III. L'INCERTITUDE ENGENDRÉE PAR LA RÉGLEMENTATION COMMUNAUTAIRE POUR LES ASSOCIATIONS FRANÇAISES EN CHARGE D'UN SERVICE SOCIAL
La question fondamentale est de savoir comment réserver, au sein de l'Union européenne, une place aux services sociaux entre le « tout public non économique » exclu des règles du marché intérieur et de la concurrence, d'une part, et le « tout marchand » qui est au coeur des règles du marché unique, d'autre part. Cette quête est utile et légitime car les services sociaux interviennent dans le champ économique pour mieux accomplir « leurs missions de construction de cohésion sociale fondées sur la solidarité. Ils participent au quotidien à la qualité de vie et au bien-être des citoyens » 17 ( * ) .
A. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES CONFRONTÉES À L'INCERTITUDE DU CHOIX ENTRE LA SUBVENTION ET LE MARCHÉ PUBLIC
A ce jour, il existe, en droit français, deux instruments juridiques à disposition des collectivités territoriales pour organiser un Sieg : la subvention ou le marché public.
1. Le régime de la subvention
a) Rappel des seuils
On l'a vu, les concours financiers versés sous forme de subventions à une association exerçant une activité économique d'intérêt général qui demeurent inférieurs à 200 000 euros sur une période de trois ans ne sont pas qualifiés d'aides d'Etat et ne sont soumis à aucune exigence particulière en matière de règlementation des aides d'Etat 18 ( * ) .
Ce seuil est apprécié toute aides publiques confondues et en intégrant les facilités accordées à titre gratuit par les collectivités publiques (mise à disposition de locaux, de personnel ou de matériel).
Lorsque le concours financier envisagé pour une association exerçant une activité économique d'intérêt général excède le plafond « de minimis » des 200 000 euros sur une période de trois ans, l'octroi de l'aide par la collectivité publique n'est acceptable que s'il peut être regardé comme la compensation d'obligations de service public.
b) Le système dérogatoire
Pour bénéficier du classement de l'aide en compensation d'obligations de service public, il faut que les conditions cumulatives suivantes soient réunies 19 ( * ) :
l'association est explicitement chargée, par un acte unilatéral (loi, règlement ou délibération d'une collectivité territoriale) ou contractuel, de l'exécution d'obligations de service public, clairement définies dans leur consistance, leur durée et leur étendue. Cette exigence est régulièrement désignée sous le vocable d'un « mandat d'intérêt général » ou « mandatement » en droit communautaire ;
les paramètres sur la base desquels la compensation financière de l'exécution d'obligations de service public est calculée ont préalablement été établis, de façon objective et transparente ;
la compensation financière versée en regard des obligations ainsi mises à la charge de l'association est à la fois strictement proportionnée aux coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public assurées et périodiquement contrôlée et évaluée par la collectivité pour éviter la surcompensation.
c) La notification aux instances européennes
Lorsque les trois critères énoncés ci-dessus sont satisfaits et que la compensation due à l'association pour l'exercice des obligations de service public lui a été versée à l'issue d'une procédure de marché public ou dans le cadre d'une délégation de service public permettant de s'assurer que le service sera offert au moindre coût, la compensation financière apportée à l'association échappera à la qualification d'aide d'Etat . Cependant, la notification de la compensation à la Commission européenne est obligatoire, sauf :
si le montant des compensations financières versées à l'association en contrepartie des obligations de service public n'excède pas 30 millions d'euros par an et que le chiffre d'affaires annuel hors taxe de ladite association n'a pas dépassé 100 millions d'euros pendant les deux exercices précédents ; la collectivité publique est alors exonérée de notification préalable de l'aide à la Commission européenne. En ce qui concerne les « entreprises » de logement social, il n'existe aucune limite quant aux montants de la compensation qui est donc, dans tous les cas, exemptée de notification ;
ou si l'association a été retenue à l'issue d'une procédure de marché public ou dans le cadre d'une délégation de service public permettant de s'assurer que le service sera offert au moindre coût ; la compensation financière versée à l'association échappe alors purement et simplement à la qualification d'aide d'Etat.
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Il ressort de la présentation de la réglementation européenne qu'elle n'impose pas, en soi, le recours à la procédure de passation des marchés publics. La subvention peut constituer un mode de financement légal dès lors que la collectivité a défini au préalable, dans son mandatement, la mission de service d'intérêt économique général confiée à l'association, ainsi que les critères de calcul de la compensation afférente.
L'exercice d'un mandat d'intérêt général et l'exigence de la compensation proportionnée ne limitent pas, par eux-mêmes, l'autonomie et la liberté d'initiative des associations et restent compatibles avec un financement par subvention.
Avantages :
Inconvénients :
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2. Le régime du marché public
Le droit national de la commande publique délimite le recours aux subventions. Si la collectivité territoriale est à l'origine du projet, il faudra recourir au marché public. L'association doit être à l'initiative du projet pour obtenir une subvention, ce qui recouvre deux cas de figure :
le projet émane directement de l'association.
Cette condition est remplie si l'association porte un projet dont elle est à l'initiative. Ceci signifie qu'elle ne répond pas à un besoin préalablement défini par la collectivité publique, pour le compte duquel elle agirait comme un prestataire rémunéré, avec une contrepartie directe ;
le projet tel que développé par l'association s'inscrit dans le cadre d'un appel à projet lancé par une collectivité publique 20 ( * ) .
Dans cette hypothèse, la collectivité lance un appel à projet qui lui permet de mettre en avant un certain nombre d'objectifs lui paraissant présenter un intérêt particulier. Les associations sont invitées à présenter un projet s'inscrivant dans un cadre général fixé par la collectivité. Mais ce sont elles qui prennent l'initiative de ces projets et en définissent le contenu. La collectivité ne définit pas la solution définitive.
a) Le droit applicable
Le droit de la commande publique est d'origine à la fois nationale et communautaire.
Dans le droit de l'Union européenne, la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 impose le recours à des procédures formalisées d'appel public à la concurrence pour les marchés dont le montant dépasse un certain seuil, 193 000 euros pour les marchés de services des collectivités territoriales.
Le droit national a transposé cette directive 21 ( * ) , mais il va plus loin encore. La jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat a dégagé des principes généraux du droit de la commande publique, qui s'imposent aux pouvoirs législatif et réglementaire : ce sont les principes de transparence et d'égalité d'accès à la commande publique .
Ces principes s'appliquent à tout marché, même en-deçà des seuils fixés par la directive :
- seuls les marchés dont le montant est inférieur à 4 000 euros peuvent être passés sans aucune procédure de publicité préalable et de mise en concurrence ;
- entre 4 000 euros et 193 000 euros, les marchés de services doivent être choisis selon une « procédure adaptée », fixée par la collectivité en fonction de la nature des besoins et du nombre d'opérateurs.
Dans cette hypothèse, le besoin est clairement identifié pour le recours au marché public, et défini par la collectivité. Cette dernière est à l'initiative du projet.
On distingue donc deux modes d'actions pour les collectivités territoriales : le recours aux marchés publics (appel d'offres) et la délégation de service public.
b) Le recours aux marchés publics subordonné à l'initiative et aux besoins de la collectivité territoriale
Le marché public vise à répondre à un besoin de la collectivité et donne lieu à la rémunération d'une prestation. C'est un contrat conclu à titre onéreux entre un pouvoir adjudicateur (Etat, collectivités territoriales, établissements publics) et un opérateur économique, qu'il soit public ou privé, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, fournitures ou services.
Le marché implique un lien direct entre les sommes versées et les prestations réalisées. Le paiement intégral et immédiat est effectué par l'acheteur public. Il faut qu'il y ait une contrepartie directe pour la personne publique ou le bénéfice d'un avantage immédiat.
c) La délégation de service public
Le champ de la délégation de service public diffère de celui des marchés publics, tant du point de vue de l'objet poursuivi que des modalités de rémunération retenues. En effet, dans le cadre d'une délégation de service public, la personne publique confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire assume donc une part de risque liée à l'exploitation de ce service public.
Avantages :
Inconvénients :
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Le croisement de ces données aboutit donc à une sorte d'impasse : d'un côté, le droit communautaire exige un mandatement, qui implique que la collectivité définisse elle-même ses besoins de service public ; de l'autre, le droit national des marchés publics implique le recours aux marchés publics dès que les besoins sont définis a priori . Dès lors, une collectivité qui souhaite mettre en place un Sieg ne peut pas à la fois respecter le droit communautaire et le droit national.
PISTE DE REFLEXION
Si les principes permettant de distinguer subvention et commande publique sont clairs, la voie permettant d'attribuer une subvention conforme au droit de l'Union sans encourir la requalification en marché public est étroite en pratique.
En conséquence, ne serait-il pas
nécessaire, désormais, d'envisager la création d'un
nouveau type de contrat public en droit français adapté aux
Sieg ?
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* 17 Avis du Conseil économique et social du 9 avril 2008 : quel cadre européen pour les services sociaux d'intérêt général ?
* 18 Seuil des aides « de minimis » établi à l'article 2 du règlement du 15 décembre 2006 : « Le montant brut total des aides « de minimis » octroyées à une même entreprise ne peut excéder 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux. Le montant brut total des aides « de minimis » octroyées à une même entreprise active dans le secteur du transport routier ne peut excéder 100 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux. Ces plafonds s'appliquent quels que soient la forme et l'objectif des aides « de minimis » et indépendamment du fait que l'aide accordée par l'Etat membre soit financée en tout ou en partie au moyen de ressources communautaires. La période à prendre en considération est déterminée en se référant aux exercices fiscaux utilisés par l'entreprise dans l'Etat membre concerné ».
* 19 CJCE, 24 juillet 2003, Altmark.
* 20 Tribunal administratif de Limoges, 6 mai 2010. Ce jugement illustre les difficultés que peut rencontrer une collectivité territoriale lorsqu'elle cherche à sécuriser ses subventions au regard du droit de l'Union européenne. Le conseil régional du Limousin, désireux de ne financer des actions de formation qu'auprès de partenaires publics (Association pour la formation professionnelle des adultes et Groupement d'établissements pour la formation continue), a adopté une délibération portant sur l'organisation d'un service public régional de formation professionnelle, afin de donner un « mandat » clair à ces derniers. Mais le TA de Limoges, saisi par des formateurs privés, s'est justement fondé, entre autres éléments, sur l'existence de cette délibération pour juger que les opérateurs publics avaient répondu à des besoins définis par le conseil régional, et en a déduit que celui-ci aurait dû passer par un marché public ; il a donc annulé les décisions d'attribution de subventions.
* 21 Décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 portant code des marchés publics, abrogeant le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 J.O. du 8 janvier 2004.