M. François-Daniel Migeon,
directeur général de la modernisation de l'Etat (DGME),
ministère du budget, des comptes publics,
de la fonction publique et de la réforme de l'état

____

M. François Patriat , président . - Je vous remercie, monsieur le Directeur général, de venir devant notre mission. Ses membres, dont vous pouvez mesurer l'assiduité, se demandaient si vous étiez installé à Bercy.

M. François-Daniel Migeon, directeur général de la modernisation de l'Etat (DGME). - Au bâtiment Sully, pas très loin de Bercy.

M. François Patriat , président . - Nous en convenons tous, l'Etat doit être plus performant, mais si l'objectif est partagé, notre mission a pour but d'évaluer les méthodes, la concertation et les résultats. Je ne répèterai pas qu'on hésite parfois entre le désespoir et la béatitude, cependant, malgré la sérénité et à la satisfaction affichées par certains, d'autres ont le sentiment d'un désengagement, notamment dans les petites collectivités confrontées aux nouvelles cartes judiciaire, scolaire, hospitalière... Elles connaissent de grandes difficultés et des territoires, qui ont des attentes toujours fortes à l'égard de l'Etat, veulent des services publics différents.

Vous répondrez à notre questionnaire par une communication écrite, mais pouvez-vous nous présenter votre vision de la RGPP ?

M. François-Daniel Migeon. - Je suis honoré de cette opportunité de vous présenter un sujet qui m'est cher. J'ai en effet envie de servir l'administration et le pays et, sans être parfait, notre travail est assez ambitieux -faut-il parler d'un contexte clair-obscur ? Peu après son audition par votre mission, M. Baroin a eu l'occasion, le 9 mars dernier, de présenter au président de la République un rapport d'étape dont je voudrais partager avec vous quelques éléments. Les résultats sont au rendez-vous ; trois ans après, la RGPP a transformé le paysage de l'administration. Une modification aussi ample constitue en soi une réussite. Pour cette modernisation et cette amélioration de la qualité du service public, nous avons pris le parti de la transparence, avec des rapports d'étape réguliers, prenant à témoin tous ceux qui se sentent concernés. Est-il trop tôt pour dresser un bilan  de ces larges modifications structurelles ?

La RGPP, c'est la confiance, la responsabilité et l'équité. Les usagers et les fonctionnaires nous ont fait part de leur volonté de voir l'administration changer. Nous avons compris ce désir de confiance réciproque, mais celle-ci ne se décrète pas, elle se prouve, elle se vit. Et la RGPP prouve qu'améliorer la qualité du service est possible. Le rapport d'étape du 9 mars décrit les attentes de nos concitoyens : l'indice de satisfaction est de 87 % pour les études supérieures, 84 % pour l'orientation à l'université, mais 49 % aux urgences. C'est en les prenant en compte que l'on construit autour de la confiance la relation nouvelle entre nos concitoyens et l'administration.

Songez qu'en 2007 il n'y avait pas à la direction générale de modernisation de l'Etat de service pour écouter les usagers. Notre première décision a été d'en créer un, pour initier des forums, des panels, en somme une France miniature afin d'être aux écoutes de nos concitoyens ; nous avons également établi le site ensemble-simplifions.fr . Les idées sont alors passées au double tamis de la faisabilité et l'opportunité. Nous avons publié le 9 mars les chiffres sur la complexité de l'administration perçue par nos concitoyens, que nous nous étions donné les moyens d'analyser fin 2008 pour différentes événements de la vie. Voici leur évolution sur deux ans : « je perds un proche », de 40 à 30 %  grâce à la charte du respect de la personne endeuillée ; « je donne naissance à un enfant », de 25 à 19 %, grâce à un site de la CNAF ; « je déménage », de 19 à 12 % avec un service en ligne « je change de coordonnées ».

La confiance passe par l'écoute, l'analyse et le concret. La situation n'était pas réjouissante en 2007 car peu de services étaient dotés d'un dispositif de traitement des réclamations. Nous les avons systématisés -quoi de plus significatif du respect porté à l'usager ?- et avons construit un référentiel.

L'Etat se modernise afin de simplifier la vie des Français. L'on a dû consentir des réformes plus lourdes. La qualité du service, c'est le guichet unique, celui des impôts, celui de l'emploi, c'est aussi la réforme de l'administration territoriale. Si elles ont demandé du courage, ces mesures sont plébiscitées, ainsi le guichet fiscal, et des présidents de conseil général m'ont dit qu'après un petit flottement ils appréciaient la lisibilité et la réactivité.

Confiance, mais aussi responsabilité pour garantir la pérennité et la qualité de nos services publics. Dans la continuité de la mise en oeuvre consensuelle de la LOLF, la RGPP traduit le souci que chaque euro soit utile, car la performance est au coeur du service public. La contrainte sur les comptes publics, qui a conduit à souhaiter retrouver une trajectoire soutenable, n'est pas un objectif mais bien un déterminant méthodologique. Nous avions besoin d'un ajustement structurel et de le calibrer, ce qui n'était pas si simple. La règle du non-remplacement d'un départ en retraite sur deux porte un message intrinsèque d'adaptation à une réalité démographique et sociale : les chaises qui disparaissent sont des chaises vides. Alors que peu d'organisations prennent ce parti, nous avons décidé de résoudre l'équation paradoxale de ne pas décevoir nos concitoyens qui veulent des services publics et d'en faire évoluer les moyens. Cela suppose de revoir l'organisation et les méthodes de travail, d'où les 400 projets de réforme identifiés par lesquels passe notre ambition. D'autres pays ne s'embarrassent pas de tant de précautions, mais nous avons voulu prendre le temps d'écouter nos concitoyens pour construire et penser la réforme -voilà la marque de la RGPP.

J'ai commencé ma carrière comme chef de la section grands travaux d'une DDE dans les années 1990. Les demandes de la Diren s'ajoutaient à celles de la DDA et le préfet demandait qui portait la parole de l'Etat. Tout cela ne pouvait-il pas être plus fluide, plus simple ? On parlait de rapprochement depuis un certain temps. Dans un rapport sénatorial, Jean-Paul Delevoye appelait l'Etat à plus de volontarisme. Excusez-nous d'avoir mis dix ans à le faire.

Confiance, responsabilité, et enfin équité. Contrairement à bien des entreprises de modernisation de l'Etat, la RGPP a pris le parti, et c'est fondamental, de refuser la victimisation car chacun contribue en fonction de ce qu'il est. Elle n'a pas pour autant ignoré les spécificités, car l'équité n'est pas l'égalité. Aussi a-t-elle su s'adapter aux différents secteurs.

L'audit a mobilisé les expertises pour trouver les bonnes réponses dans la différenciation et la précision. La règle chapeau du 1 sur 2 s'est appliquée de manière nuancée selon les besoins et il en a été de même du retour sur les économies réalisées. Cette logique a été particulièrement visible dans l'enseignement supérieur ou dans la justice.

Le rapport d'étape revient sur l'équité de traitement dans l'ensemble des ministères.

Permettez-moi de rendre hommage aux fonctionnaires qui depuis trois ans ont manifesté un surcroît d'énergie. Ils ont pris sur eux et ce sont leurs résultats que la DGME a accompagnés. L'encadrement de proximité mérite une mention spéciale, car, si l'impulsion est venue d'en haut, il a saisi cette opportunité pour incarner la liaison entre le passé et l'avenir dans la continuité des valeurs du service public. Force est pourtant de reconnaître ici un déficit : la remise, la semaine dernière, du prix du manager public n'a pas eu l'écho qu'elle méritait et l'on ne sait pas assez que l'école de la modernisation de l'Etat a déjà reçu 500 élèves. Or l'on ne peut plus s'appuyer sur les structures : les hommes méritent d'être accompagnés et peut-être ne l'avons-nous pas assez fait.

Voilà quelques perspectives d'ensemble en complément du rapport d'étape du 9 mai.

M. François Patriat , président . - Les élus territoriaux ne manqueront pas de joindre leurs questions à celles du rapporteur.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Votre conceptualisation générale n'était-elle pas idyllique ? Oui, réformer l'Etat est nécessaire mais il ne faut pas nier des difficultés et là-dessus vous êtes resté coi.

Le président Jacques Pélissard, toujours mesuré, a estimé : « L'Etat allège son dispositif sur le terrain : tant mieux pour les finances publiques d'Etat ; mais les finances publiques locales supportent un poids nouveau ». M. Delevoye, quant à lui, n'est pas sûr que la RGPP contribue toujours à une amélioration du service public comme on aime à le répéter quand, pour un dossier de naturalisation, on est obligé en Ile-de-France de passer par un numéro unique ouvert de 14 à 16 heures un jour par semaine. Ne  faut-il pas nuancer votre propos ?

La RGPP est initiée par l'Etat comme c'est sa responsabilité, mais comment les collectivités territoriales et les élus ont-ils été associés à cette grande ambition ? L'on a cru comprendre lors des auditions qu'ils ne l'avaient pas été. Les personnes rencontrées ont exprimé le sentiment d'un désengagement...

M. François Patriat , président . - D'un abandon !

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Nous verrons plus tard comment l'interpréter, mais je voudrais savoir si la RGPP a bien été accompagnée d'un travail d'explication.

L'informatique et la numérisation permettent sans doute de dégager des postes et vous avez évoqué les chaises vides. Cependant, quand les nouvelles technologies affectent des postes de catégorie B ou C, la demande d'accompagnement des collectivités locales concerne les catégories A. L'Etat, nous dit-on, n'est plus dans le conseil mais dans le contrôle de légalité, voire la censure.

L'administration centrale continue de fonctionner avec de grandes directions ; en revanche, les préfets de région doivent organiser les services sur le terrain et il y a dans un département deux directions interministérielles qui n'ont pas toujours les moyens de leurs missions. Nous pensions pourtant que la loi sur les collectivités territoriales avait conforté les départements ou, du moins qu'elle n'avait pas anticipé sur leur disparition.

Enfin, le 1 sur 2 va-t-il pouvoir continuer longtemps ?

M. François Daniel Migeon. - Loin de me livrer à un exercice d'autosatisfaction, j'ai engagé mon propos en disant qu'on ne pouvait pas espérer avoir eu le temps de tout régler en quelques années. Voilà moins de trois ans que les réformes ont été engagées, et l'on voudrait que le bilan soit parfait ? J'en ai souligné les aspects positifs en sachant que le traitement n'est pas terminé.

Quant à la concertation avec les collectivités territoriales, la RGPP concernant les missions de l'Etat, il y a peu de transferts. L'exercice est d'abord de réorganisation de l'Etat, et cela pour les collectivités, pour les usagers. Le Premier ministre a donné très clairement instruction aux préfets de réunir les parties intéressées par les réformes, c'est l'objet des circulaires du 19 mars et du 7 juillet 2008.

Je ne m'explique le sentiment d'abandon que par la phase de mise en place : le 1 er janvier 2010, c'est encore tout récent. Les élus ont besoin de retrouver des repères, d'identifier des interlocuteurs. Le travail d'ajustement a pu donner l'impression temporaire d'un moindre répondant. L'administration n'a pas d'inclination pour l'interministérialité mais les personnes qui doivent travailler ensemble appartiennent désormais aux mêmes services et la lisibilité, elle, est durable. La montée en compétence représente un défi. Il faut s'occuper de la mobilité, de la formation, de l'évolution des métiers. N'incriminons pas le programme de transformations, le statu quo n'aurait pas mieux répondu aux attentes nouvelles de nos concitoyens.

Je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de votre remarque sur la contradiction avec la réforme des collectivités locales. Telle que je l'entends, la réforme a pour objet de mettre en cohérence les niveaux régionaux et départementaux de l'Etat, au moment où, dans les collectivités locales, les mêmes élus vont siéger au conseil général et au conseil régional. C'est l'objet de la modification du décret de 2004 donnant au préfet de région un droit d'évocation de dossiers que l'on est mieux à même de traiter à ce niveau qu'à celui de l'administration de proximité départementale. Il y a ainsi deux mécanismes cohérents.

La question du 1 sur 2 me dépasse. La loi de finances triennale prévoit cette norme d'ajustement dont nous voyons bien qu'elle a été utile. Cependant, la décision ne m'appartient pas.

M. Gérard Bailly . - Tous les élus ne partagent pas l'espérance que vous exprimez. Je note plutôt une impression de complexité croissante. J'ai écrit aux maires de mon secteur et voici l'une des réponses. Le maire d'une commune de moins de 200 habitants déplore une application trop stricte de la réglementation, notamment en matière de certificat d'urbanisme car, quand il veut construire en bout de village, la direction départementale des territoires conteste au motif que c'est au-delà de la zone urbanisée actuelle. Il ne comprend pas non plus qu'on exige une étude hydrogéologique pour un projet d'assainissement qui améliorera la propreté des eaux, jusque là rejetées sans le moindre traitement ! C'est aussi le trésorier, qui requiert une pléthore de justificatifs ; pour une facture de 2 700 euros d'un bureau d'études, il faut non seulement la délibération mais aussi le devis et encore la note méthodologique en 12 exemplaires. Face à ce toujours plus, la RGPP devait apporter confiance, responsabilité et équité. Oui, le guichet fiscal unique a simplifié, mais, non, on ne fait pas confiance à cet élu et permettez à un partisan de la RGPP de dire que si cela ne change pas, les gens ne la comprendront pas.

M. François Patriat , président . - Ces simplifications ne relèvent-elles pas du règlement ou de la loi plutôt que de la RGPP?

M. Jean-Luc Fichet . - Ai-je mauvais esprit ? Je ne vois pas la RGPP comme vous la décrivez « Tout va très bien... » et le décalage est d'autant plus grave que vous n'avez pas un seul instant de doute. Depuis le début des auditions, on a relevé une absence totale de concertation : cette réforme a été plus subie que voulue et l'on voit les conséquences qualitatives de ce manque de dynamisme quand des gens qui n'en ont pas l'habitude descendent dans la rue, comme les médecins ou les magistrats, pour dire qu'ils ne peuvent plus assurer leur mission. La CFDT-cadres a fait écho à un sentiment d'isolement et à la crainte de prendre une décision irréparable; pour le président de l'association des maires ruraux, le reflux de l'Etat laisse les élus démunis face à la marée des normes et il évoque un sentiment palpable d'abandon ; il fallait certes réajuster mais la RGPP est majoritairement mal vécue par les fonctionnaires. Quant à « l'équité » et à la « confiance », je me dis que vous devriez délaisser les enquêtes et les pourcentages pour aller prendre le pouls du terrain, vous y croiseriez des présidents de Conseil général plus inquiets que ravis ! Le rouleau compresseur de la RGPP, qui a d'abord été une question d'économies, continuera-t-il à ce rythme ou bien une respiration, un ajustement permettront-ils plus d'équité et de dynamisme ?

Mme Valérie Létard . - Nous le disons à chaque réunion, cette entreprise se télescope avec les grands chantiers comme les SCOT qui demandent toujours plus de technicité. Alors que les maires sont démunis, l'administration apporte moins d'ingénierie et exerce plus de contrôle. Il faudrait au contraire, accompagner, coproduire et faciliter, sinon, comment construire un projet et éviter les erreurs ? Si nous comprenons les enjeux de la RGPP, nous savons aussi qu'avec le non-remplacement d'un fonctionnaire partant en retraite sur deux, « on est arrivé à l'os », comme l'a dit le président de l'association du corps préfectoral. Rationaliser pour un meilleur service rendu, bien sûr, mais pour progresser dans l'organisation des services de proximité. Les collectivités et leurs intercommunalités auront beau s'organiser, pour les dossiers très complexes, les territoires auront toujours davantage besoin de travailler en amont avec les services de l'Etat que de recevoir en fin de procédure des avis négatifs. On gagnerait du temps et l'on s'épargnerait bien des efforts grâce à des relations apaisées. Ne peut-on aller dans ce sens ?

M. François Daniel Migeon. - Le rouleau compresseur ? Mais je vais sur le terrain, j'écoute et nous avons un baromètre des cadres : nous ne sommes pas autistes publics. Nous ne manquons pas de rappeler le sens de ce que nous sommes en train de faire. Beaucoup se sont engagés, ils ont mouillé leur chemise et souffrent de ne pas entendre rappeler la raison d'être de notre action. C'est ce que j'ai fait sans cynisme. Je les ai entendus et nous les accompagnons, ce qui passe par des missions, des moyens. Donner du sens n'est pas être idyllique.

Vous m'interrogez aussi sur la proximité, le conseil, l'attention. Nous sommes en phase d'ajustement. Au niveau départemental revient le conseil de proximité, généraliste, polyvalent, donc interministériel, qui est à l'opposé d'une déclinaison tatillonne des politiques sectorielles ; au niveau régional les fonctions de support et l'expertise. Nous avons mis en place l'approche que vous souhaitez ; c'est un contresens de croire qu'il n'y a pas une très haute valeur ajoutée dans le département et que ce n'est qu'un niveau d'exécution

Les vues que l'on avait sur la réforme il y a quelques années n'étaient pas très différentes des nôtres, mais c'est leur conjonction avec la contrainte de la réduction des effectifs qui a historiquement permis de les enclencher. Si d'aventure on nous disait demain que la réduction d'effectifs a été suffisante, la DGME ne considèrerait pas pour autant que la réforme est achevée, les deux sujets sont distincts.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page