M.
Jean-Marc Rebière,
président du conseil
supérieur
de l'administration territoriale de l'État
(CSATE)
M. François Patriat , président . - Merci de venir nous entretenir de votre vision et de votre expérience en matière de réforme de l'État. Je ne vous poserai qu'une question : quel bilan le CSATE tire-t-il de la réforme des administrations territoriales ?
M. Jean-Marc Rebière, président du conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État (CSATE). - Le CSATE est un organisme peu connu. Créé par le décret du 29 novembre 2006, il a succédé au préfet en mission extraordinaire chargé de l'évaluation des préfets, instauré en 1999. Nous ne sommes pas un corps d'inspection : notre coeur de métier est l'évaluation des préfets et sous-préfets - cent à cent-vingt par an -, non des outils de l'administration.
Du fait de la diversification du recrutement du corps préfectoral, le CSATE, composé essentiellement de préfets, a également une fonction de tutorat, de transmission de pratiques et d'informations.
Enfin, nous rendons au ministre de l'Intérieur un avis confidentiel sur l'évaluation de la fonction de préfet à l'égalité des chances, créée à la suite des émeutes urbaines de 2005. Nous n'avons pas à nous prononcer sur les choix d'organisation, nationale ou territoriale, mais uniquement sur l'équation humaine. Le préfet ou le sous-préfet conduit-il la réforme en optimisant les compétences, en valorisant ses équipes ? Quid des nouveaux profils de représentants de l'État ?
La réforme des administrations territoriales est très récente ; changer des habitudes de travail prend du temps. Nous interrogeons les partenaires du préfet, ses collaborateurs. Les directeurs disent avoir perdu en autonomie mais gagné en intelligence : ils sont désormais de réels interlocuteurs du préfet, et comprennent mieux les enjeux. Bref, le resserrement quantitatif s'est traduit par plus de cohérence et de réactivité.
Nous interrogeons également les présidents de conseils généraux, les maires de grandes villes sur leurs relations avec le représentant de l'État. Pour que le préfet demeure leur interlocuteur privilégié, il lui faut de nouveaux savoir-faire. Cela suppose de changer de pratiques, d'aller chercher l'expertise, de construire un réseau d'influence pour faire entendre les attentes du territoire, de travailler en équipe autour du préfet de région... Le préfet a-t-il bien appréhendé le nouveau mode opératoire, pour garantir une réponse de l'État de qualité, et donc crédible ? À nous de mesurer sa capacité à évoluer, qualité dont le corps préfectoral a su faire preuve après la décentralisation.
Je ne porterai pas d'appréciation sur la réforme des administrations territoriales ; le CSATE délibère sur les dossiers d'évaluation individuels, pour donner au ministre un avis sur la capacité du corps préfectoral à évoluer. Les élus ont besoin d'une simplification du paysage institutionnel, de lisibilité, d'un État proche, accessible, qui les accompagne et les aide tout en garantissant le respect de la loi.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - J'ai compris que vous ne vous sentiez pas autorisé à nous donner votre avis sur la RGPP... Quels sont les critères d'évaluation du corps préfectoral ? Si le ministre de l'Intérieur attend de ses serviteurs qu'ils mettent en place la RGPP, sans doute a-t-il donné des instructions sur les méthodes de travail et défini des priorités ? La règle du non remplacement d'un départ sur deux entraîne une réduction des moyens, et donc un recentrage sur des priorités.
Sans trahir le secret du confessionnal, que pouvez-vous nous dire des difficultés que disent rencontrer les préfets, et de leurs attentes ?
Enfin, quel est le climat relationnel entre le préfet de région, qui coordonne, et les préfets de département, qui peuvent sembler relégués au statut de sous-préfet ?
M. Jean-Marc Rebière. - Notre évaluation est simple. Le préfet ou le sous-préfet a-t-il une aptitude à la pédagogie ? Sait-il faire comprendre la réforme et susciter l'adhésion ? Est-il capable de conduire un vrai dialogue social, de sorte que la volonté de l'État se traduise dans la réalité avec un minimum de tension ? Par exemple, le schéma immobilier n'est pas indifférent pour les agents : le préfet doit concilier la recherche d'économies et le maintien de conditions de travail satisfaisantes. Le dialogue social, avec notamment le nouveau comité technique paritaire interministériel, est un outil structurant de la réorganisation.
Outre la réduction des moyens touchant les fonctions de production de cartes d'identité et de passeports, le préfet doit préserver le niveau de compétence et d'expertise en matière de contrôle de légalité. Nous évaluons comment le préfet s'organise pour garantir un niveau de compétence pertinent.
Les préfets ne se confient guère à nous, car nous sommes dans un rapport d'évaluation.
M. François Patriat , président . - Ils ne distillent pas leurs souffrances ?
M. Jean-Marc Rebière. - Sans doute considèrent-ils qu'exprimer des doutes serait un signe de faiblesse...
S'ils s'interrogent, c'est sur leur faculté à trouver dans l'appareil de l'État les expertises pointues dont ils ont besoin, compte tenu de la complexité des sujets. Un préfet peut ainsi être amené à s'adresser au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). L'expertise est aussi une garantie, par exemple pour décider d'une hospitalisation d'office. Pour rester crédible, le représentant de l'État doit maintenir ce niveau d'expertise, au niveau régional ou zonal -ce dernier étant trop oublié alors que c'est l'échelon de gestion des crises. Les acteurs publics et les usagers ne doivent pas avoir à pâtir de la complexité de l'architecture institutionnelle ; au préfet de la décoder.
Nous évaluons les capacités de décision, notamment dans l'engagement des forces de l'ordre, épreuve à laquelle tout préfet est confronté. Nous fournissons au ministre des éléments d'appréciation pour valider le choix de représentants de l'État qui doivent être en première ligne, trouver le ton juste, apporter des réponses à la population. Management, rapport avec les médias : les compétences prises en compte ne sont pas que techniques. Le préfet doit instaurer un rapport de confiance avec les collectivités locales afin de conduire avec elles les politiques publiques, dans l'intérêt général. Bref, nous mesurons ce qui fait le charisme, la carrure, l'identité d'une personnalité.
M. Charles Revet . - À entendre les avis contraires émanant des différentes directions, on pouvait penser qu'il y avait plusieurs États dans un même département ! La logique voudrait que le préfet soit coordonnateur : est-ce la solution retenue ?
Par ailleurs, la multiplication des agences ne va-t-elle pas à l'encontre de la volonté d'offrir un guichet unique de l'État ?
M. Jean-Marc Rebière. - La RGPP vise précisément à résoudre ces problèmes. Il est vrai que les avis des différentes directions, sur la révision des documents d'urbanisme par exemple, n'étaient pas toujours cohérents... La direction départementale des territoires sera désormais tenue de faire la synthèse des points de vue. Elle n'englobe toutefois pas tout ; le préfet conserve toute sa légitimité pour assurer la coordination, y compris avec les agences. Par le décret de février 2010 et la circulaire du Premier Ministre, le préfet est le délégué de chaque agence, et leurs unités territoriales sont placées sous sa responsabilité.
M. Charles Revet . - Les agences de l'eau également ?
M. Jean-Marc Rebière. - Les agences de l'eau ont une part d'autonomie, surtout quand elles ont des ressources fiscales et que le périmètre de leur bassin diffère de celui de la région. La collégialité est toutefois de mise quand il s'agit d'arrêter la politique de l'eau. Il y a des cordes de rappel pour assurer la cohérence des différents démembrements de l'État, même s'il faudra sans doute du temps pour que les comportements s'adaptent. Les décisions d'extension des exploitations agricoles en Bretagne n'étaient pas en phase avec la stratégie défendue par la France à Bruxelles... Il s'agit avec la RGPP de donner plus de force et de cohérence aux politiques publiques portées par le Parlement.
M. François Patriat , président . - Il est désormais possible de retirer sa carte grise auprès du concessionnaire automobile, qui toutefois la facture. Faute de moyens, certains continuent donc de se rendre à la préfecture, où il faut faire la queue pendant des heures... L'agent de la préfecture, seul à son guichet, dit ne pouvoir faire face ; dans le même temps, un concessionnaire me demande d'intervenir auprès du préfet car il n'a pas reçu son lot de cartes de grises ! Les préfets vous disent-ils être à l'os, et ne pouvoir assumer leurs missions ?
M. Jean-Marc Rebière. - Préfet des Hauts-de-Seine, j'ai connu les files d'attente devant la préfecture dès le petit matin...
L'objectif est que les usagers aient un guichet unique. Pour l'acquéreur d'une automobile, c'est le garagiste. Nous sommes en phase de transition : 20 % des cartes grises sont encore émises dans les préfectures. Il est hors de question d'imposer aux concessionnaires de devenir chargés de mission de service public, surtout en zone rurale. Une opinion est un fait, disait Edgar Faure : certes, mais la réforme n'est pas encore aboutie. On cumule les inconvénients : les moyens ont baissé dans les préfectures, alors que les garagistes ne sont pas encore formés. Obtenir tous les éléments lors d'un même rendez-vous sera un indéniable progrès. Les garagistes sont ouverts le samedi ; pour retirer sa carte à la préfecture, il faut prendre une demi-journée de congé ! C'est un surcoût non négligeable. La véritable égalité républicaine sera que chacun ait accès à un service équivalent ! L'interlocuteur unique, voilà la modernité.