorisées et mettent en place ces stages de façon active ; on ne connaît pas non plus les zones qui préfèrent d'autres outils plus simples ou plus fléchés, comme les injonctions thérapeutiques.
Nous disposerons des premiers résultats de cette étude fin 2011 et le rapport de l'OFDT sera publié au premier trimestre 2012.
M. Georges Mothron, député . - Je ne vous ai pas entendu parler de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui dépend également du ministère de la justice et est davantage tournée vers les mineurs. Il y a là aussi une force à développer. Comment l'appréhendez-vous ?
Mme Françoise Baïssus . - Le stage de sensibilisation est possible pour les mineurs de 13 ans.
Les stages de sensibilisation ne concernent pas, a priori, les mineurs suivis par la PJJ. Un jeune qui consomme occasionnellement, même mineur, n'a pas forcément de problèmes. Il n'est pas forcément suivi pas la PJJ.
J'ai tout d'abord pensé que la PJJ allait mettre en oeuvre ces stages de sensibilisation mais il n'en a pas été question, la PJJ disposant déjà d'un grand nombre de mesures. Il est plus profitable d'essayer de sensibiliser les parents d'un jeune bien inséré n'ayant pas besoin de la PJJ et de les impliquer dans un processus payant.
Cela étant, le stage étant maintenant passé dans les usages pour les majeurs plus que pour les mineurs, nous menons une action avec nos homologues de la PJJ, au niveau de l'administration centrale, pour faciliter la conclusion de conventions entre les parquets et les associations.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Les populations auxquels vous faites allusion sont issues de milieux non carencés....
Mme Françoise Baïssus . - A priori oui.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - L'apparition de nouvelles générations d'usagers de la drogue -jeunes errants, migrants et autres- ne va-t-elle pas nécessiter d'autres inventions juridiques. Avez-vous des pistes sur ce point ?
Mme Françoise Baïssus . - Je ne pense pas que le stage soit fait pour de tels cas. Si l'on détecte une toxicomanie chez ces jeunes errants, un soin leur sera bien évidemment proposé mais vont-ils le suivre, vont-ils être constants ? Il y a également un problème d'hébergement.
Les autres solutions sont d'essayer de les sédentariser le plus possible afin que les services sociaux puissent les retrouver. S'il ne s'agit que d'un simple usage, on commencera par le bas de l'échelle et on graduera les poursuites ; si l'usage est lié à une autre infraction ou à une quantité importante de produits stupéfiants, les sanctions risquent d'être plus autoritaires et plus contraignantes.
M. Patrice Calméjane, député . - On a souvent évoqué la problématique de la drogue aux Antilles. Quelles sont les actions que le ministère de la justice met en place dans ces territoires, qui connaissent un fort taux de chômage parmi les jeunes et qui sont proches des lieux de production ? Existe-t-il des éléments spécifiques à envisager pour ces territoires ?
Mme Françoise Baïssus . - J'en parlais avec le procureur de Cayenne il y a peu. Pour ce qui est du trafic, la criminalité est de type sud-américain.
L'usage du crack est en outre particulièrement inquiétant dans ces territoires. Certaines mesures de soins sont mises en oeuvre comme en métropole. Les problèmes de personnel soignant et de suivi psychologique y sont identiques, peut-être même plus aigus.
Nous en sommes parfaitement conscients. Les procureurs essayent de mettre cette politique pénale en oeuvre. C'est un réel problème. Les stages ont eu du mal à être organisés.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - L'éventuelle création des salles d'injection est-elle selon vous possible à droit constant ? S'adapte-t-elle à la législation française et est-elle compatible avec les conventions internationales signées par la France ?
Mme Françoise Baïssus . - Il est plus délicat de vous répondre puisque nous nous inscrivons dans le cadre qui est posé. Dans l'éventualité de cette création, il me semble qu'il faudrait en effet adapter la loi ainsi que la politique pénale. Qui dit centre d'injection spécialisé dit évidemment présence d'usagers, de toxicomanes autour de ces centres. Si je me place dans un cadre prospectif, il faudrait donc éviter des interpellations tout autour des centres et ne pas considérer comme complices les personnes fournissant les produits stupéfiants.
Cela étant, il vaudrait mieux réfléchir à adapter l'injonction thérapeutique, qui a du mal à se mettre en oeuvre, les centres d'injection supervisée étant destinés aux héroïnomanes qui s'injectent des produits stupéfiants. Or, notre problème est notamment celui du crack, auquel cette réponse n'apporte rien : il s'agit de volumes plus importants, d'usagers plus problématiques, d'infractions connexes souvent violentes, qui créent une insécurité massive. Paris et Bobigny ont une politique extrêmement dynamique et intelligente en matière d'injonction thérapeutique pour les usagers de crack.
Plutôt que d'essayer d'inventer quelque chose pour 200 personnes désocialisées, alors que la population d'usagers de crack atteint plusieurs dizaines de milliers de personnes, il vaut mieux adapter l'injonction thérapeutique aux réels besoins des usagers qui nécessitent un traitement de ce type.
Je voudrais laisser la parole à M. Valette-Valla sur le droit comparé.
M. Guillaume Valette-Valla . - Nombre de rapports existent sur l'injonction thérapeutique : rapport de Mme la sénatrice Olin, rapport de la commission des lois de M. Warsmann, sans compter les circulaires intervenues depuis quarante ans, qui déplorent le fait que l'injonction thérapeutique se mette en place de façon toujours très relative sur le territoire.
Comme l'a dit Mme Baïssus, la bonne réponse au problème des toxicodépendants usagers nous semble être l'injonction thérapeutique plus que la création de centres d'injection supervisée. L'étude INSERM fait état à ce propos de chiffres relatifs en termes de santé publique, le seul élément clairement fléché étant la réduction de la mortalité en cas d'overdoses -200 à 300 par an environ. Une étude de l'OFDT est en cours pour réévaluer ces chiffres.
Je ne sais s'il est nécessaire de modifier la loi de 1970, elle-même modifiée par celle de 2007 ; depuis les décrets Barzach de 1987 sur la libre mise à disposition des seringues et le début de la politique de réduction des risques, poursuivie depuis vingt ans par tous les gouvernements, il a fallu recourir au règlement pour mettre ces éléments à place. Ce sont d'ailleurs des sujets qui relèvent davantage du ministère de la santé que de notre ministère. Nous ne serions concernés que par la circulaire destinée à adapter ce nouveau dispositif, comme nous l'avions été en 1999 avec la circulaire Guigou sur les toxicomanies, qui était destinée à modifier la politique pénale en vigueur en recommandant aux officiers de police judiciaire de ne pas intervenir aux abords des centres d'accueil.
Dans l'hypothèse d'une expérimentation de ce type de centres d'injection, une circulaire « justice » sera nécessaire.
La légalité internationale des centres est extrêmement douteuse puisque l'organe international de contrôle des stupéfiants chargé de l'application et du suivi de l'application des trois grandes conventions des Nations-Unies a, à de multiples reprises, y compris dans son rapport annuel de 2009, émis des recommandations claires demandant aux États qui ont autorisés ces centres à les fermer. Selon cet organe, ces centres ne seraient pas conformes aux conventions, notamment à la convention de 1961 modifiée.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - On a évoqué la possibilité de dépénaliser certaines drogues dites « douces ». Le ministère a-t-il une opinion sur ce point ? Existe-t-il des réflexions ou des comparaisons avec des pays étrangers qui auraient déjà accompli ce pas ?
Mme François Baïssus . - Le droit français est très clair : il est opposé à la dépénalisation. En tant que membre du ministère de la justice, je ne puis donc vous dire que je suis pour.
Cela étant, en dépénalisant certaines drogues, on ne peut qu'introduire une confusion dans l'esprit des usagers et du public. C'est aussi ouvrir la porte à une plus grande difficulté en matière de poursuites. Agir ainsi, c'est ouvrir la boîte de Pandore !
Je pense qu'il faut une base très claire et très cohérente, avec une application nuancée, intelligente, adaptée, selon la méthode de la pénalisation contrôlée.
Selon le droit comparé, les expériences espagnole ou néerlandaise ont prouvé que la dépénalisation accroissait considérablement le trafic.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - 150.000 interpellations, 80.000 poursuites : je vous trouve optimiste quant à la réalisation de ces poursuites suivant les juridictions, beaucoup d'affaires étant classées sans suite !
Une politique contraventionnelle supplémentaire qui viendrait s'ajouter à l'arsenal existant ne serait-elle pas pour ces usagers un élément intéressant ?
Mme Françoise Baïssus . - On a largement évoqué cette possibilité en 2004. Il est très intéressant de conserver l'infraction délictuelle avec une peine d'emprisonnement à la clé et la possibilité de garde à vue : c'est une façon irremplaçable de remonter les trafics.
Lors de la préparation de la loi sur le dopage, nous avons cherché à pénaliser l'usage de produits dopants : faut d'y être arrivés, on ne parvient pas à remonter les filières. C'est évidemment sur le consommateur qu'il faut se concentrer si l'on veut remonter le trafic. C'est toujours ainsi que les choses se passent, il s'agit d'un cadre procédural qui simplifie la remontée des filières et améliore la possibilité de lutter contre le trafic.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Je suis présidente du groupe d'études sur les toxicomanies à l'Assemblée nationale ; le Docteur Francis Saint-Dizier, de Toulouse, lors d'une audition, a indiqué que, depuis quatre ou cinq ans, la première expérience de l'usage du cannabis se situe plus tôt et touchent dorénavant des élèves de 6ème et de 5ème. C'est pourquoi je ne suis pas si sûre que les jeunes sachent tous que cet usage est interdit et qu'ils ne placent pas cette consommation au même rang que celle du tabac.
Mme Françoise Baïssus . - On essaye systématiquement de développer une politique de prévention et d'information dans les écoles par le biais des gendarmes, même dans le primaire. C'est une pratique qu'il faut multiplier. Je confirme en tout état de cause que la première expérience a lieu de plus en plus tôt.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Je voudrais revenir à l'alternative que constitue la réponse pénale. Les stages de sensibilisation fonctionnent apparemment bien, contrairement à l'injonction thérapeutique...
Mme Françoise Baïssus . - C'est variable suivant les régions et les tribunaux.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Il est vrai que la réponse sur les territoires est inégale et qu'elle se fait en fonction du procureur...
Mme Françoise Baïssus . - En effet.
Les interpellations reçoivent des réponses différentes suivant le procureur.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - La législation française est-elle adaptée aux placements en communauté ?
Mme Françoise Baïssus . - Qu'entendez-vous par là ?
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Depuis des années, dans le cadre de la politique de réduction des risques, on est allé vers des traitements de substitution, relativement bien accompagnés par un grand nombre d'associations de centres, etc. Toutefois, la substitution n'est pas la réponse adaptée à tous les produits. C'est une réponse intéressant les opiacés mais pas le crack ou la cocaïne.
Certains pays ont développé sur leur territoire des communautés thérapeutiques qui accueillent des toxicomanes pour des sevrages et qui les accompagnent pendant un certain temps dans le cadre d'une réinsertion socioprofessionnelle.
En France, il existe assez peu de ces communautés. Le placement en communauté fait-il partie des outils qui sont à votre disposition en contrepartie d'une sanction pénale ?
Mme Françoise Baïssus . - Le ministère de la santé pourrait vous répondre bien mieux que moi sur ces communautés.
Cela étant, lorsque nous prononçons une obligation de soins ou une injonction thérapeutique, nous pouvons orienter le toxicomane vers de tels centres mais, lorsque vous évoquez le placement autoritaire, il ne peut concerne que les mineurs.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Certain pays le font, comme la Suisse ou l'Italie. En Italie, il existe un exemple d'une communauté où l'on peut commuer les peines allant jusqu'à quatre ans de prison en mesure de placement en communauté, pour les mineurs comme pour les adultes.
Mme Françoise Baïssus . - L'injonction thérapeutique peut prévoir l'obligation de se rendre dans tel centre et de suivre tels soins. En cas de non-suivi, le juge d'application des peines peut révoquer le sursis avec mise à l'épreuve et procéder à une incarcération.
Je pense donc que, dans ce cadre, on peut imposer un soin contraint mais le placement stricto sensu que vous évoquez n'est pas prévu, sauf pour les mineurs et on ne se prive pas de le mettre en pratique. Il n'est pas prévu pour le majeur car on conserve l'idée de liberté du soin. Or, le soin contraint intervient dans un cadre très particulier.
Le sursis avec mise à l'épreuve et obligation de soins existe ; il peut être une variante de l'obligation de soins.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Il me reste à vous remercier pour toutes ces précisions.