Mme Marie-Luce Penchard,
ministre chargée de l'outre-mer
M. François Patriat , président . - Madame Penchard, merci de nous rejoindre pour nous donner votre sentiment sur la RGPP outre-mer. Les effets de cette politique sont amplifiés outre-mer, disait le sénateur Georges Patient ce matin. Qu'en pensez-vous ? Notre souci est de dresser un premier bilan objectif de cette réforme. A-t-elle rempli son triple objectif : simplifier, optimiser et économiser ? Son but, à notre sens, ne peut pas être seulement comptable. Les économies, si elles sont nécessaires, ne sont pas toujours pertinentes dès lors qu'il s'agit des pouvoirs publics.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer . - Merci de me recevoir. Pour moi, l'objectif de la RGPP est d'abord d'adapter les missions de l'État aux défis du XXI e siècle. Il s'agit d'insuffler une nouvelle culture du résultat et de la responsabilité, en vue de rétablir l'équilibre des comptes publics, tout en améliorant le service rendu aux entreprises et aux citoyens.
Concernant l'outre-mer, cette politique consiste en des mesures correctives, définies lors du Conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008. Ainsi, la loi pour le développement de l'outre-mer, adoptée en février 2009, tout en créant de nouvelles dispositions comme les zones franches d'activité, a recentré le dispositif d'exonération des charges sociales sur les bas salaires et les petites entreprises dans les secteurs porteurs à compter du 1 er janvier 2010. Autre objectif de cette loi : améliorer l'encadrement de la défiscalisation prévue par la loi Girardin -un outil nécessaire au développement économique de l'outre-mer- avec l'abaissement des seuils d'agrément, l'obligation de déclaration des investissements défiscalisés dès le premier euro et la priorité donnée au logement social. On a aménagé une sortie en sifflet pour le logement intermédiaire et le logement libre. À propos de ce dernier, la défiscalisation s'applique dorénavant aux seuls primo-accédants à la propriété et aux maisons individuelles dont la surface est inférieure à 150 m 2 .
Ensuite, l'extinction de l'indemnité temporaire de retraite (ITR), créée en 1952, est une nécessité au regard de l'évolution du monde et de l'injustice de ce système qui bénéficiait à 34 000 fonctionnaires installés à la Réunion, à Mayotte, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais non à ceux des Antilles. Cette réforme, votée dans des conditions particulièrement difficiles, a permis l'écrêtement des pensions les plus élevées et le gel du montant des indemnités déjà octroyées. Grâce à elle, l'enveloppe financière est passée de 330 à 320 millions ; si nous n'avions rien fait, elle aurait atteint 370 millions en 2010.
Autre sujet, la modernisation de l'administration centrale de l'outre-mer. Le ministère a abandonné sa mission de gestion pour se consacrer aux tâches de conception et d'évaluation. Cette transformation en une administration de mission, décidée en 2009, s'est opérée durant l'année 2010. Elle a consisté en un transfert des tâches de gestion et des crédits afférents aux ministères sectoriels. En contrepartie, nous avons récupéré les crédits prévus dans le cadre des contrats de projet ou des contrats de développement.
Enfin, la réforme des congés bonifiés, confiée au délégué interministériel de l'outre-mer en début de mandature, n'est plus d'actualité, compte tenu de la complexité de la question et des relations avec les syndicats.
Dans le cadre de la RGPP, a également été décidée en 2009 la suppression du service de l'état civil du ministère, dont l'existence remontait à l'édit royal de juin 1776 qui faisait obligation aux ultramarins installés en métropole de posséder un duplicata de leur acte de naissance. Avec les moyens modernes, ce service, qui délivrait 15 000 actes par an, ne se justifiait plus. Enfin, nous espérons mener à bien cette année la transformation de l'indemnité particulière de sujétion et d'installation, qui visait à rendre plus attractifs les postes de fonctionnaires en Guyane, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, en une indemnité de sujétion géographique limitée à la Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le ministère a également accompagné la réforme de l'administration territoriale de l'État, applicable depuis le 1 er janvier 2011, en tenant compte des observations formulées lors des états généraux et de la spécificité de l'outre-mer. Les régions ultramarines étant monodépartementales, elles comptent désormais six directions régionales, sans compter l'ARS et le rectorat ; disparaissent les trois directions départementales existant en métropole. Dans le cadre de cette réorganisation, 50 postes ont été ouverts avec la volonté de promouvoir les ultramarins ; sept postes ont été pourvus. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de cette réforme applicable depuis le début de l'année.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - J'ai noté que les conséquences de la RGPP sur les collectivités territoriales d'outre-mer ne seront visibles que dans les mois à venir, la réforme des services ne s'appliquant que depuis le 1 er janvier 2011. Mais comment le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux s'applique-t-il outre-mer ? Les états généraux de l'outre-mer ont été l'occasion d'une concertation avec les élus ultramarins. Nous les envions ! Les ministres en charge de la RGPP, que nous avons auditionnés, n'ont pas caché leur volonté de passer outre, ajoutant même que la concertation, si elle avait eu lieu, aurait bloqué la réforme. Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience ?
Mme Marie-Luce Penchard . - L'outre-mer n'échappe pas au principe du « un sur deux ». Néanmoins, ces territoires ayant un niveau de vie comparable à celui d'un pays en développement, ils ont besoin d'un accompagnement fort de l'État. La réduction des effectifs de l'administration territoriale, si ma mémoire est bonne, se limite à 0,98 %. Le conseil interministériel de l'outre-mer a créé des commissaires au développement endogène, poste imaginé lors des états généraux. Leur mission, confiée à des personnalités dotées d'une solide expérience internationale, est de développer l'économie et l'emploi en favorisant l'insertion des territoires de l'outre-mer dans leur environnement régional. Autre particularité : les sous-préfets à la cohésion sociale, une nécessité pour accompagner le retour à l'emploi et développer le potentiel des métiers de la croissance verte quand le taux d'illettrisme outre-mer est cinq fois supérieur à celui de la métropole.
S'agissant des autres emplois de la fonction publique, les ministres sectoriels en savent davantage que moi. Pour autant, je constate que cette politique est modulée selon les besoins des territoires : les moyens de l'Éducation nationale ont baissé à la Réunion ; ils ont augmenté en Guyane et à Mayotte où la population a doublé. Pas moins de 150 postes ont été créés pour le seul secondaire.
L'organisation des états généraux de l'outre-mer a traduit la volonté de l'État de tout remettre à plat après la fameuse crise de 2009. Ces travaux ont permis d'identifier le fort besoin d'assistance technique des collectivités ultramarines. La réflexion est désormais aboutie sur la création d'une cellule d'ingénierie publique ciblée sur certains secteurs : la prévention des risques naturels, tel le risque sismique en Guadeloupe et en Martinique- car de nombreux crédits destinés à la remise aux normes des équipements scolaires n'étaient pas consommés, faute de soutien- ainsi que l'assainissement, l'alimentation en eau potable et la gestion des déchets. Nous verrons comment aller au-delà, sachant que l'État dispose déjà de deux agences spécialisées dans l'aide à la construction de logements : la société immobilière de Guadeloupe (SIG) et la société immobilière de Martinique (SIMAG).
M. Georges Patient . - La réforme de l'administration territoriale de l'État, entrée en vigueur en 2010 en métropole, s'applique depuis le 1 er janvier 2011 à l'outre-mer. En tant que maire, j'ai simplement reçu un courrier le 26 janvier accompagné d'un dépliant à afficher dans un lieu public. Compte tenu de l'enjeu, le plan de communication est peut-être à revoir...
Avant l'application officielle de cette politique, des décisions de réduction d'effectifs avaient déjà été prises. Ainsi, en Guyane, le nombre de géomètres experts est insuffisant. Or, au moment où l'État demande aux collectivités guyanaises de compter davantage sur leur fiscalité locale, ces fonctionnaires remplissent une tâche essentielle pour l'élargissement de l'assiette : établir le cadastre. Cinq géomètres pour un territoire de 80.000 km 2 , aucun pour la commune de Saint-Laurent, cela paraît très insuffisant. Mieux vaudrait doter correctement l'outre-mer afin qu'il puisse mener à bien cette tâche et ne plus être contraint de quémander des crédits.
La direction départementale de l'équipement et la direction départementale de l'agriculture et de la forêt apportaient une ingénierie technique très appréciée en Guyane. Alors qu'elles remplissent un rôle fondamental pour l'aménagement de l'immense territoire guyanais, faut-il appliquer les normes nationales de la RGPP ? Le problème de la compensation des charges se pose également, comme en métropole. Enfin, les sous-préfectures sont vidées de leurs personnels. Veut-on les fermer ? À Saint-Laurent, la sous-préfecture est l'unique point de contact avec l'État ; Cayenne est loin. Or la ville n'abrite plus qu'un service des papiers pour les personnes en situation irrégulière.
Mme Marie-Luce Penchard . - L'État continuera d'aider les collectivités de Guyane à élargir leur assiette ; nous avons créé un poste supplémentaire de géomètre pour mener à bien la réalisation du cadastre. Il en faudrait plus, me répondrez-vous. Soit, mais ces postes sont difficiles à pourvoir en raison de l'éloignement. Nous en revenons au problème de l'attractivité...
L'ingénierie publique sera désormais concentrée sur certains secteurs. Pour autant, les sous-préfectures continueront de jouer un rôle de conseil ; et ce, d'autant mieux, que l'on a augmenté la qualification des personnels. En Guyane, il y a désormais 42 cadres A, contre 27 auparavant.
Toute réorganisation, notamment la dématérialisation, entraîne une perturbation temporaire des services. Quant à la communication sur la réforme, sa déclinaison a été fonction des territoires : la Martinique a organisé des réunions de présentation aux élus, publié dépliants et communiqués de presse.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - La dématérialisation des procédures pose-t-elle un problème particulier outre-mer ?
Mme Marie-Luce Penchard . - D'après les premiers chiffres disponibles, l'outre-mer se situe dans la moyenne nationale pour le traitement des cartes grises, des permis de conduire ou encore des passeports. En revanche, je ne dispose pas encore de données sur le taux de satisfaction des usagers.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Qu'en est-il de l'équipement en informatique des ultra-marins ?
Mme Marie-Luce Penchard . - Contrairement à ce que l'on pense souvent, chaque foyer ultramarin possède au moins un ordinateur, y compris dans les familles modestes. Celui-ci représente une ouverture sur le monde, un moyen de remédier à l'enclavement des territoires. Les collectivités territoriales en offrent un à chaque lycéen. Reste à toucher leurs parents. Pour leur apprendre à utiliser l'informatique, associations et bénévoles mènent des actions. C'est, en outre, l'un des axes des plans de lutte contre l'illettrisme.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les collectivités territoriales, d'après les auditions menées par notre mission, s'inquiètent des conséquences de la réforme de l'administration territoriale de l'État sur le contrôle de légalité et l'ingénierie publique. En bref, elles craignent une plus grande insécurité juridique et un retrait de l'État en matière de conseil. Ce problème se pose-t-il en termes identiques outre-mer ?
Mme Marie-Luce Penchard . - L'organisation proposée sera plus efficace : centralisation du contrôle de légalité en préfecture et, donc, recentrage des sous-préfectures sur la fonction de conseil et la première orientation. Les sous-préfets se disent satisfaits : ils pourront jouer leur rôle de conseiller de proximité auprès des maires. Nous verrons à l'usage ; il est encore trop tôt pour se prononcer.
M. François Patriat , président . - La carte scolaire fait-elle l'objet d'un traitement différencié outre-mer pour tenir compte de l'objectif de lutte contre l'illettrisme ?
Mme Marie-Luce Penchard . - Bien sûr ! La politique de lutte contre l'illettrisme, axe dégagé lors des états généraux de l'outre-mer au sein de l'atelier sur l'égalité des chances, a été renforcée lors du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009 par décision du Président de la République. Nous voulons toucher tous les publics, enfants et adultes. Le plan de l'Éducation nationale, élaboré peu de temps après, s'intègre donc dans des plans régionaux de lutte contre l'illettrisme. Ceux-ci ont été signés en Guyane, à la Réunion et à la Martinique ; un autre sera bientôt finalisé en Guadeloupe.
J'ai décortiqué à titre personnel le plan martiniquais, un travail remarquable, mené de concert par l'État et les collectivités territoriales. Il est assorti d'un système d'évaluation avec des indicateurs. La logique de partenariat est très forte : la part des collectivités est de 1,8 milliard pour un coût total de 5 milliards d'euros. Nous nous sommes donné rendez-vous dans un an pour dresser un bilan.
L'objectif est de réduire de moitié l'écart entre le taux d'illettrisme constaté en métropole, qui est de 9 %, et celui en outre-mer, qui atteint 14 % en Martinique, 20 % à la Réunion. En Guyane, les chiffres ne sont pas connus. Néanmoins, si l'on se réfère aux tests effectués lors de la journée défense et citoyenneté, 42,5 % des jeunes Guyanais ne savent pas lire correctement. Une situation inacceptable ! Dans ces conditions, comment accéder à l'emploi ? Le plan est mis en oeuvre depuis plus d'un mois dans ce territoire.
M. François Patriat , président . - Nous vous remercions.