Audition du Professeur Daniel Bailly, pédopsychiatre, professeur de psychiatrie à l'université d'Aix-Marseille, auteur de « Alcool, drogues chez les jeunes : agissons »
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Monsieur le Professeur, nous attendons que vous nous livriez votre point de vue sur les addictions à partir de votre vision clinique.
Professeur Daniel Bailly . - Beaucoup de malentendus, lorsqu'on parle d'alcool et de drogues, proviennent du fait que l'on confond les modes de consommation. Tant qu'on n'aura pas saisi qu'il existe une différence fondamentale entre la consommation occasionnelle et l'abus et la dépendance, on ne pourra pas mettre en place de politique cohérente de prévention et de soins en matière de toxicomanie.
Il est par ailleurs aberrant de continuer à séparer l'alcool et les drogues. Ce n'est pas le cannabis qui est la porte d'entrée dans la toxicomanie, mais l'alcool chez les garçons, l'alcool et le tabac chez les filles. Plus la consommation est précoce, plus le risque de voir un abus ou une dépendance à la fin de l'adolescence est important.
L'abus et la dépendance ne surviennent pas par hasard. Ce n'est pas l'alcool qui fait l'alcoolique, ni la drogue qui fait le toxicomane. C'est parce que, à un moment donné, un individu rencontre ces produits et que ceux-ci lui apportent un gain, qu'il continue à rechercher cet état.
On connaît beaucoup de facteurs de risque en matière d'abus et de dépendance. On sait que la consommation précoce est le facteur le plus prédictif de la survenue d'une dépendance à la fin de l'adolescence. 75 % des adolescents consommateurs abusifs ou dépendants ont au moins un trouble mental associé ; dans les deux-tiers des cas, ce trouble a débuté avant l'abus ou la dépendance, qui apparaissent donc comme les complications d'un trouble ayant existé bien avant et évoluant depuis l'enfance.
Le cas le plus fréquent est le trouble des conduites. On a pu estimer qu'il convenait de supprimer la drogue pour réduire la violence à l'école ; c'est faux ! Toutes les études montrent que les conduites antisociales précèdent ou accompagnent le début de l'abus et de la dépendance. Prévenons au contraire la violence et les conduites agressives à l'école pour prévenir l'abus et la dépendance !
Il existe d'autres troubles -troubles anxieux, hyperactivité- facteurs de risque. Des facteurs génétiques interviennent également pour 30 à 60 % dans le déterminisme de la dépendance, vraisemblablement suivant des voies différentes. Certains facteurs génétiques interviennent dans le métabolisme dès la première prise. Nous ne sommes pas tous égaux devant les produits.
D'autres facteurs génétiques agissent sur notre vulnérabilité à développer une dépendance ou favorisent la survenue de troubles mentaux ou de facteurs de tempérament qui, secondairement, vont entraîner un abus ou une dépendance.
On sait que le climat affectif parental joue, tout comme la qualité des interactions entre parents et enfants. La position des parents vis-à-vis des produits et, chez l'enfant, des facteurs de tempérament interviennent aussi.
Il n'y a donc pas qu'un seul facteur à l'origine de la dépendance mais une rencontre entre de multiples facteurs. On sait que cela se détermine très précocement. Faire de la prévention à l'adolescence n'a aucun sens : c'est trop tard ! Le déterminisme de la vulnérabilité à l'abus et à la dépendance démarre dès l'enfance et les programmes de prévention qui se sont avérés efficaces en ce domaine démarrent au plus tard à l'école primaire.
Contrairement à ce qu'on a pu dire, les comportements d'abus et de dépendance ne sont pas des conduites suicidaires mais des conduites d'adaptation utilisées par un individu à un moment donné, après qu'il ait rencontré un produit qui lui a apporté un gain. Si on veut être efficace en matière de prévention, il faut aider les enfants à faire face aux difficultés qu'ils éprouvent.
Il convient de distinguer deux domaines de prévention : diminuer la consommation de produits chez les adolescents, ou prévenir l'abus et la dépendance sont deux choses totalement différentes. Ce n'est pas parce que l'on diminue la consommation moyenne de la population adolescente que l'on va réduire l'incidence de l'abus et de la dépendance. Autant les programmes de prévention généralisée centrés sur l'amélioration des compétences psychosociales et de l'estime de soi sont efficaces en termes de consommation, autant agir sur l'abus et la dépendance nécessite de repérer très tôt les enfants à risque pour les aider à faire face à ce risque.
Les deux types de prévention peuvent fort bien être mis en place en milieu scolaire mais ils ne poursuivent pas les mêmes objectifs, ne recourent pas aux mêmes méthodes de travail et ne concernent pas les mêmes populations.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - L'inversion que vous avez évoquée sur le phénomène est intéressante...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - J'ai relevé qu'il fallait débuter la prévention manifestement beaucoup plus tôt qu'on ne le fait actuellement. A quel moment selon vous ? A quel âge peut-on parler de dépendance ? En Suède, des informations sont dispensées dès le CM 2 à propos d'un certain nombre de risques dans lesquels peuvent tomber les adolescents -alcool, pédophilie, etc. Quel est votre point de vue ?
Professeur Daniel Bailly . - Il y a eu beaucoup de programmes de prévention, contrairement à ce que l'on pense, par ailleurs fort bien évalués.
Pour que la prévention soit efficace, il faut qu'elle intervienne avant le début du phénomène. Or, on sait que le facteur le plus prédictif de la survenue d'un abus ou d'une dépendance à l'adolescence est la précocité de la consommation -à peu près avant l'âge de douze ans. Il faut donc intervenir bien avant.
D'autre part, il existe des méthodes de prévention. On sait que l'information ne fonctionne pas. Dans une classe, elle est non seulement inutile mais de plus délétère : on augmente la curiosité des enfants et des adolescents. Lorsqu'on fait une évaluation à six mois ou à un an, le nombre de sujets qui a expérimenté les produits a augmenté.
Il faut non seulement démarrer tôt mais aussi que les programmes de prévention soient pérennes. Cela ne sert à rien de ne les dispenser qu'une fois. La prévention est un nouvel état d'esprit, une nouvelle manière d'éduquer nos enfants.
Comment préparer nos enfants à des risques qu'ils devront de toute façon affronter ? On parle beaucoup d'alcool et de drogues mais ce sont aussi des facteurs d'intégration au groupe des pairs ! Les consommateurs abusifs vont mal mais ceux qui n'expérimentent pas les produits vont tout aussi mal. Comment aider nos enfants à faire face aux premières fois en matière d'alcool, de drogues ou de sexe ?
Les programmes qui se sont montrés efficaces ne sont pas ciblés sur les produits mais commencent par travailler sur l'estime de soi et les compétences psychosociales : comment gérer les relations interpersonnelles, comment résoudre les problèmes, gérer son stress, comment améliorer la confiance en ses capacités ? Ce sont des compétences de vie. Ce n'est qu'ensuite que l'on met en scène des thèmes en fonction de la maturation du sujet.
Ces thèmes varient. Le dernier programme bâti aux États-Unis à partir du groupe de recherche sur la prévention va du primaire jusqu'à la fin du collège. Le primaire travaille essentiellement sur les compétences de vie et l'on commence à aborder des thèmes spécifiques à partir du collège, en lien avec ce que l'on a travaillé à l'école primaire.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Quel est ce programme ?
Professeur Daniel Bailly . - Je vous donnerai les références. Il figure dans mon livre. C'est un programme sur dix ans qui comprend deux parties, un programme de prévention généralisée qui s'adresse à tous les enfants et un programme de prévention sélective ciblée sur les enfants à risque issus des quartiers défavorisés ou qui présentent un niveau élevé d'agressivité repéré à l'école primaire.
Mme François Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Il n'y a pas que les enfants des quartiers défavorisés qui ont des problèmes...
Professeur Daniel Bailly . - On ne peut pas tout faire : faire de la prévention sélective, c'est travailler sur un groupe d'enfants à risque qui présentent des problèmes que l'on veut prévenir. Ce que les sociologues appelaient la sous-culture délinquante ou la sous-culture de la pauvreté existe : dans les quartiers défavorisés, le trafic de drogue constitue la seule économie de survie !
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Les dealers ne sont pas forcément consommateurs !
Professeur Daniel Bailly . - Certes, mais on y trouve beaucoup de consommateurs, toutes les études le montrent. On ne peut le nier. Vivre dans des conditions défavorisées est en outre le premier facteur de risque en cause dans toutes les maladies, somatiques ou psychiatriques.
Naître dans un milieu défavorisé expose l'enfant, dès le plus jeune âge, à des stress chroniques qui engendrent l'idée que l'on n'est pas très bon, que l'on ne maîtrise pas sa vie, que l'on est à la merci du monde extérieur ; sur le plan biologique, cela altère les mécanismes de régulation de la réponse de l'organisme au stress. On est donc beaucoup plus vulnérable que les autres face à celui-ci. De même, les tendances agressives sont un facteur de consommation.
Le programme a été centré sur la diminution de la consommation moyenne de la population adolescente et sur la baisse des accidents liés à la consommation. Les accidents mortels de circulation liés à un excès d'alcool chez les adolescents ne sont pas dus aux consommateurs abusifs mais occasionnels. On ne travaillera donc pas de la même façon suivant qu'il s'agit des uns ou des autres.
Dans le programme général, on commence par améliorer les compétences psychosociales puis on aborde la transition entre le primaire et le collège, les produits, la sexualité, le monde du travail, etc., en fonction de la maturation de l'individu.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Avez-vous un retour d'expérience en la matière ?
Professeur Daniel Bailly . - Ce programme a été mis en place il y a trois ans. On relève une diminution très nette de la consommation d'alcool et de drogues, des comportements violents à l'école, de l'absentéisme scolaire et du recours à l'orientation vers des classes spéciales.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Que suggérez-vous aux parents en matière de prévention ?
Professeur Daniel Bailly . - Ce programme intègre les enseignants et les parents, comme tous les programmes efficaces.
Les programmes à destination des seuls parents et enseignants sont plus efficaces que les programmes à destination des seuls enfants. L'idée est de créer un climat favorable à l'épanouissement de l'enfant et à son équilibre psychologique. Les programmes ciblés sur les enseignants visent à améliorer les compétences professionnelles des enseignants et à leur faire prendre en charge, au même titre que les autres matières, le travail sur les compétences de vie.
On l'a fait récemment à Limoges ; cela fonctionne et les enseignants sont très motivés. On intègre ce programme de prévention dans le cursus scolaire, comme s'il s'agissait d'une matière. Ce sont les enseignants qui le prennent en charge et c'est une des clefs de la réussite. Il ne faut pas que ce soit quelqu'un d'extérieur à l'établissement scolaire. Il faut que ce soit intégré à l'éducation de l'enfant. Les enseignants sont formés pour cela.
Le programme à destination des parents, comme pour des enfants, vise à améliorer les habiletés parentales en termes de communication et de gestion du comportement, ainsi que les liens entre l'école et les parents.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Il doit bien exister des groupes de niveau...
Professeur Daniel Bailly . - Ce n'est pas un problème de niveau ; le tout est que l'intervenant ait les compétences nécessaires pour pouvoir gérer ce genre de choses. Dans les classes, on est confronté aux mêmes choses. Or, cela ne pose pas de problème -au contraire- et permet à chacun de travailler sur les différences.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Cela touche tous les milieux, comme les lycées très favorisés où il existe un mélange de cannabis et d'alcool quasi automatique lors des soirées étudiantes qui me laisse pantoise...
Ne croyez-vous pas que les choses démarrent plus tôt, les enfants étant dès leur plus jeune âge placés face à la télévision et potentiellement préparés à évoluer vers l'addiction au jeu, à l'écran, à Internet, etc. ?
Professeur Daniel Bailly . - Vous évoquez le mélange d'alcool et de cannabis. A un moment donné, les adolescents font des expériences. S'agit-il d'une fois, de deux fois ? Est-ce un comportement dommageable pour la santé ? Est-ce déjà un signe de dépendance ? Je ne le sais pas ! Il y a des critères pour diagnostiquer l'abus et la dépendance...
C'est sur ce point qu'existe un grand malentendu dans notre société. On reste centré sur le produit mais il n'a aucune espèce d'importance. On sait très bien que les sujets qui ont une addiction à Internet ont aussi une addiction au tabac, à l'alcool, à la cocaïne, etc. Ce qui est important, c'est de savoir pourquoi un individu, quand il a rencontré un comportement ou un produit, en est venu à utiliser ce produit de telle façon qu'il ne peut plus s'en passer ! Cela touche moins de 20 % des consommateurs, même chez les adolescents. Autant la consommation est largement répandue et touche tous les adolescents, autant l'abus et la dépendance sont des phénomènes assez limités.
Il faut donc bien repérer les enfants à risque. L'addiction à la télévision intervient en effet chez les enfants soumis à des durées importantes. On sait que les programmes qui montrent des scènes de violence, renforcent les risques d'abus et de dépendance chez les plus vulnérables mais ce n'est pas la télévision qui en est responsable : c'est un ensemble de facteurs. Il faut travailler sur ces facteurs chez l'enfant, chez les parents et obligatoirement avec l'école.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Vous parlez des facteurs de risque ; pour autant, peut-on dédouaner une organisation sociale dont le culte de la performance conduit au dopage sportif ? Dans les classes préparatoires, la consommation de cocaïne et d'amphétamines est importante pour ceux qui veulent tenir face à des programmes démentiels. L'éducation nationale s'en rend-elle compte ?
Professeur Daniel Bailly . - La société donne forme à la manière dont les jeunes utilisent les produits mais n'est en aucun cas responsable de l'abus ni de la dépendance.
La consommation chez les jeunes a toujours existé. Les études de Régnier, à la fin du XIX ème siècle ou au début du XX ème siècle, relevaient que la morphinomanie débutait à treize ou dix-huit ans. Ce n'était alors pas la même utilisation : à cette époque, les enfants et les adolescents utilisaient les produits pour supporter des conditions de vie difficiles. Cela a toujours été le cas et les produits ont toujours participé à la construction de notre monde.
Les étudiants ont également toujours utilisé les amphétamines mais cela ne veut pas dire qu'ils sont consommateurs abusifs ou dépendants.
Le problème ne vient pas de la consommation mais de l'abus et de la dépendance. Que les sujets vulnérables décompensent à l'occasion de cette rencontre, c'est vrai mais dire que la société est responsable de l'abus et de la dépendance n'a pas de sens !
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Toute prohibition vous semble donc vouée à l'échec ?
Professeur Daniel Bailly . - Bien sûr. Tant que l'on restera centré sur le produit, on se trompera de cible. Le problème est celui des enfants à risque. On a maintenant les moyens de travailler avec eux et ce n'est pas les stigmatiser que de les repérer -au contraire ! Je trouve criminel, alors que nombre d'études montrent que l'on est capable de les repérer précocement, de les laisser évoluer en sachant qu'ils ont de grands risques de terminer délinquants ou toxicomanes.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Comment isoler l'enfant ? Comment le repérer de manière pragmatique ?
Professeur Daniel Bailly . - Le risque de stigmatisation existe ; un programme de prévention pour tous dédramatise les choses en montrant que tout le monde est concerné mais qu'il existe des différences dans les risques. Dans un second temps, on repère les enfants. Cela dépend du sujet sur lequel on veut travailler. Si l'on voulait travailler sur les troubles anxieux, ce ne serait pas les mêmes enfants car ce ne seraient pas les mêmes facteurs de risque.
Ce qui a été fait porte sur le lieu de vie des enfants et sur des évaluations menées à l'école maternelle. Des études canadiennes montrent qu'un enfant ayant un tempérament difficile repéré à l'école maternelle a trois fois plus de risques qu'un autre de terminer avec des conduites antisociales, un abus ou une dépendance. Il existe à cette fin des échelles de tempérament et on sait fort bien le déterminer.
Mme Brigitte Bout, sénatrice . - Connaissez-vous le programme « Ensemble, prévenons l'obésité des enfants » ?
Professeur Daniel Bailly . - Non...
Mme Brigitte Bout, sénatrice . - Nous avons mis en place un système de dépistage des enfants présentant des risques d'obésité. Nous l'appliquons dès la maternelle jusque à la fin du primaire.
Comment motivez-vous les enseignants ? Un enfant obèse se repère, ce n'est donc pas la peine de le stigmatiser. Il faut que l'ensemble des professeurs qui interviennent, par un biais ou un autre, éduquent les élèves. Certains enfants ne seront jamais obèses alors que d'autres ont tendance à le devenir. On repère assez vite les critères qui font que tel ou tel a une tendance à l'obésité. Je pense que c'est ce que vous appliquez -mais il faut l'accord de tous les intervenants...
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Une fois l'enfant repéré, quelle est l'étape suivante ?
Professeur Daniel Bailly . - Il s'agit d'un programme structuré qui comporte ensuite des séances individuelles, un suivi tutorisé avec l'élève, des visites à domicile avec un enseignant référent pour aider les parents au soutien scolaire, des séances avec les parents pour aider à améliorer les habiletés parentales et des séances avec parents et enfant pour vérifier les acquis. C'est un programme lourd -mais c'est le prix à payer.
On a pu mettre en place à Limoges un programme de ce type. On voulait le démarrer à l'école primaire mais, s'agissant d'un programme expérimental, il fallait que la cohorte d'enfants soit suivie. Or, on perd beaucoup d'élèves en passant du primaire au collège, du fait de la dispersion. On a donc mené ce programme sur trois ans -sixième, cinquième, quatrième- et on va suivre les élèves jusqu'en seconde. Ce programme est basé sur l'idée qu'il faut d'abord travailler sur les compétences de vie, sur l'estime de soi, en partant de l'idée que c'est aux professeurs de le prendre en charge.
Nous sommes donc partis sur la base du volontariat. Nous avons présenté le programme et proposé aux volontaires de les former. Nous avons choisi les vacances scolaires pour le faire, n'ayant pas d'autres moyens. Les professeurs ont reçu trois jours de formation deux fois de suite. Nous avons eu beaucoup de volontaires, contrairement à ce que l'on pouvait craindre. Au bout de la première année, à la demande des enseignants, l'académie de Limoges a intégré cette formation à celle des maîtres et des professeurs.
La plupart des enseignants nous accueillent à bras ouverts, tant ils sont démunis devant ces enfants. Quand vous leur apportez des techniques et que vous les aidez à accompagner les enfants, ils sont demandeurs. Nous n'améliorons pas seulement les capacités de résistance des enfants à l'abus de la dépendance mais également l'ambiance de la classe, nous diminuons les comportements agressifs, nous résolvons les problèmes, et la classe en est transformée.
Mme Brigitte Bout, sénatrice . - Accompagnez-vous les enfants ?
Professeur Daniel Bailly . - Non, ce sont les enseignants qui ont pris le programme en charge. Nous sommes là en cas de problème...
Mme Brigitte Bout, sénatrice . - Que faites-vous lorsque vous décelez qu'un enfant présente plus de risques ?
Professeur Daniel Bailly . - Nous n'avons pas appliqué cette partie du programme. Quand un enfant est repéré comme présentant des problèmes, le lien est fait avec les services de santé locaux par l'intermédiaire des parents.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Ce programme est-il payé par l'éducation nationale ?
Professeur Daniel Bailly . - Non, ce sont les producteurs qui l'ont financé mais j'aurais été ravi que ce soit l'éducation nationale ! Une fondation appelée « Entreprises et prévention », qui réunit des producteurs d'alcool, a demandé à trois experts, dont je fais partie, de lui indiquer un programme qui fonctionnait...
Mme Virginie Klès, sénatrice . - Le programme a-t-il diminué la proportion de ceux qui tombent dans l'abus et la dépendance ?
Professeur Daniel Bailly . - Je ne puis répondre, le programme n'en étant qu'à sa deuxième année. Il faut attendre trois ans et les suivre au lycée.
1 200 collégiens bénéficient du programme et sont comparés à 1 200 autres n'en ayant pas bénéficié. En France, c'est la première fois que l'on a réussi à monter un tel dispositif.
Cependant, on a constaté que c'était déjà trop tard, les schémas étant déjà inscrits. On voit que les plus consommateurs, à onze ans, sont des adolescents rebelles, ayant des conduites antisociales.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Si j'ai bien compris, ce programme est d'origine canadienne...
Professeur Daniel Bailly . - Non, nous avons commencé par dresser une liste de facteurs favorables au programme et nous avons essayé d'étudier le degré de faisabilité dans le contexte français de l'éducation nationale.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Avez-vous travaillé avec l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (ANIT) ou ce genre d'association ?
Professeur Daniel Bailly . - Je ne travaille plus avec l'ANIT.
On ne peut plus se focaliser sur les produits. Les associations le sont beaucoup trop. C'est le reproche que je leur adresse. Je comprends que ce soit leur raison d'être mais je pense que c'est un chemin qui mène à une impasse.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - En diriez-vous autant des parents en plein désarroi qui sont prêts à réaliser des interventions dans les écoles ?
Professeur Daniel Bailly . - Non seulement cela ne sert à rien, mais c'est de plus délétère ! Le premier à l'avoir prouvé est français. Il s'agit d'un enseignant qui, en Bretagne, travaillait sur la prévention et l'alcool dans les écoles. Il a démontré que venir parler du produit dans une classe augmentait la curiosité et poussait à l'expérimentation. Depuis, énormément d'études l'ont confirmé.
Face à une classe, il y a trois groupes d'élèves. Le premier est constitué de ceux qui sont a priori contre. Le second est composé de ceux qui ont déjà expérimenté et qui ont leur propre idée sur les produits ; le danger est de raconter des choses qui soient à mille lieues de ce qu'ils ont vécu. Dire que le cannabis rend fou va les faire rire. Enfin, il y a ceux qui sont entre les deux. Ce sont les plus dangereux. Ce n'est pas notre parole qui va compter mais la manière dont ceux qui expérimentent vont interpréter nos propos. Le grand risque est d'être disqualifié, en particulier quand on stigmatise le produit, qui est quand même un facteur d'intégration au groupe des pairs.
Faire intervenir un ancien toxicomane est plus dangereux. Intervenir juste après un incident dans l'école lié au produit l'est encore plus. Pourquoi continue-t-on à le faire ?
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - C'est une bonne question !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Votre livre fera partie de notre documentation...
Professeur Daniel Bailly . - Tout ce que j'avance y est référencé.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Merci.