IV. COMMENT CONTRÔLER L'EFFET DE LA RÉGLEMENTATION COMMUNAUTAIRE DES AIDES D'ETAT SUR LES SERVICES SOCIAUX ?
En France, l'Etat a fait le choix de ne pas édicter une loi de transposition de la directive services en tant que telle, mais un rapport de transposition qui fait le point sur les différentes dispositions adoptées 26 ( * ) .
La France laisse le champ libre à la libéralisation des services sociaux en ne les excluant pas du champ d'application de la directive services. Cependant, des exceptions sont prévues pour un certain nombre d'activités qui sont exclues du champ d'application de cette directive : c'est le cas notamment expressément de certains services sociaux, par exemple ceux qui sont relatifs au logement social, à l'aide à l'enfance et aux familles et aux personnes qui sont de façon temporaire ou permanente en situation de besoin.
Mais, en l'état actuel du droit, et bien qu'il n'y ait aucun lien direct entre le droit de la concurrence et la directive services, certains services assurés par des associations pourraient être privés de subventions pour entrave à la concurrence.
Plusieurs pistes sont donc à explorer : le relèvement du seuil « de minimis », la clarification juridique des SSIG, la création d'un nouveau contrat public adapté aux Sieg et le développement de l'information des collectivités sur le droit des aides d'Etat applicable aux services sociaux.
A. LE RELÈVEMENT DU SEUIL « DE MINIMIS » : UN TRAVAIL COMPLEXE
A la différence des régimes de sécurité sociale obligatoires, dont la CJCE considère qu'ils « remplissent une fonction de caractère exclusivement social » , hors du champ d'application du droit de la concurrence, les collectivités territoriales sont largement concernées par le respect du seuil « de minimis » . La formation professionnelle continue, la garde des jeunes enfants, l'insertion, le placement des demandeurs d'emploi, le logement social, l'aide à domicile et l'hébergement des personnes âgées et handicapées : autant de domaines d'intervention des différents niveaux de collectivités territoriales qui sont considérés comme des activités économiques. Peu importe que pour certains d'entre eux, la part de marché détenue par des entreprises privées à but lucratif soit à ce jour assez faible : le droit de l'Union européenne est largement indifférent au caractère public ou privé à but non lucratif des intervenants.
1. Les services sociaux dont le financement serait menacé par la directive services
a) Les crèches et haltes garderies (accueil de la petite enfance)
Les crèches et haltes garderies ne relèvent pas du service de l'aide à l'enfance et seraient donc incluses dans la directive services.
Cette situation risque d'engendrer des services à deux vitesses : des services privés pour les ménages bénéficiant de revenus élevés, des services réduits à la portion congrue pour les plus démunis. Certes, cette situation est parfois ressentie comme telle, mais elle risque de s'accentuer gravement si les subventions des collectivités devenaient illégales. C'est d'ailleurs l'une des principales lacunes de la transposition française qui ne règle pas la question du « mandatement » prévu par le droit communautaire.
Pour rester dans le cadre du « de minimis » , on l'a vu, le financement par la collectivité ne doit pas excéder 200 000 euros sur trois exercices fiscaux (soit 66 000 euros par an).
Pour apprécier l'ampleur du financement accordé à une crèche, il faudra ajouter à la subvention financière, la mise à disposition des locaux et la mise à disposition du personnel. Les principales dépenses sont les loyers, variables d'une commune à l'autre, et les frais de personnel. Le nombre de personnes à recruter varie selon le type d'accueil proposé et l'âge des enfants. La réglementation d'une crèche collective impose la présence d'une personne pour encadrer cinq enfants qui ne marchent pas et d'une personne pour huit enfants qui marchent. C'est pourquoi l'accueil des enfants les plus jeunes revient le plus cher.
Une crèche peut être gérée par la commune, le département, la caisse d'allocations familiales, une association ou encore un comité d'entreprise.
En ce qui concerne la réglementation communautaire sur les aides d'Etat, les types de crèches concernés par son application seraient les crèches municipales (gérées par une collectivité locale, mairie ou communauté de communes) et les crèches associatives (gérées par une association mais avec le soutien des pouvoirs publics).
La vraie difficulté serait d'établir à combien s'élève la subvention aux crèches et haltes garderies, de définir les types de crèches et haltes garderies concernés et d'évaluer si le plafond « de minimis » est dépassé. L'augmentation du seuil « de minimis » est difficilement déterminable dans ce secteur.
A titre d'alternatives, il serait soit opportun d'ouvrir le secteur de l'accueil de la petite enfance à la concurrence, le risque étant bien évidemment l'accroissement des inégalités 27 ( * ) soit d'obtenir l'exclusion du champ d'application de la directive services de l'accueil de la petite enfance. L'article 2.2.j de la directive services, ménageant la possibilité aux Etats d'exclure du champ de la directive « les services sociaux relatifs au logement social, à l'aide à l'enfance et aux familles et à l'aide aux personnes en situation de besoin » , ne permet pas de soustraire la globalité des services sociaux du jeu de la concurrence libre et non faussée. Le Gouvernement français semble retenir une interprétation restrictive de l'article 2.2.j, relatif à l'exclusion de certains services sociaux d'intérêt général du champ de la directive, en ce sens qu'il subordonne l'application de cet article à la réunion de deux critères cumulatifs que sont l'appartenance du service aux domaines du logement social, de l'aide à l'enfance et aux familles d'une part, et d'autre part l'exigence d'un service qui s'adresse à des personnes en situation de besoin particulier. Or, on voit difficilement comment le secteur de la petite enfance pourrait ne pas appartenir au secteur de l'aide à l'enfance.
Il est intéressant de noter, au vu de cette dernière considération, que l'Allemagne et les Länder ont exclu les crèches du champ de la directive services. Le Gouvernement français avait, lui aussi, la possibilité de le faire ; il explique avoir voulu inclure, dans le champ de la directive, le secteur de la petite enfance, en invoquant l'argument selon lequel ce secteur ne s'adresse pas exclusivement à des personnes en situation de besoin, argument qui n'a pourtant pas été retenu par l'Allemagne.
b) Le financement des services d'aide et de soins à domicile
Le financement des services d'aide et de soins à domicile est fonction du type de prestation apporté mais également du public aidé (personnes âgées, malades, handicapées et familles).
Le conseil général et les organismes de sécurité sociale représentent les principaux financeurs du secteur de l'aide à domicile. Reste à déterminer le montant des aides accordées par les collectivités territoriales à ce secteur. En effet, il faudrait déterminer si l'on se place en dessous du seuil « de minimis », et si non, quels départements sont concernés.
c) Le soutien scolaire
Depuis quelques années, on constate l'intervention sans cesse croissante du secteur marchand dans le domaine du soutien scolaire. Celle-ci suscite de nombreuses réactions, faisant valoir notamment les inégalités socio-économiques et culturelles qui résultent de cet état de fait.
Le ministère de l'éducation nationale définit le soutien scolaire de la façon suivante : « Le soutien scolaire est dispensé dans le cadre et dans le temps scolaire, par des enseignants, à des élèves qui, provisoirement, ou sur une plus longue durée, ont besoin d'une aide personnelle ; le soutien peut prendre la forme de l'aide individualisée, de la remédiation, du tutorat, voire prendre place dans le cadre des études au collège » .
Le paysage français du soutien scolaire est actuellement structuré en deux pôles :
- d'une part, les dispositifs publics de l'« accompagnement à la scolarité », gratuit pour les familles, prodigué principalement par des acteurs associatifs qui relèvent de l'économie sociale et bénéficient de subventions publiques. Les séances se déroulent en dehors de l'école et réunissent jusqu'à quinze élèves d'âges et de niveaux hétérogènes. Elles sont le plus souvent centrées sur l'aide aux devoirs ;
- d'autre part, une offre privée de soutien scolaire payant, proposée traditionnellement par des professeurs particuliers mais de plus en plus gagnée par des entreprises commerciales, au développement florissant. Généralement, les cours se déroulent au domicile et visent à entraîner l'élève aux stratégies de la compétition scolaire. C'est pourquoi un nombre croissant de « bons » élèves y a recours, visant l'accès aux « meilleures » filières et aux « meilleurs » établissements.
Il convient de préciser que le ministère de l'éducation nationale réglemente et contribue à financer l'accompagnement à la scolarité. En revanche, il ne dispose d'aucun moyen d'action vis-à-vis du soutien scolaire privé, situé en dehors de son champ de compétence.
Le secteur du soutien scolaire relève des mêmes problématiques que les deux secteurs précédemment étudiés.
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PISTE DE REFLEXION
Un
rapport d'information élaboré au
niveau local et établi à la demande du Parlement pourrait
recenser les services sociaux dont le financement est menacé
et
proposer des solutions pour en pérenniser le financement. La conduite
d'une telle étude suppose une collaboration étroite entre
collectivités, organismes publics et associations.
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2. Comment déterminer ce nouveau seuil ?
Diverses propositions ont été faites en ce sens :
l'union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) propose de faire passer le seuil triennal « de minimis » de 200 000 à 500 000 euros 28 ( * ) (seuil retenu dans le dispositif crise ACML 29 ( * ) valable jusqu'au 31 décembre 2010) ;
le commissaire européen Michel Barnier 30 ( * ) , dans le plan de relance du marché unique, entend accorder une place importante aux SSIG, replaçant ainsi la dimension sociale au coeur du marché unique. Il s'agirait, selon lui, d'augmenter le seuil à 200 000 euros par an 31 ( * ) , c'est-à-dire d'en tripler le niveau.
Le relèvement du seuil « de minimis » semble, à première vue, opportun mais il pose le problème pratique de la détermination la plus juste du montant de ce seuil. Ceci suppose d'analyser un à un les secteurs entrant dans le champ d'application de la directive services et pour lesquels les aides accordées par les collectivités dépassent le seuil. Une telle analyse serait longue car supposerait l'intervention de tous les acteurs locaux intervenant dans le secteur social, mais elle aurait le mérite de déboucher sur des décisions susceptibles de sécuriser juridiquement l'allocation d'aides.
Il faut néanmoins ajouter que le relèvement du seuil « de minimis » est une décision à prendre au niveau communautaire, ce qui supposerait un engagement profond des Etats membres dans ce sens.
* 26 Loi de modernisation de l'économie n° 2008-776 du 4 août 2008 ; loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques ; loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 27 Quelques crèches ont été créées sans aide publique dans les Hauts-de-Seine. Le coût de fonctionnement étant élevé, l'absence d'aide entraîne la fixation de tarifs à la journée très élevés, payés par les parents.
* 28 L'Uniopss et le Labo de l'économie sociale et solidaire (ESS) ont lancé un manifeste européen, le 14 octobre 2010, pour une nouvelle approche de l'Union européenne sur les services sociaux d'intérêt général (SSIG). Parmi les sept propositions, l'adaptation de la réglementation européenne en matière d'aides de l'Etat aux SSIG définis comme Sieg. Objectif : relever le seuil des aides « de minimis » à 500 000 euros sur trois ans. Pour rappel, le seuil est actuellement fixé pour la même période à 200 000 euros par le Paquet Monti-Kroes et la circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations.
* 29 Aides compatibles d'un montant limité (ACML).
* 30 Membre de la Commission européenne, division marché intérieur et services.
* 31 Recommandation formulée lors du troisième forum des SSIG qui s'est tenu à Bruxelles les 26 et 27 octobre 2010 et a été rendue publique à l'issue du Conseil européen des ministres des affaires sociales le 6 décembre 2010, qui a adopté des conclusions sur les services sociaux d'intérêt général (SSIG).