MERCREDI 16 FÉVRIER 2011
Présidence de
M. Serge Blisko, député, coprésident et
de
M. François Pillet, sénateur,
coprésident
Audition de M. Pierre Arwidson, directeur des affaires scientifiques de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), et Mme Anne Guichard, chargée de mission au département « Évaluation et expérimentation » de la direction des affaires scientifiques
M. Pierre Arwidson, directeur des affaires scientifiques de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé . - Mme Thanh Le Luong, directrice générale de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), vous prie de bien vouloir excuser son absence et se tient à la disposition de votre mission pour toute information complémentaire.
Succédant au Comité français d'éducation pour la santé, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé est un établissement public créé en 2002, dont la mission est de conduire les programmes de prévention et d'éducation pour la santé dans le cadre des plans nationaux de santé publique. Les cent quarante personnes qu'il emploie s'efforcent, avec un budget d'environ 120 millions d'euros, de couvrir l'ensemble des sujets de prévention, en se situant en amont des soins.
La recherche sur la prévention de l'usage des substances psychoactives auprès des jeunes a maintenant plusieurs dizaines d'années et a été majoritairement conduite aux États-Unis. Des approches successives ont été testées ; elles ont évolué et se sont sophistiquées.
La première approche visait à souligner le danger des produits et à utiliser le ressort de la peur. Elle a laissé place à une approche tendant à augmenter les capacités de résistance à la pression des pairs, comme apprendre à dire « non ». Celle-ci a permis d'instaurer des méthodes éducatives intégrant des mises en situation beaucoup plus concrètes que des séances d'information où les jeunes demeuraient passifs.
Des programmes fondés sur l'idée que les moteurs principaux de la consommation résident dans l'influence sociale et la conformité à des normes, réelles ou imaginaires, se sont ensuite développés. D'autres, plus récemment, - tel celui du Pr Gilbert Botvin, de l'Université Cornell -, ont complété le travail sur l'influence sociale par une démarche fondée sur des éléments de psychologie individuelle : gestion de l'anxiété et de la timidité, aide à la résolution de problèmes d'ordre scolaire ou familial. Certains de ces programmes ont démontré leur efficacité dans la réduction de la consommation en comparaison à des groupes témoins.
Les interventions, principalement en milieu scolaire, se sont alors déplacées vers la sphère familiale, suite aux travaux de M. Resnick qui ont mis en évidence son importance. L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a ainsi publié, en 2009, une revue internationale des cent trente programmes dits « de parentalité » existants.
Un programme de soutien aux familles et à la parentalité, repéré par une méta-analyse Cochrane de David Foxcroft, nous a particulièrement intéressés : son objectif consistait, en sept ou quatorze séances, à améliorer la communication et la gestion des conflits au sein de la famille et à établir des règles et des rituels familiaux. Une évaluation réalisée par Richard Spoth a montré que ce programme avait permis, en quatre ans, de réduire l'initiation à la consommation d'alcool de 26 %, à l'ivresse de 40 %, à la consommation de tabac de 34 % et à la consommation de cannabis de 55 %.
La recherche sur l'usage des campagnes médiatiques et du « marketing social », beaucoup plus récente, a donné lieu à beaucoup moins d'articles. Les conclusions de l'équipe de David Hawks, publiées par l'Organisation mondiale de la santé, en 2002, ont montré que les campagnes médiatiques étaient capables d'alerter sur les dangers de l'usage, mais qu'elles ne permettaient pas de réduire la consommation lorsqu'elles étaient utilisées seules. En 2008, Robert Hornik a évalué une grande campagne médiatique américaine - à laquelle l'État avait consacré 1 milliard de dollars entre 1998 et 2004 -, sans trouver de corrélation entre le niveau d'exposition à cette campagne et la consommation de cannabis chez les jeunes.
Il apparaît de manière récurrente qu'une campagne médiatique, quel que soit son objet, doit être intégrée dans un dispositif global plus vaste.
L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé travaille sur deux axes complémentaires : d'une part, prévenir ou réduire la consommation de substances psychoactives ; d'autre part, prévenir ou réduire les conséquences liées aux addictions chez les consommateurs. Nous collaborons étroitement avec la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie et notre activité s'inscrit dans le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies pour la période 2008-2011.
Nous avons conduit deux des trois campagnes médiatiques de ce plan : une campagne d'alerte lancée en 2009 - « Drogues : ne fermons pas les yeux » -, qui confrontait l'image positive de la drogue à ses conséquences négatives, et une campagne sur la responsabilité des parents et des proches, menée en 2010 - « Contre les drogues, chacun peut agir ».
Nous éditons des documents d'information pour le grand public, comme Drogues et dépendance . Nous projetons d'éditer une série d'ouvrages consacrés à l'aide à la parentalité et aux compétences psycho-sociales. Nous éditons également des documents destinés aux usagers de drogues ainsi qu'aux professionnels qui les entourent.
Nous assurons la coordination des services d'aide à distance Drogues info service et Écoute cannabis , qui, avec Écoute alcool, reçoivent 80 000 appels par an. Durant les trois dernières semaines de 2010 - pendant notre campagne sur la parentalité - Drogues info service a reçu plus de 12 000 sollicitations, soit trois fois plus qu'un mois avant. Parmi les appelants, 65 % étaient des proches d'usagers de drogues - des parents dans 63 % des cas -, 34 % des consommateurs et 1 % appartenaient au grand public ou étaient des professionnels.
Nous fournissons gratuitement du matériel d'injection stérile aux associations demandeuses - environ 100 000 kits par an - et nous subventionnons le remplacement de deux à trois automates distributeurs de tel matériel par an - sur un parc de deux cent soixante-dix distributeurs de trousses et de deux cent cinquante-sept échangeurs-récupérateurs. Cette activité, marginale par rapport au dispositif général, permet d'éviter les ruptures de service. Nous distribuons aussi des préservatifs gratuits.
Nous publierons prochainement, conjointement avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, les résultats du Baromètre santé 2010 concernant les drogues illicites. Nous sommes associés à des enquêtes comme la European school survey project on alcohol and other drugs (ESPAD), menée auprès des élèves de seize ans et l'enquête sur la santé et les consommations lors de l'appel de préparation à la défense (ESCAPAD), une enquête qui concerne plus spécifiquement les adolescents français de dix-sept ans, en liaison avec la journée de préparation à la défense. Nous collaborons aussi à des enquêtes auprès des sans-domicile fixe, comme l'enquête SAMENTA, menée avec le SAMU social, et auprès des centres de réadaptation. Nous lancerons prochainement une enquête sur le rôle des médecins du travail dans la prise en charge des addictions.
Mme Anne Guichard, chargée de mission au département « Évaluation et expérimentation » de la direction des affaires scientifiques de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé . - L'institut a choisi depuis peu de s'intéresser à l'entrée dans l'injection, une étape particulière de la trajectoire des usagers de drogues par voie intraveineuse.
Il nous a semblé urgent de développer de nouvelles approches compte tenu de la prévalence très élevée de l'hépatite C parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse - 60 % d'entre eux sont contaminés - et du constat que les outils de réduction des risques, efficaces contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), ne permettent pas de lutter contre celui de l'hépatite C (VHC) qui est beaucoup plus contagieux et implique d'autres temps de la préparation du produit injecté.
Les données de la littérature épidémiologique indiquent que les contaminations surviennent tôt dans les trajectoires des usagers de drogues par voie intraveineuse, probablement dès les premières injections. De nombreuses études attestent de taux de séroconversion VIH et VHC plus élevés parmi les jeunes et les nouveaux consommateurs que parmi les usagers de drogues anciens et expérimentés. L'enquête Coquelicot, menée par l'Institut de veille sanitaire, confirme cette tendance en montrant que 30 % des usagers de moins de trente ans sont infectés.
Pourquoi, en termes d'âge, cette période est-elle qualifiée de période à haut risque ? La première injection est souvent un acte non programmé, opportuniste, avec le prêt par un tiers, potentiellement contaminé, de son matériel d'injection. L'initié n'est alors pas conscient des risques : il vit une « lune de miel » avec le produit, qui n'apporte à ses yeux que des bénéfices ; âgé en moyenne de dix-sept ans, il éprouve un sentiment d'invulnérabilité. Les jeunes consommateurs constituent un public difficile à atteindre, dans la mesure où ils ne se trouvent pas encore en contact avec les structures existantes et que les stratégies de prévention et de réduction des risques n'en ont pas toujours fait une priorité.
Les données relatives à l'évolution des pratiques de consommation semblent indiquer un renouvellement de la problématique de l'injection. Selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l'âge moyen lors de la première injection tourne autour de dix-sept à dix-huit ans. Le recours à l'injection de psychostimulants, comme la cocaïne et les amphétamines, est en augmentation. Par ailleurs, un nouveau profil d'usagers injecteurs d'héroïne apparaît : il s'agit de jeunes, bien intégrés, qui consomment dans un cadre festif. D'un point de vue épidémiologique, ces injections occasionnelles sont tout aussi catastrophiques que les autres, mais il nous est difficile de cerner ces usagers, noyés dans la masse de la population.
Dans ce contexte et en raison de notre mission de prévention, la stratégie d'action visant à réduire la fréquence d'injection et à prévenir ou à différer son initiation nous est vite apparue comme un levier d'action important pour tenter d'infléchir l'épidémie d'hépatite C.
Impliqués dans l'expertise collective menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), nous avons conduit une revue de la littérature sur les facteurs de risque de passage à l'injection et les interventions permettant de prévenir efficacement l'entrée dans ce mode d'administration.
Ce travail nous a permis de repérer un programme britannique prometteur pour prévenir l'initiation à l'injection : Break the cycle (« Rompre le cycle »), initié au Royaume-Uni, a été adapté en tout ou partie au Canada, en Australie, en Europe de l'Est et en Asie centrale. Il s'adresse aux usagers potentiellement initiateurs pour les encourager à dissuader les non-injecteurs de franchir le pas.
Les évaluations conduites sur trois mois montrent que ce type de programme permet de réduire le nombre d'initiations, de réduire la fréquence d'injection et de diminuer les pratiques à risque, notamment liées à la préparation du matériel.
L'intérêt de ce programme est aujourd'hui largement établi parmi le milieu associatif, les intervenants en toxicomanie et la communauté scientifique. Nous débutons une étude de faisabilité qui s'appuiera sur des expériences internationales et sur l'expérience des acteurs français pour mieux définir le contexte et les conditions de la mise en place d'un tel type de programme en France.
De façon plus générale, il nous faut développer une stratégie de prévention de l'injection. En l'absence de données sur le sujet en France, l'institut a mis en place une première enquête nationale sur les contextes et les conditions de la première injection de drogues : Priminject. Il s'agit d'une enquête innovante, conduite sur internet - même si la promotion de l'enquête est essentiellement relayée par les réseaux spécialisés -, qui devrait nous permettre de mieux appréhender les différents modes d'entrée dans l'injection, notamment chez des publics méconnus. Le recrutement s'achève et les premiers résultats seront disponibles cet été.
Notre approche est complémentaire d'autres approches de promotion des pratiques d'injection à risque réduit telles que les salles d'injection supervisées ou les programmes de type ERLI (éducation aux risques liés à l'injection) développés par le milieu associatif.
Plutôt que de considérer séparément consommateurs et non-consommateurs, nous concevons nos interventions comme un continuum : prévention de la consommation auprès des non-usagers, prévention du passage à des produits ou à des voies d'administration plus risqués auprès des usagers et réduction des risques auprès des usagers pratiquant un mode de consommation à risque.
L'articulation de ces différents niveaux d'intervention a fait l'objet en mars dernier d'un séminaire, rassemblant associations, intervenants et chercheurs en addictions.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Comment les thèmes et les publics cibles des campagnes, ainsi que les médias sur lesquels elles s'appuieront, sont-ils choisis ? Quel mode de diffusion a-t-il le plus d'impact auprès des jeunes : l'écrit, internet ou la télévision ?
M. François Pillet , coprésident pour le Sénat . - Sur quels critères sélectionnez-vous les associations qui relaieront vos campagnes ? Il est intéressant que vous ayez retenu le moment de la première injection ; mais sur le terrain, comment entrez-vous en contact avec les consommateurs ? Certains d'entre eux ne lisent pas, n'utilisent pas internet, ne regardent pas la télévision ou ne côtoient pas d'association.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Quels sont les programmes américains qui, ayant fait la preuve de leur efficacité, pourraient être transposés en France ?
Vous appuyez-vous sur les associations pour conduire l'étude ciblée sur les conditions d'entrée dans l'injection ? Comptez-vous développer votre propre programme en direction des publics non injecteurs ?
Sachant que l'injection et la consommation de drogues illicites sont interdites par la loi, disposez-vous d'un budget spécifique pour cette action ?
Mme Catherine Lemorton, députée . - Comment évaluez-vous la portée des campagnes de prévention ? Pour en avoir parlé avec des proches adolescents, je sais que le message du spot « Drogues : ne fermons pas les yeux », qui montrait des jeunes - assez aisés - dans une fête, n'a pas du tout été compris.
Je suis étonnée que vous puissiez parler d'injection occasionnelle d'héroïne, car il me semble que c'est l'une des substances psychoactives les plus addictives sous ce mode de consommation : le premier « flash », décrit comme inoubliable, inciterait à se repiquer très rapidement.
Compte tenu de la prévalence de l'hépatite C chez les injecteurs compulsifs, que pensez-vous de la distribution de seringues stériles à l'intérieur des prisons, même si elle est aujourd'hui interdite ?
Mme Fabienne Labrette-Ménager, députée . - Concernant la dernière campagne de prévention, j'ai recueilli auprès de jeunes de dix-sept et dix-huit ans les mêmes avis que Mme Catherine Lemorton.
Par ailleurs, les jeunes travailleurs, notamment les apprentis, ne sont pas spécifiquement visés par les campagnes de prévention alors qu'ils sont concernés par le passage à la première injection. Comptez-vous mener des actions de prévention dans les centres de formation ou dans les agences de travail temporaire ?
M. Pierre Arwidson . - Comme pour toutes les campagnes réalisées sur financement public, nous utilisons des « post-tests » qui consistent à mener une enquête auprès d'un échantillon représentatif de la population ; ces mille personnes nous disent si elles ont vu la campagne et si elles peuvent la décrire, puis, après visionnage, nous font part de leurs réactions et de leur appréciation. Le service d'information du Gouvernement compile les résultats.
Les « post-tests », qui ne constituent pas un outil scientifique, ne permettent pas d'évaluer l'impact des campagnes menées sur les comportements. Nous aimerions disposer d'outils semblables à ceux des Américains qui recrutent et suivent des cohortes avant la campagne et des années après, ce qui permet de faire la relation entre l'exposition au message et le changement des comportements. Mais cela représente un coût important.
Le « post-test » réalisé sur « Drogues : ne fermons pas les yeux » a montré que les jeunes, en effet, n'avaient pas bien compris le message. Ce sont les parents qui, en fin de compte, ont apprécié le plus la campagne.
M. Jean-Marie Le Guen, député . - L'objectif n'était-il pas de rassurer l'électeur ?
M. Pierre Arwidson . - Une autre campagne, diffusée cette fois sur internet, montrait des petits trafiquants révélant à un acheteur potentiel leurs méthodes de manipulation. Elle a beaucoup plu, mais a été sans doute moins vue.
Le choix du support de diffusion dépend du public cible et du message de la campagne. La télévision est le média le plus puissant, mais il est certain que les jeunes la désertant, internet prend de plus en plus d'importance dans nos stratégies de communication.
Les programmes américains de prévention, bien que séduisants, sont difficilement transposables. Un programme d'aide à la parentalité a ainsi été traduit et adapté ; mais son expérimentation dans une commune francilienne, avec une série de sessions obligatoires, s'est révélée peu convaincante : la culture française rejette les cadres rigides et fermés. En outre, ces programmes s'inscrivent dans un cadre cognitivo-comportemental, une démarche rejetée par une bonne partie des addictologues français. Nous nous efforçons, à partir de ces programmes, d'élaborer des manuels où le public français pourra choisir librement son activité, sans se sentir contraint par la succession d'étapes à respecter.
Les publics défavorisés font partie de nos priorités lorsque nous achetons des espaces auprès des agences de publicité. Mais nous ne disposons pas de moyens spécifiques pour intervenir auprès des jeunes en apprentissage. La direction de l'animation du territoire et des réseaux et une équipe spécialisée dans les plans de diffusion tentent d'atteindre tous les publics, mais ce n'est pas à cent quarante que nous pouvons actionner l'ensemble des réseaux et entrer en contact avec toutes les personnes en bout de chaîne.
Mme Anne Guichard . - Il faut bien faire la distinction entre l'étude que nous menons sur internet afin de comprendre le mécanisme d'entrée dans l'injection et le programme Break the cycle .
Ce dernier est fondé sur des données d'épidémiologie sociale qui ont montré que, dans la grande majorité des cas, l'expérimentation de l'injection n'est pas solitaire, mais accompagnée de pairs. Éthiquement, il est hors de question d'intervenir auprès de publics jeunes, dont on ne sait pas s'ils passeront à l'injection ; ce programme est à destination des injecteurs, potentiellement initiateurs.
Les données confirment qu'un usager de drogues, sollicité par un jeune pour qu'il l'initie, ne sait pas quoi faire. Malgré sa réticence, il tend à parler positivement de l'injection et à s'injecter devant le non-initié. Le travail de terrain, en face-à-face ou par petits groupes de pairs, consiste à faire réfléchir les injecteurs sur leurs propres pratiques, à modifier leur comportement potentiellement incitatif et à leur apprendre à répondre à un jeune qui demande expressément à être initié.
Au sein de l'institut, nous nous efforçons de repérer les programmes qui fonctionnent ailleurs, de fédérer les acteurs et de mettre en place les conditions d'expérimentation de ces programmes. S'agissant du programme Break the cycle , nous n'en sommes qu'à l'étude de faisabilité. Pour examiner les conditions de réception de ce programme, nous travaillons avec l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies et l'Institut de veille sanitaire.
Notre action, qui vise à réduire les risques, s'inscrit dans un cadre juridique précis. Nous ne sommes pas en porte-à-faux vis-à-vis de la loi.
Les données dont nous disposons, souvent en retard sur l'évolution réelle des pratiques, montrent que les modes de consommation évoluent. Les injections très occasionnelles, en augmentation, sont le fait de jeunes, bien intégrés, étudiants, qui consomment en milieu festif du Subutex, des amphétamines, de la cocaïne et même de l'héroïne, sans pour autant tomber immédiatement dans la compulsion. Ce sont précisément ces nouveaux modes de consommation qui nous inquiètent : la population est plus difficile à atteindre, elle est moins demandeuse de soins. Pourtant, ses comportements sont tout aussi dangereux.
Je n'ai pas d'avis sur les échanges de seringues en prison. L'institut, dans sa mission de prévention, agit en amont de l'injection.
M. Pierre Arwidson . - Nous venons de recruter un spécialiste de la santé en prison et nous lancerons prochainement une enquête auprès des deux cents unités de consultation et de soins ambulatoires, afin de dresser un état des lieux. S'agissant de la prévention de la toxicomanie en prison, nous n'en sommes qu'au commencement.
M. Jean-Marie Le Guen, député . - Vous avez donné l'impression que vous ne faisiez que de la prévention primaire, en amont de toute consommation. Mais l'objectif d'une politique de prévention n'est-il pas d'englober tous les comportements, notamment les conduites à risques ? Quelles actions menez-vous auprès des toxicomanes avérés ?
Mme Samia Ghali , sénatrice . - Il est vrai que la dernière campagne de prévention semblait s'adresser à une population relativement aisée. Avez-vous étudié l'appartenance sociale des usagers de drogues ? Ma connaissance du terrain me fait dire que les nouveaux usagers se recrutent davantage parmi les catégories sociales élevées ; dans les « quartiers », la prévention s'est faite naturellement : les jeunes ont été en quelque sorte instruits par l'expérience et sont désormais plus petits trafiquants que consommateurs.
Comment procédez-vous pour lancer vos campagnes sur internet ? Ciblez-vous les sites fréquentés par les jeunes, comme « Torrent 411 » ? Envoyez-vous des « spams » sur le modèle de ceux à connotation sexuelle ? Si oui, comment se fait-il que nous ne les recevions pas ?
Si les premières injections, souvent fatales en termes de contamination, se font la plupart du temps dans un cadre festif et sous influence, n'y a-t-il pas peu de chance qu'elles se produisent dans l'enceinte d'une salle d'injection ?
Des jeunes bien insérés socialement, vivant dans une famille stable, sans problèmes apparents se laissent pourtant tenter par la consommation de drogues. La pression des études, le stress au travail, la timidité ou l'anxiété sont des facteurs de passage à l'acte que notre société doit désormais considérer. Comment envisagez-vous la prise en charge de ces personnes ?
M. Pierre Arwidson . - Comme je l'ai expliqué au début de l'audition, nous travaillons aussi bien à prévenir qu'à réduire l'usage de drogues ; nous oeuvrons aussi à la prévention des risques liés à la consommation. L'ensemble du spectre est couvert.
L'institut fournit chaque année 100 000 kits de type « Stéribox ». Nous subventionnons également les associations lorsqu'il s'agit de remplacer les automates distributeurs de seringues.
Nous diffusons des documents visant la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues par voie intraveineuse. Nous publions aussi à l'attention des consommateurs des documents de type « questions-réponses » sur l'héroïne et la cocaïne, très explicites sur les différents risques, ainsi qu'un guide d'aide à l'arrêt de la consommation de cannabis.
M. Jean-Marie Le Guen, député . - Le guide sur la réduction des risques infectieux est-il à l'usage des professionnels ou s'adresse-t-il directement aux consommateurs ?
M. Pierre Arwidson . - Ce sont des guides destinés aux usagers, mais nous passons par les professionnels pour leur distribution puisque nous n'avons pas accès directement aux consommateurs.
M. Jean-Marie Le Guen, député . - Quelles limites éthiques vous fixez-vous ?
M. Pierre Arwidson . - Nous agissons dans le cadre de la politique de réduction des risques.
M. Jean-Marie Le Guen, député . - Cela vous permet-il d'indiquer aux toxicomanes les conduites à tenir pour ne pas aggraver les risques - ne pas échanger les seringues, par exemple ?
M. Pierre Arwidson . - Tout à fait.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - De quelle façon envisageriez-vous la collaboration avec des centres d'injection supervisés, si ceux-ci venaient à être créés ?
Mme Anne Guichard . - Ayant participé à l'expertise collective de l'INSERM, je sais que de tels centres peuvent poursuivre des objectifs différents.
S'agissant de la contamination, je pense que l'enjeu se situe bien en amont. Tout laisse à penser que les usagers contractent le VIH et le VHC tôt dans leur trajectoire et sont déjà contaminés lorsqu'ils en viennent à fréquenter les salles d'injection. Pour autant, cela ne signifie pas que ces salles ne répondent pas aux besoins socio-sanitaires des populations en difficulté et à la problématique sociale de la consommation de drogues dans la rue.
Nous sommes partisans de mettre en place des dispositifs complémentaires et de développer des programmes intégrés. Nous travaillons avec des associations bien mieux placées que nous pour défendre ce type de projets, en proximité avec les usagers.
Face à l'urgence épidémiologique, nous devons diversifier la palette des outils de réduction des risques. Ces dernières années, nous avons développé les programmes d'échange de seringues et les traitements de substitution aux opiacées en oubliant le reste et en mettant les jeunes de côté. Il nous faut désormais élargir l'éventail des approches préventives.
Une expérience australienne, consistant à installer un programme de type Break the cycle dans des locaux situés un étage au-dessus d'une salle de consommation, a récemment fait l'objet d'une publication qui montre que ces deux univers se côtoient difficilement. Mais il n'est pas inintéressant de travailler auprès des usagers expérimentés pour les amener à réfléchir à leurs pratiques de consommation et, potentiellement, d'initiation.
M. Philippe Goujon, député . - Cette approche me semble très théorique et bien peu crédible. Les études menées montrent que les usagers des salles d'injection sont déjà très engagés dans la toxicomanie. Ce sont des personnes qui ne sont plus insérées, souvent très contaminées et qui n'en sont plus à leur première injection ! Laissons aux centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues et aux centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie le soin de prendre en charge cette prévention.
M. Jean-Marie Le Guen, député . - C'est bien en fonction de l'insertion sociale que les parcours des usagers de drogues varient. Les usagers en grande déshérence sociale et sanitaire, pour des raisons de santé mentale ou d'incarcération par exemple, vont se retrouver plus vite dans des structures en bout de chaîne, tels les centres d'injection supervisés, alors qu'ils ne sont pas encore passés à l'injection. Pour se rendre dans un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues, il faut avoir un début de conscience sanitaire et sociale.
M. Pierre Arwidson . - Madame Samia Ghali, nous plaçons des « bannières », par l'intermédiaire d'une centrale d'achat, sur des sites internet fréquentés par les jeunes. Le coût peut atteindre un million d'euros.
Comment exercer notre mission de prévention auprès de jeunes que rien, a priori , ne pousse à consommer ? Il faut savoir que les programmes les plus sophistiqués ne parlent pas de drogue. En visant le bien-être des populations - amélioration du fonctionnement de l'école, réduction de l'échec scolaire - ils visent la réduction de la consommation.
Je transmettrai à la mission d'information les chiffres concernant la répartition, par catégorie sociale, des usagers de drogues.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Je vous remercie.