M. Marc Censi, président,
et Mme Delphine Vincent, directrice,
d'Entreprises, Territoires et Développement (ETD)

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M. François Patriat , président . - Merci de votre présence, Monsieur Censi. Vous êtes un acteur parfaitement averti de l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales, compte tenu des fonctions que vous avez occupées et dans celles qui sont aujourd'hui les vôtres. Vous êtes à même de nous apporter votre sentiment sur la RGPP, dont tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité. Pourtant, cette réforme indispensable s'est faite sans aucune concertation.

M. Marc Censi, président d'Entreprises, Territoires et Développement (ETD) . - Merci de solliciter l'avis d'ETD, qui est une structure étroitement liée à la Datar et à la Caisse des dépôts. Je suis venu avec Mme Delphine Vincent, directrice d'ETD.

Plutôt que de répondre point par point au questionnaire que vous m'avez adressé, je vais vous donner mon avis sur la RGPP et Mme Vincent vous présentera des exemples précis puisqu'ETD nous met en contact avec toute sorte de territoires. L'activité d'ETD nous permet en effet d'avoir une vision assez large du développement territorial au regard de la RGPP.

Mon expérience déjà ancienne m'a permis de connaître ce qu'a été l'apogée de la présence de l'État avant la décentralisation. A cette époque, les services de l'État, notamment la DDA et la DDE, avaient une mission de proximité auprès des maires ruraux, mais aussi des villes. Le groupe étude et programmation, le GEP, qui dépendait de la DDE, a ainsi aidé ma ville à élaborer son schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme et son POS. Rodez a d'ailleurs été la première ville à signer un contrat ville moyenne. Nous avions bénéficié pendant plusieurs mois de la présence sur place d'une équipe interministérielle de projet, ce qui a abouti à la signature d'un contrat qui a complètement modifié la physionomie de la ville. Nous étions alors à l'apogée du centralisme étatique et nous ne savions pas que nous entendions le chant du cygne des services de l'État sur le territoire.

Les maires ruraux ont pendant des années bénéficié de l'appui technique des ingénieurs subdivisionnaires de la DDE et des techniciens de la DDA. Aujourd'hui, nombre d'entre eux regrettent cette période. Il ne faudrait pas pour autant en faire un paradis perdu. Durant cette période, il y avait des avantages, mais aussi de nombreux inconvénients, dont la mise sous tutelle des maires ruraux.

La décentralisation avait pour but de libérer les initiatives locales. Je pense en particulier au fameux discours de Lyon de De Gaulle en 1969, qui ne lui a d'ailleurs pas porté chance puisque quelques mois plus tard il quittait le pouvoir. Nous sommes ensuite passés d'une période de top down à une période de bottom up où les initiatives locales devaient porter les projets de développement local. Les conséquences de cette révolution copernicienne ont été très importantes. On a assisté à un abandon progressif du territoire par les services de l'État avec, dans un premier temps, la suppression des pouvoirs exécutifs du préfet. Dans certain cas, cela a été ressenti comme un véritable séisme. Le dégraissage s'est fait au cours des années et il se conclut aujourd'hui par la RGPP, qui aurait dû intervenir bien plus tôt.

Hélas, cette RGPP, qui a débuté plus de 20 ans après la décentralisation, s'est faite sous la pression de la pénurie des finances publiques et non pas dans le but de réformer l'État. La méthode employée n'est pas exempte de reproches. Ainsi, la RGPP ne s'est nullement préoccupée d'aménagement du territoire. Certains territoires ont été touchés par une double, triple, voire quadruple peine lorsqu'ils ont perdu à la fois leur tribunal, leur école, leur poste, leur perception, ce qui a eu un fort impact sur l'économie, mais aussi sur l'attractivité de ces territoires.

En second lieu, la RGPP a eu lieu sans aucune concertation : j'ai appris un matin dans la presse que le tribunal de Rodez allait perdre l'instruction des dossiers, qui seraient renvoyés à Montpellier. Or, entre Rodez et Montpellier, il y a 200 kilomètres ! Est-il vraiment rentable de déplacer les témoins, les gendarmes, les prévenus sur de telles distances ? J'ai appris cette décision alors que nous venions de terminer les travaux d'extension et de restauration du tribunal et que l'on venait de décider, en accord avec l'État, de reconstruire la maison d'arrêt de Rodez. Est-il possible de faire pire?

La RGPP a donc poussé les élus ruraux à revendiquer le maintien de leurs services publics. Il n'y a pas eu de réflexion sur le maintien du service au public, ce qui aurait sans doute été préférable.

La RGPP a été menée selon des procédures dites en silos ou en tuyaux d'orgue, c'est-à-dire sans aucune relation horizontale entre les ministères, chacun ayant sa propre logique. Tout cela a eu de graves conséquences sur les collectivités territoriales : elles ont enregistré une perte d'expertise au moment même où elles en avaient particulièrement besoin pour accompagner leurs démarches de développement local fondées sur le projet et sur le contrat. Celles qui le pouvaient ont fait appel à des bureaux d'étude privés ou à des consultants, mais d'autres n'en avaient pas les moyens. De plus, l'État a développé les appels à projet, ce qui est profondément inéquitable puisque certaines collectivités pouvaient répondre tandis que d'autres ne le pouvaient pas.

J'exerce la fonction de médiateur de l'eau : récemment, je manifestais mon étonnement devant le nombre d'installations qui ne sont pas aux normes dans le domaine de l'alimentation en eau. Je ne parle même pas de l'assainissement, et encore moins de l'assainissement non collectif. Les collectivités rurales sont démunies : autrefois, l'ingénieur de la DDA contrôlait la conformité au règlement de l'installation des compteurs en limite de propriété. Aujourd'hui, la plupart des conflits que j'ai à régler viennent du fait que ces règlements n'ont pas été respectés et ne sont contrôlés par personne.

Des territoires perdent donc leur attractivité à cause de la RGPP.

Enfin, les collectivités ont dû supporter des transferts de charge. Pour avoir été président d'une communauté d'agglomération et président de l'Assemblée des communautés de France, j'ai toujours été choqué par le reproche injuste que l'on fait aux collectivités territoriales, notamment à l'intercommunalité, d'avoir recruté du personnel. Entre 1995 et 2007, elles ont embauché 290 000 fonctionnaires territoriaux, ce qui est effectivement énorme, mais cela n'a pas été fait par plaisir ! Elles devaient faire face à leurs nouvelles responsabilités relatives au développement local, qui est d'autant plus compliqué qu'il devient durable. Ce reproche lancinant que l'on fait aux collectivités n'est pas acceptable.

Quelles sont les solutions envisageables ? Elles sont multiples. Il ne faut pas que l'État cède à la tentation d'un retour en arrière. En revanche, d'autres formules sont possibles, notamment l'auto-organisation locale. La balle est en effet dans le camp des collectivités. Il faut que l'État accepte enfin d'être partenaire, avec de réelles concertations au niveau local et non pas un simulacre. Jusqu'à présent, la concertation consistait surtout à expliquer aux maires dans quelles conditions ils allaient perdre leur bureau de poste ou leur perception.

Un mot sur les sous-préfets développeurs, créés par Charles Pasqua. J'ai toujours été très dubitatif sur cette fonction, qui dépendait beaucoup des qualités personnelles de ces fonctionnaires, mais il me semblait contradictoire de compter sur eux pour faire du développement local alors que nous étions en pleine décentralisation. Avec ces sous-préfets, on était encore dans une situation de top down , espérant qu'ils apportent des solutions alors qu'elles ne relevaient pas de leurs compétences. En revanche, les collectivités ont beaucoup souffert de se retrouver devant un État multicéphale. Si un pays voulait monter une maison des services publics, il devait entrer en contact avec La Poste, avec le percepteur, avec l'éducation nationale... Si le sous-préfet développeur pouvait parler et agir au nom de tous ces services, ce serait une réelle avancée.

La plupart des solutions passent par une réorganisation de l'architecture de la gestion territoriale de la France et, pour être franc, je n'ai pas l'impression que la réforme des collectivités territoriales actuelle réponde à cette nécessité. La partie du texte sur l'intercommunalité correspond assez bien aux attentes, mais l'intercommunalité ne répond pas à la recherche fantasmagorique du territoire pertinent. L'intercommunalité est une brique de base d'une bonne gouvernance qui permet à des communautés humaines cohérentes d'accéder à l'inter-territorialité. L'organisation des services publics, de l'habitat et de la protection de l'environnement, pour ne prendre que ces thèmes, ne concerne pas des territoires identiques. Chaque fois, les périmètres et les organisations sont différents. Ce qui marche, c'est l'inter-intercommunalité à la carte qui s'adapte à des thèmes particuliers, souvent sur des bases contractuelles et pour des durées limitées. Ces coordinations locales interterritoriales permettent de répondre à des objectifs précis durant une période limitée. Ces coordinations peuvent être horizontales, mais aussi verticales. Certains problèmes ne peuvent se régler sur le plan strictement local.

Un exemple : la création d'agences d'urbanisme par des départements. Je n'adhère pas à cette coordination verticale car il appartient aux territoires de se réunir à des échelles différentes pour répondre à la mutualisation de l'ingénierie. Autre exemple : la ville de Rodez avait participé à deux réseaux de ville, l'un réunissant Aurillac, Mende et le Puy et l'autre spécialisé dans l'enseignement supérieur avec Figeac, Albi, Castres, Mazamet. Toutes ces villes étaient confrontées à des problèmes d'ingénierie. Elles faisaient appel à des bureaux d'étude privés, mais l'assistance à maîtrise d'ouvrage pouvait très bien donner lieu à la création d'une agence d'urbanisme qui aurait été partagée entre trois ou quatre de ces villes. C'était une bonne solution car les villes gardaient la maîtrise locale de la gestion et la responsabilité de l'agence de l'urbanisme, ce qui n'est pas le cas lorsque c'est le département qui crée une agence. Cette agence n'a pas pu se mettre en place car les départements n'en voulaient absolument pas et parce qu'il aurait fallu attendre cinq ou six ans avant qu'elle soit créée, du fait de nombreuses lourdeurs administratives.

Il faudrait se garder de regretter la disparition des services de l'État : nous nous sommes tous battus pour la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent rester aux commandes : il leur appartient donc de s'organiser pour faire face aux diverses difficultés que crée la disparition des services de l'État. Dans le même temps, les collectivités territoriales sont face à leurs responsabilités et elles doivent s'orienter vers l'inter-territorialité. Il n'en reste pas moins que l'État partenaire conserve une responsabilité financière, notamment dans le domaine de la péréquation.

M. François Patriat , président . - Vous avez dit que la RGPP avait été décidée sans concertation ni souci d'aménagement du territoire, d'où une perte d'attractivité de certains territoires et des transferts de charges non compensées. En conclusion, vous estimez qu'on ne peut regretter la disparition des services de l'État du fait de la décentralisation. A partir du moment où l'État opère des transferts de compétence au profit des collectivités, il est normal que son périmètre se réduise.

Mais aujourd'hui l'État semble tout vouloir reprendre en main : il territorialise les politiques de l'environnement, il reprend à son compte l'innovation, l'apprentissage et la formation professionnelle alors qu'il n'a plus les moyens humains et financiers de les assumer. C'est une réalité, même si j'en fais une présentation plutôt manichéenne.

Mme Jacqueline Gourault . - Un État totalement décentralisé a-t-il encore besoin d'un pouvoir central ? Actuellement, nous sommes dans un flou total, car nous ne savons pas ce que l'État veut continuer à faire, ce qu'il veut reprendre en main, tout en transférant d'ailleurs de nouvelles charges aux collectivités territoriales. Or, toutes les collectivités attendent de l'État qu'il soit présent sur un certain nombre de sujets. Nous aimerions savoir quels sont les pouvoirs régaliens que l'État va continuer à assumer et ce qu'il va arrêter de faire.

M. Gérard Miquel . - Pendant longtemps, nous avons travaillé sur les problématiques du développement local, Marc Censi et moi. Je partage l'analyse qu'il nous a présentée.

Aujourd'hui, nous reprochons à l'État de ne pas assumer ses fonctions régaliennes. Quand il vient demander à une collectivité de construire une gendarmerie, les bras m'en tombent !

La recentralisation est en route et nous assistons au transfert de certains services départementaux à la région ; quand celle-ci est vaste, comme Midi-Pyrénées, cet éloignement est dramatique : les fonctionnaires en déplacement à Cahors ne connaissent plus le terrain. Nous voudrions garder les services de l'État dans nos départements.

Certes, je comprends que des villes veuillent créer une agence de l'urbanisme, mais quid des communes rurales ? Le rôle du département est alors indispensable : il doit intervenir, avec des outils qui permettent de faire jouer la solidarité envers toutes les communes de son ressort. La disparition des services de l'État impose la mise en place de ce type d'outils pour venir en aide aux petites communes.

M. Marc Censi . - Je n'ai jamais défendu la disparition pure et simple de l'État. Un État décentralisé n'implique pas sa disparition. Il existe toujours des missions régaliennes et la gendarmerie en fait partie, y compris l'hébergement, pour répondre à la remarque de M. Miquel. Ceci dit, il y a beaucoup de gendarmeries qui ont été construites par des collectivités, voire par des fonds privés.

M. Raymond Couderc . - C'est bien antérieur à la RGPP.

M. Marc Censi . - La décentralisation impliquait la disparition de l'État interventionniste au niveau local. En revanche, l'État partenaire garde toute sa place et les sous-préfets développeurs pourraient être l'expression d'un comité interministériel local qui serait l'interlocuteur unique des collectivités voulant se développer. Comme je l'ai dit, elles ont pour l'instant des interlocuteurs multiples, ce qui n'est pas de bonne gestion. Dans le sud Aveyron, j'ai rencontré ce problème alors que nous voulions créer une maison des services publics. Or, nous n'avons pas réussi à mettre d'accord les différents services de l'État. Il faut donc que l'État soit partenaire, ce qui implique qu'il ne tape plus sur la table pour imposer ses vues. La décision locale appartient aux élus locaux, à ceux qui représentent légitimement la population. L'État partenaire doit faciliter le dialogue avec ses services et assurer financièrement un certain nombre de charges. Loin de moi l'idée de défendre l'absence d'un État central !

Enfin, il ne devrait pas être très difficile de faire l'inventaire des activités régaliennes de l'État.

M. François Patriat , président . - D'après vous, les collectivités ne peuvent exercer les contrôles qui étaient assumés par la DDA. Pensez-vous que l'État, qui a besoin de se réformer et de faire des économies, ait atteint ses objectifs ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous avez dit qu'ETD avait des liens privilégiés avec la Datar. Quel jugement portez-vous sur l'accompagnement qu'a apporté la Datar à la RGPP, notamment en ce qui concerne la révision de la carte militaire ?

M. Marc Censi . - Je n'ai pas une liberté d'expression totale à l'égard de la Datar, ne serait-ce que parce qu'elle assure une grande partie du financement d'ETD. Nous sommes un outil à la disposition de la Datar, outil d'autant plus précieux que la RGPP a entraîné la disparition d'un certain nombre d'organismes de réflexion et de prévision. ETD est aujourd'hui une des rares structures qui conduit une réflexion de fond sur tous ces sujets et les travaux que nous publions sont de grande qualité.

La Datar a créé ETD à l'époque où l'association des trois notions -entreprise, territoire et développement- avaient une signification particulière. Mais la mondialisation est passée par là. Les relations entre les entreprises et le territoire sont devenues beaucoup plus aléatoires. Notre mission a donc beaucoup évoluée. La Datar est notre bras protecteur et nous travaillons pour elle. Quant à la présence de la Datar sur le territoire local, il y a bien longtemps que tout le monde en a fait son deuil. La RGPP n'a pas eu de grande influence sur les rapports de la Datar avec les structures locales.

Mme Delphine Vincent, directrice d'Entreprises, Territoires et Développement (ETD) . - A la lumière des questions que vous avez posées, je vous ferai parvenir une note afin d'entrer dans le détail et d'illustrer nos propos par des exemples précis.

Mme Valérie Létard . - Je voudrais que vous reveniez sur la notion d'inter-territorialité. Quels sont les outils qui vous semblent les plus intéressants à explorer pour faire en sorte que les territoires puissent disposer de l'ingénierie nécessaire ?

M. Marc Censi . - On a longtemps cherché quel territoire serait parfaitement pertinent ; le pays fut -hélas- conçu comme le territoire pertinent pour le développement local. On estimait en effet que la commune était trop petite et que l'intercommunalité n'atteignait pas des dimensions suffisantes ; on a donc cherché dans le bassin de vie ou d'emploi. La Datar a beaucoup couru dans ce sens, avec M. Guigou. En définitive, on s'est retrouvé dans une impasse et on s'est aperçu que la notion même de périmètre pertinent est un fantasme. Il y a autant de pertinences que de thèmes à aborder. Nous nous retrouvons donc avec un véritable problème de gestion de la complexité. Il vaut mieux essayer d'avoir des territoires qui soient des briques de base de la gouvernance : l'approche par l'humain est préférable à celle qui privilégie la cartographie. Pour atteindre des pertinences différentes, il faut imaginer des constructions à la demande, qui peuvent être interterritoriales, que cela soit horizontal ou vertical, d'ailleurs. Pour faire un Scot, quatre ou cinq intercommunalités pourraient se regrouper pour créer une association contractuelle qui se donne pour mission de l'élaborer pendant trois ans, de le gérer pendant six ans et ensuite de tout mettre à plat pour éventuellement signer un nouveau contrat. Entre temps, des équipes de projets seraient mises en place et les ressources internes seraient mutualisées. On peut également concevoir une inter-territorialité qui fasse intervenir le département et la région. Je pense en particulier aux transports.

Il faut cesser de courir après la simplification, qui était pourtant l'objectif de la réforme territoriale : on ne simplifie pas la complexité de la vie, mais on peut la gérer au mieux grâce à des associations interterritoriales, qui permettent de s'adapter aux besoins.

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